1. Introduction
1. Après avoir présenté son rapport sur l’état de la
liberté des médias en Europe (
Doc.
13078) lors de la première partie de session de l’Assemblée
de 2013, mon collègue M. Mats Johansson (Suède, CE) a déposé une
nouvelle proposition de résolution sur la protection des médias
en Europe le 30 janvier 2013 (
Doc. 13124). La commission de la culture, de la science, de l’éducation
et des médias m’a désigné comme rapporteur sur ce sujet le 25 avril
2013. Le 30 septembre 2013, la proposition de résolution «Recours
aux violences physiques à l’encontre de journalistes: un défi pour
la démocratie» (
Doc.
13274) a été renvoyée à la commission pour être prise en compte
dans la préparation de ce rapport ainsi que la proposition de résolution
«Le harcèlement des journalistes d’investigation qui dénoncent la
corruption en Azerbaïdjan» (
Doc.
13570), le 3 octobre 2014.
2. Le présent rapport suit de manière thématique les précédents
rapports sur les violations graves de la liberté des médias qui
ont donné lieu à la
Résolution
1920 (2013) sur l'état de la liberté des médias en Europe, à la
Recommandation 1897 (2010) sur le respect de la liberté des médias et à la
Résolution 1535 (2007) sur les menaces contre la vie et la liberté d'expression
des journalistes.
3. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, la commission
et sa sous-commission des médias et de la société de l’information
ont tenu cinq auditions, à savoir:
- 25 avril 2013 à Strasbourg, avec:
- M. Enzo Iacopino, président de l’ordre italien des journalistes,
Rome;
- M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne
des droits de l’homme, président de l’Institut international des
droits de l’homme, Strasbourg;
- 22 mai 2013 à Londres (Chambre des communes), avec:
- M. István Hegedűs, ancien membre
du Parlement hongrois et président de Hungarian
Europe Society, Budapest;
- Mme Francesca Fanucci, Associée
principale à Free Expression Associates,
Londres;
- M. Andrew Gardner, chercheur, Amnesty International, Londres;
- M. Michael Harris, chef des relations publiques, Index on Censorship, Londres;
- M. William Horsley, Représentant de la liberté des médias
de l’Association des journalistes européens, Directeur international
du Centre pour la liberté des médias, Université de Sheffield;
- 6 novembre 2013 à Belgrade (Assemblée nationale de la
République de Serbie), avec:
- Mme Dunja
Mijatović, représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, Vienne;
- M. Mogens Blicher-Bjerregård, président de la Fédération
européenne des journalistes, Bruxelles;
- M. William Horsley;
- 8 avril 2014 à Strasbourg, avec:
- Professeur Herdis Thorgeirsdottir, vice-présidente de
la Commission de Venise;
- M. Johann Bihr, Directeur Europe et Asie centrale, Reporters
sans frontières, Paris;
- M. Andrei Aliaksandrau, Association bélarusse des journalistes,
Minsk;
- 12-13 mai 2014, à Istanbul, avec:
- Mme Füsun Erdoğan, journaliste
turque;
- M. Mustafa Balbay, journaliste turc et membre du Parlement
turc;
- M. Ricardo Gutierrez, secrétaire général de la Fédération
européenne des journalistes, Bruxelles;
- Professeur Wolfgang Benedek, Université de Graz et expert
auprès de la Commission européenne;
- M. William Horsley.
4. Afin d’informer la commission des violations actuelles de
la liberté des médias, M. William Horsley a été chargé d’élaborer
un rapport de fond (AS/Cult (2014) 25) et de le mettre à jour. Je
lui adresse mes remerciements pour son travail approfondi et sa
coopération efficace.
5. En outre, la commission a vivement apprécié les échanges de
vues qui se sont tenus avec:
- M. John
Whittingdale OBE, Président de la Commission de la culture, des
médias et du sport de la Chambre des communes (Londres, 12 mai 2013).
- M. l’Ambassadeur Laurent Dominati, Représentant permanent
de la France auprès du Conseil de l’Europe, et Mme l’Ambassadeur
Gea Rennel, Représentante permanente de l’Estonie auprès du Conseil
de l’Europe et coordonnatrice thématique du Comité des Ministres
sur la politique d’information (Strasbourg, 25 juin 2013);
- M. Nebojša Stefanović, Président de l’Assemblée nationale
de Serbie (Belgrade, 6 novembre 2013)
- Mme l’Ambassadeur Jocelyne
Caballero, Représentante permanente de la France auprès du Conseil
de l’Europe (Strasbourg, 8 avril 2014);
- Mme Gabriella Battaini-Dragoni,
Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe (Strasbourg,
8 avril et 24 juin 2014; Istanbul, 12 mai 2014);
- M. Tayfun Acarer, Président de l’Autorité des technologies
d’information et de communication de la Turquie (Istanbul, 13 mai
2014).
6. En tant que rapporteur, j’ai pris la parole lors du débat
thématique sur la sécurité des journalistes tenu par le Comité des
Ministres à Strasbourg le 12 décembre 2013 et à la table ronde sur
ce sujet organisée par le Conseil de l’Europe à Strasbourg le 19
mai 2014. Je suis également intervenu dans l’échange de vues sur les
aspects législatifs de la liberté des médias dans l’Ouest des Balkans
et en Turquie, organisé par la sous-commission des droits de l’homme
du Parlement européen à Bruxelles (19 juin 2013).
7. Ce processus préparatoire a contribué à la mise en place par
le Conseil de l’Europe, à compter de 2015, d’une plateforme d’information
sur les atteintes graves à la liberté des médias en Europe, qui
devrait associer plusieurs des principales organisations non-gouvernementales
(ONG) œuvrant pour la liberté des médias. Par ailleurs, un mécanisme
d’alerte précoce pour lesdites atteintes pourrait être mis en place
dans ce cadre, pour permettre aux divers organes du Conseil de l’Europe
de répondre aux situations et aux cas préoccupants.
2. Violations
graves de la liberté des médias en Europe
8. A la lumière du rapport de fond de M. William Horsley,
la commission a examiné en détail les violations graves de la liberté
des médias qui se sont produites entre décembre 2012 et novembre
2014, autrement dit depuis l’adoption de la
Résolution 1920 (2013) sur l’état de la liberté des médias en Europe. Je suis
très reconnaissant à M. William Horsley de l’important travail qu’il
a réalisé et j’apprécie à leur juste valeur les contributions apportées
grâce aux réunions susmentionnées. Je suis aussi reconnaissant pour
les informations écrites reçues par les délégations parlementaires
hongroise et turque.
2.1. Le contexte
9. En janvier 2010, la
Recommandation 1897 (2010) de l’Assemblée a invité le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe à mettre en place un système permettant de recueillir,
d’analyser et de publier régulièrement des informations sur les
violations de la liberté des médias dans la région du Conseil de l’Europe.
Quatre ans plus tard, des Etats membres ont signalé qu’ils appuyaient
les mesures figurant dans la proposition antérieure de l’Assemblée,
qui déclarait que les preuves de violations ou de menaces graves,
ainsi que les voies de recours nécessaires, devaient être envoyées
régulièrement aux gouvernements et aux parlements des Etats membres.
10. La Déclaration du Comité des Ministres relative à la protection
du journalisme et à la sécurité des journalistes et des autres acteurs
des médias du 30 avril 2014 a mis en avant la responsabilité des gouvernements
en invitant instamment les Etats membres à examiner régulièrement
la manière dont ils respectaient eux-mêmes leurs obligations positives
de protéger les journalistes et d’autres acteurs des médias contre
les attaques dont ils sont l’objet et de mettre fin à l’impunité.
La Déclaration est favorable à la création d’un portail internet
permettant de signaler les violations éventuelles de l’article 10
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la
Convention») (liberté d’expression) lorsqu’elles se produisent,
et laisse entrevoir que de nouvelles mesures seront adoptées pour
garantir ces protections. En outre, le Secrétaire Général a proposé
un mécanisme de suivi spécifique capable de réagir rapidement aux problèmes
urgents, afin de prévenir les violations de l’article 10 et de l’article
11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention.
11. La communauté internationale est de plus en plus consciente
qu’il est important de garantir la sécurité des journalistes parce
qu’ils contribuent à assurer une plus grande responsabilité et transparence
au nom du public. En particulier, l’Assemblée générale des Nations
Unies a adopté en décembre 2013 une résolution sur la sécurité des
journalistes et la question de l’impunité, qui invite les Etats
à mettre en place un large éventail de protections légales et pratiques
pour prévenir la violence contre les journalistes et les professionnels
des médias et garantir que des enquêtes efficaces seront menées
dans de tels cas. La résolution proclame notamment le 2 novembre
«Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes
commis contre les journalistes». En mars 2014, le Conseil des droits
de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution sur la promotion
et la protection des droits de l’homme dans le contexte des manifestations
pacifiques. Elle appelle les Etats à accorder une attention particulière
à la sécurité des journalistes et professionnels des médias en raison
de leur rôle spécifique et de leur vulnérabilité.
12. Depuis 2012, les Nations Unies s’efforcent de mettre en œuvre
son Plan d’action sur la sécurité des journalistes et la question
de l’impunité, qui concerne de nombreux acteurs: institutions de
l’ONU, Etats, ONG et organisations de médias. Le Plan d’action prévoit
des contributions positives du Conseil de l’Europe et d’autres organisations
régionales.
2.2. Décès de journalistes
13. Au cours des deux dernières années, au moins 15 journalistes
et professionnels des médias ont trouvé la mort en Europe en raison
de leur travail. Huit journalistes sont morts en Russie; cinq journalistes,
un membre d’une équipe de télévision et un fixeur-interprète ont
été tués en Ukraine.
14. Le 7 Juillet 2012, Alexander Khodzinsky, un journaliste d’investigation,
a été poignardé à mort à Irkoutsk (Fédération de Russie). Un ancien
maire adjoint de la ville a été reconnu coupable du meurtre. La
justice n’a pas pu établir qu’il existait un lien avec les activités
journalistiques de M. Khodzinsky visant à dénoncer la corruption
locale.
15. Le 5 décembre 2012, Kazbek Gekkiyev, présentateur du journal
télévisé à la société nationale pan-russe de radio-télédiffusion
(VGTRK), a été abattu à Naltchik, en République de Kabardino-Balkarie,
dans le Caucase du Nord. Le Comité pour la protection des journalistes
(CPJ) a signalé que plusieurs autres journalistes de la même société
avaient démissionné après avoir reçu des menaces.
16. Le 8 avril 2013, Mikhaïl Beketov, ancien rédacteur en chef
du journal Khimkinskaya Pravda,
est décédé des suites de blessures imputables à l’agression brutale
dont il a été victime à son domicile à Moscou en 2008. Gravement
blessé au cerveau, M. Beketov était lourdement handicapé. M. Beketov
faisait campagne pour dénoncer la corruption présumée liée à un
projet de développement qui menaçait la forêt de Khimki. Sa voiture avait
été incendiée et il était menacé de poursuites pour diffamation.
17. Le 18 mai 2013, Nikolai Potapov a été abattu dans la région
de Stavropol, dans l’ouest de la Russie. L’Institut international
de la presse (IPI) a établi un lien entre le décès de M. Potapov
et les articles qu’il avait publiés dans un journal local sur la
corruption présumée de responsables locaux.
18. Le 9 juillet 2013, Akhmednabi Akhmednabiyev, rédacteur en
chef adjoint du journal Novoye Delo,
a été abattu dans sa voiture près de Makhatchkala, capitale du Daghestan.
Il avait reçu des menaces et avait survécu à une tentative d’assassinat
en janvier.
19. Le 16 décembre 2013, Arkadiy Lander, ancien rédacteur en chef
du journal Mestnaya, de Sotchi,
est décédé des suites de complications imputables à des blessures
graves, notamment une fracture du crâne qui lui avait été infligée
lorsqu’il avait été passé à tabac par des inconnus en 2010. M. Lander
a déclaré qu’il était convaincu qu’il avait été attaqué dans le
cadre de son travail de journaliste.
20. Le 5 avril 2014, Vassili Sergienko, journaliste travaillant
pour le journal local Nadrossia et
membre du parti d’extrême droite Svoboda, a été retrouvé mort près
de son domicile à Korsun-Shevchenkovskiy, dans le centre de l’Ukraine.
Il avait été enlevé en dehors de son domicile un jour plus tôt et
son corps présentait des traces de torture.
21. Le 24 mai 2014, Andrea Rochelli, reporter-photographe italien
travaillant pour plusieurs médias d’information, notamment Newsweek et Le
Monde, a été tué dans une attaque au mortier qui a eu
lieu à Slaviansk, dans l’est de l’Ukraine.
22. Le 24 mai 2014, Andrei Mironov, militant russe des droits
de l’homme qui travaillait comme interprète et fixeur pour Andrea
Rochelli, est également mort suite à l’attaque militaire lancée
contre Slaviansk.
23. Le 19 février 2014, Vyacheslav Veremiy, correspondant du journal Vesti, est mort à Kiev des suites
des graves blessures qui lui avaient été infligées la veille par
des hommes masqués non identifiés, qui l’avaient agressé et battu
avec son collègue Oleksiy Lymarenko.
24. Le 17 juin 2014, Igor Korneliouk, un journaliste de la compagnie
d’Etat pan-russe de télévision VGTRK, et Anton Volochine, un membre
de la même équipe, ont été tués dans une attaque au mortier ou d’artillerie près
de Lougansk en Ukraine orientale.
25. Le 30 juin 2014, Anatoly Klyan, de la chaîne de télévision
nationale russe Channel One, est mort de blessures par balles à
Donetsk (Ukraine), lors d’une attaque du bus dans lequel il voyageait,
a indiqué le CPJ.
26. Le 1er août 2014, Timur Kuashev,
reporter pour le magazine nord-caucasien Dosh et
autres journaux, a été retrouvé mort à Naltchik, la capitale de
la République de Kabardino-Balkarie, un jour après avoir disparu. Kuashev
aurait été menacé de mort à plusieurs reprises ces dernières années.
27. Le 6 août 2014, Andrei Stenin, de l’agence d’informations
multimédias russe Rossiya Segodnya, a été abattu non loin de Donetsk.
L’UNESCO a fait savoir que Stenin se trouvait à bord d’un convoi
de véhicules civils qui a été bombardé.
28. A Istanbul, le 23 octobre 2014, un homme armé non identifié
aurait forcé Ferdi Özmen, blogueur politique militant sur les réseaux
sociaux, de nationalité turque, à sortir de sa voiture et aurait
fait feu sur lui. Özmen est mort de ses blessures à l’hôpital.
2.3. Impunité
29. De solides éléments de preuve démontrent que l’impunité
pour des crimes graves commis contre des journalistes, y compris
le meurtre, reste endémique en Europe. Cette impunité illustre l’échec
des autorités de l’Etat à mener des enquêtes en bonne et due forme
pour poursuivre et punir les auteurs d’infractions et d’abus graves.
Les auteurs n’ayant pas peur d’être arrêtés et sanctionnés, elle
encourage toujours plus de violences et de manœuvres d’intimidation
envers des journalistes. L’impunité est aussi un symptôme des dysfonctionnements
de la justice et du manque d’indépendance des appareils judiciaires.
30. Le Conseil de l’Europe et les Nations Unies ont souligné qu’il
était de la responsabilité des Etats d’enquêter sur les infractions
commises contre des journalistes, d’en poursuivre les auteurs et
d’éradiquer l’impunité. La Déclaration prononcée par le Comité des
Ministres le 30 avril 2014 encourage également les Etats membres
à conjuguer leurs efforts au plan international pour renforcer la
protection des journalistes. Le Plan d’action des Nations Unies
sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité est
selon elle une nécessité urgente et vitale.
31. Le 2 novembre 2014, le Secrétaire Général des Nations Unies,
Ban Ki-moon, a lancé un message marquant la première Journée internationale
pour mettre fin à l’impunité des crimes contre les journalistes, soutenue
par les Nations Unies. Il y insistait sur les dommages infligés
par l’impunité au tissu démocratique de la société: «Dans neuf cas
sur dix, ces actes demeurent impunis, ce qui encourage leurs auteurs.
Les gens ont peur de dénoncer la corruption, la répression politique
ou d’autres violations des droits de l’homme. Il faut que cela cesse»,
a déclaré M. Ban.
32. Il est important que le Conseil de l’Europe et la communauté
internationale aient à maintes reprises défini la lutte contre l’impunité
comme une priorité absolue pour la protection de la démocratie et
des droits de l’homme. Cependant, jusqu’à présent, l’engagement
public en ce sens ne s’est pas accompagné des actions nécessaires,
que ce soit en Europe ou dans des pays plus lointains. L’UNESCO
publie en ligne des informations exhaustives spontanément fournies
par les Etats, et sa Directrice générale publie tous les deux ans
un rapport sur la sécurité des journalistes et les dangers de l’impunité.
33. En octobre 2014, l’UNESCO a fait savoir que la Bulgarie, la
Géorgie et la Grèce – Etats membres du Conseil de l’Europe – figuraient
parmi les pays ayant omis de fournir des informations sur les assassinats
de journalistes commis dans leur juridiction, en réponse aux demandes
de la Directrice générale de l’UNESCO. Au total, 35 des 62 Etats
contactés concernant les meurtres de journalistes commis depuis
2008 ont fourni des renseignements sur les poursuites judiciaires
engagées dans ces affaires. Vingt-sept Etats s’en sont abstenus.
34. Un engagement volontaire des Etats membres du Conseil de l’Europe
à fournir rapidement des renseignements complets dans le cadre de
ce processus serait conforme aux promesses formulées. La Russie a
communiqué un rapport déclarant que des peines d’emprisonnement
avaient été prononcées en lien avec les affaires de six des 16 journalistes
identifiés par l’UNESCO comme ayant été tués en Russie depuis 2006.
35. En octobre 2014, le Comité pour la protection des journalistes
a publié un rapport spécial des plus édifiants intitulé «Sur la
voie de la justice: rompre le cycle de l’impunité des meurtres de
journalistes». Ce rapport fournit les noms de 17 journalistes et
la date de leur assassinat, commis en Europe entre 2004 et 2013 dans
l’impunité la plus totale. Il s’agit de:
- en Azerbaïdjan: Elmar Huseynov, 2 mars 2005; Rafiq Tagi,
23 novembre 2011
- au Bélarus: Aleh Byabebib, 3 septembre 2010
- en Grèce: Sokratis Giolias, 19 juillet 2010
- en Russie: Paul Klebnikov, 9 juillet 9 2004; Pavel Makeev,
21 mai 2005; Vagif Kochetkov, 8 janvier 2006; Ivan Safronov, 2 mars
2007; Magomed Yevloyev, 31 août 2008; Telman Alishayev, 2 septembre
2008; Natalya Estemirova, 15 juillet 2009; Abdulmalik Akhmedilov,
11 août 2009; Gadzhimurad Kamalov, 15 décembre 2011; Kazbek Gekkiyev,
5 décembre 2012; Mikail Beketov, 8 avril 2013; et Akhmednabi Akjmednabiyev,
9 juillet 2013
- en Serbie: Bardhyl Ajeti, 25 juin 2005
36. Selon le CPJ, cinq journalistes ont été assassinés au cours
de la même décennie, dans une impunité partielle – ce qui signifie
qu’un ou plusieurs auteurs ont été traduits en justice mais que
les instigateurs ou autres personnes soupçonnées d’être impliquées
dans ces assassinats demeurent inconnus ou impunis. Il s’agit de:
- en Croatie: Ivo Pukanić, 23
octobre 2008
- en Russie: Anna Polikovskaya, 7 octobre 2006; Anastasia
Baburova, 19 janvier 2009
- en Serbie: Duško Jovanović, 28 mai 2004
- en Turquie: Hrant Dink, rédacteur en chef de l’hebdomadaire
bilingue d’expression turque et arménienne Agos,
a été tué par balles à Istanbul le 19 janvier 2007. Il avait reçu
de nombreuses menaces de mort de la part de Turcs nationalistes.
Plusieurs personnes, dont le jeune meurtrier, ont été condamnées
en rapport avec le meurtre. Pourtant, des fonctionnaires – dont
des membres des forces de sécurité – soupçonnés de complicité ou
de tentative d’obstruction de la procédure d’enquête, sont restés
impunis. En 2010, la Cour européenne des droits d’homme a conclu
à la violation par la Turquie de la Convention européenne des droits
de l’homme pour avoir manqué à son devoir de protéger la vie et
la liberté d’expression du journaliste, ainsi que le droit à une
enquête effective. A la suite de la décision du tribunal pénal Bakırköy
d’Istanbul d’inculper neuf hauts fonctionnaires pour n’avoir pas
empêché le meurtre de Hrant Dink, le ministère turc de la Justice
a rejeté une objection du parquet général en octobre 2014, permettant
ainsi d’engager des poursuites.
- au Royaume-Uni: le meurtre de Martin O’Hagan, un journaliste
travaillant pour le quotidien Sunday World en
Irlande du Nord, n’a toujours pas été résolu. O’Hagan a été abattu
en septembre 2001 près de son domicile, à Lurgan. D’autres employés
du quotidien ayant donné les noms des meurtriers supposés d’O’Hagan
ont été menacés ou agressés. Pendant treize ans, les services de
police d’Irlande du Nord n’ont fait aucun progrès dans l’enquête
sur ce meurtre.
37. En Serbie, comme l’indique le rapport de juin 2014, quatre
anciens agents de la sûreté de l’Etat ont été mis en accusation
cette année en relation avec le meurtre du journaliste et éditeur
Slavko Ćuruviya, perpétré en 1999. L’un des hommes accusés serait
en fuite et vivrait dans un pays africain.
38. Le travail de la commission d’enquête serbe sur les meurtres
de journalistes non élucidés, organisme établi en 2013, est supposé
contribuer à résoudre l’affaire Ćuruviya. Cependant, nul n’ignore
que l’obstruction d’anciens agents de l’Etat continue de représenter
un obstacle à la progression d’autres affaires.
39. L’enquête sur le meurtre de Dada Vujasinović, reporter abattue
dans son appartement en 1994, a été compliquée par le manque de
diligence des forces de l’ordre qui ont initialement enregistré
la mort de Vujasinović comme étant due à un suicide.
40. Une enquête intensive menée sur le meurtre de Milan Pantić,
journaliste spécialisé dans les affaires criminelles, commis en
2001, est en cours. Depuis quatre ans, Veran Matić, journaliste
réputé et directeur de la commission d’enquête, est placé sous protection
policière 24 heures sur 24 en raison de menaces crédibles proférées
contre sa sécurité personnelle. Selon Matić, la tolérance de l’impunité
pour les meurtres de journalistes est la principale cause d’une
corruption des mentalités qui favorise encore davantage de brutalités et
d’injustices dans les sociétés concernées.
41. L’Association indépendante des journalistes de Serbie (AIJS)
s’est dite très préoccupée par la persistance d’une culture de l’impunité
qui reste à l’origine d’un climat général de peur et d’insécurité
parmi les journalistes serbes indépendants.
42. L’attaque odieuse perpétrée le 3 juillet 2014 dans le Nouveau
Belgrade par un groupe d’hommes contre Davor Pašalić, rédacteur
de l’agence de presse FoNet, en est un exemple frappant. Pašalić
a été agressé et violemment frappé, ce qui lui a occasionné des
blessures à la tête et au visage. En dépit de déclarations officielles
promettant de diligenter une enquête, deux mois plus tard, aucun
progrès n’avait été réalisé dans l’identification des agresseurs.
43. L’AIJS a publié en ligne les détails de 71 actes de violence
ou d’intimidation à l’encontre de journalistes, commis en Serbie
entre 2012 et août 2014, dont neuf cas de véritables agressions
physiques. Ces statistiques indiquent qu’en Serbie, comme dans plusieurs
autres Etats d’Europe, la violence et les menaces de violence contre
des professionnels des médias, et l’impunité dont elles bénéficient,
est une réalité généralisée et bien ancrée qu’il faut combattre
par des efforts redoublés.
44. La décision prise en décembre 2013 par le Gouvernement du
Monténégro de créer une commission d’enquête pour élucider les agressions
commises contre les journalistes, dans le même esprit que la commission
serbe, est une innovation positive. La commission monténégrine devra
être composée de représentants des ministères, du parquet, de la
police, des ONG et de journalistes, dont Mihailo Jović, rédacteur
en chef du quotidien Vijesti,
et d’autres responsables des médias.
45. Ce nouvel organisme est notamment chargé d’enquêter sur le
meurtre de Duško Jovanović, rédacteur en chef du quotidien Dan, commis en mai 2004. Jovanović
avait été abattu à l’arme automatique devant les locaux de son journal,
à Podgorica.
46. Un rapport sur les poursuites judiciaires engagées pour des
agressions visant des journalistes au Monténégro a été publié en
janvier 2014 par l’ONG Human Rights Action. Il exposait 30 affaires
d’intimidation, de menaces de mort et d’agressions violentes contre
des journalistes sur une période de dix ans, de 2004 à 2014. Un
tiers des agressions enregistrées aurait eu lieu en 2013.
47. L’enquête sur le meurtre de Jovanović s’est soldée à ce jour
par une unique condamnation, qualifiée de discutable. D’autres coupables,
dont ceux ayant commandité le meurtre, n’ont toujours pas été identifiés.
Des progrès importants ont cependant été accomplis concernant l’agression
brutale du journaliste Tufik Softić par deux assaillants masqués
et armés de battes de base-ball, qui s’est déroulée près de son
domicile le 1er novembre 2007. En juillet
2014, trois hommes auraient été arrêtés pour tentative de meurtre
sur la personne de Softić.
48. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
s’est inquiété qu’au Monténégro, de nouvelles affaires illustrant
l’insécurité des journalistes et l’impunité des auteurs d’agressions
continuent de s’ajouter aux anciennes.
49. Les problèmes posés par l’absence alléguée d’actions des forces
de l’ordre pour enquêter sur des menaces et actes de violence visant
des journalistes et en punir les auteurs continuent de préoccuper
vivement les organisations de journalistes dans plusieurs Etats
d’Europe.
50. Une autre affaire non élucidée est celle de Georgiy Gongadze,
rédacteur en chef de Ukrainskaya Pravda,
enlevé et assassiné en Ukraine en 2000. En 2013, en raison de retards
et de défaillances du système judiciaire qui ont été condamnés dans
un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, un ancien
chef de la police, Olexiy Pukach, a été reconnu coupable du meurtre.
On soupçonne que le crime a été commandité par une personnalité
politique de premier plan et que la justice n’a pas été complètement
rendue dans cette affaire.
2.4. Enquêtes menant
à des poursuites ou à une condamnation dans des affaires non élucidées auparavant
51. En Serbie, en juin 2014, quatre anciens officiers
des services de sécurité de l’Etat, dont l’ancien chef de ces services,
Radomir Marković, ont été accusés de l’assassinat de Slavko Ćuruvija,
éditeur et rédacteur en chef du journal Dnevni
Telegraf. M. Ćuruvija a été abattu devant son appartement
à Belgrade en avril 1999. La Fondation Slavko Ćuruvija, créée par
les membres de sa famille, a déclaré que les poursuites devraient permettre
de découvrir les «liens ténébreux entre la politique et la criminalité»
qui expliqueraient l’assassinat. En 2013, le Gouvernement serbe
a établi une commission d’enquête sur les meurtres non élucidés
de journalistes. Cette commission a le pouvoir d’interroger d’anciens
fonctionnaires ou des fonctionnaires actuellement en poste, afin
de révéler des faits de dissimulation et de contribuer à la traduction
des responsables en justice. Elle est dirigée par Veran Matić, une
journaliste d’investigation de premier plan.
52. En décembre 2013, un homme d’affaires russe a été condamné
par un tribunal de Moscou à sept ans de prison pour incitation à
l’assassinat en 2000 du journaliste Igor Domnikov de Novaïa Gazeta. M. Domnikov a été
ciblé en raison de ses articles d’investigation sur des actes de
corruption commis par des fonctionnaires à Lipetsk en Russie occidentale.
En 2007, cinq membres d’un gang criminel avaient été reconnus coupables dans
le cadre de cet assassinat.
2.5. Multiplication
des actes de violence et d’intimidation contre des journalistes
53. En dépit des nombreuses protestations d’organisations
de journalistes et d’ONG, et des interventions d’autorités indépendantes,
dont le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
Nils Muižnieks, et la représentante de l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, Dunja
Mijatović, des dizaines d’agressions violentes contre des journalistes
ont été enregistrées en Europe ces cinq derniers mois. La plupart
de ces agressions, ainsi que des menaces de violence, des tentatives
d’intimidation et des actes de harcèlement, sont toujours impunis.
54. L’organisation Ossigeno per l’Informazion a par exemple publié
les noms de 2 000 reporters et professionnels des médias qu’elle
dit avoir été victimes de violence ou d’abus en raison de leur travail
au cours des six dernières années. Selon Ossigeno, nombre de ces
affaires n’ont même jamais été signalées.
55. L’Institut ukrainien de l’information de masse, qui recense
toutes les formes d’agressions, déclare avoir enregistré 281 cas
d’agression contre des professionnels des médias, ainsi que sept
affaires de meurtre, pour la seule année 2014.
56. L’Association indépendante des journalistes de Serbie a signalé
18 agressions physiques, menaces verbales et autres mauvais traitements
infligés à des journalistes entre janvier et fin août 2014.
57. Voici quelques exemples parmi les très nombreuses agressions
de journalistes ayant nécessité un traitement hospitalier ou une
absence prolongée du travail.
58. Le 23 juin 2014, en Bosnie-Herzégovine, l’écrivain et chroniqueur
Slavo Kukić a été blessé à la tête lors d’une agression par un homme
armé d’une batte de base-ball, à Mostar. Une enquête judiciaire
aurait été ouverte.
59. Le 4 juillet 2014, le journaliste italien Antonio Papaleo
a été poignardé par une bande de jeunes à Phuket (Thaïlande). Gravement
blessé, il a dû subir une ablation de la rate. Papaleo a filmé en
caméra cachée des scènes qui ont été acceptées comme preuves par
un tribunal de Hong Kong, ce qui a permis la condamnation d’un Slovaque
pour blanchiment de capitaux. Au cours de la procédure judiciaire,
Papaleo a reçu des menaces de violence, bien qu’aucun élément de
preuve reliant l’attaque au couteau à ses travaux d’enquête n’ait
été établi.
60. Le 21 août 2014, en Azerbaïdjan, Ilgar Nasibov, journaliste
réputé et collaborateur de Radio Free Europe/Radio Liberty et de
l’agence de presse Turan, a été attaqué par des personnes non identifiées
dans les locaux de son bureau du Centre de Ressources pour le développement
des ONG et la démocratie à Nakhitchevan. Il a subi des blessures
graves, dont une commotion cérébrale, ainsi que des fractures des pommettes,
du nez et des côtes. Nasibov avait déjà été menacé et agressé à
diverses reprises et, en 2007, avait été condamné à un an de prison
avec sursis pour diffamation.
61. En Russie, de nombreuses agressions violentes ciblant visiblement
des journalistes ayant critiqué certains aspects de l’implication
de la Russie dans le conflit ukrainien ont été recensées. Selon
la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, le journaliste
d’investigation Alexander Krutov, du magazine Obshchestvennoye
Mneniye, a été sauvagement battu et poignardé le 26 août
2014 par une bande d’inconnus à proximité de son domicile, à Saratov
(sud-ouest de la Russie). Krutov avait déjà subi plusieurs agressions
sans que ses assaillants aient été traduits en justice.
62. Ce même jour, dans la région de Pskov, dans l’ouest de la
Russie, Vladimir Romensky, de Dozhd TV, Ilya Vasyunin, de Russkaya Planeta, Nina Petlyanova,
de Novaya Gazeta, Irina Tumakova
de Fontana.ru, ainsi que Sergey Kovalchenko et Sergey Zorin, de Telegraph, ont été agressés et ont
subi des tentatives d’intimidation par plusieurs individus qui auraient
enjoint Romensky et Vasyunin d’abandonner leur travail et de quitter
Pskov.
63. Le 16 septembre 2014, à Astrakhan (sud de la Russie), un caméraman
de la BBC a été agressé et son appareil réduit en morceaux. L’incident
s’est produit pendant que le correspondant de la BBC Steve Rosenberg et
son équipe enquêtaient sur des allégations – contestées par les
autorités russes – selon lesquelles des soldats russes envoyés en
Ukraine pour soutenir les séparatistes y auraient été tués et leurs
corps enterrés en Russie, alors que leurs familles étaient laissées
dans l’ignorance des circonstances de leur mort. L’équipe de la
BBC a été arrêtée et interrogée par la police pendant quatre heures,
durant lesquelles d’autres matériels d’enregistrement se trouvant
dans leur véhicule stationné dans la cour du poste de police auraient
été supprimés électroniquement.
64. Le 29 août 2014, Lev Schlosberg, journaliste au Pskovskaya Guberniya, qui avait
rendu compte de la mort de soldats russes qui auraient été tués
dans le cadre du conflit se déroulant dans l’est de l’Ukraine, a
subi près de chez lui une agression qui lui a valu une commotion
cérébrale et une fracture du nez.
65. Le 27 octobre 2014, au Kosovo*
,
Milot Hasimja, journaliste de la chaîne de télévision Klan Kosova,
a été attaqué par un homme qui l’a poignardé à plusieurs reprises
au cou et à la tête. L’agresseur a été maîtrisé et il semblerait
que la police traite l’affaire comme une tentative de meurtre qui
pourrait être en lien avec des reportages signés par Hasimja.
2.6. Sujets de préoccupation
pressants en Ukraine, Russie, Turquie et Azerbaïdjan
– Ukraine
66. En Ukraine, les journalistes et les organisations
de médias ont fait l’objet d’une vague d’agressions extraordinairement
virulentes dans le cadre des événements politiques récents et, depuis
mars 2014, d’un différend international et des conflits armés concernant
certaines régions de l’Ukraine. On compte plus de deux mille morts
et de très nombreuses personnes sont blessées ou déplacées.
67. Entre le mois de janvier et le 5 juin 2014, l’Institut ukrainien
de l’information de masse (IMI) a recensé 236 agressions physiques
contre des professionnels des médias, dont environ 40 cas d’enlèvements
ou de détention illégale de journalistes et d’attaques contre des
bureaux de médias dans l’est de l’Ukraine et la Crimée. En 2013,
l’IMI avait recensé 101 attaques, dont 48 avaient eu lieu en décembre.
68. Le 2 mars 2014, une trentaine d’hommes masqués ont fait irruption
et brièvement occupé un bâtiment où travaillent des journalistes,
le Centre pour le journalisme d’investigation, qui est situé dans
le centre administratif de la Crimée, à Simféropol. Dans les jours
qui ont précédé et suivi le référendum qui a été organisé en Crimée
le 16 mars et qui n’a pas été reconnu sur le plan international,
des dizaines d’agressions physiques ont visé des professionnels
des médias et des cas de harcèlement et de confiscation de matériels se
sont produits. Les personnes ciblées étaient notamment le personnel
des médias régionaux, dont Inter, STB, 5 Kanal, CNN et AP Television
News, ainsi que des journalistes indépendants. Les signaux terrestres des
chaînes de télévision ukrainiennes en Crimée, dont Inter, Briz,
1+1, 5 Kanal, Pershyi Natsionalnyi et STB, ont été coupés et remplacés
par ceux des chaînes russes NTV, Perviy Kanal, Rossiya 24, Rossiya
RTR, TNT et Zvezda.
69. Depuis, les représentants des médias ukrainiens traditionnels
qui cherchent à couvrir les événements en Crimée ont dû faire face
à une forte hostilité et ont été très exposés au risque d’agression
ou de détention. Le 11 mai 2014, un cinéaste, Oleg Sentsov, a été
arrêté parce qu’il était soupçonné d’activités terroristes. Le 12 mai
2014, un rapport publié par l’OSCE relatif à la mission que l’Organisation
venait récemment d’effectuer sur les droits de l’homme en Ukraine
a fait état de preuves d’intimidation systématique de journalistes
et de militants «pro-Maidan» dans l’est du pays, souvent avec la
complicité des autorités locales. De nombreux actes de violence
étaient liés au fait que des milices séparatistes et pro-russes
ont essayé de mettre en place des administrations locales autonomes
dans l’est de l’Ukraine et de perturber l’élection présidentielle
ukrainienne qui a eu lieu le 25 mai.
70. Quatre journalistes ont été blessés dans des attaques violentes
lancées contre une manifestation pro-Maidan organisée à Lougansk
le 9 mars 2014. Le jour suivant, des groupes anti-Maidan ont pris
d’assaut la chaîne de télévision privée IRTA TV, au motif qu’elle
avait diffusé des images montrant l’attaque de la veille. Les personnes
travaillant pour des médias ukrainiens et qui ont été enlevées ou
retenues en otage dans l’est de l’Ukraine sont notamment Yuri Leliavski,
de la chaîne de télévision ZIK, et Serhiy Shapoval, un journaliste du
site internet Volyn Post. M. Shapoval a été détenu pendant trois
semaines et interrogé à Slaviansk. Il aurait reçu des décharges
électriques, les paumes de ses mains auraient été tailladées et
il aurait été contraint de déclarer devant une caméra que ses ravisseurs
étaient pacifiques et sans armes.
71. Simon Ostrovsky, un journaliste américain travaillant pour
Vice News, a été fait prisonnier le 21 avril 2014 par le maire pro-russe
autoproclamé de Slaviansk, Vyacheslav Ponomarev, et détenu pendant
trois jours avant d’être libéré. M. Ostrovsky avait tweeté lors
d’une conférence de presse que M. Ponomarev avait menacé d’exclure
de la salle un journaliste qui posait des questions «provocantes»
sur la détention de l’ancien maire.
72. La mission de l’OSCE a rapporté des témoignages issus de la
population locale selon lesquels de nombreux manifestants anti-Maidan
actifs dans les régions orientales et méridionales de l’Ukraine
avaient été transportés par cars et rémunérés pour leur participation
aux actions menées dans ces régions.
73. En mai 2014, de nombreuses chaînes de télévision ukrainiennes
nationales ou régionales ont été interrompues dans l’est de l’Ukraine,
notamment 1+1, Inter, STB, TVi, 112Ukraina, Channel 5, Novy Kanal, ICTV,
TET and Ukraina; d’autres chaînes de télévision locales ont également
été mises hors service dans huit villes des régions orientales.
Au début de juin, de nombreux médias exerçant leurs activités dans
l’est de l’Ukraine, notamment Donetskiye
Novosti, Donbass et Vecherniy Donetsk ont été contraints
d’interrompre leurs activités en raison des menaces proférées par
des groupes armés ou violents identifiés comme pro-russes et exigeant
des modifications de la politique éditoriale. Des dizaines de journalistes
ukrainiens ont été obligés de quitter la région ou leur domicile
pour échapper à la vive hostilité et aux menaces virulentes des groupes
de militants. Au cours des dernières semaines, de nombreux journalistes
russes ont été empêchés d’entrer en Ukraine pour travailler, et
certains ont été arrêtés par les autorités.
74. Marat Saychenko et Oleg Sidyakin, qui travaillent pour la
chaîne de télévision russe LIFEnews, ont été arrêtés par les forces
armées ukrainiennes le 18 mai 2014 près de Kramatorsk, où ils filmaient
les activités des rebelles pro-russes. Ils ont été emmenés à Kiev,
interrogés par le service de sécurité ukrainien et accusés d’aider
le terrorisme. Ils ont été renvoyés en Russie au bout d’une semaine
suite aux interventions des Nations Unies et de l’OSCE.
75. Certains programmes émis par la Russie vers l’Ukraine ont
également été interrompus après que les autorités ukrainiennes ont
demandé aux câblo-opérateurs de cesser la diffusion de plusieurs
chaînes de télévision russes, notamment Rossiya 24, ORT, RTR Planeta
et MTV-Mir, invoquant des raisons de sécurité nationale.
76. Le 6 mars 2014, l’Institut ukrainien de l’information de masse,
Telekritika et des spécialistes indépendants des médias ont fait
une déclaration détaillée sur ce qu’ils ont appelé les «rapports
trompeurs et manipulateurs» ainsi que la propagande active diffusés
par des médias russes sur les événements en Ukraine, notamment quatre
chaînes de télévision, deux grandes agences de presse internationales
ainsi que des journaux et d’autres médias. Ils ont fait valoir que
les arguments avancés par le Gouvernement russe pour déployer des
troupes en Crimée reposaient sur des images falsifiées. Le reportage
télévisé en question a été diffusé sur la chaîne de télévision russe
Russia One. Il montrait prétendument des militaires russes tués
au cours d’une fusillade lors du Conseil des ministres qui se tenait
à Simféropol, en Crimée. Une analyse ultérieure des images a montré
que la scène présentée dans le reportage de la télévision russe
comme étant une agression armée contre des hommes politiques élus
de Crimée était un événement mineur mis en scène, et que les faits
ne se sont pas déroulés comme ils ont été présentés. Dans d’autres
cas, il s’est avéré que les images et les rapports factuels alléguant
qu’un grand nombre de russophones fuyaient l’Ukraine parce qu’ils craignaient
pour leur sécurité avaient été fabriqués. Dans certains cas, les
images utilisées avaient été tirées de films d’archive d’événements
ayant eu lieu dans d’autres endroits et associés à tort aux événements
qui se déroulaient sur le territoire ukrainien.
77. La mission de l’OSCE en Ukraine a observé que la propagande
diffusée dans les médias avait contribué à l’aggravation de l’insécurité
pour les habitants des zones touchées. Les falsifications d’images
médiatiques, surtout quand elles sont liées à l’utilisation répétée
d’un langage insultant et provocateur dans le contexte d’un conflit
armé ayant toutes les caractéristiques d’un conflit intercommunautaire,
pourraient même être considérées comme un discours de haine ou une
incitation à la violence. Le grand nombre de cas similaires observés
dans le cadre d’agressions contre des journalistes dans certaines
parties de l’Ukraine soulève des inquiétudes quant à l’ampleur de
l’ingérence politique dans la politique éditoriale de certains médias
russes, notamment si l’on tient compte des éléments de preuve accumulés
montrant que des médias russes indépendants subissent des pressions
ou un harcèlement de la part des autorités officielles, ce qui semble limiter
les possibilités des citoyens de la Russie de recevoir des informations
critiques sur les affaires nationales et internationales.
78. Le rapport de l’OSCE note également que des habitants interrogés
dans l’est de l’Ukraine ont répondu que certains faits auraient
été dénaturés. L’OSCE a déclaré que les autorités ukrainiennes avaient
imposé des restrictions aux médias audiovisuels afin de lutter contre
la propagande et que ce point lui semblait préoccupant.
79. Le 19 mars 2014, un groupe de personnes, dont un membre du
parlement du parti ukrainien Svoboda, a pénétré dans les bureaux
de la télévision d’Etat à Kiev et agressé le président par intérim
de la société, qu’ils ont accusé de diffuser des programmes anti-ukrainiens
avant de le contraindre à signer une lettre de démission. Les agresseurs
ont filmé eux-mêmes une vidéo de l’incident, qu’ils ont publiée
ensuite sur internet. Une enquête officielle sur l’incident a été
rapidement ouverte.
80. Les autorités ukrainiennes et les autorités de fait russes
en Crimée ont également empêché des journalistes d’entrer sur le
territoire après son annexion illégale. Entre le 20 et le 24 mai,
dans les jours précédant l’élection présidentielle, au moins cinq
équipes de télévision et cinq journalistes n’ont pas pu entrer en
Ukraine, notamment les journalistes de la chaîne radiophonique Echo
of Moscow et la radio «Kommersant FM».
81. Au cours des manifestations EuroMaidan qui ont eu lieu sur
la place Maidan (Indépendance) à Kiev entre novembre 2013 et le
changement de gouvernement ukrainien en février 2014, des forces
de sécurité et des bandes organisées pro-gouvernementales ont agressé
de nombreuses fois des journalistes et les ont blessés grièvement,
à Kiev et dans d’autres villes. Le 1er décembre
2013, plus de 40 journalistes et caméramen ont été passés à tabac
par la police et subi des violences délibérées. Chaque cas d’agression entraînant
des coups et blessures a été recensé et étayé par des médias ukrainiens
et des ONG afin que les responsables soient amenés à rendre compte
de leurs actes.
82. Près de Kiev, le 25 décembre 2013, des hommes ont poursuivi
la journaliste d’investigation Tetyana Chornovol, l’ont tirée hors
de sa voiture et l’ont sauvagement battue, lui infligeant une commotion
cérébrale et de graves blessures, notamment au visage. Dans la nuit
du 18-19 février 2014, au plus fort de la crise politique, l’Institut
de droit des médias a dénombré 46 blessés en 24 heures parmi les
professionnels des médias. L’Institut ukrainien de droit des médias
a déclaré que les forces de sécurité avaient tiré des balles en caoutchouc
en visant la tête des professionnels des médias qui se trouvaient
sur la place Maidan, et que sept personnes avaient perdu l’usage
d’un œil.
83. Le Commissaire aux droits de l’homme, qui s’était rendu en
Ukraine en février 2014, a indiqué avoir vu des blessures qui montraient
clairement que les têtes et les visages des journalistes avaient
été pris pour cible par des policiers armés. L’Institut de droit
des médias a noté que les forces de sécurité n’avaient pas respecté le
statut professionnel des journalistes qui portaient des vestes indiquant
clairement qu’ils étaient membres de la presse.
84. Suite au changement de gouvernement à Kiev, le parlement a
adopté le 17 avril une loi visant à transformer le système de radiodiffusion
d’Etat en un radiodiffuseur de service public («Société de radiodiffusion
de service public national d’Ukraine»), qui devrait être un média
indépendant et protégé contre les influences politiques que ce secteur
a subies dans le passé. Le gouvernement actuel a promis une plus grande
transparence concernant les agressions de journalistes et la fin
de la censure. Les principales ONG, y compris l’Institut de droit
des médias, ont proposé leurs propres candidats au Conseil national
de la radio et télédiffusion, qui sera le principal médiateur dans
le domaine des médias.
85. Le 5 septembre 2014, la représentante de l’OSCE pour la liberté
des médias a dénombré huit journalistes retenus contre leur volonté
ou ayant été enlevés puis relâchés: Yegor Vorobyov, Roman Chermsky,
Sergei Dolgov, Yury Lelyavsky, Yevgeny Shlyakhtin, Yevgeny Tymofeyev,
Anna Ivanenko et Nazar Zotsenko.
86. L’Institut ukrainien de l’information de masse a fait savoir
qu’entre avril et août 2014, 62 journalistes avaient été capturés
ou retenus en otages par des séparatistes pro-russes. Le sort de
plusieurs d’entre eux restait inconnu au moment de la rédaction
du présent rapport.
87. En juin 2014, Amnesty International a publié un rapport intitulé
«Abductions and Torture in Eastern Ukraine» (Enlèvements et tortures
dans l’est de l’Ukraine) qui rend compte de cas de tortures, de
mauvais traitements et de menaces d’exécution infligés à de nombreuses
personnes parmi les centaines enlevées par des groupes séparatistes
armés dans l’est de l’Ukraine, dont à cette date 39 journalistes.
88. Le 9 septembre 2014, la représentante de l’OSCE pour la liberté
des médias s’est dite très préoccupée par les tentatives d’intimidation
de journalistes indépendants pratiquées par les autorités russes de facto en Crimée, y compris la
détention et l’interrogatoire subis pendant six heures par Yelizaveta
Bohutskaya, journaliste pigiste, et la convocation pour interrogatoire
de membres du personnel du Centre de journalisme d’investigation
de Crimée. La représentante pour la liberté des médias a décrit
ces incidents comme des tentatives visant à faire taire toute critique.
89. Ces derniers mois, les autorités de
facto en Crimée et les autorités ukrainiennes ont interdit
de manière sélective l’entrée de certains journalistes. Les services
de sécurité ukrainiens auraient ainsi interdit à plusieurs dizaines
de professionnels des médias russes d’entrer en Ukraine, sous prétexte
de menaces pour la sûreté nationale.
90. Des agents des forces de l’ordre ukrainiennes ont perquisitionné
les locaux de plusieurs médias critiques à l’égard du pouvoir, dont
le quotidien Vesti, à Kiev,
ou fait obstruction à leur travail. La représentante de l’OSCE pour
la liberté des médias s’est également inquiétée de la détention
et de l’expulsion d’Ukraine de plusieurs journalistes russes depuis
le début de l’année 2014.
91. Des responsables du futur Gouvernement ukrainien se sont engagés
à prendre des mesures pour instruire et sanctionner des agressions
au cours desquelles des journalistes auraient été grièvement blessés par
des agents des forces de l’ordre et autres personnes au cours des
manifestations de la place Maidan contre l’ancien Gouvernement ukrainien,
qui se sont déroulées début 2014.
92. Pourtant peu de progrès, voire aucun, ont été accomplis pour
traduire en justice les auteurs de ces agressions ou d’autres attaques
coordonnées, dont celles où des journalistes ont été atteints par
balles lors du soulèvement populaire contre l’ancien gouvernement
qui a connu la débâcle fin février dernier.
93. Le 23 septembre 2014, l’Institut du droit des médias de Kiev
s’est élevé contre des affirmations selon lesquelles certains éléments
des médias russes s’ingéniaient à attiser le conflit ukrainien,
y compris en utilisant une propagande de guerre et en incitant à
la haine et à la violence. L’Institut du droit des médias a cité
des exemples de prétendues manipulations et falsifications d’images
et d’informations factuelles par plusieurs radiodiffuseurs russes
et a pressé la communauté internationale, dans le cadre du conflit
en Ukraine, de faire la distinction entre les médias et journalistes
qui agissent de bonne foi en s’acquittant d’une mission importante –
informer dans l’intérêt du public – et ceux qui se comportent comme
des «propagandistes». Dans sa déclaration, l’Institut a instamment
demandé que l’on refuse aux travailleurs des médias qui violent délibérément
la déontologie journalistique la qualité de membre dans des associations
professionnelles de journalistes et de médias.
94. Le 12 août 2014, la représentante de l’OSCE pour la liberté
des médias s’est déclarée préoccupée par le projet de loi ukrainien
visant à autoriser les autorités à interdire des émissions de radio
ou de télévision en invoquant des raisons de sécurité nationale,
et a affirmé qu’un tel texte nuirait à la libre circulation de l’information
et des idées et constituerait ainsi une violation des normes internationales.
Cependant, le 10 septembre, l’autorité ukrainienne de réglementation
des médias, le Conseil national de la radio et télédiffusion, a
fait paraître une liste de 15 chaînes télévisées russes interdites
en Ukraine.
95. Le 10 novembre 2014, une enquête menée par l’autorité britannique
de réglementation des médias – Ofcom – a permis de constater que
RT (anciennement Russia Today) ne respectait pas la réglementation audiovisuelle
en matière d’impartialité dans sa couverture de la crise ukrainienne.
– Fédération de Russie
96. La sécurité des journalistes et des médias indépendants
russes a été de plus en plus menacée au cours des deux dernières
années, en raison d’un climat persistant d’impunité concernant les
agressions dirigées dans le passé contre des journalistes, de l’application
trop rigide des lois sur la liberté d’expression, les manifestations
pacifiques et l’internet, et des lourdes pressions administratives
et politiques qui pèsent sur les journalistes et les organisations
de médias.
97. L’incapacité à traduire en justice les responsables des nombreux
meurtres de journalistes commis les années précédentes et qui n’ont
toujours pas été élucidés continue de saper la confiance dans l’indépendance et
l’efficacité du système judiciaire de la Russie dans ces affaires.
Aucun progrès notable n’a été accompli en ce qui concerne la traduction
en justice des responsables de l’assassinat de Paul Klebnikov, rédacteur
en chef et fondateur de «Forbes Russia», en 2004 et de l’assassinat
en Tchétchénie en 2009 de Natalia Estemirova, journaliste et membre
éminent de l’organisation des droits de l’homme Memorial.
98. En 2014, huit ans après l’assassinat en octobre 2006 d’Anna
Politkovskaya, journaliste à Novaya Gazeta,
cinq hommes ont été reconnus coupables et condamnés à de longues
peines de prison, mais le «cerveau» ou les instigateurs du meurtre
n’ont toujours pas été traduits en justice. Un premier procès des suspects
du meurtre de Mme Politkovskaya n’a pas
abouti parce que l’accusation n’a pas pu présenter d’éléments suffisamment
probants. En décembre 2012, un lieutenant-colonel de police à la
retraite, Dmitri Pavlioutchenkov, a également été reconnu coupable
et condamné à une peine de 11 ans. Des critiques ont néanmoins été
émises à l’encontre des autorités judiciaires parce qu’elles avaient
conclu un arrangement avec le condamné qui, selon certaines allégations,
aurait permis de masquer l’identité des véritables instigateurs
du crime.
99. L’incapacité du gouvernement à punir de nombreux fonctionnaires
qui commettent des abus renforce le sentiment d’impunité, en particulier
en ce qui concerne les crimes violents commis contre les journalistes.
Le Comité pour la protection des journalistes classe la Russie (qui
est le seul pays européen nommé) au dixième rang de son Indice mondial
d’impunité 2014, qui recense les pays où les meurtres de journalistes
sont les plus susceptibles de rester impunis.
100. Dans sa
Résolution
1920 (2013), l’Assemblée parlementaire a appelé les autorités russes
à mener une enquête complète sur l’affaire Sergei Magnitsky, un
avocat qui est décédé en détention provisoire en 2009 suite aux
abus et à la négligence des autorités carcérales. M. Magnitsky a
cherché à dénoncer la corruption officielle en Russie; son arrestation,
les tortures qui lui auraient été infligées ainsi que sa mort en
prison sont de nature à dissuader d’autres personnes qui souhaitent
dénoncer publiquement les abus commis par les autorités, ou les
considérer comme une source importante d’informations pour les médias.
Le propre Conseil des droits de l’homme du Président russe a conclu
que M. Magnitsky a probablement été battu à mort dans la prison,
mais, en mars 2013, le Comité d’enquête fédéral aurait mis un terme
à son enquête sur son décès sans pouvoir trouver d’éléments probants
de nature criminelle.
101. Les journalistes indépendants et critiques russes ont souvent
fait l’objet d’agressions injustifiées, dont un grand nombre commises
par la police ou les forces de sécurité, et d’arrestations arbitraires.
En 2013, l’ONG «Glasnost Defense Foundation» a dénombré 63 atteintes
à l’intégrité physique de journalistes, 24 poursuites judiciaires,
34 menaces de violence et 19 cas de journalistes licenciés à cause
de reportages critiques. Parmi les exemples d’agressions graves,
citons notamment le passage à tabac d’Andrey Chelnokov, président
de l’Union des journalistes de Novossibirsk, qui a eu lieu le 1er avril
2013. M. Chelnokov a disparu pendant dix jours avant d’être retrouvé
grièvement blessé, victime d’une commotion cérébrale, de côtes cassées
et d’une fracture du nez. Aucune arrestation n’a été ordonnée.
102. Le 22 octobre 2013, le journaliste Sergueï Reznik a été attaqué
à Rostov-sur-le-Don par deux hommes non identifiés armés de battes
de base-ball qui lui ont infligé des blessures à la tête et au cou.
L’agression faisait suite à la publication d’un billet de blog dans
lequel M. Reznik accusait un juge de faits de corruption. Le journaliste
a lui-même été poursuivi et condamné par la suite, notamment pour
outrage à un fonctionnaire public et tentative de versement de pots-de-vin.
103. Les autorités russes appliquent également des lois excessivement
restrictives pour restreindre la liberté d’expression et les manifestations
publiques. En juin 2012, une nouvelle loi contre les manifestations
a considérablement relevé les amendes pour ceux qui prennent part
à des manifestations publiques qui ne sont pas conformes aux conditions
très strictes prescrites; l’amende maximale a été portée à 300 000
roubles (environ $US 9 000), soit une somme supérieure à un salaire
annuel moyen. En 2013, le président Poutine a annoncé une interdiction
des manifestations et des rassemblements à Sotchi pendant les Jeux
olympiques d’hiver, qui se sont déroulés au début de 2014.
104. La loi russe de 2012 sur les ONG qui reçoivent des fonds de
l’étranger et sont réputées pour être engagées dans l’activité politique
a été appliquée très durement à de nombreuses organisations de la
société civile indépendantes qui jouent un rôle essentiel dans la
promotion du débat public ouvert sur des questions d’intérêt public
en Russie. La loi, qui oblige ces groupes à s’inscrire comme «agents
étrangers», a donné lieu à des poursuites judiciaires contre des
organisations qui refusent l’enregistrement. Certains groupes ont
été contraints de fermer; des centaines d’autres ont été soumis
à des inspections très poussées. En 2013, le groupe d’observation
des élections Golos a fait partie des organisations de la société
civile qui ont été suspendues et contraintes de payer une amende
de $US 10 000 pour avoir refusé de s’inscrire comme agent étranger.
105. La loi russe sur la répression de l’extrémisme donne une définition
très large des activités extrémistes et confère aux tribunaux le
pouvoir de fermer un organe de presse considéré comme ayant violé
la loi, sans possibilité de recours. Un organisme public de réglementation
des communications, Roskomnadzor, adresse régulièrement des avertissements
aux journaux et sites internet. Deux avertissements en un an peuvent conduire
à la fermeture de l’organisme averti. Il est clair que l’existence
même de cette loi draconienne peut conduire à l’auto-censure.
106. Une nouvelle loi sur l’internet, entrée en vigueur en février
2014, a renforcé les pouvoirs du gouvernement en matière de blocage
de sites internet. En mars 2013, le site internet de Garry Kasparov, Kasparov.ru,
et d’autres sites indépendants ont été bloqués. L’organisme de réglementation
Roskomnadzor a déclaré que ces sites avaient été ajoutés au registre
des sites au contenu interdit à la demande du bureau du procureur
général, parce qu’ils lançaient des appels à participer à des «actions
de masse non autorisées». Le blog du site «Livejournal» d’Alexei
Navalny, militant anti-corruption et figure de l’opposition, a également
été bloqué. En mai, le président Poutine a signé une extension de
la loi sur l’internet qui oblige les blogueurs ayant plus de 3 000
«abonnés» à s’inscrire en tant que médias de masse et à se conformer
à d’autres réglementations applicables aux grands médias.
107. En 2013, plusieurs autres lois ont été adoptées, qui limitent
encore davantage la liberté d’expression et la parole publique:
une «loi sur la propagande» visant les manifestations publiques
d’appui aux groupes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres),
une loi contre l’atteinte au sentiment religieux et une loi incriminant
les appels au séparatisme en Russie, qui prévoit une peine maximale
de cinq ans de prison.
108. Ces derniers mois, le Gouvernement russe et ses alliés ont
encore étendu leur emprise sur les médias influents. En décembre 2013,
le gouvernement a fermé la plus grande agence d’information appartenant
à l’Etat, RIA Novosti, qui avait la réputation de couvrir les questions
politiques de manière relativement équilibrée. Elle a été remplacée
par une agence d’information appelée Rossia Segodnya (Russia Today),
dont les liens avec le Kremlin seraient beaucoup plus étroits. L’agence
RIA Novosti a caractérisé elle-même la décision comme étant «un
renforcement du contrôle de l’Etat dans un secteur des médias déjà
fortement réglementé».
109. En mars 2014, Galina Timchenko, rédactrice en chef du portail
d’information indépendant Lenta.ru, a été soudainement licenciée
après que le site a reçu un avertissement de Roskomnadzor pour avoir
interviewé un leader ultra-nationaliste ukrainien.
110. En avril 2014, Pavel Durov, fondateur et propriétaire du réseau
social le plus populaire de Russie, Vkontakte, a quitté la Russie
après avoir été contraint de vendre ses actions dans l’entreprise.
Il a déclaré qu’il avait pris sa décision après avoir reçu une demande
de remettre des données à caractère privé appartenant à des utilisateurs,
et suite aux nouvelles restrictions draconiennes appliquées à l’utilisation
d’internet.
111. La grande chaîne russe de télévision indépendante et critique,
Dozhd (Rain), risque de mettre fin à ses activités depuis février
2014, date à laquelle les opérateurs de câble et de satellite ont
déclaré qu’ils ne transmettraient plus les programmes de la chaîne.
De plus, Dozhd doit faire face à des contrôles fiscaux et à une
perte soudaine de contrats publicitaires. Le propriétaire de Dozhd
a déclaré que les mesures prises par les distributeurs étaient dues
à des pressions politiques.
112. A la fin du mois de juin 2014, la Russie a adopté une loi
prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement
pour incitation publique à «l’extrémisme». La Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a déclaré
que la loi russe était trop imprécise et pouvait imposer des restrictions
disproportionnées de la liberté d’expression.
113. Le 21 juillet 2014, le Président Poutine a approuvé une disposition
législative empêchant les chaînes de télévision privées de tirer
des revenus de la publicité commerciale, dont beaucoup dépendent
pour survivre. Cette loi ne s’applique pas aux chaînes télévisées
publiques ou sous contrôle de l’Etat, connues pour suivre les politiques
éditoriales validées par le Kremlin.
114. Le 14 octobre, la Russie a adopté une loi visant à restreindre
à un maximum de 20 % la détention étrangère de capitaux dans toute
forme de médias. Pour le moment, aucune restriction ne s’applique
à la presse écrite et les intérêts étrangers dans les chaînes de
radio et de télévision sont plafonnés à 50 %.
115. La loi devait être progressivement adoptée au cours des deux
prochaines années. Elle entraîne une sévère restriction des possibilités
accordées aux médias indépendants pour opérer dans l’environnement médiatique
russe et, partant, un appauvrissement de la pluralité médiatique.
Il semble probable qu’elle concentrera encore davantage la propriété
et le contrôle des médias entre les mains d’un petit groupe de propriétaires
alliés à l’Etat ou redevables envers lui.
116. Les autorités russes ont ouvertement parlé d’une «guerre de
l’information» dans le conflit ukrainien, à laquelle participent
des médias russes contrôlés ou influencés par les autorités gouvernementales
et diffusant des informations et opinions très éloignées de celles
provenant de sources indépendantes, dont la mission spéciale d’observation
de l’OSCE en Ukraine.
– Turquie
117. En Turquie, plus de 20 journalistes étaient toujours
en prison au moment de la rédaction du présent rapport. Cependant,
de nombreux autres journalistes qui se trouvaient en détention provisoire
ont été libérés grâce à des réformes judiciaires qui, si elles se
poursuivent, pourraient conduire à une amélioration majeure de la
sécurité et des conditions de travail des médias libres et indépendants.
A l’heure actuelle, en Turquie, la sécurité et l’indépendance professionnelle
des journalistes sont toujours menacées par des lois excessivement restrictives,
des centaines d’enquêtes pénales douteuses, un certain nombre de
nouvelles poursuites à l’encontre de journalistes, des contraintes
concernant l’accès à l’internet, des ingérences injustifiées des autorités
dans le travail des médias, et un manque de tolérance du gouvernement
à l’égard des critiques qui lui sont adressées.
118. Parmi les journalistes libérés après une détention provisoire
en mai 2014, on compte sept journalistes kurdes et Füsun Erdoğan,
qui a passé huit ans en détention provisoire, selon elle sur la
base de fausses accusations. Elle aurait en effet tenté de renverser
l’ordre constitutionnel par la violence et serait membre d’un parti
marxiste interdit. Le gouvernement a continué d’affirmer que la
plupart ou la totalité des journalistes détenus dans les prisons
turques avaient commis des infractions sans rapport avec leur profession.
119. Des réformes positives ont été adoptées, notamment l’abaissement
récent de la durée maximale de la détention provisoire de dix ans
à cinq ans, une nouvelle disposition qui autorise la Cour constitutionnelle
turque à connaître des recours individuels, et l’abolition des tribunaux
spéciaux qui ont instruit les procès controversés de centaines de
personnes, dont des journalistes et des militaires accusés de faire
partie de complots anti-gouvernementaux. Toutefois, en mars 2014,
le gouvernement a également renforcé son contrôle sur le Conseil
supérieur de la magistrature, suscitant ainsi des craintes d’un
accroissement de l’ingérence politique dans le système judiciaire.
120. Le quatrième train de réformes judiciaires d’avril 2013 contenait
des améliorations liées à la liberté d’expression, notamment un
assouplissement des restrictions sévères frappant la publication
ou l’impression de déclarations d’organisations illégales (article
6/2, loi anti-terroriste) et la réduction du champ d’application de
l’infraction visant la propagande en faveur du terrorisme (article
7/2 de la loi antiterroriste et article 220/8 du Code pénal). Toutefois,
les réformes n’ont pas mis fin aux nombreuses poursuites engagées,
notamment contre certains journalistes, pour appartenance à une
organisation armée (article 314). L’article 301, très critiqué,
qui réprime les insultes visant la «nation turque», n’a pas été
modifié. Il a été utilisé pour ouvrir plus de 30 nouvelles affaires
en 2012 et 2013. Une enquête a été lancée contre le rédacteur en
chef et un journaliste d’Agos,
le magazine de l’ancien rédacteur en chef assassiné Hrant Dink,
après qu’ils ont critiqué le verdict du procès Dink.
121. Pendant les grandes manifestations du parc Gezi en 2013, l’organisation
Bianet, qui assure la surveillance des médias indépendants, a rapporté
que la police avait agressé au moins 105 journalistes alors qu’ils
couvraient les événements. La police a également emprisonné 28 journalistes,
dont certains ont été détenus pendant la nuit et interrogés. Peu
de policiers ou fonctionnaires ont eu à rendre publiquement des comptes
de leurs actes, ce qui a renforcé le sentiment d’impunité ainsi
que la défiance du public à l’égard des forces de l’ordre. Les efforts
concertés du gouvernement pour supprimer la couverture des événements
qui se déroulaient au parc Gezi ont pu être assimilés à une tentative
de censure à grande échelle.
122. Le 11 juin 2013, au plus fort des manifestations, l’organisme
de réglementation des médias de radiodiffusion RTUK (Conseil supérieur
de la radio et de la télévision) a demandé à Ulusal TV, Halk TV,
EM TV et Cem TV de ne pas diffuser de reportages sur les manifestations
au motif qu’ils inciteraient à la violence. Sous la pression, de
nombreuses chaînes de télévision ont cessé de diffuser des reportages
sur des manifestations auxquelles des dizaines de milliers de Turcs
ont participé pendant plusieurs semaines, à Istanbul et dans d’autres
villes.
123. De nombreux journalistes de la presse et de la radio-télévision
turques ont censuré leurs reportages sous la contrainte et parce
qu’ils craignaient de perdre leur emploi ou d’autres formes de représailles.
Au cours des dernières années, de nombreux journalistes turcs de
premier plan ont été licenciés sommairement par leurs employeurs
à la suite, apparemment, d’une intervention directe ou sous la pression
de hauts fonctionnaires du gouvernement. Le Premier ministre Recep
Tayyip Erdoğan a reconnu qu’il avait téléphoné personnellement à
plusieurs propriétaires ou rédacteurs en chef de médias pour influencer
leur ligne éditoriale. Il est apparu plus tard que, pendant les
manifestations du parc Gezi, le premier ministre avait téléphoné
du Maroc à un haut dirigeant du groupe Cener, qui possède la chaîne
d’information Haberturk TV, et lui avait demandé de modifier une
information qui lui déplaisait.
124. Au cours de l’année écoulée, un certain nombre d’allégations
de corruption impliquant des membres du gouvernement et des membres
de leurs familles sont apparues sur internet, notamment sur les
médias sociaux. Sur fond de défiance accrue de la population à l’égard
des médias turcs traditionnels en raison de la censure et de l’autocensure,
l’internet est devenu un vecteur important pour ceux qui souhaitent
publier et recevoir des informations d’intérêt public qui pourraient
être indésirables pour les autorités gouvernementales, en particulier
des informations sur les cas présumés de corruption officielle.
125. Le gouvernement a utilisé ses pouvoirs juridiques pour bloquer
de nombreux sites d’information et de partage de fichiers, notamment
les sites de blogueurs et YouTube, en s’appuyant sur les lois qui
répriment l’insulte visant l’«identité nationale turque», les lois
relatives à la sécurité nationale et les lois qui interdisent de longue
date toute critique d’Atatürk. Depuis 2009, le nombre de sites internet
bloqués en Turquie est estimé à plus de 50 000. Selon des sources
officielles, 81,9 % de ces sites ont été bloqués en raison de l’obscénité, 9,6 %
en raison de l’abus des enfants, 4,6 % en raison de la prostitution
et 1,4 % en raison de la violation de la vie privée. En mars 2014,
pendant la campagne électorale qui précédait les élections municipales
turques, prévues le 30 mars, Twitter a été bloqué après que le Premier
ministre Erdoğan se soit engagé à «effacer Twitter» parce que les
utilisateurs répandaient des allégations de corruption au plus haut
niveau, ce qu’il avait démenti. Le président Abdullah Gül a personnellement
utilisé Twitter pour affirmer que, selon lui, l’interdiction totale
de Twitter était inacceptable et techniquement impossible. Un tribunal
d’Ankara a condamné l’interdiction, et le 2 avril 2014, la Cour
constitutionnelle a confirmé ce jugement.
126. En décembre 2012, la Cour européenne des droits de l’homme
a jugé (dans l’affaire
Ahmet
Yildirim c. Turquie) que le blocage de l’accès à une plateforme en ligne
appelée Google Sites est une violation du droit à la liberté d’expression
s’il ne s’inscrit pas dans un cadre juridique strict quant à la
délimitation de l’interdiction et efficace quant au contrôle judiciaire.
127. En 2014, la Grande Assemblée nationale turque a adopté plusieurs
amendements à la loi n° 5651, lesquels permettent de fermer plus
rapidement des sites internet; mais la nouvelle loi exige également
que les décisions de justice concernant ces mesures interviennent
plus rapidement. Compte tenu de la pratique antérieure de la Turquie
en matière de blocage de sites internet, cette révision a fait l’objet
de critiques.
128. En mars 2014, le gouvernement a diffusé des informations détaillées
sur un vaste Plan d’Action pour les droits de l’homme destiné à
aligner la législation turque sur la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, suite aux nombreuses décisions de celle-ci
concluant à des violations par la Turquie de la liberté d’expression,
de la liberté de réunion et des normes judiciaires. Le rythme de
mise en œuvre du plan d’action dépendra vraisemblablement de la
volonté politique du Gouvernement turc. L’Union européenne continue d’être
réticente à ouvrir des négociations officielles avec la Turquie
sur le chapitre 23 de la procédure d’adhésion de l’Union européenne,
qui traite du système judiciaire et des droits fondamentaux, ce
qui pourrait freiner le processus.
129. Plusieurs journalistes turcs et étrangers sont devenus la
cible de campagnes de haine sur les médias sociaux et font l’objet
de multiples menaces de violence depuis que des personnalités turques
de premier plan les ont insultés ou condamnés en raison de leurs
reportages. Suite à la catastrophe de la mine de Soma en mai 2014,
le correspondant en Turquie du magazine Der
Spiegel, Hasnain Kazim, a quitté le pays parce qu’il aurait
reçu plus de 10 000 menaces sur Facebook et Twitter concernant ses
reportages sur la catastrophe, dans lesquels un mineur local tenait
des propos très critiques à l’égard du Premier ministre turc lors
de la visite de M. Erdoğan à Soma.
130. Le Premier ministre Erdoğan a accusé le service turc de la
BBC d’avoir embauché des acteurs pour jouer le rôle de parents de
mineurs morts sur le site minier de Soma. Il a réagi ainsi après
la diffusion par la BBC d’une séquence vidéo dans laquelle deux
parentes de mineurs décédés déclaraient qu’elles ne voteraient plus
pour le parti AK de M. Erdoğan en raison de sa réponse contestable
concernant ceux qui avaient perdu la vie dans la catastrophe. La
BBC a nié toute manipulation de l’information, mais par la suite,
la journaliste de la BBC, Rengin Arslan, est devenue la cible d’une
campagne de dénigrement extrêmement désagréable véhiculée sur les
médias sociaux, ainsi que d’autres accusations relayées par les
médias pro-gouvernementaux.
131. Ces affaires démontrent que les personnages publics ne doivent
pas abuser de leur position privilégiée pour utiliser un langage
excessif ou provocateur contre les journalistes ou organes de presse,
et doivent présenter rapidement des excuses les plus complètes possibles
lorsqu’il est prouvé que leurs déclarations sont sans fondement.
132. La décision prise le 2 octobre 2014 par la Cour constitutionnelle
turque d’annuler les pouvoirs de censure et de surveillance en ligne
supplémentaires que le gouvernement prévoyait d’octroyer à la haute autorité
des télécommunications et de l’informatique a été un pas en avant
sur la voie de la liberté d’expression. La Cour a jugé inconstitutionnels
les pouvoirs supplémentaires proposés, qui auraient permis d’ordonner
le blocage immédiat de l’accès aux sites internet à des fins de
protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, sans l’autorisation
d’aucun tribunal, et de recueillir les données de communications
de tous les usagers de l’internet.
133. Le Réseau indépendant de communication turc (BIA), un organisme
de surveillance, a déclaré sur son site d’information Bianet qu’au
début du mois d’octobre 2014, 19 journalistes étaient toujours détenus
dans les prisons turques, dont quatre dans l’attente de la conclusion
d’un processus d’enquête ou d’un procès. Douze d’entre eux seraient
des professionnels des médias kurdes accusés ou reconnus coupables
d’entretenir des liens avec des organisations illégales, selon la
loi anti-terroriste et le Code pénal turc.
134. Bianet a déclaré qu’un an auparavant, 66 journalistes se trouvaient
dans les prisons turques. La même organisation a recensé 21 agressions
commises en Turquie contre des journalistes entre juillet et septembre 2014,
et rapporte que depuis le début de l’année 2014, le ministère de
la Justice a approuvé 79 demandes de mises en examen de journalistes
au titre de l’article 301 du Code pénal turc, lequel érige en infraction
pénale l’insulte à l’identité turque ou aux institutions de l’Etat
turc.
135. PEN International s’est dite vivement préoccupée par la condamnation
à 11 mois et 20 jours de prison avec sursis prononcée à la fin du
mois de septembre à l’encontre du journaliste et écrivain Erol Özkoray
après la condamnation de ce dernier pour diffamation envers l’actuel
Président turc, M. Erdoğan, dans un ouvrage sur le mouvement de
protestation du Parc Gezi, en 2013. Cette condamnation signifie
qu’Özkoray devra purger sa peine en prison s’il est à nouveau condamné
au pénal pour diffamation dans les cinq prochaines années. PEN International
a demandé la levée de la peine assortie de sursis.
136. Depuis le mois de juin 2014, les organisations de médias et
associations de journalistes turques et internationales sont de
plus en plus préoccupées par une série d’attaques verbales incendiaires
prononcées par des personnages clés de la scène politique turque
et visant des journalistes dont le travail déplaît aux autorités.
137. En août 2014, M. Erdoğan, alors Premier ministre, prenant
la parole lors d’un rassemblement dans le sud de la Turquie, a dit
d’Amberin Zaman, la correspondante turque du journal The Economist: «C’est une militante
déguisée en journaliste… une femme effrontée.»
138. Les propos agressifs du Premier ministre dirigés contre une
journaliste respectée ont déclenché contre celle-ci un flot d’injures
et de menaces violentes dans les médias sociaux. The Economist a déclaré que les manœuvres
d’intimidation contre des journalistes n’avaient pas leur place
dans une démocratie.
139. Reporters sans frontières, Article 19 et PEN Angleterre ont
écrit à M. Erdoğan une lettre ouverte lui demandant d’user de son
influence de Président de la Turquie pour favoriser une culture
dans laquelle les journalistes et écrivains turcs pourront exercer
leur liberté d’expression sans crainte d’intimidations.
– Azerbaïdjan
140. Des journalistes et des médias indépendants azerbaïdjanais
ont dû faire face à des comportements agressifs visant à réduire
au silence les voix critiques. On relève en effet de nombreux cas
d’agressions physiques, de détention et d’emprisonnement faisant
suite à des accusations dont on pense qu’elles sont forgées de toutes
pièces, des cas de harcèlement judiciaire, et des cas de tentatives
de chantage par des personnes liées au gouvernement.
141. Les meurtres du journaliste et écrivain Rafiq Tagi en 2011
et du rédacteur en chef Elmar Huseynov en 2005 demeurent non élucidés
et impunis, ce qui renforce le sentiment d’impunité qui tend à protéger
les puissants contre toute obligation de rendre compte, et entrave
l’efficacité de la justice. La Fédération Internationale des journalistes
a dénombré 15 agressions contre des journalistes en 2013.
142. Le 25 avril 2014, le journaliste du quotidien Yeni Musavat, Farahim Ilgaroğlu,
a été battu et frappé au visage par un inconnu qui lui a demandé
de confirmer son nom avant de l’agresser. L’attaque, injustifiée,
s’est produite devant son domicile à Bakou.
143. En novembre 2012, Farahim Ilgaroğlu, qui se trouvait en compagnie
d’Etimad Budagov, journaliste à l’agence d’information Turan, d’Amid
Suleymanov, correspondant de l’agence d’information Media Forum
et de Rasim Aliyev, correspondant de l’Institut pour la liberté
et la sécurité des journalistes (IRFS), ont été passés à tabac par
la police et arrêtés alors qu’ils couvraient une manifestation de
l’opposition à Bakou, malgré le port de gilets indiquant clairement
qu’ils travaillaient pour la presse.
144. Le Commissaire aux droits de l’homme, dans ses observations
sur la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, publiées
en avril 2014, a déploré une tendance à la hausse du nombre des
poursuites pénales injustifiées ou sélectives visant des journalistes
et d’autres personnes qui expriment des opinions critiques. Son
évaluation faisait écho à celle de la
Résolution 1917 (2013) de l’Assemblée de janvier 2013 sur le respect des obligations
et engagements de l’Azerbaïdjan. Le Commissaire a fait référence
aux arrestations du blogueur Omar Mammadov en janvier 2014, de l’activiste
en ligne Abdul Abilov en novembre 2013, tous deux pour des accusations
douteuses de trafic de drogue, et de Parviz Hashimli, du journal
Bizim Yoi en septembre 2013 pour
une prétendue possession d’armes. Le Commissaire a réfuté les objections
formulées antérieurement par les autorités azerbaïdjanaises selon
lesquelles les journalistes emprisonnés dans le pays avaient tous
été poursuivis pour des délits sans rapport avec leur activité professionnelle.
145. La condamnation en mai 2014 de Parviz Hashimli, rédacteur
en chef du portail d’information indépendant Moderator, à huit ans
de prison pour trafic et possession d’armes a été critiquée par
l’Union européenne et de nombreuses organisations d’observation
des droits de l’homme, qui ont considéré qu’il s’agissait d’une
injustice reposant sur des preuves fabriquées. M. Hashimli est connu
pour ses reportages critiques sur la corruption et les violations
des droits de l’homme en Azerbaïdjan, et qui couvrent également des
questions liées aux agissements du président de l’Azerbaïdjan, Ilham
Aliyev. L’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes
a déclaré que l’arrestation de M. Hashimli en septembre 2013 était
un avertissement lancé délibérément aux journalistes à la veille
d’une élection.
146. Le Président Aliev a été réélu pour un troisième mandat en
octobre 2013 lors d’élections qui, selon les observateurs électoraux
de l’OSCE, ont été entachées par des allégations d’intimidation
à l’encontre d’électeurs et de candidats, et par un environnement
restrictif pour les médias caractérisé par l’intimidation, l’arrestation
et l’utilisation de la force contre les journalistes et les activistes
en ligne et hors ligne de la cause des droits de l’homme et de la
démocratie. L’OSCE a suivi les programmes de six chaînes de télévision
au cours de la campagne électorale et a indiqué que 92 % des reportages
étaient consacrés au président sortant, le reste de la couverture
médiatique étant attribué aux neuf candidats restants (Rapport final
sur l’élection présidentielle en Azerbaïdjan du Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme de l’OSCE (OSCE/BIDDH), publié
le 24 décembre 2013).
147. Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a déclaré
en mai 2014 que dix journalistes étaient actuellement en détention
ou purgeaient des peines de prison sur la base de fausses accusations
ou d’accusations motivées par des considérations politiques: Sardar
Alibayli; Nidjat Aliyev; Araz Guliyev; Parviz Hashimli; Fouad Huseynov;
Hilal Mammadov; Rauf Mirkadirov; Faramaz Novruzoglu; Tofig Yagublu;
et Avaz Zeynalli.
148. Depuis 2012, une campagne de dénigrement inquiétante a été
menée contre Khadija Ismayilova, une journaliste d’investigation
de premier plan de Radio Azadliq et de Radio Free Europe/Radio Liberty,
visant apparemment à l’empêcher de publier des rapports sur les
opérations commerciales du Président et des membres de sa famille.
Mme Ismayilova est devenue la cible d’atteintes
grossières à sa vie privée, et en mars 2013, des images intimes
de sa personne, enregistrées en secret à son domicile, ont été publiées
sur internet, un acte ayant visiblement pour but de la discréditer.
Le gouvernement n’a pas réussi à identifier ou punir les responsables
de la surveillance illégale et des atteintes à sa vie privée. En
octobre 2013, Mme Ismayilova a demandé
à la Cour européenne des droits de l’homme d’ordonner aux autorités azerbaïdjanaises
de prendre des mesures pour la protéger contre la violence, les
menaces et les atteintes à sa vie privée.
149. Des signes positifs indiquent que la Cour suprême d’Azerbaïdjan
a recommandé de modifier la loi qui réprime l’insulte et la diffamation
pour se conformer aux décisions de la Cour européenne des droits
de l’homme. Cependant, les sanctions pénales pour diffamation, notamment
une peine d’emprisonnement de trois ans, n’ont pas encore été supprimées.
En 2013, le gouvernement a étendu le champ d’application des sanctions
juridiques pour diffamation afin d’inclure des expressions diffusées
sur l’internet. Les procès civils en diffamation ont donné lieu
à de fortes amendes contre les organisations de médias, au point
que certaines ont failli disparaître, et ils ont produit un effet
dissuasif sur la liberté des médias au sens large. L’article 106
de la Constitution et l’article 323 du Code pénal, qui interdisent
d’insulter l’honneur et la dignité du Président, représentent des
limitations excessives de la liberté d’expression.
150. Le 30 octobre 2014, le journaliste Khalid Garayev, qui collabore
au journal d’opposition Azadlig,
a été condamné à 25 jours d’emprisonnement sous l’accusation de
hooliganisme et de non-respect des instructions de la police, que
les organisations de suivi des droits de l’homme disent inventée
de toutes pièces. En novembre 2012, la survie du journal a été menacée
par le gel de ses comptes en banque et par sa condamnation à de
lourdes amendes à la suite de plusieurs procès intentés par des
personnes décrites comme proches du gouvernement. Reporters sans
frontières a déclaré que ces amendes exorbitantes constituaient
une tentative délibérée des autorités d’affaiblir Azadlig. RSF a fait observer que
la plupart des autres journaux d’opposition d’Azerbaïdjan avaient
fermé et que l’ensemble des médias nationaux était sous contrôle
du gouvernement.
151. Le 10 novembre 2014, à la suite de l’interdiction de voyager
signifiée au blogueur Mehman Huseynov, la représentante de l’OSCE
pour la liberté des médias a critiqué les mesures répressives prises
contre des médias indépendants et a défendu la liberté d’expression
en Azerbaïdjan. Ce jour-là, Huseynov a été retenu à l’aéroport de
Bakou et empêché de prendre l’avion pour Tbilissi afin d’assister
à une conférence à l’invitation de l’OSCE.
152. Khadija Ismailova a été victime, en 2012, d’une tentative
de chantage – selon les critiques, orchestrée par les autorités
– a également été empêchée de se rendre à la conférence de Tbilissi
par des restrictions de la liberté de circulation qui lui avait
été précédemment imposées.
153. Le 12 novembre 2014, des organisations de défense des droits
de l’homme faisant partie du réseau de la Maison des droits de l’homme
et du réseau des Défenseurs des droits de l’homme du Caucase du
Sud ont appelé le Président azerbaïdjanais à ordonner la libération
immédiate de tous les acteurs de la société civile emprisonnés dans
le pays. Parmi eux figurent les défenseurs des droits de l’homme
Leyla Yunus et son époux Arif Yunus, arrêtés en juillet et en août
pour ce que les groupes de la société civile qualifient d’accusations forgées
de toutes pièces, ainsi que Rasul Jafarov, lui aussi défenseur des
droits de l’homme, l’avocat des droits de l’homme Intigam Aliyev,
et les observateurs des élections Anar Mammadli et Bashir Suleymanli.
154. Le 24 octobre 2014, à la suite d’une visite en Azerbaïdjan,
le Commissaire aux droits d’homme a déploré l’arrestation et la
détention de, selon ses dires, pratiquement l’ensemble des partenaires
de la société civile de son bureau. Le Commissaire a insisté sur
la nécessité de réformer les lois azerbaïdjanaises sur les ONG,
dont les exigences complexes en matière d’immatriculation poussent
inévitablement un certain nombre d’ONG à fonctionner en marge de
la loi. S’exprimant à Strasbourg le 3 novembre, le Commissaire a
fait observer que les journalistes exprimant des opinions critiques
en Azerbaïdjan sont souvent en butte à des problèmes juridiques.
Il a ajouté qu’au moins 11 journalistes sont actuellement emprisonnés
en raison de leur activité.
155. Selon un rapport récemment publié par Article 19 sur la situation
des médias indépendants et des défenseurs des droits de l’homme
en Azerbaïdjan, les autorités du pays auraient lancé contre la société
civile une attaque odieuse pour écarter de la vie publique les ONG,
journalistes et autres voix critiques en les harcelant ou en les
emprisonnant. Article 19 a cité le cas du journaliste d’investigation
Idrak Abbasov, qui affirme avoir été torturé en 2009 dans les locaux
du ministère de la Sécurité nationale et brutalement agressé et
frappé en avril 2012 par des agents de sécurité de la compagnie
pétrolière nationale, SOCAR. Article 19 rapporte que les autorités
n’ont ouvert aucune enquête concernant ces allégations de torture.
De même, aucune enquête en bonne et due forme n’a été menée sur
l’agression commise en 2012, alors qu’Abbasov avait lui-même déclaré
qu’il était convaincu que ses assaillants avaient eu l’intention
de le tuer. En mai 2014, Abbasov a saisi la Cour européenne des
droits de l’homme au motif que l’Etat n’avait pas mené d’enquête appropriée
en l’espèce.
2.7. Cas et enjeux importants
dans d’autres régions d’Europe
156. Dans de nombreuses autres régions d’Europe, le travail
des journalistes et leur sécurité sont systématiquement mis régulièrement
en danger par des actes et des menaces de violence, mais aussi par
des lois trop restrictives et diverses formes de harcèlement grave
et d’obstruction de la part des autorités. Le taux extrêmement faible
d’élucidation d’affaires dans lesquelles les journalistes sont victimes
de crimes ou d’abus (impunité) alourdit souvent le climat d’intimidation
ou de répression.
157. La liberté des médias en Europe connaît un contexte difficile,
comme en témoigne le rapport le plus récent de «Freedom of the Press
2014», qui est une ONG basée aux Etats-Unis et qui étudie la liberté
de la presse. Freedom House a classé l’Azerbaïdjan, le Bélarus,
la Russie, la Turquie et l’Ukraine dans la catégorie «non libre»,
tandis que l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie,
la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, le Kosovo, la République
de Moldova, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», le Monténégro,
la Roumanie et la Serbie étaient tous classés dans la catégorie
«en partie libre».
158. Le cadre de protection comporte des insuffisances importantes,
notamment l’incapacité de la majorité des Etats membres du Conseil
de l’Europe à dépénaliser l’insulte et la diffamation, malgré les
demandes fréquemment formulées en ce sens par des ONG internationales
et des organisations intergouvernementales, dont le Conseil de l’Europe
et l’OSCE.
159. Beaucoup d’Etats européens appliquent des lois inefficaces
ou trop restrictives sur la liberté d’accès à l’information ainsi
que des lois trop contraignantes sur le secret d’Etat, la sécurité
nationale et la lutte contre le terrorisme. Dans ces conditions,
les journalistes de certains pays sont particulièrement exposés
à l’hostilité du pouvoir en place ou à des poursuites des autorités
lorsqu’ils cherchent à rendre compte de questions sensibles d’un
intérêt public.
160. L’expansion rapide de la surveillance des communications électroniques
par des organismes d’Etat a été, dans de nombreux cas, dirigée contre
des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme, et les enquêtes
pénales et les poursuites de blogueurs ont augmenté. Le rédacteur
en chef du journal The Guardian, Alan
Rusbridger, craint que les journalistes ne puissent peut-être plus
protéger la confidentialité de leurs sources si la surveillance
et le contrôle des communications en ligne ne sont pas restreints.
En effet, si cette évolution se poursuit, les journalistes et les
sources d’information seront alors exposés à des risques, et le journalisme
d’investigation sera gravement entravé.
161. En janvier 2014, des organisations mondiales de défense de
la liberté de la presse, dont l’Association Mondiale des Journaux
(The World Association of Newspapers), ont effectué une mission
sur la liberté de la presse à Londres, et critiqué ce qu’ils ont
appelé l’ingérence du gouvernement britannique dans l’indépendance
éditoriale du Guardian, qui
avait publié des articles révélant l’étendue des programmes de surveillance
électronique au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. En août 2013, le
Gouvernement britannique a défendu son application de la législation
antiterroriste concernant la détention, l’interrogatoire et la saisie
de matériel à l’aéroport Heathrow de David Miranda, le partenaire
du journaliste responsable de la plupart des rapports, Glenn Greenwald.
Il a également justifié l’envoi de fonctionnaires dans les bureaux
du Guardian afin d’ordonner
la destruction d’un disque dur d’ordinateur. Le Guardian affirme que le gouvernement
a exercé des pressions injustifiées pour tenter d’empêcher la publication
de questions d’un intérêt public légitime. Une commission parlementaire
britannique a demandé que des réformes profondes soient menées en
vue de renforcer le contrôle indépendant de la sécurité du Royaume-Uni
et des agences de renseignement. Le Comité des affaires intérieures
a déclaré en mai 2014 que le système actuel était dépassé et si
inefficace qu’il nuisait à la crédibilité des agences de renseignement
et du parlement.
162. Au cours des deux dernières années, on assiste à une tendance
dont le développement est tout à fait préoccupant. Il s’agit du
renforcement de l’autocensure, qui a été observé par les organisations
de journalistes elles-mêmes. Cet «effet paralysant», qui résulte
de la coercition ou de la pression exercée par de puissants patrons
de médias ou responsables publics, peut placer les journalistes
devant un dilemme fâcheux, voire impossible: être les porte-parole
d’un des groupes influents de la société ou être exposés à de graves
menaces pour leur sécurité ou leurs moyens d’existence. Les grands
changements qui ont transformé le marché des médias et l’univers
des technologies, ainsi que les politiques d’austérité appliquées
partout dans le monde, ont rendu les organisations de médias plus
instables sur le plan économique, plus vulnérables aux pressions, notamment
à cause de la perte de contrats publicitaires et de subventions
publiques, et donc plus exposées aux influences qui n’ont pas lieu
d’être.
163. L’avenir des radiodiffuseurs de service public et de ceux
qui travaillent pour eux est également de plus en plus menacé. En
Grèce, le radiodiffuseur public ERT a été subitement fermé en juin 2013
par le gouvernement. La fermeture, qui a suscité la polémique, a
été officiellement imputée à une mauvaise gestion et à la nécessité
de faire des économies draconiennes. Un nouveau radiodiffuseur national,
beaucoup plus petit, NTANGA, a vu le jour en juin 2014.
164. Au Bélarus, les détentions arbitraires, les arrestations et
le harcèlement de journalistes continuent d’être systématiquement
signalés. La loi relative à la répression de l’extrémisme incrimine
le journalisme indépendant, notamment les activités et la publication
de matériels qui portent atteinte à l’honneur du pays ou de son
président, ou incitent à l’«hooliganisme» pour des raisons politiques.
La loi dissuade la publication de reportages indépendants en menaçant
les organisations de médias de fermeture.
165. Andzej Poczobut, un journaliste biélorusse qui, depuis 2011,
a été à plusieurs reprises accusé d’avoir diffamé le Président,
a enfin vu sa condamnation à trois ans avec sursis annulée en septembre 2013,
lorsque le ministère public a abandonné les poursuites engagées
contre lui, faute de preuves.
166. En Arménie, on a noté un recul du nombre d’agressions contre
l’intégrité physique des journalistes au cours des deux dernières
années. Mais plusieurs journalistes ont été agressés au moment de
l’élection présidentielle en février 2013. Des rapports ultérieurs
ont montré que personne n’avait été poursuivi pour les agressions
commises, faute de preuves.
167. En Bulgarie, deux cas ont été signalés, dans lesquels des
journalistes d’investigation ont été menacés, apparemment pour les
dissuader de publier des articles révélant la corruption ou des
actes répréhensibles. En juillet 2012, Spas Spasov, qui travaille
pour les journaux Capital et Dnevnik dans la ville de Varna,
a reçu des menaces par voie postale en rapport avec ses articles
sur des faits de corruption liés à un projet de construction local.
En 2013, un journaliste d’investigation bulgare, Hristo Hristov,
dont les travaux portent sur les dossiers secrets et les crimes
présumés des organes de sécurité de l’ancien Etat communiste, a
reçu plusieurs menaces de mort qu’il a signalées à la police.
168. En juin 2013, une enquête portant sur plus de 150 journalistes
de la section bulgare de l’Association des journalistes européens
a révélé que plus des quatre cinquièmes d’entre eux considéraient
que l’environnement des médias bulgares était soumis à des pressions
excessives, notamment sur les professionnels des médias. Plus de
six sur dix ont déclaré que les pressions internes des directeurs
ou des rédacteurs en chef étaient à l’origine de modifications inappropriées
du contenu rédactionnel.
169. En Espagne, des journalistes qui couvraient des manifestations
qui se déroulaient à Madrid le 29 mars 2014 ont fait l’objet de
violences et d’intimidations de la part de la police. Ces faits
ont été dénoncés par le représentant de l’OSCE pour la liberté des
médias et les organisations journalistiques espagnoles. Cinq journalistes,
Gabriel Pecot, Mario Munera, Juan Ramón Robles, William A. Criollo
et Raul Capin auraient été agressés par des policiers et empêchés
de prendre des photos et de recueillir des informations, alors qu’ils s’étaient
présentés comme membres de la presse.
170. Au cours des deux dernières années, la Fédération des associations
de journalistes d’Espagne (FAPE) a continué de protester contre
la pratique arbitraire utilisée par les ministères et les partis
politiques, qui cherchent à empêcher les journalistes de poser des
questions à des personnes, de les enregistrer ou de les interroger
lors de certaines conférences de presse et au cours des campagnes
électorales. Selon la FAPE, des journalistes n’ont pas pu poser
de questions aux porte-parole du Parti populaire au pouvoir pendant plusieurs
semaines, au plus fort d’un scandale concernant un financement illicite
présumé de partis politiques, ce qui a bloqué tout débat ouvert
sur des questions d’un intérêt public évident. Le gouvernement a
été informé des plaintes déposées et n’y a pas encore répondu de
manière adéquate.
171. En Grèce, le 16 janvier 2013, des bombes artisanales ont visé
les domiciles de cinq journalistes actuels ou anciens à Athènes,
dont des membres du personnel de Athens News Agency, de la télévision
publique ERT, d’Alpha TV et de Mega TV.
172. Kostas Vaxevanis, rédacteur en chef d’un magazine d’investigation
grec, a été deux fois jugé et menacé d’une peine de prison. Il est
accusé de violation de la vie privée pour avoir publié les noms
de plus de 2 000 citoyens grecs détenant des comptes bancaires en
Suisse. M. Vaxevanis a déclaré qu’il avait publié la liste pour
montrer l’inaction des pouvoirs publics concernant des preuves d’une
éventuelle évasion fiscale de personnages puissants de la société.
Il a été acquitté pour la deuxième fois par une Cour d’appel en
novembre 2013.
173. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’utilisation
par l’Italie de sanctions pénales en cas de diffamation était disproportionnée.
Une nouvelle loi a été rédigée, dans laquelle la sanction d’emprisonnement
serait enfin supprimée, mais d’autres améliorations sont nécessaires
pour fournir des garanties suffisantes contre les demandes abusives,
les amendes exorbitantes et les dommages-intérêts excessifs visant
les défendeurs, qui ont souvent été des représentants des médias.
174. A la suite de la Résolution de l’Assemblée
1920 (2013), la Commission de Venise a adopté, à sa réunion des
6 et 7 décembre 2013, un Avis sur la législation italienne relative
à la diffamation et conclu que: «Mentionner plus explicitement,
dans les dispositions sur la diffamation, l’exigence de proportionnalité
des sanctions et le critère de la situation économique du journaliste
contribuerait, parallèlement au principe général de proportionnalité
inscrit dans le système juridique italien, à éviter l’application
d’amendes excessives et à garantir des compensations d’un montant
raisonnable. Il conviendrait aussi de reconsidérer l’instauration,
en cas de diffamation répétée, d’une interdiction temporaire d’exercer
la profession de journaliste, qui risque d’entraîner une autocensure
dans les médias et d’avoir un effet intimidant sur le journalisme
d’investigation.»
175. La Fédération nationale de la presse italienne (FNSI) a protesté
contre les restrictions excessives de la liberté d’expression. Le
9 septembre 2013, la police a perquisitionné le bureau et saisi
du matériel informatique de Consolato Minniti, journaliste au quotidien L’Ora della Calabria, qui avait
publié des informations détaillées relatives à une enquête sur la
criminalité organisée.
176. Au Monténégro, la fréquence élevée des agressions violentes
dirigées contre les journalistes est préoccupante. Le 3 janvier
2014, Lidija Nikcević, une journaliste du journal Dan, a été agressée en face de son bureau
par un assaillant masqué armé d’une batte de base-ball. Elle a subi
une commotion cérébrale et des blessures lui ont été infligées à
la tête et au corps. Le 13 février 2014, une voiture de fonction
du journal Vijesti a été incendiée
à Podgorica. C’était la cinquième fois qu’une voiture de Vijesti était détruite.
177. Dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», des manifestations
internationales ont été organisées pour protester contre la peine
de quatre ans et demi de prison prononcée en octobre 2013 contre le
journaliste Tomislav Kezarovski, qui avait écrit des articles dans
le magazine Reporter 92 révélant
l’identité d’un témoin protégé dans une affaire d’assassinat ayant
eu lieu en 2008. Le journaliste avait déclaré que le fait de divulguer
que le témoin présenté par la police avait fait un faux témoignage
était d’un intérêt public évident. M. Kezarovski a été libéré de
prison par la suite et placé en résidence surveillée en attendant
le jugement en appel.
178. En novembre 2012, les Pays-Bas ont été reconnus coupables
d’avoir violé le droit du journal De Telegraaf et
de deux de ses journalistes de garder leurs sources journalistiques
secrètes. En effet, les services de sécurité avaient procédé à des
écoutes illégales des communications des journalistes, puis ils
avaient arrêté ceux-ci pendant plusieurs jours et exigé d’eux qu’ils
révèlent la source de l’information qu’ils avaient publiée à propos
d’une faille de sécurité embarrassante pour les services. Le Gouvernement
néerlandais s’est engagé par la suite à adopter des lois pour protéger
la confidentialité des sources journalistiques. Cette nouvelle loi
promise est toujours attendue.
179. La Hongrie a adopté une série de lois sur les médias en 2010
et 2011. A la suite d’un avis circonstancié rendu par le Commissaire
aux droits de l’homme en 2011, le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe et le vice-Premier ministre hongrois ont eu au début
de l’année 2013 plusieurs entretiens concernant les divers problèmes
posés par la législation hongroise relative aux médias. En conséquence,
le Parlement hongrois a introduit en avril 2013 certaines modifications
dans les dispositions de cette législation qui avaient été contestées.
Malgré cela, la législation hongroise a toujours un effet paralysant
sur la liberté et l’indépendance des médias, malgré les modifications
ultérieures. Plusieurs problèmes restent préoccupants, notamment l’obligation,
mal définie, de produire un «contenu équilibré» dans la presse écrite,
les fortes amendes pouvant être imposées aux journalistes pour violation
des lois sur les médias, et l’absence persistante de mesures de protection
garantissant l’indépendance de l’Autorité des médias et du Conseil
des médias.
180. Le 28 juillet 2014, la Commissaire européenne Neelie Kroes
a réitéré ses critiques véhémentes envers la loi des médias hongroise
de 2010, y compris concernant la mise en place d’un système de réglementation globale
des médias qu’elle estime soumis aux pressions politiques du parti
au pouvoir, le Fidesz. Mme Kroes a décrit
l’impôt sur la publicité – adopté en juin 2014 sans débat digne
de ce nom – comme une menace pour la liberté et la pluralité des
médias; selon elle, en effet, son but évident est de chasser du
pays le radiodiffuseur étranger RTL. Or, RTL est considérée comme
l’une des rares chaînes de télévision ne soutenant pas le Fidesz. C’est
aussi celle qui a été la plus durement touchée par le nouvel impôt.
181. A la suite des élections législatives hongroises du 6 avril
2014, la mission restreinte d’observation électorale de l’OSCE/BIDDH
a publié son rapport final le 11 juillet. Selon celui-ci, une couverture
médiatique partiale et des règles de campagne restrictives ont offert
au parti au pouvoir un avantage électoral déloyal. L’observation
du suivi médiatique de la campagne par la mission a révélé que trois
des cinq chaînes télévisées avaient fait preuve d’une partialité
incontestable en faveur du Fidesz. L’attribution à certains médias
de publicités financées par l’Etat a également porté atteinte au
pluralisme et renforcé l’autocensure parmi les journalistes.
182. Le rapport de l’OSCE/ODIHR a recommandé qu’à l’avenir, les
médias publics soient soumis à des règles strictes interdisant toute
ingérence gouvernementale, et que l’application de la disposition
juridique relative à une couverture équilibrée soit supervisée par
un organisme véritablement indépendant. Le rapport a également recommandé
que la loi pénale hongroise sur la diffamation soit abrogée et que
les sanctions civiles soient strictement proportionnelles aux torts
causés.
3. Conclusions
183. S’il est vrai que les organisations internationales
accordent une plus grande attention aux atteintes graves à la liberté
des médias, la situation de cette dernière ne s’est cependant pas
améliorée en Europe. Les décès de journalistes et les agressions
physiques dont ils sont victimes sont autant de signes alarmants
qui révèlent la nécessité pour les gouvernements et les parlements
des Etats membres ainsi que pour le Conseil de l’Europe de redoubler
d’efforts à cet égard.
184. En menant une action positive en faveur de la liberté des
médias, les Etats membres montreraient à d’autres la voie à suivre.
J’évoquerai ici la création par la Serbie en 2013 d’une commission
d’enquête sur les meurtres non élucidés de journalistes, ainsi que
les divers amendements aux législations relatives aux médias décriées
par la communauté internationale en Hongrie et en Turquie. Ces révisions
sont le fruit d’une étroite coopération avec le Conseil de l’Europe.
185. L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme
constituant la norme juridique suprême en matière de liberté d’expression
et d’information pour l’ensemble de l’Europe, le Conseil de l’Europe
se doit d’assumer son rôle de premier plan en défendant ce droit
fondamental, sans lequel il ne saurait y avoir de démocratie qui
fonctionne ni de contrôle démocratique de l’Etat de droit.
186. Même si peu d’Etats membres ont enregistré une augmentation
en quantité et en intensité des atteintes vraisemblables à la liberté
des médias, il convient d’appeler tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe à renforcer la protection de la liberté des médias,
tant au niveau national, à travers la législation et la pratique, qu’au
niveau international, à travers le Conseil de l’Europe.
187. Un nouveau volet de cette action sera la mise en place de
la plateforme en ligne destinée à recenser et dénoncer les éventuelles
violations des droits garantis par l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme. D’ici à quelques années, cette
initiative lancée par l’Assemblée deviendra une interface structurelle
importante pour une coopération accrue avec les principales ONG
de défense de la liberté des médias. L’Assemblée se devra de suivre
de près la mise en œuvre de cette initiative et d’y contribuer activement.