1. Introduction
1. Un an après l’adoption de la
Résolution 1971 (2014) «Les réfugiés syriens : comment organiser et soutenir
l’aide internationale?», la crise humanitaire dans la région a pris
des proportions sans précédent.
2. Ceci est dû en grande partie à la montée en puissance du groupe
terroriste connu sous le nom d’«Etat islamique» («EI»), qui a proclamé,
le 29 juin 2014, l’instauration d’un califat sur les territoires
irakiens et syriens qu’elle contrôle. Cette organisation a d’ailleurs
porté d’autres noms tels que «Etat islamique en Iraq et au Levant»
(EIL) et «Etat islamique en Iraq et en Syrie» (EIIS), puis a pris
le nom d’«Etat islamique». Aux fins du présent rapport, mais sans
lui donner un quelconque statut officiel, je ferai référence au
groupe en utilisant le sigle «EI».
3. Depuis 2006, cette organisation terroriste se considère comme
le véritable Etat d’Irak et depuis 2013, celui de la Syrie. «EI»
a fait de la ville de Raqqa (chef-lieu de province dans le centre
de la Syrie) sa capitale politique et militaire, implantée au sein
des territoires syriens nouvellement conquis.
4. Elle est considérée comme le mouvement djihadiste le plus
violent du monde et est accusé aussi bien par les Nations Unies,
la Ligue arabe, les Etats-Unis et l’Union européenne d’être une
organisation terroriste responsable de crimes de guerre, de nettoyage
ethnique et de crimes contre l’humanité.
5. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH),
pour la seule année 2014, le conflit a atteint un sinistre record
avec 76 000 morts, dont 3 500 enfants, contre 73 000 en 2013 et
près de 50 000 en 2012, sans compter les milliers de personnes portées
disparues dans les geôles du régime ou chez les djihadistes. A cela
s’ajoutent les quelques dix millions de réfugiés et de déplacés
ainsi que les immigrés clandestins qui ont péri en mer.
6. Depuis le mois d’août 2014, une coalition internationale intervient
militairement contre cette organisation et depuis la mi-septembre
2014, une alliance américano-française a bombardé par les airs des
véhicules et des sites d’«EI». Par ailleurs, les exécutions et les
offensives par les djihadistes d’«EI» sont quotidiennes en Irak
et en Syrie et entraînent parfois la disparition de communautés
entières.
7. Les pays voisins de la Syrie se sont ainsi retrouvés face
à une arrivée massive de réfugiés Syriens, arrivée qui pose d’énormes
problèmes, que ce soit sur le plan humanitaire, socio-économique
ou politique. En effet, depuis l’adoption de la
Résolution 1971 (2014), un million de réfugiés supplémentaires ont quitté la
Syrie.
8. Face à ce constat, la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées a estimé qu’il était urgent d’alerter
à nouveau la communauté internationale.
9. Aux fins du présent rapport je me suis rendu à Genève et en
Turquie. Lors de mes entretiens à Genève avec les représentants
du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR),
de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du
Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et je saisis l’occasion
pour les remercier pour leur accueil, mes interlocuteurs ont été
unanimes à dire qu’à l’heure actuelle, il n’y a aucune perspective
de solutions. Cette visite m’a permis de mieux cibler les contacts
à prendre en Turquie et à choisir la région où me rendre. Ils ont
également insisté sur l’ampleur de la crise humanitaire qui, selon
eux, n’avait pas de précédent.
10. Je me suis rendu en Turquie au début du mois de janvier 2015
afin de me rendre compte sur place de la situation et je remercie
aussi bien le HCR que les autorités turques de m’avoir aidé à organiser
cette visite. Je me suis ainsi rendu respectivement à Gaziantep,
à Killis, à Urfa et à Ankara et ai ainsi pu visiter, grâce aux autorités
turques, le camp de réfugiés de Killis ainsi que des réfugiés urbains
dans la région d’Urfa.
11. Les contacts que j’ai eus à Ankara, que ce soit avec le Directeur
Général du Croissant Rouge, le Directeur de la gestion des catastrophes
et des urgences (AFAD) ou le sous-secrétaire adjoint au ministère
de l’Intérieur, ont tous lancé un message très clair à la communauté
internationale afin que cette dernière prenne conscience de l’ampleur
de la crise humanitaire et fasse preuve de générosité et de responsabilité.
2. Situation
générale des réfugiés syriens
12. Depuis le mois de juillet 2014, «EI» contrôle surtout
la campagne orientale du gouvernorat d’Alep, le gouvernorat de Raqqa
et celui de Deir ez-Zor ainsi qu’une partie de celui d’Hassake.
Petit à petit, il s’est étendu vers le sud en direction de la frontière
jordano-irakienne et vers le nord sur une partie du Kurdistan syrien
vers la frontière turque.
13. Suite à cette montée des hostilités, les Syriens ont été de
plus en plus nombreux à fuir leur pays ou à quitter leur ville ou
leur village afin d’échapper aux troupes d’«EI». Selon l’OSDH, «EI»
a exécuté au moins 1 429 personnes en Syrie entre juin et novembre
2014. Les groupes les plus concernés sont les femmes et les jeunes
filles qui, lorsqu’elles sont capturées, deviennent des objets commerciaux
et sexuels et des butins de guerre.
14. C’est ainsi que depuis le début du conflit en mars 2011, environ
9 millions de réfugiés syriens ont fui leur pays et l’on compte
environ 6,5 millions de personnes déplacées internes. Un grand nombre
s’est rendu dans les pays avoisinants: Turquie, Liban, Jordanie
et Irak alors que d’autres se sont rendus dans le Caucase, le golfe
Persique et en Afrique du Nord. Environ 150 000 Syriens ont demandé
l’asile au sein de l’Union européenne.
15. En septembre 2014, les autorités suédoises ont déclaré que
tous les demandeurs d’asile syriens auront un droit de résidence
permanent compte tenu de l’aggravation du conflit. La Suède a ainsi
été l’un des premiers pays à avoir fait cette offre, ce qui signifie
qu’environ 8 000 Syriens pourront résider de manière permanente en
Suède mais également qu’ils pourront faire venir leur famille au
titre du regroupement familial.
16. D’autres pays non européens en Amérique du Sud, à savoir l’Argentine,
le Brésil et l’Uruguay ont fait la même offre.
17. Les réfugiés syriens ont cependant de plus en plus de mal
à traverser la frontière car ils deviennent des victimes toute désignées
du trafic. C’est ainsi que les réfugiés voulant traverser le désert
à l’est de la Jordanie sont forcés de payer des trafiquants pour
pouvoir passer en toute sécurité. En outre, il devient de plus en
plus difficile de trouver des emplois, de la nourriture et de quoi
se loger dans les pays voisins et ce malgré l’aide apportée par
les organisations et notamment par le HCR.
18. C’est la raison pour laquelle l’arrêt de l’aide alimentaire
par le Programme alimentaire mondial serait catastrophique pour
toutes ces personnes et je réitère mon appel lancé le 5 décembre,
en rappelant la situation de misère et de dénuement dans laquelle
se trouvent toutes ces personnes.
3. Développements
récents depuis l’adoption de la Résolution 1971 (2014)
19. Depuis l’adoption de la
Résolution 1971 (2014), la situation en Syrie s’est encore détériorée et l’on
ne compte plus les attentats ou les exécutions, que ce soit aux
frontières de la Syrie ou de l’Irak. Ceci concerne surtout les femmes,
les jeunes filles et les enfants, qui représentent la grande majorité
des réfugiés syriens. Dans ce contexte, j’aimerais saluer la décision
de l’Allemagne d’accueillir des femmes violées par des militants d’«EI»
et j’en appelle à la solidarité internationale pour suivre cet exemple.
20. J’aimerais également rappeler que la Turquie, le Liban, la
Jordanie, l’Irak et l’Egypte ont accueilli à eux seuls 95 % des
réfugiés, ce qui a entraîné des conséquences sur la vie socio-économique
de ces pays.
3.1. La Turquie
21. Aux fins du présent rapport, je me concentrerai essentiellement
sur la situation et l’accueil des Syriens ainsi que sur le rôle
exceptionnel joué par la Turquie dans ce domaine. En effet, longtemps
pays de transit vers l’Union européenne, la Turquie est devenue
aujourd’hui un pays d’accueil des demandeurs d’asile.
3.1.1. La Directive relative
à l’octroi d’une protection temporaire
22. La Turquie a ratifié la Convention de Genève de 1951
relative au statut des réfugiés, en émettant une réserve qui stipule
que la convention ne s’applique qu’aux personnes déplacées en raison
d’événements survenus en Europe. Lorsque la Turquie a signé le Protocole
de 1967, elle a explicitement maintenu cette limitation géographique.
23. En conséquence, la Turquie n’avait aucune obligation juridique
envers les réfugiés ayant fui en raison d’événements survenus en
dehors de l’Europe. Les ressortissants non européens n’avaient accès
ni au statut de réfugié ni droit à un permis de séjour permanent.
Les réfugiés reconnus en tant que tels par le HCR comme ayant besoin
de protection internationale recevaient la permission de chercher
asile dans un autre pays Toutefois, depuis le début du conflit en
2011, les autorités turques ont fait une exception pour les réfugiés syriens
en les considérant comme «invités». Il faut rappeler que ce statut
d’invité avait déjà été accordé par les autorités turques aux Tchétchènes
qui fuyaient la guerre en Tchétchénie. Ce statut «d’invité de l’Etat» apparaît
comme temporaire et révocable et entretient en permanence la peur
d’être expulsés. C’est ainsi qu’avant la modification récente de
la législation, la Turquie ne voulait pas développer un système
de protection des réfugiés et déléguait cette tâche au HCR. La Turquie
estimait, en effet, que les réfugiés n’avaient pas vocation à rester
sur le sol turc mais à être réinstallés dans d’autres pays. Or,
face à l’afflux massif de réfugiés, il était devenu impossible pour
le HCR de réinstaller l’ensemble d’entre eux.
24. Depuis le 22 octobre 2014, la Turquie a modifié sa législation
portant sur la protection temporaire des réfugiés et vient ainsi
donner une nouvelle définition, de nouveaux critères et mettre en
œuvre une nouvelle procédure en matière d’asile. Le nouveau règlement
concerne les Syriens et les apatrides venant de Syrie. La principale
nouveauté est la centralisation de l’ensemble des procédures liées
à la migration au sein de la Direction pour les migrations et l’asile
et la création d’une agence civile de contrôle des frontières qui
se substitue à l’armée et qui a pour but de s’intégrer dans le système
européen de gestion des frontières. Cette réforme introduit pour
la première fois la notion d’intégration des réfugiés et tend à
améliorer leur accès à des soins gratuits et au marché du travail.
25. Il est maintenant important que cette nouvelle législation
puisse être mise en œuvre le plus rapidement possible.
3.1.2. La situation des
Syriens
26. Selon les dernières estimations fournies par le HCR,
l’on compte environ 1 600 000 réfugiés syriens enregistrés, dont
223 000 sont répartis entre les 22 camps et 891 000 en dehors des
camps. Les mineurs représentent 51 % du nombre total de réfugiés.
En effet, un nouvel afflux de réfugiés avait été enregistré suite à
l’offensive menée par les combattants d’«EI» contre la ville kurde
d’Al-Arabe – ou Kobane en kurde – dans le nord de la Syrie. Plus
de 150 000 Kurdes de Syrie sont ainsi entrés en Turquie en quelques
jours. Avec ce nouvel afflux, l’on craint que les autorités turques
ne puissent plus faire face à un nouvel afflux de réfugiés. Un rapport
d’Amnesty International fait d’ailleurs état du fait qu’un grand
nombre croissant de réfugiés sont refoulés et visés par des tirs
à balles réelles à la frontière.
27. Selon les autorités de la région de Suruç, entre 500 et 600
personnes attendent de traverser la frontière.
28. Aux postes frontières officiels, la Turquie applique une politique
d’ouverture des frontières pour les Syriens mais seuls deux postes
sont entièrement ouverts sur une bande frontalière de 900 kilomètres.
Or, même à ces deux postes, les personnes qui n’ont pas de passeport
se voient régulièrement refuser le passage, à moins qu’elles n’aient
besoin d’une aide médicale ou humanitaire d’urgence.
29. C’est ainsi que la plupart des réfugiés essaient de franchir
la frontière à des points de passage non officiels, d’accès difficile
avec malheureusement l’aide de passeurs dans des zones de conflits.
3.1.3. La situation spécifique
des Syriens kurdes
30. Toutefois, une grande partie des réfugiés kurdes
de Syrie ont préféré poursuivre leur voyage vers le camp reculé
de Gawilan en Irak après avoir constaté que les conditions de vie
étaient devenues très difficiles en Turquie. Les gens vivent dans
la rue ou dans des mosquées bondées sans nourriture ni argent et
des personnes étant arrivées en voiture se sont vues contraintes
de les laisser à la frontière. Une grande majorité de Syriens d’origine
turque se rendent dans le nord de l’Irak où ils ont de la famille
ou des amis.
31. En ce qui concerne plus spécifiquement les réfugiés syriens
kurdes en Turquie, une grande majorité vit en milieu urbain, sans
ressources autres que des emplois non déclarés ou la mendicité et
n’ont aucune véritable protection ou d’assistance particulière,
notamment en termes d’accès aux soins, à l’emploi et au logement.
Le nombre croissant de réfugiés dans les rues des grandes métropoles
contribue à augmenter l’hostilité de la population locale, de plus
en plus effrayée face à cet afflux d’étrangers. C’est ainsi que
pour se loger et se nourrir les familles prennent des mesures désespérées
en faisant très souvent travailler les enfants.
32. Lors de l’élection présidentielle, la résolution de la «question
kurde» a été au cœur des discussions qui ont abouti, le 10 juillet
2014, à l’adoption d’une «loi-cadre pour mettre un terme au terrorisme
et pour renforcer l’intégration sociale».
33. Depuis lors, les choses se sont accélérées et au mois de janvier,
les Kurdes et les Unités de protection du peuple kurde ont annoncé
la libération de Kobané. Toutefois, même si l’on annonçait la libération
de la ville syrienne de Kobane, il n’en demeure pas moins qu’«EI»
continue à menacer, car les combats se poursuivent dans les villages
aux alentours, la ville est complètement détruite et n’est plus
qu’un amas de ruines et de bâtiments éventrés et déserts. Ceci freine
le retour des quelques 200 000 Syriens qui se sont réfugiés en Turquie.
Ce retour est d’autant plus hypothétique que les autorités turques
leur interdisent de franchir la frontière et que les forces kurdes
craignent surtout pour la santé et la sécurité des habitants, car
il n’y a plus de logement en état et la nourriture commence à manquer.
3.1.4. Une nouvelle législation
du droit du travail
34. Le Gouvernement turc a changé sa législation dans
le domaine du droit du travail à l’attention des quelques 1,6 millions
de réfugiés qui y vivent en leur permettant de travailler de manière
officielle dans certains domaines bien définis dans la mesure où
le nombre de Syriens qui travaillent ne dépassent pas 10 % du nombre
total de personnes salariées. Le manque de moyens affecte également
la sécurité dans les camps.
3.2. Le Liban
35. Depuis ma visite au Liban, en août 2013, la situation
dans ce pays s’est aggravée car la crise en Syrie continue à peser
lourdement sur ce pays, qui selon les dernières estimations a accueilli
près de 1 133 000 réfugiés, pour un pays qui compte environ 4 millions
d’habitants. Le Liban est ainsi, sans conteste, le pays frontalier
le plus touché par le conflit. En effet, comme j’en avais déjà fait
état dans mon précédent rapport, le pourcentage de réfugiés syriens
et l’impact de la crise économique ont affecté le pays de façon particulièrement
grave.
36. Les réfugiés syriens ont d’ailleurs toujours été très présents
au Liban car depuis la fin de la guerre civile libanaise et suite
aux accords de Taëf en 1989 et aux accords signés entre la Syrie
et le Liban, beaucoup de Syriens sont venus au Liban à la recherche
d’un travail et ce principalement dans la région de Beyrouth.
37. La situation des réfugiés syriens est effectivement très précaire,
notamment parce que, pour l’instant, il n’existe aucun cadre juridique
pour les aider. En outre, j’aimerais rappeler que le Liban ne reconnaît
toujours pas officiellement un statut en tant que tel aux réfugiés
syriens alors que le statut de réfugiés palestiniens est reconnu.
En outre, j’aimerais rappeler que contrairement à la Jordanie et
à la Turquie, le Liban n’a pas créé de camps et les réfugiés sont
dispersés dans le pays.
38. Les familles libanaises qui ont vécu en Syrie et qui ont fui
le pays et qui se retrouvent face aux mêmes défis que les autres
réfugiés se retrouvent dans une situation particulière. Ces personnes
sont souvent considérées comme des Syriens et n’ont souvent pas
connaissance ou ne sont pas familières des services qui s’offrent
à elles.
39. A cet égard, il est urgent de renforcer le système d’enregistrement
des réfugiés syriens et de les informer des mesures d’assistance
à leur disposition.
40. Toutefois, afin de limiter l’afflux des réfugiés, pour la
première fois, le Liban a décidé de réguler les conditions d’entrée
sur son territoire pour les ressortissants syriens, en appliquant
les procédures prévues par la Convention de Genève. En conséquence,
sont octroyés des visas touristiques, médicaux, d’étudiants, de transit,
pour consultation d’une ambassade étrangère pour tous ceux qui bénéficient
d’une prise en charge par un Libanais. Des séjours temporaires sont
accordés aux hommes d’affaires et propriétaires d’un bien immobilier.
Le visa touristique requiert une réservation d’hôtel, une pièce
d’identité valable ainsi que la possession de 1 000 dollars.
41. En réaction, le porte-parole du HCR souligne que ces nouvelles
règles n’incluent pas «explicitement une clause liée aux raisons
humanitaires exceptionnelles, tel que prévu dans la politique gouvernementale d’octobre
dernier» et «qu’il est de la responsabilité internationale du HCR
de s’assurer que les réfugiés ne sont pas forcés à revenir à des
situations où leur vie serait en danger».
42. Une attention particulière doit également être apportée aux
enfants, compte tenu du fait que, selon les estimations fournies,
24 % des réfugiés sont âgés de 4 à 17 ans, et ne sont pas scolarisés
pour des raisons diverses, à savoir les frais de scolarité, l’insécurité
croissante ou les problèmes de transport.
43. Dans ce contexte, j’aimerais saluer le travail de l’OIM dans
l’aide et l’assistance aux migrants en transit au Liban et qui souhaitaient
se rendre en Autriche, au Canada, au Danemark, en Norvège et aux
Etats-Unis.
3.3. La Jordanie
44. Selon les informations recueillies, l’on a constaté
une baisse significative du nombre de personnes au centre d’enregistrement
et ce malgré les efforts fournis par le HCR pour augmenter l’accès
à la Jordanie aux réfugiés syriens. A l’heure actuelle, l’on compte
environ 650 000 réfugiés syriens vivant en Jordanie, soit environ
100 000 réfugiés de plus depuis mon dernier rapport. La décision
de la Jordanie quant à la restriction d’accès sur son territoire
résulte notamment des raisons de sécurité. Selon les informations
reçues de la part des autorités jordaniennes, le nombre de procès
impliquant des syriens a augmenté de 132 % entre 2011 et 2014. L’approvisionnement
en nourriture et en eau est assuré par l’OIM et le CICR en coopération
avec les garde-frontières jordaniens. Le HCR a également fourni
des couvertures. Toutefois, avec les conditions hivernales, il est
clair que les réfugiés auront à faire face à des problèmes d’hygiène
et des risques de détérioration de la santé, si bien qu’un certain
nombre de réfugiés sont retournés au camp de Zaatari. En effet, à
l’heure actuelle, la Jordanie ne compte que trois camps si bien
que près de 75 % des réfugiés vivent à l’extérieur que ce soit dans
la rue ou dans des logements de fortune.
45. Toutefois, malgré une baisse générale du nombre de réfugiés
arrivant en Jordanie au cours de l’année 2014, l’UNICEF a constaté
une augmentation du nombre d’enfants syriens non accompagnés par
rapport à l’année 2013. Selon les dernières estimations, l’on compte
environ 4 500 enfants syriens non accompagnés.
46. J’aimerais saluer la campagne «Back to school» lancée par
l’UNICEF et l’ONG «Save the Children» et qui a permis de toucher
plus de 100 000 personnes en procédant à des visites de porte à
porte, à des contacts au moment de l’enregistrement des réfugiés
et en encourageant les familles à envoyer leurs enfants à l’école, si
bien que l’on dénombre environ 19 500 étudiants qui suivent les
cours à Zaatari, au camp d’Azsraq et dans le camp jordanien Emirati.
3.4. L’Irak
47. En septembre 2014, Amnesty International a publié
un rapport accusant «EI» de mener une campagne systématique de nettoyage
ethnique dans le nord de l’Irak et de se livrer à des exécutions
de masse. En octobre 2014, «EI» a revendiqué l’attaque la plus meurtrière
au cours de laquelle deux voitures piégées ont explosé simultanément
dans une zone commerciale d’un quartier de Bagdad faisant 14 morts
et 34 blessés. Selon les informations recueillies par le HCR, les
autorités irakiennes ont commencé à légaliser le séjour des Syriens
ayant passé la frontière via Peshkabour. Selon les dernières estimations
l’on y compte environ 226 000 réfugiés.
48. Le HCR a également identifié et aidé environ 588 personnes
vulnérables qui sont notamment des personnes en mauvaise santé,
des femmes enceintes et des enfants non accompagnés.
49. En ce qui concerne plus particulièrement la question de l’éducation,
le gouvernement de la région du Kurdistan a fait savoir qu’il ne
pourrait plus payer les salaires des professeurs réfugiés, n’ayant
reçu aucune subvention de la part du Gouvernement central d’Irak.
4. La situation des
mineurs non accompagnés et apatrides et des femmes et des jeunes
filles
50. Le conflit syrien a entraîné la séparation de nombreux
enfants de leur famille et paient ainsi un lourd tribut au conflit
syrien. Certains d’entre eux ont perdu leurs parents, ont fui de
peur d’être enrôlés dans des milices ou ont été confiés par leurs
parents à des proches. Les mineurs représentent un pourcentage très
élevé des réfugiés, que ce soit en Turquie, au Liban, en Jordanie
ou en Irak. Cette situation s’est encore aggravée ces derniers temps
suite à l’arrivée des cargos fantômes transportant des migrants
avec un grand nombre de mineurs non accompagnés et sans papiers.
Beaucoup d’entre eux ont été blessés, détenus ou encore utilisés comme
boucliers humains. Selon les informations reçues, l’on estime à
environ 2 millions les enfants ayant besoin d’aide en Syrie et à
plus d’un demi-million dans les pays voisins, dont une grande partie
vit dans les camps. Le nombre croissant d’arrivées dans les camps
provoque une pression accrue sur les ressources disponibles et a
des répercussions, notamment sur l’accès à l’éducation qui devient
un peu plus limité, alors qu’il s’agit là d’une action primordiale.
51. La situation de ces enfants varie selon les pays qui les ont
accueillis. En Jordanie, par exemple, le camp de Zaatari qui est
le plus grand camp, a accueilli des mineurs dont 20 % était âgé
de moins de cinq ans. A cet effet, l’UNICEF et Save the Children
ont créé des zones d’accueil spécifique avec des aires de jeu, des
terrains de sports, des groupes de parole et des activités artistiques.
J’aimerais souligner à cet égard que les dessins des enfants, et
j’ai pu le constater lors de ma visite en Turquie, constituent des
exutoires car les dessins représentent très souvent des scènes de
violence. Je me souviens de l’image de cet enfant syrien de 11 ans réfugié
en Turquie qui a fait le tour des réseaux sociaux. Cet enfant était
en pleurs et ensanglanté car il venait d’être frappé par un responsable
d’une chaîne de restaurants en Turquie pour avoir tenté de manger
les frites d’un client. Il s’agit là d’un symbole des épreuves que
rencontrent les enfants réfugiés syriens en Turquie. Il va sans
dire que le gérant du restaurant a été licencié.
52. Tout en saluant les efforts et la générosité des autorités
turques pour l’accueil des réfugiés, il va sans dire que l’afflux
de réfugiés a provoqué des tensions avec certains autochtones. Une
des raisons est le nombre croissant d’enfants syriens qui sillonnent
les rues des grandes villes comme Ankara ou Istanbul n’ayant comme unique
possibilité que la mendicité ou la recherche de nourriture abandonnée.
53. Les autorités turques ont organisé un enseignement à l’attention
des enfants syriens mais cet enseignement est essentiellement diffusé
dans les camps. Les enfants en dehors des camps de réfugiés sont devenus
les oubliés de ce conflit. Les dons sont envoyés aux camps alors
que ce sont ceux qui vivent en dehors des camps qui sont dans des
situations plus difficiles et la moitié des enfants syriens en Turquie
ne sont pas scolarisés. Il est vrai que quelques écoles turques
ouvrent une partie de la journée pour les enfants turcs et quelques
heures pour les Syriens. Toutefois, ces établissements sont trop
petits et n’ont pas les moyens financiers pour accueillir tous les
enfants. Selon les informations reçues, l’école est devenue également
un lieu de tensions entre enfants syriens et turcs, les enfants
turcs se sentant lésés par rapport aux enfants syriens car ces derniers
retiennent plus l’attention des responsables et des autorités. A
cela se greffe un autre problème posé par le fait que les familles
syriennes n’ont pas assez d’argent pour survivre et même si certains
enfants ont la possibilité d’aller à l’école, cela leur est impossible
puisque les familles sont dépendantes d’eux pour survivre financièrement.
S’ils vont à l’école, ils se privent d’argent supplémentaire que ces
derniers peuvent gagner en mendiant. En outre, envoyer son enfant
à l’école signifie également des frais supplémentaires comme les
transports et ces frais sont difficilement supportés par les familles.
54. Dans les camps de réfugiés syriens au Kurdistan irakien, la
moitié des habitants des camps ont moins de 17 ans, la plupart ayant
franchi la frontière illégalement pour se réfugier dans un pays
où leur sécurité n’est plus menacée.
55. L’objectif premier reste la réunification familiale. Tout
est entrepris pour essayer de retrouver la famille du jeune, ce
qui représente un véritable défi compte tenu du nombre de réfugiés
qui affluent tous les jours. Une autre alternative est celle de
trouver des familles d’accueil.
56. Ainsi pour les jeunes migrants n’ayant pas pu retrouver leurs
parents ou qui sont apatrides ou orphelins, la question se pose
quant à leur avenir.
57. La situation est également très précaire et souvent dangereuse
pour les jeunes filles et les jeunes femmes. L’on a constaté que
des hommes essayaient de s’infiltrer dans les camps et exerçaient
des pressions sur les jeunes réfugiées syriennes, en leur promettant
des mariages souvent précoces en échange d’une sécurité financière
et d’une protection matérielle. Certaines d’entre elles acceptent
ces unions qui dissimulent souvent des situations d’exploitation
sexuelle.
5. La situation des
personnes déplacées internes en Syrie
58. Depuis le début du conflit en mars 2011, l’on compte
environ 6,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur de la
Syrie et 190 000 ont été tuées. Leur situation devient de plus en
plus préoccupante, car l’on estime à environ 10,8 millions le nombre
de personnes ayant besoin d’une assistance humanitaire. Selon l’Observatoire
des situations de déplacement interne (IDMC), l’on compte à l’heure
actuelle environ 6,8 millions de Syriens ayant été forcés de quitter
leur maison et, en conséquence, leurs moyens de subsistance.
59. Les attentats et les raids de la part des membres d’«EI» empêchent
l’accès à ces familles déplacées qui souffrent de plus en plus du
manque de nourriture et de médicaments, sans compter sur le fait
que les enfants sont privés d’enseignement scolaire, et sont confrontés
à des problèmes de sécurité.
60. Dans ce contexte, des médecins syriens membres pour la plupart
de l’Union des organisations syriennes de secours médicaux (UOSSM)
qui s’étaient réunis récemment à Paris, ont alerté la communauté internationale
sur le «désastre médical et humanitaire» en Syrie ainsi que des
conséquences désastreuses de la pénurie croissante de médecins,
de matériels, de médicaments ainsi que de la réapparition de maladies éradiquées,
telles que la polio, la tuberculose, la gale ou la typhoïde.
61. Ils ont souligné que «la situation [était] devenue insupportable,
catastrophique et que de nombreuses parties de la Syrie n’ont plus
de présence médicale». A Alep, la deuxième ville du pays, seuls
cinq hôpitaux fonctionnent et il n’y a plus que 30 médecins toutes
spécialités confondues et dans la banlieue de Damas, une zone encerclée
depuis deux ans par les forces loyalistes, il n’y a aucune possibilité
de faire entrer de l’aide humanitaire.
62. A Raqqa, bastion d’«EI» dans le nord de la Syrie, où vivent
1,6 million d’habitants, il n’y a plus de service d’obstétrique,
de gynécologie ou de pédiatrie.
6. L’urgence d’une
aide alimentaire et des produits de première nécessité
63. L’ampleur des conséquences humanitaires est considérable
et sans précédent. J’en appelle une fois de plus à la solidarité
internationale pour augmenter l’aide humanitaire afin de fournir
suffisamment d’eau, de nourriture, de soins et des abris décents
aux réfugiés.
64. Pour ce faire, je réitère mon appel pour que les donateurs
continuent à verser des fonds au programme alimentaire mondial afin
que les organismes locaux et internationaux puissent répondre efficacement
aux besoins de première nécessité des personnes affectées par la
crise syrienne, crise dont les conséquences sont montées en puissance
depuis la recrudescence des activités d’«EI».
65. C’est ainsi que selon les informations provenant du HCR, les
réfugiés non-inscrits ou non préenregistrés ne bénéficient d’aucun
accès aux soins. En outre, dans le Nord de la Turquie, les médecins
ont fait savoir que les enfants souffrent de malnutrition et de
déshydratation et qu’ils ne disposent plus d’ambulances en cas d’urgence.
7. Un octroi du droit
d’asile limité et diversifié
66. L’Europe se doit de réagir et venir en aide aux Syriens.
Les pays de l’Union européenne ont instauré un visa de transit aéroportuaire
qui s’impose aux Syriens souhaitant transiter par leur territoire
pour rejoindre un autre Etat. Mais l’obtention de ce genre de visa
est difficile et cette mesure permet aux Etats de renvoyer vers les
pays de départ les personnes qui en sont dépourvues.
67. Pour ceux qui sont parvenus à atteindre le territoire de l’Union
européenne, l’accueil réservé n’est pas nécessairement celui escompté.
Certains pays tels que l’Allemagne ou la Suède concèdent presque systématiquement
une telle protection, mais il n’en va pas de même dans les autres
Etats de l’Union européenne. Le HCR a ainsi exprimé son inquiétude
face aux tendances des Etats à octroyer une protection subsidiaire
ou des titres de séjour pour des raisons humanitaires et non pas
le statut de réfugié.
68. Ainsi, en Grèce, l’un des principaux points d’entrée des Syriens,
ces derniers rencontrent beaucoup d’obstacles pour enregistrer leur
demande d’asile et la rétention dans des conditions souvent contraires
aux droits de l’homme est pratique courante.
8. La réinstallation
en tant qu’outil de solidarité
69. Suite à l’afflux de réfugiés, le HCR a proposé que
les Etats mettent en place une politique de réinstallation ainsi
qu’un plan d’admission humanitaire. Ce dernier programme vise surtout
les personnes les plus vulnérables et se calque sur le plan d’admission
des Kosovars en 1999. J’aimerais rappeler que la réinstallation
comporte la sélection et le transfert de réfugiés d’un Etat dans
lequel ils ont cherché la protection à un Etat tiers qui a accepté
de les admettre comme réfugiés ayant le statut de résident permanent. L’admission
humanitaire, quant à elle, est un processus accordant une protection
similaire mais accélérée dans un pays tiers pour les réfugiés qui
en ont le plus besoin dans la région.
70. La réussite de ces propositions est conditionnée par l’engagement
des Etats. Malheureusement, ces propositions ne concernent qu’une
infime partie des réfugiés syriens. Elles concernent notamment les personnes
dites vulnérables ou les réfugiés pouvant apporter une contribution
à la reconstruction de la Syrie après la fin du conflit ou des personnes
qui ont des membres de leur famille résidant dans le pays concerné.
71. L’Allemagne a d’ailleurs été le premier pays à se porter volontaire
dans le cadre du programme d’admission temporaire de réfugiés syriens.
Ainsi plus de 40 000 Syriens vivent en Allemagne et ont été naturalisés.
72. Le Royaume-Uni a créé un plan de transfert de personnes vulnérables
pour les réfugiés syriens et a accepté 90 personnes. L’Irlande,
quant à elle a lancé un programme d’admission humanitaire syrienne
et a accepté 111 personnes. J’aimerais saisir l’occasion pour saluer
l’initiative prise de créer un groupe sur la réinstallation syrienne
qui est composé de pays de réinstallation et qui est présidé par
la Suède, en collaboration avec le HCR et qui permet ainsi aux pays
d’accueil d’échanger des informations sur la mise en œuvre de ces
programmes de réinstallation et d’admission humanitaire pour les
réfugiés syriens.
73. Je ne peux donc qu’encourager les Etats membres de notre Organisation
à suivre ces exemples et je ne peux qu’appuyer l’appel lancé par
les Nations Unies au mois de décembre 2014 aux pays donateurs de continuer
à accueillir le plus grand nombre de réfugiés syriens.
9. Conclusion et
recommandations
74. Face à la montée en puissance des actes de violence,
l’Assemblée parlementaire se doit de les condamner et d’appeler
les gouvernements à s’unir pour intimer l’ordre aux protagonistes
de mettre fin au plus vite aux massacres qui sont perpétrés.
75. Les Etats membres et non membres du Conseil de l’Europe se
doivent de mettre tout en œuvre pour trouver une solution visant
à l’instauration de la paix dans la région.
76. J’aimerais réitérer mon appel aux gouvernements des Etats
membres et observateurs du Conseil de l’Europe et aux Etats dont
le parlement bénéficie du Statut d’observateur ou de partenaire
pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire pour qu’ils
contribuent à poursuivre et à augmenter les livraisons d’aide humanitaire
et à renforcer leur assistance.
77. Enfin, il me paraît plus qu’indispensable de rappeler aux
Etats membres de l’Union européenne de mettre en œuvre la Directive
2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales
pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif
de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre
entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir
ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, et de
demander à tous les Etats de faire preuve de solidarité et de partage
de responsabilité.