1. Introduction
1. Depuis le dernier rapport sur le respect des obligations
et des engagements de la Géorgie
, et notamment
au cours des dix-huit derniers mois, l’environnement politique et
l’architecture démocratique de la Géorgie ont connu de profonds
changements.
2. Des élections législatives se sont déroulées en Géorgie le
1er octobre 2012. Jugées globalement conformes
aux normes démocratiques internationales par la communauté internationale
– y compris par la commission ad hoc de notre Assemblée – elles
se sont soldées par la victoire écrasante de l’opposition unifiée au
sein de la coalition Rêve géorgien sur le Mouvement national uni
(MNU) du Président Mikheil Saakashvili, qui dominait le paysage
politique en Géorgie depuis la Révolution des roses de 2003.
3. La passation de pouvoirs après les élections s’est déroulée
dans un climat serein et un esprit constructif. Elle a fait entrer
la Géorgie dans une période de cohabitation, où le Président Saakashvili,
qui, selon les dispositions constitutionnelles en vigueur à l’époque,
exerçait un large pouvoir politique, représentait un courant politique
différent de celui du gouvernement et de la majorité parlementaire.
Malheureusement, du fait de la situation constitutionnelle exceptionnelle,
ni la majorité au pouvoir ni l’opposition n’ont su dépasser les clivages
et les aigreurs qui se sont formés au cours de la période électorale.
4. Plusieurs évènements ont exacerbé les relations déjà tendues
entre la nouvelle majorité au pouvoir et l’opposition. Les faits
les plus marquants ont été, entre autres, les enquêtes pénales initiées
contre certains anciens responsables gouvernementaux et les rapports
faisant état de pressions indues exercées sur les responsables locaux
du MNU par les partisans de Rêve géorgien, pour les forcer à changer
de camp ou à démissionner.
5. Malheureusement, ces questions controversées ont éclipsé les
développements positifs intervenus dans le pays, dont un certain
nombre de réformes d’envergure engagées par les nouvelles autorités.
La réforme constitutionnelle destinée à remédier à certains aspects
de la Constitution de 2010 – élaborée à l’époque où le MNU disposait
de la majorité constitutionnelle – a été l’une des priorités des
autorités. Plusieurs amendements à la Constitution ont été adoptés
avec le soutien du MNU afin de désamorcer les tensions politiques.
Une réforme d’ensemble, s’appuyant sur les résultats d’un groupe
de travail constitutionnel créé par le parlement, devrait être finalisée
en 2016.
6. Le changement de pouvoir politique a été conforté par l’élection
présidentielle du 27 octobre 2013. Elle a abouti au remplacement
du Président Saakashvili
,
figure de proue du pays depuis la Révolution des roses en 2003,
par le candidat du parti Rêve géorgien, l’ancien ministre de l’Education
Giorgi Margvelashvili. La Mission internationale d’observation de
l’élection, à laquelle participait l’Assemblée, a jugé le scrutin présidentiel
conforme aux normes internationales et nettement moins tendu et
polarisé que les élections législatives antérieures.
7. Après l’élection présidentielle, le climat politique s’est
quelque peu apaisé, même si les relations entre l’opposition et
la majorité au pouvoir restent tendues. Il est à espérer que les
relations entre les diverses forces politiques du pays se normaliseront
après les prochaines élections locales qui compléteront le cycle
électoral en Géorgie.
8. Les élections locales du 15 juin 2014 ont clôturé le cycle
électoral démarré en 2012 qui a amené de profonds changements au
niveau du pouvoir en Géorgie. Compte tenu de l’impact de ce changement
de pouvoir pacifique et démocratique au travers des urnes, une première
pour la Géorgie, nous estimons le moment opportun pour dresser le
bilan de l’environnement et des développements politiques dans le
pays ainsi que des défis auxquels tous les acteurs politiques géorgiens
restent confrontés.
9. Suite aux élections législatives de 2012, nous nous sommes
rendus à trois reprises dans le pays
,
en plus de notre participation
ex officio aux
missions d’observation préélectorale et des élections de la commission ad
hoc de l’Assemblée à l’occasion du scrutin présidentiel du 27 octobre
2013. Les notes d’information
préparées
sur la base de nos visites ont fait l’objet d’un débat et ont été
déclassifiées par la commission pour le respect des obligations
et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission
de suivi). Le 13 décembre 2013, la commission a tenu un échange
de vue avec le Conseiller spécial de l’Union européenne pour la
réforme juridique et constitutionnelle en faveur des droits de l’homme
en Géorgie, Thomas Hammarberg, sur la base de son rapport «Géorgie
en transition» publié le 22 septembre 2013.
2. Développements
politiques
10. Les élections législatives en Géorgie, tenues le
1er octobre 2012, se sont soldées par
la victoire écrasante de la coalition Rêve géorgien de M. Bidzina
Ivanishvili, qui a initialement remporté 85 sièges au parlement.
Le parti au pouvoir avant les élections, le Mouvement national uni
du Président Saakashvili, a obtenu 65 sièges et annoncé qu’il passait
dans l’opposition.
11. Conformément aux promesses faites avant le scrutin, la majorité
s’est scindée en trois factions au parlement: Rêve géorgien; Rêve
géorgien–Républicains; et Rêve géorgien–Démocrates libres. Le 4 décembre 2012,
un nouveau groupe, Rêve géorgien–Conservateurs, a été créé au sein
de la coalition, suivi le 29 mai 2013 par le groupe Rêve géorgien–Industrialistes.
Chacune de ces factions dispose de sa propre identité et orientation
politique mais elles coopèrent toutes étroitement et coordonnent
leurs travaux en véritable majorité. Pour l’heure, seul un membre
a quitté le groupe majoritaire et poursuit son action en tant que
député indépendant
. Les inquiétudes
quant à une éventuelle remise en cause de la coalition Rêve géorgien
après les élections se sont avérées à l’évidence infondées.
12. Le Mouvement national uni s’est lui aussi divisé en trois
groupes lors de la session inaugurale du nouveau parlement: MNU;
MNU–Régions; et MNU–Majoritaires. Cette scission, essentiellement
technique, repose sur des arguments pragmatiques (chaque groupe
bénéficie des mêmes privilèges et d’une voix au Bureau du parlement).
Initialement, cinq députés du MNU ont refusé de participer à un
quelconque groupe. Ils ont été rejoints par la suite par plusieurs
autres députés du MNU, pour l’essentiel du groupe MNU–Majoritaires. Le
MNU détient à l’heure actuelle 51 sièges au Parlement géorgien.
13. En général, les députés indépendants votent de concert avec
la majorité au pouvoir sur les questions importantes. La coalition
au pouvoir bénéficie de ce fait d’une majorité confortable au parlement
pour gouverner le pays
,
sans toutefois avoir jamais disposé de la majorité constitutionnelle
des deux tiers. Suite à l’entrée en vigueur de la Constitution de
2010, après l’investiture du nouveau Président, la majorité constitutionnelle
a été relevée et équivaut désormais aux trois quarts des membres
du parlement. Toute modification de la Constitution nécessite donc
impérativement un consensus entre la majorité et l’opposition. Cette
situation est un garde-fou important pour la stabilité constitutionnelle
du pays.
14. La formation du nouveau gouvernement s’est déroulée sans heurts
et de manière efficace, mais le processus subséquent de cohabitation
a été difficile et marqué par des tensions et des antagonismes, notamment
entre le Premier ministre et le Président. Les responsables de la
majorité et de la minorité n’ont malheureusement pas été en mesure
de surmonter leurs rancœurs, la polarisation du climat politique
et la rhétorique électoraliste. Le contexte constitutionnel unique
a également renforcé au départ les difficultés de la cohabitation;
ces difficultés ont été réglées par la suite par les amendements
constitutionnels adoptés le 25 mars 2013.
15. Au final, les deux parties ont pris des mesures pour assurer
le niveau minimal de coopération et de dialogue requis pour gouverner
le pays. La politique étrangère et la réforme constitutionnelle
constituaient les deux principaux domaines pour lesquels l’opposition
et la majorité se sont efforcés de trouver un consensus.
16. Le 25 mars 2013, un amendement constitutionnel, adopté avec
un fort soutien bipartite, a permis de supprimer une source majeure
de méfiance et de tensions entre la majorité et l’opposition, en
l’occurrence la possibilité offerte au Président de changer le gouvernement
sans le consentement du parlement.
17. Afin de répondre aux préoccupations du MNU qui craignait que
la coalition Rêve géorgien modifie radicalement la politique étrangère
de la Géorgie – s’agissant notamment de l’intégration européenne
du pays et de ses relations avec la Russie – une déclaration conjointe
de la majorité et de l’opposition a été adoptée le 7 mars 2013,
réaffirmant l’orientation résolument européenne de la Géorgie et
la non-reconnaissance des régions séparatistes de l’Ossétie du Sud
et de l’Abkhazie.
18. Après les élections législatives, des manifestations ont éclaté
dans plusieurs municipalités, demandant un changement de pouvoir
au sein des collectivités locales, dominées par le MNU. Dans plusieurs administrations
locales, des maires et des conseillers locaux ont démissionné ou
changé de camp. Nous avons appris de sources crédibles que dans
certains cas ces changements étaient le fruit de pressions indues exercées
sur les militants du MNU. Cette situation a été une source constante
de tensions entre la majorité et la minorité, notamment à la veille
des élections locales de 2014.
19. Les élections législatives de 2012 ont été éclipsées par le
scandale des mauvais traitements sur des détenus, avec l’apparition
d’enregistrements vidéo d’actes de torture et de mauvais traitements,
prétendument systématiques, de prisonniers par des gardiens de prison.
Par ailleurs, après les élections législatives de 2012, les autorités
ont reçu plus de 20 000 plaintes pénales déposées par des citoyens
contre des membres et des agents de l’ancien gouvernement. Ces plaintes
concernaient des abus de pouvoir, des poursuites judiciaires à motivation
politique et des confiscations illégales de biens, mais aussi des
mauvais traitements, des actes de torture et des allégations d’homicide
et de meurtre. Les nouvelles autorités ont constamment déclaré que la
«restauration de la justice» serait une des priorités clés de la
nouvelle administration.
20. Dans ce contexte, des enquêtes pénales ont été diligentées
contre un certain nombre de dirigeants de l’opposition et d’anciens
responsables gouvernementaux, y compris des membres de la direction
du MNU considérés comme des proches de l’ex-Président Saakashvili,
tels que l’ancien Premier ministre et ministre de l’Intérieur –
et actuel Secrétaire général du MNU – Vano Merabishvili; l’ancien
ministre de la Défense et de l’Intérieur, et ancien chef des services
pénitentiaires, Bacho Akhalaia; et le maire de Tbilissi, Gigi Ugulava. Vano
Merabishvili et Bacho Akhalaia ont tous deux été placés en détention
provisoire sur décision de justice.
21. Le MNU a dénoncé ces arrestations et ces poursuites, constituant
à ses yeux des manœuvres politiques qui relèveraient d’une justice
revancharde. L’éventualité de poursuites à motivations politiques
en Géorgie a soulevé de vives inquiétudes dans les rangs des partenaires
internationaux de la Géorgie, y compris l’Assemblée. De leur côté,
les autorités ont souligné que la justice géorgienne n’était (ni
ne serait) sélective ni motivée par des considérations politiques,
mais que ces personnes étaient accusées de graves crimes de droit commun
pour
lesquels existaient des preuves suffisantes pour justifier une enquête
ou des poursuites et qui ne pouvaient rester impunis. Nous reviendrons
plus en détail sur ces événements dans l’une des sections suivantes
du présent rapport.
22. Les autorités ont affirmé que beaucoup de personnes avaient
été condamnées sous l’ancien gouvernement à des peines d’emprisonnement
dans le cadre de procédures judiciaires biaisées ou à motivations
politiques. La réparation de ces prétendues erreurs judiciaires
est une priorité pour les autorités, mais prête à controverse, et
c’est bien compréhensible, pour l’opposition.
23. Le climat politique tendu et les développements susmentionnés
ont éclipsé un certain nombre de réformes juridiques et administratives
importantes menées par les autorités, notamment la réforme du pouvoir judiciaire,
de l’environnement médiatique (y compris du radiodiffuseur public)
et de l’autonomie locale. Depuis la Révolution des roses en 2003
et jusqu’aux élections législatives d’octobre 2012, tous les aspects
de l’environnement politique étaient entièrement dominés par le
Mouvement national uni, qui contrôlait l’ensemble des institutions
de l’Etat et des organes de régulation du pays. L’incidence des
réformes initiées par les autorités sur la main mise exercée par
le MNU sur ces organes – et il semble que cela ait été l’objectif
de certaines de ces réformes – ajoutait encore au climat politique
délétère qui régnait lors des débats.
24. L’élection présidentielle s’est déroulée le 27 octobre 2013
en Géorgie. Elle a été remportée avec 61 % des voix par le candidat
de Rêve géorgien et ancien ministre de l’Education Giorgi Margvelashvili,
qui a été investi le 17 novembre 2013. Le candidat du MNU et ancien
Président du parlement Davit Bagradze a obtenu 21,8 % des voix
et l’ancienne Présidente du parlement Nino Burjanadze est arrivée
en troisième position, recueillant étonnement 10,2 % des voix. Les
autres candidats n’ont pas obtenu un nombre de voix substantiel.
25. L’investiture du nouveau Président annonçait la deuxième phase
de la transition politique qui a débuté avec les élections législatives.
De plus, en dépit du fort taux d’abstention, le résultat de ces
scrutins a confirmé le MNU en tant que principal parti d’opposition
actuellement en Géorgie.
26. Comme il l’avait annoncé avant les élections, le Premier ministre
Ivanishvili a démissionné
après l’investiture
du Président Margvelashvili. Le 20 novembre 2013, l’ancien ministre
de l’Intérieur Irakli Garibashvili, un proche de M. Ivanishvili,
a été confirmé au poste de Premier ministre de la Géorgie. Suite
aux changements apportés à la Constitution de 2010 et entrés en
vigueur avec l’investiture du nouveau Président, c’est le Premier
ministre qui détient désormais le plus de pouvoir au sein du gouvernement.
A l’exception d’un nouveau ministre de l’Intérieur, la composition
du gouvernement n’a en rien été modifiée.
27. Après l’investiture du nouveau Président, celui-ci a désigné
un nouveau Secrétaire du Conseil de sécurité et un nouveau chef
des forces armées. Le 21 novembre 2013, Otar Partskhaladze a été
nommé au poste de Procureur général en remplacement d’Archil Kbilashvili,
démissionnaire, apparemment en raison de divergences de vues avec
le nouveau Premier ministre. Le 30 décembre 2013, le Procureur général Partskhaladze
a démissionné suite à des allégations rapportant qu’il aurait été
condamné pour vol et vol qualifié en Allemagne. M. Partskhaladze
a nié ces allégations, tout en admettant avoir été condamné pour «altercation
verbale» avec un agent de police allemand.
28. Les spéculations sont allées bon train quant aux rôles que
pourraient jouer l’ancien Président Saakashvili et l’ancien Premier
ministre Ivanishvili après l’élection présidentielle. Beaucoup craignaient
qu’ils continuent d’influer sur les politiques de la majorité et
de l’opposition, sans pour autant engager publiquement et démocratiquement
leur responsabilité à cet égard. Par ailleurs, cette situation aurait
pu perpétuer le climat de tension entre l’opposition et la majorité
au pouvoir, climat auquel ces personnalités sont loin d’être étrangères.
Par chance, il semble que ces inquiétudes aient été largement infondées.
M. Saakashvili a été réélu chef du MNU, mais a quitté le pays après
l’investiture du Président Margvelashvili. Le 21 décembre 2013, il
a annoncé avoir accepté un poste de professeur, au moins pour le
semestre de printemps 2014, à l’Ecole Fletcher de droit et de diplomatie
de l’Université Tufts de Boston (Etats-Unis). Il n’est pas retourné
en Géorgie depuis l’élection présidentielle. Pour sa part, M. Ivanishvili
a annoncé qu’il œuvrerait au renforcement de la société civile en
Géorgie et semble avoir disparu de la vie publique.
29. Malheureusement, l’intolérance et la discrimination envers
les minorités, notamment les minorités sexuelles et religieuses,
largement absentes du discours politique officiel dans le pays,
sont revenues sur le devant de la scène en 2013. Cela s’est traduit
par des agressions violentes lors d’un rassemblement LGTB le 17
décembre 2013 et une polémique autour du démontage d’un minaret
à Chela. Ces questions seront examinées en détail ci-après. Nous
regrettons la politisation rapide de la question des minorités dans
le bras de fer entre Rêve géorgien et le MNU, qui n’a permis ni
de résoudre le problème ni d’améliorer la situation des minorités.
30. En février 2013, sur l’initiative du Commissaire Štefan Füle
et de la baronne Ashton, la Commission européenne a nommé l’ancien
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg,
Conseiller spécial de l’Union européenne pour la réforme juridique
et constitutionnelle en faveur des droits de l’homme en Géorgie.
En plus de fournir à la Commission un point de vue impartial et
indépendant sur les développements en Géorgie, M. Hammarberg est
chargé de conseiller, au nom de la Commission, les institutions
étatiques géorgiennes sur des questions telles que les réformes
judiciaire, juridique et constitutionnelle, l’application de la
loi, le système pénal et les droits de l’homme. M. Hammarberg a
publié son rapport intitulé «Géorgie en transition»
le 23 septembre 2013.
31. Si la période récente a été marquée par les tensions et la
polarisation entre les deux principales forces politiques, il convient
cependant de souligner l’impact positif de bon nombre des développements
sur l’environnement politique. La présence d’une opposition forte
et expérimentée associée à une coalition au pouvoir bien organisée
a renforcé le rôle du parlement et le parlementarisme au sein du
système politique géorgien. Le parlement a convoqué les ministres
pour les interroger sur diverses questions politiques. Il a rejeté
et modifié des politiques gouvernementales et a utilisé, à maintes
reprises, son droit d’initiative pour adopter de nouvelles lois.
De plus, il a su à plusieurs reprises parvenir à des solutions de
consensus face à des enjeux politiques majeurs. C’est une évolution
que l’Assemblée a maintes fois préconisée dans ses rapports antérieurs
et une amélioration majeure de l’environnement politique du pays.
32. Le 29 novembre 2013, au cours du Sommet de Vilnius, la Géorgie
et l’Union européenne ont paraphé un accord d’association incluant
un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).
3. Réforme constitutionnelle
33. La révision constitutionnelle du 15 octobre 2010
a considérablement modifié l’équilibre des pouvoirs entre les institutions
de l’Etat. D’un régime présidentiel fort, le système de gouvernement
s’est transformé en un système mixte, où la plupart des pouvoirs
sont aux mains d’un gouvernement responsable uniquement devant le
parlement. Cela dit, d’après les dispositions transitoires, il était
prévu que les révisions constitutionnelles qui touchent à l’équilibre
des pouvoirs entre le gouvernement et le Président ne prennent effet
qu’après l’élection présidentielle de 2013.
34. Cette situation a, au départ, été source de fortes tensions
entre le gouvernement et le Président, qui ont dominé tout le processus
de cohabitation. En vertu des dispositions transitoires, le Président
a conservé de vastes pouvoirs discrétionnaires lui permettant de
limoger le gouvernement sans avoir besoin de l’approbation du parlement.
De plus, il a conservé le droit de nommer le gouvernement provisoire
de son choix sans l’aval du parlement. La coalition au pouvoir craignait
que le Président n’use de ses pouvoirs constitutionnels pour rétablir
un gouvernement MNU et convoquer de nouvelles élections dans le
créneau étroit
dont
il dispose pour ce faire, en dépit de ses nombreuses déclarations
publiques où il affirmait n’en avoir aucunement l’intention. De
leur côté, le chef de l’Etat et ses partisans craignaient que la
majorité ne tente d’obtenir au parlement une majorité suffisamment
importante pour réduire à l’avance les prérogatives présidentielles.
35. Compte tenu de ces tensions, la majorité au parlement, après
consultation de l’opposition, a proposé de modifier la Constitution
afin de garantir qu’aucun des deux bords ne puisse changer les dispositions
relatives à la répartition des pouvoirs avant l’élection présidentielle
d’octobre 2013. Le Président Saakashvili et le MNU ont répondu favorablement
à ces propositions. Les discussions engagées entre les deux bords
ont rapidement tourné court, à propos, semble‑t-il, du champ d’application
d’une amnistie s’appliquant aux fonctionnaires en cas de crimes
non violents commis avant le 1er octobre
2012
,
demandée par le Mouvement national uni. Cependant, Rêve géorgien
et le MNU ont fait savoir que les deux parties étaient convenues,
ou sur le point de convenir, du contenu des révisions constitutionnelles.
Ces dernières ont par la suite été présentées au parlement par la
majorité.
36. Les révisions proposées ne modifiaient en rien la répartition
des pouvoirs entre le Président et le gouvernement à une exception
près: le Président n’avait plus la possibilité de destituer le gouvernement
en place et d’en nommer un nouveau sans le consentement préalable
du parlement. Dans l’hypothèse où le Président souhaite procéder
à une destitution sans l’appui du parlement, il peut demander la
tenue d’élections anticipées, le gouvernement restant cependant
en place jusqu’au scrutin. Il était initialement prévu d’accorder au
Président la possibilité de convoquer de nouvelles élections également
durant le semestre précédant l’élection présidentielle, mais ce
point n’a pas été retenu.
37. Le 20 mars 2013, le MNU a annoncé qu’il soutiendrait la révision
de la Constitution, à condition que soit organisé avant le débat
un vote non contraignant afin de voir si la coalition Rêve géorgien
disposait ou non du nombre suffisant de voix pour adopter les amendements
sans son appui. Rêve géorgien a accepté cette proposition avec réticence.
Le 25 mars 2013, l’amendement a été adopté à l’unanimité avec le
soutien de l’ensemble des membres du MNU présents. Ce succès, pour
majeur qu’il soit, a également mis en lumière le fait que les révisions
constitutionnelles sont actuellement impossibles sans le soutien
du MNU. Ces deux questions ont permis d’éliminer une source importante
de défiance et de tension entre la majorité au pouvoir et l’opposition.
38. Comme évoqué précédemment, la Constitution de 2010 a été élaborée
et adoptée à un moment où le MNU disposait d’une majorité écrasante
au parlement. De l’avis de nombreuses forces politiques, elle a
été taillée sur mesure pour répondre aux intérêts de l’époque du
MNU. Cet aspect a encore été renforcé par un certain nombre d’amendements
constitutionnels subséquents, adoptés entre le 15 octobre 2010 et
le 1er octobre 2011, souvent pour des
raisons politiques inhérentes au parti
. Les autorités
actuelles ont exprimé leur souhait de réformer la Constitution pour
corriger ce qu’ils considèrent comme des lacunes.
39. Le 15 juin 2013, la majorité a proposé plusieurs amendements
concernant, entre autres, la double citoyenneté et les fonctions
publiques, les questions de confiance au gouvernement, l’approbation
du budget national et les exigences posées aux modifications de
la Constitution. Les autorités ont déclaré souhaiter l’adoption
de ces amendements avant l’entrée en vigueur pleine et entière de
la Constitution de 2010, faute de quoi une majorité des trois quarts
sera nécessaire pour modifier la Constitution. La plupart de ces
révisions ne prêtent pas à controverse et bénéficient de l’appui
du MNU. Cependant, l’opposition a vivement contesté un ensemble
d’amendements qui modifieraient la majorité requise pour les révisions
constitutionnelles après l’investiture du Président.
40. Le 31 juillet 2013, les autorités ont demandé l’avis de la
Commission de Venise sur ces amendements. Dans son avis
,
la Commission de Venise a conclu que, du point de vue juridique,
rien ne s’opposait à la plupart des modifications proposées, même
si elle a estimé que les dispositions relatives à l’adoption du budget
affaiblissaient le parlement en matière budgétaire. S’agissant de
la proposition de changement de la majorité requise pour modifier
la Constitution, la Commission de Venise s’est montrée plus critique.
Notant l’absence de norme européenne claire dans ce domaine, elle
a cependant souligné que les normes et les bonnes pratiques européennes
suggèrent de trouver un juste équilibre entre une certaine flexibilité
pour la réforme constitutionnelle et la stabilité constitutionnelle.
A cet égard, la Commission juge élevée l’exigence d’une majorité
des trois quarts, qui entrera en vigueur après la prestation de
serment du Président, et estime qu’elle risque d’entraver la réforme
constitutionnelle. En même temps, la Commission est d’avis qu’une majorité
des deux tiers à l’occasion d’un vote unique pourrait saper la stabilité
constitutionnelle, notamment dans le contexte actuel en Géorgie.
La Commission de Venise a de ce fait recommandé l’introduction de dispositions
instaurant un double vote avec une majorité des deux tiers, à trois
mois d’intervalle, pour les changements apportés à la Constitution.
Finalement, l’amendement portant modification à la majorité constitutionnelle
n’a pas été déposé, et depuis l’investiture du Président Margvelashvili
une majorité des trois quarts est nécessaire pour modifier la Constitution.
41. Le 27 décembre 2013, le Parlement géorgien a créé une Commission
d’Etat en charge de la réforme constitutionnelle. Présidée par le
Président du parlement, elle est composée de députés de la majorité
et de l’opposition, de représentants de partis extraparlementaires
et de la société civile, ainsi que d’experts juridiques. Elle a
tenu sa session inaugurale le 3 mars 2014. Au cours de cette réunion,
le Président du parlement a souligné que les autorités n’avaient
pas d’idée préconçue quant aux résultats de la réforme constitutionnelle,
mais qu’il était important d’engager les discussions sur la structure
territoriale de l’Etat et de ne pas faire de ce thème l’otage de
la situation actuelle en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Du côté
de l’opposition, M. Davit Bagradze a indiqué que tous les changements
positifs de la Constitution proposés par la Commission d’Etat bénéficieraient
du soutien de l’opposition au sein du parlement.
42. Les autorités ont fait savoir qu’elles présenteraient des
amendements constitutionnels ramenant le siège du parlement de Koutaïssi
à Tbilissi, en raison des problèmes logistiques qu’entraîne la situation
actuelle, où le gouvernement et le parlement siègent dans deux villes
distinctes. Cette mesure est hautement symbolique et risque d’être
controversée, notamment par les anciens responsables du MNU.
43. Dans notre rapport de 2011, nous avions déjà exprimé notre
inquiétude à propos d’un certain nombre de dispositions de la Constitution
de 2010 qui rendent le système vulnérable aux conflits interinstitutionnels, en
particulier lorsque le Président et le gouvernement ne partagent
pas les mêmes orientations et priorités politiques, comme ce fut
malheureusement le cas au cours de la période de cohabitation. C’est
pourquoi nous appelons la Commission d’Etat et le parlement à adopter
des amendements renforçant la séparation des pouvoirs entre les
diverses branches du gouvernement et corrigeant la vulnérabilité
aux conflits interinstitutionnels systémiques.
44. Une autre question qu’il convient de régler dans ce contexte
est la réforme électorale. Dans le passé, nous avons suggéré l’adoption
d’un système régional proportionnel, qui recueillait alors les suffrages
de la grande majorité des forces politiques géorgiennes. De plus,
l’actuelle disparité des districts électoraux en termes de taille
n’est pas conforme aux normes européennes et doit être corrigée.
Ceci pourrait supposer de changer la Constitution.
45. Le 28 mars 2014, le Premier ministre Garibashvili a annoncé
que le gouvernement proposerait un amendement à la Constitution
destiné à interdire les mariages entre personnes de même sexe. Nous
espérons que le gouvernement réexaminera sérieusement sa position
sur cette question et appelons le parlement à ne pas adopter d’amendement
constitutionnel contenant de telles dispositions.
46. Nous attendons des autorités géorgiennes qu’elles coopèrent
étroitement avec la Commission de Venise pour l’élaboration des
amendements constitutionnels et qu’elles demandent l’avis officiel
de la Commission de Venise avant de les présenter au parlement.
4. Réforme judiciaire
47. L’indépendance du pouvoir judiciaire et l’administration
de la justice en Géorgie sont, depuis longtemps, des sujets de préoccupation
pour l’Assemblée. Comme indiqué dans notre rapport de 2011 à l’Assemblée,
le système de justice pénale était largement piloté par le ministère
public et le pouvoir judiciaire était sous le contrôle de la majorité
alors au pouvoir. Ce manque d’indépendance de la magistrature et
l’ingérence occasionnelle dans le système judiciaire ont bel et
bien entravé, voire sapé, plusieurs réformes importantes entreprises
par le précédent gouvernement dans ce domaine. L’absence d’arbitre
judiciaire impartial a, par ailleurs, miné la confiance de la population
dans l’indépendance du système judiciaire et l’équité de la gouvernance.
48. Les autorités ont indiqué que l’une de leurs priorités serait
la réforme du système judiciaire en vue de le rendre pleinement
indépendant de toute influence politique, qu’elle soit exercée par
le parlement ou par l’exécutif. Un train de réformes ambitieux a
été élaboré par le ministère de la Justice. La plupart des interlocuteurs
ont exprimé leur satisfaction face à ces réformes et souligné leur
pertinence pour garantir l’indépendance de la magistrature et la
prééminence de l’Etat de droit.
49. Le Haut Conseil de la Justice, qui est au centre des efforts
du nouveau gouvernement pour dépolitiser le système judiciaire,
est un élément essentiel de ce train de réformes. Le projet établi
à l’origine par le ministère de la Justice proposait un changement
de composition par la suppression des quatre sièges occupés par
des députés ainsi que des deux attribués à des personnalités nommées
par le Président. En outre, les présidents et vice-présidents de
tribunaux, ainsi que les présidents de chambres et de collèges ne
pourraient pas être élus au Haut Conseil de la Justice par la Conférence
des juges
.
50. A l’évidence, la réforme du Haut Conseil de la Justice était
un sujet politiquement sensible et controversé, notamment dans le
contexte des allégations d’abus du système sous l’ancien gouvernement. C’est
pourquoi le 3 décembre 2012, les autorités ont demandé l’avis de
la Commission de Venise sur les amendements à la loi organique de
la Géorgie sur les juridictions de droit commun. En outre, suite
à une demande de la commission de suivi, les autorités ont accepté
de reporter l’adoption de ces amendements jusqu’à ce qu’elles aient
reçu l’avis de la Commission de Venise.
51. La Commission de Venise a adopté son avis
lors
de sa réunion plénière des 8 et 9 mars 2013. Selon elle, les amendements
proposés améliorent globalement la loi sur le pouvoir judiciaire
et la rapprochent des normes européennes, s’agissant notamment de
garantir l’indépendance de la magistrature.
52. Selon la Commission de Venise, les amendements relatifs à
la composition du Haut Conseil de la justice remédient à plusieurs
lacunes et représentent un progrès par rapport à la législation
actuelle. Cependant, la Commission estime que la proposition d’interdire
aux présidents de tribunaux et de chambres de se faire élire au
Haut Conseil de la Justice est trop large. En lieu et place, la
Commission de Venise suggère de fixer un nombre maximum de présidents
de tribunaux et de chambres pouvant siéger au Haut Conseil de la
Justice et de donner aux présidents élus en plus de ce quota la
possibilité de démissionner de leur fonction de président de tribunal
après leur élection. Afin de réduire encore les risques de politisation
du Haut Conseil, la Commission de Venise a recommandé que ceux de
ses membres qui sont élus par le parlement le soient à la majorité
des deux tiers, en instaurant un mécanisme de sécurité visant à
éviter tout éventuel blocage ou obstruction politique.
53. La cessation anticipée du mandat des membres du Haut Conseil
de la Justice, tel que prévu dans le projet de loi, a constitué
une autre question controversée. A cet égard, la Commission de Venise
s’est dite inquiète de ce que ces amendements permettraient de mettre
fin au mandat des membres du Haut Conseil de la Justice avant échéance,
risquant ainsi de saper l’indépendance de la magistrature et de
créer un précédent sur la base duquel tout nouveau gouvernement
ayant suffisamment de voix au parlement pourrait changer la composition
du Haut Conseil. Elle recommande, par conséquent, que les membres
actuels, à l’exception de ceux qui, selon la Commission de Venise,
ont été nommés en violation des règles par la Conférence des juges, soient
autorisés à achever leur mandat au sein du Conseil.
54. Le 19 mars 2013, le ministère de la Justice a déposé devant
le parlement des amendements révisés à la loi organique de la Géorgie
sur les juridictions de droit commun, fondés sur l’avis de la Commission
de Venise. Ces amendements révisés prenaient en compte toutes les
recommandations de la Commission, à deux exceptions. Seule la proposition
visant à ce que l’élection par le parlement de ses délégués se fasse
à la majorité des deux tiers n’a pas été retenue et surtout la disposition
mettant un terme au mandat des membres du Haut Conseil de la justice
lors de l’entrée en vigueur des règles relatives à la nouvelle composition
a été maintenue. Les autorités ont fait valoir que le fait de reporter
l’application des nouvelles règles concernant la composition du
Haut Conseil était contraire à l’objectif global de dépolitisation
dudit Conseil.
55. Les amendements à la loi organique de la Géorgie sur les juridictions
de droit commun ont été adoptés par le parlement le 5 avril 2013.
Au cours des débats au parlement, les autorités ont finalement consenti
à l’élection des six membres issus du parlement à la majorité des
deux tiers, recommandée par la Commission de Venise. Toutefois,
afin d’éviter un blocage éventuel, une majorité simple est suffisante
pour quatre sièges au second tour de scrutin si aucun des candidats
n’obtient la majorité des deux tiers requise. Pour les deux sièges
restants, une majorité de deux tiers est nécessaire pour tous les
tours de scrutin, ce qui implique que, dans le parlement actuel,
ces vacances ne peuvent être pourvues qu’avec le soutien de l’opposition.
Toutefois, conscients de la nécessité de mettre en œuvre un mécanisme
de sécurité visant à éviter tout éventuel blocage ou obstruction
politique, nous suggérons au parlement d’envisager d’exiger au moins
deux tours de scrutin entre lesquels un délai suffisant serait prévu
pour mener à bien des négociations, avant de passer de la majorité
des deux tiers à une majorité simple. Une telle démarche pourrait
aider et encourager la majorité au pouvoir et l’opposition à se
mettre d’accord sur les membres du Haut Conseil de la Justice élus
par le parlement. Le Président Saakashvili a opposé son veto au
projet de loi le 23 avril 2013, mais le parlement est passé outre
le 1er mai 2013 et son président a entériné
le texte, lui donnant force de loi.
56. Le 10 juin 2013, la Conférence des juges a élu ses sept membres
sur les 15 membres du Haut Conseil de la Justice. Le 14 juin, le
parlement a élu quatre de ses six candidats lors du second tour
de scrutin à la majorité simple. Les deux autres sièges vacants
n’ont pu être pourvus, car le MNU a boycotté le scrutin et, par conséquent,
la majorité des deux tiers pour pourvoir ces sièges n’a pu être
obtenue. Compte tenu des critiques du ministre de la Justice concernant
les membres élus par la Conférence des juges, les craintes de voir
les réformes conduire à un contrôle de la majorité en place sur
le Haut Conseil de la Justice ne sont apparemment pas fondées.
57. Le 4 octobre 2013, le parlement a adopté un amendement à la
loi sur le pouvoir judiciaire introduisant une période probatoire
de trois ans (le maximum autorisé au titre de la Constitution de
2010) pour les juges avant qu’ils puissent être nommés à vie. Cette
période probatoire s’applique également aux juges en exercice (actuellement
nommés pour une période de 10 ans) avant leur nomination à vie.
Le Président du Haut Conseil de la Justice (et Président de la Cour
suprême), à l’instar de plusieurs groupes de la société civile et
d’experts, a mis en garde contre l’adoption de cet amendement. Il
convient de noter que la Commission de Venise, dans son avis sur
la Constitution de 2010 (et selon des dispositions juridiques similaires
dans d’autres pays), a critiqué les périodes probatoires longues,
susceptibles d’affecter l’indépendance de la magistrature. C’est pourquoi
nous enjoignons le parlement de réduire substantiellement la période
probatoire et de la mettre en conformité avec les normes européennes.
58. Le 26 décembre 2013, le parlement est convenu de retarder
l’introduction d’une disposition juridique du Code de procédure
pénale permettant aux seuls tribunaux de contraindre les témoins
à être interrogés et entendus devant eux. Par voie de conséquence,
l’ancienne disposition, qui datait de 2009 et permettait aux procureurs
de forcer des personnes à témoigner, reste en vigueur. Nous regrettons
que la mise en œuvre de la nouvelle disposition, qui élimine toute
possibilité de pressions indues de la part du ministère public,
ait été reportée à plusieurs reprises, d’abord par les dirigeants
du MNU, puis plus tard par ceux de Rêve géorgien.
59. La loi sur les infractions administratives reste une préoccupation.
Selon ce texte, des personnes peuvent être passibles d’une peine
d’emprisonnement maximum de 90 jours pour des infractions administratives.
La possibilité de prononcer des peines de prison pour des infractions
administratives, et en particulier d’une telle durée, a été critiquée
à plusieurs reprises par les partenaires internationaux de la Géorgie,
y compris la Commission de Venise et l’Assemblée. Compte tenu des
nombreuses allégations laissant entendre que les peines privatives
de liberté étaient employées comme moyen illégal de coercition,
nous recommandons au parlement de réviser cette loi afin d’abolir
les peines d’emprisonnement pour les infractions administratives.
60. Bon nombre de nos interlocuteurs nous ont indiqué que les
ingérences politiques dans le travail des tribunaux semblaient avoir
diminué et que la magistrature gagnait régulièrement en indépendance,
y compris à l’égard du ministère public, ce qui avait été un sujet
de préoccupation dans les rapports précédents. Cette évolution semble
confirmée par les procédures engagées devant les tribunaux à l’encontre
d’anciens membres du gouvernement, pendant lesquelles les demandes
de poursuites du ministère public sont régulièrement rejetées. Les
placements en détention provisoire ordonnés par les tribunaux ont
diminué, ainsi que les demandes de détention provisoire formulées
par le ministère public. D’après les autorités, au premier semestre 2013,
les demandes de détention provisoire émises par le ministère public
ont diminué de 9 % par rapport au premier semestre de l’année précédente
et seules 46 % des demandes de mesures de contrainte, comme la détention
provisoire ou la mise en liberté sous caution, ont été acceptées
par les tribunaux. Cependant, malgré cette tendance positive, le
recours à la détention provisoire est encore trop répandu en Géorgie.
Nous tenons à souligner que, en vertu des normes européennes, la
détention provisoire ne doit être appliquée qu’en dernier recours,
en cas de risque manifeste de fuite, d’entrave à la justice, ou
de risque sérieux de voir la personne concernée commettre une infraction
grave ou menacer l’ordre public. Il appartient aux autorités d’élaborer
des lignes directrices destinées au ministère public et aux tribunaux,
garantissant que la détention provisoire est appliquée en pleine
conformité avec les exigences de l’article 5 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE n° 5) et la Recommandation Rec(2006)13
du Comité des Ministres concernant la détention provisoire, les
conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place
de garanties contre les abus.
61. En dépit des améliorations globales, le système judiciaire
reste largement piloté par le ministère public, avec souvent peu
de respect pour la présomption d’innocence. Cet état de fait a également
été mis en lumière dans les procédures judiciaires engagées contre
les anciens responsables gouvernementaux. De plus, la manière dont
les témoins et les suspects sont convoqués et interrogés par les
forces de l’ordre, et notamment par la police financière, ont fait
naître des interrogations. Dans ce contexte, il convient de noter
qu’un grand nombre de procureurs (plus de 300) font l’objet de plaintes
de la part de citoyens pour des erreurs judiciaires, plaintes toujours
en cours d’instruction par le Procureur général. Il est clair que
de nouvelles réformes sont indispensables, notamment des services
de poursuite, afin de garantir que toutes les procédures judiciaires sont
menées conformément aux exigences de la Convention européenne des
droits de l’homme et aux autres normes et principes européens.
62. Le rôle et l’utilisation controversée des autorités répressives
sous le gouvernement précédent ont été vivement critiqués en Géorgie.
En réaction, les nouvelles autorités ont engagé une vaste réforme
du secteur des autorités répressives. Le Département constitutionnel
de la sécurité et les départements des opérations spéciales, largement
accusés d’être responsables des agissements répréhensibles allégués
par le passé, ont été supprimés et une nouvelle loi sur la police
a été adoptée le 4 octobre 2013, prévoyant entre autres un cadre juridique
cohérent pour la mise en place d’une police impartiale et politiquement
indépendante conformément aux normes européennes. En outre, à la
même date, le Parlement géorgien a adopté une loi sur la coopération internationale
entre autorités répressives. Un code de déontologie de la police
géorgienne a également été rédigé par le ministère de l’Intérieur
en coopération avec le Conseil de l’Europe. Ces réformes sont à
saluer.
5. Réformes des médias
63. Les autorités ont engagé une vaste réforme de l’environnement
des médias, y compris du radiodiffuseur public. Ces réformes – qui
visaient à combler les lacunes de l’environnement médiatique relevées,
entre autres, par l’Assemblée – étaient inutilement politisées,
notamment celle du service public de radiodiffusion, en raison du
climat politique tendu qui régnait avant l’élection présidentielle.
64. Depuis le 13 avril 2011, un groupe d’experts indépendant des
médias (Media Advocacy Group) a travaillé sur des propositions de
réforme de la législation sur les médias en Géorgie. Les propositions
traitent notamment de questions telles que les procédures d’agrément,
le pluralisme des médias, l’indépendance des médias et le fonctionnement
du service public de radiodiffusion. Début mars 2012, le groupe
d’experts a proposé plusieurs amendements à la loi sur les médias
qui ont été pris en compte et présentés au parlement par la majorité
au pouvoir.
65. Les missions internationales d’observation d’élections ont
félicité le service public de radiodiffusion de son impartialité
et de sa présentation des faits lors des élections locales de 2010
et des élections législatives de 2012. Cela étant, les sondages
d’opinion réalisés à la demande du National Democratic Institute
(NDI) ont montré que ces dernières années la confiance du public
dans le service public de radiodiffusion est restée très faible
et qu’il est le plus souvent considéré comme étant le porte-parole
des autorités. Ce faible niveau de confiance du public s’est traduit
par des demandes de réforme de cette instance par les nouvelles
autorités, mais également par les organisations de la société civile,
notamment le Media Advocacy Group, le groupe d’experts indépendants
qui a élaboré les amendements à la législation des médias.
66. Les amendements à la loi géorgienne sur la radiodiffusion,
adoptés par le parlement le 1er juin
2013, prévoient de réduire le nombre de membres du conseil d’administration
du service public de radiodiffusion de 15 à 9 et proposent un nouveau
mécanisme pour leur désignation. Auparavant, ils étaient désignés
par le Président qui disposait d’un large pouvoir discrétionnaire.
En vertu de la nouvelle procédure, deux membres sont nommés par
le parlement sur proposition du médiateur, trois sur proposition
de la majorité parlementaire, trois sur proposition de la minorité
et des députés indépendants et un sur proposition du Conseil régional d’Adjarie.
67. Le Représentant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE) pour la liberté des médias a demandé une évaluation
des amendements à la loi sur la radiodiffusion par des experts indépendants.
Le rapport établi dans ce cadre a conclu que les amendements représentaient
une amélioration par rapport à la législation précédente et qu’ils
étaient conformes aux normes internationales. Les dispositions régissant
le processus de nomination du conseil d’administration ont été saluées,
mais le rapport a recommandé l’adoption de mesures transitoires
s’agissant du changement de la composition du conseil d’administration
du service public de radiodiffusion, en particulier à l’approche
de l’élection présidentielle. En réponse, le parlement a décidé
que les changements du conseil d’administration ne prendront effet
qu’au 1er janvier 2014, soit après l’élection
présidentielle. Deux membres du conseil d’administration ont cependant démissionné
le 4 octobre 2013, privant le conseil du quorum requis pour prendre
des décisions. C’est pourquoi, le 13 novembre 2013, le parlement
a adopté un amendement à la loi sur la radiodiffusion autorisant
une mise en œuvre plus tôt que prévu des procédures de nomination
du nouveau conseil d’administration, en l’occurrence le 25 novembre
2013.
68. Le 27 décembre 2013, à l’issue de la procédure de sélection
établie par la loi
,
le parlement n’a pas été en mesure de nommer un nouveau conseil
d’administration, ni la majorité ni l’opposition n’étant parvenue
à choisir le nombre de candidats auquel elles avaient droit de par
la loi. Par ailleurs, sur les six candidats proposés (deux par le
MNU, un par Rêve géorgien, deux par le Défenseur public et un par
le Conseil du service public de radiodiffusion d’Adjarie), seuls
trois ont été confirmés par le parlement, passant outre les recommandations
de la commission de sélection, qui s’était apparemment acquittée
de sa tâche de manière impartiale et professionnelle. Malheureusement,
le 23 janvier 2014, le parlement n’a une nouvelle fois pas réussi
à nommer le conseil d’administration: il a rejeté deux des candidats
proposés par le MNU et celui proposé par le Conseil régional d’Adjarie,
ne nommant que le deuxième candidat du Défenseur public. Par ailleurs,
la majorité parlementaire n’a pas désigné les deux autres candidats
relevant de son quota et un troisième, désigné en dernière minute
par l’opposition, a été rejeté pour des motifs procéduraux.
69. L’échec de la nomination du conseil d’administration a été
vivement critiqué par le Représentant de l’OSCE pour la liberté
des médias et les organisations de la société civile. Ces développements
nous inquiètent également, car ils sont le signe clair que le Parlement
géorgien, tant du côté de la majorité que de l’opposition, entend
politiser la composition et le travail du conseil d’administration,
et au final le service public de radiodiffusion. Nous sommes fermement
d’avis que ce service public et ses organes de direction doivent
être indépendants, impartiaux, et exempts de toute ingérence politique.
La loi sur les médias doit être amendée de manière à contraindre
le parlement à nommer les candidats proposés par les quatre entités
habilitées à le faire à partir d’un groupe de candidats choisis
par la commission publique de sélection sur la base d’un concours impartial
et transparent. A cet égard, nous estimons aussi qu’il est anormal
que le parlement national puisse invalider, de
facto, le choix d’un candidat d’un autre organe législatif,
en l’occurrence le Conseil régional d’Adjarie.
70. Une nouvelle sélection de candidats pour les cinq postes non
encore pourvus était prévue le 11 mars 2014. Cependant, le 11 avril
2014, la Cour constitutionnelle a jugé inconstitutionnelles les
dispositions dissolvant le conseil d’administration en place avant
l’échéance de son mandat. Nous ne savons pas précisément quelles
seront les suites données par le parlement à cette décision de la
Cour constitutionnelle.
71. Le 17 avril 2014, le parlement a nommé trois autres membres
du conseil d’administration, comme proposé par la majorité au pouvoir
et le Conseil régional d’Adjarie, mais a rejeté les deux candidats
de l’opposition.
72. Le Service public de radiodiffusion (SPR) a accumulé une dette
considérable vis-à-vis de l’Etat, qui serait, semble-t-il, contraire
à ses statuts. Le 14 décembre 2012, son directeur a donné sa démission.
Il conteste les allégations selon lesquelles il aurait subi des
pressions ou que cette démission ferait suite à l’audit financier
du SPR. Le 26 décembre, le conseil d’administration a désigné M. Giorgi Baratashvili,
travaillant de longue date au SPR, comme nouveau directeur.
73. Le 1er mars 2013, le directeur
du SPR a licencié le chef du service de l’information, au motif
qu’il aurait présenté des informations orientées contre les autorités
(le chef du service de l’information a été recruté peu de temps
après par le maire de Tbilissi). En réaction, le conseil d’administration
a limogé M. Giorgi Baratashvili. Ce dernier a fait appel de la décision
auprès des tribunaux et a été réintégré sur décision judiciaire.
Le 6 septembre 2013, le conseil d’administration a une nouvelle
fois limogé M. Baratashvili, cette fois au motif qu’il n’avait pas
suffisamment informé le Conseil de la programmation et du budget.
Cette révocation a fait suite à la suppression controversée, par
M. Baratashvili, de deux émissions-débats populaires animées par
deux présentateurs considérés comme proches des anciennes autorités.
Dans une déclaration publique, des organisations de la société civile
ont appelé le service public de radiodiffusion à surmonter les jeux
partisans.
74. A notre avis, le blocage persistant des relations entre le
conseil d’administration et le directeur du service public de radiodiffusion
met en lumière la politisation de ce service public et montre clairement
que le parlement doit nommer sans délai un conseil d’administration
impartial, professionnel et indépendant qui préservera le radiodiffuseur
public des ingérences politiques et des luttes d’intérêt.
75. La transparence dans la propriété des médias a continué de
poser problème en Géorgie durant la période considérée, et ce en
dépit de la législation adoptée en novembre 2010 qui interdit aux
sociétés offshore de posséder plus de 10 % du capital d’une entreprise
détentrice d’une licence de radiodiffusion géorgienne. Transparency
International a rapporté en 2012 que beaucoup de médias restent
la propriété de sociétés écrans. Dans son rapport daté du 16 avril
2014, cette organisation a également noté que la propriété des médias
était désormais beaucoup plus transparente, un seul média, Tabula,
continuant d’être détenu par une société offshore. Elle a relevé
par ailleurs que la plupart des conglomérats du secteur des médias
opérant en Géorgie entretiennent des liens forts avec le MNU ou
Rêve géorgien
.
76. Le 7 mars 2013, le parlement a décidé de créer une commission
d’enquête suite à de graves allégations à propos du fonctionnement
de la Commission nationale géorgienne de communication, l’autorité
chargée de délivrer les licences pour les secteurs des médias et
des communications électroniques et d’en assurer la supervision.
Ces allégations portaient en partie sur un conflit d’intérêts concernant
son responsable, M. Irakli Chikovani, par ailleurs propriétaire
d’une importante entreprise publicitaire qu’il était chargé de superviser
en sa qualité de chef de la Commission nationale géorgienne de communication
. M. Chikovani a démissionné de ses
fonctions le 15 avril 2013. La Commission d’enquête du parlement,
créée le 1er mai 2013, a publié son rapport
le 31 octobre 2013, concluant notamment que la Commission nationale
géorgienne de communication manquait de transparence et d’impartialité.
6. Réforme des pouvoirs
locaux
77. Le nouveau gouvernement a fait de la réforme des
pouvoirs locaux et de celle de l’organisation territoriale du pays
une priorité. Le 23 novembre 2013, il a déposé à cet effet le projet
d’une nouvelle loi organique sur l’autonomie locale. Cette loi a
été vivement critiquée par les groupes conservateurs et l’Eglise orthodoxe
géorgienne, au motif qu’elle accordait trop de pouvoirs aux collectivités
locales et régionales, ce qui, à leur avis, risquait de saper l’unité
de l’Etat. En réalité, les dispositions de la nouvelle loi renforcent, de facto, les droits à l’autonomie
de divers petits groupes ethniques ou religieux minoritaires, ce
qui semble être la raison sous-jacente à ces critiques.
78. Le parlement a adopté en première lecture le 13 décembre 2013,
et en deuxième lecture le 24 janvier 2014 une version édulcorée
de ce projet de loi. Cette version révisée a abandonné la proposition
de gouverneurs et de conseils locaux élus au niveau des villages.
De plus, le nombre de villes autonomes a été réduit, passant de
18 (dans le projet initial) à 12. Cependant, il est important de
noter que même édulcorée, cette loi contient plusieurs améliorations
d’envergure par rapport à la législation précédente, dont certaines suivent
les recommandations formulées par l’Assemblée dans ses résolutions
antérieures. Autre élément important: la nouvelle loi a introduit
l’élection (directe) des maires de 12 villes (avant cette loi, seul
le maire de Tbilissi était élu au suffrage direct) ainsi que des
gamgebeli de
l’ensemble des municipalités.
79. Certaines dispositions font naître des préoccupations, notamment
celles qui permettent aux conseils locaux – les sakrebuli – d’engager des procédures
de mise en accusation contre des maires et des gamgebeli élus. Ces dispositions
posent problème au vu des principes démocratiques. A notre avis,
les procédures de mise en accusation, y compris les motifs qui permettent
de les engager, devraient être clairement définies dans la loi.
80. La loi sur les pouvoirs locaux a un impact considérable sur
le contexte et les conditions dans lesquelles se déroulent les élections
locales. Il semble que les nombreuses discussions au sein du parlement
aient tourné autour du système électoral des pouvoirs locaux. Le
seuil pour que les maires soient élus au premier tour a été relevé
de 30 % à 40 %, sans satisfaire toutefois aux demandes de la société
civile, qui réclamait un seuil de 50 %. Par ailleurs, le seuil pour
qu’un parti siège au conseil local a été abaissé de 5 % à 4 %.
81. La loi a été adoptée le 5 février 2014, soit quatre mois seulement
avant la tenue des élections locales. Nous saluons les changements
positifs instaurés par cette nouvelle loi, mais regrettons qu’elle
ait été adoptée si peu de temps avant le scrutin local, compte tenu
de son impact sur ces élections.
7. Pressions abusives
sur les responsables locaux
82. Après les élections législatives de 2012, de nombreux
changements sont intervenus au sein des pouvoirs locaux, plusieurs
maires et conseillers locaux ayant démissionné ou changé de bord.
Des allégations, dont certaines fondées, ont laissé entendre que
ces changements étaient consécutifs aux pressions abusives exercées
sur des responsables du MNU par des partisans de la nouvelle majorité.
83. Selon certaines allégations, des députés élus sous la bannière
du MNU n’ont pas rejoint ultérieurement la faction MNU du parlement
ou l’ont quitté, sous la pression de la majorité au pouvoir. Au
cours de notre visite en Géorgie, du 8 au 11 avril 2013, nous nous
sommes entretenus avec les membres du groupe des Indépendants. Tous
ont fermement démenti qu’ils aient fait l’objet de pressions. Selon
leurs dires, ils étaient des candidats indépendants de facto ayant accepté de se présenter
sous la bannière du MNU aux dernières élections. L’allégeance à
un parti n’était par conséquent pas un problème et, après les élections,
ils ont estimé pouvoir mieux représenter les intérêts de leurs électeurs
en ne se ralliant à aucune des factions présentes au parlement.
Sans compter, ont-ils affirmé, que l’allégeance politique n’était
pas très marquée au niveau local, ce qui pourrait en partie expliquer
les changements de camp des conseillers municipaux et autres élus
locaux.
84. Plusieurs de ces cas illustrent peut-être aussi l’habitude,
qui perdure, ont toujours certains maires et conseillers locaux
de soutenir le pouvoir en place, quel qu’il soit. Cela étant, nous
avons reçu des informations fiables faisant état d’autres cas qui
semblent être clairement le résultat de mesures de contrainte. Certes,
les démissions et changements de camp font partie du processus démocratique,
mais il est inacceptable qu’ils s’opèrent sous la contrainte.
85. Les dirigeants de la coalition Rêve géorgien admettent que
des partisans locaux ont exercé des pressions sur des élus locaux
pour les pousser à démissionner ou à changer de camp, mais nient
que ces opérations aient été organisées ou cautionnées au niveau
central. En outre, ils affirment que, même s’ils étaient politiquement
discutables, les appels lancés aux représentants des autorités locales
n’avaient rien d’illégal. Cela étant, même si la majorité au pouvoir
n’a ni organisé ni cautionné ces agissements au niveau central,
nous estimons qu’elle n’a pas fait tout son possible pour résolument
faire cesser ces pratiques déplorables. A plusieurs reprises, nous
avons demandé instamment à la majorité de déclarer publiquement
et sans ambiguïté à ses partisans qu’aucune pression abusive sur
des responsables locaux de l’opposition ne serait tolérée. Le Premier
ministre Ivanishvili a annoncé qu’il allait mettre en place un groupe
de travail sous sa responsabilité directe pour enquêter sur toutes
les allégations de pression abusive sur des élus locaux, dans le
but d’y mettre un terme et d’y remédier, le cas échéant. Jusqu’à
présent, nous n’avons reçu aucune information sur la création de
ce groupe de travail. Nous le regrettons car sa mise en place serait
aussi un signal fort et une sérieuse mise en garde adressée aux
militants de tous bords, les avertissant que l’exercice de pressions
indues ne serait plus toléré dorénavant.
86. Les organisations de la société civile ont rapporté que près
de 2 000 agents administratifs des ministères, agences et pouvoirs
locaux ont été démis de leurs fonctions, notamment semblerait-il
pour des raisons politiques. Dans ce contexte, nous tenons à souligner
l’importance d’une fonction publique non-politisée et impartiale.
Le licenciement et le recrutement de fonctionnaires, que ce soit
au niveau national ou local, sur la base d’une affiliation à un
parti politique, nuisent au caractère apolitique et impartial de
cette administration et sont inacceptables. Il est indispensable
que toutes les allégations de licenciement et de recrutement politiques
fassent l’objet d’une enquête approfondie et qu’il y soit au besoin
remédié.
87. Au cours de la campagne présidentielle, plusieurs rapports
ont fait état d’agressions et de troubles violents lors des activités
de campagne du MNU, fomentés par des partisans de la coalition Rêve
géorgien. Quelques personnes ont été arrêtées par la police à l’occasion
de ces incidents et condamnées à des amendes négligeables de 100
GEL, amenant certains à s’interroger sur l’efficacité de la dissuasion
et des sanctions
. Par la suite, le
rapport 2013 sur les droits de l’homme du Département d’Etat américain
a conclu que le gouvernement faisait preuve d’une certaine sélectivité
dans le respect du droit fondamental à la liberté d’association.
Malheureusement, ce genre d’incidents a également été relevé lors
de la campagne pour les élections locales qui se sont tenues le
15 juin 2014. Nous appelons les autorités à prendre rapidement toutes les
mesures requises pour mettre immédiatement un terme à ces pratiques
qui ne doivent pas avoir cours dans une société démocratique.
88. Le 31 mars 2014, un député du MNU, Nugzar Tsiklauri, aurait
été agressé par des inconnus. Le MNU a accusé la majorité au pouvoir,
mais n’a apporté aucune preuve venant étayer ces allégations. Le
Défenseur public et les organisations de la société civile ont appelé
les autorités à engager une enquête approfondie et transparente
sur cette agression afin de dissiper toute suspicion de motivation
politique. L’agression a été fermement condamnée par les autorités
et notamment par le Président du Parlement, Davit Usupashvili, qui
a promis une enquête rapide sur cet incident.
89. Dans les semaines précédant les élections locales du 15 juin
2014, de nombreux candidats de l’opposition, principalement du MNU
mais aussi du Parti chrétien-démocrate et de l’Opposition unie de Mme Burjanadze,
ont retiré leur candidature, sous la pression d’après les allégations
.
Le 30 mai 2014, d’importantes organisations de la société civile
ont publié une déclaration sur le phénomène du retrait de candidats,
apparemment sous la pression, qui risquait dans certaines municipalités
d’invalider toute la liste de candidats des partis concernés
. Les autorités,
via le Groupe de travail inter-administrations sur les élections, a
annoncé que ces allégations feraient l’objet d’une enquête complète.
Il est clair que, si elles sont avérées, de telles pratiques de
pressions exercées sur des candidats pour qu’ils se retirent nuiraient
à la crédibilité démocratique de la Géorgie.
8. Poursuites contre
d’anciens membres du gouvernement et responsables ministériels
90. Après les élections législatives de 2012, plus de
20 000 plaintes ont été déposées auprès du Procureur général par
des citoyens prétendant avoir été victimes d’abus commis par ou
sous l’ancienne administration. Plus de 4 000 plaintes ont trait
à des allégations de torture et de mauvais traitements dans les
prisons, plus de 1 200 concernent des violations des droits de propriété
et près de 1 000 plaintes ont été déposées à l’encontre de 322 procureurs
par des personnes arguant avoir été contraintes d’accepter des accords
de «plaider coupable».
91. Les autorités ont annoncé que la «restauration de la justice»
serait l’une de leurs priorités et souligné qu’il n’y aurait pas
d’impunité pour les abus commis dans le passé par les anciens responsables.
Dans les mois suivants, plusieurs dirigeants de l’opposition et
responsables ministériels ont été arrêtés pour des crimes qui auraient
été commis sous leur responsabilité lorsqu’ils étaient en poste.
Le MNU a dénoncé ces arrestations, constituant à ses yeux des manœuvres
politiques qui relèveraient d’une justice revancharde. De leur côté,
les autorités ont souligné que la justice géorgienne n’était (ni
ne serait) sélective ni motivée par des considérations politiques,
mais que ces personnes étaient accusées de graves crimes de droit
commun
pour lesquels existaient
des preuves suffisantes pour justifier une enquête ou des poursuites.
92. A l’appui de leur position, les autorités rappellent que le
ministre de la Défense et le ministre de la Justice ont tous deux
quitté le pays dans la hâte au lendemain des élections, à l’instar
de plusieurs fonctionnaires de haut rang appartenant au ministère
de l’Intérieur. Si le ministre de la Défense est revenu de son plein
gré en Géorgie, les autres sont toujours en fuite et font l’objet
d’une Notice rouge d’Interpol.
93. Une certaine confusion a régné quant au nombre d’anciens responsables
concernés par ces enquêtes. A ce jour, 35 responsables de l’ancienne
administration ont été accusés d’infractions pénales. Quatorze d’entre
eux sont en détention provisoire, 13 en liberté sous caution, un
a été remis en liberté sans mesures restrictives, cinq ont fui le
pays, trois ont été condamnés, dont un a été gracié
par le Président
Saakashvili. Par ailleurs, de nombreux anciens fonctionnaires ont
fait l’objet d’inculpations.
94. Les allégations de justice sélective et motivée par des considérations
politiques et de revanchisme de la part des nouvelles autorités
sont très préoccupantes. De plus, elles suscitent des émotions et
des crispations importantes dans un climat politique déjà tendu,
et ne sont pas bénéfiques à l’environnement politique et au développement
démocratique du pays.
95. Les poursuites les plus médiatisées à l’encontre d’anciens
responsables gouvernementaux du MNU concernent l’ancien ministre
de la Défense, Bacho Akhalaia, l’ex-Premier ministre et ministre
de l’Intérieur et actuel Secrétaire général du MNU, Vano Merabishvili,
et l’ancien maire de Tbilissi Gigi Ugulava, tous membres influents
du cercle des proches de l’ancien Président Saakashvili.
96. En novembre 2012, l’ancien ministre de la Défense Bacho Akhalaia
a été accusé «d’avoir outrepassé ses pouvoirs» en relation avec
de prétendus abus commis par des militaires, ainsi que de privation
illégale de liberté. Plus tard le même mois, il a été également
accusé de torture en relation avec une affaire de prétendues exactions
commises sur des militaires. Le 1er mars
2013, une autre action a été engagée contre M. Akhalaia pour abus
de pouvoir au motif qu’il aurait battu plusieurs détenus alors qu’il
était chef des services pénitentiaires, donnant lieu au final aux
célèbres émeutes carcérales de 2005. De nouvelles accusations ont été
portées contre lui le 25 octobre 2013 où il lui est reproché d’avoir
accordé des conditions de détention «privilégiées» à quatre anciens
fonctionnaires du ministère de l’Intérieur condamnés dans l’affaire
du meurtre de Sandro Girgvliani
. Enfin, le 13 janvier 2014, il a été accusé
de torture sur des prisonniers. Pour le MNU, ces multiples affaires
sont la preuve de la motivation politique des poursuites engagées
contre M. Akhalaia et les autres hauts responsables du mouvement.
En août 2013, M. Akhalaia a été blanchi des accusations initiales
relatives à des exactions commises sur des soldats et des militaires,
mais le 28 octobre 2013 il a été reconnu coupable de traitement
inhumain infligé à des détenus et condamné à trois ans et quatre
mois d’emprisonnement. Le 3 novembre 2013, dans une décision controversée,
M. Akhalaia a été gracié par le Président sortant Saakashvili. En
dépit de l’appel déposé par le procureur, son acquittement concernant
les exactions commises sur des militaires a été confirmé par la
Cour d’appel le 17 avril 2014. Concernant les autres accusations
portées contre M. Akhalaia, qui est toujours en détention provisoire,
les dossiers sont en cours à l’heure où ce rapport est rédigé.
97. Le 23 février 2013, le maire de Tbilissi, Gigi Ugulava, un
proche de l’ancien Président Saakashvili, a été mis en examen pour
mauvaise utilisation et détournement de fonds publics, ainsi que
pour blanchiment d’argent. La demande du ministère public de le
suspendre de sa fonction de maire de Tbilissi et de lui interdire de
quitter le territoire national a été initialement rejetée par le
tribunal municipal de Tbilissi, décision confirmée en appel. Cependant,
le 22 décembre 2013, le tribunal municipal de Tbilissi l’a suspendu
de ses fonctions suite à des accusations de mauvaise utilisation
des fonds publics portées contre lui. Le ministère public a avancé que,
en restant en fonctions, M. Ugulava risquait de se trouver en mesure
de détruire des preuves. Une nouvelle demande de placement en détention
provisoire déposée par le procureur a été rejetée. La décision de
suspendre M. Ugulava, maire de Tbilissi élu au suffrage direct,
a été prise sans que la défense et l’accusation aient pu faire entendre
oralement leurs arguments, ce qui a mené à des allégations de décisions judiciaires
à motivation politique. Selon M. Ugulava, le juge en question aurait
pris sa décision sous la pression du chef du service des enquêtes
internes du ministère de l’Intérieur. Des organisations de la société
civile ont appelé les autorités à enquêter en toute transparence
sur ces allégations afin de lever les doutes dans cette affaire
politiquement sensible. M. Ugulava a officiellement contesté sa
suspension devant la Cour constitutionnelle de Géorgie. Nous sommes
d’avis qu’en principe, la suspension d’un responsable élu par un tribunal,
sans qu’il ait été reconnu coupable d’un crime, est une décision
qui soulève de sérieuses inquiétudes.
98. Le 21 mai 2013, Vano Merabishvili, ex-Premier ministre et
ex-ministre de l’Intérieur, et Zurab Tchiaberashvili, ex-ministre
de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, ont été arrêtés
et accusés de mauvaise utilisation et détournement de fonds publics
pour payer des militants du MNU lors des élections législatives
de 2012. Sous un autre chef d’inculpation, M. Merabishvili a été
accusé de détournement de biens privés. Le parquet a demandé la
détention provisoire des deux individus. Toutefois, le tribunal
de Koutaïssi a rejeté la demande concernant M. Tchiaberashvili qui
a été libéré sous caution (20 000 GEL
)
le 23 mai 2013. Pour M. Merabishvili, le tribunal a souscrit aux
arguments du parquet selon lesquels, entre autres, en tant qu’ancien
ministre de l’Intérieur, il serait potentiellement à même d’influer
sur d’anciens subordonnés dans les instances répressives pour entraver
l’enquête. M. Merabishvili a fait appel de cette décision, mais
la cour d’appel de Tbilissi a confirmé les décisions rendues par
le tribunal de Koutaïssi. Le 28 mai 2013, de nouvelles accusations
ont été portées contre lui pour la dispersion controversée d’une
manifestation à Tbilissi le 26 mai 2011. Le 17 février 2014, M. Merabishvili
a été reconnu coupable du versement illégal de 5,2 millions de GEL de
fonds publics au budget de campagne du MNU pour les élections législatives
de 2012 et de détournement de biens privés à des fins personnelles.
Il a été condamné à ce titre à une peine de prison de cinq ans. M. Tchiaberashvili
a été reconnu coupable de manquement à son devoir et condamné à
une amende de 50 000 GEL
. Le 27 février 2014, M. Merabishvili
a été condamné à quatre ans et six mois d’emprisonnement pour avoir
outrepassé ses pouvoirs officiels en liaison avec la dispersion
de la manifestation du 26 mai 2011. M. Merabishvili a fait appel
des deux condamnations. Par ailleurs, les poursuites engagées contre
lui dans le cadre du meurtre de Sandro Girgvliani sont toujours
en cours.
99. Le 17 décembre 2013, M. Merabishvili a affirmé avoir été emmené
de la prison, à minuit, vers un lieu inconnu où le procureur général
Partskhaladze l’aurait menacé d’arrêter les membres de sa famille
s’il ne coopérait pas dans l’affaire du décès de l’ancien Premier
ministre Zvhania. Ces allégations ont été démenties par le bureau
du procureur général ainsi que par le Premier ministre et le Président
du parlement. Suite à un appel d’organisations de la société civile,
dont Transparency International et l’Association des jeunes juristes géorgiens,
et du Défenseur public, le ministre en charge des services pénitentiaires
a déclaré le 23 décembre 2013 avoir ouvert une enquête officielle
sur les déclarations de M. Merabishvili. Cependant, le 15 janvier
2014, il a annoncé que les enregistrements vidéo de la caméra placée
dans la cellule de M. Merabishvili avaient été détruits car la caméra
enregistre en boucle sur 24 heures
.
Il n’existe donc pas de preuve vidéo concluante venant étayer ou
contredire les affirmations de M. Merabishvili. Compte tenu du scandale
des mauvais traitements sur des détenus, nous sommes clairement
d’avis qu’il convient de mettre en place des règles et procédures
juridiques précises concernant la collecte et la conservation des
enregistrements vidéo effectués dans les établissements pénitentiaires.
Ces éléments sont à prendre très au sérieux. Les allégations de M. Merabishvili
et l’absence de politique claire sur la collecte et la conservation
de tels enregistrements vidéo doivent faire l’objet d’une enquête
approfondie. Le ministère en charge du Système pénitentiaire nous
a informés que les images tournées par les caméras de surveillance
aux abords de la prison ne semblaient pas confirmer les allégations
de M. Merabishvili et que les registres pénitentiaires ne montraient
aucun mouvement de personnes. En se fondant entre autres sur ces
constats, le ministère en charge du Système pénitentiaire a conclu
que les plaintes étaient infondées et a mis fin aux enquêtes en
cours.
100. Le 22 mars 2014, le bureau du procureur a annoncé qu’il avait
cité à comparaître l’ancien Président Saakashvili, qui réside actuellement
aux Etats-Unis, dans le cadre de 10 dossiers différents. Les partenaires internationaux
de la Géorgie, y compris l’Union européenne et le Département d’Etat
américain, se sont dits préoccupés par une citation concernant simultanément
un aussi grand nombre d’affaires qui, compte tenu de la fragilité
du système judiciaire de la Géorgie, pourrait donner l’impression
de représailles politiques. Le 27 mars 2014, le bureau du procureur
a proposé d’interroger l’ancien Président Saakashvili – qui avait
refusé de retourner à Tbilissi pour comparaître – par liaison vidéo
ou par Skype. M. Saakashvili a dans un premier temps refusé. Cependant,
le 29 mars 2014, il a fait savoir par l’intermédiaire de M. Ugulava
qu’il était prêt à répondre aux questions de la justice par liaison
vidéo.
101. Depuis le 16 janvier 2013, un projet d’amendement au Code
de procédure pénale prévoit la possibilité pour les anciens membres
du gouvernement faisant l’objet de poursuites pénales de demander
un procès devant jury. Mis en place par l’ancien gouvernement comme
une mesure visant à renforcer l’impartialité du système judiciaire,
les procès devant jury sont d’ores et déjà possibles devant les
tribunaux de Tbilissi et de Koutaïssi pour les affaires portant
sur des meurtres aggravés et des violences sexuelles. Cet amendement donne
aux inculpés le choix entre un procès devant jury ou un procès par
des juges
.
Malheureusement, un amendement controversé tendant à réintroduire
les dispositions exigeant l’accord du procureur pour un procès devant
jury a été déposé au parlement. Toutefois, cet amendement a été
rejeté en dernière lecture par le parlement, ce dont on doit se
féliciter.
102. Nous tenons à souligner qu’il ne saurait y avoir d’impunité
pour des crimes de droit commun, commis notamment (voire surtout)
par des membres du gouvernement et des responsables politiques,
actuels ou anciens. Cela étant, particulièrement dans le contexte
politique actuel, il importe de garantir que les affaires pénales
impliquant d’anciens fonctionnaires gouvernementaux ne donnent pas
le sentiment de relever d’une justice revancharde ou motivée par
des considérations politiques. Aussi les autorités veilleront-elles
à ce que les procédures juridiques soit menées en toute transparence
et dans le plein respect des obligations de la Géorgie au regard
des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Non seulement la justice ne devrait être ni sélective ni motivée
par des considérations politiques, mais il faudrait aussi qu’elle
soit perçue comme telle.
103. A plusieurs reprises, les autorités ont souligné qu’elles
garantissaient que les procédures juridiques seraient transparentes,
impartiales et pleinement conformes à la Convention européenne des
droits de l’homme. Elles ont invité la communauté internationale,
notamment le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire,
à envoyer des observateurs pour contrôler les procédures judiciaires.
Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme
de l’OSCE (OSCE/BIDDH) a suivi les procès contre plusieurs anciens hauts
responsables gouvernementaux et publiera un rapport une fois ces
affaires menées à terme. De plus, ces procédures sont suivies de
près par le Conseiller spécial de l’Union européenne pour la réforme
juridique et constitutionnelle en faveur des droits de l’homme en
Géorgie, M. Hammarberg.
104. Compte tenu du coût politique de chaque arrestation et des
poursuites qui s’en suivent – en termes de controverses et d’antagonismes
– il ne paraît pas judicieux de traduire en justice d’anciens membres
et hauts fonctionnaires du gouvernement pour des délits mineurs;
il faut décourager cette pratique. A cet égard, les autorités nous
ont informés à plusieurs reprises qu’elles étaient disposées à envisager
une amnistie totale pour tous les délits (hormis les délits avec
violence) commis par des fonctionnaires ordinaires et une amnistie partielle
pour les hauts fonctionnaires et les personnalités politiques. Ce
point a également fait partie des négociations avec l’opposition
dans le contexte de la révision constitutionnelle. Nous saluons
cette initiative, car elle devrait permettre, nous semble-t-il,
de réduire considérablement les tensions au sein du système politique.
Dans ce contexte, nous tenons à souligner que le principe de présomption
d’innocence devrait être strictement respecté dans ces affaires,
y compris et tout spécialement par les actuels responsables gouvernementaux,
ce qui malheureusement n’a pas toujours été le cas.
105. Les actions en justice contre les anciens responsables gouvernementaux
ont continué d’être au cœur de la campagne pour les élections locales,
tout comme elles l’ont été durant la campagne présidentielle. C’est pourquoi,
le 14 avril 2014, le Premier ministre Garibashvili a annoncé un
moratoire sur les poursuites judiciaires intentées contre les anciens
responsables durant la campagne pour les élections locales qui se
sont tenues le 15 juin 2014.
9. Amnistie et examen
des possibles erreurs judiciaires
106. L’Assemblée parlementaire, ainsi que d’autres instances
internationales et des personnalités comme le Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, ont exprimé dans de précédents
rapports
leurs inquiétudes
concernant l’administration de la justice et l’indépendance du système
judiciaire en Géorgie. Dans notre rapport à l’Assemblée de 2011,
nous avions fait état de nos préoccupations à propos de «la pression
sur le judiciaire et les limites de l’indépendance du judiciaire»
.
Nous avions également noté que «de plus en plus d’allégations, pour
la plupart formulées par les partis d’opposition et un certain nombre
d’ONG, font état d’enquêtes pénales à motivation politique, visant
certaines figures de l’opposition et des représentants de la société
civile critiques du gouvernement, ainsi que leurs familles, et de
pressions et motivations politiques influençant les accusations
et les condamnations»
. A la lumière des défaillances
relevées concernant l’administration de la justice et l’indépendance
du système judiciaire, nous avions déclaré que «[l]a limite entre justice
inégale et justice sélective est floue. Les problèmes en ce qui
concerne l’administration de la justice peuvent aisément donner
une certaine crédibilité, particulièrement dans l’environnement
politique chargé qui existe actuellement, aux allégations selon
lesquelles les motivations politiques peuvent influencer l’application de
la justice en Géorgie»
.
107. Le 5 décembre 2012, le parlement a adopté une résolution controversée
dans laquelle il reconnaissait 190 personnes comme prisonniers politiques
et 25 autres comme «exilés politiques». La résolution a été vivement
contestée par l’opposition qui a, naturellement, nié l’existence
de prisonniers politiques lorsque le MNU était au gouvernement.
De plus, en déclarant ces personnes comme prisonniers ou exilés
politiques en l’absence d’un véritable contrôle judiciaire, le parlement
pourrait bien avoir outrepassé son rôle constitutionnel en s’immisçant
directement dans ce qui doit être, d’abord et avant tout, un processus
judiciaire. En réponse aux critiques de la communauté internationale,
notamment de l’Assemblée, les autorités géorgiennes ont annoncé
qu’elles n’examineraient aucune autre résolution déclarant les personnes
«prisonniers politiques» pour traiter les cas considérés par le
parlement comme des erreurs judiciaires.
108. L’une des mesures clés du gouvernement précédent avait été
l’adoption d’une politique de tolérance zéro envers la criminalité.
Cette politique et les peines de prison qui en ont découlé, combinées
aux carences dans l’administration de la justice, ont fait que la
Géorgie enregistre l’un des plus forts taux de population carcérale
per capita de toute l’Europe. D’où une importante surpopulation
carcérale qui a soulevé de vives préoccupations en matière de droits
de l’homme. La situation découlant en la matière de l’extrême, voire
de l’excessive surpopulation carcérale est apparue au grand jour
avec le scandale des abus subis par des détenus, lequel a éclaté
en septembre 2012, lorsque des vidéos ont commencé à circuler attestant
les actes de maltraitance et de torture systémiques perpétrés sur
les détenus d’une prison géorgienne.
109. La réforme des services pénitentiaires et la baisse du nombre
de détenus comptent par conséquent parmi les priorités des nouvelles
autorités. Dans cette perspective, le parlement a adopté une loi
d’amnistie permettant de libérer des détenus coupables de délits
mineurs et de réduire les peines des récidivistes et des personnes
reconnues coupables de crimes graves. Si le principe de réduction
de la population pénitentiaire peut compter sur un soutien bipartisan,
il n’en va pas de même pour la loi d’amnistie, adoptée le 22 décembre 2012,
en raison de l’inclusion de personnes figurant sur la liste de prisonniers
politiques susmentionnée, adoptée par le parlement le 5 décembre
2012. L’insertion de cette disposition dans la loi d’amnistie soulève des
questions juridiques car, pour l’essentiel, elle ajoute une liste
arbitraire de personnes, condamnées pour des motifs très variables,
à une amnistie générale. Cette situation a également été critiquée
par la Commission de Venise dans son avis sur la loi d’amnistie
.
Suite à cette amnistie et aux grâces accordées successivement par
l’ancien Président Saakashvili et le Président Margvelashvili, la
population carcérale en Géorgie a diminué de plus de la moitié,
tombant à moins de 10 000 détenus.
110. Les autorités ont insisté sur la nécessité d’un mécanisme
approprié pour réexaminer et, au besoin, corriger les cas d’erreurs
judiciaires. Pour justifier ces mécanismes, elles ont fait valoir
plus de 20 000 plaintes déposées auprès du parquet par des citoyens
géorgiens prétendant avoir été victimes d’erreurs judiciaires et d’abus
du système judiciaire commis par les autorités précédentes. Ces
plaintes incluent des allégations de «plaider coupable» contraint,
de violations des droits de propriété et de mauvais traitements
en prison. Même si beaucoup d’entre elles sont sans véritable fondement,
leur seul nombre et leur configuration laissent entrevoir que les
erreurs judiciaires étaient plus systématiques qu’estimées au départ.
Cet état de fait est confirmé par ailleurs par plusieurs organisations
non gouvernementales (ONG) géorgiennes dignes de foi ainsi que par
le Défenseur public (Médiateur).
111. Le 14 mai 2013, le ministère géorgien de la Justice a demandé
l’avis de la Commission de Venise sur le projet de loi relatif à
la Commission d’Etat temporaire pour les erreurs judiciaires de
la Géorgie. Dans son avis,
la
Commission de Venise a vivement critiqué l’idée qu’un organe non-judiciaire
puisse examiner les affaires afin de décider s’il y avait lieu de
les rouvrir, car cela reviendrait à remettre en cause l’indépendance de
la magistrature et la séparation des pouvoirs.
112. Nous soutenons pleinement le principe selon lequel les prétendues
erreurs judiciaires doivent être examinées et au besoin corrigées.
Nous insistons toutefois pour que tout mécanisme mis en place soit
une procédure judiciaire respectant pleinement la séparation des
pouvoirs, l’indépendance du pouvoir judiciaire et les obligations
de la Géorgie dérivées de la Convention européenne des droits de
l’homme. Ces éléments ont également été soulignés par M. Hammarberg
dans son rapport «Géorgie en transition». Des mécanismes similaires,
chargés de traiter les erreurs judiciaires et respectant les principes
susmentionnés existent dans d’autres pays, par exemple au Royaume-Uni
et en Norvège, et peuvent servir d’exemple pour la Géorgie.
113. Le 29 novembre 2013, le ministre de la Justice a annoncé le
report de la création d’un mécanisme traitant les erreurs judiciaires,
au motif que le gouvernement ne disposait pas des ressources financières nécessaires
pour indemniser les personnes reconnues victimes d’une erreur judiciaire.
Cependant, le 14 avril 2014, le ministre de l’Economie, George Kvirikashvili,
a déclaré que le gouvernement collaborait activement avec le bureau
du procureur général sur la question des biens confisqués sous l’ancien
gouvernement.
10. Questions relatives
aux minorités et rapatriement de la population meskhète
114. Comme évoqué précédemment, l’intolérance et la discrimination
envers les minorités, notamment les minorités sexuelles et religieuses,
largement absentes du discours politique officiel dans le pays,
ont resurgi dans les derniers temps, ce qui est très regrettable.
Selon les organisations des minorités, les discours intolérants
sont devenus plus courants dans le discours public mais les autorités
continuent de faire preuve d’un esprit d’ouverture et d’engagement
en faveur des droits des minorités. Nous tenons à exprimer nos préoccupations
face au regain et à l’acceptation apparente de propos intolérants
et de plusieurs initiatives, y compris de la part de membres de
haut niveau du gouvernement, susceptibles de restreindre les droits
des minorités en Géorgie. La proposition de l’actuel Premier ministre
d’une interdiction constitutionnelle des mariages entre personnes
du même sexe
en est un parfait exemple.
115. Le 17 mai 2013, des personnes assistant à un rassemblement
marquant la Journée internationale contre l’homophobie ont été violemment
agressées par les participants à une contre‑manifestation organisée par
l’Eglise orthodoxe géorgienne. La situation anarchique qui a prévalu
durant ces événements suscite des interrogations quant à l’état
de préparation de la police pour répondre à un tel déferlement de
violence. Nous condamnons fermement l’homophobie et l’intolérance
caractérisée qui n’ont pas leur place dans une société démocratique.
Nous regrettons en particulier la participation de membres du clergé
à ces actes de violence, compte tenu de la haute autorité morale
dont jouit l’Eglise orthodoxe géorgienne dans la société. Nous demandons
instamment aux autorités géorgiennes qu’elles traduisent en justice
tous les auteurs de ces actes, conformément à la loi. A cet égard,
nous nous félicitons de la déclaration du Premier ministre géorgien,
selon laquelle les auteurs des violences du 17 mai, qu’ils appartiennent
ou non au clergé, ne resteront pas impunis. Nous regrettons cependant
qu’à ce jour quelques rares personnes seulement aient fait officiellement
l’objet de poursuites pour leur rôle dans les violences du 17 mai,
en dépit des nombreux enregistrements vidéo des événements. Ceci
fait naître des doutes quant à la volonté réelle des autorités de
poursuivre les instigateurs et les auteurs de ces violences. Lors
de notre visite en janvier 2014, nous avons appris des autorités
que des poursuites pénales avaient été engagées contre certains
ecclésiastiques impliqués dans ces incidents violents.
116. Le regain d’intolérance envers les minorités religieuses est
également source de préoccupations. Au cours du premier semestre
2013, plusieurs incidents ont éclaté à Samtatskaro, Tsintskaro et
Nigvzianientre, entre autres, au cours desquels des groupes orthodoxes
géorgiens ont empêché des cérémonies de prière des communautés musulmanes
.
117. Ces incidents ont connu leur apogée le 26 août 2013 avec le
démontage par la police, pour des motifs discutables, du minaret
nouvellement construit de la mosquée de Chela. Au départ, cette
opération semblait faire suite à une décision du sakrebulo local, qui avait déclaré
illégale la construction du minaret et en avait ordonné la suppression.
Par la suite, il est cependant clairement apparu que l’opération
avait été ordonnée par l’administration fiscale du ministère des
Finances pour de prétendues violations de la législation sur les importations.
Le démontage du minaret a déclenché plusieurs manifestations, soit
pour s’opposer à sa suppression, soit pour s’opposer à son éventuelle
reconstruction. Ces manifestations et contre-manifestations témoignent
du caractère toujours sensible des questions ayant trait aux minorités
religieuses. Le minaret a été réinstallé le 28 novembre 2013. Il
est important que les autorités tirent les enseignements de cet
incident et prennent des mesures afin d’éviter qu’il ne se reproduise.
118. Le 10 avril 2014, le Gouvernement géorgien a présenté au parlement
un projet de loi sur «l’élimination de toutes les formes de discrimination».
L’adoption d’une législation anti-discrimination complète était
l’une des exigences du plan d’action de
l’Union européenne concernant
la libéralisation du régime des visas pour
la Géorgie, visant à octroyer au pays un régime d’exemption de visa.
Le projet de loi a fait l’objet de critiques de la part de plusieurs
organisations reconnues de la société civile pour n’être qu’une
version édulcorée du texte original préparé par le ministère de
la Justice et accueilli favorablement par la communauté internationale.
Le projet de loi présenté au parlement ne prévoit plus la création
d’un service d’inspection spécial chargé de veiller à la mise en
œuvre de la législation anti-discrimination et confie cette mission
au Défenseur public – sans lui allouer, semble-t-il, de ressources
supplémentaires. Par ailleurs, la possibilité d’appliquer des sanctions financières
aux auteurs de violations de la loi anti-discrimination a été supprimée
du projet de loi présenté au parlement.
119. La loi anti-discrimination a été adoptée en première lecture
le 18 avril 2014. Un élément de controverse majeur de ce projet
de loi est l’interdiction explicite de la discrimination en vertu
de l’orientation sexuelle, une mesure à laquelle sont opposés, entre
autres, les groupes conservateurs et orthodoxes de la société géorgienne.
Beaucoup d’interlocuteurs s’attendaient à ce que de nombreux amendements
soient apportés à cette loi lors de son adoption en seconde lecture.
La loi a été adoptée le 2 mai 2014 et est entrée en vigueur le 7
mai. A notre satisfaction, l’orientation sexuelle y figure toujours
parmi les motifs interdits de discrimination.
120. La question de l’éventuelle signature et ratification de la
Charte européenne des langues régionales et minoritaires (STE n°
148), un des engagements souscrits par la Géorgie lors de son adhésion
au Conseil de l’Europe, a fait l’objet de quelques controverses
début 2013. Beaucoup d’informations fausses et de malentendus circulent
en Géorgie à propos de la Charte. Une partie de la société craint
– à tort – que la signature et la ratification de la Charte affaiblissent
l’unité nationale et pense que l’examen des affaires par les tribunaux
et les sessions des conseils municipaux se dérouleront automatiquement
dans toutes les langues minoritaires. De même, les minorités craignent
– toujours à tort – que la signature et la ratification de la Charte affaiblissent
les politiques déjà en place pour protéger les langues et les droits
des minorités en Géorgie. Les autorités ont souligné qu’elles continuaient
d’œuvrer en faveur de la signature et de la ratification de la Charte, mais
que ce processus méritait d’être soigneusement planifié compte tenu
de l’opposition de plusieurs groupes sociaux. Il est à noter que
la législation nécessaire pour mettre en œuvre la Charte sera relativement
modeste car, à de nombreux égards, la législation linguistique géorgienne
va déjà plus loin que la Charte. Compte tenu des nombreuses méprises
concernant la Charte dans la société géorgienne, nous recommandons
aux autorités d’organiser, conjointement avec les médias et la société
civile, une campagne de sensibilisation visant diverses parties
prenantes au processus, afin de clarifier les dispositions et les
exigences de la Charte. Nous espérons que cette opération permettra
à la Géorgie d’honorer dans un futur proche cet engagement souscrit
lors de son adhésion.
121. Nous avons continué de suivre étroitement la question du rapatriement
de la population meskhète, autre engagement pris par la Géorgie
dans le cadre de son adhésion. Au total, 5 841 demandes éligibles
de rapatriement – concernant 9 350 personnes – ont été reçues par
les autorités géorgiennes. Environ 1 500
statuts de rapatrié ont été octroyés. Cependant,
à ce jour, seules quelques rares personnes sont rentrées. Diverses
raisons sont avancées pour expliquer cette situation, notamment
le coût élevé associé au rapatriement
, pour lequel aucune aide
financière n’est prévue, si ce n’est très limitée. Parmi les personnes ayant
obtenu le statut de rapatrié, très peu ont reçu la nationalité géorgienne
. Jusqu’à présent, le programme de
rapatriement semble avoir été principalement axé sur l’octroi du
statut de rapatrié et non sur la facilitation du rapatriement proprement
dit.
122. A diverses occasions, nous avons invité les autorités, actuelles
ou anciennes, à élaborer une stratégie globale de rapatriement.
Après le changement de gouvernement, la responsabilité de la coordination
du rapatriement de la population meskhète déportée a été transférée
du Conseil national de sécurité au ministère des Personnes déplacées
depuis les territoires occupés, du Logement et des Réfugiés. Le
ministère d’Etat pour la Réconciliation et l’Egalité civique nous
a informés que l’élaboration d’une stratégie globale de rapatriement,
telle que nous l’avions proposée, était l’une des priorités du nouveau
groupe de travail interinstitutions chargé de coordonner ces rapatriements.
Nous avons suggéré aux autorités de négocier la levée de tous les
obstacles posés dans les pays d’origine au rapatriement dans le
cadre du Conseil de l’Europe.
11. Surveillance illégale
123. En août 2013, le ministère de l’Intérieur a annoncé
avoir découvert, en plusieurs lieux, plus de 24 000 bandes vidéo
et audio illégales, enregistrées par les forces de l’ordre sans
l’autorisation des tribunaux et en contravention avec la loi. Les
contenus montrent que ces enregistrements ont été réalisés à des
fins politiques, y compris de chantage. L’ampleur de ces surveillances
illégales à motivation politique constitue une violation systémique
de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme
.
124. Une commission spéciale ad hoc a été mise en place pour enquêter
sur cette surveillance illégale. Elle a recommandé la destruction
des enregistrements illégaux à l’issue de l’enquête. Ce qui fut
fait le 5 septembre 2013, même si des copies illégales de ces enregistrements
risquent encore de circuler aux mains d’intérêts privés. Le 27 juillet
2013, une amnistie a été décrétée par le parlement pour toutes les
personnes impliquées dans les surveillances illégales ainsi que
pour ceux qui remettront de leur propre gré les copies illégales
des enregistrements dans un délai de trois mois à compter de la
déclaration d’amnistie. Le 12 mai 2013, un vice-ministre de l’Intérieur
a été démis de ses fonctions et arrêté pour avoir fait circuler
une de ces vidéos visant un journaliste critique. Cet incident souligne
le danger de ces enregistrements et des éventuelles copies illicites.
125. L’éventualité d’une surveillance massive et illégale continue
d’être source de vives préoccupations. En dépit de leurs déclarations,
les nouvelles autorités ne semblent pas avoir apporté de changement
systémique et à grande échelle aux capacités de surveillance des
forces de l’ordre. A titre d’exemple, l’équipement qui permet au
ministère de l’Intérieur d’accéder directement aux communications
privées des citoyens est toujours en place chez les opérateurs de
télécommunication. Les autorités ont mis en place un inspecteur
indépendant chargé de la protection des données, mais cette mesure
est insuffisante. Il convient de développer une législation complète
régissant la collecte des données et la surveillance par les autorités.
Le 6 mars 2014, un grand nombre d’organisations réputées de la société
civile ont lancé une campagne intitulée «Ceci vous touche», qui
vise à instaurer un cadre légal de contrôle des capacités de surveillance
des autorités. En réaction, les autorités ont indiqué préparer un
projet de train de lois destiné à renforcer l’encadrement juridique des
opérations de surveillance.
12. Les conséquences
de la guerre entre la Russie et la Géorgie
126. Conformément à la décision de la commission de suivi
du 27 janvier 2011, nous avons préparé, conjointement avec les corapporteurs
pour la Russie, et sous l’égide de la présidence de la commission,
une note d’information sur les récents développements liés aux conséquences
de la guerre entre la Russie et la Géorgie. Cette note a été élaborée
sur la base d’une visite d’information effectuée à Tbilissi et à
Moscou du 12 au 16 mai 2013. Nous regrettons que les autorités
de facto de Soukhoumi et Tskhinvali
aient refusé de rencontrer notre délégation. La note d’information
qui expose nos conclusions conjointes
a
été déclassifiée en juin 2013. Aucun développement important n’est
intervenu depuis sa publication.
127. Conjointement avec les corapporteurs pour la Russie, nous
avons rencontré en novembre 2013 des représentants du bureau du
procureur général de la Cour pénale internationale de La Haye, qui
nous ont informés des possibilités d’ouverture d’une enquête officielle
sur d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis
au cours de la guerre entre la Russie et la Géorgie.
128. A l’instar de son prédécesseur, l’administration de Rêve géorgien
est fermement engagée sur la voie de l’intégration européenne et
de l’adhésion à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
Elle a exclu tout rétablissement de relations diplomatiques avec
la Russie tant que l’intégrité territoriale de la Géorgie ne sera
pas restaurée. Dans le même temps, elle a publiquement fait état
à plusieurs occasions de son souhait d’améliorer les relations avec
la Fédération de Russie dans d’autres domaines non directement liés
au conflit en cours à propos des régions séparatistes d’Ossétie
du Sud et d’Abkhazie. L’ancien Premier ministre Ivanishvili a nommé
un envoyé spécial pour les relations avec la Fédération de Russie.
Cet envoyé rencontre régulièrement des responsables de haut rang
du ministère russe des Affaires étrangères, souvent dans le cadre
des discussions de Genève. Ces réunions ont apporté quelques développements
positifs pour les relations entre les deux pays, pour l’essentiel
dans les domaines économique et commercial. Dans le même temps,
les réunions de Genève, présidées en commun par l’OSCE, les Nations
Unies et l’Union européenne et mises en place après la guerre entre
la Russie et la Géorgie, restent le principal forum de négociation
entre les deux pays concernant les conséquences de la guerre.
129. Le 1er janvier 2014, le ministère
d’Etat pour la Réintégration a changé de dénomination pour devenir
le ministère d’Etat de la Réconciliation et l’Egalité civique. Ce
ministère reste en charge des relations avec les régions séparatistes
d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Les autorités espèrent que ce changement
de dénomination facilitera les relations avec les autorités de facto de Tskhinvali et de Soukhoumi,
qui contestent la notion de réintégration.
13. Conclusions
130. Pour la première fois dans l’histoire de la Géorgie,
depuis sa déclaration d’indépendance, le pouvoir politique a changé
de mains grâce aux urnes et d’une manière pacifique et, dans l’ensemble,
démocratique. En peu de temps, la Géorgie a changé de gouvernement
et de Président et a engagé un ambitieux train de réformes pour
remédier aux erreurs du passé et renforcer la pluralité du système
politique. Toutes les forces politiques du pays méritent d’être
félicitées pour cette transition démocratique du pouvoir qui n’a,
bien sûr, été facile pour personne.
131. Le changement de pouvoir s’est accompagné de tensions considérables
et d’une polarisation de l’environnement politique de la Géorgie,
qui ont parfois masqué l’évolution positive du pays. L’existence
d’une opposition forte et expérimentée, associée à une coalition
au pouvoir bien organisée, a renforcé le rôle du parlement et le
parlementarisme dans le système politique de la Géorgie. Le parlement
a auditionné des ministres et leur a fait passer un examen serré
sur des questions de politique générale. Il a rejeté et modifié des
politiques gouvernementales et a utilisé, à maintes reprises, son
droit d’initiative pour adopter de nouvelles lois. De plus, il a
su à plusieurs reprises parvenir à des solutions de consensus face
à des enjeux politiques majeurs. C’est une évolution que l’Assemblée
a maintes fois préconisée dans ses rapports antérieurs et une amélioration
majeure de l’environnement politique du pays.
132. Nous saluons les nombreuses réformes, y compris la réforme
constitutionnelle, initiées pour renforcer les institutions démocratiques
en Géorgie et garantir un pouvoir judiciaire véritablement indépendant
et un système judiciaire accusatoire. Il est important que toutes
les forces politiques soient consultées à propos des réformes envisagées
et qu’elles puissent y participer. A cet égard, nous attendons de
la réforme constitutionnelle qu’elle donne suite aux recommandations
restantes de la Commission de Venise et de l’Assemblée concernant
le partage des pouvoirs et le système électoral.
133. Nous comprenons la nécessité d’enquêter et de remédier aux
erreurs et aux méfaits du passé. Il ne saurait y avoir d’impunité
pour des crimes de droit commun, commis notamment (voire surtout)
par des membres du gouvernement et des responsables politiques,
actuels ou anciens. Cependant il est important que les enquêtes,
les poursuites judiciaires et les mécanismes mis en œuvre pour corriger
les erreurs du passé soient marqués du sceau de la transparence,
de l’impartialité et qu’ils soient conformes aux normes et principes
européens. Tout sentiment de justice revancharde ou de représailles
politiques doit être évité.