1. Introduction
1. A la suite du renvoi à la commission de la culture,
de la science, de l’éducation et des médias de la proposition de
résolution sur la violence à la télévision et son influence sur
les enfants (
Doc. 12858), j’ai été nommé rapporteur le 23 janvier 2013. J’ai
suggéré ultérieurement de changer de titre et d’intituler le rapport «Violence
véhiculée dans et par les médias», car la télévision pouvait être
considérée comme un espace trop restreint dans le paysage actuel
des médias.
2. Le débat sur la violence dans les médias est aussi ancien
que les médias eux-mêmes. Il y a vingt ans, les participants à la
4e Conférence ministérielle européenne
sur la politique des communications de masse (Prague, 7-8 décembre
1994) élaboraient un plan d’action contenant des stratégies pour
la promotion des médias dans une société démocratique. Dans ce document,
qui a été transmis au Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe,
ils lui demandaient de «préparer, en consultation étroite avec les
professionnels des média et les autorités de régulation, d’éventuelles
lignes directrices sur la représentation de la violence dans les
média». Les médias ayant évolué depuis, notamment au cours de la
dernière décennie, il apparaît opportun de réexaminer ce sujet.
3. Les actes de violence extrême commis par des individus ayant
été généralement exposés à des médias à caractère violent sont très
médiatisés et mettent ce sujet au centre des préoccupations des
autorités politiques. Ils ont fait l’objet de vifs débats publics,
notamment après les fusillades qui se sont produites en 1999 dans
une école secondaire à Columbine dans l’Etat du Colorado (Etats-Unis),
en 2002 dans une école secondaire à Erfurt (Allemagne), en 2008
dans un collège professionnel à Kauhajoki (Finlande), en 2009 dans un
établissement secondaire à Winnenden (Allemagne), en 2012 dans une
école juive à Toulouse (France) et, plus récemment, en février 2014,
dans l’école n° 263 à Moscou (Fédération de Russie), sans oublier
l’attentat d’Oslo et la fusillade sanglante de Buskerud (Norvège)
en 2011.
4. La commission de la culture, de la science, de l’éducation
et des médias a organisé avec la commission de la culture, de l’éducation
et de la communication du Sénat français une audition sur «La violence
dans les médias audiovisuels et ses conséquences sur les enfants
et la société» qui s’est tenue le 18 décembre 2012 à Paris
. Des rapports d’expert ont été
présentés par Mme Divina Frau-Meigs, Université de Paris III, M. Jo Groebel,
directeur scientifique de l’étude mondiale de l’Unesco (1998) sur
la violence dans les médias (Berlin), M. Giacomo Mazzone, Union
européenne de Radio-télévision (Grand-Saconnex, Genève), Mme Salomé Ramos,
psychologue (Aveiro, Portugal), et le Dr Astrid Zipfel, Institut
pour la Communication et la science des médias, Université Heinrich
Heine (Düsseldorf).
5. Le 21 mai 2013, la commission a organisé une audition sur
ce thème à la Chambre des communes, à Londres. La commission a entendu
M. John Carr, Membre du Conseil d'administration, Conseil sur la
sécurité des enfants sur internet du Royaume-Uni (Londres), Mme
Tineke Lodders-Elfferich, Présidente du conseil, et M. Wim Bekkers,
Directeur, Institut néerlandais pour la classification des médias
audiovisuels (NICAM) (Hilversum), M. David Austin, Directeur adjoint,
Politiques et affaires publiques, Conseil britannique de classification
des films (Londres), M. Simon Little, Directeur général, Fédération
européenne de logiciels interactifs (Bruxelles), et M. Neil McLatchie,
Département de psychologie, Keynes College, Université de Kent (Canterbury).
6. Je suis très reconnaissant envers tous les experts et responsables
politiques qui ont donc contribué à une élaboration vraiment européenne
du présent rapport.
2. La corrélation
entre la violence dans les médias et un comportement violent
7. Durant des décennies de recherche, plusieurs théories
et modèles ont été élaborés en vue d’expliquer les mécanismes par
lesquels la réception d’images violentes véhiculées par les médias
se transforme en comportement agressif. Ces approches varient selon
la durée des effets qu’elles décrivent (court terme ou long terme),
le canal qu’elles privilégient (par exemple, l’excitation, les émotions,
l’intellect ou cognition, etc.) et la question fondamentale de savoir
si la violence dans les médias a des effets positifs, négatifs ou
nuls. Les grandes lignes de ces approches sont brièvement exposées
ci-après
.
2.1. Théories, modèles
et recherche empirique
8. La théorie de la catharsis est la seule théorie qui
confère à la violence dans les médias des effets positifs. Selon
elle, la visualisation de ce type de contenu déboucherait sur une
agression fantasmée et permettrait de purger les fantasmes du spectateur
et de décharger ses pulsions agressives. Le spectateur serait donc
moins enclin à se comporter agressivement après avoir visualisé
des contenus violents. Cette théorie n’a pas pu être confirmée par
des travaux de recherche s’appuyant sur une méthodologie rigoureuse.
9. L’hypothèse, simple, qui veut que la violence dans les médias
soit imitée directement en vertu d’un «processus de suggestion»
non spécifié (théorie de la suggestion ou effets de contagion) a
été réfutée. Il est vrai que certaines conditions spécifiques peuvent
encourager un individu à imiter des actes violents (ce point a été
notamment examiné dans le cas du suicide). Néanmoins, ces cas sont
mieux expliqués par des théories plus différenciées. De plus, le
contenu des médias ne semble être qu’une des causes parmi d’autres, beaucoup
plus importantes, qui déclencheront un passage à l’acte planifié
longtemps auparavant. Les éléments détaillés des contenus diffusés
dans les médias ainsi que les caractéristiques (profil) du destinataire doivent
être examinés.
10. La théorie de l’accoutumance souligne que les effets cumulés
à long terme entraînent une forme d’atténuation des émotions et
de désensibilisation. Certes, la visualisation d’images violentes
diffusées dans les médias peut vraiment atténuer, à la longue, les
réactions émotionnelles et physiologiques déclenchées par les contenus,
mais il y a peu d’éléments qui prouvent qu’elle a également une
incidence sur les rapports à la violence dans la vie réelle, qu’elle
diminue l’empathie envers les victimes d’actes violents et qu’elle
réduit le seuil d’inhibition relatif au comportement agressif du
spectateur.
11. Les grands utilisateurs de médias souffriraient d’une vision
déformée de la réalité sociale. Regarder des images violentes peut
entretenir la peur du crime et la croyance que le monde est méchant
et dangereux (théorie de l’incubation). Les travaux de recherche
se concentrent actuellement sur les variables d’intervention dans
ce processus, par exemple l’expérience de la victimisation.
12. Les effets de la pulsion de peur ont été principalement étudiés
pour les enfants. Des études montrent que la pertinence du contenu
pour chaque individu (qui varie selon le stade de développement
et les expériences personnelles) est plus importante que la simple
quantité de violence montrée.
13. La théorie du transfert d’excitation prétend que les différents
types de contenus véhiculés dans les médias (la violence mais aussi
l’érotisme, l’humour, le sport, etc.) peuvent plonger le spectateur
dans un état d’excitation non spécifié qui intensifie toutes les
actions engagées ultérieurement (mais qui ne sont pas nécessairement
violentes).
14. La théorie de la stimulation énonce qu’un sentiment de frustration
peut être à l’origine d’un état d’excitation émotionnelle qui peut
déboucher sur une prédisposition agressive et se traduire par un comportement
violent si l’individu se trouve dans une situation qu’il associe
au sentiment de colère éprouvé, qui ressemble à des expériences
passées (ou des contenus dans les médias) ou qui est généralement
censée déclencher une agression (par exemple des armes).
15. La théorie de l’amorçage suppose que les signaux produits
par des médias à caractère violent peuvent activer des associations
violentes dans le cerveau de l’individu et avoir, à court terme,
une incidence inconsciente sur la perception des situations et le
choix des options comportementales.
16. La théorie de l’apprentissage social postule que les individus
adoptent des modes de comportement en observant les actes d’autrui
(dans la réalité ou les médias). Cependant, ces schémas n’impliquent
pas nécessairement un passage à l’acte. Généralement, la violence
est contenue par des mécanismes d’inhibition (par exemple, des normes
sociales, la crainte de la vengeance, le sentiment de culpabilité,
etc.). Cependant, l’observation ou l’expérimentation des conséquences
positives (récompenses, succès, etc.) qui découlent d’actes violents
encourage le transfert des modes de comportement latents au passage
à l’acte. La théorie de l’apprentissage social tient compte également
des caractéristiques des contenus véhiculés par les médias (l’intelligibilité,
la justification, etc.), des caractéristiques de l’observateur (son
caractère, ses capacités cognitives, ses expériences antérieures,
etc.) ainsi que des conditions sociales (la socialisation, les valeurs, etc.).
Elle admet que différents observateurs n’ont pas forcément la même
perception d’un contenu identique et qu’ils n’en tirent pas les
mêmes enseignements pour leurs propres actions.
17. Le modèle d’agression générale s’efforce d’intégrer différents
concepts. Il suggère que le comportement résulte de facteurs personnels
et situationnels qui touchent l’intellect, les émotions et l’excitation
et donc influent sur l’évaluation d’une situation et le choix des
options de comportement qui en découlent. Les réactions environnementales
à ce comportement rétroagissent avec le comportement choisi et le
renforcent ou l’inhibent. Des processus répétés d’apprentissage,
d’activation et de renforcement peuvent produire des principes agressifs
et une désensibilisation durables, qui peuvent à la longue façonner
une personnalité agressive et déboucher sur un comportement violent.
Le modèle d’agression générale est actuellement l’approche la plus
fréquemment utilisée dans les travaux de recherche sur la violence
dans les médias. Néanmoins, le modèle n’a jamais été pleinement
testé. Il est universel mais de nombreux facteurs, tels que le rôle
de la violence dans les médias, n’ont pas été spécifiés.
18. Le modèle des catalyseurs, qui est relativement nouveau, suppose
que la violence dans les médias a une incidence sur la formation
du comportement violent mais pas sur son déclenchement. Un comportement violent,
en fait, résulte d’une combinaison de facteurs génétiques, d’influences
familiales (notamment les expériences de la violence) et de facteurs
environnementaux situationnels (par exemple, le stress).
19. Pour résumer, la grande majorité des théories et modèles relatifs
à la violence dans les médias trouvent un lien entre l’exposition
à la violence dans les médias et les comportements violents. Les
voies qui peuvent conduire à un comportement violent sont l’excitation
(mais son effet est de courte durée), les processus d’accoutumance
et de désensibilisation, et l’acquisition et l’activation de scripts/scénarios
violents. Parmi tous ces modèles et théories, les théories cognitives
semblent avoir le soutien le plus appuyé. On note cependant que
les différentes voies qui mènent à un comportement violent ne s’excluent
pas mutuellement et que celui-ci n’est pas une conséquence inévitable.
20. L’examen de l’énorme corpus d’études empiriques réalisées
en s’appuyant sur des méthodologies diverses permet de conclure
que l’ampleur des effets de la violence dans les médias est faible
à modérée (le coefficient de corrélation «r», qui peut varier entre
-1 et +1, se situe généralement entre 0,1 et 0,3). En d’autres termes,
10 % seulement d’une agression commise par une personne s’explique
par la violence véhiculée dans les médias, le reste étant dû à d’autres
facteurs. On notera cependant que ce pourcentage représente une moyenne
et qu’il peut être plus fort (ou plus faible) pour des individus
particuliers. Par exemple, les études qui se sont intéressées à
des groupes à problème (notamment les jeunes ayant un casier judiciaire)
signalent des effets beaucoup plus importants. Il en va de même
pour des variantes particulières de contenus diffusés dans les médias.
En conséquence, les effets de la violence dans les médias sont modérés
par plusieurs autres facteurs ou en dépendent. Les recherches en
cours portent précisément sur ce point.
2.2. Facteurs qui influent
sur les effets de la violence dans les médias
21. Les études qui ont été réalisées jusqu’ici valident
la pertinence des facteurs de risque qui sont présentés dans le
tableau suivant. Il importe de préciser que ces facteurs ne permettent
pas d’identifier de manière fiable les délinquants potentiels ou
les contenus qui déclencheront systématiquement une agression. Il
ne s’agit que d’une ébauche des facteurs dont les effets réels découlent
d’un réseau complexe de variables interdépendantes.
Facteur
|
Explication
|
Destinataire
|
|
Sexe mâle
|
Préférence pour les contenus
violents véhiculés dans les médias
|
Plutôt jeune
|
Compréhension de scripts/scénarios
violents sans principes moraux et modes de comportement stables
|
Prédispositions agressives
|
Préférence pour les contenus
violents dans les médias; risque plus élevé de manifester concrètement
des tendances agressives
|
A la recherche de sensations
|
Préférence pour des contenus
violents dans les médias, prédisposition au risque
|
Socialisation violente
(famille, école, pairs, etc.)
|
«Double dose» de modèles
violents (les modèles violents dans les médias et les expériences
violentes subies par l’individu se renforcent)
|
Contenu dans les médias/contexte de violence
|
|
Justification de la violence
|
Elimination des préoccupations
morales, pertinence du modèle du délinquant violent
|
Le délinquant est séduisant
et connaît la réussite
|
Potentiel d’identification
élevé, pertinence en tant que modèle
|
Le délinquant présente
des analogies avec le destinataire
|
Potentiel d’identification
élevé, pertinence en tant que modèle
|
La violence est récompensée
(ou, au moins, impunie)
|
Motivation accrue pour
apprendre et utiliser des modes de comportement violents
|
Aucune conséquence négative
de la violence pour la victime
|
Manque d’empathie pour
la victime; il n’y a aucun motif de se livrer à une réflexion critique
sur la violence
|
2.3. Le cas spécifique
des jeux vidéo
22. De nos jours, les enfants utilisent les médias comme
jamais auparavant. A l’âge de six ans, un enfant passe en moyenne
14 heures devant un écran, et à l’âge de 18 ans, il consacre en
moyenne 45 heures par semaine à l’utilisation de médias de divertissement,
soit plus de temps qu’il n’en passe à l’école. La télévision reste
encore la source de médias la plus consultée, mais les progrès techniques
permettent désormais aux individus d’accéder aux médias en utilisant
divers appareils: ordinateurs personnels et portables, tablettes, téléphones
mobiles et consoles de jeux.
23. Les médias peuvent divertir, éduquer et informer, mais ils
sont aussi devenus plus violents. A l’âge de 18 ans, un enfant a
vu en moyenne 200 000 actes de violence à la télévision. En outre,
60 % des programmes de télévision contiennent des scènes de violence,
et la moitié de ces programmes sont diffusés pendant les heures
de programmation destinées aux enfants. De même, 90 % des films
pour adolescents contiennent des scènes de violence, dont la moitié
sont à caractère mortel.
24. Les jeux vidéo sont une forme populaire de médias, et 97 %
des adolescents les utilisent. Ces jeux ont fait récemment beaucoup
parler d’eux parce qu’ils sont de plus en plus impressionnants et
violents. Environ 94 % des jeux vidéo contiennent des descripteurs
indiquant la présence de scènes violentes, et près de 26 % contiennent
des descripteurs «sang et carnage». Si on les compare à d’autres
sources de médias, les jeux vidéo ont une caractéristique unique,
celle de récompenser des comportements spécifiques tels que le meurtre,
puisque le joueur doit réaliser des objectifs et progresser jusqu’au
prochain niveau. Une forme d’approbation sociale existe également.
25. Le public a des avis partagés sur les effets des jeux vidéo
violents. Pour 75 % des parents, ces jeux favorisent les comportements
violents, tandis que les joueurs pensent généralement que ces jeux
n’ont aucun effet sur les pulsions d’agression. On entend souvent
dans les débats sur la violence et les jeux vidéo que les jeux vidéo
violents ne «sont qu’un jeu» et que si les jeux de football ne peuvent
pas apprendre aux joueurs à jouer au football, les jeux vidéo violents
ne peuvent pas non plus apprendre aux joueurs à être violents. Malgré la
logique de cet argument, de nombreuses études ont montré que les
joueurs répondent à des événements virtuels comme s’ils étaient
moralement responsables, un comportement qui ne serait pas possible
si «ce n’était qu’un jeu». A cet égard, une étude a indiqué qu’après
avoir joué à un jeu vidéo violent, les joueurs déclaraient qu’ils
se sentaient davantage coupables lorsque la violence n’était pas
justifiée que lorsqu’elle était justifiée. Elle a montré également
que les enfants qui jouent à des jeux vidéo violents considèrent
que le monde est plus effrayant, sont plus craintifs et commettent
davantage d’actes d’autodéfense que des enfants qui ne jouent pas
à ce type de jeux.
26. Les jeux vidéo violents encourageraient les comportements
agressifs de deux manières spécifiques. Le premier est la déshumanisation
qui désigne le refus de considérer l’autre comme une personne. Elle
est utilisée comme une forme de désengagement moral: la personne
à qui l’on nuit nous semble souvent moins humaine, au point que
nous ne nous sentons pas coupables de lui avoir porté préjudice.
Une étude a montré dans un exemple que des participants qui jouaient
à un jeu vidéo violent affichaient moins d’émotions (par exemple,
l’espoir, l’envie) à l’égard d’un partenaire que les participants
qui jouaient à un jeu vidéo non violent. Les participants qui ont
déshumanisé leur partenaire pendant le jeu en ont fait ensuite une
évaluation moins favorable dans un formulaire factice de demande
d’emploi. Ce comportement a été considéré comme un acte d’agression
puisqu’il avait été dit aux participants que leur évaluation aurait
une incidence directe sur les chances de leur partenaire d’obtenir
un emploi.
27. Le deuxième mécanisme par lequel les jeux vidéo violents sont
vecteurs d’agression est la désensibilisation. En général, face
à un acte de violence, nous répondons de manière émotionnelle et physiologique.
Nous ressentons, par exemple, de l’empathie ou de la colère, notre
rythme cardiaque augmente et nous transpirons davantage. Les recherches
ont montré que ces deux réactions à la violence peuvent être désensibilisées.
Les enfants qui jouent à des jeux vidéo violents ont moins d’empathie
que ceux qui ne jouent pas à ces jeux. Ce phénomène a des conséquences
importantes dans la vie réelle, car les études montrent qu’il peut
nous rendre moins disposés à aider les personnes qui sont dans le
besoin.
28. Les conclusions relatives aux effets des jeux vidéo violents
sur le comportement agressif dépendent néanmoins de la qualité des
études qui les étayent, et les psychologues ont encore beaucoup
de choses à découvrir dans ce domaine. A l’avenir, les scientifiques
devront travailler plus étroitement avec les régulateurs pour fournir
des données scientifiques permettant d’établir une classification
fiable, car tous les groupes ne réagissent pas aux jeux vidéo violents
de la même manière. Par exemple, des facteurs comme le genre (les garçons
réagissent de façon plus agressive que les filles) et l’âge (les
enfants réagissent de façon plus agressive que les adultes) ont
une incidence sur la manière dont les joueurs interagissent avec
les jeux vidéo violents. Les connaissances scientifiques actuelles
ne sont pas assez précises pour que l’on puisse prendre des décisions
en connaissance de cause en matière de classification. Elles ne
possèdent pas le niveau de détail qui permettrait de faire la distinction
entre l’acceptabilité de la violence à l’égard d’un personnage humain ou
d’un personnage de fiction non-humain pour une tranche d’âge spécifique.
Pourtant, les systèmes de classification PEGI (Système européen
d’information sur les jeux – Pan-European
Game Information) sont établis comme si nous étions en
mesure de faire cette distinction.
2.4. La pédopornographie
est une forme de violence dans les médias
29. Lors de l’audition devant la commission à Londres,
M. John Carr, membre du Conseil d'administration du Conseil sur
la sécurité des enfants sur internet du Royaume-Uni, a expliqué
que, de l’avis général, il est fortement probable qu’un individu
qui exploite des images à caractère pédopornographique commettra ultérieurement
des abus sexuels contre des enfants. Selon une estimation prudente
découlant des recherches actuelles, environ 15 % des individus arrêtés
pour détention d’images pédopornographiques sont des agresseurs
déjà ou passeront à l’acte. Les individus qui exploitent ces images
sont susceptibles par la suite de commettre des abus sexuels contre
les enfants. Il est donc extrêmement important d’empêcher l’accès
à ces images et leur exploitation.
30. Le contrôle et la régulation des contenus trouvés sur l’internet
sont un défi considérable compte tenu de la gigantesque masse d’informations
disponibles. De nombreux pays dans le monde ont mis en place des
sites internet spécialisés (points de contact) qui permettent à
n’importe quelle personne de signaler la présence d’images pédopornographiques
ou pornographiques, et il s’avère que près d’un tiers des contenus
signalés sont effectivement de nature illégale. L’année dernière,
l’Internet Watch Foundation (Fondation pour la surveillance d’internet)
a constaté que 81 % des images pédopornographiques représentaient
des enfants âgés de moins de dix ans, ce qui est profondément choquant.
Cette organisation dresse également une liste de toutes les adresses
de sites internet et de groupes de discussions où l’on trouve ce
type d’images illégales, et la distribue à tous les prestataires
de services internet et sociétés de téléphonie mobile. La quasi-totalité (98,6 %)
de ceux qui surfent sur internet passent par l’intermédiaire d’un
opérateur qui déploie cette liste pour bloquer l’accès aux sites
contenant des images pédopornographiques, et chaque prestataire
de services internet doit donner la preuve qu’il prend des mesures
pour bloquer l’accès à ce type d’images.
31. Le filtre parental est une autre mesure qui a été mise en
place pour empêcher les enfants et les jeunes d’accéder à des contenus
inappropriés par l’intermédiaire de leurs téléphones mobiles. Depuis
2004, toutes les sociétés de téléphonie mobile, sauf une, ont adopté
un accord volontaire en vue d’installer un filtre parental pour
bloquer les sites adultes légaux qui présentent des contenus qui
sont liés à la pornographie et aux paris ou qui incitent à la violence
ou à l’automutilation. L’accès n’est accordé que s’il est prouvé
que le client est âgé d’au moins 18 ans.
32. Il importe également d'offrir le filtrage des sites internet,
car l’accès Wi-Fi gratuit s’est généralisé. Dans le passé, les mesures
de protection contre les contenus illicites ont été parfois négligées.
Par exemple, l’accès Wi-Fi proposé par Starbucks dans ses magasins
était à l’origine sans protection. Ce laxisme fut contesté au Royaume-Uni
et la société américaine dut prendre des mesures pour protéger son
accès à internet. Cela étant, les filtres doivent encore être adoptés
dans d’autres pays européens. Le premier ministre britannique, David Cameron,
s’est personnellement engagé en faveur du filtrage des contenus
et œuvre à la mise en place de restrictions aux services d’accès
Wi-Fi gratuits. Cependant, les sociétés n’ont aucune obligation
juridique de s’y conformer. Bien que ce filtrage puisse refléter
des différences culturelles en Europe, il ne doit pas être appliqué
à censurer la critique politique.
33. Les conséquences de cette exposition considérable à la pornographie
sur la société sont mal connues. Des études diverses ont montré
qu’elle change le comportement des garçons et des filles et modifie
ce qu’ils ou elles attendent des relations sexuelles. Les jeunes
filles sont censées faire les mêmes choses que les actrices porno
professionnelles, ce qui fausse, notamment parmi les jeunes, le
discours sur le sexe et les relations entre les individus.
2.5. Violence par les
utilisateurs individuels à travers les médias du cyberespace
34. Les utilisateurs de médias d'Internet peuvent utiliser
ces médias pour un comportement violent envers les autres utilisateurs.
Le harcèlement a été analysé par la commission de la culture, de
la science, de l'éducation et des médias dans le rapport de M. Gvozden
Flego sur l'éducation contre la violence à l'école en 2010
. Le cyber-harcèlement, une forme
spécifique d'intimidation, peut prendre la forme de l'agression psychologique
directe (e-mails, SMS) ou indirecte (l'affichage de photos et de
commentaires sur internet) envers les autres. Dans les deux cas,
les nouveaux médias numériques sont utilisés par des personnes dans le
but d'infliger un stress psychologique sur les autres.
35. Comme le cyber-harcèlement et d'autres formes de harcèlement
sont assez fréquents chez les jeunes et pourraient même déboucher
sur le suicide, les gouvernements devraient s'attaquer à ce phénomène
en particulier au niveau de l'école, comme il est décrit dans la
Résolution 1803 (2011) sur l'éducation contre la violence à l'école. Cette
forme de violence dans les médias a reçu une large attention du
public
, mais les fournisseurs de services
Internet doivent encore traiter adéquatement cette question, par
exemple à travers les lignes d'assistance et l'aide à l'éducation
pour les utilisateurs – en particulier les jeunes utilisateurs.
36. L’auto-violence peut être encouragée par le contenu des médias,
bien que la recherche ait montré que d'autres facteurs sont nécessaires
pour déclencher effectivement les actes suicidaires (voir le paragraphe
9 ci-dessus). En ce qui concerne la couverture médiatique, l'Organisation
mondiale de la santé a élaboré en 2008 des Lignes directrices sur
la prévention du suicide: une ressource pour les professionnels
des médias
.
37. Les médias sur internet ont également été utilisés par des
personnes afin de partager avec d'autres les photos et vidéos d'une
extrême violence qui ont été produites par les utilisateurs eux-mêmes.
Ce dernier contenu est interdit par la loi dans probablement tous
les pays européens. Bien que ces cas soient rares en termes relatifs
, leur nombre absolu nécessite des
mesures strictes par les autorités de police et leur coopération
à travers les frontières. Les réseaux sociaux devraient exclure
un tel contenu à travers leurs accords d'utilisation et leurs codes
de déontologie.
3. Normes établies
par le Conseil de l’Europe
38. Le Comité des Ministres s’est attaqué à la question
de la violence dans les médias il y a 25 ans en adoptant la Recommandation
n° R (89) 7 concernant des principes relatifs à la distribution
de vidéogrammes à contenu violent, brutal ou pornographique
.
39. Soucieux d’inscrire la violence dans les médias dans une perspective
plus large, le Comité des Ministres a adopté huit ans plus tard
la Recommandation N° R (97) 19 sur la représentation de la violence
dans les médias électroniques
.
40. En 2008, le Comité des Ministres a adopté les Lignes directrices
visant à aider les fournisseurs de services Internet
, qui recommandent notamment que ces
fournisseurs doivent offrir «des informations ou des liens vers
l’information sur les risques de tomber sur des contenus illicites
sur Internet ou de contribuer à leur diffusion ainsi que sur les
risques que des enfants soient exposés à des contenus ou des comportements préjudiciables
quand ils surfent sur Internet».
41. Dans la même année, le Comité des Ministres a adopté également
les Lignes directrices visant à aider les fournisseurs de jeux en
ligne
, qui demandent à accorder une attention
particulière à la représentation de la violence – surtout vis-à-vis
des enfants. Les lignes directrices précisent que les fournisseurs
de jeux en ligne devraient «examiner et évaluer comment le contenu
du jeu peut influer sur la dignité humaine, la sensibilité et les
valeurs des joueurs, notamment des enfants». Les fournisseurs devraient
faire des recommandations concrètes, y compris sur:
- l'application de systèmes indépendants
d'étiquetage et de classification des jeux;
- la fourniture des informations appropriées aux utilisateurs,
parents et personnes ayant la charge d’enfants sur les risques,
dans un guide d'utilisation dans la langue du pays où le jeu est
commercialisé;
- le développement d'outils de contrôle parental dans le
jeu.
42. L’Assemblée parlementaire a abordé spécifiquement la question
de la violence dans les médias dans la
Recommandation 963 (1983) sur les moyens culturels et éducatifs de réduire la
violence, et dans la
Résolution 1835
(2011) relative à la pornographie violente et extrême.
43. Le seul texte juridiquement contraignant du Conseil de l’Europe
qui traite de la violence véhiculée par les médias est la Convention
européenne sur la télévision transfrontière (STE nos 132
et 171), qui contient l’obligation suivante:
Article 7 – Responsabilités du radiodiffuseur
1. Tous les éléments des services de programmes, par leur
présentation et leur contenu, doivent respecter la dignité de la
personne humaine et les droits fondamentaux d'autrui.
En particulier, ils ne doivent pas:
a. être contraires aux bonnes mœurs et notamment contenir
de pornographie;
b. mettre en valeur la violence ni être susceptibles d'inciter
à la haine raciale.
2. Les éléments des services de programmes qui sont susceptibles
de porter préjudice à l'épanouissement physique, psychique et moral
des enfants ou des adolescents ne doivent pas être transmis lorsque
ces derniers sont susceptibles, en raison de l'horaire de transmission
et de réception, de les regarder.
44. La commission permanente créée en vertu de cette convention
avait décidé en 2009 de procéder à la révision suivante de cet article,
mais le Comité des Ministres doit encore donner son accord à ce
sujet
:
Article
6 – Responsabilités des fournisseurs de services de médias
La présentation et le contenu de tout service de médias
audiovisuels doivent respecter la dignité de la personne humaine
et les droits fondamentaux d’autrui.
En particulier, ils ne doivent pas contenir une incitation
à la haine fondée sur la race, le sexe, la religion ou la nationalité.
(…)
Les fournisseurs de services de médias veillent à la protection
adéquate des mineurs. En particulier, ils veillent à ce que:
les émissions télévisées relevant de leur compétence ne
comportent aucun programme susceptible de nuire gravement à l’épanouissement
physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes
comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite. Cette
disposition s’étend aux autres programmes de télévision qui sont
susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral
des mineurs, sauf s’il est assuré, par le choix de l’heure de l’émission
ou par tout moyen technique, que les mineurs se trouvant dans le
champ de diffusion ne sont normalement pas susceptibles de voir
ou d’entendre ces émissions;
les services à la demande qui pourraient nuire gravement
à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne soient
mis à la disposition du public que dans des conditions telles que
les mineurs ne soient normalement pas susceptibles de voir ou d’entendre
ces services à la demande.
45. La référence en matière de liberté d’expression et d’information
dans les médias est, bien entendu, l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE n° 5). La Cour européenne
des droits de l’homme a élaboré une jurisprudence abondante en la
matière, même si elle n’a pas eu jusqu’ici la possibilité de se
prononcer spécifiquement sur des cas ayant trait à la violence dans
les médias.
4. Normes établies
par d’autres organisations
4.1. Organismes nationaux
de classification des médias
46. De nombreux Etats membres ont créé des organismes
spécialisés ou des autorités de réglementation concernant la violence
dans les médias. En mai 2013, la commission a entendu des représentants
de l’Institut néerlandais pour la classification des médias audiovisuels
(NICAM)
et
du Conseil britannique de classification des films (BBFC)
.
47. Le NICAM est une fondation créée en 1999 dont l’objectif principal
est d’aider les parents et les éducateurs d’enfants (âgés de 1 à
16 ans) en leur fournissant des informations sur le caractère potentiellement inapproprié
des productions audiovisuelles. Cette fondation a mis en place un
système intitulé «kijkwijzer»,
qui signifie «regarder avec vigilance» ou «guide de visualisation»
destiné aux utilisateurs. Il s’agit d’un système de classification
universel pour les programmes de télévision, les films, les DVD
et les jeux vidéo. Des études montrent que jusqu’à 90 % des parents
néerlandais utilisent ce système, ainsi que les enfants âgés de
9 à 14 ans (notamment les filles) qui souhaitent être informés des
risques et des conséquences qui pourraient découler de la visualisation
de certains médias audiovisuels.
48. L’approche élaborée par le NICAM a été reprise dans d’autres
pays, notamment l’Islande et la Finlande. L’objectif du NICAM est
uniquement de fournir des informations sur le caractère potentiellement
inapproprié des contenus audiovisuels et non sur leur pertinence.
Le système consiste à présenter aux adultes, parents et enfants
des pictogrammes qui indiquent l’âge minimum conseillé et à fournir
des informations sur le contenu du média concerné (s’il contient,
par exemple, des références explicites au sexe, à la violence ou
à la drogue). Le système «kijkwijzer»
n’est pas un organisme indépendant mais un système de classification
par autorégulation; ce sont en effet les diffuseurs et les distributeurs
de médias qui sont responsables du processus de classification.
Le NICAM est financé à 50% par le gouvernement, et à 50% par des
diffuseurs publics et privés ainsi que des distributeurs de films
et de DVD.
49. Le ministère néerlandais de l’Education, de la culture et
de la science a élaboré un guide interactif sur les médias destiné
aux enfants. Baptisé «mediasmarties.nl», ce guide en ligne fournit
des informations objectives sur les jeux, les programmes télévisuels,
les films, les DVD, les CD-ROM, les sites internet et les jeux en
ligne. Le site «mediasparties.nl» est un site internet indépendant
sans but lucratif. Il est conçu pour les parents, les éducateurs
et les personnes qui travaillent dans les garderies, les écoles
et les centres pour la jeunesse.
50. Le Conseil britannique de classification des films (BBFC)
est l’organisme britannique chargé de la classification des films
depuis 1912 et des vidéos depuis 1984. Le BBFC est autofinancé et
indépendant des pouvoirs publics. Depuis 2008, il classe par tranche
d’âge les contenus diffusés par des médias en ligne. Toutes les
décisions de classification reposent sur des lignes directrices
publiées et qui sont actualisées tous les quatre ans à l’issue de
très larges consultations. En général, près de 10 000 personnes
participent à des entretiens, des groupes de réflexion et répondent
à des questionnaires. Le public décide quel niveau de contenu lui
semble acceptable pour chaque tranche d’âge.
51. En général, les systèmes de classification du BBFC fournissent
une classification par tranche d’âge et un avis concernant un contenu
particulier, mais il lui arrive aussi d’effectuer des coupes ou
de rejeter des contenus entiers. Ces interventions se produisent
en application de la loi britannique (dans le cas, par exemple, d’images
d’enfants indécentes), ou en raison d’un risque potentiel de préjudice
(par exemple la représentation de contenus pornographiques à caractère
violent).
52. En 2011, le BBFC a appliqué la politique concernant la représentation
de la violence sexuelle, car un certain nombre de films montraient
à l’époque cette forme de contenu. Tous ces films ont nécessité
une intervention: il a fallu soit couper des scènes, soit interdire
les films parce que le Conseil estimait qu’ils pouvaient être préjudiciables.
Il est illégal au Royaume-Uni de diffuser des versions intégrales
de ces films. Comme le NICAM, le BBFC veille à ce que les représentations
d’une violence brutale ou embellie soient hors de portée des jeunes
enfants impressionnables. Les recherches ont permis de conclure
que plus de 80 % des parents ayant des enfants de moins de 16 ans
sont satisfaits du travail effectué par le BBFC.
53. Sur internet, cependant, beaucoup de ces réglementations disparaissent.
Or les contenus en ligne devraient être soumis à une réglementation
aussi contraignante que les contenus hors ligne. Le BBFC estime à
ce sujet qu’il faudrait renforcer la corégulation ou l’autorégulation.
Pour être satisfaisant, un système de réglementation en ligne doit:
être centré sur la protection de l’enfant, proposer un système de
classification rigoureux (fiable et reconnu), proposer une vaste
couverture efficace et bon marché, et associer flexibilité et innovation.
54. Depuis 2008, le BBFC coopère avec le secteur industriel en
vue de créer un certain nombre de services d’autorégulation. Le
système de classification «Watch and rate» donne aux consommateurs
la possibilité d’accéder à des informations sur la classification
et les contenus qui ne pourront être diffusés qu’en ligne. On notera
à cet égard que Netflix permet aux parents de filtrer tout contenu
considéré comme inapproprié pour une certaine tranche d’âge. Un
autre exemple à citer est celui d’un outil prototype qui permet
à des pairs et des groupes d’utilisateurs de classer des contenus
en s’appuyant sur des normes fiables. Ce système devrait être expérimenté
cette année en Italie. Le BBFC lance également une autre initiative
visant à fournir des solutions de filtrage conformes aux classifications
du Conseil pour certains contenus internet; ainsi, des sites internet
qui encouragent des comportements violents peuvent être bloqués
par des filtres et donc rester hors de portée des enfants.
55. Le BBFC et le NICAM ont mis au point un outil qui donne la
possibilité de classer des contenus produits par des utilisateurs
en ligne. «You rate it» est
un outil de classification simple fondé sur les classifications
du BBFC et du NICAM. Il peut être incorporé dans n’importe quel
site de téléchargement de vidéos afin de faciliter l’évaluation
des contenus produits par les utilisateurs. Grâce à la signalétique
proposée, les utilisateurs peuvent recevoir des informations sur
les contenus par sites internet, applications, moteurs de recherche
et filtres logiciels, et faire ainsi leur choix. La classification
peut aussi être effectuée par la plateforme de téléchargement ou
par la communauté des utilisateurs. Ce système n’est pas encore
en phase pilote mais des discussions sont en cours à ce sujet.
56. De nos jours, les enfants doivent être protégés, et le défi
à relever dans ce domaine consistera à trouver une protection qui
ne soit pas trop coûteuse et qui ne nuise pas à la liberté d’expression.
Cependant, le succès de ces initiatives dépendra in fine de l’efficacité avec laquelle
le public utilisera les outils et filtres proposés. Les systèmes
doivent donc être fiables et facilement compris. Un autre défi à
relever sera d’utiliser des outils internationaux tout en préservant
les différences culturelles et nationales s’agissant de ce qui est
acceptable ou pas.
4.2. Le système européen
d’information sur les jeux (PEGI)
57. D’après les estimations de la Fédération européenne
des logiciels de loisirs (ISFE)
,
entre 30 % et 50 % des plus de six ans jouent aux jeux vidéo et,
bien que cette tendance décline avec l’âge, près de la moitié des
25-34 ans sont des joueurs. Près de 60 % des parents pensent que
l’utilisation de jeux vidéo a un effet positif sur le développement
des capacités de l’enfant. De même, près de la moitié des parents
considèrent que la pratique vidéoludique encourage la créativité
des enfants. De plus, la majorité des parents n’ont pas l’impression
que ce loisir provoque un comportement agressif chez l’enfant.
58. On considère en général que les récits violents ne conviennent
pas aux enfants, et c’est sur ce postulat que le secteur vidéoludique
s’est fondé pour adopter un principe de précaution. Il y a 10 ans,
il a élaboré et lancé le système PEGI. Il s’agit d’un système d’autoréglementation
appliqué dans toute l’Europe qui vise à promouvoir de bonnes conditions
de vente et d’utilisation des jeux vidéo. Fondé sur un code de conduite contractuel
et sur des licences, il a été mis en place à la suite d’une résolution
du Conseil européen de mars 2002. Depuis sa création, le PEGI est
soutenu par la Commission européenne, le Parlement européen et les
gouvernements de nombreux Etats, de l’Islande à Israël. Il est important
de préciser que le PEGI n’est qu’un système de classification, et
qu’à ce titre il ne peut censurer ni interdire des jeux, ce qui
reste la prérogative des différents gouvernements.
59. Le PEGI repose sur un système d’information en deux parties.
Tout d’abord, il propose des pictogrammes correspondant à l’âge
indiqué pour le jeu en se fondant sur des critères définis par des spécialistes
du développement de l’enfant, de la psychologie et des médias. Pour
recevoir par exemple une classification PEGI 3+, le jeu peut présenter
une violence stylisée proche du dessin animé, qui ne doit pas être assimilable
à de la véritable violence. Ensuite, le système d’information fait
figurer un autre type de pictogrammes qui sont les descripteurs
du contenu, qui expliquent les raisons de la classification dans
telle ou telle classe d’âge, sachant que la culture influence parfois
ce que l’on considère comme acceptable ou non. Un langage grossier,
par exemple, sera un critère particulièrement important pour les
Anglais mais pas pour les Néerlandais. Indépendamment des différences
culturelles, la classe d’âge associée au descripteur permet aux
parents de prendre une décision d’achat éclairée.
60. Un jeu classé PEGI 7+ a également des graphismes proches du
dessin animé et contient certains éléments qui peuvent être effrayants
sans être nécessairement violents. Les parents pourraient toutefois craindre
qu’ils provoquent des cauchemars chez l’enfant. Un jeu PEGI 12+,
quant à lui, a des graphismes déjà plus réalistes, même si la violence
reste stylisée. Bien que cette classe ne recouvre pas strictement
la simulation de jeux de hasard ou les comportements de nature sexuelle,
ces éléments y figurent généralement.
61. La classification PEGI 16+ s’applique lorsque la représentation
de la violence atteint un certain niveau de réalisme et que le jeu
contient des scènes à caractère sexuel manifeste, des allusions
aux drogues et un langage grossier. Les jeux classés PEGI 18+ contiennent
parfois des scènes choquantes, au même titre que certains films.
Au moins au Royaume-Uni, il est interdit de les vendre à des mineurs.
Il faut ajouter que ces scènes peuvent en général être évitées,
et ne représentent souvent que quelques secondes de ce qui peut être
un jeu d’une durée de six heures pour les spécialistes.
62. La première étape du processus de classification est l’autoévaluation
par les créateurs du jeu, qui sont les mieux placés pour connaître
son contenu. Deux organes indépendants vérifient ensuite cette évaluation. Pour
ce qui est de son organisation, le PEGI est dirigé par un conseil
d’administration secondé par un groupe d’experts et une commission
des critères, qui examinent en continu les critères du PEGI et s’assurent
qu’ils tiennent compte de l’opinion publique et des évolutions technologiques.
Pour les aider dans leur mission, ils sont soutenus par le comité
des plaintes et par la commission d’application des sanctions du
PEGI, qui examinent les plaintes émanant des consommateurs et des
éditeurs et qui appliquent les sanctions contractuelles prévues
par le code de conduite.
63. Le PEGI peut infliger une amende pouvant s’élever jusqu’à
500 000 €, assortie de l’obligation de retirer le jeu du marché
et/ou de changer sa classification et d’en modifier le contenu si
nécessaire. Cette procédure est supervisée par le conseil du PEGI;
celui-ci est composé de représentants des pays membres de l’organisation,
qui sont généralement des fonctionnaires travaillant dans les ministères
chargés des médias et de la culture.
64. En 2012, plus de la moitié des 1 800 jeux classés par le PEGI
étaient adaptés aux jeunes enfants et 75 % aux préadolescents. Seuls
9 % des jeux ont reçu la classification PEGI 18+ et 1 % seulement
comportait une allusion aux drogues. Curieusement, ces chiffres
ne prennent en compte aucun des milliers de jeux disponibles sur
téléphone ou sur tablette, qui seraient majoritairement classés
dans les catégories 3+ et 7+ et qui sont davantage utilisés par
des joueurs occasionnels, contrairement aux joueurs traditionnels
qui préfèrent souvent les consoles de jeu.
65. Le PEGI est un système fiable pour classer les produits physiques
disponibles dans le commerce, mais il existe aujourd’hui de nombreuses
façons de se procurer des jeux. Les nouvelles plateformes préfèrent souvent
utiliser leur propre système de classification par âge. Le PEGI
cherche à améliorer sa présence sur ce secteur des produits non
physiques et a créé «PEGI for Apps», un système plus efficace et
moins coûteux que les méthodes traditionnelles de l’organisation,
car la classification est faite pendant la période d’évaluation, après
la sortie de l’application. En outre, PEGI for Apps utilise des
descripteurs des caractéristiques, car on a constaté que les parents
ne se soucient pas tant du contenu des applications que de certaines
de leurs fonctionnalités, comme le partage de données personnelles,
l’interactivité sociale et le partage de la localisation.
66. Le PEGI coopère actuellement avec les Etats-Unis et le Brésil,
et, on l’espère, prochainement avec le Japon, l’Australie et la
Corée du Sud pour prendre en compte la nature mondiale des plateformes
de téléchargement d’applications et harmoniser le système de classification
afin qu’il propose des résultats différents selon les spécificités
culturelles des divers pays.
5. Conclusions
67. Lors de l’audition de la commission à Paris en décembre 2012,
M. Jo Groebel a déclaré que, lorsque le niveau de violence dans
les médias est élevé, comme au Japon, et que le contrôle social
est aussi très important, il y a peu de violence en réalité, mais
le taux de suicide est considérable: ainsi on retourne la violence
contre soi. Cependant, lorsque le contrôle social est particulièrement
faible, mais qu’il est associé à une violence très forte dans les
médias, comme dans les favelas brésiliennes, en Afrique du Sud ou
dans certaines régions des Etats-Unis, la violence alors engendrée
dans la réalité est très importante, ce qui donne un mélange explosif.
Par conséquent, la violence dans les médias doit être perçue comme
un indicateur dans une société donnée et les politiques en matière
de médias doivent être contextualisées.
68. Dans la mesure où les médias audiovisuels traditionnels comme
le cinéma, la vidéo et la télévision jouent toujours un rôle majeur
dans le paysage médiatique, les réglementations existantes et les
exemples d’autoréglementation sont valables et doivent être conservés.
L’avènement d’internet ne justifie pas que l’on réduise nos normes
sociales à un état déréglementé ou anarchique.
69. Les enseignements tirés de la réglementation des médias traditionnels
et de l’autoréglementation devraient être appliqués intelligemment
aux nouvelles formes de médias, dans la mesure du possible. On doit toutefois
rechercher les ajustements ou les nouvelles approches à adopter
qui permettront d’éviter les lacunes ou les zones grises d’insécurité.
70. Ces approches dépendent largement de la coopération de toutes
les parties prenantes des nouveaux médias en ligne qui évoluent
très vite, c’est-à-dire des gouvernements, du secteur privé ou de
l’industrie, et de la société civile ou des groupes d’utilisateurs.
En outre, ces trois catégories ont besoin des conseils d’experts scientifiques.