1. Introduction
1. Les prises de position fermes exprimées par des responsables
politiques européens ont relancé le débat sur la question de savoir
si l’intégration était un échec en Europe.
2. La crise économique, les problèmes liés au contrôle de l’immigration
régulière et irrégulière, la peur du terrorisme et de l’extrémisme
et les inquiétudes suscitées par le repli sur soi des communautés
sont autant de facteurs qui ont conduit à la question de savoir
si l’intégration des immigrés était un échec ou non en Europe. Avec
une population immigrée qui représente 8,7 % de la population européenne
totale et un nombre d’immigrés qui augmente chaque année, il n’est
pas surprenant que la question de l’intégration figure au premier
rang des préoccupations politiques dans la plupart, voire dans tous
les pays européens. Depuis la Russie, à l’est, qui compte 12 millions
de ressortissants étrangers jusqu’au Portugal, à l’ouest, où ils
sont plus de 440 000, les enjeux sont énormes, aussi bien de l’aspect
numérique de la question que de sa complexité.
3. L’Europe ne peut se permettre d’ignorer cette diversité, les
défis qu’elle représente et les perspectives qu’elle offre, comme
l’a reconnu le Groupe d’éminentes personnalités du Conseil de l’Europe
dans son rapport «Vivre ensemble. Conjuguer diversité et liberté
dans l’Europe du XXIe siècle». L’Europe
doit embrasser la diversité et accepter que nous ne n’ayons plus
une seule identité, beaucoup d’entre nous, toujours plus nombreux,
tendant à devenir des «Européens à trait d’union»: Anglo-irlandais,
Maroco-français, Turco-allemands, etc. En réalité, ces identités
«à trait d’union» peuvent aider à faciliter l’intégration: être
capable de naviguer entre des identités plurielles devrait être
considéré comme un avantage dans nos sociétés mondialisées.
4. Les inquiétudes montent également au sujet de l’intégration
parce que l’Europe devient de plus en plus schizophrène dans sa
vision des immigrés. D’un côté, les hommes ou femmes politiques
et les médias continuent d’attiser la crainte d’une submersion par
l’immigration, mais, de l’autre, ils se rendent compte que la population
européenne vieillit et, à long terme, va diminuer. La Commission
européenne a estimé qu’au cours des cinquante prochaines années,
la population active totale de l’Union européenne aura chuté d’un million
de personnes, même si la population totale augmente.
5. On peut se poser la question: sans l’immigration, comment
les pays pourront-ils rembourser les dettes qu’ils ont contractées ?
Qui financera les systèmes de sécurité sociale européens? L’écart
existant déjà entre ce dont l’Europe a besoin et ce qu’elle accepte,
en termes d’immigration, risque de s’élargir si de nouvelles stratégies
de gestion de l’immigration ne sont pas mises en place et si des
mesures d’intégration efficaces ne sont pas prises. La prospérité
à long terme de l’Europe, mais aussi le bien-être économique des
pays d’origine des immigrés, en dépendent.
6. Du côté des immigrés, la situation devient de plus en plus
difficile et sensible, ce qui fait encore monter les enjeux dans
le débat sur l’intégration. Les immigrés ressentent la pression
exercée sur eux par les discours anti-immigration, les groupes politiques
ultra-nationalistes et les attaques de plus en plus violentes dont
ils sont la cible. Ils subissent également l’impact des restrictions
à l’immigration et des exigences plus strictes imposées à leur entrée,
notamment les restrictions en matière de regroupement familial,
d’octroi des titres de séjour et d’acquisition de la nationalité.
Leur situation économique aussi, devient de plus en plus précaire.
Les demandeurs d’asile et les réfugiés se trouvent dans une situation
similaire. Ce contexte ne facilite pas l’intégration mais il la
rend plus difficile. Même si l’intégration est un processus à double
sens, impliquant aussi bien les populations d’accueil que les communautés
immigrées, ces dernières en portent quasiment tout le poids.
7. Le titre de la proposition de résolution pose la question
suivante: «Intégration des immigrés: l’Europe en échec ?». Pour
répondre brièvement, cela dépend de ce que l’on entend par «intégration»,
et des critères de réussite ou d’échec que l’on s’est fixés. Au
regard des critères mesurant les progrès et le chemin restant à parcourir
et aussi du temps nécessaire, je propose de mettre en avant la nécessité
d’une politique volontaire, continue et globale d’où ma proposition
du titre «Intégration des immigrés en Europe: la nécessité d’une politique
volontaire, continue et globale» pour le présent rapport.
8. J’ai repris le travail de Mme Pelin Gündeş Bakir (Turquie,
GDE) qui, pour rassembler des informations utiles au présent rapport,
s’est rendue à Bruxelles et à Nuremberg, où elle a eu des entretiens
à l’Office fédéral allemand de l’immigration et des réfugiés (BAMF).
De mon côté, j’ai souhaité rassembler des informations supplémentaires
et faire le point sur des initiatives positives en faveur de l’accueil
des immigrés afin de pouvoir compléter le présent rapport. Je tiens
à remercier tous ceux qui m’ont fourni des informations et assisté
dans mon travail.
2. Approche
du rapport
2.1. Comprendre ce que
sont l’intégration, le multiculturalisme et l’assimilation
9. Pour répondre à la question de savoir si l’intégration
est un échec, il convient tout d’abord de préciser ce qu’est l’intégration
et ce qu’elle n’est pas.
10. L’intégration a été définie comme un processus d’inclusion
des immigrés dans les institutions et les relations de la société
d’accueil.
11. Le multiculturalisme a été défini comme une fusion dans laquelle
une culture emprunte des éléments à d’autres cultures et se transforme
créativement tout en transformant les autres.
12. L’assimilation peut être entendue comme un processus unilatéral,
dans lequel les immigrés et leurs descendants abandonnent leur culture
et s’adaptent entièrement à la société dans laquelle ils ont immigré.
13. L’intégration est un processus à double sens, auquel participent
les immigrés et leurs sociétés d’accueil, avec des conséquences
sur le plan des droits et des responsabilités et ceux qui affirment
que l’intégration a échoué ont à l’esprit un objectif d’assimilation.
14. Le débat s’est trop souvent concentré sur la question du multiculturalisme
et sur la question de savoir s’il avait échoué. Le multiculturalisme
est un concept difficile à définir car il y a peu de consensus sur
sa signification. Comme indiqué dans le rapport «Vivre ensemble»,
il génère davantage de confusion qu’il ne clarifie la situation.
Il importe cependant de ne pas confondre ce que nous entendons par
multiculturalisme et ce que nous entendons par sociétés multiculturelles.
Nous vivons de plus en plus dans des sociétés multiculturelles et
apprécions cette diversité, mais cela n’équivaut pas à créer un
politique dans laquelle des cultures se développent séparément,
côte à côte
.
15. Avant d’aborder la question de savoir comment mesurer l’échec
ou la réussite de l’intégration, j’aimerais souligner qu’il est
difficile d’obtenir des statistiques exactes sur les flux d’immigration.
2.2. Comment mesure-t-on
l’échec ou la réussite de l’intégration ?
16. L’échec ou la réussite de l’intégration dépend des
critères utilisés. Si le critère est de parvenir à une égalité de
résultats pour l’ensemble de la population dans les principaux domaines
de la vie (économique, social et politique), alors la réponse est
claire. Aucun pays n’a réussi, et il serait d’ailleurs irréaliste
d’espérer réussir à cent pour cent.
17. L’on constate, en règle générale, que les pays de petite taille
accueillent proportionnellement le plus d’immigrés. Il n’en demeure
pas moins que les Etats-Unis et la France restent les plus vieux
pays d’immigration et ce depuis la seconde moitié du XIXe siècle,
alors que l’Espagne est devenue un nouveau pays d’immigration.
18. Pour étudier cette question, je me suis appuyée sur trois
principaux indicateurs, tout en limitant mon examen à cinq domaines
d’intégration: le marché du travail, l’éducation, la participation
politique, la discrimination et le regroupement familial. Le premier
indicateur correspond aux données statistiques, qui permettent de
montrer dans quelle mesure les résultats atteints par les immigrés
équivalent ceux de la population d’accueil. Le deuxième indicateur
est l’avis des immigrés. Le troisième indicateur est la législation et
la pratique, pour lequel j’ai utilisé l’Index des politiques d’intégration
des migrants (MIPEX), qui examine 148 indicateurs liés au domaine
de l’immigration et les mesure dans 31 pays.
3. Les domaines d’intégration
3.1. Le droit au travail
Indicateur
|
Statistiques
|
Situation
des femmes
|
Autres
commentaires
|
Taux d’emploi des enfants d’immigrés
|
73 %, soit 10 % de moins
que les enfants de nationaux
|
Pour les femmes, ce pourcentage descend
à 69 %
|
Dans certains pays comme l’Espagne
et la Belgique, les taux d’emploi peuvent être de 27 % inférieurs
à ceux des enfants de nationaux
|
Chômage des immigrés
|
En moyenne, 1,5 fois
supérieur et a, récemment, davantage augmenté pour les immigrés
que pour les autochtones (2,7 % contre 1 %)
|
Globalement peu de différences
entre les sexes
|
Les jeunes immigrés rencontrent
des problèmes particuliers : ils sont 23 % à être au chômage contre
18 % pour les jeunes autochtones
|
Chômage des enfants d’immigrés
nés dans le pays de résidence
|
Le chômage moyen s’établit
à 13,8 %, soit environ 7 % de plus que pour les nationaux
|
Globalement peu de disparités
entre les sexes
|
40 % d’entre eux sont
des chômeurs de longue durée (contre 26 % pour les enfants d’autochtones)
|
3.1.1. Que nous disent
les indicateurs?
19. Partant du principe établi que, sans le droit au
travail, les autres droits devenaient inaccessibles, il est essentiel
que les immigrés jouissent d’une égalité des chances sur le marché
du travail, que ce soit dans le secteur privé ou public, ou en tant
que travailleurs indépendants.
20. Il faut souligner que la nature de l’immigration a évolué.
En effet, jusque dans les années 80, les migrants étaient surtout
des intellectuels fuyant un pays où ils ne pouvaient pas exercer
leur savoir. Depuis lors, la nature de l’immigration a changé, puisqu’il
s’agit surtout de migrants fuyant leur pays pour chercher du travail
ou pour fuir une situation devenue intolérable dans leur pays.
21. Or, il apparaît clairement que les politiques et les pratiques
desservent les immigrés. En moyenne, dans les pays de l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE), les immigrés
ont 50 % de chances de plus d’être au chômage que les nationaux,
et les enfants d’immigrés ont presque deux fois plus de risques
d’être au chômage que les enfants de nationaux. Cela devrait être
une sonnette d’alarme, qui devrait retentir encore plus fort si
l’on considère que 40 % des enfants d’immigrés nés dans leur pays
de résidence sont des chômeurs de longue durée. Cela représente
un danger manifeste pour la société. Si l’on se penche sur les statistiques
nationales, certaines disparités deviennent encore plus marquées.
En France, le taux de chômage global s’établit à 9,6 %, tandis que
pour les immigrés, il est de 16,4 %, et pour les immigrés turcs,
de 25,3 %. En Autriche, les jeunes de 20 à 30 ans issus de l’immigration
estiment qu’il leur est deux fois plus difficile de trouver un emploi
que les Autrichiens de souche. En France, selon une étude de l’INSEE publiée
en 2012, le pays d’origine, l’âge d’arrivée, le capital scolaire
des parents ou la structure familiale constituent des variables
qui jouent en matière de non réussite dans les études et dans les
difficultés rencontrées pour accéder au marché du travail
.
22. D’autres données statistiques vont dans le même sens. Les
immigrés ont plus de chances d’occuper un emploi temporaire (15 %
contre 10 % pour les autochtones)
et il en va de même pour leurs
enfants. Les immigrés ont également plus de chances d’occuper un
emploi peu qualifié (16 % contre 7 % pour les nationaux). Dans certains
pays, comme la Grèce et la Suisse, le pourcentage d’immigrés occupant
des emplois peu qualifiés atteint les 50 %
.
23. L’Allemagne, quant à elle, a longtemps considéré la présence
de travailleurs étrangers sur son territoire («Gastarbeiter», c’est-à-dire
«travailleurs invités») comme provisoire. Cette approche a été abandonnée
dans les années 70 et 80. Actuellement, 20% de la population allemande
est d’origine étrangère et l’Allemagne est de plus en plus convoitée
par des citoyens issus des pays de l’Union européenne – auxquels
le Gouvernement allemand accorde également de plus en plusla naturalisation
– (Pologne, Roumanie, Bulgarie, Italie, Hongrie, Espagne et Grèce)
et des Balkans.
24. Il en va de même en Suède où les personnes nées à l’étranger
ont en général des emplois moins qualifiés et un taux de chômage
plus élevé que les Suédois d’origine, ce qui s’explique par le fait
que l’apprentissage d’une nouvelle langue prend du temps ou que
l’expérience professionnelle antérieure n’est pas toujours en demande
sur le marché de l’emploi suédois, mais aussi peut-être par le fait
que les personnes nées à l’étranger ne disposent pas des réseaux
informels qui, souvent, permettent de décrocher un emploi.
25. L’emploi dans le secteur public est également un bon moyen
de mesurer comment s’en sortent les enfants d’immigrés. Si 17 %
d’entre eux occupent un emploi public, ce taux n’atteint nullement
celui de 24 % enregistré pour les enfants d’autochtones. Les Etats
peuvent certainement faire mieux dans ce domaine et suivre l’exemple
de pays comme le Royaume-Uni, dont la fonction publique emploie
le plus fort pourcentage d’enfants d’immigrés, soit un sur quatre,
ou la France, où ce taux d’emploi est de 22 %
.
26. L’on constate également que des émigrés surqualifiés occupent
des emplois subalternes, en raison, notamment, de la non-reconnaissance
de certains diplômes entre les Etats. Les sociétés d’accueil gaspillent ainsi
des ressources humaines et des capacités qui seraient utiles à leur
développement en déclassant les immigrés et en ne reconnaissant
pas leurs qualifications. Dans les pays de l’OCDE, 28,3 % des immigrés
ayant un niveau d’études élevé sont surqualifiés, contre 17,6 %
des autochtones. Ce pourcentage diminue pour les enfants d’immigrés
nés dans le pays de résidence, mais sans rejoindre celui des enfants
d’autochtones
. Certains
Etats ont conclu des accords bilatéraux avec des pays d’origine
pour mettre en place des programmes de reconnaissance mutuelle des
qualifications. Je pense que cette pratique pourrait permettre d’exploiter
des compétences sous-utilisées, qui existent déjà en Europe.
27. La capacité de l’Europe à attirer des travailleurs très qualifiés
est un autre indicateur. Malheureusement, elle n’a pas réussi à
concurrencer les Etats-Unis et le Canada dans ce domaine. Par exemple,
50 % des immigrés qualifiés issus des pays du Maghreb vont aux Etats-Unis
et au Canada et seulement 5,5 % d’entre eux choisissent un Etat
membre de l’Union européenne. Si diverses raisons expliquent cette
situation, les perspectives d’intégration pour eux-mêmes et leur
famille en font certainement partie.
28. Enfin, le développement progressif de «ghettos» pour immigrés
ou pour des populations pauvres est, sans aucun doute, devenu un
obstacle majeur à l’accès à l’emploi et à la sécurité, mais également
un handicap sérieux à leur intégration. La concentration des immigrés
à la périphérie de nombreuses villes européennes crée un environnement
dans lequel les désavantages se transmettent de génération en génération,
isolant ces groupes de la population générale. Par exemple, la concentration
d’immigrés d’Afrique subsaharienne dans la région parisienne et
leur faible motorisation en fait le groupe qui passe le moins de
temps au travail et le plus de temps dans les trajets domicile-travail.
De plus, bien souvent, les immigrés qui vivent dans ces quartiers
ne se sentent pas en sécurité pour des raisons liées à la misère
urbaine. De même, ceux qui n’y vivent pas ont peur de se rendre
dans ces «ghettos». Ces derniers deviennent alors un terrain propice
à la peur et au ressentiment, qui n’affectent pas seulement les
communautés immigrées, mais aussi les populations d’accueil. Les
émeutes qui se sont produites en Suède en 2013 en témoignent. Ainsi,
même dans un pays comme la Suède qui, sur le papier, est l’une des
sociétés les plus tolérantes d’Europe, ayant fait les bons choix
pour la plupart des mesures d’intégration, ne peut échapper aux
conséquences d’avoir laissé des «ghettos urbains» exister.
3.1.2. Que nous disent
les immigrés ?
29. Il n’est pas surprenant que parmi les principales
conclusions d’une étude sur la manière dont les immigrés vivent
l’expérience de l’intégration dans 15 villes européennes, les principaux
problèmes soulevés par les immigrés sont le manque de sécurité de
l’emploi, la surqualification, le manque de reconnaissance des qualifications,
le besoin de formation et la difficulté à concilier formation, travail
et vie familiale.
3.1.3. Préoccupations
et mesures à prendre
30. Parmi les multiples mesures qu’il faudrait prendre,
je souhaite mettre l’accent en priorité sur la nécessité de lever
les restrictions, de nature réglementaire ou législative, limitant
l’accès des immigrés au marché du travail dans les secteurs public
et privé et en tant que travailleurs indépendants. Le secteur public
étant un employeur important, des mesures doivent être prises pour
mieux aider les immigrés et leurs enfants à accéder aux emplois
publics. Enfin, il faudrait offrir une instruction et une formation
professionnelle aux immigrés, et faciliter la reconnaissance des
diplômes et des qualifications acquises en dehors de l’Union européenne.
Je pourrais mentionner de nombreuses autres mesures, mais je tiens
à insister tout particulièrement sur la nécessité de lutter contre
la discrimination sur le marché du travail, notamment en veillant
à ce que les curricula vitae soient examinés sans tenir compte de
l’origine ethnique du postulant. Il s’agit là de mesures que le
MIPEX (Index des politiques d'Intégration des Migrants) a examinées,
pays par pays et il est intéressant de noter que la Suède et le
Portugal figurent en haut du classement, et que certains des pays
ayant le plus d’expérience en matière d’immigration s’en sortent
moins bien, le Royaume-Uni, la Belgique et la Suisse se situant
en dessous de la moyenne de l’Union européenne. Cette situation
pourrait s’expliquer en partie par la peur de déplaire à l’opinion
publique en offrant des perspectives professionnelles aux immigrés
et par la crainte que ces derniers prennent les emplois des nationaux.
Ces craintes, pourtant largement infondées, et le fait qu’il ne
soit pas clairement expliqué que «les étrangers ne représentent
pas un danger pour l’emploi», sont un obstacle à la mobilité de
la main d’œuvre et à l’égalité des chances des immigrés. Les réfugiés,
qui représentent une partie des immigrés, ont souvent des difficultés
à trouver du travail en raison des traumatismes qu’ils ont subi
avant d’atteindre leur pays d’asile. Ils peuvent également avoir
été détenus pendant la procédure d’asile, ou avoir eu des droits
restreints en matière de travail. Cela ralentit et entrave leur
intégration. Les réfugiés ont des besoins particuliers, qui doivent
être pris en compte.
3.2. Education
Indicateur du niveau d’instruction
|
Population
totale
|
Immigrés
|
Commentaires
|
Enseignement supérieur
|
24 %
|
24 %
|
Pour les personnes nées
en dehors de l’Union européenne, le pourcentage tombe à 22 %
|
Enseignement secondaire
|
49 %
|
40 %
|
Pour les personnes nées
en dehors de l’Union européenne, le pourcentage tombe à 38 %
|
Enseignement primaire
ou inférieur
|
27 %
|
36 %
|
Pour les personnes nées
en dehors de l’Union européenne, le pourcentage grimpe à 40 %
|
31. Pour que les immigrés et leurs enfants soient sur
un pied d’égalité avec le reste de la population, il faut qu’ils
aient des possibilités d’instruction identiques ou similaires. Le
tableau ci-dessus montre que si leur taux de participation à l’enseignement
supérieur est identique, les immigrés sont largement surreprésentés
parmi les personnes qui ont les niveaux d’instruction les plus bas
(primaire ou inférieur).
32. D’après l’OCDE, les enfants d’immigrés atteignent les niveaux
d’instruction supérieure, mais ne font pas aussi bien que les enfants
d’autochtones
,
et ce bien que le handicap de la langue devrait être dépassé s’ils vivent
depuis leur petite enfance dans le pays d’accueil.
33. Il est intéressant de noter, d’après les statistiques, l’importance
que revêt l’enseignement pré primaire dans lequel le taux de fréquentation
scolaire des enfants d’immigrés est inférieur à celui de la population majoritaire
. Pour les enfants d’immigrés, ce premier
niveau d’éducation apparaît essentiel, en particulier pour ceux
qui ne parlent pas la langue du pays d’accueil à la maison
.
34. En Suède, le gouvernement a présenté un rapport sur les résultats
pour tous les indicateurs (Communication du gouvernement 2009/10:233)
qui relevait qu’en ce qui concerne les résultats en matière d’éducation
et d’égalité, une école qui offre la même qualité d’éducation à
tous les élèves est primordiale pour éviter que l’exclusion ne se
transmette à la génération suivante. Le rapport relevait qu’un enseignement
qui aide les élèves nouveaux arrivés à atteindre les objectifs pédagogiques
de l’établissement était considéré comme un défi dans ce contexte.
Enfin, le rapport déclarait qu’il y a de bonnes raisons de continuer
de suivre les effets de la ségrégation et d’approfondir la connaissance
des facteurs qui influent sur le risque que les personnes nées à
l’étranger restent piégées dans l’exclusion toute leur vie.
3.2.1. Que nous disent
les immigrés ?
35. La question de la langue et du soutien à l’apprentissage
de la langue est un sujet récurrent. Cela vaut non seulement pour
l’école, mais aussi pour les immigrés qui viennent d’arriver. Parmi
les principales conclusions de l’étude sur la manière dont les immigrés
vivent l’expérience de l’intégration figure l’importance primordiale
qu’ils accordent aux cours d’apprentissage de la langue du pays
d’accueil. Les principaux obstacles évoqués sont le manque de temps
et le manque d’information sur les cours proposés. Concernant les
cours d’intégration (cours de langue y compris), les immigrés considèrent
qu’ils aident vraiment à acquérir les bases de la langue, mais estiment
qu’ils pourraient être mieux coordonnés avec la formation et les
services de l’emploi
.
3.2.2. Préoccupations
et mesures à prendre
36. Il est clair que nous devons promouvoir l’accès à
l’éducation le plus tôt possible, et que les besoins particuliers
des immigrés et de leurs enfants doivent être pris en considération.
Les enfants peuvent avoir besoin d’un soutien supplémentaire pour
leur apprentissage, notamment linguistique, et à cet égard, tout
ce à quoi ils ont droit doit leur être accessible, et ils doivent
en être informés. Par ailleurs, une approche interculturelle de
l’éducation est nécessaire, en ce qui concerne non seulement les
enfants, mais aussi la manière dont les établissements scolaires
communiquent avec les parents. Des enseignants issus de l’immigration
doivent être recrutés en plus grand nombre, compte tenu du rôle
utile qu’ils peuvent jouer en tant que médiateurs avec les familles,
le personnel et les enfants. Enfin, tous les enseignants et le personnel scolaire
doivent être formés pour gérer des environnements multiculturels,
et des mesures doivent être prises pour éviter la ségrégation.
37. Les mesures susmentionnées ne sont que des exemples de ce
qui devrait être fait. Plusieurs d’entre elles ont été examinées
en relation avec les pratiques nationales dans le cadre du MIPEX
et l’on peut en conclure que rares sont les systèmes éducatifs en
Europe qui se soient adaptés aux réalités de l’immigration. Les
pays qui ont fait le plus pour répondre aux enjeux de l’immigration
sont les pays nordiques, et parmi les pays d’immigration plus traditionnels,
le Royaume-Uni figure en tête. Malheureusement, selon le classement du
MIPEX, de nombreux pays demeurent particulièrement défaillants en
ce qui concerne les mesures prises. Il s’agit de la France, de la
Hongrie, de l’Irlande, de la Lettonie et de la Lituanie.
38. Il y a trois questions relevant du domaine de l’éducation
que je souhaiterais développer plus avant. La première est le manque
de reconnaissance accordée aux enfants d’immigrés qui maîtrisent
plusieurs langues. Bien souvent, la langue de l’immigré ne peut
être reconnue dans le programme scolaire officiel et il n’a aucune reconnaissance
pour sa maîtrise de celle-ci.
39. La deuxième est celle liée au problème de la ségrégation scolaire,
qui résulte largement de la ségrégation dans le domaine du logement,
notamment dans les centres urbains. Une étude a montré qu’au Danemark,
il existait un écart de 15 % entre le taux de réussite des élèves
autochtones et des élèves immigrés, lequel pouvait être imputé à
la ségrégation scolaire
. Les parents immigrés qui vivent
dans les quartiers urbains défavorisés ont souvent de grandes difficultés
à apporter un soutien adéquat à leurs enfants pour leurs devoirs
dans la mesure où ils travaillent de longues heures et ne peuvent
leur offrir un espace calme à la maison pour étudier.
40. Le troisième point que je souhaite évoquer est la pratique
consistant à étiqueter, regrouper et classer les élèves en fonction
de leurs capacités «élevées» ou «faibles». Les études montrent qu’à
résultats comparables, les enfants issus de l’immigration, d’origine
minoritaire ou appartenant à un milieu socio-économique défavorisé
risquent davantage d’être orientés vers des filières réputées plus
«faciles» que les enfants de parents autochtones issus des classes
moyennes ou supérieures. Cette situation peut s’expliquer par les
préjugés sur les capacités des enfants, à une orientation trop précoce,
au fait que les élèves immigrés ou appartenant à des minorités ethniques
soient abusivement considérés comme ayant des besoins particuliers,
ou par diverses autres raisons
. Il apparaît impératif de supprimer
les sélections rapides qui s’effectuent dans les écoles afin que
les enfants des migrants soient considérés et traités au même niveau
que les nationaux.
41. En conclusion, il apparaît clairement que trop souvent, les
Etats membres n’ont pas été équipés pour répondre au défi que constitue
l’intégration d’enfants immigrés en grand nombre. Plutôt que de
prendre les devants, les systèmes se sont contentés de réagir aux
difficultés qui se présentaient. Un autre problème, peut-être plus
inquiétant, est que l’enseignement en Europe est, pour l’essentiel,
fondé sur des programmes conçus dans la première partie du XXe siècle,
il y a plus de cent ans. Le Conseil de l’Europe a mené des travaux importants
et innovants pour moderniser l’approche de l’éducation dans les
Etats membres.
3.3. La participation
démocratique
42. Dans sa Résolution 1618 (2008) sur la situation de
la démocratie en Europe, mesures visant à améliorer la participation
démocratique des migrants, l’Assemblée souligne la nécessité de
veiller à ce que les immigrés aient une «voix égale» dans le processus
démocratique en Europe. Cependant, la participation démocratique reste
faible dans toute l’Europe, et en particulier celle des immigrés.
L’Assemblée fait également observer que l’intégration et la participation
jouent l’une pour l’autre un rôle de catalyseur: l’intégration est
essentielle à la participation démocratique des immigrés et cette
participation favorise à son tour l’intégration.
43. La participation démocratique est cependant difficile à mesurer,
en partie parce que la notion est difficile à définir. L’acquisition
de la nationalité et la participation aux élections peuvent toutefois
être utilisées pour l’évaluer.
44. En 2010, le nombre de personnes naturalisées dans l’Union
européenne a atteint les 756 000, contre 700 000 l’année précédente.
La part de nationaux dans la population née à l’étranger se situe
cependant juste en dessous des 50 % dans les pays de l’OCDE, certains
pays comme les Pays-Bas et la Suède se trouvant dans la tranche
supérieure des 60 %-70 %, et le Portugal et la France dans la fourchette
suivante des 50 %-60 %
. Il n’est sans doute pas surprenant
que les nouveaux pays d’accueil de l’immigration soient en dessous des
30 % (Grèce et Espagne). Parmi les pays d’accueil traditionnels,
le Royaume-Uni et le Danemark avoisinent les 40 %. En Allemagne,
le vote immigré est devenu un nouvel enjeu pour les partis politiques,
près de 10 % de citoyens allemands étant issus de l’immigration
en 2013. Ainsi la représentation démocratique correspond davantage
à la diversité de la population allemande.
45. Ces statistiques montrent clairement qu’il reste une large
marge de manœuvre pour inclure davantage les immigrés dans le processus
démocratique en leur permettant de devenir citoyens, de voter et
de participer plus pleinement à la vie démocratique.
46. Pour ceux qui ont acquis la nationalité et le droit de vote,
on a des raisons de penser que l’on pourrait faire davantage pour
les encourager à participer, notamment dans les pays du sud de l’Europe.
Le taux de participation global des nationaux dans les pays de l‘OCDE
se situe légèrement en dessous des 80 %, et autour de 60 % pour
les immigrés
.
47. Je tiens toutefois à souligner que la participation démocratique
ne se limite pas au vote et peut prendre différentes formes, comme
se présenter aux élections, exercer sa liberté d’expression et sa
liberté d’association, notamment en s’affiliant à des partis politiques,
à des syndicats ou à des organisations de la société civile, prendre
part à des manifestations et participer activement à la vie sociale
et culturelle du lieu où ils résident. Le vote peut s’effectuer
au niveau local et à d’autres niveaux, et ne concerne pas uniquement l’échelon
national.
48. La participation démocratique des immigrés est assurément
un élément important de l’intégration et il n’est pas surprenant
que deux conventions clés du Conseil de l’Europe aient un rapport
avec ces questions, à savoir la Convention européenne sur la nationalité
(STE n° 166) et la Convention sur la participation des étrangers
à la vie publique au niveau local (STE n° 144). Il est toutefois
regrettable que les Etats membres aient hésité à signer ces conventions
et à promouvoir ainsi une plus grande intégration sur la base de
ces deux instruments
.
3.3.1. Que nous disent
les immigrés?
49. La plupart des immigrés veulent voter, veulent plus
de diversité dans la politique, et sont prêts à voter pour soutenir
ces idées. Ils considèrent que des parlementaires issus de l’immigration
les comprendraient et les représenteraient mieux. Cependant, il
est intéressant de noter qu’une grande partie de la population générale
ne considère pas cette question comme particulièrement importante
pour elle et que seulement 40 % à 45 % d’entre elle estime qu’il
devrait y avoir davantage de parlementaires de différentes origines
ethniques
. Fait
également intéressant, la situation change considérablement d’une
ville à l’autre, ce qui montre que l’intégration s’opère au niveau
local et qu’elle dépend des politiques et des pratiques locales.
C’est l’une des raisons pour laquelle le Conseil de l’Europe attache
de l’importance à ses travaux sur les cités interculturelles
.
S’il me semble essentiel que les communautés immigrées puissent
exprimer leurs préoccupations par le processus politique, je pense
qu’il importe également de rester vigilant face à la menace du clientélisme
dans les élections locales.
3.3.2. Préoccupations
et mesures à prendre
50. L’Assemblée a déjà clairement indiqué ce qu’il convenait
de faire dans sa Résolution 1618 (2008), à savoir faciliter l’accès
à la nationalité et octroyer des titres de séjour de longue durée.
Elle a également insisté sur la nécessité de régulariser la situation
des immigrés en situation irrégulière qui ne seront pas renvoyés
vers leur pays d’origine, d’accorder le droit de vote aux immigrés,
à tous le moins au niveau local, de lever les restrictions au droit
des immigrés d’adhérer à des partis politiques ou de créer des associations
politiques et de faire en sorte que les femmes et les hommes issus
de l’immigration soient représentés à tous les niveaux politiques.
Ce sont là quelques mesures essentielles à prendre; or cinq années
se sont écoulées depuis la résolution de l’Assemblée sans que rien
n’ait changé.
51. A mon avis, la participation démocratique est étroitement
liée à la participation sociale et l’une des manières de les renforcer
serait de créer un espace où les populations immigrées et autochtones
pourraient se retrouver. Cela pourrait avoir lieu au niveau politique
(national ou local), mais aussi au niveau social dans les clubs
sportifs et autres, dans les écoles, ou lors de débats ou de conférences.
Le Conseil de l’Europe a récemment contribué à cette discussion
dans un document d’orientation, qui contient des recommandations clés
pour développer un sentiment d’appartenance chez les immigrés par
des interactions positives
.
52. La question de la double nationalité mérite une attention
particulière. La pratique consistant, dans certains pays, à forcer
les personnes à abandonner leur nationalité de naissance avant d’adopter
une autre nationalité empêche, à mon avis, les immigrés de s’intégrer
et de développer un sentiment d’appartenance. Au sein de l’Union
européenne, pouvoir acquérir la double nationalité a été jugée bénéfique
et elle est accordée à tous ses citoyens. En revanche, elle n’est
pas souvent accordée aux non-ressortissants de l’Union. Cela crée
des problèmes de discrimination et de différences de traitement,
en dépit du fait qu’un nombre croissant de personnes ont des identités
multiples en Europe, comme indiqué dans le rapport «Vivre ensemble».
53. En ce qui concerne la classe politique, je suis toujours frappée
par le faible nombre de personnes issues de l’immigration au sein
de l’élite politique. Cette absence est encore plus criante si l’on
considère le nombre de personnes d’origine musulmane dans les hautes
sphères politiques.
54. Comme indiqué précédemment, le Conseil de l’Europe a établi
des normes importantes dans le cadre de la Convention sur la nationalité
et de la Convention sur la participation des étrangers à la vie
publique au niveau local. Il faudrait faire davantage pour tirer
parti de ces deux conventions clés, notamment en encourageant de
nouvelles ratifications et leur mise en œuvre.
3.4. Discrimination
55. Plus que toute autre chose, la discrimination nuit
à l’intégration des immigrés et de leurs enfants. Elle peut exister
dans tous les domaines de la vie: emploi, logement, accès aux biens
et services, éducation et autre. Elle peut être directe ou indirecte.
Elle peut être exercée par des individus ou être institutionnelle,
et favorisée par des structures ou des pratiques.
56. La discrimination peut être mesurée de trois manières. La
première consiste à comparer des données relatives à l’emploi, aux
résultats scolaires, au logement, aux revenus, etc. La seconde consiste
à effectuer un test en situation, en choisissant un problème, en
contrôlant les variables et en déterminant si une discrimination est
exercée. Il s’agit par exemple d’envoyer des demandes fictives pour
un logement, un emploi ou des services sociaux et de voir ce qui
se passe lorsque la seule variable est l’origine ethnique. La troisième
consiste à interroger les immigrés eux-mêmes sur leurs perceptions
de la discrimination.
57. J’ai déjà abordé les domaines de l’emploi et de l’éducation,
où différentes formes de préjugés et de discrimination peuvent entrer
dans l’équation et influer sur les résultats des immigrés et de
leurs enfants, mais il existe de nombreux autres domaines où ces
derniers s’en sortent moins bien que la population majoritaire.
Indicateur
|
Commentaires
|
Revenu médian disponible
|
Demeure largement inférieur
pour les immigrés en Belgique, en Grèce, en France, en Italie, en
Autriche et en Slovénie et est de 75 % inférieur à celui de la population d’accueil
pour ceux qui appartiennent à des classes d’âge de forte activité
|
Risque de pauvreté
|
Dans les Etats membres
de l’Union européenne, il est supérieur de 9 % pour les immigrés
et de 13 % pour ceux qui sont nés en dehors de l’Union européenne
|
Accès à la propriété
|
Il est presque trois
fois inférieur pour les immigrés dans les pays de l’OCDE
|
58. Il ne s’agit ci-dessus que de quelques indicateurs
supplémentaires. On pourrait également s’intéresser aux mesures
pénales (droit de visite, arrestations, motifs d’inculpation et
incarcérations) ou à des sous-catégories d’immigrés et voir ce qu’il
en est pour les différents groupes. La situation entre différents
groupes peut être très inégale, mais il ressort encore et toujours
des statistiques que le groupe le plus désavantagé et le plus souvent
victime de discriminations reste celui des Roms.
3.4.1. Que nous disent
les immigrés?
59. Selon les statistiques citées par l’OCDE
, la discrimination ethnique
perçue est la plus forte en Grèce, où 26 % des immigrés ressentent
une discrimination. Cependant, la discrimination perçue est supérieure
à la moyenne de l’OCDE (qui est de 14 %) dans tous les pays d’Europe
du sud. A l’inverse, elle est relativement faible dans des pays
comme la Belgique, la Norvège, la Suisse et le Luxembourg. La discrimination
est toutefois beaucoup plus fortement ressentie par les personnes
venant de pays à faibles revenus que par celles qui viennent de
pays à hauts revenus. Par ailleurs, il ressort également des statistiques
que les personnes qui ont été naturalisées sont moins susceptibles
de ressentir la discrimination. Ce qui est surprenant, et inquiétant, c’est
que les enfants d’immigrés ont, en moyenne dans tous les pays de
l’OCDE, davantage l’impression d’avoir été victimes de discrimination
que leurs parents, alors qu’ils devraient être mieux intégrés, parler
la langue locale et comprendre la société locale.
60. Les musulmans ressentent particulièrement la discrimination.
Selon un rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union
européenne, un musulman sur trois a déclaré avoir été victime de
discrimination et 11 % ont affirmé avoir été victimes d’une infraction
à caractère raciste (agression, menace ou harcèlement grave) au
moins une fois au cours des douze derniers mois
.
3.4.2. Préoccupations
et mesures à prendre
61. Beaucoup d’efforts ont été faits en Europe pour lutter
contre la discrimination, le racisme et l’intolérance, notamment
sur le plan de la législation antidiscriminatoire, et grâce au travail
des institutions actives dans ce domaine. Les Etats membres de l’Union
européenne, en particulier, doivent respecter la législation européenne
en la matière, qui date de 2000
.
Cependant, il reste encore beaucoup à faire, comme indiqué dans
les rapports par pays qu’établit régulièrement la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et dans les conclusions
clés du MIPEX
.
62. En préparant ce rapport, j’ai pris connaissance d’un certain
nombre de problèmes auxquels j’estime qu’il convient de remédier
d’urgence si l’Europe entend mener à bien ses politiques d’intégration
en tant que processus à double sens.
63. Les médias ont un rôle important à jouer dans ce domaine,
mais, malheureusement, ils diabolisent trop souvent les immigrés
et leurs enfants en insistant outre mesure sur des «scandales» réels
ou supposés liés à des infractions ou à des abus du système de protection
sociale, et les présentent comme un danger et comme une charge pour
la société d’accueil. Or, les études et les données réelles montrent
que les immigrés ne représentent pas un poids pour les sociétés
qui les accueillent
. Par exemple, dans des circonstances similaires,
les immigrés ont moins tendance à recourir aux indemnités de chômage
que les nationaux
. Mais ce ne sont pas seulement les médias,
ce sont aussi les hommes et les femmes politiques qui, souvent, diabolisent
les immigrés pour leurs intérêts politiques à court terme, sachant
que ces derniers ne votent pas. C’est une question qui a déjà été
abordée par l’Assemblée dans sa Résolution 1889 (2012) sur l’image
des migrants et des réfugiés véhiculée pendant les campagnes électorales.
Les gouvernements font également montre d’un certain état d’esprit
vis-à-vis des immigrés. Ainsi, les questions relatives à l’intégration
sont souvent gérées au niveau des ministères de l’Intérieur, en
relation avec les questions de sécurité, plutôt qu’en relation avec
les affaires sociales ou autres
.
Il y a aussi sûrement des approches interministérielles !
64. La discrimination peut être fondée sur l’origine ethnique,
mais elle peut aussi être fondée sur la religion. Depuis les attentats
terroristes de septembre 2011, une nouvelle dimension de la sécurité
s’est développée, entraînant des réactions de rejet à l’égard de
l’islam. Cela a eu un impact sur l’intégration, notamment sur les perceptions
des musulmans.
65. Il existe des études inquiétantes qui montrent à quel point
les attitudes sont négatives à l’égard des musulmans. Selon l’une
d’elles, le pourcentage de personnes ayant une opinion «plutôt défavorable»
ou «très défavorable» des musulmans a augmenté, atteignant un niveau
parfois proche des 50 %
. Des études supplémentaires
sur l’intégration des musulmans seraient toutefois nécessaires si
l’on veut mieux comprendre les problèmes d’intégration qu’ils rencontrent
.
La méconnaissance de l’islam et de ses racines culturelles conduit
à confondre celui-ci et des phénomènes d’endoctrinement pouvant
toucher toutes les religions (voir les travaux de l’Assemblée sur
le sujet).
66. Il existe assurément une peur de l’extrémisme islamique, non
seulement des complots terroristes, mais aussi des menaces de violence
et du rejet des valeurs occidentales. Cette peur, qui, à son tour,
favorise les préjugés et les stéréotypes, empêche l’ensemble des
communautés de vivre ensemble en paix, et doit être surmontée. L’Alliance
des civilisations des Nations Unies (UNAOC) a un rôle important
à jouer dans le dialogue interculturel et interreligieux et peut
aider à lutter contre cette peur et à apaiser les tensions entre
les différentes communautés religieuses
.
67. La religion et le dialogue interconfessionnel ont aussi un
rôle à jouer dans la lutte contre la discrimination et la promotion
de l’intégration. Les églises, les mosquées et les autres établissements
religieux peuvent aider les immigrés à trouver du travail (promotion
de l’intégration économique), à se familiariser avec la culture
du pays (contribution à l’intégration culturelle) et à nouer des
liens et des amitiés (faciliter l’intégration sociale).
68. La discrimination, qu’elle soit fondée sur la religion ou
l’origine ethnique, peut créer un terrain propice aux crimes de
haine qui ne sont pas simplement des actes violents ou des menaces
dirigées contre un individu mais peuvent viser la collectivité dans
son ensemble. L’échec des autorités à mener des enquêtes approfondies
sur ces actes et à traduire leurs auteurs en justice a, jusqu’à
présent, été l’une des principales causes de tensions avec les communautés
immigrées. Par exemple, dans le cas du meurtre de Stephen Lawrence
au Royaume-Uni il y a vingt ans, l’incapacité des autorités à mener
à bien l’enquête a fait prendre conscience qu’il existait un profond
racisme institutionnel au sein du système britannique. D’autres
pays ont connu des incidents similaires, mais qui n’ont pas toujours
donné lieu à un examen de conscience tel qu’engendré par l’affaire
Lawrence.
69. En Allemagne, entre 2000 et 2006, une série de meurtres de
commerçants a eu lieu, malencontreusement désignée par la presse
sous le nom de «döner-morde» (meurtres de vendeurs de döner kebabs);
huit personnes d’origine turque et une personne d’origine grecque
ont été tuées. La façon dont l’enquête a été menée par la police
a été vivement critiquée, notamment le refus de reconnaître la motivation raciste
des crimes, le traitement des familles des victimes comme suspectes
et le manque de clarté concernant les informations dont disposaient
les autorités sur les meurtriers. Il est important que les pays
tirent les leçons de ces événements tragiques et assument leurs
responsabilités, comme l’a fait le Royaume-Uni en reconnaissant
le «racisme institutionnel» après l’enquête Lawrence. Cependant,
ce qu’il faut retenir de ces exemples, c’est l’effet que le fait
de ne pas protéger les communautés immigrées contre de tels crimes
peut avoir sur les immigrés eux-mêmes. S’ils ne se sentent pas protégés,
s’ils pensent que la police ne donnera pas suite à un incident en
menant une enquête appropriée, comment peuvent-ils se sentir en
sécurité dans la société et être pleinement intégrés?
70. En conclusion, des études montrent que des personnes stigmatisées
risquent davantage de devenir hostiles et de s’opposer au reste
de la société. Nous devons donner un cadre à l’identité nationale,
qui ne provienne pas de l’Etat, mais qui émane plutôt de la réalité
de la nation. En cherchant à définir l’identité nationale, l’Etat
ne peut être objectif.
71. Le Conseil de l’Europe a été extrêmement actif dans le domaine
de la lutte contre la discrimination, en particulier via la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance, ses multiples Campagnes
de jeunesse, notamment la plus récente contre le discours de haine,
et les travaux du Commissaire aux droits de l’homme et du Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux. Ce travail doit être pleinement
soutenu par les Etats membres et mené plus avant.
3.5. Le regroupement
familial
72. Il a été dit que «le regroupement familial n’est
pas seulement une voie d’immigration pour les familles, c’est aussi
le point de départ d’une intégration». Il est difficile d’imaginer
comment une intégration pourrait être réussie sans le regroupement
familial, notamment lorsqu’il s’agit d’un époux et d’une épouse
ou de parents et d’enfants.
73. Les politiques gouvernementales en la matière ont fortement
changé au cours des dix dernières années et ont pour la plupart
restreint le droit au regroupement familial
. Une série de mesures et de restrictions
ont ainsi été adoptées: tests linguistiques et autres, limites d’âge
et conditions financières (droits, visas et conditions de ressources)
.
74. Deux exemples peuvent être donnés pour montrer leur impact.
En Belgique, la ministre de l’Immigration et de l’Asile a annoncé
que le pourcentage de demandes de regroupement familial acceptées
était passé de 71 % en avril 2011 à 35,5 % en avril 2012. Au Royaume-Uni,
la Commission consultative britannique sur les migrations (British Migration Advisory Committee)
s’attendait à un taux de refus de 45 % pour les demandes de regroupement
familial à la suite du durcissement des conditions exigées, en particulier
de l’augmentation du niveau de ressources requis.
75. L’étude MIPEX montre que les procédures de regroupement familial
sont devenues plus favorables dans cinq Etats membres de l’Union
européenne et moins favorables dans 11 d’entre eux. Ainsi, il apparaît que
les pays traditionnels d’immigration demandent aux immigrés de remplir
des conditions auxquelles beaucoup de leurs propres nationaux ne
pourraient pas satisfaire. Le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas
et le Royaume-Uni imposent aux immigrés un âge minimum du mariage
plus élevé que celui qu’ils exigent de leurs ressortissants. L’Autriche,
le Danemark et les Pays-Bas exigent des revenus plus élevés. L’Autriche,
le Danemark, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni
imposent davantage de tests aux conjoints se trouvant à l’étranger.
En revanche, la Belgique, le Portugal et la Suède ont fixé des conditions
de revenu et de logement identiques pour les immigrés et les nationaux.
3.5.1. Que nous disent
les immigrés?
76. Que les immigrés soient favorables au regroupement
familial ne devrait pas être une surprise. Dans l’étude sur la manière
dont les immigrés vivent l’expérience de l’intégration dans 15 villes
européennes, les demandeurs acceptés ont insisté sur les effets
positifs du regroupement familial. Presque toutes les personnes interrogées
considéraient qu’il facilitait la vie familiale et plus de 80 %
qu’il permettait aux immigrés de s’impliquer davantage. Dans environ
50 % des cas, il permettait aux immigrés de se sentir installés
et il avait aidé 30 % d’entre eux à obtenir un meilleur emploi.
77. Dans l’étude, les immigrés ont indiqué les principaux problèmes
qu’ils ont rencontrés pour être rejoints par leur famille. Environ
la moitié des familles ont eu des difficultés, notamment à obtenir
les documents nécessaires, à remplir toutes les différentes conditions
requises et à faire face au pouvoir discrétionnaire des autorités.
3.5.2. Préoccupations
et mesures à prendre
78. Tous les immigrés n’ont pas été affectés de la même
manière, ce qui s’explique en partie par la Directive de l’Union
européenne relative au regroupement familial. En effet, les ressortissants
des Etats membres de l’Union européenne se sont trouvés avantagés
par rapport aux ressortissants de pays tiers, visés par les restrictions
au regroupement familial prévues par la directive. De plus, ce ne
sont pas seulement les lois qui ont créé des obstacles, mais aussi
les pratiques, notamment les retards dans les temps de traitement,
l’attitude du personnel administratif et le contrôle des mariages
et des liens familiaux. S’il existe assurément des abus de la part
de certains candidats au regroupement, l’insistance des autorités
sur la nécessité de les débusquer non seulement envoie un message
malvenu à de nombreux immigrés, mais crée également le sentiment général
que l’on abuse du système et que les mariages sont arrangés, voire
forcés.
79. De plus, la multiplicité des conditions à respecter pèse lourdement
sur les candidats et a un effet discriminatoire sur les personnes
peu instruites ou cultivées, les personnes âgées, les femmes avec
des enfants et les personnes vivant dans des régions reculées qui
souhaitent rejoindre leur famille. Ce sont ces personnes qui ont
le plus de difficultés à étudier en vue des examens ou des tests,
à obtenir les documents nécessaires, à comprendre la procédure,
et à se rendre dans les lieux où les cours sont dispensés, où les
tests doivent être passés et où les documents doivent être déposés.
80. Le fait que le nombre croissant de restrictions au regroupement
familial entrave l’intégration des immigrés suscite de réelles inquiétudes.
Elles ont été résumées comme suit dans une étude récente
.
81. Cependant, nous pouvons conclure que les mesures restrictives
relatives à l'admission et au séjour des membres de la famille n'ont
pas favorisé l'intégration et dans de nombreux cas, peuvent l'avoir
entravée. Etre exclu signifie, de toute façon, que l’intégration
n’est pas encouragée. Tout retard dans la procédure fait que les membres
de la famille vivent séparément et, de ce fait, se concentrent sur
la procédure et non sur la société d’accueil. Les enfants sont très
affectés par ces retards, parce qu’au moins un parent leur manque
et que leur apprentissage linguistique et leur intégration sont
retardés. Ces conclusions vont à l’encontre de l’objectif d’intégration,
officiellement utilisé par les gouvernements pour imposer des règles
d’admission restrictives.
82. C’est peut-être dans le domaine du regroupement familial que
le conflit entre gestion de l’immigration et intégration se fait
le plus ressentir. A une époque où de nombreux gouvernements cherchent
à montrer à leur électorat qu’ils restreignent l’immigration, c’est
dans le domaine du regroupement familial qu’ils sont le plus susceptible
d’intervenir. Cependant, à mon avis, ces restrictions auront un
impact négatif sur les perspectives d’intégration des familles.
83. Une attention particulière doit être portée à un accompagnement
actif pendant plusieurs mois lors de l’arrivée des membres des familles
en vue de les aider dans leurs démarches, s’assurer de leur intégration
par l’apprentissage de la langue et la connaissance du pays, l’acquisition
de qualifications professionnelles et l’existence de relais et soutiens
dans les communautés de proximité.
4. Rôle et mandat
de l’Union européenne dans le domaine de l’intégration
84. La question de l’intégration relève de la compétence
des Etats membres, et l’Union européenne n’a donc pas de mandat
pour harmoniser la législation ou la pratique dans ce domaine.
85. Cela étant, l’Union européenne a développé des principes de
base communs et aide les Etats membres dans leurs efforts pour intégrer
les immigrés par diverses initiatives telles que le Fonds européen
d’intégration, le travail de plusieurs services de la Commission
et le Forum européen sur l’intégration, qui a, par exemple, récemment
publié une déclaration sur la participation des immigrés au processus
démocratique. En décembre 2009, le Conseil européen a invité la
Commission à identifier les bonnes pratiques européennes afin de
définir des critères de référence pour évaluer les résultats des
politiques d’intégration. L’année suivante, l’Union européenne a
élaboré une stratégie pour la croissance, Europe 2020, qui comprend
des «Lignes directrices intégrées». Ce document fixe une série de
grands objectifs communautaires concernant l’accès au marché du travail,
l’éducation et l’inclusion sociale.
86. Parmi les lignes directrices qui portent plus spécifiquement
sur les stratégies d’intégration, certaines insistent sur la nécessité
de «supprimer les obstacles à la mobilité professionnelle et géographique
des travailleurs» et d’ouvrir «l’enseignement supérieur aux apprenants
non traditionnels»
.
5. Conclusions
87. Le chemin vers l’intégration est long et complexe.
Il est donc important de tirer les leçons de l’expérience et de
ce qui a fonctionné dans les différents pays d’Europe et au-delà.
88. Tout au long du rapport, j’ai insisté sur le fait que l’intégration
était un processus à double sens. C’est quelque chose qui prend
du temps et qui s’opère sur plusieurs générations. L’intégration
exige que la population du pays d’accueil et les communautés immigrées
y travaillent ensemble. Une intégration réussie bénéficie à tous.
89. Selon moi, l’une des principales priorités est de créer un
espace physique commun où les immigrés et la société d’accueil peuvent
se rencontrer. Il importe également qu’il existe une tribune, qui
puisse servir de base au débat sur l’intégration. Le Conseil de
l’Europe a un rôle important à jouer à cet égard, compte tenu de son
expérience, de ses instruments et de ses différents organes de protection
des droits de l’homme. Enfin, les 17 principes directeurs énoncés
dans le rapport «Vivre ensemble» offrent une bonne base dont les décideurs
politiques, les leaders d’opinion et la société civile pourraient
tirer parti.
90. Si, pour mesurer la réussite de l’intégration, nous prenons
pour critère l’égalité de résultats des immigrés par rapport au
reste de la population, alors il nous reste un long chemin à parcourir.
Cependant, de nombreux immigrés et leurs familles se sont très bien
intégrés en Europe et les exemples de bonnes pratiques abondent. Nous
devons les mettre à profit
.
91. Si nous voulons progresser, il importe de consolider ce que
nous avons appris et regrouper les bonnes pratiques, les normes
et les recommandations, notamment celles établies par des institutions
internationales telles que le Conseil de l’Europe, l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
,
les Nations Unies et l’Union européenne et son Parlement
.
92. L’un des plus grands dangers du moment réside dans le fait
que les Etats, au lieu de prendre davantage de mesures en faveur
de l’intégration, en prennent moins, en raison du climat économique
et politique. C’est une erreur qui coûtera cher, non seulement pour
les immigrés et leur expérience de l’intégration, mais aussi pour
les sociétés d’accueil. C’est une erreur qui s’avérera également
coûteuse d’un point de vue économique. En effet, s’ils sont bien
intégrés, les immigrés ont beaucoup à apporter à la société sur
le plan économique.
93. Il paraît nécessaire aussi de renouer avec des politiques
globales qui assurent une meilleure redistribution de la richesse
en direction des populations ayant de faibles ressources (économiques,
culturelles et politiques) et «embarquant» avec elles l’ensemble
des populations immigrées, récentes ou moins récentes, et dont les
effets positifs pour tous seront à même de jouer favorablement pour
ceux ayant le plus de difficultés sans effet stigmatisant pour elles
et sans sentiment d’exclusion à rebours pour les autres.