1. Introduction
1.1. Procédure
1. Le 27 avril 2012, l’Assemblée parlementaire a renvoyé
le sujet «L'avenir de la Cour européenne des droits de l'homme et
la Déclaration de Brighton» à la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme pour rapport

, en la chargeant du suivi de la mise en
œuvre de la
Déclaration adoptée à l’occasion de la Conférence de haut niveau
sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), organisée
par la présidence britannique du Comité des Ministres à Brighton,
les 19 et 20 avril 2012. Lors de sa réunion du 21 mai 2012, la commission
m’a désigné rapporteur.
2. Le 11 décembre 2012, la commission a examiné une
note
de fond préparée par le Secrétariat sur mes instructions. A
ma demande, la commission a accepté de modifier l’intitulé du rapport
en «L’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme:
la Déclaration de Brighton et au-delà», qui met en avant le fait que
la viabilité du système de la Convention européenne des droits de
l’homme (STE no 5, «la Convention») dépend
non seulement du fonctionnement de la Cour européenne des droits
de l’homme, mais du mécanisme de la Convention dans son ensemble.
3. Avec l’accord de la commission, j’ai organisé deux auditions
sur l’avenir à plus long terme du système de la Convention européenne
des droits de l’homme. Le 28 mai 2013, la commission a procédé à
un
échange de
vues auquel ont participé Mme Nina
Vajić, professeur de droit international à l’université de Zagreb,
Croatie, et ancienne juge et présidente de section de la Cour européenne
des droits de l’homme, et M. Vít Schorm, qui était alors président
du
Comité
d’experts sur la réforme de la Cour (DH-GDR) et agent du Gouvernement de la République tchèque
auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Le deuxième
échange
de vues, auquel a également participé M. Vít Schorm, à l’époque
président du
Comité
directeur pour les droits de l’homme (CDDH), et M. Morten Ruud, président du DH-GDR et conseiller
principal auprès du ministère norvégien de la Justice, a eu lieu
le 25 juin 2014. Ces experts ont formulé des observations précieuses
et m’ont permis de cerner les défis les plus pertinents qui devront
être relevés à l’avenir pour consolider et renforcer l’efficacité
du mécanisme de la Convention. J’ai également tiré un certain nombre
d’éléments d’orientation des
réponses données à l’«
appel
ouvert à informations, propositions et avis» sur la question de la réforme à plus long terme du
système de la Convention, lancé par le
DH-GDR, qui, selon moi, donnent un aperçu très vaste et nuancé
des défis auxquels le système de la Convention est susceptible d’être
confronté dans les années à venir, voire dans les prochaines décennies,
selon la perception qu’en ont divers acteurs de la société civile
et universitaires de toute l’Europe.
1.2. Enjeux
4. J’aimerais tout d’abord faire remarquer que je déplore
profondément que le débat actuel sur la réforme, que ce soit à l’échelon
national ou européen, tourne encore largement autour de l’avenir
de la Cour européenne des droits de l’homme. Compte tenu, surtout,
des critiques dont la Cour fait à l’heure actuelle l’objet, cette
optique laisse entendre, de façon dangereusement erronée, que la
responsabilité des principaux problèmes peut être attribuée, avant
tout, à la Cour elle-même.
5. Rappelons que le système de la Convention repose sur le principe
d’une responsabilité partagée entre les institutions du Conseil
de l’Europe et les Hautes Parties contractantes pour garantir la
viabilité de ses mécanismes, comme cela a été réaffirmé dans la
Déclaration de Brighton (paragraphe 4). La garantie de l’autorité
et de l’efficacité à long terme du système devra naturellement être
le fait d’une entreprise conjointe des organes exécutifs, législatifs
et judiciaires, à l’échelon à la fois national et européen.
6. Pour ce qui est du champ du présent rapport, rappelons que
le CDDH devrait soumettre au Comité des Ministres son rapport, qui
comportera des avis et d’éventuelles propositions à propos de l’avenir
à plus long terme du système de la Convention et de la Cour, conformément
aux paragraphes 35(c) à (f) de la Déclaration de Brighton, d’ici
à la fin 2015. En attendant les propositions définitives formulées
à l’échelon intergouvernemental

,
j’ai l’intention de donner dans le présent rapport une évaluation
provisoire des mesures de suivi prises à la suite de la Déclaration
de Brighton du 20 avril 2012. J’ai également recensé les domaines qui
exigent, selon moi, que des mesures supplémentaires soient prises
par les institutions du Conseil de l’Europe et les Etats membres.
7. L’Assemblée a affirmé à plusieurs reprises sa volonté de garantir
l’autorité et l’efficacité à long terme du mécanisme de protection
des droits de l’homme de Strasbourg. Le processus de réforme en
cours occupe une place importante dans l’actualité de l’Assemblée
depuis plusieurs années et la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme a examiné toute une série de questions
relatives à la sauvegarde de l’efficacité du système de la Convention,
comme l’efficacité de la Convention à l’échelon national et l’exécution des
arrêts de la Cour par les Parties contractantes. Les travaux de
la commission ont notamment abouti à l’adoption, par l’Assemblée,
de la
Résolution 1856
(2012) et de la
Recommandation
1991 (2012) «Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention
européenne des droits de l’homme»

, de la
Résolution 1982 (2014) et de la
Recommandation
2039 (2014) «La Convention européenne des droits de l’homme: le
besoin de renforcer la formation des professionnels du droit»

, ainsi que de la
Résolution 2009 (2014) et de la
Recommandation 2051
(2014) sur le renforcement de l'indépendance de la Cour européenne
des droits de l’homme

. J’ai donc pu, en
élaborant le présent rapport, m’inspirer de manière approfondie
des travaux de plusieurs de mes collègues.
8. Afin de remédier aux principales préoccupations évoquées lors
de la Conférence de Brighton, le rapport portera sur deux questions
qui me paraissent être les plus pertinentes lorsqu’on traite de
l’avenir à long terme du système de la Convention: premièrement,
la nécessité de renforcer la mise en œuvre des normes de la Convention
à l’échelon national et, deuxièmement, les voies et moyens de favoriser
l’exécution complète, effective et rapide des arrêts de la Cour
européenne des droits de l’homme.
2. Historique:
la Conférence et la Déclaration de Brighton
9. Rappelons que la Conférence de haut niveau de Brighton
sur l'avenir de la Cour européenne des droits de l'homme de 2012
s’inscrivait dans la poursuite du processus de réforme enclenché
par l’adoption du Protocole n° 14 à la Convention (
STE
n° 194) en 2004 et par le
Rapport
du Groupe des Sages remis au Comité des Ministres en 2006, qui a été suivi
à son tour par les conférences de haut niveau d’
Interlaken (2010) et d’
Izmir (2011). Dans la
Déclaration
d'Interlaken et la
Déclaration
d’Izmir, les Etats membres ont réaffirmé leur engagement en
faveur du système de la Convention et leur intention de donner un
nouvel élan au processus de réforme.
10. A cet égard, je partage la réaction exprimée par de nombreuses
personnes – parmi lesquelles notre ancienne présidente de la commission,
Mme Herta Däubler-Gmelin, dans ses
conclusions de la réunion de la commission tenue à Paris en décembre
2009, auxquelles Morten Ruud a fait écho lors de
l’échange
de vues de la commission en juin 2014 – à l’égard du caractère
trompeur de l’intitulé de ces conférences, qui laisse croire que
les difficultés actuellement rencontrées par le mécanisme de la
Convention peuvent être surmontées par une simple réforme de la
Cour.
11. La Déclaration de Brighton réaffirmait le rôle prééminent
joué par la Cour dans la protection des droits de l’homme en Europe,
tout en soulignant la responsabilité de chaque Etat dans la mise
en œuvre effective de la Convention à l’échelon national et l’action
subsidiaire de la Cour dans les affaires où aucun remède n’est apporté
au niveau national à une violation. Elle porte sur diverses questions,
considérées comme autant de conditions préalables du fonctionnement
efficace du mécanisme de la Convention; celles-ci vont de la mise
en œuvre de la Convention à l’échelon national et de l’exécution
des arrêts de la Cour à l’interaction entre la Cour et les autorités
nationales, ou de l’introduction et du traitement des requêtes individuelles
devant la Cour et des questions relatives aux juges et à la jurisprudence,
à l’avenir à long terme du système de la Convention.
3. Suite à donner
à la Déclaration de Brighton
3.1. Réformes liées
directement au fonctionnement de la Cour européenne des droits de
l’homme
12. Il est évident que les réformes mises en place en
vertu du Protocole n° 14 à la Convention (déjà entré en vigueur
avant la Conférence de Brighton), notamment le mécanisme du juge
unique et la création, par la Cour, d’une section spéciale de filtrage
au sein du Greffe pour tirer pleinement parti de ce mécanisme

, continuent
de produire des effets positifs. Le nombre d’affaires pendantes
a diminué fortement, puisqu’il est passé de 151 600 au 1er janvier
2012 à 78 000 au 1er novembre 2014.
13. Ces procédures ont conduit à un filtrage plus efficace des
demandes entrantes et à une meilleure répartition des cas méritoires.
En outre, la prioritisation des affaires par la Cour et son recours
de plus en plus fréquent à la procédure des arrêts pilotes – deux
réformes internes antérieures à la Conférence d’Interlaken – continuent
tout autant à produire des effets positifs. Certains arrêts pilotes
ont conduit à la création de nouveaux recours effectifs dans un
certain nombre d’Etats membres

. La Cour a fait des progrès dans l’amélioration
de la diffusion de sa jurisprudence et il convient de la féliciter
pour le développement constant de sa politique d’information. Ses
rapports
annuels mettent en avant les arrêts et décisions qui établissent
de nouveaux principes, apportent des éclaircissements sur des principes
déjà existants ou soulèvent des questions d’intérêt général sur
lesquelles la Cour n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer.
La Cour maintient son usage de publication régulière de
fiches thématiques et de
fiches spécifiques à chaque pays mises à jour, et propose depuis
quelque temps une version en turc et en russe de sa base de données
HUDOC sur sa jurisprudence. Cette dernière comporte désormais plus
de 10 000 traductions en 27 langues. Enfin et surtout, la Cour a
également veillé à ce que les informations à l’intention des personnes
qui souhaitent s’adresser à elle soient à présent disponibles
en
ligne dans l’ensemble des langues officielles des Etats Parties à
la Convention.
14. Le fait que la Cour ait démontré sa capacité à maintenir une
grande qualité de raisonnement juridique, tout en diminuant considérablement
l’arriéré des requêtes irrecevables, témoigne de l’efficacité de
ses méthodes de travail. Les auditeurs externes ont souligné que
«la Cour [était] l'un des organes les plus performants que leurs
services aient jamais audités»

et
le sentiment général lors d’une récente conférence consacrée à l’avenir
à plus long terme du système de la Convention, qui s’est tenue à
Oslo les 7 et 8 avril 2014 (
Conférence
d’Oslo), était qu’il ne restait plus qu’à «affiner» les méthodes
de travail de la Cour

. Cette évolution devrait se poursuivre
et l’arriéré d’affaires manifestement irrecevables pendantes devant
les formations de juge unique devrait disparaître d’ici à la fin
2015

.
Les attributions plus étendues désormais confiées à la section de
filtrage

permettent
d’envisager avec confiance (comme cela a été dit lors de
l’échange
de vues de la commission en juin 2014) la possibilité de parvenir
à un équilibre entre les requêtes introduites et les affaires dont
le traitement est clos; la Cour pourra ainsi diminuer encore le
délai nécessaire jusqu’au prononcé des arrêts, sans compromettre
la qualité de ses motifs. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant
que le greffier de la Cour, Erik Fribergh, ait estimé que la Cour
pouvait continuer à travailler efficacement pendant de nombreuses
années dans une configuration plus ou moins analogue à celle qui
est la sienne actuellement

.
15. Peut-on considérer ces réalisations et les mesures entreprises
à ce jour comme une assurance supplémentaire de la capacité de la
Cour à surmonter efficacement les difficultés auxquelles elle reste confrontée?
Comme cela a été souligné lors de la
Conférence
d’Oslo 
, parmi ces difficultés figurent
le long délai écoulé entre l’introduction d’une requête devant la
Cour et le prononcé d’un arrêt (ces affaires constituant ce qu’on
appelle habituellement «l’arriéré de Brighton»)

,
l’absence de motifs, notamment dans les décisions d’irrecevabilité,
et le manque d’exécution effective de certains arrêts de la Cour
et mesures provisoires.
16. Mais, ce qui est le plus important est l’arriéré considérable
de requêtes recevables et éventuellement fondées qui continue à
poser un problème, comme l’a reconnu le Comité des Ministres

.
Les
statistiques
2013 de la Cour laissent penser que le nombre impressionnant
de décisions rendues par les juges uniques (plus de 160 000 ces
deux dernières années

) a uniquement pu être
obtenu au détriment du traitement des affaires examinées en chambre

: alors
qu’en 2010, 1 499 arrêts ont été rendus en chambre, ce chiffre est
tombé à 916 en 2013. L’arriéré est particulièrement inquiétant pour
les affaires fondées non répétitives moins prioritaires et les affaires
répétitives

.
17. S’agissant de ces dernières, j’observe toutefois avec satisfaction
que la Cour commence à s’attaquer en amont à son arriéré croissant
d’affaires répétitives, après avoir mis au point une procédure plus
rapide de communication au gouvernement des affaires qui correspondent
à une jurisprudence bien établie et qui peuvent être closes par
un règlement amiable. Je crois également comprendre que la Cour
élabore en ce moment une procédure pour le traitement simplifié
des affaires répétitives, grâce à l’utilisation d’outils informatiques,
et qu’elle a déjà mis en place une méthode de spécialisation au
sein du Greffe, qui permet un traitement plus rapide de certains
groupes d’affaires. Le greffier de la Cour a confirmé que cette
dernière sera en mesure de faire face à l’afflux annuel d’affaires
et de respecter les délais fixés par la Déclaration de Brighton lorsque
l’arriéré aura été supprimé

.
Cet élément peut être considéré comme une confirmation supplémentaire
(si besoin était) que la Cour se montre à la hauteur de ses responsabilités:
elle s’applique à améliorer l’efficacité de ses méthodes de travail
et à affecter ses ressources limitées de manière à remédier efficacement
aux problèmes généraux les plus pressants, sans négliger pour autant
les autres affaires.
18. En outre, l’arriéré des requêtes fondées pourrait être provisoire.
Le greffier de la Cour a présenté une stratégie qui lui permettrait
de supprimer rapidement cet arriéré. Il soutient que l’allocation
à la Cour d’un budget extraordinaire temporaire d’un montant total
de 30 millions euros à partir de 2015-2016, qui financerait une
quarantaine de juristes supplémentaires pendant huit ans, permettrait
de liquider une part substantielle de l’arriéré restant. Le greffier
a démontré de manière convaincante la nécessité de ces ressources supplémentaires.
Je souscris totalement à sa proposition et j’espère que l’Assemblée
appelle le Comité des Ministres à veiller à ce que le montant mentionné
soit mis à disposition de la Cour. Les Etats membres ont réaffirmé
à plusieurs reprises leur volonté de renforcer l’efficacité du fonctionnement
de la Cour; ils ont ainsi l’occasion de passer de la théorie à la
pratique, en exerçant les prérogatives que leur confère la Convention.
19. Une autre solution serait l’appel à une interprétation plus
stricte des critères de recevabilité existants et l’idée que les
modifications apportées au Règlement de la Cour devraient être soumises
à l’approbation des gouvernements. Mais cette question relève totalement
de la compétence de la Cour, qui conçoit ses propres procédures
en fonction de ses besoins, de manière à pouvoir relever les défis
auxquels elle est confrontée. Je considère, comme le professeur
Føllesdal, que «[p]our que la Cour puisse conserver son autorité
en poursuivant ses objectifs, elle doit être indépendante des divers
Etats et jouir d’une marge d’appréciation importante»

.
20. En outre, l’examen des questions pendantes les plus urgentes
énumérées ci-dessus révèle qu’il appartient avant tout aux Etats
membres du Conseil de l’Europe, et non à la Cour, de remédier à
ces problèmes

.
Les difficultés découlent pour une bonne part de l’afflux, devant
la Cour, d’affaires répétitives qui proviennent de certains Etats
membres présentant des problèmes systémiques. Ces Etats Parties, principalement
l’Italie, l’Ukraine, la Turquie, la Fédération de Russie, la Serbie,
la Roumanie et le Royaume-Uni (qui ont tous plus de 1 000 affaires
répétitives pendantes devant la Cour)

,
sont les principaux responsables de cette situation inadmissible

. Je
partage l’avis de la Cour: il n’est pas possible qu’elle consacre
une part significative de ses ressources limitées au traitement
de requêtes répétitives

.
21. Mais ces requêtes répétitives ne sont pas les seules sources
de préoccupation. La lecture attentive de la base de données HUDOC
sur la jurisprudence de la Cour montre, par exemple, que sur une
période d’un an (octobre 2013 – octobre 2014) la Cour a constaté
d’importantes violations des droits de l’homme – c’est-à-dire des
violations substantielles et des vices de forme au regard des articles
2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants) de la Convention – au titre
de 23 Etats contractants, principalement la Russie (130), la Turquie
(82), la Roumanie (68), l’Ukraine (43), la République de Moldova
(42), la Bulgarie (35) et la Grèce (30)

.
22. En d'autres termes, pour que le processus de réforme en cours
soit un succès, «les améliorations obtenues à Strasbourg doivent
se traduire par des améliorations à l’échelon national, grâce à
un meilleur respect de la Convention et à l’existence de recours
internes effectifs en cas de violation», comme l’a fait remarquer
à juste titre le Président de la Cour, Dean Spielmann, dans une
allocution prononcée en mai 2014. Il est primordial de privilégier
désormais la responsabilité des Etats membres, conformément au principe
de subsidiarité sur lequel repose le système de la Convention. C’est
d’autant plus vrai que seul un petit nombre d’Etats membres surcharge
la Cour avec un volume de requêtes qui représente 67,5 % de l’ensemble
des requêtes; il s’agissait en 2013 de la Russie, de l’Ukraine,
de l’Italie, de la Serbie et de la Turquie

. Il convient d’agir
pour remédier à cette situation.
23. La Déclaration de Brighton appelait également à apporter un
certain nombre de modifications précises à la Convention. Elles
transparaissent dans les Protocoles nos 15
et 16 à la Convention, qui ont été ouverts à la ratification en
2013.
24. En vertu du Protocole n° 15

(
STCE
n° 213) portant amendement à la Convention, le principe de subsidiarité
et la doctrine de la marge d’appréciation seront expressément mentionnés
dans le préambule de la Convention. Rappelons, à cet égard, les
réserves exprimées par la
Cour et admises par l’Assemblée dans son
Avis 283 (2013) sur le projet de Protocole n° 15 portant amendement
à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales au sujet du libellé du nouveau préambule. La référence
à la doctrine de la marge d’appréciation doit s’entendre comme étant
«cohérent[e] avec la doctrine de la marge d’appréciation telle que
développée par la Cour dans sa jurisprudence», comme le souligne
le
rapport explicatif du
Protocole
n° 15 (paragraphe 7).
25. Les autres modifications mises en place par le
Protocole
n° 15 
concernent l’extension de la limite d’âge
des juges, les critères de recevabilité et les objections à une
décision de dessaisissement de l’affaire en faveur de la Grande
Chambre. Je souscris au point de vue exprimé par l’Assemblée dans
son
avis
283 (2013) susmentionné, selon lequel les modifications apportées
à la Convention auront une incidence positive sur la charge de travail
de la Cour et contribueront à renforcer encore la qualité et l’indépendance
des (candidats aux postes de) juges à la Cour. J’encourage par conséquent
l’ensemble des Hautes Parties contractantes à signer et ratifier
rapidement ce Protocole.
26. Le Protocole additionnel n° 16

(
STCE
n° 214) à la Convention donne aux juridictions nationales suprêmes
la possibilité de demander à la Cour de rendre un avis consultatif
non contraignant

sur une question
de principe liée à l’interprétation ou à l’application des droits
et libertés définis par la Convention ou ses protocoles. Comme l’a
déclaré à juste titre l’Assemblée dans son
avis 285 (2013) sur le «Projet de protocole n° 16 à la Convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales»,
l’entrée en vigueur du
Protocole
n° 16 offrira de nouvelles possibilités de dialogue juridictionnel
entre la Cour de Strasbourg et les plus hautes juridictions nationales
des Etats qui ont choisi de le ratifier, outre le fait de statuer sur
les requêtes individuelles et interétatiques

.
Le protocole permettra à la Cour de préciser
ex
ante certains droits de la Convention, de préciser sa
propre jurisprudence

et de se prononcer sur des
problèmes qui surviennent de manière récurrente dans une procédure
non contradictoire. Ce faisant, il permettra d’améliorer à la fois
la qualité des décisions de justice nationale et l’exécution des
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, comme l’a fait
remarquer Julia Laffranque, juge à la Cour au titre de l’Estonie

. Enfin
et surtout, l’interaction dynamique entre les juridictions

garantira la marge d’appréciation,
tout en évitant qu’elle soit excessivement étendue. Il répond aux
demandes répétées de renforcement de la notion de subsidiarité.
Je considère par conséquent que l’entrée en vigueur du Protocole
n° 16 favorisera les sentiments positifs à l’égard de la Cour et
amènera les juridictions nationales à «s’approprier» la Convention,
car elle offrira aux autorités nationales une autre tribune qui
leur permettra d’expliquer les particularités de leur ordre juridique
interne dont la Cour devrait tenir compte, tout en leur laissant
le choix des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés
par cette dernière. C’est la raison pour laquelle j’attire l’attention
sur l’appel lancé par l’Assemblée aux Etats Parties en faveur de
la signature et de la ratification rapides de ce protocole additionnel.
3.2. Adhésion de l’Union
européenne à la Convention européenne des droits de l’homme
27. Comme l’a déclaré l’Assemblée dans sa
Résolution 1610 (2008), «L’adhésion de l’Union européenne/Communauté européenne
à la Convention européenne des Droits de l’Homme», dont la
Recommandation 1834 (2008) est le reflet, la protection des droits de l’homme en
Europe sera encore renforcée par la prochaine
adhésion de l’Union européenne à la Convention. L’Assemblée a
admis à plusieurs reprises que le partenariat intensifié entre le
Conseil de l’Europe et l’Union européenne renforcera l’application
cohérente des droits de l’homme en Europe et «devrait aboutir à
terme à la création d’un espace commun de protection des droits
de l’homme sur l’ensemble du continent, dans l’intérêt de tous les
citoyens européens»

.
28. La commission des questions politiques et de la démocratie
procède actuellement au suivi de ces questions et présentera son
texte sur «Le Mémorandum d'accord entre le Conseil de l'Europe et
l'Union européenne: évaluation 5 ans après»
![(38)
Doc. 13655 (rapporteure: Mme Kerstin
Lundgren, Suède, ADLE). [Voir également les Résolution 2029 (2015) et Recommandation 2060 (2015)),
adoptées le 27 janvier 2015.]](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
à l’Assemblée au
cours de sa première partie de session de 2015. Pour la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme, mon collègue
M. Jordi Xuclà (Espagne, ADLE) élaborera, le moment venu un rapport
sur «L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne
des droits de l’homme: élection des juges»

et mon collègue M. Michael McNamara (Irlande, SOC)
prépare un rapport sur «Les institutions européennes et les droits
de l'homme en Europe»

.
Afin de ne pas préjuger de l’issue des travaux en cours, je me limiterai,
dans mes observations sur l’adhésion de l’Union européenne à la
Convention, à rappeler l’état actuel de la procédure d’adhésion.
29. Le
projet
d’accord d’adhésion, qui conclut de longues négociations, a été finalisé
en avril 2013. Son adoption exige la clôture des procédures internes
des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne,
d’une part, et du Conseil de l’Europe, d’autre part. S’agissant
de l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne
(CJUE) a été saisie par la Commission européenne d’une demande d’avis
sur le projet de texte, qui devrait être remis avant la fin de 2014.
Sous réserve que la Cour de Luxembourg juge le projet d’accord d’adhésion
compatible avec le droit de l’Union européenne, le Parlement européen
devra alors donner son consentement et le Conseil de l’Union européenne
devra adopter à l’unanimité la décision autorisant la signature
de l’accord d’adhésion. Tous les Etats membres de l’Union européenne
et l’Union européenne elle-même devront ratifier l’accord. Pour
ce qui est du Conseil de l’Europe, l’accord d’adhésion devra être
adopté par le Comité des Ministres et être ouvert à la signature
et à la ratification par les 47 Etats membres après réception des
avis officiels sur le(s) texte(s) de la Cour de Strasbourg et de
l’Assemblée parlementaire

.
3.3. Election des juges
à la Cour européenne des droits de l’homme
30. En réponse à l’invitation, faite dans la partie E
de la Déclaration de Brighton à l’Assemblée et au Comité des Ministres
pour qu’ils réfléchissent aux améliorations qui pourraient être
apportées à la procédure d’élection des juges à la Cour européenne
des droits de l’homme, l’Assemblée a adopté à l’unanimité la
Résolution 2009 (2014) et la
Recommandation
2051 (2014) sur le renforcement de l'indépendance de la Cour européenne
des droits de l’homme

dans laquelle elle avait affirmé
que «[l]’autorité et l’efficacité de la Cour européenne des droits
de l’homme sont fondées sur l’indépendance et sur l’impartialité
véritables de ses juges (...)» (paragraphe 1).
31. Il est important, dans les circonstances présentes où la Cour
fait l’objet de critiques que les Etats Parties fassent tout leur
possible pour améliorer, si besoin est, leur procédure nationale
de sélection pour l’examen des candidatures à l’élection des juges
à la Cour. En 2015, 15 nouveaux juges devront être élus à la Cour:
voir à cet égard le
site
Web de l’Assemblée, qui présente un «Tableau de bord» de
la procédure d’élection dans chaque pays.
32. Par ailleurs, comme il ne fait aucun doute qu’il importe de
veiller à ce que les candidats soient de la plus haute stature pour
préserver la qualité, la clarté et la cohérence de la jurisprudence
de la Cour, ainsi que l’autorité de cette dernière, il y a lieu
de se féliciter de la décision, prise par l’Assemblée, de créer
une nouvelle commission générale sur l’élection des juges à la Cour
européenne des droits de l'homme

, qui remplacera l’actuelle
sous-commission sur l’élection des juges. La commission, qui exercera
ses fonctions à partir de la fin janvier 2015 et sera composée de
parlementaires possédant des connaissances et une expérience en
droit probantes, sera chargée d’évaluer les qualifications des candidats
au poste de juge et de mener les entretiens avec eux. Je ne doute
pas qu’en accomplissant cette mission la nouvelle commission procédera
à un examen aussi approfondi des candidatures que l’actuelle sous-commission
et n’hésitera pas à rejeter une liste présentée au titre d’un Etat
donné – s’il le faut, à plusieurs reprises – si elle juge que les
personnes inscrites sur cette liste ne satisfont pas aux critères
fixés à l’article 21.1 de la Convention.
3.4. Mise en œuvre de
la Convention à l’échelon national
33. Comme nous l’avons souligné plus haut, le renforcement
de l’efficacité de la Convention dépendra avant tout de l’engagement
des Etats membres à rendre les droits consacrés par la Convention
«concrets et effectifs» dans leur ordre juridique interne. Il est
universellement admis que le système de la Convention repose sur
la notion de subsidiarité. L’article 1er de
la Convention attribue aux Etats Parties la responsabilité première
de garantir les droits et libertés fondamentaux à toute personne
relevant de leur juridiction. Comme l’a fait remarquer notre ancienne
collègue, Marie-Louise Bemelmans-Videc, «le principe de subsidiarité présente
un double aspect: le premier est procédural et exige des justiciables
qu'ils aillent au bout de toutes les procédures pertinentes de leur
pays avant de saisir la Cour; le second est d'ordre substantiel
et repose sur le postulat que les Etats Parties sont en principe
les mieux placés pour apprécier la nécessité et la proportionnalité
des mesures spécifiques qu'ils sont amenés à prendre»

. Les Etats disposent
d’une marge d’appréciation dans l’interprétation et l’application
de la Convention, ainsi que dans le choix des mesures de mise en
œuvre des arrêts défavorables prononcés contre eux par la Cour.
Mais, élément capital, il appartient à la Cour de donner une interprétation
définitive faisant autorité à la Convention et de l’appliquer dans
toutes les affaires dont elle est saisie.
34. Le principe de subsidiarité trouve une expression supplémentaire
dans l’obligation faite aux requérants d’épuiser les voies de recours
internes; au cours du processus de réforme, l’accent a été mis de
façon appuyée sur les améliorations à apporter à cet égard. Pour
atteindre cet objectif, le Comité des Ministres a adopté, en septembre
2013, un
Guide
de bonnes pratiques en matière de voies de recours internes et une recommandation (
Recommandation
CM/Rec(2010)3) sur des recours effectifs face à la durée excessive
des procédures. Lors de sa 124e session,
qui s’est tenue à Vienne les 5 et 6 mai 2014, le Comité des Ministres
a
constaté que des progrès significatifs avaient été réalisés dans
l’exécution des arrêts (y compris les arrêts pilotes) à l’égard
d’importants problèmes structurels ou systémiques. La Turquie offre
un exemple positif notable à l’appui de cette observation: ce pays,
qui occupait depuis longtemps la deuxième place dans le classement
du nombre de requêtes pendantes devant la Cour, se situe désormais
au cinquième rang. Ce qui s’est révélé particulièrement efficace
pour réduire le nombre d’affaires pendantes – en plus de la création
d'une Commission des indemnisations à l'égard de la situation à
Chypre, qui a permis le «rapatriement» des affaires – était la mise
en place d’une procédure de recours individuel devant la Cour constitutionnelle

. Bien que les Etats soient
naturellement libres de choisir parmi les divers moyens possibles
de se conformer à leur obligation née de l’article 13 de la Convention,
cet exemple corrobore, en s’appuyant sur l’expérience concrète acquise par
un certain nombre d’Etats membres, l’idée que le fait de reconnaître
aux personnes un droit de recours devant la juridiction constitutionnelle
nationale peut se révéler un moyen efficace de résoudre des problèmes structurels
qui continueraient, dans le cas contraire, à produire un grand nombre
de requêtes répétitives introduites devant la Cour de Strasbourg

.
35. Pourtant, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut (voir
les paragraphes 20-22), d’importants problèmes doivent être réglés
à l’échelon national. A cet égard, je prends acte avec intérêt des
observations formulées par le rapporteur de la commission sur la
mise en œuvre des arrêts de la Cour, M. Klaas de Vries, qui a souligné
que son mandat se limitait à certains Etats (Bulgarie, Grèce, Italie,
Pologne, Roumanie, Fédération de Russie, Turquie et Ukraine), ce
qui l’a empêché de procéder au suivi de questions similaires émergentes
dans un nombre considérable d’autres Etats, qui semblent ne pas
respecter leurs obligations de garantir le respect des droits consacrés
par la Convention et de se conformer aux arrêts définitifs de la
Cour

. Il
est préoccupant d’apprendre que fin 2013, 18 Etats contractants
possédaient des affaires de référence en attente d’exécution devant
le Comité des Ministres depuis plus de cinq ans, dans le cadre d’une
procédure de surveillance aussi bien standard que soutenue

. L’examen de la durée d’exécution
moyenne révèle un tableau tout aussi inquiétant.
36. A la lumière de ces éléments et des enjeux identifiés plus
haut, il importe que les normes de la Convention soient mieux établies
dans la législation et la pratique des Etats membres et que les
principes de la jurisprudence de Strasbourg soient mieux intégrés
en droit interne. La Belgique, qui assume la présidence du Comité
des Ministres pendant six mois à compter de novembre 2014, a souligné
son intention de contribuer au processus de réforme initié à Interlaken,
en privilégiant tout particulièrement le renforcement des capacités, afin
d’intensifier la mise en œuvre effective de la Convention à l’échelon
national. A cette fin, la présidence belge organisera une conférence
intitulée «La mise en œuvre de la Convention européenne des droits
de l’homme, notre responsabilité partagée», qui se tiendra à Bruxelles
en mars 2015

.
37. A ce propos, je constate que la Cour a tenu sa promesse de
renforcer son dialogue avec les Etats Parties à la Convention, par
des visites dans les Etats Parties et des réunions à Strasbourg
avec les délégations de haut niveau de juges nationaux et d’agents
des gouvernements

.
Des moyens supplémentaires d’intensifier le dialogue entre les autorités
nationales et les institutions du Conseil de l’Europe doivent être
trouvés, ainsi que de favoriser une entente mutuelle et de renforcer
l’autorité des droits consacrés par la Convention à l’échelon national.
Une proposition qui, selon moi, mérite d’être examinée plus attentivement:
elle consiste à ce que les parlements nationaux – ou, lorsqu’elles
existent, les structures parlementaires spécialisées chargées de
contrôler la conformité de leur Etat avec la Convention et les arrêts de
la Cour – invitent leur juge national siégeant à la Cour à informer
les parlementaires des évolutions pertinentes de la jurisprudence
de la Cour

.
38. Il convient également de mentionner l’expérience positive
de certains Etats Parties où, après avoir achevé leur mandat à la
Cour, les juges ont réintégré le système judiciaire national au
sein duquel ils ont contribué à faire connaître la Convention parmi
les praticiens du droit. La recherche de la meilleure façon d’utiliser
le savoir-faire des anciens juges de Strasbourg et leur bonne connaissance
du système de la Convention mérite l’attention constante des autorités
nationales, conformément à la
Résolution
2009 (2014) et la
Recommandation
2051 (2014) sur le renforcement de l'indépendance de la Cour européenne
des droits de l’homme.
39. Afin d’éviter l’introduction de requêtes répétitives devant
la Cour, il est par ailleurs nécessaire, comme l’a souligné l’Assemblée
à plusieurs reprises

, que les organes de Strasbourg et
les Etats membres fassent du renforcement de l’autorité de la chose
interprétée des arrêts de la Cour une priorité. Le principe de l’autorité de
la chose interprétée renvoie à l’obligation (née des articles 1er,
19 et 32 de la Convention) faite aux législateurs nationaux et aux
juridictions internes de tenir compte de la Convention, selon l’interprétation retenue
par la Cour – outre l’effet contraignant d’un arrêt donné pour les
parties concernées

. Je ne conteste pas que cela impose
à la Cour de motiver de manière approfondie ces arrêts et aux juridictions
nationales de disposer des outils adéquats pour se tenir informées
de l’évolution de la jurisprudence pertinente de Strasbourg. Bien
que certains progrès aient été réalisés à cet égard – je me contenterai
de mentionner les exemples des gouvernements allemand et néerlandais,
qui fournissent régulièrement à leur parlement des informations
sur les arrêts prononcés contre d’autres Parties contractantes et
susceptibles d’avoir des incidences sur leur propre ordre juridique
interne

– on ne
saurait assez insister sur le renforcement de l’autorité de la chose
interprétée des arrêts de la Cour, car le fait que les Etats membres
ne la respectent pas entraîne des violations identiques qu’il ne
devrait pas être nécessaire de traiter à Strasbourg

. Il est regrettable
que le Comité des Ministres n’ait pas repris la proposition, faite
par l’Assemblée, d’adresser une recommandation aux Etats membres
pour les appeler à renforcer sans tarder, par des moyens législatifs, judiciaires
ou autres, l’autorité de la chose interprétée des arrêts de la Cour.
Le Comité des Ministres et les Hautes Parties contractantes devraient
redoubler d’efforts pour renforcer l’autorité de la chose interprétée
et mobiliser ainsi tout le potentiel préventif de la fonction d’interprétation
de la Cour.
3.4.1. Renforcement des
capacités en rapport avec la Convention européenne des droits de
l'homme
40. L’Assemblée, en adoptant la
Résolution 1982 (2014) «La Convention européenne des droits de l’homme: le
besoin de renforcer la formation des professionnels du droit», a
reconnu que l’amélioration de l’application de la Convention à l’échelon
national exigeait une meilleure formation des professionnels du
droit, adaptée à l’ordre juridique et à la situation générale. De
même, le programme
HELP
(Programme européen de formation pour les professionnels du droit) soutient les Etats membres du Conseil de l’Europe dans
leur mise en œuvre de la Convention à l’échelon national, conformément
à la
Recommandation Rec(2004)4 du Comité des Ministres sur la Convention européenne
des Droits de l'Homme dans l'enseignement universitaire et la formation
professionnelle, à la
Déclaration
de Brighton et à la
Résolution
1982 (2014) susmentionnée de l’Assemblée. Cela passe par le renforcement
de la capacité des juges, des avocats et des procureurs de l’ensemble
des 47 Etats membres à appliquer au quotidien la Convention.
41. A cet égard, il est intéressant de noter que le Secrétariat
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme,
conjointement avec la
Division
de soutien de projets parlementaires de l’Assemblée, organise depuis 2013 des séminaires
de formation pour les parlementaires nationaux et les fonctionnaires
des parlements, avec pour double objectif de promouvoir l’établissement,
dans les parlements nationaux, de structures spécialisées et de
procédures de surveillance de l’exécution des arrêts de Strasbourg
et de favoriser la compréhension et la connaissance de la Convention
et de la jurisprudence de la Cour parmi les parlementaires et les
fonctionnaires des parlements nationaux. A ce jour, trois séminaires
ont été organisés pour les parlementaires, en coopération avec le
Parlement du Royaume-Uni (octobre 2013), le Sejm polonais (février
2014) et le Parlement espagnol (octobre 2014); trois séminaires
distincts ont eu lieu à l’intention des fonctionnaires des parlements
nationaux à Strasbourg (en septembre 2013, ainsi qu’en janvier et
septembre 2014). Ces séminaires ont reçu un accueil positif de la
part des participants, qui ont apprécié cet échange de pratiques
et d’expérience avec leurs pairs. D’autres activités de renforcement
des capacités sont prévues, qui pourront également porter sur des
thèmes précis, et je ne peux qu’encourager mes collègues à profiter
de cette possibilité.
42. De plus, en adoptant la
Résolution
1982 (2014) «La Convention européenne des droits de l’homme: le besoin
de renforcer la formation des professionnels du droit», l’Assemblée
dans sa
Recommandation
2039 (2014) a invité le Comité des Ministres à «veiller à ce que
le budget octroyé au Programme européen de formation aux droits
de l’homme pour les professionnels du droit (programme HELP) soit
conforme à la tâche qui lui incombe, à savoir offrir différents
types de coopération en matière de formation des professionnels
du droit dans tous les Etats membres qui en font la demande». Je
souscris au point de vue exprimé par mon ancien collègue, M. Jean-Pierre
Michel (France, SOC)

, pour qui le meilleur moyen d’y
parvenir consiste à allouer davantage de fonds du budget ordinaire
de l’Organisation au programme HELP.
43. Les difficultés budgétaires de l’Organisation sont, plus généralement,
un souci majeur pour le renforcement des capacités relatives aux
normes de la Convention. Comme l’a déclaré à juste titre l’ancien Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg,
«il est étonnant que d’aussi importantes réalisations aient été
obtenues avec les moyens financiers dont dispose [le Conseil de l’Europe]»

.
La politique de croissance zéro du budget de l’Organisation est
en place depuis plus de 10 ans et la politique financière fait l’objet
d’un débat depuis un certain nombre d’années. Rappelons que ma collègue, Mme Bemelmans-Videc,
a révélé que la contribution annuelle de 15 Etats membres ne suffisait
pas à couvrir les dépenses qui correspondent au coût de leur propre
juge

. Il est tout aussi
remarquable que le budget de la Cour représente moins du quart de
celui de la Cour de justice de l’Union européenne, qui traite, rappelons-le,
les affaires provenant de 28 Etats seulement

.
44. La précarité de la situation financière du Conseil de l’Europe
est encore aggravée par le fait que s’est dessinée, ces dernières
années, une tendance à allouer une plus grande portion du budget
du Conseil de l’Europe à la Cour, au détriment des autres activités
et programmes de l’Organisation. Il est donc indispensable d’augmenter
substantiellement, de toute urgence, non seulement le budget de
la Cour et du Service de l’exécution des arrêts (ou, plus généralement,
du mécanisme de contrôle), mais également le budget global de l’Organisation.
A ce sujet, je partage les préoccupations exprimées à la
Conférence
d’Oslo 
à l’égard
du fait que des fonctions essentielles du Conseil de l’Europe en
général, et de la Cour en particulier, sont prises en charge par
des contributions volontaires, et non par le budget ordinaire. L’Assemblée
doit indéniablement continuer à prendre fermement position sur la
question du budget de l’Organisation. Comme les appels à l’augmentation
budgétaire lancés par l’Assemblée n’ont pas jusqu’ici rencontré
un grand soutien de la part du Comité des Ministres, nous devrions
également demander au Secrétaire Général de préconiser davantage
en amont des améliorations en la matière.
3.4.2. Assurer la mise
en œuvre des normes de la Convention dans la législation et les
pratiques nationales
45. La réduction du nombre de requêtes introduites devant
la Cour européenne des droits de l’homme, à commencer par les affaires
de nature répétitive qui découlent de défaillances structurelles
ou systémiques des Etats Parties, dépend pour une large part du
renforcement de la notion de subsidiarité, qui suppose d’assurer effectivement
la pleine mise en œuvre des droits garantis par la Convention à
l’échelon national. Le renforcement de cette manière du système
de protection des droits de l’homme prévu par la Convention exige, et
continuera d’exiger, des efforts concertés de la part de divers
acteurs. Au sein du système de Strasbourg, l’engagement de tous
les organes du Conseil de l’Europe est indispensable. A l’échelon
national, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ainsi
que les institutions nationales des droits de l’homme, les avocats
et la société civile, devraient interagir étroitement.
46. Cela dit, comme nous l’avons indiqué plus haut, les parlements
nationaux ont un rôle à jouer pour prévenir les violations des droits
de l’homme et y remédier

, et ce pour deux raisons au moins. Premièrement, les
parlements ont l’obligation de vérifier la compatibilité des projets
de loi avec la Convention. Deuxièmement, sur le plan des remèdes,
les parlements ont la capacité d’amener les gouvernements à rendre
des comptes à propos de l’exécution rapide et effective des arrêts
défavorables, ainsi que d’agir en amont en préparant les modifications
de la législation indispensables pour donner effet aux arrêts de
la Cour

. En outre, dans le climat qui
règne actuellement au sein de certains Etats membres, où l’adoption
de textes de loi pour remédier à une situation jugée par la Cour
constitutive d’une violation de la Convention est perçue par certains
comme une démarche dépourvue de légitimité démocratique, il est
particulièrement crucial de s’appliquer à renforcer la participation
du parlement à la mise en œuvre des droits de l’homme et le discours
démocratique en la matière

.
47. La Conférence de Brighton a souligné une nouvelle fois l’importance
fondamentale de la dimension parlementaire du respect de la conformité
des Etats avec la Convention

. L’Assemblée parlementaire œuvre depuis
des années pour assurer la participation plus active des parlements
dans les questions relatives à la Convention européenne des droits
de l’homme. A cette fin, un certain nombre de résolutions invitent
les parlements nationaux à créer des mécanismes et des procédures
qui visent à garantir un contrôle parlementaire efficace des normes
de la Convention

.
48. Plusieurs Etats membres ont réalisé des progrès dans ce domaine.
Je me contenterai de citer un exemple récent: en février 2014, le
Sejm polonais a décidé de mettre en place une sous-commission permanente
auprès de sa commission de la justice et des droits de l’homme et
de sa commission des affaires étrangères, chargée de surveiller
l’exécution des arrêts rendus contre la Pologne par la Cour européenne
des droits de l’homme. Ce faisant, les 11 membres de la sous-commission
assureront, notamment, le suivi des mesures prises pour modifier
la législation et les pratiques gouvernementales

.
3.4.3. L’exécution rapide
et effective des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
49. Tout comme la protection en général des droits consacrés
par la Convention à l’échelon national, l’importance capitale de
la mise en conformité rapide et complète des Etats avec les arrêts
de la Cour pour garantir la viabilité à long terme du système de
la Convention n’est pas contestée et a été reconnue à la fois par
le Comité des Ministres

et l’Assemblée

.
La Déclaration de Brighton, dans son chapitre F, met fortement l’accent
sur l’amélioration de la surveillance des arrêts de la Cour; les
statistiques de la Cour corroborent le fait que la réussite générale
du processus de réforme dépend des améliorations apportées au processus d’exécution

. Précision essentielle,
l’exécution des arrêts de la Cour fait partie intégrante du droit
de requête individuelle consacré à l’article 34 de la Convention

.
50. Les statistiques présentées dans le
rapport
annuel du Comité des Ministres pour l’année 2013 laissent apparaître
des tendances positives en la matière. Le nombre total d’affaires
pendantes devant le Comité des Ministres pour surveillance a diminué
pour la toute première fois et l’année 2013 a également été celle
du nombre record de 1 398 affaires closes par résolution finale.
51. Parallèlement, un nombre considérable d’arrêts n’ont toujours
pas été exécutés et demeurent une source de préoccupation. Le 16
septembre 2014, un total de 11 594 affaires étaient pendantes devant
le Comité des Ministres

. Le rapport annuel
de ce dernier pour l’année 2013 révèle également une augmentation du
nombre d’affaires de référence (c’est-à-dire celles qui concernent
des problèmes structurels ou systémiques ou d’autres problèmes complexes)
en attente d’exécution (elles représentent à l’heure actuelle 14 %
de l’ensemble des affaires). Le nombre d’affaires de référence inscrites
sur les registres du Comité des Ministres qui ont été closes par
l’adoption d’une résolution finale a diminué en 2013 pour la troisième
année consécutive

, et le nombre d’affaires de référence
pendantes devant le Comité des Ministres depuis plus de cinq ans
a fortement augmenté, puisqu’il est passé de 61 en 2007

à
483 en 2013

.
52. Par ailleurs, l’absence prolongée de mise en œuvre des mesures
générales et individuelles prises à la suite de la constatation
d’une violation est une situation intolérable, qui impose d’agir
d’urgence. Elle entrave gravement la mission essentielle d’interprétation
et d’application de la Convention et de ses protocoles, dévolue
à la Cour par l’article 32.1 de la Convention

. Il existe également un lien direct entre
le non-respect des arrêts de la Cour – surtout l’absence de mise
en œuvre des mesures générales qui visent à prévenir efficacement
la survenance de violations similaires – et le grand nombre inadmissible
de requêtes répétitives qui surchargent la Cour

. L’exécution des arrêts
mérite par conséquent de se voir attribuer une place de premier
plan dans le processus de réforme en cours. Elle exige l’action
concertée de tous les acteurs concernés, notamment une mise en œuvre
effective de la part des Etats défendeurs (qu’ils tiennent dûment compte
de l’autorité de la chose interprétée de la jurisprudence de la
Cour), et la surveillance efficace du Comité des Ministres. Ce dernier,
tout comme la Cour, l’Assemblée parlementaire et les parlements
nationaux, peut et doit jouer un rôle en amont dans le processus
d’exécution.
3.4.3.1. Le rôle de la Cour
53. Bien que la Cour ne soit pas le principal organe
chargé de la surveillance de l’exécution des arrêts, elle peut faciliter,
et facilite effectivement, le processus d’exécution de trois manières
distinctes, que la juge Helen Keller a parfaitement résumé de la
manière suivante: «Premièrement, la Cour [examine] si un arrêt antérieur a
été dûment mis en œuvre dans le cadre d’une nouvelle affaire portant
sur la même question sous-jacente et qui a entraîné une violation
récente de la Convention
![(77)
J'aimerais
toutefois faire remarquer que la Cour a constamment souligné qu'elle
«n'est pas compétente pour examiner si une Haute Partie contractante
a rempli ses obligations découlant d'un arrêt [de la Cour]» et qu'elle
ne peut «examiner des griefs qui concernent la non-exécution de
ses arrêts par les Etats». Voir <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-23193'>Fischer
c. Autriche</a> (déc.), Requête n° 27569/02, décision d'irrecevabilité
du 6 mai 2003; et <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-23303'>Lyons
et autres c. Royaume-Uni</a> (déc.), Requête n° 15227/03, décision d'irrecevabilité
du 8 juillet 2003.](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
. Deuxièmement, en dissociant
l’examen au fond de l’octroi d’une satisfaction équitable, la Cour
peut vérifier si l’arrêt au fond a été mis en œuvre ou non et tenir compte
de ses conclusions dans un arrêt distinct sur la satisfaction équitable.
Troisièmement, en vertu des paragraphes 3 et 4 de l’article 46 de
la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour peut être
saisie d’une question relative à l’interprétation d’un arrêt ou
en vue d’établir si un Etat n’a pas exécuté un arrêt (procédure
dite de manquement)

.»
54. Il convient tout particulièrement de noter que, ces dernières
années, la Cour a surmonté sa réticence à indiquer, en se fondant
sur l’article 46 de la Convention, les mesures individuelles et
générales qu’un Etat défendeur devait prendre dans une affaire dont
elle était saisie pour remédier à une situation jugée constitutive d’une
violation de la Convention

. Conformément
à ce qui a été souligné à la
Conférence
d’Oslo 
, ces indications
(ou, parfois, ces ordonnances) sont d’un grand intérêt parce que,
d’une part, elles amènent les Etats à faire preuve d’une diligence
particulière pour donner effet à un arrêt de la Cour et, d’autre
part, elles confèrent au Comité des Ministres des moyens supplémentaires
pour exercer des pressions politiques. La Cour doit être encouragée
à recourir plus fréquemment et plus systématiquement à ces indications
(y compris en fixant un délai pour la mise en œuvre des mesures
recommandées)

, tout en ayant conscience
du principe de subsidiarité et de la liberté dont jouissent les
Etats pour le choix des moyens d’exécution des arrêts. De cette
manière, la Cour est mieux à même de mobiliser sa capacité à influencer
et à faciliter les moyens de remédier aux défaillances structurelles,
surtout dans les pays qui comptent un nombre significatif d’affaires répétitives.
3.4.3.2. Le rôle de l’Assemblée
parlementaire et des parlements nationaux
55. Dans le rôle joué par l’Assemblée et les parlements
nationaux dans le processus d’exécution, il est à noter l’importance
des mécanismes de surveillance spécialement destinés à permettre
l’examen attentif effectif du parlement à l’échelon national, qui
peuvent contribuer à rendre le processus d’exécution plus efficace
et à institutionnaliser un discours démocratique de respect des
droits de l’homme, ce qui renforce du même coup le sentiment de
légitimité des droits de l’homme

.
56. Au cours de ces dernières années, l’Assemblée a de plus en
plus contribué à l’exécution effective et rapide des arrêts de la
Cour. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme
s’est engagé en amont dans ce processus, ce qui lui a valu les félicitations
du Comité des Ministres

. Ses rapporteurs
ont souligné à plusieurs reprises la nécessité de renforcer l’exécution
des arrêts à l’échelon national et la commission continue à rendre
régulièrement des rapports sur la mise en œuvre des arrêts de la
Cour

, en traitant en priorité
l’examen des grands problèmes structurels relatifs aux affaires
dans lesquelles la mise en œuvre a connu des retards extrêmement
préoccupants. Elle a organisé, à ce propos, un certain nombre d’auditions
(auxquelles peuvent assister les représentants de la société civile)
au cours desquelles les délégations nationales auprès de l’Assemblée
parlementaire ont été appelées à rendre des comptes pour le manquement
de leur Etat à se conformer aux arrêts de la Cour. Ces rencontres
se sont révélées extrêmement utiles et il serait bien que cet usage
se poursuive et, idéalement, soit plus systématique.
57. A cet égard, mon collègue M. Klaas de Vries a formulé une
proposition visant à rendre cette pratique plus efficace encore
(et moins longue). Il a proposé, lors du séminaire sur «Le rôle
des Parlements nationaux dans la mise en œuvre des arrêts de la
Cour européenne des droits de l'homme» qui s’est tenu à Madrid le 31 octobre
2014, que la commission des questions juridiques et des droits de
l’homme mette en place en 2015 une nouvelle sous-commission sur
la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de
l’homme, qui pourrait inviter régulièrement des experts des milieux
parlementaires et intergouvernementaux, ainsi que des acteurs pertinents
de la société civile, afin d’examiner les problèmes d’actualité
que pose la mise en œuvre. Les conclusions de ces réunions pourraient
alimenter les travaux du rapporteur de la commission sur la mise
en œuvre des arrêts. J’adhère pleinement à cette proposition qui,
selon moi, permettra de remédier aux situations d’absence de mise
en œuvre particulièrement marquantes, surtout lorsqu’elles révèlent l’existence
de problèmes systémiques, ou aux affaires qui exigent des mesures
individuelles d’urgence, de façon plus opportune et plus souple,
et de partager les bonnes pratiques.
58. Comme je l’ai souligné plus haut, la détermination des membres
de l’Assemblée à faire pression sur leurs gouvernements respectifs
pour qu’ils se mettent rapidement en conformité avec les arrêts
défavorables de la Cour est trop souvent insuffisante par rapport
à ce qu’il faudrait pour accélérer efficacement le processus d’exécution.
3.4.3.3. Le rôle du Comité
des Ministres
59. L’importance d’un mécanisme solide et permanent de
surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour et le rôle crucial
joué par le Comité des Ministres, assisté par le Service de l’exécution
des arrêts de la Cour européenne de droits de l’homme (ci-après
«le Service de l’exécution»), sont parfaitement admis

.
Il faut observer que le contrôle de la conformité des Etats avec
les arrêts de la Cour par un examen des pairs «génère une prise
en charge collective des processus de mise en conformité, offre
toute une série de possibilités d’échanges constructifs à propos
des difficultés techniques de la mise en œuvre et exerce une pression
sur les Etats réticents à se mettre en conformité»

. Toute réforme entreprise en vue
de rendre le processus d’exécution et sa surveillance plus efficaces
devrait par conséquent être conçue de manière à maintenir un équilibre
institutionnel vital entre les différentes parties concernées.
60. La remarque formulée plus haut au sujet du fait que le rôle
de la Cour et de l’Assemblée dans le processus d’exécution était
– et devrait rester – complémentaire de celui du Comité des Ministres
est corroborée par la Convention elle-même, qui dispose expressément
dans son article 46.2 que la surveillance de l’exécution des arrêts
relève avant tout de la compétence du Comité des Ministres.
61. L’accumulation des affaires en attente d’examen devant le
Comité des Ministres est préoccupante. Il est particulièrement inquiétant
de constater que 80 % de ces affaires émanent d’à peine huit Etats:
l’Italie (2 593 affaires pendantes), la Turquie (1 727), la Fédération
de Russie (1 325), l’Ukraine (957), la Pologne (764), la Roumanie
(702), la Hongrie (495) et la Bulgarie (357), soit 8 920 affaires
sur un total de 11 018

(dont la plupart
représentent un grand nombre des requêtes introduites devant la
Cour). Cette situation rappelle combien il est indispensable de
remédier aux dysfonctionnements systémiques de ces pays.
62. A cet égard, j’observe que, grâce à la mise en place d’un
système à deux axes qui prévoit une procédure de surveillance standard
et une procédure de surveillance soutenue, le Comité des Ministres
est en mesure de mieux se concentrer sur les affaires qui méritent
une attention particulière

.
En outre, le Protocole n° 14 crée une nouvelle procédure de manquement
fixée à l’article 46.4 de la Convention, qui permet au Comité des Ministres,
dans des circonstances exceptionnelles, de saisir la Cour de la
question du respect ou non par une Partie de son obligation de donner
effet à un arrêt défavorable rendu par la Cour. Il est difficile
d’évaluer l’incidence réelle de cette procédure sur la volonté d’un
Etat de se conformer pleinement à un arrêt défavorable de la Cour,
car elle n’a pas encore été mise à l’épreuve à ce jour. De même,
le Comité des Ministres s’est jusqu’ici montré réticent à fixer
un délai pour la mise en œuvre d’une mesure particulière ou à refuser
que l’Etat concerné exerce des fonctions dirigeantes au sein de
l’Organisation

. Le fait que le Comité des
Ministres s’abstienne de recourir aux moyens dont il dispose pour
exercer des pressions sur les Etats qui ne se conforment pas peut
mériter un examen plus attentif pour ne pas avoir à souligner une
certaine impuissance de sa part, qui indirectement fragilise l’action
de la Cour.
3.5. L’avenir à long
terme du système de la Convention et le modèle choisi pour la Cour
63. Il est impossible, lorsqu’on se penche sur l’avenir
à long terme du système de la Convention, de ne pas se demander
si des changements plus profonds seront indispensables ou non pour
assurer la viabilité de la Convention. J’observe avec satisfaction
que les autres modèles possibles à l’échelon intergouvernemental
font l’objet d’intenses débats et que diverses options sont examinées
ouvertement, indépendamment de leur faisabilité politique à ce stade.
64. Les propositions favorables à un autre modèle gravitent essentiellement
autour de l’idée que la Cour devrait jouer un rôle plus constitutionnel,
certains préconisant qu’elle devrait librement déterminer combien d’affaires
elle a la capacité de traiter et choisir les affaires sur lesquelles
statuer, tandis que d’autres préfèrent que la Cour traite exclusivement
des questions de droit (c’est-à-dire de l’interprétation de la Convention)
plutôt que des faits

.
Parmi les autres options proposées figurent l’adoption par la Cour
d’une approche à deux axes, dans laquelle certaines affaires particulièrement
importantes seraient jugées selon le mécanisme actuel, un système
«d’autorisation d’introduction d’une requête» s’appliquant au reste
des requêtes

; l’idée
a également été avancée que les requêtes qui découlent des défaillances
systémiques ou structurelles des Etats membres devraient être traitées
par le Comité des Ministres

, s’il manifestait une quelconque volonté
d’un minimum d’autorité.
65. Même si la plupart de ces propositions semblent entraîner
de profonds changements dans le système actuel, elles ne sont pas
en pratique aussi radicales qu’elles le paraissent. Il existe un
large consensus sur le fait que le rôle déjà joué aujourd’hui par
la Cour ne se limite pas à celui de «garante des droits des personnes»; par
certains de ses modes de fonctionnement et fonctions, notamment
dans la défense des valeurs constitutionnelles

, elle
ressemble, dans une certaine mesure, aux juridictions constitutionnelles
nationales. En s’engageant aux côtés des juridictions constitutionnelles
nationales et en interprétant la Convention, la Cour (et surtout
sa Grande Chambre, comme l’a souligné Morten Rudd lors du deuxième
échange
de vues de la commission) crée un ordre supranational des droits
de l’homme dans l’ensemble de l’Europe

, qui définit des normes européennes
communes de la protection des droits de l’homme que toutes les Hautes
Parties contractantes doivent respecter

. La Cour elle-même
considère la Convention comme un «instrument constitutionnel de
l’ordre public européen»

et a souligné que “[s]i le système mis en
place par la Convention a pour objet fondamental d’offrir un recours
aux particuliers, il a également pour but de trancher, dans l’intérêt général,
des questions qui relèvent de l’ordre public, en élevant les normes
de protection des droits de l’homme et en étendant la jurisprudence
dans ce domaine à l’ensemble de la communauté des Etats Parties
à la Convention»

. Enfin, les procédures adoptées
par la Cour ces dernières années, comme la politique de prioritisation,
la procédure d’arrêt pilote et l’indication des mesures générales
à prendre par l’Etat défendeur au titre de l’article 46 de la Convention,
ainsi que le regroupement de requêtes similaires dans un arrêt ou
une décision uniques, soulignent la validité de la thèse selon laquelle
la Cour a déjà acquis certaines caractéristiques constitutionnelles.
66. Bien que toutes ces propositions méritent d’être étudiées,
soyons prudents sur toute refonte institutionnelle. Je formulerais
trois observations à ce sujet.
67. Premièrement, je partage l’avis de ceux qui considèrent que
les deux missions de la Cour – statuer sur les requêtes individuelles
et définir des normes européennes communes en matière de droits
de l’homme – sont aussi importantes l’une que l’autre

. Dans le même temps,
je souscris à ce qui a été dit lors de la deuxième audition de la
commission: bien qu’il ne fasse aucun doute que la Cour soit en
mesure d’exercer ces deux fonctions, il convient de vérifier si
cette méthode offre un moyen efficace de faire face à la charge
de travail que représentent les affaires. Il serait opportun, me
semble-t-il, de débattre de l’opportunité de confier ces deux missions
à une même instance juridictionnelle

.
En réfléchissant à cette question, on pourrait être amené à reprendre
une idée suggérée en réponse à
«l’appel
ouvert à contributions» du DH-GDR, à savoir conserver une Cour unique à plein
temps, mais la compléter par une Grande Chambre chargée d’examiner
les affaires qui soulèvent des questions constitutionnelles

.
Cette Grande Chambre pourrait, selon moi, se composer par exemple
de 15 à 17 juges à temps partiel issus des plus hautes juridictions
nationales des Etats membres, qui exerceraient leurs fonctions par
roulement. Cette solution resserrerait encore les liens entre la Cour
de Strasbourg et les juridictions nationales.
68. Deuxièmement, certains mécanismes et caractéristiques fondamentaux
propres au système de la Convention représentent, à mon sens, les
éléments essentiels de son succès constant. Il convient de veiller très
soigneusement à n’apporter aucune modification draconienne au système
qui pourrait concrètement le priver de ses atouts. Ces éléments
qu’il importe de préserver à tout prix, selon moi, sont

le caractère subsidiaire
de la Cour, l’examen judiciaire des plaintes et la juridiction obligatoire
de la Cour et le système de contrôle collectif et de surveillance
efficace de l’exécution des arrêts. Enfin, et peut-être surtout,
il ne saurait être question de revenir sur les droits substantiels
consacrés par la Convention (ou d’abandonner la doctrine de «l’instrument
vivant», ce qui pourrait entraîner exactement la même régression)
et le droit de requête individuelle introduite devant la Cour doit
être maintenu.
69. Enfin, il est admis que la Cour accomplit un travail de qualité
et qu’elle s’attaque rapidement aux problèmes en suspens qui doivent
être réglés. Au vu de ces éléments, il convient de veiller à ne
pas examiner prématurément toute proposition qui semble en fait
motivée non par le désir sincère de favoriser l’efficacité du système
en vue de renforcer la protection des droits de l’homme, mais par
l’intention de démanteler la Cour et de porter atteinte à son autorité.
Comme nous l’avons indiqué plus haut, on constate à l’heure actuelle
que la Cour a assumé son arriéré d’affaires; je pense que nous pouvons
croire le greffier de la Cour, Erik Fribergh, lorsqu’il nous assure
qu’elle sera bientôt en mesure – sous réserve que quelques moyens
supplémentaires soient mis à sa disposition – de traiter l’ensemble
des requêtes dont elle est saisie dans le délai fixé par la Déclaration
de Brighton. Il s’agit là d’un bon résultat. C’est la raison pour
laquelle je considère, comme le greffier, qu’«il convient de laisser
la Cour poursuivre ses progrès constants sans qu’elle soit distraite
par des appels systématiques et parfois confus à entreprendre des
réformes supplémentaires»

. Ne réformons
pas un système qui fonctionne bien, car comme le dit l’adage, «le
mieux est l’ennemi du bien».
4. Conclusions
70. Il ressort de l’examen qui précède que la Cour a
fait des progrès substantiels dans la liquidation dans l’arriéré
de requêtes manifestement irrecevables et s’apprête à surmonter
les difficultés qui subsistent. En outre, il y a lieu de féliciter
la Cour pour la poursuite de l’intensification de son dialogue avec
les juges nationaux et de rendre sa jurisprudence plus largement
accessible. Malheureusement, les réalisations de la Cour n’ont pas,
à ce jour, été suivies par des améliorations correspondantes au
sein des Parties contractantes à la Convention. En effet, des violations
graves doivent encore être examinées, avec une urgence renouvelée

.
71. Certains Etats Parties n’ont pas supprimé les dysfonctionnements
systémiques (souvent fort anciens) qui surchargent la Cour d’un
grand nombre de requêtes répétitives. Bien que des avancées aient
été réalisées ces dernières années dans quelques pays sur le plan,
par exemple, de la mise en place de mécanismes de surveillance de
l’exécution des arrêts de la Cour, la situation est loin d’être
satisfaisante. Les parlements nationaux doivent s’engager plus en
amont dans un contrôle régulier de la compatibilité de leurs (projets
de) lois avec la Convention, selon l’interprétation retenue par
la Cour dans sa jurisprudence, et examiner attentivement les mesures
prises par leur gouvernement pour remédier aux défaillances constatées
à la suite d’un arrêt de la Cour qui conclut à une violation de
la Convention.
72. Enfin, il ressort de ce qui précède que la garantie de l’efficacité
à long terme du système de la Convention dépendra de la volonté
de l’ensemble des Etats membres à veiller à ce que des fonds suffisants soient
alloués au Conseil de l’Europe, et surtout à la Cour, au programme
HELP et au Service de l’exécution pour qu’ils puissent mener à bien
efficacement leurs attributions respectives.
73. En résumé, la recherche d’améliorations supplémentaires du
système de la Convention devra rester une priorité de notre Assemblée
et de l’Organisation dans son ensemble. Il importe toutefois que
le but du débat actuel sur la réforme demeure le véritable renforcement
de la protection des droits de l’homme à travers l’Europe et le
maintien du droit de requête individuelle devant la Cour européenne
des droits de l’homme, qui est – et devrait rester – l’arbitre ultime
des droits de l’homme en Europe. C’est pourquoi, au lieu de privilégier d’autres
moyens possibles de réformer la Cour, le processus de réforme doit
continuer à partir du principe qu’il incombe avant tout aux Etats
Parties de veiller à ce que la Convention soit effectivement appliquée
à l’échelon national, dans le respect du principe de subsidiarité
sur lequel repose le système de la Convention.