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Rapport | Doc. 13531 | 09 juin 2014

L’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur les côtes italiennes

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Christopher CHOPE, Royaume-Uni, GDE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12557, Renvoi 4010 du 22 novembre 2013. 2014 - Troisième partie de session

Résumé

L’Europe doit faire face à des arrivées de plus en plus nombreuses de flux migratoires mixtes sur ses côtes méridionales et les difficultés à la frontière italienne ne sont pas près de s’atténuer.

Des efforts louables ont permis aux autorités italiennes et à leurs partenaires de répondre aux urgences, mais de nombreux problèmes d’ordre structurel subsistent dans la politique italienne de migration et des mesures s’imposent pour adapter le système aux besoins.

Il est temps pour l’Europe de prendre un tournant et d’apporter des réponses plus structurées et globales à ces problèmes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 3 juin 2014.

(open)
1. Les arrivées de plus en plus nombreuses de flux migratoires mixtes sur les rivages italiens ont exercé des pressions considérables sur la politique de migration de l’Europe en général, et de l’Italie en particulier, et Il demeure nécessaire de mettre au point des approches globales pour répondre aux nouvelles tendances en matière de protection internationale et de droits fondamentaux de nombreux enfants, femmes et hommes.
2. En 2013, 42 925 migrants irréguliers, dont environ 27 800 demandeurs d’asile, sont arrivés en Italie par la Méditerranée. Des centaines d’autres ont péri en mer. Pour l’année 2014, au 12 mai, ils étaient déjà 36 627 à être arrivés dans le pays.
3. Le 3 octobre 2013, la disparition sans précédent de 368 migrants à l’occasion d’un seul naufrage près des côtes de Lampedusa a provoqué une onde de choc mondiale et marqué un tournant décisif.
4. L’Assemblée parlementaire salue l’intensification des efforts des autorités italiennes pour faire face aux situations d’urgence, notamment par le biais de l’opération Mare Nostrum. Cependant, des problèmes structurels continuent de peser sur les mesures à prendre au plus vite pour adapter les systèmes italien et européen aux besoins. D’une part, des capacités d’accueil adéquates, l’identification conforme des personnes et le contrôle ultérieur de leurs déplacements ainsi qu’un traitement rapide et transparent des flux migratoires mixtes sont quelques-uns des impératifs auxquels les autorités italiennes doivent pleinement satisfaire. D’autre part, les autorités européennes doivent redéfinir leurs politiques et leurs réglementations relatives à l’immigration ainsi que les soutenir par des moyens financiers et opérationnels appropriés.
5. De nombreux migrants ne veulent pas rester en Italie puisqu’ils souhaitent rejoindre leur famille ou trouver de meilleures opportunités de travail dans d’autres pays européens. Cela engendre des déplacements irréguliers vers d’autres parties de l’Europe, qui sapent la confiance dans l’ordre juridique européen et souligne la nécessité de réviser le règlement de Dublin et sa mise en œuvre.
6. L’Assemblée rappelle sa Résolution 1820 (2011) «Demandeurs d’asile et réfugiés: pour un partage des responsabilités en Europe» et recommande à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et à l’Union européenne de faire preuve d’une plus grande solidarité avec l’Italie et les autres pays européens actuellement les plus exposés à des arrivées de migrants des pays du sud de la Méditerranée. En retour, l’Italie et les autres pays européens en première ligne doivent donner à leurs partenaires européens l’assurance qu’ils prendront toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes entrées sur leur territoire par des voies irrégulières ne poursuivent pas leur voyage vers d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette résolution appelle également l’Union européenne à «modifier le système Dublin, (…) en vue d’assurer à la fois un traitement équitable et des garanties suffisantes aux demandeurs d’asile et aux bénéficiaires de la protection internationale, mais aussi d’aider les Etats membres à faire face à d’éventuelles situations de tension exceptionnelle».
7. C’est pourquoi l’Assemblée appelle les autorités italiennes à mettre en œuvre un train complet de mesures pour traiter les arrivées de flux migratoires mixtes en Italie, notamment:
7.1. concernant la gestion des arrivées de flux migratoires mixtes:
7.1.1. à poursuivre ses opérations de recherche et de sauvetage, en étroite coopération avec les opérations des autres Etats membres et les opérations conjointes de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex);
7.1.2. à intensifier ses efforts pour arrêter les trafiquants et les passeurs et à veiller à ce que les personnes arrêtées soient traduites en justice; les coupables doivent faire l’objet de sanctions dissuasives et largement médiatisées;
7.1.3. à mettre en place un système fiable, équitable et transparent pour identifier les migrants immédiatement après leur arrivée sur les côtes et déterminer rapidement ceux qui sont habilités à bénéficier de l’asile et d’une protection internationale, afin de protéger les véritables réfugiés et demandeurs d’asile;
7.1.4. à garantir le respect des principes et des dispositions du règlement de Dublin, s’agissant des responsabilités qui incombent au premier pays d’accueil;
7.2. concernant les capacités d’accueil et de rétention:
7.2.1. à garantir des conditions de réception et une assistance médicale adéquates et conformes aux normes des droits de l’homme et humanitaires pertinentes;
7.2.2. à mettre en place un organe de contrôle indépendant chargé de vérifier la conformité avec les normes internationales des conditions et normes en vigueur dans les installations d’accueil et de rétention;
7.2.3. à réduire la période maximale de 18 mois durant laquelle des ressortissants étrangers sans titre de séjour peuvent être placés en détention;
7.2.4. à intensifier les échanges de bonnes pratiques en matière de gouvernance et à assurer des formations pour le personnel opérant dans le domaine des migrations;
7.2.5. à faciliter l’accès des organisations internationales et non gouvernementales aux centres;
7.2.6. à informer de manière adéquate les migrants en situation irrégulière, les demandeurs d’asile et les réfugiés de leurs droits et obligations.
8. L’Assemblée se félicite de l’annonce par les autorités italiennes de la priorité accordée au développement d’une réponse européenne commune aux arrivées de flux migratoires mixtes sur les rivages d’Europe méridionale au cours de la prochaine Présidence italienne du Conseil de l’Union européenne (juillet-décembre 2014), et appelle à des solutions concrètes.
9. L'Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
9.1. à apporter une assistance financière et opérationnelle à l’opération Mare Nostrum afin d’en assurer le succès durable;
9.2. à promouvoir des modifications dans les règlements Eurodac, de façon à faciliter l’identification des migrants et des demandeurs d’asile grâce à des tests ADN en complément des empreintes digitales;
9.3. à mettre en œuvre des mesures pour renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières;
9.4. à répondre positivement à la suggestion du ministre italien de l’Intérieur et d’autres d’installer des camps dans les pays d’Afrique du Nord afin de traiter les demandes d’asile et de protection internationale, dans le but d’intercepter les migrants avant qu’ils ne prennent la mer; une réflexion devrait être menée sur la possibilité d’établir des centres auxquels le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés aurait accès afin de protéger les droits de l’homme;
9.5. à prendre des mesures pour identifier, arrêter et traduire en justice les trafiquants;
9.6. à répondre positivement à l’appel des garde-côtes libyens pour un soutien financier et autre de l’Union européenne afin de renforcer les moyens des garde-côtes.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté par la commission le 3 juin 2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution ... (2014) sur l’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur les côtes italiennes.
2. Elle considère que le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer en aidant l’Italie et les autres Etats membres à relever les défis en matière de droits de l’homme posés par les flux migratoires mixtes qui traversent la Méditerranée, y compris le respect du principe de non-refoulement, ainsi qu’elle l’a souligné tout récemment dans sa Recommandation 2010 (2013) «Migrations et asile: montée des tensions en Méditerranée orientale».
3. Les récentes tragédies près des côtes de Lampedusa, en particulier la disparition en mer, en octobre 2013, de plus de 350 personnes alors que la côte était en vue et d’autres incidents en avril-mai 2014, ont mis en lumière la nécessité urgente de redoubler d’efforts pour empêcher ces tragédies humanitaires.
4. L’Assemblée recommande de ce fait au Comité des Ministres de recourir à l’expertise du Conseil de l’Europe pour aider à relever les défis posés aux droits de l’homme par ces flux migratoires mixtes. A cet égard, elle recommande au Comité des Ministres en particulier:
4.1. de lancer une réflexion sur le meilleur moyen de définir un nouveau crime international, assimilé ou non à un crime contre l’humanité, lorsqu’un individu perçoit un avantage financier direct ou indirect pour transporter des personnes dans une embarcation dangereuse et susceptible de mettre des vies en danger ou d’exposer des personnes au risque d’être blessé ou de mourir en mer;
4.2. d’ouvrir des négociations pour garantir que les migrants interceptés dans les eaux territoriales d’un pays non membre de l’Union européenne puissent être renvoyés automatiquement dans ce pays;
4.3. d’encourager les autorités des pays concernés à ouvrir des négociations sur les modalités et les conditions de retour vers les pays d’embarquement des migrants interceptés dans les eaux internationales;
4.4. d’accorder au cours de l’année prochaine une priorité absolue à la recherche de solutions aux problèmes soulevés par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie (arrêt du 23 février 2011, Requête n° 27765/09) et en assurer la compatibilité avec le principe établi selon lequel chaque Etat membre du Conseil de l’Europe est habilité à exercer le contrôle sur ses propres frontières et à accorder l’asile ou une forme moindre de protection internationale à ceux qui répondent aux conditions requises;
4.5. d’étudier la nécessité d’une révision approfondie du règlement de Dublin et de sa mise en œuvre.

C. Exposé des motifs, par M. Chope, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’arrivée croissante de flux migratoires mixtes sur les rivages du sud de l’Europe retient l’attention de l’Assemblée parlementaire depuis plus d’une décennie 
			(3) 
			Voir, en particulier,
la Résolution 1872 (2012) «Vies perdues en Méditerranée: qui est responsable?»,
la Résolution 1821 (2011) sur l’interception et le sauvetage en mer de demandeurs
d’asile, de réfugiés et de migrants en situation irrégulière, la Résolution 1637 (2008) «Les “boat people” de l’Europe : arrivée par mer en
Europe du Sud de flux migratoires mixtes», et la Résolution 1521 (2006) sur l’arrivée massive de migrants irréguliers sur les
rivages de l’Europe du Sud.. L’Assemblée a notamment tenu un débat d’urgence en avril 2011 et adopté la Résolution 1805 (2011) sur l’arrivée massive de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du sud de l’Europe.
2. Le nombre croissant de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés prêts à risquer leur vie pour traverser la Méditerranée sur des canots gonflables en dépit des conditions hivernales et des flots agités est un phénomène extrêmement alarmant. Les récents événements ont prouvé que cette tendance et la pression sur les frontières des Etats membres ne diminueront pas et qu’elles prennent au contraire une dimension encore plus inquiétante.
3. Le présent rapport traite plus particulièrement des défis spécifiques auxquels est confrontée l’Italie. Le naufrage le plus tragique a eu lieu le 3 octobre 2013 près des côtes de l’île italienne de Lampedusa, le territoire le plus méridional de l’Europe. Trois cent soixante-six personnes ont disparu dans les flots et 155 ont pu être sauvées, dont 40 mineurs. Ce drame a été suivi quelques jours plus tard, le 11 octobre 2013, par un autre naufrage au cours duquel au moins 38 personnes ont perdu la vie 
			(4) 
			Depuis 1988, au moins
19 524 demandeurs d’asile, réfugiés et migrants en situation irrégulière
se sont noyés ou ont disparus en tentant de traverser la Méditerranée,
dont 2 352 en 2011, au moins 590 en 2012 et 801 en 2013. Voir Fortress Europe,
blog de Gabriele Del Grande, collectant des données dans la presse
internationale. Voir également la Résolution 1872 (2012) «Vies perdues en Méditerranée: qui est responsable?»,
(rapport Doc. 12895) et l’incident dit du «bateau cercueil», l’un des échecs
les plus connus des opérations de sauvetage.. Ces événements ont provoqué une véritable onde de choc au plan mondial.
4. Je m’étais déjà rendu à Lampedusa avec les membres d’une sous-commission ad hoc de l’Assemblée les 23 et 24 mai 2011, au moment du pic des arrivées 
			(5) 
			Sous-commission
ad hoc sur l’arrivée massive de migrants en situation irrégulière,
de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du sud de l’Europe,
rapport sur la visite à Lampedusa (Italie), 23-24 mai 2011, document <a href='http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2011/fmahlarg03_REV2_2011.pdf'>AS/Mig/AHLARG
(2011) 03 REV 2</a>.. Je me suis également rendu à Rome et en Sicile du 9 au 11 octobre 2012. Au lendemain de la tragédie d’octobre 2013, la délégation parlementaire italienne auprès du Conseil de l’Europe avait souhaité que je constate dans la pratique les politiques de migration révisées adoptées subséquemment par l’Italie. Je remercie vivement M. Sandro Gozi, ancien président de la délégation italienne, ainsi que ses collègues, pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans l’organisation de cette visite hautement productive et informative entre le 9 et le 13 février 2014, à Rome, Lampedusa et en Sicile. Je tiens à remercier également les autorités italiennes et tous mes interlocuteurs pour les informations qu’ils m’ont fournies au cours de ces visites.
5. Il convient de reconnaître les efforts louables entrepris par l’Italie au cours des dernières années mais aussi récemment afin de sauver des vies humaines en mer. En dépit de quelques succès, les réponses italiennes à l’urgence se sont cependant avérées insuffisantes pour répondre à long terme aux besoins en matière d’accueil et de protection. Quelques jours après ma visite en février 2014, l’Italie s’est dotée d’un nouveau Premier ministre et d’un nouveau gouvernement qui s’est engagé, je le crois, à effectuer des réformes. C’est maintenant, plus que jamais, qu’il convient d’encourager l’Italie à planifier et à adopter une approche structurée en matière de migrations.

2. Arrivées sur les côtes italiennes et réaction de type «situation d’urgence» de l’Italie

6. La situation géographique de l’Italie favorise l’arrivée de flux mixtes de migrants irréguliers, de demandeurs d’asile et de réfugiés. La gravité, la complexité et l’ampleur des problèmes soulevés par ces arrivées en Italie ont atteint désormais des proportions de crise. Il s’agit d’une situation d’urgence qui nécessite une réponse d’urgence en plus de changements politiques à plus long terme.

2.1. Les faits: les arrivées mixtes en Italie prennent une nouvelle dimension

7. En 2011, 62 692 non-ressortissants au total ont réussi à traverser la Méditerranée, principalement depuis la Tunisie et la Libye à la suite des conflits armés affectant les pays du sud de la Méditerranée, et sont arrivés sur le littoral italien. En 2012, quelque 12 000 personnes sont arrivées en Italie par bateau. En 2013, 42 925 migrants ont accostés en Italie, dont 8 336 mineurs et 5 477 femmes. Au cours du second semestre de l’année, 34 000 personnes ont atteint les côtes italiennes. A mi-février 2014, l’Italie a enregistré un pic inhabituel, avec un nombre d’arrivants dix fois plus élevé qu’au début de l’année 2013 
			(6) 
			Statistiques fournies
par le Département des libertés civiles et de l’immigration du ministère
de l’Intérieur.. Cette augmentation s’est poursuivie sans faiblir en 2014 et s’est même accélérée pour atteindre des sommets sans précédent. Selon le ministère de l’Intérieur, au 12 mai, 36 627 migrants étaient déjà arrivés sur la côte méridionale de l’Italie.
8. Juste avant ma venue en Italie, le 5 février 2014, les autorités italiennes ont secouru plus de 1 100 migrants dérivant sur huit canots gonflables. A nouveau, entre le 19 et le 21 mars 2014, 4 457 migrants et demandeurs d’asile, un nombre sans précédent, sont parvenus sains et saufs en Sicile grâce aux secours italiens. De telles opérations de sauvetage de grande envergure sont encore en cours.
9. Parmi les arrivants, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), les populations les plus nombreuses sont originaires de Syrie (11 307), d’Erythrée (9 834), de Somalie (3 263), d’Egypte (2 728), du Nigeria (2 680), de Gambie (2 619), du Pakistan (1 753), du Mali (1 674), du Sénégal (1 314), ou de Palestine (1 075). Ils partent principalement de la Libye.

2.2. La réponse de l’Italie aux arrivées: de «l’état d’urgence Afrique du Nord» à l’opération Mare Nostrum

10. En 2011, l’Italie a été confrontée à de graves difficultés pour faire face à l’augmentation des arrivées. Dès l’arrivée des premiers bateaux sur les côtes italiennes, le 12 février 2011, le gouvernement a pris un décret pour déclarer l’état d’urgence humanitaire. Dans ce cadre, le gouvernement a adopté des mesures d’urgence, recourant à des crédits extraordinaires et coopérant avec l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex), pour faire face aux arrivées massives. Cette situation, appelée «état d’urgence Afrique du Nord», s’est prolongée jusqu’au 31 décembre 2012.
11. Selon le HCR, une stratégie de désengagement progressif du plan d’accueil d’urgence n’a été mise en place qu’en septembre 2012, avec l’octroi aux demandeurs d’asile déboutés, quelle que soit la durée de leur présence continue dans le système d’accueil d’urgence, d’un permis de résidence d’un an pour raison humanitaire, assorti d’un examen par des commissions territoriales.
12. En réponse aux tragédies d’octobre, le gouvernement italien a lancé le 18 octobre 2013 Mare Nostrum, une patrouille navale de recherche et de sauvetage appuyée par un dispositif aérien, qui opère en Méditerranée entre l’Italie et l’Afrique du Nord 
			(7) 
			L’opération
Mare Nostrum est forte de 782 personnes de la Marine italienne,
de cinq bateaux et de quatre hélicoptères patrouillant dans les
zones territoriales italiennes avec l’appui des carabiniers, des
garde-côtes, de la police et d’unités de l’armée de l’air. .
13. Sa mission déclarée est de veiller à ce que plus aucun migrant ne se noie en Méditerranée, et pour l’heure elle a été couronnée de succès. L’énorme succès humanitaire de Mare Nostrum ne doit pas être terni par les nouveaux rapports faisant état de naufrages d’embarcations et de pertes de vies humaines en avril et mai 2014 
			(8) 
			Le
30 avril, une quarantaine de Somaliens se sont noyés. Le 2 mai,
80 personnes ont été sauvées alors que leur embarcation faisait
naufrage, mais quatre se sont noyées. Le 6 mai, 36 migrants sont
morts et 42 ont été portés disparus après le naufrage, à l’est de
Tripoli, d’un bateau transportant 130 ressortissants du Burkina
Faso, du Cameroun, de Gambie, du Mali et du Sénégal. Ces tragédies
se sont déroulées dans les eaux territoriales de la Libye et concernent
des personnes entassées dans des embarcations surchargées ou hors
d’état de naviguer, tentant de quitter les eaux territoriales dans
le but spécifique d’être secourues et transportées en Europe sous
l’égide de l’opération Mare Nostrum. Voir The Guardian, «Dozens dead as migrant
boat sinks off coast of Libya», 11 mai 2014. Voir aussi Amnesty International,
«Les dirigeants de l’Union européenne doivent agir de toute urgence
pour que le nombre de morts en Méditerranée cesse de croître», Déclaration
publique, Bruxelles, 13 mai 2014..
14. En 2013, au total, 281 bateaux transportant 30 682 personnes ont été secourus par des moyens militaires italiens, principalement dans la région de recherche et de sauvetage (RRS) italienne, mais aussi dans les RRS libyenne (66 bateaux) et maltaise (79 bateaux) 
			(9) 
			Données du Centre de
coordination de sauvetage maritime de Rome, quartier général des
garde-côtes italiens, ministère de l’Infrastructure et des Transports,
février 2014..
15. Depuis octobre 2013, le contrôle aux frontières de la plupart des migrants se fait en mer, avant leur transfert vers des centres en Sicile. Le centre d’accueil de Lampedusa, où les survivants de la tragédie d’octobre ont été hébergés jusqu’après Noël, est devenu sans objet.

2.3. Les contrecoups de l’opération Mare Nostrum

16. Sans conteste, l’opération italienne Mare Nostrum permet de sauver des milliers de vies. Entre octobre 2013 et mi-mai 2014, cette opération a secouru près de 27 790 migrants, dont 3 034 mineurs. Elle a également permis l’arrestation d’individus impliqués dans le trafic d’êtres humains (207 auraient été condamnés mi-mai) 
			(10) 
			ANSA, «Immigrant row
erupts as 1 000 land», 7 mai 2014. . Des sanctions dissuasives et largement médiatisées prononcées à l’encontre des coupables devraient suivre.
17. Ironie du sort, Mare Nostrum semble aussi avoir contribué à l’intensification de l’afflux de migrants qui quittent l’Afrique du Nord par la mer pour se rendre en Italie. Leur nombre, qui a été dix fois plus élevé en janvier 2014 qu’en janvier 2013, serait lié au fait que les candidats au départ sont aujourd’hui plus confiants de parvenir vivants à destination. La marine italienne m’a affirmé que des vaisseaux mères partent désormais d’Alexandrie, en Egypte, avec de très nombreux migrants à leur bord, et les font embarquer dans de petits canots pneumatiques juste avant les eaux territoriales italiennes, où ils sont pratiquement certains d’être sauvés par les garde-côtes italiens. Beaucoup d’embarcations de ces émigrants sont équipées d’un téléphone mobile où le numéro d’appel direct des garde-côtes italiens est préenregistré.
18. Le crime organisé est très impliqué dans les manœuvres visant à faciliter cette immigration, dont le volume a fortement augmenté. Transporter et faciliter les déplacements des migrants en Europe est une activité criminelle internationale hautement lucrative. Des personnes déplacées par le conflit syrien, la guerre civile en Erythrée et les problèmes politiques au Soudan, auxquelles s’ajoutent des gens originaires d’autres régions d’Afrique et désireux de chercher une vie meilleure en Europe, parviennent ainsi à franchir la Méditerranée en payant de $ 1 500 à 5 000 par personne, le dollar étant la devise préférée des passeurs. Il est donc permis d’estimer que les passagers de l’embarcation qui a sombré au large de Lampedusa en octobre 2013 ont rapporté bien plus d’un million de dollars aux passeurs. Les Etats doivent prendre conscience qu’ils sont confrontés à des activités criminelles générant bien plus de $ 100 millions par an.
19. Autre phénomène dont l’Assemblée devrait s’inquiéter: il y aurait 800 000 personnes près des côtes libyennes qui attendent pour rejoindre l’Europe 
			(11) 
			The New York Times, «Europe’s migration
Emergency», Comité de rédaction, 18 mai 2014.. Bon nombre d’entre elles ont un niveau d’éducation raisonnablement élevé et des moyens suffisants pour acheter un accès privilégié à l’Europe en passant par la Méditerranée. De tels flux de migrants irréguliers n’étaient pas possibles quand la Libye avait un gouvernement efficace. Le pays est aujourd’hui aux mains d’une troupe disparate de seigneurs de guerre et de milices, qui cherchent uniquement à exploiter ceux qui veulent partir pour l’Europe. Le travail forcé et l’exploitation sexuelle sont monnaie courante, et quand les autorités libyennes interceptent des embarcations qui quittent la Libye, les passagers qui ont payé leur traversée se retrouvent enfermés dans des camps dont ils ne peuvent sortir sans l’aide financière de leurs proches. Comme les perspectives de stabilité politique en Libye sont inexistantes, du moins dans un avenir proche, le trafic d’êtres humains continuera inévitablement d’être florissant.
20. Il reste à vérifier si l’accord signé le 3 avril 2012 par les ministres de l’Intérieur italien et libyen, en vertu duquel l’Italie confirme son soutien au renforcement des capacités normatives et institutionnelles de la Libye pour assurer le contrôle des frontières et la sauvegarde des droits de l’homme des ressortissants de pays tiers, aura un impact durable sur cette situation chaotique. J’ai appris de l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Mme Emma Bonino, que l’Italie s’est engagée à fournir à la Libye des moyens et des équipements techniques, en l’occurrence des drones, pour améliorer la surveillance de ses frontières et qu’elle a invité la Libye à signer la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

3. La politique italienne face aux arrivées mixtes: entre combat résolu et laissez-faire

21. Les mesures de contrôle des frontières et de lutte contre l’immigration irrégulière font partie des prérogatives légitimes de l’Etat. Elles sont un aspect essentiel du système de gestion efficace des migrations. Ces mesures doivent cependant être appliquées dans le plein respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme et aux réfugiés et, en particulier, du principe de non‑refoulement.

3.1. Les efforts de l’Italie pour limiter la politique de renvoi et dépénaliser les migrations irrégulières

22. Depuis plusieurs années, l’Italie était critiquée parce qu’elle luttait contre les migrations irrégulières à ses frontières en pratiquant une politique de renvoi et en érigeant ces migrations en infraction pénale, en violation du droit international relatif aux droits de l’homme et aux réfugiés.
23. L’Italie a fini par être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses pratiques visant à intercepter les bateaux de migrants en haute mer et à les renvoyer en Libye 
			(12) 
			Arrêt du 23 février
2011 [Grande chambre] dans l’affaire Hirsi
Jamaa et autres c. Italie, Requête n° 27765/09.. Depuis cet arrêt de la Cour, le Gouvernement italien a fait savoir qu’il n’avait plus entrepris d’opérations de renvoi, celles-ci ayant pris fin à la signature de la convention susmentionnée, en avril 2012. Cela étant, il reste au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, chargé de superviser l’exécution de l’arrêt, à examiner un plan d’action italien concret, global et consolidé.
24. D’autre part, les incidents inquiétants du Salamis et de l’Adakent d’août 2013, décrits dans le rapport «Le “bateau cercueil”™: actions et réactions» de la rapporteure Tineke Strik (Doc. 13532) ont à nouveau placé les renvois sous le feu des projecteurs. Cette question exige une attention toute particulière et des garanties.
25. Par ailleurs, la pénalisation des migrations était également considérée comme un moyen de dissuader les migrations irrégulières 
			(13) 
			En mars 2011, le procureur
général d’Agrigente en Sicile a engagé des poursuites pénales pour
«immigration illégale» contre près de 6 000 Tunisiens arrivés sur
l’île après la mi-janvier 2011.. Des pêcheurs ont aussi été poursuivis pour avoir fait passer des migrants irréguliers en Italie. Cependant, devant le nombre croissant d’arrivées, il est apparu que des sanctions pénales ne pourraient à elles seules constituer une réponse adéquate au problème. Le 21 janvier 2014, le Sénat italien a voté l’abrogation de l’ancienne législation qui avait érigé les migrations irrégulières en infractions pénales. Il reste à la chambre basse du parlement à se prononcer sur la modification pour que celle-ci entre en vigueur.

3.2. Politique italienne de retour

26. Selon le ministère italien de l’Intérieur, 28 000 ordonnances d’expulsion ont été promulguées en Italie en 2013, dont 7 000 ont mené à des reconduites à la frontière 
			(14) 
			Sur la base des accords
de retour, 2 076 vols charter, 1 029 vols réguliers et 100 vols
cofinancés par Frontex ont été organisés pour procéder à des expulsions.. La capacité à exécuter effectivement les expulsions dépend en grande partie de la coopération des pays d’origine, qui s’est parfois avérée difficile.
27. Depuis le début des arrivées migratoires de 2011, l’Italie a signé des accords avec les nouveaux gouvernements d’Afrique du Nord 
			(15) 
			Le 5 avril
2011, l’Italie a conclu avec la Tunisie un accord en vertu duquel
l’Italie a accordé un permis de résidence temporaire de six mois
à la plupart des migrants tunisiens arrivés en Italie entre le 1er janvier
et le 6 avril 2011 en échange d’un renforcement par la Tunisie des
contrôles aux frontières dans le but de prévenir les départs. En
conséquence, les départs irréguliers depuis la Tunisie ont sensiblement
diminué. Environ 18 000 permis humanitaires ont été délivrés par les
autorités italiennes. En octobre 2011, ils ont été étendus sur demande
à 5 000 Tunisiens puis l’ont été une nouvelle fois automatiquement,
en mai 2012.. Ces accords de coopération et de réadmission étaient axés sur le renforcement des contrôles aux frontières, la prévention des migrations irrégulières et la lutte contre la traite de personnes et le trafic illicite de migrants. Ils facilitaient également le retour et la réadmission des personnes ayant traversé la Méditerranée.
28. Ces récents accords de réadmission ont toutefois été critiqués au cours de ma visite par les organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales, car ils prévoient une procédure de retour simplifiée pour les nouveaux arrivants et permettent des rapatriements directs. Si un traitement rapide des migrants irréguliers est un moyen efficace pour éviter de longues périodes de détention, des procédures accélérées peuvent aussi s’apparenter à des refoulements collectifs sommaires 
			(16) 
			Sur
la base de ces accords, le dossier des nationaux venant de ces pays
est traité en général dans les 48 heures après leur arrivée, avec
l’aide des autorités consulaires. si elles ne sont pas menées conformément aux garanties procédurales établies dans la Directive Retour de l’Union européenne, la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et le Code frontières Schengen. Si les intéressés ne bénéficient pas d’un délai suffisant pour déposer une demande d’asile, ces procédures peuvent aussi être une source de préoccupations au regard du droit d’asile.
29. Par ailleurs, selon le HCR, l’accord d’avril 2012 signé avec la Libye n’inclut pas de garantie de protection spécifique pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. Dans la pratique, il convient d’assurer une mise en œuvre adéquate des clauses relatives aux droits de l’homme inscrites dans les accords bilatéraux. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté en mai 2005 les «Vingt principes directeurs sur le retour forcé», qui peuvent servir de référence à cet effet. Il a également invité les Etats membres méditerranéens qui accueillent des flux mixtes de migrants irréguliers, de réfugiés et de demandeurs d’asile à «promouvoir le recours aux programmes de retour volontaire assisté, avec le soutien de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)» 
			(17) 
			Résolution 1637 (2008) «Les boat people de l’Europe: arrivée par mer de flux
migratoires mixtes en Europe du Sud». Voir aussi la Résolution 1742 (2010) «Les programmes de retour volontaire: un moyen efficace,
humain et économe d’assurer le rapatriement des migrants en situation
irrégulière»..
30. Force est de reconnaître les efforts déployés par les autorités italiennes pour augmenter le nombre de retours volontaires. Les autorités soutiennent en particulier le réseau italien pour le retour volontaire assisté (RIRVA). Depuis 2009, 38 000 cas de retours volontaires ont été rapportés et depuis 2013 le programme a alloué à chaque bénéficiaire une somme de 2 100 euros, en plus de mesures de réinsertion sociale et professionnelle dans le pays d’origine 
			(18) 
			Conférence du RIRVA
(Rete Italiano per Ritorno Volontario Assistito – réseau italien
pour le retour volontaire assisté) sur le retour volontaire assisté,
la politique migratoire et le codéveloppement, Chambre des députés,
Rome, 9 avril 2014..

3.3. Politique de laissez-faire: les défauts de l’Italie à identifier adéquatement les arrivées mixtes

31. Lors de ma réunion avec l’ancienne ministre des Affaires étrangères à Rome, en février 2014, Mme Bonino m’a fait part de ses inquiétudes concernant la grave menace que les récents afflux de personnes en provenance d’Afrique du Nord constituent pour la sécurité internationale et européenne. Elle a la conviction que des agents dormant d’Al-Qaïda figurent au nombre de ceux faisant ce passage illégal vers l’Europe.
32. La menace pour la sécurité de l’Europe est d’autant plus grave que les autorités italiennes ne parviennent pas à identifier bon nombre des personnes qui arrivent dans le cadre de ces trafics. Si Mare Nostrum a fortement réduit le nombre de migrants entrant sans être détectés sur le territoire de l’Italie, les autorités se heurtent encore au fait que beaucoup d’immigrés refusent de révéler leur identité, voire même de laisser prendre leurs empreintes digitales.
33. J’ai longuement discuté de cet aspect avec les autorités italiennes, notamment préoccupé par le fait qu’aucun des survivants de la tragédie de Lampedusa n’avait laissé les autorités prendre ses empreintes digitales pendant son séjour dans le centre d’accueil. Après leur transfert sur le continent italien, juste après Noël, ils ont été hébergés dans des centres d’accueil ouverts dont ils ont, pour la plupart, disparu sans laisser de traces de leur identité. Cela signifie qu’ils peuvent circuler librement et sans contrôle à l’intérieur de la zone Schengen et demander l’asile dans le pays de leur choix, sans rien qui révèle leur séjour en Italie.
34. La vulnérabilité à l’exploitation que ce défaut d’identification facilite reste très inquiétante, tout comme le fait qu’un si grand nombre de personnes entrent en Europe sans autorisation et sans que les autorités européennes ne conservent la moindre trace de leur présence, ni d’informations sur leur identité. Le sort éventuel des mineurs de plus de 14 ans exposés à l’exploitation par leur refus de se laisser identifier devrait aussi être un grave sujet de préoccupation pour l’Assemblée.
35. La législation de l’Union européenne exige clairement que les Etats membres de l’Union et les autres pays qui ont signé le règlement de Dublin, c’est-à-dire l’Islande, la Norvège et la Suisse, se conforment au système Eurodac 
			(19) 
			Les règlements pertinents
de décembre 2000 (nos 2725/2000 et 407/2002)
définissent les règles dites «Eurodac». . Le Chapitre III du règlement de 2000 traite des «étrangers appréhendés à l’occasion du franchissement irrégulier d’une frontière extérieure». L’article 8 exige que «chaque Etat membre, dans le respect des dispositions de sauvegarde établies dans la Convention européenne des droits de l'homme et de la Convention des Nations unies relatives aux droits de l'enfant, relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque étranger, âgé de 14 ans au moins, qui, à l'occasion du franchissement irrégulier de sa frontière terrestre, maritime ou aérienne en provenance d'un pays tiers, a été appréhendé par les autorités de contrôle compétentes et qui n'a pas été refoulé.» L’article exige ensuite que l’Etat membre concerné transmette «sans tarder à l’unité centrale (…) les données relatives à tout étranger, y compris le lieu et la date de l’interpellation, ses empreintes digitales et la date à laquelle les données ont été transmises à l’unité centrale».
36. Le fait pour les migrants, notamment ceux en provenance d’Erythrée, de savoir qu’ils peuvent faire étape en Italie sans être identifiés n’a fait que renforcer le pouvoir d’attraction de l’Italie comme destination.
37. J’ai interrogé les autorités italiennes sur leur non-respect de la législation communautaire mise en place pour protéger les frontières de l’Union européenne. Elles m’ont répondu qu’en droit italien, elles n’ont pas la possibilité de prendre les empreintes digitales d’une personne sans son consentement. Cela me paraît surprenant, surtout s’agissant de personnes qui, de prime abord, sont entrées de façon illicite sur le territoire italien. Par ailleurs, dans la pratique, le défaut d’identification rapide des étrangers appréhendés à l’occasion du franchissement irrégulier d’une frontière extérieure et leur placement en détention, souvent pendant plusieurs mois, revient à leur appliquer une double peine, puisqu’ils sont de toute manière transférés ensuite dans un centre d’identification et d’expulsion (CIE). Lorsque je me suis rendu au CIE Contrada Milo (Trapani), la moitié des 156 personnes qui s’y trouvaient venait directement de prison.

3.4. L’obligation faite aux demandeurs d’asile de coopérer

38. Je trouve également curieux que les personnes fuyant les conflits de Syrie ou de diverses régions d’Afrique refusent de coopérer avec les autorités italiennes alors même qu’elles cherchent à se mettre à l’abri de leurs persécuteurs. La législation britannique insiste sur l’importance du principe de l’équité, dont un élément essentiel est qu’une personne qui sollicite la protection de la loi est dans l’obligation de coopérer. Il semblerait que les immigrés originaires de Syrie et d’Erythrée ne souhaitent pas demander l’asile en Italie, préférant la Suède, la Suisse ou l’Allemagne, par exemple, pays où ils peuvent retrouver des proches et bénéficier de meilleures conditions d’accueil et perspectives d’intégration. Mais c’est justement pour éviter que les gens «fassent leur marché» que le règlement de Dublin a été mis en place. Le regroupement avec la famille ou la diaspora doit se faire en toute transparence et de manière légale.
39. Comme beaucoup de migrants qui parviennent au final en Italie ne souhaitent pas rester dans le pays et préfèrent pratiquer une recherche opportuniste de juridiction, un aspect de la solution pourrait être pour l’Italie, en tant que mesure d’urgence, d’empêcher l’accès au reste de l’espace Schengen. Les candidats migrants sauraient ainsi qu’ils ne pourront plus se rendre au-delà de l’Italie et y réfléchiraient à deux fois avant d’entreprendre leur périple.
40. Le journal The Guardian rapporte, dans son édition du 22 mars 2014, l’histoire poignante de Fanus, une demandeuse d'asile qui a survécu à la tragédie de Lampedusa 
			(20) 
			«Lampedusa boat tragedy:
a survivor’s story».. Il explique qu’elle ne voulait pas prendre son nouveau départ dans la vie en Italie en raison du taux de chômage élevé, de la sécurité sociale peu favorable, et des maigres possibilités d’éducation et de formation pour les réfugiés. Pour éviter d’être enregistrée comme demandeuse d’asile en Italie, elle a essayé de défigurer le bout de ses doigts en les brûlant sur du plastique en ébullition. Elle est ensuite partie d’un centre d’accueil en Sicile pour un centre contrôlé par des passeurs, à Rome, qui lui ont demandé $ 850 pour un faux passeport et un billet d’avion pour Stockholm. Elle a choisi de se rendre en train à Milan, puis en avion à Stockholm via Barcelone. Arrivée à Stockholm, elle a demandé l’asile. L’article du Guardian confirme que sur les 155 survivants de la catastrophe de Lampedusa, qui étaient originaires d’Erythrée, tous sauf deux ont aujourd’hui quitté l’Italie pour d’autres pays d’Europe.
41. L‘article du Guardian vient confirmer d’autres histoires que j’ai entendues au cours de ma mission, qui remettent directement en cause les déclarations des autorités italiennes qui prétendaient avoir plus ou moins résolu le problème du défaut d’identification des immigrés. Une des possibilités pour surmonter tout problème d’empreintes digitales serait d’autoriser le prélèvement de données ADN, ce qui peut être réalisé de manière moins intrusive. Malheureusement, cette possibilité est aujourd’hui spécifiquement exclue par le règlement Eurodac, et même par le règlement actualisé qui entrera en vigueur en 2015. Il s’agit d’une lacune juridique qui peut, et devrait, être comblée sans attendre.
42. Au cours de ma mission, j’ai été interviewé par des journalistes de la télévision suédoise qui m’ont fait part des inquiétudes, à Stockholm, autour du très grand nombre de demandeurs d'asile qui semblent avoir transité par l’Italie sans y avoir été enregistrés. Sur les 42 925 personnes arrivées en 2013 en Italie, un nombre croissant a potentiellement droit à une protection internationale. Près de 27 800 demandes d’asile ont été enregistrés en 2013 en Italie 
			(21) 
			Ce chiffre correspond
à une augmentation de 60 % par rapport à 2012, mais reste en-dessous
des 34 000 demandes d’asile enregistrées en 2011. HCR, Niveaux et
tendances de l’asile dans les pays industrialisés, 2013, 21 mars
2014..
43. L’Italie affirme que les personnes les plus réticentes à donner leurs empreintes digitales sont les Syriens et les Erythréens 
			(22) 
			Fuyant la crise ou
les persécutions, les Syriens et les Erythréens représentent à eux
seuls près de la moitié (environ 20 000) des migrants arrivés en
Italie en 2013. Cependant, ils n’ont déposé que 2 911 demandes d’asile.. C’est ce que confirment les statistiques, 4 844 Erythréens ont demandé l’asile en Suède, contre 2 216 en Italie. Il en va de même pour les Syriens, dont à peine 695 ont demandé l’asile en Italie alors que 16317 ont opté pour la Suède.
44. D’autres données du HCR démontrent que le cas de l’Italie n’est pas aussi particulier que de nombreux politiciens et personnalités italiens ont tenté de me le faire croire. Dans le classement du nombre de demandeurs d’asile par 1 000 habitants en 2013, l’Italie vient après 22 autres pays européens 
			(23) 
			HCR, «Niveaux et tendances
de l’asile dans les pays industrialisés», op.
cit.. Le taux de demandes d’asile par 1 000 habitants était seulement de 0,3 en Italie contre 4,6 en Suède et 4,8 à Malte. Les demandeurs d’asile sont plus nombreux en Suède, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, et ils y représentent un pourcentage plus élevé par rapport à la population totale. Quand l’Italie lance un appel à une plus grande solidarité dans l’Union européenne, elle devrait aussi admettre qu’elle doit contribuer de manière proportionnelle à traiter la hausse des demandes d’asile.
45. Les chiffres pour 2014 montreront probablement une augmentation des demandes d’asile en Italie, principalement en raison de la proportion beaucoup plus élevée d’arrivants obligés de s’enregistrer en Italie et donc incités à déposer leur demande d’asile dans ce pays. Ceci aidera l’Italie à plaider sa cause pour davantage de solidarité et de partage des responsabilités pour lutter contre cette crise.

4. Rétention, accueil et intégration: la route à suivre pour une solution pérenne

46. L’augmentation soudaine du nombre de personnes arrivant d’Afrique du Nord a mis les capacités d’accueil de l’Italie à rude épreuve et révélé les défauts structurels d’une approche fondée sur l’urgence pour la gestion des flux migratoires mixtes.

4.1. Conditions de détention des migrants

47. Plus de 6 000 migrants en situation irrégulière, dont près de 600 femmes, ont été détenus en 2013 
			(24) 
			En comparaison, près
de 8 000 migrants irréguliers (dont plus de 900 femmes) ont été
détenus en 2012. Voir Medici Per I Diritti Umani, «The CIE Archipelago,
Inquiry into the Italian Centres for Identification and Expulsion»,
résumé, mai 2013. . En vertu du droit italien, un ressortissant étranger sans titre de séjour peut être placé en rétention administrative dans un Centre d’identification et d’expulsion (CIE) pour une période de 30 jours, renouvelable jusqu’à une durée maximum de 18 mois, à la fois dans un but d’identification et en attente d’éloignement. L’OIM a recommandé la réduction de cette période au «strict nécessaire pour l’identification et la remise en liberté des migrants lorsque l’identification est impossible pour des raisons qui ne peuvent être attribuées au migrant».
48. Actuellement, seuls cinq des 13 CIE sont opérationnels en Italie, ramenant la capacité totale de 1 551 places à 668 places. Les huit autres établissements sont fermés temporairement suite à des dommages causés aux infrastructures, des émeutes ou des problèmes de gestion. En Italie, les conditions de détention diffèrent grandement d’un CIE à l’autre, et les normes ne sont satisfaisantes que dans quelques rares centres.
49. Les nombreuses émeutes et évasions, ainsi que les récents incidents d’automutilation et tentatives de suicide dans les rangs des migrants sont le signe de leur frustration et de leur désespoir. Plus de 900 détenus ont réussi à s’échapper des CIE en 2013 
			(25) 
			Medici per i Diritti
Umani, «Italian Centres for Identification and Expulsion: National
Data for 2013. Even more useless and distressing structures», communiqué
de presse, 25 février 2014.. Quinze jours avant ma visite en Italie en février 2014, un groupe de migrants du CIE de Ponte Galeria s’est cousu les lèvres en signe de protestation contre leurs conditions déplorables et le silence qui fait suite à leurs demandes d’asile.
50. Il convient de renforcer la protection contre l’automutilation et les comportements violents dans les rangs des détenus. Les méthodes d’identification des personnes vulnérables placées en détention, notamment les procédures de détermination de l’âge, doivent être sérieusement améliorées. Le HCR et d’autres ONG ont fait état des difficultés rencontrées par les demandeurs d’asile dans l’accès à la procédure d’asile durant la détention, même lorsque l’intention de demander l’asile a été exprimée avant le transfert au CIE.
51. De plus, certains centres de premiers secours et d’accueil (CSPA) ont aussi été utilisés pour détenir des migrants en situation irrégulière à leur arrivée. Tel était le cas, par exemple, du principal centre d’accueil de Lampedusa qui, à certains moments, a fonctionné en pratique comme un centre de rétention de migrants sans offrir les garanties applicables aux personnes en rétention 
			(26) 
			Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, rapport de Thomas Hammarberg
suite à sa visite en Italie du 26 au 27 mai 2011, 7 septembre 2011,
paragraphe 61..
52. Les tragédies d’octobre 2013 ont encore renforcé les pressions sur la petite île de Lampedusa, et le 17 décembre 2013 une vidéo témoignant des conditions humiliantes des migrants dans le centre de l’île a été diffusée dans le monde entier, suscitant de vives polémiques à propos des mauvais traitements récurrents infligés aux détenus et de l’absence de système efficace de contrôle. Je me suis rendu dans ce centre d’accueil, désormais en cours de reconstruction et de modernisation avant sa réouverture plus tard ce printemps, avec une nouvelle annexe permettant d’accueillir 800 personnes. La communauté de Lampedusa, sous la houlette de son maire, Mme Nicolini, s’est engagée à faire de l’île un port sûr. Les autorités italiennes doivent prendre en compte cet engagement en assurant le bon fonctionnement des installations d’accueil, lorsqu’elles auront ré-ouvert au printemps.
53. L’accès aux procédures d’asile et le suivi des conditions d’accueil dans l’ensemble des centres nationaux ont été améliorés. L’Italie doit continuer de faire en sorte que la législation nationale définisse des normes minimales pour les centres de détention et que des procédures indépendantes de suivi permettent des visites régulières des lieux de rétention.

4.2. Le système d’accueil des demandeurs d’asile en Italie (SPRAR):

54. Je salue l’intention des autorités italiennes, affirmée dans le décret du 17 septembre 2013, d’augmenter la capacité d’accueil du système SPRAR (système de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés), géré par l’Association nationale des communes d’Italie (ANCI), grâce à un plan triennal (2014-2016) visant à passer de 8 000 places à 16 000 places.
55. Même si beaucoup de demandeurs d’asile sont bien accueillis par leurs communautés présentes en Italie, il est clair que les capacités d’accueil italiennes existantes sont insuffisantes pour répondre aux besoins croissants. La qualité des conditions d’accueil, notamment pour les enfants, a d’ailleurs été récemment mise en cause par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tarakhel c. Suisse 
			(27) 
			Requête n° 29217/12,
arrêt du 12 février 2014 [Grande Chambre]..
56. Des rapports, confirmés lors de mes discussions avec l’ONG Medici per i Diritti Umani (MEDU), de migrants auxquels auraient été administrées de fortes doses de sédatifs dans des CARA (centres d’accueil pour demandeurs d’asile) et des CIE, et ayant mené prétendument à des suicides, sont inquiétants et doivent faire l’objet d’une attention toute particulière de la part des autorités italiennes 
			(28) 
			Statewatch,
«Ongoing calls for the closure of immigration detention centres»,
15 avril 2014. .
57. Une attention spéciale doit également être portée à la situation des personnes vulnérables, dont les femmes vulnérables, les enfants migrants non accompagnés, les personnes handicapées et les personnes âgées. J’encourage les autorités italiennes à mettre en œuvre la Directive Retour de l’Union européenne qui prévoit la possibilité d’octroyer un permis de résidence temporaire aux migrants vulnérables 
			(29) 
			Union européenne: Conseil
de l’Union européenne, Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008
relative aux normes et procédures communes applicables dans les
Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier,
articles 9 et 14. .
58. Les rapports faisant état d’une surpopulation inquiétante dans les centres restent monnaie courante, s’agissant notamment des centres d’accueil de Sicile et plus particulièrement celui de Mineo, près de Catane. La situation était particulièrement inquiétante à Rome, où se rendent bon nombre des demandeurs d’asile. En février 2014, près de 3 000 personnes – ayant obtenu un permis de séjour et originaires majoritairement d’Afghanistan, du Soudan, d’Ethiopie, de Somalie et d’Erythrée – vivaient dans de grands bâtiments inoccupés, des squats improvisés appelés «hot spots» ou même dans la rue dans des conditions sordides. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a critiqué la «situation intolérable» des réfugiés et d’autres personnes bénéficiant de la protection internationale qui étaient contraints de vivre dans «un grand dénuement», qu’il jugeait «inacceptable dans un pays comme l’Italie» 
			(30) 
			Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, «Pour protéger les droits de
l’homme, l’Italie doit rompre avec les pratiques du passé», communiqué
de presse après la visite du Commissaire à Rome du 3 au 6 juillet
2012..
59. Lorsque je me suis rendu dans le centre de Trapani (Sicile) à la mi-février 2014, le président de la commission territoriale pour la reconnaissance de la protection internationale (Commissioni territoriali per il riconoscimento della protezione internazionale – CTRPI) m’a informé de la mise en place d’une nouvelle CTRPI à Palerme pour faire face à l’augmentation des arrivées en Sicile. Le HCR a également salué 
			(31) 
			HCR, «Recommendations
on important aspects of refugee protection in Italy», juillet 2013. le travail des CTRPI et leur respect des directives relatives aux critères à appliquer, en l’occurrence la Directive «qualification» de l’Union européenne 
			(32) 
			Union
européenne, Conseil de l’Union européenne, Directive 2011/95/UE
du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant
les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants
des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection
internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes
pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de
cette protection (remaniée), 20 décembre 2011. . Il reste à mettre en pratique un mécanisme de contrôle systématique de la qualité, destiné à garantir une approche harmonisée dans toutes les CTRPI et l’application de normes minimum de qualité.
60. Les autorités italiennes doivent garantir une gouvernance forte et renforcer la planification. Au cours de ma visite en Sicile, j’ai aussi pu apprécier de visu la gestion du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CARA) «Salina Grande» à Trapani. Ces pratiques devraient être plus largement partagées.

4.3. Après l’urgence: quelle solution durable?

61. Il convient de saluer les récents efforts déployés par les autorités italiennes pour améliorer le système d’accueil, mais le manque de soutien à l’intégration des réfugiés et autres bénéficiaires de la protection internationale est devenu encore plus criant et problématique.
62. L’approche fondée sur l’urgence a sérieusement entravé les perspectives d’intégration des bénéficiaires de la protection internationale. Je reste convaincu que le fait de donner aux demandeurs d’asile et aux réfugiés l’opportunité de travailler est une mesure bénéfique tant pour les personnes concernées que pour la société hôte.
63. Au cours de ma visite en février 2014, j’ai pu rencontrer l’ancienne ministre de l’Intégration (sans portefeuille), Mme Cécile Kyenge, qui a plaidé en faveur d’un surcroît d’attention et de crédits pour la politique italienne d’intégration. J’encourage le nouveau gouvernement à faire de l’intégration une clé pour trouver des solutions durables.

5. Dimension européenne: une réponse insuffisante de l’Europe face aux arrivées de migrants

64. J’ai décrit précédemment les efforts et les difficultés auxquelles l’Italie reste confrontée face aux nouvelles arrivées. Les autorités italiennes ont cependant fait rapidement appel à l’assistance de l’Union européenne et de ses Etats membres.

5.1. L’assistance opérationnelle et financière fournie à l’Italie

65. Dans le contexte de «l’état d’urgence Afrique du Nord», l’Union européenne a répondu à l’appel de l’Italie en débloquant 25 millions d’euros à titre de fonds d’urgence supplémentaires, outre les 75 millions d’euros que l’Italie avait déjà à sa disposition en 2011 par le biais des quatre fonds concernant les migrations de la Commission européenne pour 2007-2013.
66. Une assistance opérationnelle a été offerte par le biais de Frontex, qui a renforcé ses opérations maritimes et sa surveillance en réaction aux arrivées.
67. Le 4 juin 2013, l’Italie et le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEA) ont signé un plan spécial de soutien par lequel le Bureau appuie l’Italie jusqu’à la fin de l’année 2014 dans un certain nombre de domaines prioritaires, tels que la collecte et l’analyse des données, les informations sur le pays d’origine, le système de Dublin, les capacités du système d’accueil et d’urgence, ainsi que la formation d’une magistrature indépendante.
68. Pour 2014-2020, des programmes simplifiés de financement ont été mis en place dans le contexte d’un Fonds «Asile, migration et intégration» (AMF) et d’un Fonds pour la sécurité intérieure (FSI), d’un montant de 3,1 milliards d’euros et 2,8 milliards d’euros respectivement, soit un peu plus de 0,5 % du budget global de l’Union européenne jusqu’en 2020 
			(33) 
			European
Parliamentary Research Service, «EU funds for asylum, migration
and borders», Briefing, 2 février 2014.. La Commission a mis en réserve des crédits (y compris des fonds d’urgence) de près de 30 millions d’euros pour soutenir l’Italie, y compris pour les opérations de surveillance aux frontières dans le cadre de Frontex 
			(34) 
			Commission au Parlement
européen et au Conseil, «Communication on the work of the Task Force
Mediterranean», 4 décembre 2013, COM(2013)869..

5.2. Une opportunité pour la solidarité intra-européenne

69. L’Italie a longtemps plaidé en faveur d’une approche européenne commune des migrations afin de garantir une gestion effective des flux migratoires et de l’accès à la protection. Il est regrettable que cette opportunité d’une plus grande solidarité européenne n’ait pas encore été saisie.
70. Cependant, la réponse politique de l’Italie, en l’occurrence sa décision d’accorder des titres de séjour temporaires aux migrants irréguliers sans toutefois être capable de les identifier 
			(35) 
			Le ministre italien
de l’Intérieur, M. Angelino Alfano, a récemment déclaré que, sans
l’aide du reste de l’Europe pour endiguer le flux des arrivées d’Afrique
du Nord, l’Italie défiera les règles de l’Union européenne concernant
la nécessité d’enregistrer tous les migrants qui arrivent en Italie.
Il a été cité dans le Daily Mail du
15 mai, affirmant: «Nous les laisserons simplement partir. Les migrants
ne souhaitant pas rester en Italie, ils doivent avoir la possibilité
d’exercer leur droit d’asile dans le reste de l’Europe.» (traduction
non officielle), leur permettant en pratique de se déplacer librement à l’intérieur de la zone Schengen, ainsi que l’opération Mare Nostrum, qui aurait prétendument suscité encore plus d’immigrations irrégulières, n’ont guère contribué à convaincre les autres Etats membres de l’Union européenne de l’opportunité d’un partage des responsabilités. Beaucoup d’entre eux ont jugé ces mesures contre-productives – et celles-ci, en définitive, n’ont fait que compromettre les efforts potentiels en faveur d’une plus grande solidarité et d’un plus grand partage des responsabilités. L’incapacité à solutionner les problèmes de migration s’est finalement traduite par une perte de confiance des citoyens dans les gouvernements et les institutions dans l’Union européenne et ses Etats membres. Les récents sondages Eurobaromètre montrent que dans beaucoup de pays, les deux tiers des citoyens n’accordent aucune confiance à l’Union européenne.
71. Une «Task-force Méditerranée» a été mise en place par la Commission européenne au lendemain des naufrages d’octobre 2013. Elle a identifié cinq domaines d’action prioritaires pour prévenir les disparitions en mer et mieux répondre à l’afflux de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile 
			(36) 
			Commission
au Parlement européen et au Conseil, «Communication on the work
of the Task Force Mediterranean», op.
cit.. Une évaluation des progrès accomplis sur la voie des 38 objectifs à court terme et des discussions sur les solutions à long terme devraient intervenir en juin 2014, dans le contexte des discussions du programme post-Stockholm 
			(37) 
			Le Programme de Stockholm
établit les priorités de l’Union européenne dans les domaines de
la justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 2010-14. .
72. Frontex devrait se voir confier un rôle plus important dans l’appui de l’initiative Mare Nostrum afin de faire la preuve de la solidarité européenne avec l’Italie.
73. En examinant Mare Nostrum en conjonction avec l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Hirsi en 2011, il apparait que les migrants, dès lors qu’ils parviennent dans les eaux internationales en partant de l’Afrique du Nord, peuvent utiliser le téléphone mobile qui leur est invariablement fourni pour appeler les garde-côtes italiens et être secourus par Mare Nostrum. Avant l’arrêt Hirsi, ces migrants pouvaient être renvoyés dans le pays de transit ou leur pays d’origine, solution aujourd’hui illégale en raison de la décision d’appliquer une interprétation extra territoriale de l’article 4 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 46) relatif aux expulsions collectives d’étrangers. En vertu des règles de non-refoulement, dès qu’un migrant atteint les eaux internationales de la Méditerranée, il est assuré de pouvoir rester en Europe, même si ce n’est qu’avec une protection limitée.
74. S’adressant à la Cour dans l’affaire Hirsi, le Gouvernement italien a déclaré que le Pacte européen sur l’immigration et l’asile prévoit des limites aux flux migratoires, la nécessité de lutter contre l’immigration illégale en assurant le retour dans leur pays d’origine ou dans un pays de transit des migrants en situation irrégulière, la nécessité de renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières et de nouer des partenariats avec les pays d’origine et de transit. Force est malheureusement de constater un défaut collectif de mise en œuvre de ce pacte. Nous devons faire en sorte que le principe de contrôles efficaces aux frontières de l’Union européenne devienne une réalité.
75. Les éléments constitutifs pour des systèmes de protection plus efficaces en Europe existent, mais il reste à prendre quelques mesures parfaitement réalistes pour renforcer le cadre juridique et politique existant dans l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(38) 
			HCR,
«Asylum and international protection in the EU: strengthening cooperation
and solidarity», janvier 2014.. J’encourage les Etats membres à assurer, par l’intermédiaire du Régime d’asile européen commun (RAEC), le fonctionnement effectif d’une politique commune en matière d’asile et de protection internationale. Il appartient à chaque Etat membre de transposer de manière adéquate les instruments de l’Union européenne dans sa législation nationale et de mettre pleinement en œuvre le règlement de Dublin, en tenant compte de l’ensemble des critères de responsabilité. Un dialogue devrait être engagé entre les administrations et les tribunaux, au sein des Etats membres et entre eux, sur l’interprétation des dispositions juridiques et les conséquences des décisions pour les personnes concernées.
76. Je salue l’objectif fixé par la Commission européenne au Bureau européen d’appui en matière d’asile de mettre sur pied un nouveau projet consacré à l’aide au traitement des demandes d’asile, par lequel des agents des Etats membres de l’Union européenne viendront prêter assistance aux pays en première ligne dans le traitement des demandes d’asile.

5.3. Une solidarité au-delà de l’Europe

77. Soumis à la pression d’une telle augmentation du nombre des arrivées de migrants irréguliers, de réfugiés et de demandeurs d’asile, le ministre italien de l’Intérieur, M. Angelino Alfano, a suggéré que l’Europe intercepte les migrants en Libye en y installant des camps et en offrant des aides 
			(39) 
			Daily
Mail, «United even in death», 15 mai 2014.. La suggestion de M. Alfano a été reprise dans un article à la une du The Independent 
			(40) 
			The
Independent, «EU can’t keep looking away as migrants
perish at sea», éditorial, 15 mai 2014., déclarant que, mois après mois, il devient plus difficile pour les responsables de l’Union européenne d’ignorer la situation de crise déclenchée par ces arrivées massives sur les côtes méridionales du continent… L’Union européenne devrait intercepter ces migrants avant qu’ils ne prennent la mer... Il n’indique toutefois pas comment y parvenir tout en restant compatible avec l’état actuel du droit communautaire. Ces commentaires illustrent cependant l’apparente impuissance des gouvernements des pays de l’Europe, tant individuellement que collectivement, face à cette nouvelle urgence qui, de par son ampleur et sa portée, dépasse les autorités.
78. Dans l’intervalle, en mai, le ministre libyen de l’Intérieur, M. Salah Mazek, a averti le monde – et en particulier l’Europe – que s’ils n’assumaient pas leurs responsabilités, la Libye pourrait faciliter le transit de ces flux 
			(41) 
			The
Guardian, «Dozens dead as migrant boat sinks off coast
of Libya», 11 mai 2014..
79. J’encourage les initiatives visant à soutenir le renforcement des capacités institutionnelles et normatives des pays tiers. Comme l’a proposé la Commissaire aux Affaires intérieures, Mme Cecilia Malmström, le BEAA pourrait aussi coopérer avec les pays tiers en vue de renforcer les capacités d’accueil et d’asile ainsi que les programmes de protection régionaux 
			(42) 
			Commission
européenne, «Politique migratoire extérieure de l’UE: une approche
plus ambitieuse», communiqué de presse, Bruxelles, 21 février 2014.. Des crédits de l’Union européenne sont également disponibles dans le cadre du nouveau Fonds «Asile et migration» (2014-2020) pour financer davantage de mesures de réinstallation ou d'admission pour motifs humanitaires. Certes, ces résultats ne sont pas faciles à atteindre, mais les actions entreprises sont des mesures positives sur la voie de la promotion de la protection internationale et du respect des droits fondamentaux, contribuant à ce titre au bon fonctionnement des systèmes de gestion des frontières et des migrations et à l’efficacité des politiques de retour.
80. La traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants, dont l’intérêt lucratif n’est plus à démontrer, devraient être considérés comme un nouveau crime international, défini ou non comme crime contre l’humanité, dès lors qu’un individu perçoit un avantage financier direct ou indirect pour transporter des personnes dans une embarcation dangereuse à cette fin, surpeuplée, surchargée ou dépourvue des équipements de sécurité de base pour les passagers, par exemple des gilets de sauvetage. Il conviendrait de redoubler d’efforts pour promouvoir un crime international couvrant la situation où une personne met des vies en danger ou provoque des morts et des blessés en mer du fait de transporter des personnes dans une embarcation dangereuse. L’Europe et ses Etats membres doivent tout mettre en œuvre pour lutter contre ces crimes.
81. EUROPOL devrait jouer un rôle plus fort et concret dans ce domaine et il conviendrait de multiplier les liens en vue d’échanger des informations opérationnelles, dans le contexte de systèmes d’alerte précoce, à propos des personnes et organisations impliquées dans le trafic de migrants, de demandeurs d’asile et de réfugiés ou dans la traite des êtres humains. Le programme de surveillance maritime «Seahorse Mediterraneo», entre les Etats membres méditerranéens de l’Union européenne et les pays d’Afrique du Nord, devrait être mis en place en 2015 et permettre aux pays d’échanger directement des informations sur les incidents et les patrouilles via des communications par satellite.
82. J’encourage la mise en œuvre d’autres programmes de sensibilisation, par les médias, les associations locales, les diasporas et dans les pays d’origine et de transit, sur les conditions en Europe et les dangers des voyages irréguliers. A cet effet, les Etats membres devraient exercer des pressions politiques sur ces pays, afin de faciliter le travail des organisations internationales et des ONG et l’accès des migrants à ces structures. Ce besoin est particulièrement criant en Libye. Ils devraient aussi être encouragés, s’ils ne l’ont déjà fait, à ratifier la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

6. Conclusions

83. L’arrivée massive de migrants sur les rivages de l’Italie suite au «Printemps arabe», à la crise syrienne, à l’effondrement des institutions nationales, aux persécutions et à l’absence de perspectives économiques n’est pas un phénomène exceptionnel, il s’agit d’un mouvement continu. L’Italie est devenue une destination de transit pour des dizaines de milliers de migrants irréguliers, de demandeurs d’asile et de réfugiés.
84. L’Italie a pris conscience de la nécessité d’élaborer une stratégie intégrée et structurelle accompagnée de mécanismes efficaces d’identification, de gestion et d’accueil de flux migratoires mixtes de plus en plus nombreux, tout en préservant les droits fondamentaux des personnes prises dans ces flux.
85. Les autorités italiennes doivent veiller à ce que le train de mesures en matière d’asile actuellement en cours de discussion assure une transposition adéquate des directives européennes remaniées et garantisse un système fiable de protection des personnes vulnérables et le retour de ceux qui n’ont pas besoin de protection.
86. Les autorités italiennes devraient prendre les mesures juridiques et autres nécessaires pour mettre pleinement en œuvre le règlement de Dublin, notamment en ce qui concerne le système dit Eurodac et la protection effective des frontières de l’Union européenne.
87. J’espère que durant la présidence italienne de l’Union européenne (juillet-décembre 2014), les autorités italiennes tiendront leur promesse de placer la gestion des flux migratoires mixtes en tête de leurs priorités en tant que problème global, économique, politique et humanitaire.