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Rapport | Doc. 13511 | 19 mai 2014

Une justice pénale des mineurs adaptée aux enfants: de la rhétorique à la réalité

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Stefan SCHENNACH, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc.12672, Renvoi 3795 du 3 octobre 2011 et Doc.12907, Renvoi 3866 du 25 mai 2012. 2014 - Troisième partie de session

Résumé

Malgré l’arsenal de normes internationales et régionales offrant un cadre bien établi pour régir la justice pénale des mineurs, une importante dissonance persiste entre le discours relatif aux droits humains et la réalité des mesures prises à l’égard de nombreux enfants dans le cadre de la justice pénale des mineurs, en particulier de leur détention. En effet, les organes de suivi des Nations Unies et du Conseil de l’Europe font état d’une situation plutôt insatisfaisante en ce qui concerne la mise en œuvre des normes relatives aux droits humains dans le domaine de la justice pénale et de la détention des mineurs.

Il est primordial de s’intéresser à la mise en œuvre des normes pertinentes en la matière, afin de respecter les droits de l’enfant et améliorer les pratiques en matière de justice pénale des mineurs dans toute l’Europe. Un certain nombre de facteurs jouent un rôle clé à cet égard: prévenir la délinquance juvénile, éviter que les jeunes soient confrontés à la justice pénale en relevant l’âge minimum de responsabilité pénale et en encourageant la déjudiciarisation, promouvoir la mise en œuvre de mesures alternatives non privatives de liberté, et réduire le nombre d’enfants détenus. De telles politiques sont également moins coûteuses et plus à même d’assurer la sécurité publique et d’aider les jeunes à exploiter leur potentiel.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 12 mai 2014.

(open)
1. Les droits de l’enfant se sont considérablement développés depuis trente ans. Au cours de ce processus, il est devenu évident que les enfants présentent des besoins bien particuliers qu’il convient de prendre en considération, notamment lorsque ces enfants ont affaire à la justice. Cette question est spécifiquement traitée dans plusieurs instruments internationaux et régionaux consacrés aux droits de l’enfant, comme les Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, adoptées en 2010.
2. Les enfants sont confrontés à la justice dans différentes circonstances, notamment lorsqu’ils sont en conflit avec la loi. La recherche du meilleur moyen de traiter la délinquance juvénile est une mission difficile pour tous les gouvernements tenus de trouver le juste équilibre entre protection de la société et intérêt supérieur de l’enfant, gardant à l’esprit qu’un enfant est un être humain en devenir, qui apprend et reste ouvert à des influences positives pour sa socialisation. Cependant, les pressions que subissent les responsables politiques pour faire preuve de fermeté face à la délinquance ont engendré l’adoption de mesures de plus en plus sévères à l’égard des enfants en conflit avec la loi.
3. En outre, malgré l’arsenal de normes internationales et régionales offrant un cadre bien établi pour régir la justice pénale des mineurs, une importante dissonance persiste entre le discours relatif aux droits humains et la réalité des mesures prises à l’égard de nombreux enfants dans le cadre de la justice pénale des mineurs, en particulier de leur détention. Les organes de suivi des Nations Unies et du Conseil de l’Europe font état d’une situation plutôt insatisfaisante en ce qui concerne la mise en œuvre des normes relatives aux droits humains dans le domaine de la justice pénale et de la détention des mineurs.
4. Afin d’améliorer les droits de l’enfant et les pratiques en matière de justice pénale des mineurs dans toute l’Europe, il est primordial de s’intéresser à la mise en œuvre des normes y afférentes. Prévenir la délinquance juvénile, éviter que les jeunes soient confrontés à la justice pénale en relevant l’âge minimum de responsabilité pénale et en encourageant la déjudiciarisation, promouvoir la mise en œuvre de mesures alternatives non privatives de liberté et réduire le nombre d’enfants détenus sont autant d’éléments essentiels au succès de la justice pénale des mineurs. Ces solutions sont également moins coûteuses et plus à même d’assurer la sécurité publique et d’aider les jeunes à exploiter leur potentiel.
5. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée parlementaire invite instamment les Etats membres du Conseil de l’Europe à mettre en conformité leur législation et leurs pratiques avec les normes relatives aux droits humains régissant la justice pénale des mineurs.
6. L’Assemblée appelle notamment les Etats membres:
6.1. à établir un système de justice pénale des mineurs spécialisé en mettant en place des lois, des procédures et des institutions spécialement conçues pour les enfants en conflit avec la loi;
6.2. à fixer l’âge minimum de responsabilité pénale à au moins 14 ans, tout en définissant un éventail de solutions adaptées aux plus jeunes délinquants pour remplacer les poursuites pénales traditionnelles;
6.3. à interdire les dérogations à l’âge minimum de responsabilité pénale, même en cas d’infraction grave;
6.4. à veiller à ce que la détention de mineurs ne soit qu’une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi brève que possible, en particulier:
6.4.1. en définissant une limite d’âge au-dessous de laquelle il est interdit de priver un enfant de sa liberté, qui soit de préférence supérieure à l’âge minimum de responsabilité pénale;
6.4.2. en mettant au point un large éventail de mesures et de sanctions alternatives non privatives de liberté en remplacement de la détention provisoire et de l’incarcération après le procès;
6.4.3. en abolissant les peines d’emprisonnement à perpétuité sous toutes leurs formes pour les enfants;
6.4.4. en définissant une durée maximale d’emprisonnement raisonnable pour les enfants;
6.4.5. en prévoyant un réexamen régulier des mesures et/ou des sanctions non privatives de liberté appliquées aux enfants;
6.5. à établir un large éventail de programmes de déjudiciarisation, respectueux des normes en matière de droits humains, en vue de prendre en charge les délinquants mineurs sans avoir recours à une procédure judiciaire;
6.6. à dépénaliser les délits d’état;
6.7. à garantir que tous les professionnels chargés de l’administration de la justice pénale des mineurs reçoivent la formation appropriée afin d’assurer une mise en œuvre effective des droits de l’enfant dans ce contexte.
7. L’Assemblée invite tous les Etats membres à soutenir l’appel en faveur d’une étude mondiale sur les enfants privés de liberté initié par Défense des Enfants International, appuyé par plusieurs autres organisations de la société civile, et lancé le 13 mars 2014.

B. Exposé des motifs, par M. Schennach, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Les droits de l’enfant se sont considérablement développés depuis trente ans. Au cours de ce processus, il est devenu évident que les enfants présentent des besoins bien particuliers qu’il convient de prendre en considération, notamment lorsque ces enfants ont affaire à la justice. C’est la raison pour laquelle cette question est spécifiquement traitée dans plusieurs instruments internationaux et régionaux consacrés aux droits de l’enfant, contribuant ainsi à promouvoir des systèmes judiciaires axés sur les enfants.
2. Les enfants peuvent être confrontés à la justice dans différentes circonstances, notamment en tant que parties à une procédure administrative ou civile, visant par exemple à définir des modalités de garde, en tant que victimes ou témoins d’une infraction pénale ou encore parce qu’ils sont en conflit avec la loi; dans ce dernier cas, ils peuvent être privés de leur liberté 
			(2) 
			Les enfants peuvent
également être privés de liberté dans d’autres circonstances, notamment
lorsqu’ils accompagnent un parent en détention ou pour des raisons
liées à l’immigration (lorsqu’ils cherchent asile dans un autre pays).
Cette dernière question est traitée par la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées dans un rapport distinct
intitulé «Rétention des enfants migrants»..
3. Le présent rapport traite uniquement de la justice pénale des mineurs 
			(3) 
			On
entend par justice pénale des mineurs le domaine du droit pénal
applicable aux enfants en conflit avec la loi. Par conséquent, le
rapport ne traitera ni des questions relatives à la situation des
enfants dans les procédures civile et administrative, ni de leur
qualité de victime ou de témoin dans la procédure pénale., qui semble être le dénominateur commun entre les deux propositions fusionnées dont il découle («Une justice adaptée aux enfants» et «Les enfants en détention»). Partant du constat qu’il existe un fossé important entre les normes internationales et régionales régissant la justice pénale des mineurs et la manière dont les enfants sont traités au quotidien dans ce système, le présent rapport explorera comment faire des droits de l’enfant une réalité dans le contexte spécifique de la délinquance juvénile.

2. Une justice pénale des mineurs adaptée aux enfants: normes et mise en œuvre

2.1. Normes internationales et régionales

4. Plusieurs instruments internationaux et régionaux établissent des normes en matière de justice pénale des mineurs et d’application à des enfants de mesures privatives de liberté dans ce contexte. Il s’agit notamment, sans s’y limiter, de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs («Règles de Beijing»), des Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile («Principes directeurs de Riyad»), des Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté («Règles de la Havane») et de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (ci-après «la CIDE»). Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a considérablement enrichi cette liste en adoptant son Observation générale no 10 (2007) sur les droits de l’enfant dans le domaine de la justice pour mineurs.
5. Les instruments des Nations Unies ont été renforcés davantage dans le contexte européen grâce au mouvement en faveur d’une justice adaptée aux enfants guidé par le Conseil de l’Europe 
			(4) 
			Goldson B. et Kilkelly
U., International human rights standards and child imprisonment:
Potentialities and limitations, International
Journal of Children's Rights, 2013, vol 21, issue 2,
p. 345-371.. Après avoir élaboré deux instruments spécifiquement consacrés à la justice pénale des mineurs (la Recommandation Rec(2003)20 concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs et la Recommandation CM/Rec(2008)11 sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures), le Comité des Ministres a adopté en 2010 les Lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants 
			(5) 
			Le plus ancien texte
relatif à ce domaine date de 1966, lorsque les Délégués des Ministres
(l’actuel Comité des Ministres) ont adopté la Résolution (66) 25
sur le traitement de courte durée des jeunes délinquants de moins
de 21 ans.. Ces dernières servent d’instrument pratique visant à aider les Etats membres dans le processus d’adaptation de leur système judiciaire aux besoins spécifiques des enfants dans différents domaines de la justice (y compris le domaine de la justice pénale), à tous les stades de la procédure et indépendamment de leur qualité, que ce soit en tant que partie concernée, victime, prévenu ou témoin.
6. Par ailleurs, en février 2011, la Commission européenne a adopté le Programme de l'Union européenne en matière de droits de l'enfant, dont l’adaptation du système judiciaire aux enfants en Europe est une des actions phare. Le Programme de l'Union européenne comprend également un engagement consistant à encourager l’utilisation des Lignes directrices du Comité des Ministres et à en tenir compte dans les instruments juridiques qui seront proposés dans le domaine de la justice civile et pénale. Le 20 janvier 2014 a marqué l’ouverture de négociations au sujet d’une proposition de la Commission concernant une directive du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants soupçonnés ou poursuivis dans le cadre des procédures pénales.

2.2. Mise en œuvre des normes régissant la justice pénale des mineurs

7. En dépit de cet arsenal de normes internationales et régionales offrant un «cadre fédérateur» bien établi régissant la justice pénale des mineurs, une importante dissonance semble persister entre le discours relatif aux droits humains et la réalité des mesures prises à l’égard de nombreux enfants dans le cadre de la justice pénale des mineurs (en particulier de leur détention). En effet, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies rapporte que de nombreux pays ont encore beaucoup de progrès à faire dans leur mise en conformité totale avec la CIDE, notamment dans les domaines des droits procéduraux, de l’élaboration et de la mise en œuvre de mesures de prise en charge des enfants en conflit avec la loi sans avoir recours à la procédure judiciaire, et de l’utilisation de mesures privatives de liberté uniquement en dernier ressort 
			(6) 
			Voir la note de bas
de page n° 5..
8. De même, les organes de suivi du Conseil de l’Europe font état d’une situation plutôt insatisfaisante en ce qui concerne la mise en œuvre des normes relatives aux droits humains dans le domaine de la justice pénale et de la détention des mineurs. La Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une violation de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) dans plusieurs affaires impliquant des enfants en détention (les violations liées au recours à la détention et aux conditions de détention relevant principalement de l’article 3 «Interdiction de la torture», de l’article 5 «Droit à la liberté et à la sûreté», et de l’article 8 «Droit au respect de la vie privée et familiale»). Les rapports de visite du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ont également révélé des lacunes en ce qui concerne la détention des enfants.
9. En 2009, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe faisait observer que dans de nombreux pays européens, l’âge de la responsabilité pénale était très bas, que les taux d’incarcération étaient un sujet de préoccupation et que le nombre d’enfants issus de groupes minoritaires en prison était disproportionné. Si des mesures de substitution étaient mises en place dans certains cas, la tendance générale semblait aller vers des réponses plus répressives, particulièrement dans le cas des enfants plus âgés et de ceux ayant commis une infraction grave. Cependant, dans certains pays, le nombre de jeunes envoyés en prison était en baisse en raison d’un recours accru à des programmes de déjudiciarisation, à la fois avant et comme alternative à la procédure judiciaire et à la détention 
			(7) 
			Les enfants et la justice
pénale des mineurs: pistes d’améliorations, Thomas Hammarberg, Commissaire
aux droits de l’homme, Document thématique, octobre 2009..
10. Face à cette situation, la principale question qui se pose en matière de justice pénale des mineurs semble être la suivante: comment passer d’une activité normative au niveau international/régional à une application de ces normes dans le contexte local en vue d’améliorer les droits de l’enfant et la pratique dans le domaine de la justice pénale des mineurs dans l’ensemble de l’Europe? Cette entreprise nécessite assurément une forte volonté politique, associée à un certain nombre de questions essentielles à traiter, à mon avis, en priorité.
11. Dans ce contexte, je voudrais évoquer le Livre blanc publié récemment par l’Observatoire international de justice juvénile 
			(8) 
			Livre blanc «Economiser
de l’argent, protéger la société et réaliser le potentiel de la
jeunesse – Améliorer les pratiques de justice juvénile en temps
de crise économique», 2012., qui identifie quatre facteurs considérés comme la clé d’un système efficace de justice pénale des mineurs et qui sont en outre en mesure d’aider les pays à économiser de l’argent, à assurer la sécurité publique et à aider les jeunes à réaliser leur potentiel. Ces facteurs clés consistent à agir précocement en recourant à la prévention, à éviter que les jeunes aient affaire au système pénal en privilégiant la déjudiciarisation, à encourager la mise en œuvre de travaux d’intérêt général et à réduire ainsi la probabilité de récidive, et à donner la priorité à la réduction du nombre d’enfants détenus, afin de minimiser les effets psychologiques négatifs que la détention a sur eux.
12. En se fondant sur cette analyse, à laquelle j’adhère complètement, je propose que l’on s’intéresse aux points énoncés ci-après, que je considère essentiels à la réalisation d’un système de justice pénale des mineurs adapté aux enfants: un âge minimum de responsabilité pénale élevé, l’utilisation de la détention en tant que mesure de dernier ressort et l’encouragement de la déjudiciarisation. Je souhaiterais aussi évoquer brièvement les effets du principe de fermeté face à la délinquance sur le système de justice pénale des mineurs 
			(9) 
			La question de la prévention,
bien qu’essentielle à l’efficacité d’un système de justice pénale
des mineurs adapté aux enfants, ne sera pas traitée dans le présent
rapport, car elle fait déjà l’objet de la Résolution 1796 (2011) de l’Assemblée «Jeunes délinquants: mesures sociales,
éducation et réadaptation»..

3. L'âge minimum de la responsabilité pénale

13. L'âge minimum de la responsabilité pénale (ci-après «l’AMRP») définit l’âge à partir duquel un enfant ayant commis une infraction peut être formellement accusé et tenu pour responsable dans une procédure pénale. En d’autres termes, l’AMRP établit l'âge auquel l’enfant est considéré comme ayant atteint la maturité émotionnelle, psychologique et intellectuelle suffisante pour comprendre ses actes et les conséquences qu’ils entraînent, et en être tenu pour responsable. La question de savoir quel est l’AMRP le plus approprié suscite de nombreuses controverses et il n’existe aucune norme internationale catégorique à cet égard. En effet, l’article 40.3 de la CIDE est ouvert et flexible à ce sujet. Les Règles de Beijing, ainsi que les Lignes directrices du Comité des Ministres recommandent de ne pas fixer trop bas l’AMRP. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies considère comme inacceptable de l’établir en dessous de 12 ans, et a vivement encouragé les Etats ayant déjà adopté un AMRP supérieur à ne pas l’abaisser.
14. En Europe, la limite d’âge absolue en dessous de laquelle un enfant ne peut être tenu responsable pénalement varie de 8 ans (Ecosse) à 18 ans (Belgique) 
			(10) 
			La
majorité des Etats membres de l’Union européenne ont convenu d’un
AMRP fixé à14 ans.. Toutefois, ces chiffres sont légèrement trompeurs. En Ecosse, par exemple, aucun enfant de moins de 8 ans ne peut être reconnu coupable d’une infraction pénale, mais personne ne peut faire l’objet de poursuites pénales avant l’âge de 12 ans. Il y a donc un écart entre l’AMRP et l’âge minimum pour être poursuivi pénalement, ce qui signifie que les infractions commises entre l’âge de 8 et 12 ans peuvent être inscrites dans le casier judiciaire de l’enfant, malgré l’absence de poursuites pénales 
			(11) 
			Les enfants
entre 8 et 12 ans ayant commis une infraction sont pris en charge
par le système des Children’s Hearings, qui suit une approche fondée
sur l'assistance sociale (Life imprisonment of children in the European
Union, rapport du Child Rights International Network).. De même, en Belgique, la législation sur la protection de l’enfant prévoit que les délinquants de moins de 18 ans soient traduits devant des tribunaux pour enfants, qui rendent des décisions visant à assurer la protection, la prévention et l’éducation. Cependant, en cas d’infraction grave, des mineurs peuvent être déférés devant les juridictions pour adultes et subir les mêmes sanctions qu’eux à partir de 16 ans. Ce genre «d’exception» à l’AMRP pour les infractions graves existe également en Hongrie, en Irlande, en Lituanie, au Luxembourg et en Pologne. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a exprimé son inquiétude au sujet de cette pratique et a fortement recommandé la fixation d’un AMRP sans possibilité de dérogation permettant de poursuivre des mineurs plus jeunes.
15. En 2010, le Child Rights International Network a recueilli des données inquiétantes témoignant de la marche arrière enclenchée par un nombre grandissant d’Etats de toutes les régions du monde en matière de justice pénale des mineurs, visant à incriminer davantage d’enfants de plus en plus jeunes en abaissant l’AMRP 
			(12) 
			Pour
plus de détails, voir: <a href='http://www.crin.org/en/library/publications/juvenile-justice-states-lowering-minimum-age-criminal-responsibility'>www.crin.org/en/library/publications/juvenile-justice-states-lowering-minimum-age-criminal-responsibility</a>.. Ce type de situation se produit trop souvent lorsque des cas exceptionnels impliquant des enfants ayant commis des infractions particulièrement odieuses font la une des médias. En Angleterre et au Pays de Galles par exemple, depuis le meurtre en 1993 d’un enfant de 2 ans, James Bulger, par deux jeunes garçons de 10 ans, les enfants sont tenus pleinement responsables de leurs actes délictueux dès l’âge de 10 ans 
			(13) 
			Weijers I. et Grisso
T., Criminal responsibility of adolescents: Youth as junior citizenship.
In J. Junger-Tas et F. Dunkel (eds.), Reforming
juvenile justice (p. 45-67), 2009, Springer Publishing
Company.. Il s’agit de l’un des AMRP les plus bas du monde. Des propositions ont également été faites en France pour que l’AMRP soit abaissé à 12 ans.
16. Je suis personnellement convaincu qu’avant l’âge de 14 ans, un enfant n’a pas la maturité émotionnelle, psychologique et intellectuelle suffisante pour pouvoir participer à des procédures pénales. Par conséquent, l’AMRP ne devrait pas être fixé en-deçà 
			(14) 
			Le Réseau européen
des médiateurs pour enfants (ENOC) préconise de relever à 18 ans
l’AMRP.. Il convient en particulier de ne pas oublier qu’un AMRP élevé contribue à un système ayant recours à des réponses non judiciaires à l’égard des délinquants mineurs, tel qu’encouragé à l’article 40.3.b de la CIDE (voir ci-dessous, point 5).
17. Etant donné que les procédures pénales peuvent entraîner la mise en œuvre de mesures privatives de liberté (détention provisoire et/ou emprisonnement), l’AMRP est étroitement lié à l’âge à partir duquel de telles mesures peuvent être appliquées. Cependant, les deux ne vont pas toujours de pair. A titre d’exemple, en Suisse où l’AMRP est fixé à 10 ans, des peines d’emprisonnement ne peuvent pas être prononcées à l’encontre d’enfants de moins de 15 ans. Les Règles de la Havane imposent que soit fixé par la loi l'âge au-dessous duquel il est interdit de priver un enfant de liberté, sachant que celui-ci peut différer de l’AMRP. A mon avis, étant donné les conséquences désastreuses de la détention sur les enfants, il devrait être de préférence plus élevé que l’AMRP, en particulier dans les pays où ce dernier est trop bas (c’est-à-dire en dessous de 14 ans). Cela contribuerait également à ce que la détention ne soit employée qu’en dernier ressort, comme le demande la CIDE.

4. La détention en tant que mesure de dernier ressort

18. Le principe de la détention en tant que mesure de dernier ressort pour les enfants en conflit avec la loi est une règle quasi-universelle du droit international. Il est apparu pour la première fois à l’article 13 des Règles de Beijing sur la détention provisoire, et a été repris avec une portée étendue dans l’article 37 de la CIDE qui dispose que l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant ne doit être qu’une mesure de dernier ressort d’une durée aussi brève que possible.
19. Des études récentes révèlent toutefois que la privation de liberté tend à devenir la solution retenue en priorité plutôt qu’une mesure de dernier ressort. Selon les estimations, plus d’un million d’enfants sont privés de leur liberté dans le monde. La plupart d’entre eux sont accusés d’infractions de gravité moyenne ou légère et se trouvent être des primo-délinquants 
			(15) 
			Rapport conjoint du
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, de l’Office
des Nations Unies contre la drogue et le crime et de la Représentante
spéciale du Secrétaire général sur la violence à l’encontre des
enfants relatif à la prévention de la violence contre les enfants
dans le système de justice pour mineurs et aux mesures pour y faire
face, juin 2012.. Par ailleurs, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies note avec inquiétude que, dans de nombreux pays, les enfants sont maintenus en détention provisoire pendant des mois, voire des années. Il s’alarme également de la représentation trop importante d’enfants vulnérables en détention.
20. En ce qui concerne la situation en Europe, les organes de suivi concernés du Conseil de l’Europe, comme le CPT et la Cour européenne des droits de l’homme, mettent en lumière une situation plutôt insatisfaisante. Le CPT a exprimé ses inquiétudes quant à l’application, dans la pratique, du principe de la détention comme mesure de dernier ressort dans de nombreux pays. La Cour a de son côté conclu à une violation de la Convention dans plusieurs affaires impliquant des enfants en détention, l’Etat membre concerné n’ayant pas démontré de façon convaincante la nécessité de maintenir le requérant (un mineur) en détention pendant de longues périodes 
			(16) 
			Voir par exemple l’affaire Selçuk c. Turquie, requête n° 21768/02,
arrêt du 10 janvier 2006.. De même, le Commissaire aux droits de l’homme fait état d’un recours excessif à la détention des enfants (y compris la garde à vue), parfois à tel point que les mineurs ont déjà purgé la totalité de leur peine avant le procès à cause de retards dans la procédure judiciaire 
			(17) 
			Rapport de Nils Muižnieks,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à la suite
de sa visite en Albanie du 23 au 27 septembre 2013. Voir aussi le
mémorandum de Thomas Hammarberg, ancien Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, à la suite de ses visites au Royaume-Uni
du 5 au 8 février et du 31 mars au 2 avril 2008..
21. Il convient de noter que le recours à des mesures privatives de liberté a des conséquences désastreuses sur l’enfant. Outre l’effet néfaste de l’enfermement sur son développement en tant que tel, la détention conduit invariablement à des problèmes de violence, d’angoisse, de faible estime de soi et de dépression. Dans les cas les plus extrêmes, et pourtant les plus courants, différents types de violence entre détenus et de la part des gardiens sont devenus systématiques, les atteintes aux droits sont fréquentes, le bon accès aux soins, à l’éducation et aux services juridiques est limité ou interdit, et l’objectif final de réinsertion est rarement atteint. Même au sein de l’Union européenne, le taux de suicide des adolescents détenus illustre cette souffrance et les risques extrêmes que courent les enfants placés en détention 
			(18) 
			Observatoire international
de justice juvénile, Livre vert sur une justice adaptée aux enfants,
Section ONG, novembre 2011..
22. Il faut également souligner que le recours systématique à la privation de liberté des enfants en conflit avec la loi est contre-productif en termes de prévention de la délinquance et de sécurité collective. Il s’agit également du mode de traitement le plus onéreux. Selon une étude menée au tribunal pour enfants de Chicago (Illinois, Etats-Unis), les enfants incarcérés avaient 13 % de chances de moins d’être diplômés de l’enseignement secondaire et 22 % de chances de plus de retourner en prison une fois adultes que les enfants déférés en justice ayant fait l’objet d’une mesure de substitution, comme la surveillance à domicile. En effet, une fois derrière les barreaux, nombreux sont ceux à se lier d’amitié avec d’autres délinquants et à constituer un «capital criminel». La prison s’avère ainsi être un excellent centre de formation à la criminalité 
			(19) 
			<a href='http://www.washingtonpost.com/blogs/wonkblog/wp/2013/06/15/throwing-children-in-prison-turns-out-to-be-a-really-bad-idea/'>www.washingtonpost.com/blogs/wonkblog/wp/2013/06/15/throwing-children-in-prison-turns-out-to-be-a-really-bad-idea/</a>..
23. Compte tenu de ce qui précède et afin de mettre en œuvre l’exigence selon laquelle la détention des enfants ne doit être qu’une mesure de dernier ressort, il est capital d’adopter des mesures alternatives non privatives de liberté pour remplacer la détention provisoire et l’incarcération après le procès, comme les avertissements ou les blâmes, les mesures éducatives visant à améliorer l’action de l’enseignement d’une part et à réduire l’effet des facteurs de risque d’autre part (telles que les directives éducatives adoptées en Autriche, en Allemagne, en France ou en Lituanie), les amendes, les ordonnances de surveillance, les peines de travaux d’intérêt général permettant au délinquant de «payer sa dette à la communauté en travaillant gratuitement», la surveillance électronique, la résidence surveillée (assignation à résidence), les programmes de formation (permettant aux jeunes d’apprendre à gérer leur agressivité potentielle, par exemple les cours de socialisation proposés en Allemagne ou les projets de travail et d’apprentissage mis en œuvre aux Pays-Bas), la probation et le placement en famille d’accueil.
24. Outre les avantages qu’elles représentent pour les enfants à qui elles sont destinées, ces mesures alternatives permettent d’améliorer les autres options privatives de liberté, non seulement en ce qui concerne leurs conditions d’application mais aussi dans la démarche adoptée. Les mesures de sécurité et d’accompagnement intensifs devraient être uniquement destinées, et adaptées, à un nombre limité de délinquants à haut risque car elles correspondraient au mieux à leurs besoins et à leur intérêt qui sont de purger leur peine et d’être pris en charge dans un environnement résidentiel structuré. Dans la mesure où il a été démontré à plusieurs reprises que les prisons provoquent des dégâts, engendrent des coûts et n’empêchent pas la récidive, ce n’est qu’en limitant le nombre d’enfants détenus et en faisant évoluer les centres de détention pour mineurs vers des environnements respectueux des droits de l’enfant entièrement consacrés à un objectif de prise en charge personnalisée et de réinsertion qu’il sera possible d’espérer un changement dans le recours à la détention des délinquants mineurs et dans ses répercussions 
			(20) 
			Voir la note de bas
de page n° 19..
25. Lorsque la détention provisoire est indispensable, la loi devrait limiter sa durée autant que possible et imposer des examens réguliers en vue de déterminer s’il est nécessaire de maintenir cette détention. Il va sans dire que tout type d’emprisonnement à vie d’un enfant est incompatible avec l’objectif de la justice pénale des mineurs et devrait être interdit. Une étude récente montre que 22 des 28 Etats membres de l’Union européenne ont aujourd’hui explicitement aboli cette condamnation à l’égard des mineurs. Bien qu’il faille certainement s’en réjouir, ce chiffre masque les peines maximales extrêmement longues qui sont toujours applicables pour les crimes commis par des mineurs ainsi que la disparité de ces peines à travers l’Europe 
			(21) 
			Voir
la note de bas de page n° 12.. Les Etats devraient donc fixer une durée maximale raisonnable à laquelle un enfant peut être condamné.
26. Enfin, l’Assemblée devrait soutenir l’appel lancé par Défense des Enfants International en faveur d’une étude mondiale sur les enfants privés de libertés, appuyé par plusieurs autres organisations de la société civile. Cette étude mondiale a notamment pour objectif de recueillir des données et des statistiques sur ces enfants en ce qui concerne le genre, l’âge, les groupes vulnérables et les disparités, de décrire la situation des enfants dans les centres de détention ainsi que d’analyser l’application effective des mesures de prévention et des mesures alternatives qui garantissent que la détention n’est utilisée qu’en dernier ressort (en favorisant, entre autres, la déjudiciarisation et la justice réparatrice), en vue de formuler des recommandations et des bonnes pratiques pour la mise en œuvre des normes, et réduire le nombre d’enfants privés de leur liberté 
			(22) 
			Le lancement de l’appel
pour une étude mondiale a eu lieu le 13 mars 2014 à l’Office des
Nations Unies de Genève et a été présidé par Défense des Enfants
International, en collaboration avec des ONG partenaires..

5. Les voies extrajudiciaires

27. Une des spécificités de la justice pénale des mineurs est la règle selon laquelle les Etats Parties devraient, chaque fois que cela est possible et souhaitable, traiter les mineurs délinquants sans recourir à la procédure judiciaire (article 40.3.b de la CIDE). En effet, la procédure judiciaire n’est pas, et ne devrait pas être, le seul moyen de traiter les délinquants mineurs. Bien au contraire, les voies extrajudiciaires devraient constituer un objectif clé de tout système de justice pénale des mineurs.
28. La déjudiciarisation est un processus visant à éviter tout premier contact ou contact précoce avec le système de justice pénale en éloignant les enfants du système judiciaire ordinaire et de poursuites pénales, et en les orientant vers un soutien communautaire et des services ou interventions appropriées 
			(23) 
			Commentaire des Règles
de Beijing, Section 11.. Ce recours aux moyens extrajudiciaires repose sur la théorie selon laquelle toute confrontation au système de justice pénale ordinaire aura sur l’enfant des effets plus préjudiciables et l’expose davantage au risque de récidive, sans toutefois remettre en cause le fait qu’il ait pu commettre un acte contraire à la loi 
			(24) 
			Protecting
children’s rights in criminal justice systems, A training manual
and reference point for professionals and policymakers, Penal Reform
International, 2013.. Dans ce contexte, on devrait noter que la déjudiciarisation évite, entre autres, la détention provisoire.
29. La déjudiciarisation peut être appliquée à divers stades de la procédure et mise en œuvre au niveau de la police, du procureur ou du tribunal. La police représente le premier point de contact entre les enfants et le système judiciaire et, en tant que tel, le principal acteur susceptible «d’écarter» les enfants de ce système au stade le plus précoce. Si elle a le sentiment qu’il n’est pas nécessaire de lancer une procédure normale pour protéger la société, pour prévenir la délinquance ou pour promouvoir le respect de la loi et les droits des victimes, elle peut soustraire l’enfant à la procédure judiciaire normale. Aux Pays-Bas, près de 40 % des affaires de délinquance juvénile enregistrées par la police et deux tiers des affaires traitées par le parquet feraient l’objet d’un traitement extrajudiciaire mis à exécution par ces autorités 
			(25) 
			Jaap E. Doek, «Juvenile
Justice: International Rights and Standards» in Tomorrow's Criminals: The Development of Child
Delinquency and Effective Interventions, Rolf Loeber,
Peter H. van der Laan, N. Wim Slot et Machteld Hoevepp.. En Autriche, seul le ministère public ou un juge peut prendre une telle décision.
30. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont mis en œuvre différentes mesures évitant le recours à la procédure judiciaire qui ont produit de bons résultats tant pour les enfants que pour la société et se sont révélées intéressantes du point de vue du rapport coût-efficacité. Parmi ces dispositifs, citons: la non-intervention (c’est-à-dire la déjudiciarisation de l’affaire sans aucune sanction, en particulier en cas de délits mineurs et d’absence de risque de récidive – par exemple en Autriche et en Allemagne), la mise en garde ou l’avertissement formel (dans le système français, le procureur peut éviter à l’enfant d’être confronté à la procédure judiciaire en demandant à la police de procéder à un «rappel à la loi» au titre duquel un officier de police informe le jeune, en présence de ses parents, des peines qu’il aurait encourues s’il avait été déféré devant le juge compte tenu de l’infraction dont il est accusé), l’orientation vers des services d’aide (dont des services de conseil, de désintoxication, ou vers des programmes éducatifs ou des cours de développement des compétences pour traiter le comportement délictueux, comme par exemple la gestion de la colère), la médiation entre la victime et le délinquant, le travail d’intérêt général, ou la conférence familiale visant à associer le jeune et sa famille au règlement des problèmes qui sont à l’origine du comportement délictueux.
31. L’article 40 de la CIDE impose aux Etats de définir des critères et des règles clairs encadrant le recours à des voies extrajudiciaires en vue d’éviter toute application arbitraire et de veiller au respect plein et entier du droit à la non-discrimination. Par ailleurs, il ne faut recourir à la déjudiciarisation que si des éléments probants indiquent que l’enfant en cause a commis l’infraction qui lui est imputée (protection de la présomption d’innocence), s’il reconnaît librement sa responsabilité et s’il donne volontairement son consentement à la mesure proposée. L’enfant doit systématiquement être informé de la possibilité d’acquittement si l’affaire est déférée en justice. Dernier point mais non le moindre, le respect par l’enfant de la mesure de déjudiciarisation jusqu’à son terme doit se solder par un classement total et définitif de l’affaire, sans inscription au casier judiciaire.

6. Les conséquences du principe de fermeté sur le système de justice pénale des mineurs

32. L’étude des Nations Unies sur la violence contre les enfants publiée en 2006 a observé que bien que la majorité des infractions commises par des enfants soient non violentes, les pressions que subissent les responsables politiques pour faire preuve de fermeté face à la délinquance ont engendré l’adoption de mesures de plus en plus sévères à l’égard des enfants en conflit avec la loi. Cela a en premier lieu entraîné une forte tendance à contourner la législation en vigueur sur l’AMRP qui constituait une barrière absolue à toutes poursuites. Les «dérogations» à l’AMRP en cas de délit grave, évoquées plus haut (voir le paragraphe 14), sont un exemple de cette tendance.
33. Un deuxième exemple en est le Royaume-Uni, où depuis l’adoption de la loi sur la criminalité et les troubles à l’ordre public de 1998 (Crime and Disorder Act), le tribunal d’instance peut prononcer une ordonnance de «protection» de l’enfant (Child Safety Order) à l’encontre d’un enfant de moins de 10 ans (l’AMRP au Royaume-Uni), qui entraîne l’application de mesures punitives tant envers l’enfant qu’envers ses parents. L’enfant peut être placé sous la surveillance d’un travailleur social ou d’un professionnel de la Youth Offending Team (l’équipe de suivi de la délinquance juvénile) locale pour une période de 3 à 12 mois et est tenu de participer à toute action jugée nécessaire afin de prévenir la récidive. Etant donné que l’âge de l’enfant est inférieur à l’AMRP, l’ordonnance de protection de l’enfant s’appuie sur le droit civil. C’est pourtant un comportement antisocial de l’enfant qui pousse le tribunal à rendre cette ordonnance, ce qui montre, selon divers analystes, qu’il s’agit de toute évidence d’une tentative de contournement de l’AMRP.
34. De même, les Pays-Bas ont mis en place une mesure intitulée Stop destinée aux enfants n’ayant pas atteint l’AMRP. En vertu de cette mesure, les enfants peuvent être amenés à effectuer jusqu’à 20 heures de travail ou d’activités de formation ou de réparation. Cette mesure ne renforce en rien la protection de l’enfant ni ne règle les difficultés particulières rencontrées par l’enfant ou par sa famille. Elle est inadéquate en tant que mesure éducative et ce n’est clairement pas son objectif. Il s’agit d’une variante de Halt, la très populaire peine légère à destination des primo-délinquants. Ces pratiques sont contraires à l’article 40.3.a de la CIDE portant sur la fixation d’un AMRP 
			(26) 
			Voir
la note de bas de page n° 14..
35. Par ailleurs, de plus en plus d’enfants sont soumis très jeunes à des mesures privatives de liberté comme en témoignent au Royaume-Uni les ordonnances pour comportement antisocial («Antisocial behaviour orders»). Ces dernières n’étaient pas à l’origine destinées aux jeunes délinquants ou aux enfants. Il s’agissait plutôt d’un moyen de traiter les comportements délictueux répétés chez les adultes, surtout lorsqu’ils étaient source de nuisances pour des personnes du voisinage. Pourtant, en 2005, près de la moitié des ordonnances pour comportement antisocial avaient été rendues à l’encontre de jeunes de moins de 18 ans dont 40 % ont été suivies de poursuites pour infraction, qui ont mené dans environ 15 % des cas à une peine d’emprisonnement 
			(27) 
			Child Law for Social
Work, Jane Williams, 2008.. Le problème majeur qui se pose dans l’analyse des comportements antisociaux tient à l’absence de définition établie de ce qui caractérise un tel comportement. Le Commissaire aux droits de l’homme a déclaré que «la facilité avec laquelle il est possible d’obtenir ce type d’ordonnance, la gamme étendue des comportements qui peuvent ainsi être interdits, la publicité qui entoure leur adoption et les conséquences graves qui peuvent en résulter en cas d’infraction sont autant d’aspects qui engendrent des inquiétudes».
36. Enfin, une étude récente menée dans la région ECO/CEI montre que la majorité des enfants en conflit avec la loi dans la région ne représentent pas une menace. En effet, ils sont accusés d’infractions de gravité moyenne ou légère, et beaucoup ont commis des délits d’état, c'est-à-dire des actes qui ne constituent des infractions que s’ils sont commis par des enfants, comme l’absentéisme scolaire, la consommation d’alcool ou d’autres substances, le fait «d’échapper à l’autorité parentale» (la fugue), tandis que d’autres ont adopté des comportements de survie, comme la mendicité ou la prostitution 
			(28) 
			Justice pour les mineurs
dans la région ECO/CEI: progrès, défis, obstacles et opportunités,
Unicef, 2013..
37. Ces mesures, grâce auxquelles les Etats espèrent contrôler le comportement des enfants, poussent un nombre croissant d’entre eux dans le système de justice pénale, au lieu de s’attaquer aux causes profondes de leurs problèmes sociaux, qui requièrent des solutions relevant de la protection sociale.

7. Conclusions

38. La recherche du meilleur moyen de traiter la délinquance juvénile est une mission difficile pour tous les gouvernements tenus de trouver le juste équilibre entre protection de la société et intérêt supérieur de l’enfant, gardant à l’esprit qu’un enfant est un être humain en devenir, qui apprend et reste ouvert à des influences positives pour sa socialisation. En ma qualité de rapporteur, j’ai la ferme conviction que les délinquants mineurs sont avant tout des enfants et que la justice pénale des mineurs devrait avoir pour mission de faire de l’enfant un citoyen libre et de veiller à sa réadaptation et à sa réinsertion dans la société.
39. L’expérience montre que le fait de traiter les jeunes comme des criminels, notamment en leur infligeant des peines de prison, tend à compromettre les initiatives de réinsertion dans la société. Les hommes politiques, les décideurs politiques et les tribunaux ne sont pas obligés de traiter les enfants de cette façon en les enfermant. Ils choisissent pourtant de le faire, bien que cette démarche, en particulier la détention, soit non seulement nuisible au bien-être de l’enfant, mais aussi profondément irrationnelle et contre-productive lorsqu’on l’évalue en termes de prévention de la délinquance et de sécurité publique 
			(29) 
			Voir
la note de bas de page n° 5..
40. L’attitude des Etats à l’égard de la délinquance des mineurs doit inclure des mesures de prévention de la délinquance et souligner à quel point il est important de soustraire complètement les enfants au système de justice pénale. La crise financière actuelle est un bon incitatif pour que les Etats réduisent les incarcérations et accordent des financements pour investir dans la déjudiciarisation, la réinsertion et la justice réparatrice. En outre, pour les délinquants mineurs qui échappent aux mesures de prévention et de déjudiciarisation, le succès de leur réinsertion et de leur réadaptation devrait être l’objectif principal. Comme l’a dit fort justement l’ancienne Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe, Mme Maud de Boer-Buquicchio, «avant d’être notre avenir, les enfants ont avant tout droit à un avenir».