1. Introduction
1. «J’ai grandi au sein d’une
famille très unie et j’étais fière d’en faire partie. Mais d’aussi
loin que je me souvienne, j’ai ressenti une certaine incongruité
par rapport à mon genre. J’étais persuadée d’être seule dans ce
cas. J’ai caché mon identité et me suis conformée aux attentes de
mes parents et de la société irlandaise de l’époque, dans les années
1960 et au-delà. J’ai construit une façade derrière laquelle je
me suis réfugiée et j’y ai invité les autres. Lorsqu’à l’âge de
43 ans, je me suis attaquée à un aspect essentiel de mon identité profonde,
je me suis heurtée à cette façade, avec toutes les conséquences
négatives que cela a entraîné pour nous tous.»
2. C’est avec ces mots que Vanessa Lacey, responsable Santé et
éducation auprès du Réseau irlandais pour l’égalité transgenre (TENI),
a livré son témoignage devant notre commission sur l’égalité et
la non-discrimination, le 24 mai 2013. C’est la première fois que
la commission choisissait de faire de l’identité de genre le thème
d’une audition plutôt que d’aborder le sujet dans le cadre de la
question plus générale de la protection des personnes LGBT (lesbiennes,
gays, bisexuelles et transgenres) contre la discrimination. Outre Mme Lacey,
la commission a entendu la présentation de Nicolas Beger, directeur
du Bureau des institutions européennes d’Amnesty International.
Pour certains d’entre nous, l’audition était la première occasion
qui s’offrait de rencontrer une personne transgenre et de discuter
de vive voix de son histoire et de sa réalité quotidienne. L’audition
a convaincu les membres de la commission que la situation des personnes
transgenres en Europe présente des spécificités telles qu’elle mérite
un examen à part entière, dans le cadre d’un rapport distinct.
3. Ce constat sert de toile de fond au présent rapport, visant
à compléter également les travaux déjà réalisés par l’Assemblée
parlementaire et le Conseil de l’Europe dans son ensemble s’agissant
de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre comme motifs
pour lesquels la discrimination est interdite, en l’occurrence la
Résolution 1728 (2010) de l’Assemblée sur la discrimination sur la base de
l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, la
Recommandation 2021 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et sur l’identité de genre» ainsi que la Recommandation
Rec(2010)5 du Comité des Ministres sur des mesures visant à combattre
la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité
de genre
.
4. Dans le présent document, j’aimerais cerner la question, apporter
des éclaircissements sur certains concepts et dresser un aperçu
des difficultés rencontrées par les personnes transgenres en Europe.
Cet exposé des motifs tient compte de l’échange de vues avec Mme Julia
Ehrt, directrice exécutive de Transgender Europe, organisé par la
commission le 2 juin 2014 à Paris, et des conclusions de ma visite
d’information au Royaume-Uni en décembre 2014.
2. Définitions
5. Les personnes transgenres ont
une identité de genre différente du genre qui leur a été attribué
à la naissance. Elles comprennent les personnes qui ont subi, subissent
ou prévoient de subir un traitement de conversion sexuelle ainsi
que celles qui, par préférence ou par choix, se présentent de façon
différente de ce que l’on attend du genre qui leur a été attribué
à la naissance. Le monde transgenre présente une grande diversité:
73 % des personnes transgenres ne s’identifient pas comme relevant
du modèle binaire de genre masculin–féminin.
6. L’
identité de genre fait
référence à l’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue
par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance,
y compris la conscience personnelle du corps et d’autres expressions
du genre, y compris l’habillement, le discours et les manières de se
conduire
.
7. La reconnaissance juridique du
genre correspond à la reconnaissance juridique de l’identité
de genre d’une personne, y compris du changement de prénom et de
marqueur de genre et autres informations liées au genre telles que
numéro de sécurité sociale dans les registres publics et les documents
importants.
8. Le traitement de conversion sexuelle ou traitement de confirmation du genre englobe
un ensemble de mesures médicales susceptibles d’inclure ou non des
interventions psychologiques, endocrinologiques et chirurgicales
visant à mettre en adéquation l’apparence physique d’une personne
avec son identité de genre. Le processus peut comprendre des consultations
auprès de psychologues, un traitement hormonal, une opération chirurgicale
de changement de sexe ou de genre (par exemple, une opération de
chirurgie faciale, des seins/de la poitrine, différentes interventions
de chirurgie génitale ou une hystérectomie), une stérilisation (entraînant
l’infertilité), une épilation définitive et une aide au travail
de la voix. Les personnes transgenres ne souhaitent pas toutes subir
tout ou partie de ces interventions et ne sont pas toutes en mesure
de le faire.
9. La transphobie désigne
un sentiment de peur et d’aversion à l’égard des personnes transgenres
ou de la non-conformité en matière de genre. Les manifestations
personnelles, structurelles ou institutionnelles de la transphobie
incluent la discrimination, la criminalisation, la marginalisation,
l’exclusion sociale et la violence pour des motifs fondés sur l’identité
de genre et l’expression du genre (perçues).
10. Je rappelle également que la Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul») est le premier instrument international
contraignant à proposer une définition du terme «genre», à savoir
«les rôles, les comportements, les activités et les attributions
socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés
pour les femmes et les hommes» (article 3).
3. Enquêtes et études
11. Les personnes transgenres existent dans tous les
secteurs de la société et dans tous les groupes d’âge, et elles
viennent de tous les horizons
. Toutefois, leur situation
est longtemps restée inexplorée ou sans description exacte ou précise.
Depuis quelques années, plusieurs enquêtes ont mis en lumière la
situation des personnes transgenres en Europe, notamment:
- Speaking
from the Margins: Trans Mental Health and Wellbeing in
Ireland (2013) du Réseau pour l’égalité transgenre (TENI) ;
- Trans Mental Health Study (2012),
du réseau Scottish Transgender Alliance, en partenariat avec les organisations
TransBareAll, the Trans Resource and Empowerment Centre, Traverse
Research et l’université de Sheffield Hallam;
- Be who you are. The life of
transgender people in the Netherlands (2012);
- The Trans Research Review,
étude commanditée par la commission britannique de l’égalité et
des droits de l’homme (2009) ;
- The Transgender Euro-study,
étude menée par TransGender Europe (TGEU) et par ILGA-Europe (2008) .
12. Par ailleurs, en 2013, l’Agence des droits fondamentaux de
l’Union européenne (FRA) a publié une enquête sur les expériences
des personnes LGBT s’agissant des crimes de haine et la discrimination,
étude fondée sur les réponses apportées à un questionnaire soumis
en ligne dans tous les Etats membres de l’Union européenne
. L’enquête a recueilli plus de 93 000 réponses
de la part de personnes s’identifiant comme LGB ou transgenres.
Le 9 décembre 2014, la FRA a publié «Being Trans in the EU», rapport
reposant sur l’analyse des informations fournies par plus de 6 500 personnes
à l’enquête LGBT – il s’agit de la plus grande étude empirique de
ce type jamais réalisée jusqu’à présent, comme le souligne l’Agence
. Parmi les autres études récentes,
citons «Etre transgenre en Belgique» (2010)
et «Trans and intersex people» du
Réseau européen d’experts juridiques dans le domaine de la non-discrimination,
publiée par la Commission européenne (2012)
.
13. En février 2014, Amnesty International a publié «L’Etat décide
qui je suis. Les personnes transgenres confrontées à des procédures
de changement d’état civil défaillantes ou inexistantes en Europe»,
rapport sur les personnes transgenres en Europe fondé sur une approche
respectueuse des droits de l’homme. Comme le titre l’indique, ce
rapport décrit les violations des droits de l’homme subies en Europe
par des personnes transgenres en quête de reconnaissance juridique,
soit parce que cette démarche n’est pas prévue par la législation
de leur pays, soit parce que cela implique certaines obligations
légales, telles que diagnostic psychiatrique, stérilisation et divorce
. Dans le rapport sont aussi formulées
des recommandations détaillées, dont certaines sont adressées à
des pays précis et d’autres à tous les gouvernements européens.
14. Le présent rapport s’inspire de ces publications, ainsi que
d’un document d’expert rédigé à mon intention par Transgender Europe.
4. S’attaquer au problème
de la discrimination: domaines clés
15. La discrimination fondée sur l’identité de genre
et sur l’expression du genre est grave et largement répandue dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe. Les personnes transgenres
se trouvent confrontées à plusieurs types de discrimination et de
difficultés dans tous les domaines de la vie: par exemple, discrimination
dans l’accès au travail, au logement et aux soins de santé, mais
aussi vulnérabilité aux infractions inspirées par la haine, au harcèlement
et aux violences physiques et sexuelles. Le niveau de discrimination
et d’hostilité rencontré par les personnes transgenres est grave,
en raison tant du rejet social dont elles font souvent l’objet que
de leur grande visibilité.
16. Les personnes transgenres sont plus particulièrement exposées
à la discrimination multiple, notamment dans le cas de personnes
handicapées, migrantes ou appartenant à une minorité nationale ou
ethnique. La discrimination dans l’accès à l’emploi peut en outre
favoriser la pauvreté et aggraver l’exclusion sociale: un cercle
vicieux qui, souvent, touche plus durement les jeunes transgenres.
17. Les personnes transgenres sont confrontées à des formes spécifiques
de discrimination, comme la stérilisation forcée, la dissolution
contrainte du mariage (sauf à obtenir la permission du conjoint,
en vertu de la législation du Royaume-Uni qui prévoit une clause
de «veto du conjoint») ou un diagnostic de maladie mentale, en tant
que conditions préalables à la reconnaissance juridique de leur
genre. En outre, les personnes transgenres se heurtent à des difficultés
pour accéder à des soins de santé ordinaires appropriés et à un traitement
de confirmation du genre.
4.1. Accès à l’emploi
18. Le travail est d’autant plus important pour les personnes
transgenres qu’il est souvent synonyme d’accès à une vie sociale
et qu’il permet de financer un traitement de conversion sexuelle.
19. Selon l’étude de la FRA, seules 49 % des personnes transgenres
ayant répondu (âgées de 18 à 81 ans) occupent un emploi rémunéré,
contre 38 % des personnes transgenres célibataires vivant dans la
pauvreté; soit plus du double que dans la population générale des
18 à 64 ans (14 %). Près d’un tiers (29 %) des demandeurs d’emploi
transgenres a fait l’objet de discrimination dans le cadre de leur
recherche d’emploi au cours des 12 derniers mois.
20. L’étude «Be who you are» a conclu qu’un pourcentage particulièrement
élevé (12 %) était déclaré inapte au travail. D’après des études
menées aux Pays-Bas, près de 30 % des personnes appartenant au groupe d’âge
des 15-64 ans qui ont subi un traitement de conversion sexuelle
et obtenu une reconnaissance juridique du genre, perçoivent certaines
prestations de chômage.
21. Les perspectives d’emploi ont une incidence directe sur la
décision des personnes transgenres de vivre en pleine adéquation
avec leur identité de genre. Bon nombre de celles qui ne vivent
pas à temps plein dans le rôle de genre souhaité agissent ainsi
par crainte de mettre en péril leur situation professionnelle
.
22. Dans sa Recommandation Rec(2010)5 sur des mesures visant à
combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou
l’identité de genre, le Comité des Ministres a formulé des recommandations
détaillées visant à améliorer la situation des employés transgenres
et demandé aux Etats membres de «veiller à l’adoption et à la mise
en œuvre de mesures appropriées assurant une protection efficace
contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou
l’identité de genre en matière d’emploi et de vie professionnelle
dans le secteur public ainsi que dans le secteur privé. Ces mesures
devraient concerner les conditions d’accès à l’emploi et aux promotions,
les modalités de licenciement, le salaire et autres conditions de
travail, y compris en vue de prévenir, combattre et punir le harcèlement
sexuel et les autres formes de victimisation». Le Comité des Ministres
a, par ailleurs, accordé une attention particulière «à la protection efficace
du droit à la vie privée des personnes transgenres dans le contexte
du travail, en particulier en ce qui concerne les candidatures à
un emploi».
4.2. Accès à la santé
23. L’état de santé des personnes transgenres est souvent
dégradé. La peur de la discrimination et de la stigmatisation compromet
leur santé mentale et physique. Cette tendance est renforcée par
leur tendance à éviter les services de santé, par anticipation de
l’accueil négatif/des attitudes discriminatoires des prestataires de
soins de santé. Dans une étude réalisée à l’échelle de l’Union européenne,
le sujet le plus souvent mentionné était le traitement inadéquat
ou brutal de la part des professionnels de santé
.
Dans l’enquête LGBT menée par la FRA, 21 % des personnes transgenres
ayant répondu ont mentionné la curiosité mal placée manifestée par
les prestataires de soins de santé, et 17 % la méconnaissance de
leurs besoins spécifiques dès lors qu’il s’agit de recevoir des
soins de santé ordinaires
. Résultat: les personnes transgenres
évitent généralement le plus possible les services de santé.
24. Les personnes transgenres recourent peu aux mesures de prévention
et de dépistage précoce, et ne font appel aux services de santé
qu’en cas d’urgence ou lorsque leur état de santé est déjà sérieusement détérioré.
Cette situation limite les possibilités d’intervention efficace
et augmente les dépenses tant pour les personnes concernées que
pour le système de santé.
25. Les personnes transgenres sont souvent en plus mauvaise santé
que la population en général. Les problèmes sanitaires et sociaux
les plus fréquents sont l’isolement, le risque d’alcoolisme, d’automutilation,
de toxicomanie et des taux plus élevés d’infection au VIH. Ainsi
les femmes transgenres courent-elles 49 fois plus de risques d’être
contaminées par le VIH que l’ensemble des adultes en âge de procréer
dans les 15 pays étudiés, d’où l’urgence d’appeler à la prévention,
au traitement et aux services de soins
.
26. Au cours de ma visite au Royaume-Uni, j’ai été informée, en
relation avec l’accès aux services médicaux, d’une forme spécifique
de discrimination subie par certaines personnes transgenres. Plusieurs
se sont ainsi vus refuser la possibilité de congeler leurs ovules
en vue d’une éventuelle fécondation in vitro une fois achevée la
transition de femme en homme. Ces cas semblent indiquer qu’il faut
davantage d’informations et des directives plus claires, afin d’éviter
toute forme possible de discrimination dans le domaine de la santé publique.
4.3. Accès au logement
27. L’accès à un logement sûr et abordable est une préoccupation
majeure de beaucoup de personnes transgenres. Les agressions commises
par des voisins et d’autres ainsi que le rejet de la part de leur
propre famille exposent davantage les personnes transgenres, surtout
les jeunes, au risque de se retrouver sans-abri.
28. Dans une étude menée à l’échelle des Etats-Unis sur les expériences
de discrimination vécues par les personnes transgenres, près d’un
cinquième (19 %) a indiqué s’être vu refuser un logement et 11 %
avoir été expulsées pour raison d’identité/expression de genre
.
Selon la même étude, plus de la moitié (55 %) des personnes se trouvant
sans abri du fait de leur situation de transgenre ou de transexuel(le)
(19 % des personnes interrogées) ont été harcelées par le personnel
ou par des résidents des foyers, soit par expulsion pure et simple
(
29 % des cas), soit par agression
sexuelle (22 %). Les personnes interrogées se retrouvant sans domicile
ont été particulièrement exposées à des mauvais traitements dans
les lieux publics, à des violences policières et à des problèmes
de santé.
29. Les personnes transgenres issues de l’immigration ou d’une
minorité sont particulièrement exposées au risque de se retrouver
sans abri. Le risque accru d’être victime d’une expulsion discriminatoire
touche même les organisations transgenres, comme en témoigne le
cas de l’Association grecque de soutien des personnes transgenres
qui a dû faire face à la résistance organisée d’autres locataires
réclamant son expulsion un mois seulement après son emménagement
.
30. Dans la recommandation susmentionnée, le Comité des Ministres
demande aux Etats membres de cibler les facteurs susceptibles d’accroître
la vulnérabilité au risque de se retrouver sans-abri encouru par
les personnes transgenres en mettant en place des programmes de
sécurité et de soutien du voisinage et en formant les agences compétentes
aux besoins spécifiques des personnes transgenres.
4.4. Accès à l’éducation
31. Les attitudes et conduites négatives envers les personnes
transgenres et la diversité de genre sont répandues dans les établissements
éducatifs. Ainsi, 10 % seulement des personnes transgenres ayant répondu
à l’étude de l’Agence des droits fondamentaux n’ont jamais remarqué
quoi que ce soit à ce sujet. Pour la majorité d’entre elles (69 %),
les attitudes et commentaires négatifs ont été monnaie courante
tout au long de leur scolarité
.
32. La stigmatisation touche le personnel et les élèves transgenres
dans leur développement personnel, leur estime de soi, leur bien-être
et a donc aussi des répercussions sur leurs performances scolaires/professionnelles,
beaucoup étant contraints de quitter l’école précocement. Malheureusement,
le personnel éducatif adopte parfois un comportement discriminatoire,
comme ce fut le cas pour cette jeune transgenre d’Athènes: l’administration
de son école n’a pas mis un terme aux agressions physiques et verbales
de la part du directeur, pas plus qu’elle n’a réagi à la tentative
d’autres étudiants de l’asperger de liquide inflammable et de la
brûler. Malgré le soutien du Médiateur grec, la jeune transgenre
a été contrainte de quitter son école
.
33. Les procédures de changement de prénom et de marqueur de genre
ne sont généralement accessibles qu’à l’âge de la majorité, d’où
les problèmes posés dans l’utilisation sexuée de certains locaux
(vestiaires, sanitaires, uniformes/écoles distincts en fonction
du sexe) et la participation à la vie quotidienne de l’école en fonction
de l’identité de genre de la personne.
34. La plupart des pays n’imposent pas de modifier les documents
officiels et les diplômes des étudiants transgenres, laissant cette
décision à l’appréciation de l’administration scolaire. Des mentions
divergentes dans les documents officiels peuvent considérablement
entraver l’accès à la suite des études et, au final, au marché de
l’emploi.
35. Au Royaume-Uni, selon Mme Alison
Pritchard, directrice du Government Equalities
Office, la nécessité de prendre en compte les besoins
des jeunes transgenres à l’école est mieux reconnue. Les établissements scolaires
doivent veiller à respecter les droits des élèves et à ne pas exercer
de discrimination fondée sur l’identité de genre. Il appartient
à chaque établissement de prendre les mesures qui s’imposent en
fonction de la situation spécifique et aussi des budgets disponibles.
4.5. Stéréotypes et
préjugés transphobes
36. Les personnes transgenres sont confrontées à l’incompréhension,
quand ce n’est pas au rejet. Selon une étude menée en Allemagne,
45 % des répondants comprennent peu ou pas du tout les personnes
qui changent de sexe ou en ont le projet
.
Ce résultat a été confirmé dans l’étude Eurobaromètre 2012 de l’Union européenne,
qui a révélé que seuls 8 % des répondants connaissaient personnellement
une personne transgenre, alors que 13 % n’avaient pas d’opinion
sur la prévalence de la discrimination envers les transgenres (comparés
à 8 % pour l’orientation sexuelle)
.
Le rapport soulignait que la diversité était davantage acceptée
dans la sphère publique, mais les personnes interrogées ont déclaré
se sentir mal à l’aise avec l’élection d’une personne transgenre
au plus haut poste politique.
37. Le fait de connaître personnellement une personne transgenre
est directement lié à une sensibilité plus grande aux expériences
de discrimination. A l’inverse, l’ignorance et les stéréotypes offrent
souvent un terreau fertile à l’hostilité et aux préjugés. Les médias
jouent un rôle essentiel à cet égard, comme l’illustre le lien direct entre
la représentation inadéquate des personnes transgenres dans les
médias et les agressions physiques ou verbales dont elles font l’objet
.
Une comparaison effectuée dans l’ensemble de l’Union européenne montre
que les commentaires désobligeants (44 %) et les insultes verbales
(27 %) sont les formes les plus courantes de harcèlement.
4.6. Infractions et
violences physiques motivées par la haine
38. Beaucoup de personnes transgenres sont victimes d’agressions
physiques et verbales en public. Selon l’enquête Transgender EuroStudy
(2008), 79 % des répondants ont déclaré avoir fait l’objet d’une
forme de harcèlement en public, allant de commentaires transphobes
à des agressions physiques, voire sexuelles. Ce phénomène est confirmé
par le rapport «Transphobic hate crime in the European Union» publié
par Press for Change en 2009.
39. Quasiment toutes les personnes visiblement transgenres font
l’expérience du harcèlement, des abus et de la violence en public.
Comme le souligne le Bureau des institutions démocratiques et des
droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH), les crimes et autres actes homophobes sont
marqués par un degré élevé de cruauté et de brutalité, et prennent
souvent la forme de passages à tabac, d’actes de torture, de mutilations,
de castrations et d’agressions sexuelles. Ils se soldent très souvent
par un décès. Les personnes transgenres semblent être encore plus
vulnérables au sein de cette catégorie
.
Actes de violence ou de harcèlement
les plus graves signalés à la police au cours des cinq dernières
années, commis en partie ou totalement parce que les victimes étaient
perçues comme LGBT (présentation par sous-groupes LGBT et en %)
Source: Etude FRA LGBT
40. La haine à l’égard des personnes transgenres qui
sous-tend les infractions n’est souvent signalée que par des organisations
non gouvernementales (ONG). Les auteurs d’actes de violence contre
les personnes transgenres sont très variés – des clients (dans le
cas de travailleurs du sexe transgenres), des gangs, la police ou
d’autres personnes. Les statistiques du Trans Murder Monitoring
Project de TGEU soulignent le caractère inquiétant de cette évolution,
comme le montre, par exemple, le nombre des meurtres signalés en Turquie
au cours des dernières années (2008: 4; 2009: 7; 2010: 7; 2011:
6; 2012: 6; 2013: 4)
. D’autres rapports concernant 11 pays
européens font état de 71 meurtres de personnes transgenres en cinq
ans
. Généralement, les victimes sont
des migrants ou des travailleurs du sexe, et souvent les deux.
41. Lorsqu’elles s’adressent aux prestataires de soins de santé,
à la police ou aux organes de promotion de l’égalité, les personnes
transgenres peuvent avoir du mal à obtenir de l’aide, car elles
redoutent les réactions transphobes, le chantage et de nouveaux
traumatismes. Parmi les personnes transgenres ayant répondu à l’étude
FRA LGBT, 76 % ont déclaré ne pas avoir signalé les incidents les
plus graves, pas même à la police. Les attitudes négatives des forces
de l’ordre envers les travailleurs et travailleuses du sexe transgenres
ont un impact majeur sur la sûreté et la sécurité de ces personnes
.
42. Pour beaucoup de personnes transgenres, le rejet, les brimades
et la violence commencent au sein de la famille. La menace permanente
de violence affecte négativement leur développement et leur épanouissement
personnels. Il leur est souvent impossible de se tourner vers d’autres
pour obtenir de l’aide, car l’aveu des violences domestiques revient
à en évoquer les causes et donc à se dévoiler au grand jour, avec toutes
les conséquences négatives qui peuvent en résulter
.
De plus, les tensions qui pèsent sur une personne souvent isolée,
qui n’a pas de contact avec d’autres personnes transgenres ou ne
bénéficie pas d’un soutien adapté, sont souvent la cause de sérieux
problèmes de santé mentale pour les transgenres et leurs collectivités.
5. Suicide et tentatives
de suicide chez les personnes transgenres
43. La fréquence de cas d’automutilation, de suicide
et de tentative de suicide est beaucoup plus élevée parmi les personnes
transgenres que dans le reste de la population. Bien que cette situation
soit plus largement explorée aux Etats-Unis qu’en Europe, certaines
des études européennes plus récentes que j’ai mentionnées fournissent
des informations intéressantes. Une étude de 2008 réalisée par TransGender
Europe (TGEU) et par ILGA-Europe fait état d’un taux de tentative
de suicide de 30 % parmi les personnes transgenres. Ainsi, selon
l’étude britannique sur la santé mentale des personnes transgenres
(Trans Mental Health Study) réalisée en 2012, 84 % des personnes
interrogées déclarent avoir envisagé de mettre fin à leur vie au
moins une fois
– parmi ces personnes, 65 % y
ont songé au cours de l’année écoulée, et 3 % tous les jours. Le
haut pourcentage de personnes interrogées ayant réellement tenté
de se suicider, 48 %, est inquiétant.
Speaking
from the Margins, l’enquête irlandaise menée en 2013,
arrive à des conclusions semblables.
44. En France, les résultats d’une enquête réalisée par Internet
en 2009 sur 90 jeunes transgenres indiquent une tendance semblable
. Le risque suicidaire est particulièrement
élevé parmi les enfants et les adolescents. Le sort tragique de
Leelah Alcon, une jeune transgenre américaine qui s’est suicidée
récemment, est un cas qui a eu une grande visibilité dans les médias,
mais il est loin d’être isolé
.
45. Les suicides et les tentatives de suicide sont la conséquence
d’une souffrance et, à leur tour, génèrent davantage de souffrance
parmi les victimes et leur entourage. Ils sont aussi des appels
à l’aide. Nul ne doit rester sourd à cet appel: je suis convaincue
que l’on peut et doit faire beaucoup pour prévenir le suicide et
la souffrance qui y conduit. Les mesures de prévention du suicide
doivent comprendre des activités de sensibilisation et des campagnes
d’information à l’intention des personnes transgenres et du grand
public, ainsi qu’une formation spécifique des personnes travaillant
à la prévention du suicide. Des campagnes d’information et d’autres
activités de prévention devraient être menées conjointement par
des organisations de personnes transgenres et des organismes caritatifs
spécialisés dans la prévention des suicides.
46. Au Royaume-Uni, la stratégie de prévention du suicide adoptée
par le gouvernement en 2012 tient compte de la spécificité des situations
et des différentes approches nécessaires. Ainsi des fonds sont-ils alloués
pour étudier comment adapter les interventions au profit de la santé
mentale de certaines catégories de population, telles que les groupes
ethniques noirs et minoritaires et les personnes homosexuelles, bisexuelles
et transgenres
. En Ecosse, la stratégie de prévention
du suicide 2013-2016 a également identifié les personnes LGB et
transgenres comme groupes de population à haut risque.
47. Des spécialistes expliquent que la principale motivation du
suicide n’est pas un désir de mourir, mais bien plutôt la volonté
de mettre fin à une souffrance. En Europe, il est tout à fait possible
d’améliorer la qualité de vie des personnes transgenres. Certes,
des activités de prévention du suicide s’imposent, mais il est également
nécessaire de s’attaquer à ses causes profondes, qui englobent toutes
les formes de discrimination et de violence. La discrimination expose
les personnes transgenres à des épreuves et, si elle était éradiquée, la
qualité de vie des personnes transgenres s’améliorerait et les taux
de suicide baisseraient certainement. Même les thérapies de conversion,
qui visent à convaincre une personne transgenre de renoncer à son
identité de genre et de s’identifier au sexe attribué à la naissance,
représentent souvent une forme de violence psychologique et peuvent
également aggraver des tendances suicidaires.
48. Je tiens à souligner que, comme le montrent les études menées
en la matière, la fréquence des suicides et des tentatives de suicide
chez les personnes transgenres diminue après le changement de sexe;
ce qui indique bien que cette démarche entraîne une radicale amélioration
de la satisfaction et de la qualité de vie.
6. Protection juridique
contre la discrimination
49. Seuls 21 Etats membres du Conseil de l’Europe ont
explicitement fait de l’identité de genre un motif interdit de discrimination,
soit dans leur cadre juridique général de lutte contre la discrimination,
soit dans les lois anti-discrimination propres à certains secteurs
spécifiques. C’est le cas de l’Allemagne, qui a promulgué une loi
sur l’égalité protégeant les droits des personnes transgenres dans
le domaine de l’emploi, y compris leur droit à rectification de
leurs certificats de travail
. Dans d’autres pays, l’identité de
genre est couverte par le motif «sexe», explicité par la jurisprudence
.
Il convient de souligner que mon pays, Malte, a fait ces dernières
années d’énormes progrès en matière de lutte contre la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Il est
devenu, en avril 2014, le premier pays européen et le deuxième au
plan mondial à inscrire dans sa Constitution l’identité de genre
en tant que motif interdit de discrimination
.
50. Les directives de l’Union européenne récemment adoptées dans
le domaine des droits des victimes
, de
l’asile
et le projet de Règlement général
sur la protection des données font explicitement référence à la non-discrimination
fondée sur des motifs tels que l’expression ou l’identité de genre.
51. Ni l’orientation sexuelle ni l’identité de genre ne sont expressément
mentionnées comme motifs interdits de discrimination dans la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5).
Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»)
a estimé qu’elles entraient dans le cadre de l’expression «ou toute
autre situation» de l’article 14. La jurisprudence pertinente comprend
notamment les arrêts suivants:
- Grant c. Royaume-Uni , dans lequel la Cour a
estimé que l’Etat avait contrevenu au droit à la vie privée et familiale
d’une transsexuelle en refusant de lui verser sa pension à l’âge
de la retraite applicable aux femmes;
- Van Kück c. Allemagne , dans lequel la Cour a
conclu à la violation du droit de la plaignante à un procès équitable
parce que les tribunaux nationaux ont ignoré une expertise médicale
établissant la nécessité de son traitement de conversion et demandé
à la requérante de prouver qu’elle n’avait pas elle-même provoqué
sa transsexualité. Selon la Cour, «la détermination de la nécessité
de mesures de conversion sexuelle en fonction de leur effet curatif
sur un transsexuel n’est pas affaire d’appréciation juridique». Considérant
que «l’identité sexuelle est l’un des aspects les plus intimes de
la vie privée de l’individu», elle a jugé disproportionné d’exiger
d’une personne placée dans pareille situation qu’elle prouve la nécessité
médicale d’un traitement;
- Schlumpf c. Suisse , dans
lequel la Cour a estimé qu’un délai d’observation obligatoire de
deux ans avant une chirurgie de conversion sexuelle, sans tenir
compte des besoins de la personne, en l’occurrence son âge avancé
(67 ans), et les avis médicaux très favorables à la prise en charge
des dépenses de l’opération, constituait une violation du droit
à la vie privée. La Cour a rappelé que la Convention garantissait
le droit à l’épanouissement personnel et réitéré que le concept
de «vie privée» pouvait inclure des aspects de l’identité de genre.
La protection contre la discrimination a une nouvelle fois été soulignée
par la déclaration explicite de la Cour dans l’affaire P.V. c. Espagne , selon laquelle la
transsexualité était indubitablement incluse dans la clause finale
de l’article 14 de la Convention.
7. Accès au traitement
de conversion sexuelle
52. En règle générale, les personnes transgenres qui
décident d’entreprendre un traitement de conversion sexuelle font
état d’une amélioration ultérieure de leur qualité de vie. Selon
une étude britannique/irlandaise, 70 % d’entre elles étaient plus
satisfaites de leur vie après avoir changé de sexe et seules 2 %
l’étaient moins, ces dernières évoquant les mauvais résultats de
l’intervention chirurgicale ou déclarant avoir perdu des amis, des
membres de leur famille ou leur emploi, être confrontées au quotidien
à la transphobie et à des problèmes non liés à leur conversion sexuelle.
53. Le manque général de compétences et de ressources constitue
l’un des principaux obstacles rencontrés par les personnes transgenres
dans l’accès à des soins de santé spécialisés. Parmi les personnes
désireuses d’entreprendre une conversion sexuelle, 80 % ont essuyé
un refus de prise en charge au titre du régime de protection de
la santé en vigueur; 50 % de celles qui ont essuyé un refus ont
payé le traitement elles-mêmes
. Compte
tenu de cette couverture publique limitée, il serait d’autant plus
important de mettre en place des politiques et directives publiques
établissant clairement que le traitement de conversion sexuelle
doit être pris en charge par des régimes publics d’assurance au
même titre que n’importe quel autre traitement médical nécessaire.
Autre sujet inquiétant, le fait que beaucoup de compagnies d’assurance
médicale privées refusent les personnes transgenres ou exigent des
primes d’assurance plus élevées.
54. Le Comité des Ministres a souligné que «toutes décisions limitant
la couverture par l’assurance maladie des coûts d’une procédure
de changement de sexe doivent être légales, objectives et proportionnées»
. Vingt-huit
Etats membres du Conseil de l’Europe offrent aux personnes transgenres
la possibilité d’entreprendre un traitement de conversion sexuelle
totale ou partielle
. Les possibilités
offertes varient beaucoup d’un Etat à l’autre, certains disposant
de centres d’expertise de qualité alors que d’autres ne proposent
qu’une partie des traitements nécessaires
.
Dans les pays ne disposant pas des structures nécessaires, les personnes
qui souhaitent entreprendre une conversion sexuelle se rendent à
l’étranger (dans certains Etats membres, on leur conseille explicitement
de le faire). Les protocoles de traitement diffèrent selon les pays
et ne répondent souvent pas aux normes médicales internationales
.
55. Quelques cas ont été portés devant la Cour européenne des
droits de l’homme. Dans l’affaire G.G.
c. Turquie, qui est actuellement pendante, la requérante
se fonde sur les articles 3 et/ou 8 de la Convention pour contester
le refus des autorités turques de prendre en charge le traitement
alors qu’il était jugé «impératif et urgent» par les tribunaux et
les médecins. Le 10 mars 2015, dans l’affaire Y.Y.
c. Turquie relatif au refus par les autorités turques
d’autoriser la chirurgie de changement de sexe du fait que la requérante
n’était pas dans l’incapacité définitive de procréer, la Cour a
conclu à l’unanimité à une violation de l’article 8 (droit au respect de
la vie privée et familiale) de la Convention.
56. Le diagnostic de «dysphorie de genre» ou trouble de l’identité
de genre ou autre processus analogue est obligatoire dans la plupart
des pays européens pour pouvoir prétendre à un traitement de conversion sexuelle
et à la plupart des procédures de reconnaissance juridique du genre.
Les protocoles de traitement nationaux ont recours à des définitions
adaptées de la «dysphorie de genre» de la Classification internationale des
maladies (CIM) de l’OMS
. Toute une série de codes est prévue
pour classer les personnes à identité transgenre: par exemple, Transsexualisme
(F 64.0), Trouble de l’identité sexuelle de l’enfance (F 64.2),
Autres troubles de l’identité sexuelle (F 64.8), Trouble de l’identité
sexuelle, sans précision (F 64.9),Transvestisme fétichiste (F 65.1)
ou Travestisme bivalent (F 64.1)
. Les défenseurs des droits de l’homme
ont vivement critiqué ces diagnostics, les qualifiant de stigmatisants
et de facteurs propices à l’exclusion sociale des personnes transgenres,
sans aucun bénéfice pour leur bien-être physique ou mental. La Suède,
la Norvège et la Finlande ont retiré de leur classification nationale
le Travestisme bivalent (F.64.1), le Fétichisme (F.65.0), le Transvestisme
fétichiste (F65.1) et les Troubles multiples de la préférence sexuelle
(F65.6), compte tenu de leur absence de valeur thérapeutique.
57. J’aimerais faire part de certains progrès dans ce domaine.
Le 11 juin 2014, le Parlement danois a modifié les procédures de
reconnaissance du genre, supprimant les diagnostics et toutes autres
obligations médicales, devenant ainsi le premier pays d’Europe à
fonder la reconnaissance du genre entièrement sur l’autodétermination
de la personne transgenre
. Le 16 mai 2014, le Tribunal administratif
de Stockholm a rejeté la pratique consistant à interpréter la loi
suédoise sur le changement juridique de genre comme exigeant une
évaluation et un diagnostic psychiatriques (la décision a été portée
en appel)
.
58. La couverture des coûts d’un traitement de conversion sexuelle
dépend de l’établissement d’un diagnostic de trouble de l’identité
de genre ou équivalent. L’étiquette «troubles mentaux» renforce
la stigmatisation ainsi que les risques de préjugés et de discrimination,
tout en accentuant la vulnérabilité des personnes transgenres à
la marginalisation sociale et juridique et à leur exclusion. Le
diagnostic de troubles mentaux contribue ainsi à la fragilisation
du bien-être mental et physique. Parmi les personnes transgenres ayant
participé à une étude allemande, 63 % estimaient que le diagnostic
de trouble de l’identité de genre était source d’une grande détresse.
59. Même lorsque les services de santé publique prennent en charge
les traitements de conversion sexuelle, il peut être difficile d’y
avoir accès dans la pratique. Au Royaume-Uni, mes interlocuteurs
m’ont expliqué, à l’occasion de ma visite sur place, que le service
national de santé manquait de chirurgiens spécialisés dans ce type
d’interventions. Par conséquent, les listes d’attente sont longues
et les délais excessivement prolongés.
60. Un groupe de spécialistes internationaux de la santé des personnes
transgenres est chargé de développer de nouveaux modèles de classification
du point de vue de l’identité de genre, afin de contribuer à la
révision actuelle de la classification internationale des maladies
(CIM), et ce afin de faciliter l’accès à une couverture médicale
sans avoir à passer par des diagnostics stigmatisants
. La campagne internationale «Stop
Trans Pathologisation – STP 2012» demande le retrait des catégories
«dysphorie de genre»/«trouble de l’identité de genre» de la liste
de l’OMS
. La World Professionals Association
of Transgender Health (WPATH) appelle quant à elle à une dépsychopathologisation
de la diversité sexuelle et invite instamment les organisations
gouvernementales et des professionnels de la santé à réexaminer
leurs politiques et pratiques afin d’éliminer toute stigmatisation
des personnes dont l’identité sexuelle est floue
. Le Réseau espagnol pour la dépathologisation
des identités trans a élaboré un modèle de bonne pratique sur les
soins de santé aux personnes transgenres, dans un esprit de consentement
éclairé
.
8. Reconnaissance
du genre
61. Pour beaucoup de personnes transgenres, la reconnaissance
juridique de leur genre est un facteur essentiel pour participer
pleinement à la société et vivre dans la dignité, à l’abri de toute
discrimination. En dépit des nombreux arrêts rendus par la Cour
européenne des droits de l’homme rappelant l’obligation positive
qui incombe aux Etats de prévoir la reconnaissance du genre, seuls
34 pays européens ont introduit dans leur législation des dispositions
sur la reconnaissance de l’identité de genre des personnes transgenres. L’existence
des personnes transgenres se trouve ainsi niée de fait dans un quart
des Etats membres du Conseil de l’Europe. Les procédures, lorsqu’elles
existent, sont souvent très longues et fastidieuses. Toutes les
législations en vigueur régissant la reconnaissance du genre présentent
un vide juridique et médical.
62. Bien trop souvent, les exigences requises pour prétendre à
la reconnaissance du genre contraignent les intéressés à abandonner
un droit de l’homme pour en gagner un autre. En Europe, 23 pays
imposent une opération de stérilisation en préalable à la reconnaissance
légale du genre. L’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe a fait remarquer d’un ton critique que les personnes
transgenres «sont apparemment le seul groupe en Europe soumis à
une stérilisation prescrite légalement et imposée en pratique par
l’Etat»
. Parmi les autres
exigences parfois posées, on peut citer le diagnostic de troubles
mentaux, un traitement médical et une chirurgie invasive, l’internement
psychiatrique d’office
,
une estimation de la période vécue sous la nouvelle identité de
genre et le fait d’être célibataire ou divorcé. De tels critères
violent la dignité, l’intégrité physique, le droit de fonder une
famille et de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant
de la personne.
63. Le projet TvT Legal and Health Care Mapping
mené par TGEU montre que dans certains
pays, alors que la reconnaissance juridique du genre est possible
en théorie, il n’en va pas de même dans la pratique. Les demandes
déposées par les personnes transgenres sont souvent retardées, refusées
ou jugées non recevables sans droit de recours, ou font l’objet
d’une incertitude juridique quant à la procédure. Une autre difficulté
pratique se pose lorsque la procédure de reconnaissance juridique
du genre ne prévoit pas la modification des documents officiels
précédemment délivrés par l’Etat ou des acteurs privés. Les registres
de population qui utilisent des marqueurs de genre codés numériquement
sont susceptibles de poser un problème supplémentaire. Ainsi, le
dernier chiffre du numéro de sécurité sociale danois (impair pour
les hommes, pair pour les femmes), largement usité par exemple pour
ouvrir un compte bancaire ou obtenir un numéro d’inscription à l’université,
mentionne clairement le genre enregistré à la naissance car il ne
change pas au cours de la vie.
64. Les personnes transgenres à qui l’on n’a pas posé le bon diagnostic
ou ne répondant pas à d’autres exigences médicales, ne peuvent prétendre
à une reconnaissance officielle de leur identité de genre. C’est
le cas pour un pourcentage important de la population transgenre
européenne. Selon une étude de l’Union européenne sur les expériences
de discrimination vécues par les LGBT (FRA 2012), 73 % des personnes transgenres
ayant répondu ne s’identifient pas selon le modèle binaire de genre.
De même, celles qui ne sont pas en mesure de se soumettre aux procédures
médicales requises, ne le souhaitent pas ou en sont exclues en raison
des restrictions d’âge imposées n’ont pas accès à ces procédures
et aux droits connexes.
65. Les processus longs et fastidieux ont diverses répercussions
pour les personnes transgenres: elles ont un accès fortement limité
(voire nul) au marché de l’emploi; elles rencontrent des difficultés
pour voyager; elles sont parfois contraintes de divorcer et sont
sources de tensions familiales; elles n’ont pas droit à la reconnaissance
officielle des partenariats et sont victimes de discrimination de
la part d’acteurs étatiques et non étatiques. Elles ont également
du mal à revendiquer leurs droits compte tenu des difficultés à
déposer plainte pour discrimination lorsque les documents d’identité
ne reflètent pas le genre présenté de la personne. L’Agence des
droits fondamentaux (2008, 2010, 2011) établit un lien entre certaines
exigences telles que la stérilisation, la chirurgie génitale, le
diagnostic de troubles mentaux ou les limites d’âge inscrites dans
la législation nationale relative à la reconnaissance du genre et
les échecs dans l’accès à l’éducation ou à l’emploi.
66. En conclusion, le manque de procédures de reconnaissance du
genre rapides, accessibles et transparentes marginalise encore davantage
un groupe d’ores et déjà touché par l’exclusion sociale. Les personnes
transgenres ayant répondu à l’enquête de 2012 sur les LGBT menée
par l’Union européenne ont sans surprise avancé qu’une amélioration
des procédures de reconnaissance du genre est un facteur essentiel susceptible
de contribuer à leur acceptation sociale et à un meilleur bien-être.
67. Fait positif, un changement d’attitude et des actions en faveur
d’une réforme juridique sont observés dans de nombreux pays européens,
résultat d’une prise de conscience accrue dans laquelle la société
civile et les organisations internationales, dont le Conseil de
l’Europe, sont de véritables moteurs du changement. Les parlements
suédois et néerlandais ont aboli, respectivement en 2011 et 2013,
l’obligation de stérilisation préalablement à toute modification
des documents. Les tribunaux autrichiens et allemands avaient précédemment
déclaré certaines dispositions juridiques similaires contraires
aux droits de l’homme et, de ce fait, nulles.
68. Ainsi que cela a déjà été indiqué, le Parlement danois a récemment
modifié les procédures de reconnaissance du genre, en supprimant
la stérilisation et toute autre obligation médicale. Les nouvelles dispositions
danoises marquent un tournant et constituent les premières dispositions
législatives en Europe à énoncer le principe de l’autodétermination.
Ces dispositions permettent d’obtenir une reconnaissance juridique du
genre en demandant un nouveau numéro de sécurité sociale. Elles
n’imposent de subir ni une intervention chirurgicale ni des traitements
comme une thérapie de remplacement hormonal. La loi instaure une
période de réflexion (il faut confirmer la demande six mois après
l’avoir déposée) et un âge minimum de 18 ans.
69. Le Parlement irlandais examine actuellement un projet de loi
sur la reconnaissance juridique du genre, mais ce texte n’est pas
fondé sur l’autodétermination. Michael O’Flaherty, éminent juriste
irlandais spécialisé dans les droits de l’homme et ancien rapporteur
du groupe d’experts ayant rédigé les Principes de Yogyakarta, a
critiqué ce projet de loi, qui, selon lui, ne respecte pas la dignité
des personnes transgenres et n’est pas conforme aux bonnes pratiques
internationales
. J’estime que les législateurs européens
qui entreprennent de légiférer sur la question de la reconnaissance
du genre devraient maintenant s’inspirer de modèles plus récents
et plus novateurs.
70. Le 4 mars 2015, le Parlement de Malte a voté à l’unanimité
en deuxième lecture le projet de loi sur l’identité de genre, l’expression
du genre et la loi sur les caractéristiques liées au sexe. Au moment
où je rédige ce rapport, la dernière lecture du projet est attendue
pour permettre l’adoption. L’opposition a déclaré qu’elle votera
en faveur de la loi, qui devrait être adoptée d’ici la fin du mois
de mars 2015. Ce texte exhaustif est l’un des plus avancés dans
ce domaine. Il précise que tous les citoyens et résidents permanents
de Malte ont droit à la reconnaissance de leur identité de genre,
au libre développement de leur personne selon leur identité de genre,
à être traités conformément à leur identité de genre et à l’intégrité
corporelle et à l’autonomie physique. Ce «droit à l’identité de
genre» est d’une importance majeure. La reconnaissance juridique
du genre n’est plus considérée comme une question sociale ou médicale,
mais plutôt comme un moyen de mettre en œuvre le droit de toute
personne à son identité de genre. Je suis convaincue que c’est la
seule bonne manière, fondée sur les droits de l’homme, de légiférer
en la matière. Elle est magnifiquement illustrée par la disposition
de la loi selon laquelle l’identité de genre de toute personne doit
être respectée en toutes circonstances.
9. Conclusions
71. Les personnes transgenres souffrent d’une grande
vulnérabilité à une large gamme de comportements discriminatoires
et hostiles; cela fait longtemps que leur situation est négligée
ou sous-estimée et qu’elle n’est pas traitée de manière effective.
72. Les questions liées aux personnes transgenres sont peu connues
et mal comprises du grand public. Il reste beaucoup à faire pour
sensibiliser aux droits des personnes transgenres et à leurs besoins
spécifiques. A cette fin, il est nécessaire de donner des informations
pertinentes, exactes et impartiales dans les médias et dans le cadre
des programmes scolaires.
73. La sensibilisation des pouvoirs publics s’est améliorée ces
dernières années. En témoigne l’adoption de réformes importantes
des dispositions concernant les personnes transgenres, notamment
en matière de reconnaissance juridique du genre. Cette évolution
ne s’observe cependant pas dans tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe. Lors de l’élaboration du présent rapport, mon principal
objectif a donc été de donner aux législateurs des informations
sur les difficultés que les personnes transgenres rencontrent actuellement
en Europe et sur les législations les plus protectrices et innovantes
mises en place à ce jour en Europe.
74. J’espère sincèrement que ce rapport contribuera à une plus
grande égalité et au respect des droits et de la dignité de tous
les êtres humains, sans discrimination.