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Rapport | Doc. 13808 | 08 juin 2015

Les personnes portées disparues pendant le conflit en Ukraine

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Jim SHERIDAN, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13682, Renvoi 4107 du 30 janvier 2015. 2015 - Troisième partie de session

Résumé

Le présent rapport présente un aperçu du problème actuel des personnes portées disparues au cours du conflit en Ukraine, y compris le nombre de civils, de volontaires et de militaires portés disparus, de personnes disparues en Crimée, ainsi que le nombre de militaires russes portés disparus. Il s’arrête en particulier sur les besoins des proches de ces personnes et de l’assistance qui devrait leur être offerte. Il souligne qu’il incombe avant tout aux autorités ukrainiennes et russes, ainsi qu’aux groupes séparatistes qui contrôlent les territoires des régions de Donetsk et de Lougansk, d’aider les familles des personnes disparues en matière de recherches et, le cas échéant, d’identification sans délai des restes de leurs proches.

Les autorités devraient aussi mettre en place le cadre juridique et les mécanismes nationaux nécessaires pour régler le problème des personnes disparues. A l’instar d’autres pays européens qui ont traité le problème des personnes disparues, il est capital de créer un mécanisme conjoint (groupe de travail) chargé de la question des personnes disparues pendant le conflit en Ukraine et d’assurer l’efficacité de son fonctionnement. L’ensemble des parties au conflit devraient accélérer le processus d’identification des corps exhumés en recourant à tous les moyens disponibles, notamment: comparaisons ADN, comparaison de données ante et post mortem et identification visuelle, selon les préconisations des médecins légistes. Elles devraient aussi fournir une assistance financière, médicale et sociale aux familles concernées. Le Conseil de l’Europe pourrait aussi jouer un rôle dans le processus en cours pour faire la lumière sur le sort et la localisation des personnes disparues en lien avec le conflit en Ukraine, et mettre à disposition tout savoir-faire pertinent, notamment dans le cadre de programmes de coopération.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 3 juin 2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est extrêmement préoccupée par le nombre croissant de cas de personnes portées disparues signalés dans les zones d’opérations militaires des régions ukrainiennes de Donetsk et Lougansk, ainsi qu’en Crimée.
2. Depuis l’amorce du conflit dans ces zones début 2014, plus de 1 300 personnes ont été portées disparues. Ce chiffre, qui tient uniquement compte des données recueillies par les autorités ukrainiennes, est sans aucun doute plus élevé en réalité. Parmi ces personnes portées disparues ne figurent pas uniquement des soldats, mais également des civils, et notamment des bénévoles venus porter secours aux victimes du conflit. On ignore leur sort et le lieu où elles se trouvent et il est difficile de le déterminer, car ce lieu se situe très probablement sur le territoire qui reste sous le contrôle des groupes séparatistes.
3. L’Assemblée salue les initiatives prises par les autorités ukrainiennes pour déterminer le sort et l’endroit où se trouvent des personnes portées disparues. Elle se félicite notamment de la création d’un Centre interministériel d’aide à la libération des captifs et des otages et de recherche des personnes portées disparues, placé sous la tutelle du service de Sûreté de l’Etat, et de la mise en place d’un registre unique des enquêtes menées dans le cadre d’une instruction judiciaire (y compris une base de données des échantillons d’ADN prélevés sur les corps des personnes dont l’identité est inconnue et sur les parents des personnes portées disparues) au sein du ministère de l’Intérieur, qui ont considérablement facilité la procédure d’identification de personnes portées disparues.
4. En parallèle, l’Assemblée estime cependant que la question des personnes portées disparues doit être abordée de manière plus approfondie par le gouvernement et qu’elle devrait notamment passer par la coordination de l’action menée par diverses organisations de défense des droits de l’homme et de bénévoles pour localiser les personnes portées disparues et recueillir des informations à leur sujet. En outre, l’aide médicale, sociale et financière proposée aux familles des personnes portées disparues est en grande partie insuffisante.
5. L’Assemblée souligne que le seul moyen de régler le problème des personnes portées disparues ne peut être résolu que par une action conjointe de toutes les parties au conflit. C’est pourquoi l’Assemblée invite instamment l’Ukraine, la Fédération de Russie et les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés des régions de Donetsk et Lougansk:
5.1. à prendre des mesures efficaces en matière d’enquête et d’aide aux familles à l’égard de tous les cas signalés de personnes portées disparues, conformes au droit international humanitaire;
5.2. à mettre en commun les informations dont ils disposent sur le sort et le lieu où se trouvent des personnes portées disparues et la restitution, le cas échéant, des corps des personnes dont l’identité est inconnue aux parties respectives au conflit;
5.3. à mettre en place un mécanisme conjoint (groupe de travail) en charge de la question des personnes portées disparues et de veiller à son bon fonctionnement, afin qu’il:
5.3.1. collecte et traite les informations relatives aux personnes portées disparues;
5.3.2. établisse une liste récapitulative des personnes portées disparues;
5.3.3. prenne des mesures efficaces permettant de localiser, de retrouver et d’identifier les restes humains;
5.3.4. assure l’accès aux lieux d’inhumation;
5.3.5. communique aux membres des familles des personnes portées disparues des informations complètes sur l’état d’avancement de leur dossier;
5.3.6. associe et coordonne l’action des organisations non gouvernementales et de bénévoles qui se chargent de localiser les personnes portées disparues;
5.4. à recueillir de manière systématique les données post-mortem provenant des corps des personnes dont l’identité est inconnue, ainsi que les échantillons d’ADN prélevés sur les familles des personnes portées disparues;
5.5. à accélérer le processus d’identification des corps exhumés, en recourant à tous les moyens disponibles, y compris l’appariement des empreintes génétiques, le rapprochement des données ante et post-mortem et l’identification visuelle, en fonction de l’appréciation des experts médico-légaux;
5.6. à dispenser une aide financière, médicale et sociale aux familles des personnes portées disparues;
5.7. à faciliter l’accès et l’activité des organisations de la société civile et des organisations humanitaires internationales qui localisent les personnes portées disparues ;
5.8. à encourager les médias de masse à attirer l’attention de l’opinion publique sur le problème des personnes portées disparues.
6. Par ailleurs, l’Assemblée invite instamment les autorités ukrainiennes:
6.1. à créer un mécanisme gouvernemental spécifique, en charge de la coordination de l’action de tous les organes gouvernementaux et non gouvernementaux qui traitent de la question des personnes portées disparues, et notamment:
6.1.1. à veiller à ce qu’il dispose de moyens budgétaires suffisants pour assurer son bon fonctionnement;
6.1.2. à mettre en place et conserver un registre unique de données relatives aux personnes portées disparues pendant le conflit en Ukraine;
6.1.3. à affecter un financement suffisant aux opérations de localisation;
6.1.4. à élaborer un mécanisme d’indemnisation et d’aide de l’Etat aux familles des personnes portées disparues et veiller à ce que les familles concernées soient informées de l’existence de ce mécanisme;
6.1.5. à associer à son action les organisations non gouvernementales, les associations de bénévoles et les représentants des familles de personnes portées disparues;
6.2. à insérer dans la législation une disposition qui garantisse le droit des familles à connaître le sort encore inconnu subi par leurs membres à l’occasion du conflit armé et des violences internes, conformément aux dispositions pertinentes du droit international humanitaire;
6.3. à renforcer les mesures légales qui visent à remédier au problème des personnes portées disparues, et notamment à envisager l’adoption d’une loi particulière relative aux personnes portées disparues qui mettrait en place un statut juridique de «disparu» et de «victime de guerre», ce qui permettrait aux familles concernées de bénéficier d’une aide financière, sociale et juridictionnelle incluant un mécanisme de compensation de l’Etat;
6.4. à satisfaire aux besoins des chefs de familles monoparentales de personnes portées disparues, en tenant compte des besoins particuliers des femmes et des enfants;
6.5. à renforcer les capacités nationales spécialisées d’expertise médico-légale et de localisation et à encourager ceux qui les exercent à assimiler l’expérience acquise par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à cet égard;
6.6. à mettre en place un programme adéquat de formation juridique et de sensibilisation de tous les fonctionnaires concernés par la mise en œuvre des dispositions légales et des procédures administratives ayant trait aux droits des familles des personnes portées disparues ;
7. L’Assemblée invite instamment les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés des régions de Donetsk et Lougansk:
7.1. à libérer tous les prisonniers et otages capturés;
7.2. à créer un mécanisme local qui gère les questions des personnes capturées et portées disparues;
7.3. à collaborer avec la partie ukrainienne pour recenser les éventuels sites d’inhumation;
7.4. à permettre aux missions humanitaires internationales d’accéder aux lieux de détention de prisonniers.
8. L’Assemblée invite par ailleurs instamment les autorités de la Fédération de Russie:
8.1. à libérer tous les prisonniers capturés illégalement sur le territoire ukrainien;
8.2. à mener une enquête en bonne et due forme et engager des poursuites à l’encontre des auteurs d’actes d’enlèvement, de disparition forcée, de torture et d’assassinat à caractère politique dont ont été victimes les militants ukrainiens et les membres de la communauté tatare de Crimée;
8.3. à exercer des pressions sur les groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés des régions de Donetsk et Lougansk pour qu’ils libèrent immédiatement tous les civils détenus sur le territoire dont ils ont le contrôle et procèdent à l’échange des prisonniers;
8.4. à créer un mécanisme national pour gérer les questions des personnes capturées et portées disparues pendant le conflit en Ukraine ;
8.5. à communiquer aux familles des soldats russes portés disparus des informations exactes sur le sort et le lieu de leurs proches disparus;
8.6. à accorder immédiatement aux missions internationales de contrôle du respect des droits de l’homme un accès au territoire de la Crimée.
9. L’Assemblée appelle également les Etats membres à fournir:
9.1. une aide financière et technique aux autorités ukrainiennes chargées de l’exhumation et de l’identification des corps;
9.2. l’assistance nécessaire au traitement des effets psychologiques subis par les familles des personnes portées disparues;
9.3. une aide financière aux associations des familles des personnes portées disparues et aux organisations non gouvernementales qui localisent les personnes portées disparues.
10. L’Assemblée encourage le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à mettre son savoir-faire à la disposition des institutions ukrainiennes, notamment:
10.1. en formant des spécialistes nationaux à l’enregistrement des personnes portées disparues, à la consolidation des listes, l’évaluation des besoins des familles et au moyen d’y répondre;
10.2. en fournissant une assistance technique, notamment en mettant en place un laboratoire ADN à Dniepropetrovsk, et en fournissant les réactifs pour les tests ADN;
10.3. en informant la population ukrainienne des principaux aspects du droit international humanitaire.
11. L’Assemblée invite le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à suivre la question des personnes portées disparues pendant le conflit en Ukraine.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			 Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 3 juin
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2015) relative aux personnes portées disparues pendant le conflit en Ukraine.
2. L’Assemblée souligne que la question des personnes portées disparues en Ukraine représente un grave problème européen, susceptible d’entraver les perspectives de règlement pacifique dans la région et d’avoir des conséquences négatives sur le processus de réconciliation.
3. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres de définir de quelle manière le Conseil de l’Europe pourrait contribuer au processus en cours de clarification du sort et du lieu où se trouvent des personnes portées disparues pendant le conflit en Ukraine, et de mettre à disposition tout savoir-faire pertinent, notamment dans le cadre de programmes de coopération.

C. Exposé des motifs, par M.  Sheridan, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Dans la Résolution 2028 (2015) sur la situation humanitaire des réfugiés et des personnes déplacées ukrainiens, adoptée en janvier 2015, et dans le rapport correspondant (Doc. 13651), l’Assemblée parlementaire a exprimé sa vive préoccupation à propos du «nombre croissant de personnes signalées comme disparues par toutes les parties au conflit militaire en Ukraine».
2. En ma qualité de rapporteur sur la question et d’ancien rapporteur sur les personnes disparues en Europe, j’ai fait une déclaration, à l’issue de l’audition organisée par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées le 30 septembre 2014, par laquelle j’ai exprimé ma préoccupation face au nombre croissant de personnes signalées comme disparues par toutes les parties au conflit militaire en Ukraine, et j’ai appelé les autorités de l’Ukraine et de la Fédération de Russie à prendre toutes les mesures nécessaires pour aider les familles des personnes disparues à trouver et, le cas échéant, à identifier sans délai, les restes de leurs proches.
3. Le présent rapport fait suite à une proposition de résolution sur les personnes disparues déposée par la commission lors de la partie de session de janvier 2015, qui, étant donné l’urgence de la question, a été renvoyée à la commission pour rapport dans le cadre du suivi du rapport précédent sur la situation humanitaire en Ukraine.
4. D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (BCAH), plus de 5 486 personnes ont perdu la vie au cours du conflit en Ukraine, et 12 972 
			(3) 
			Ukraine, rapport de
situation n° 26, 6 février, BCAH. autres ont été blessées depuis la mi-avril 2014. Le bilan risque malheureusement d’être nettement plus lourd, car l’on reste sans nouvelles de plus d’un millier de personnes portées disparues depuis le début du conflit.
5. Il s’agit non seulement de militaires mais aussi de civils, parmi lesquels des bénévoles venus porter secours à la population dans les zones en conflit. Les informations sur leur nombre et le lieu où elles pourraient se trouver sont éparpillées entre différents organismes gouvernementaux et non gouvernementaux, et difficiles à obtenir. La situation est d’autant plus compliquée que la plupart des personnes disparues (qu’elles soient en vie ou non) sont restées dans les territoires contrôlés par les groupes séparatistes.
6. Je considère qu’il est indispensable d’appeler toutes les parties au conflit ainsi que les organisations internationales concernées à s’attaquer à ce problème humanitaire pressant. Le présent rapport tente d’identifier les mesures concrètes qui pourraient être prises et de définir des recommandations urgentes pour réunir des informations sur le sort des personnes disparues.
7. Les éléments rassemblés dans le présent exposé des motifs sont tirés des différentes sources et publications disponibles, ainsi que de l’audition qui s’est tenue le 23 mars 2015 avec la participation de représentants des autorités ukrainiennes et de la société civile d’Ukraine et de la Fédération de Russie. Je tiens également à remercier les autorités ukrainiennes pour m’avoir fourni toutes les informations demandées, nécessaires à la préparation du présent rapport.

2. Le point sur les personnes disparues pendant le conflit en Ukraine

8. Suite à la décision des autorités ukrainiennes de requalifier les interventions militaires dans l’est du pays en opération antiterroriste, l’institution qui assume la responsabilité première en matière de collecte de données sur le sort des personnes disparues est, d’un point de vue juridique, le Service de sécurité de l’Ukraine. Pourtant, dans la pratique, plusieurs autres institutions, dont le ministère de la Défense et toutes les forces de l’ordre d’Ukraine, collectent des informations sur les soldats tués (catégorie 200), blessés (catégorie 300) et disparus ou capturés (catégorie 400) pendant le conflit. Les chiffres entre parenthèses sont les codes militaires correspondant à ces catégories. Il existe donc différentes listes de personnes disparues, établies par différentes administrations, et les informations disponibles sont dispersées.
9. Une personne est considérée comme disparue si l’on n’a pas retrouvé son corps. Même si son décès est confirmé par des témoins, du moment où elle n’est pas retrouvée son nom est inscrit dans la catégorie 400, et n’est transféré dans la catégorie 200 que six mois plus tard. Dans la pratique, il arrive cependant que le nom d’une personne soit inscrit simultanément dans les deux catégories, sur des listes différentes.
10. Par ailleurs, il est malheureusement très fréquent que le décès d’un soldat tué soit signalé par le commandement alors que son corps n’a pas été récupéré. Dans certains cas, les corps sont abandonnés sur le champ de bataille ou brûlés. Les soldats disparus peuvent alors figurer dans la liste 200 ou dans la liste 400.
11. D’après les informations qui m’ont été communiquées par le Service de sécurité de l’Ukraine, entre le 1er avril 2014 et le 12 mai 2015, 1 330 personnes ont été enregistrées comme disparues. Parmi celles-ci, on comptait 3 journalistes, 43 agents des affaires intérieures, 481 militaires, 8 gardes-frontières, 14 combattants de régiments volontaires, 36 agents de la Garde nationale, 16 bénévoles, 621 civils et 108 personnes non identifiées. L’augmentation la plus forte du nombre de personnes disparues a été enregistrée après les attaques d’août 2014. Ces chiffres évoluent tous les jours, car de nombreuses personnes, en particulier dans les territoires occupés, ne signalent pas la disparition des membres de leur famille. Certains préfèrent ne pas le faire pour des motifs d’ordre psychologique.

2.1. Civils portés disparus

12. D’après les informations fournies par les défenseurs des droits de l’homme présents dans les territoires occupés par les séparatistes, de nombreux militants, journalistes et civils ont été kidnappés par des militants terroristes. Beaucoup ont été frappés, torturés et même utilisés comme esclaves pour creuser des tranchées et construire des barrages routiers 
			(4) 
			Hundreds of People
have Disappeared in Eastern Ukraine, Christopher Miller, 30 juin 2014, <a href='http://mashable.com/'>http://mashable.com/.</a>. Les proches des civils disparus, terrifiés par la répression qu’exercent les occupants, ont peur de signaler les disparitions.
13. J’ai été très touché par le récit de Lera Kulish de Lougansk: «Il était 4 heures du matin le 8 août 2014 lorsque huit individus armés ont fait irruption au domicile de mes parents situé à Peremozhne, dans la région de Lougansk. Je n’étais pas là, mais mes parents et mon grand-père étaient présents. Les terroristes cherchaient des armes mais n’en ont pas trouvés. Ils ont donc emmené ma mère, Elena Kulish, et mon beau-père, Vladimir Alekhin, ainsi que deux de nos voitures qui étaient garées dans la cour. Ma mère avait créé un blog sur internet donnant des nouvelles de la ville à nos proches résidant en dehors des territoires occupés. Je suppose que c’est à cause de cela que mes parents ont été enlevés. En décembre, les autorités de la LNR [République populaire de Lougansk] m’ont appelée pour procéder à l’identification des corps, mais il ne m’a pas été possible de le faire compte tenu de leur très mauvais état. Les autorités ne s’occupent pas des corps et ne prélèvent pas d’échantillons ADN. Elles ont promis de les envoyer dans l’oblast de Rostov en Russie pour une expertise biométrique, mais rien n’a été fait».
14. Il existe également des informations faisant état d’enlèvements de civils ukrainiens suivis de leur transfert illégal vers le territoire de la Fédération de Russie. L’un des chefs du parti UNA-UNSO, Mykola Karpiuk, a été enlevé dans la région de Chernigiv (Ukraine) et transféré en Russie le 21 mars 2014. La Commission d’enquête russe compétente a informé sa famille des chefs d’accusation portés contre lui. Elle leur a dit qu’il avait été placé en détention à Iessentouki (Fédération de Russie, Caucase du Nord) et poursuivi pour «banditisme» car il était soupçonné d’avoir participé à la campagne militaire tchétchène en 1994-1996. Depuis son enlèvement, sa famille n’a reçu qu’une lettre de sa part, le 6 février 2015. En violation de la législation de la Fédération de Russie, un avocat et consul ukrainien n’a pas été autorisé à lui rendre visite. Le 14 mai 2015, son avocat, M. Illia Novikov a affirmé qu’il ne pensait pas que Mykola Karpiuk soit encore en vie 
			(5) 
			<a href='http://www.pravda.com.ua/news/2015/05/14/7067928'>www.pravda.com.ua/news/2015/05/14/7067928.</a>.
15. Il faudrait de mon point de vue enjoindre aux groupes séparatistes qui contrôlent les territoires occupés dans les régions de Donetsk et Lougansk de s’abstenir de toute violation des droits de l’homme – ce qui inclut notamment les enlèvements, les disparitions forcées, les actes de torture et les assassinats à motivation politique visant des citoyens ukrainiens. Ils doivent mener des enquêtes et poursuites effectives contre les auteurs de ces crimes.

2.2. Personnes disparues en Crimée

16. Human Rights Watch (HRW) et des organisations non gouvernementales locales ont signalé plusieurs cas de disparitions de personnes en Crimée depuis mai 2014 
			(6) 
			Crimée : disparitions
forcées, 7 octobre 2014, Human Rights Watch.. D’après l’organisation non gouvernementale (ONG) ukrainienne Centre of Civil Liberties, une vingtaine de civils au moins ont été portés disparus depuis le début de l’occupation de la péninsule. Les victimes sont, dans l’immense majorité, des opposants à l’occupation illégale de la Crimée. Trois d’entre elles ont été retrouvées mortes, huit autres ont été libérées et on ignore encore où se trouvent les neuf restantes.
17. Au moins six personnes enlevées ont subi des actes de torture et des traitements inhumains. Le militant Tatar de Crimée Reshat Ametov, par exemple, a été retrouvé mort, son corps portant de nombreuses traces de torture (il est décédé d’un coup de couteau dans l’œil). Cet acte a semé la peur parmi les autres membres de la communauté des Tatars de Crimée et poussé de nombreuses personnes à quitter leur terre natale. Près de 20 000 personnes ont fui la Crimée depuis son annexion par la Fédération de Russie pour trouver refuge dans d’autres régions d’Ukraine et à l’étranger.
18. D’après les chiffres donnés par l’Ombusdman russe, Mme Ella Pamfilova, 
			(7) 
			<a href='http://ombudsmanrf.org/'>http://ombudsmanrf.org/</a><a href='http://www/upload/files/docs/appeals/doklad2014.pdf'>;
http://www/upload/files/docs/appeals/doklad2014.pdf</a>. dans son rapport annuel 2014, depuis le passage de la Crimée sous la houlette de la Russie, 13 Tatars de Crimée, 24 Ukrainiens et 119 Russes ont été portés disparus.
19. Il est toutefois impossible de déterminer le nombre réel de personnes portées disparues en Crimée, les autorités des secteurs occupés n’enquêtant pas sur les affaires de disparition et n’autorisant pas les observateurs internationaux des droits de l’homme à entrer en Crimée. Dans l’ensemble, la situation des droits de l’homme en Crimée est extrêmement préoccupante, comme le confirment les récents rapports du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe 
			(8) 
			Rapport de Nils Muižnieks,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à la suite
de sa mission à Kiev, à Moscou et en Crimée du 7 au 12 septembre 2014,
CommDH(2014)19, 27 octobre 2014. et du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme 
			(9) 
			Rapport sur la situation
des droits de l’homme en Ukraine, 15 mai 2014, Haut-Commissariat
des Nations Unies aux droits de l’homme..

2.3. Soldats russes portés disparus

20. Les autorités russes ne fournissent aucune information officielle sur les soldats russes disparus, ne reconnaissant pas pour l’heure leur implication dans le conflit. Cela dit, des officiels russes, en particulier le Président Poutine, ont à plusieurs reprises admis l’existence de «volontaires» russes venus aider leurs «frères» dans l’est de l’Ukraine.
21. Le Service de sécurité de l’Ukraine a quant à lui mis en place une ligne d’assistance téléphonique pour les proches des soldats russes disparus. Depuis sa création, celle-ci a reçu plus d’une vingtaine d’appels de familles russes demandant des informations sur des soldats russes disparus dans le Donbass. Le Service de sécurité de l’Ukraine signale au Consulat de Russie à Kiev tous les cas de citoyens russes capturés, de sorte que leurs proches puissent être tenus informés de l’endroit où ils se trouvent.
22. Les faits suivants, à propos d’un soldat russe disparu en Ukraine, ont été relatés dans Deutsche Welle le 4 mars 2015: «Un orphelin du nom de Petr Khokhlov a signé en 2014 un contrat à durée limitée avec l’armée russe. Un jour, il a disparu de sa base, sans dire un mot ni à sa fiancée, ni à son frère. Quelque temps après, il a été vu dans une vidéo tournée par les autorités ukrainiennes, où il apparaissait en tant que prisonnier de guerre. Son frère a appris par la suite que Petr avait été échangé contre des soldats ukrainiens et donné aux séparatistes. Mais le représentant de l’armée russe ne voulait pas en entendre parler. Officiellement, Petr Khokhlov était un déserteur. On a perdu sa trace jusqu’à ce que, quelques mois plus tard, un reporter du New York Times le retrouve à un poste de contrôle séparatiste dans l’est de l’Ukraine. Il a expliqué au journaliste qu’il était là de son plein gré 
			(10) 
			<a href='http://www.dw.de/evidence-mounting-of-russian-troops-in-ukraine/a-18294255'>www.dw.de/evidence-mounting-of-russian-troops-in-ukraine/a-18294255.</a>».

3. Réponse et actions pour l’identification des personnes disparues

3.1. Réponse des autorités ukrainiennes

3.1.1. Mécanisme de coordination et listes de personnes disparues

23. Les autorités ukrainiennes ont créé une structure spécifique chargée de la coordination et de l’aide à la recherche de personnes faites prisonnières ou disparues. Le 2 septembre 2014, sur instruction du Président de l’Ukraine, un Centre interinstitutionnel fournissant une aide pour la libération des prisonniers et des otages et la recherche des personnes disparues a été mis en place sous l’égide du Service de sécurité de l’Ukraine. Le responsable adjoint du Service de sécurité de l’Ukraine, Vitaly Yalovenko, a été nommé à sa tête.
24. Le Centre examine les demandes de ressortissants ukrainiens ou étrangers qui recherchent des personnes disparues, et leur apporte aide et conseils. Il est également chargé d’établir une liste des personnes disparues pendant le conflit en Ukraine. A la date du 12 mai 2015, il avait reçu 1 172 demandes par courrier électronique, 1 390 appels à sa permanence téléphonique et 1 033 visites sur place.
25. Au ministère de la Défense de l’Ukraine, la Division des services généraux des forces militaires a mis en place une ligne téléphonique spéciale pour les échanges d’informations sur les soldats décédés ou disparus pendant les opérations. Celle-ci vise à aider les soldats, les représentants des forces de sécurité et leurs familles.
26. Le ministère de l’Intérieur a établi plusieurs groupes de travail locaux dans les régions, dans la ville de Kiev et dans les gares ferroviaires, dont la mission principale est de recueillir des informations sur les personnes disparues, enlevées ou emprisonnées en vue de les inscrire dans le Registre unique des enquêtes préliminaires. Ces groupes sont également chargés d’ouvrir les enquêtes opérationnelles sur ces affaires.
27. En vue de focaliser l’attention du public et des médias sur la recherche des personnes disparues dans la région de l’opération antiterroriste, le ministère de l’Intérieur a publié sur sa page web officielle des consignes aux citoyens dont les proches ont disparu dans la région, une présentation de la procédure d’identification des corps, une liste des personnes disparues et les numéros de téléphone des responsables des groupes de travail.
28. Le principal problème qui se pose est que ces listes sont en partie dressées sur la base d’affirmations écrites ou orales de citoyens, qui n’ont pas été dûment vérifiées. Elles ne sont donc pas totalement fiables. Comme les proches des personnes disparues contactent souvent différentes institutions, les mêmes noms peuvent figurer sur différentes listes. Il peut aussi arriver qu’une personne dont le sort a été élucidé reste inscrite sur une ou plusieurs listes.
29. A ma connaissance, le pouvoir central ne possède aucune liste unifiée des civils portés disparus pendant le conflit. Les noms de ces personnes se retrouvent sur de nombreuses listes différentes, y compris celles d’organisations non gouvernementales et bénévoles qui tentent de pallier ce problème.
30. On peut comprendre que les autorités centrales ukrainiennes, confrontées à la nécessité d’apporter une réponse d’urgence, aient réagi en demandant à l’ensemble des organismes concernés de s’occuper de la question des personnes disparues dans le cadre de leurs compétences respectives. Un certain nombre d’améliorations restent toutefois possibles dans les mécanismes et le système de coordination existants. De mon point de vue, l’organe de coordination devrait être placé dans un cadre institutionnel et sous la responsabilité du gouvernement, pour pouvoir travailler avec tous les organes gouvernementaux jouant un rôle dans la résolution du problème des personnes disparues. Il devrait inclure des représentants de la société civile et des familles des personnes disparues. Cet organe devrait également être doté des pouvoirs et ressources nécessaires pour pouvoir mener à bien sa mission. Enfin, il devrait être chargé de tenir un registre unifié de toutes les personnes disparues au cours de l’opération antiterroriste.

3.1.2. Localisation, identification et gestion des restes humains

31. Les autorités ukrainiennes ont pris un certain nombre de mesures pour permettre la localisation et l’identification des personnes disparues, qu’elles soient militaires ou civiles. Le 1er octobre 2014, le Président de l’Ukraine a désigné le Centre national de recherche médico-légale du ministère de l’Intérieur comme étant l’unique institution chargée de tenir une base de données des profils génétiques des corps non identifiés et des proches des personnes disparues dans la région de l’opération antiterroriste.
32. Le ministère de l’Intérieur s’occupe également d’un certain nombre de mesures relatives aux analyses ADN sur les restes de soldats disparus. Il dispose de sept laboratoires modernes pour procéder à ces analyses (dans les oblasts de Vinnytsia, Zaporijia, Lviv, Mykolaïv et Kiev et dans la ville de Kiev). La famille d’une personne disparue, qu’il s’agisse d’un civil ou d’un militaire, a la possibilité de fournir au poste de police local des informations sur cette personne pour obtenir, après accomplissement des formalités administratives, l’autorisation de faire procéder gratuitement à une analyse ADN. Les résultats de cette analyse alimentent ensuite la base de données unifiée.
33. Le prélèvement d’échantillons et les analyses de génétique moléculaire aux fins d’identification d’une personne tuée dans la région de l’opération antiterroriste, réalisés à la demande d’un enquêteur, sont totalement gratuits, les frais correspondants étant pris en charge par l’Etat. Depuis avril 2014, les services du ministère de l’Intérieur ont engagé des procédures pénales dans plus de 5 000 affaires de disparitions de citoyens ; des échantillons ADN ont été prélevés sur plus de 1 130 proches de personnes disparues, plus de 1 000 échantillons biologiques ont été reçus d’autres agences et près de 652 profils génétiques correspondant à des corps non identifiés ont été entrés dans la base de données en vue d’une analyse comparative. Un total de 325 corps ont été identifiés 
			(11) 
			Données
fournies par le ministère de l’Intérieur le 8 mai 2015..
34. L’un des problèmes majeurs est celui des fosses communes. Après la tragédie d’Ilovaïsk, au cours de laquelle 243 soldats ukrainiens ont péri, la capacité des morgues s’est révélée insuffisante pour accueillir toutes les dépouilles. La réglementation prévoit que si un corps n’est pas identifié dans les 10 jours, il doit être enterré. Les corps des soldats non identifiés ont donc été placés dans trois fosses communes temporaires (au cimetière Krasnopilsk de Dniepropetrovsk (plus de 170 corps), au cimetière central de Kushugum (54) et à Starobilsk (37)). Dans chaque cas, des échantillons ADN ont été prélevés et enregistrés dans une base de données unifiée. 47 corps ont été identifiés. Pour simplifier et accélérer la procédure d’identification des restes non identifiés, il conviendrait de créer un laboratoire d’analyse ADN supplémentaire à Dniepropetrovsk.
35. L’un des principaux obstacles à l’identification des corps de soldats ukrainiens est l’absence de plaques militaires. Récemment encore, seuls les officiers de l’armée ukrainienne en possédaient une, et leur utilisation ne s’est toujours pas généralisée.
36. Il y aurait également plusieurs fosses communes sur les territoires occupés des régions de Lougansk et Donetsk, mais il n’existe à ce stade aucune possibilité de procéder à l’exhumation et à l’identification des restes humains qu’elles contiennent. D’après les ONG, il existe dans la région de Donetsk un Centre de restitution et de recherche de personnes disparues, qui relève du «ministère de la Défense de la DNR», tandis que dans la région de Lougansk, de nombreux corps sont envoyés vers l’oblast de Rostov, en Fédération de Russie. Il va sans dire que l’accord de toutes les parties au conflit est nécessaire pour coordonner l’échange d’informations sur les personnes disparues, à tout le moins au niveau des organisations humanitaires.

3.2. Cadre juridique

37. Le droit international humanitaire, et en particulier le Protocole additionnel (I) aux Conventions de Genève (1977) (articles 32 et 33) définit très clairement le droit des familles de connaître le sort de leurs membres portés disparus. Ainsi, «dès que les circonstances le permettent et au plus tard dès la fin des hostilités actives», chaque Partie au conflit doit rechercher les personnes dont la disparition a été signalée par une Partie adverse ; afin de faciliter la collecte des informations nécessaires à ces recherches, chaque Partie doit enregistrer toutes les personnes détenues, emprisonnées ou d’une autre manière gardées en captivité ou qui sont décédées au cours d’une période de détention et transmettre ces informations à l’Agence centrale de recherches du CICR; elles doivent également effectuer la recherche des personnes décédées dans d’autres circonstances en raison des hostilités.
38. La Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) impose à ses Etats signataires de nombreuses obligations relativement aux disparitions de personnes. Ainsi, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, des enquêtes insuffisantes sur le sort d’une personne disparue ou la non-transmission par les autorités des informations en leur possession peuvent être considérées comme une forme de torture pour les proches de la victime (article 3). De même, la détention non reconnue d’un individu par les autorités puis sa disparition constitue une violation du droit à la liberté et à la sûreté (article 5), voire du droit à la vie (article 2). Enfin, le respect du droit à un recours effectif (article 13) implique de la part des autorités, outre le versement d’une indemnité, l’obligation de mener une enquête effective et approfondie pour identifier et punir les responsables, lorsque les parents d’une personne ont des motifs défendables de prétendre que celle-ci a disparu alors qu’elle se trouvait entre leurs mains 
			(12) 
			Personnes
disparues et Convention européenne des droits de l’homme, M. Alvaro
Gil-Robles, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
Genève, 19 février 2003..
39. En vertu du Code civil de l’Ukraine (section 1, article 43), un tribunal peut reconnaître une personne comme étant disparue si, dans un délai d’un an après sa disparition, aucune information n’est obtenue à son lieu de résidence permanente concernant l’endroit où elle se trouve. Si aucune information de ce type n’est disponible dans les trois ans suivant la disparition de la personne, celle-ci peut être déclarée morte. Dans certaines situations, cette période est réduite à six mois (si la disparition peut être reliée à une situation où la personne était en danger de mort).
40. Les personnes disparues au cours d’actions militaires peuvent être déclarées mortes par un tribunal après un délai de deux ans, conformément à l’article 46 de la section 2 du Code civil de l’Ukraine. Toutefois, dans des circonstances bien particulières (disparition au combat ou en mission), une personne peut être déclarée disparue au plus tôt après un délai de six mois. Les personnes sont déclarées disparues à compter de la date de leur décès probable et non de celle de la décision du tribunal.
41. Le Code de procédure civile de l’Ukraine définit la procédure à suivre pour demander la reconnaissance d’une personne comme étant disparue ou morte. Conformément à son article 246, une requête doit être déposée au tribunal du dernier lieu de résidence connu de la personne disparue. Le tribunal débute alors l’instruction puis rend sa décision. Si la personne est reconnue comme étant disparue, le notaire engage une procédure pour placer ses biens sous tutelle. Si la personne est reconnue comme étant décédée, le tribunal envoie sa décision à l’organe compétent de l’état civil et au notaire, chargé d’identifier les bénéficiaires des biens de la personne.
42. La loi de l’Ukraine «relative aux pensions des personnes démobilisées du service militaire et de certaines autres personnes», prévoit dans sa section 2, article 29 une égalité de traitement entre les familles des militaires de carrière tués lors d’actions militaires et celles des appelés morts en service. Par conséquent, si un soldat est porté disparu durant une action militaire, il peut immédiatement être déclaré mort, sans avoir été reconnu au préalable comme étant disparu. Sa famille aura droit à une pension. Pour l’obtenir, elle devra en faire la demande au service local du Fonds de retraite de l’Ukraine.
43. Le principal problème est que les familles des personnes disparues n’ont que très rarement connaissance de ces dispositions légales et que leur application par les autorités compétentes est bien souvent insatisfaisante. Le système de reconnaissance du droit des familles à une aide de l’Etat est également très complexe et devrait être revu et simplifié. Il faut bien voir que la législation de l’Ukraine n’a pas été élaborée pour tenir compte de l’éventualité d’actions militaires sur son territoire et ne pouvait prévoir tous les aspects juridiques des problèmes qui en découleraient. De ce point de vue, l’expérience d’autres pays européens ayant connu une situation de conflit militaire pourrait aider le pays à adapter sa législation à la situation actuelle. Le législateur ukrainien pourrait tirer profit de l’expertise juridique du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et utiliser sa loi type sur les personnes portées disparues pour renforcer les mesures juridiques visant à résoudre ce problème.

3.3. La réponse de la société civile et des organisations de bénévoles

3.3.1. Réponse des ONG ukrainiennes

44. Un certain nombre d’ONG, d’organisations de défense des droits de l’homme et de groupes de bénévoles ukrainiens se sont engagés dans un travail d’identification et de collecte d’informations sur les soldats et civils disparus. Ils apportent également une assistance logistique, juridique et matérielle aux familles des personnes disparues.
45. La base de données de l’ONG «Good Action» créée par la bénévole Anna Mokrousova inclut les personnes disparues des régions de Lougansk et Donetsk principalement: elle recense 371 militaires disparus, 260 otages militaires et 883 militaires décédés (qui avaient été considérés comme disparus). Elle contient également des informations sur 239 civils disparus et 73 otages.
46. Des organisations comme la mission humanitaire «Black Tulip», «Donbas-SOS», «Crimean field mission» et «The Centre for Civil Liberties» recueillent également auprès des proches des informations sur les personnes disparues. Il convient de signaler que les parents des personnes disparues ne s’adressent pas tous à des ONG pour bénéficier d’une aide, nombre d’entre eux vivant dans les territoires occupés et n’ayant pas d’accès à internet.
47. Ces ONG s’inquiètent en particulier de la coexistence de plusieurs listes de personnes disparues, chacune d’elles en tenant une, et de l’absence d’action systématique de comparaison et de compilation de ces listes. Ce travail devrait être réalisé par le Gouvernement ukrainien.
48. Je tiens à saluer tout particulièrement le travail de l’organisation ukrainienne «The Union of People’s Memory» et de M. Yaroslav Zhylkinu, directeur de son conseil d’administration. Depuis le début du conflit, ces personnes courageuses œuvrent pour la localisation, l’exhumation et l’évacuation de corps à partir du territoire occupé. Les corps de plus de 450 soldats ukrainiens ont ainsi pu être retrouvés et exhumés. Ces personnes effectuent un travail qui incombe à l’Etat sans même recevoir une aide financière de ce dernier. Le ministère de la Défense leur fournit quelquefois de l’essence pour le transport des corps et le CICR met à leur disposition des sacs mortuaires. Le coût mensuel de ces opérations représente quelque € 20 000. Pour l’heure, toutes les missions de recherche sont financées par des dons provenant de particuliers.
49. Les organisations de bénévoles et les ONG ukrainiennes s’efforcent de répondre aux besoins immédiats des familles des personnes disparues. A l’initiative de Mme Olga Bohomolets, députée ukrainienne et conseillère du Président de l’Ukraine, un projet caritatif a vu le jour sur internet: il s’agit de la plateforme publique «People Help the People» (www.lpl.com.ua). Son but est d’apporter une assistance ciblée aux familles des personnes décédées ou disparues durant le conflit dans l’est de l’Ukraine. Ce programme s’adresse également aux personnes handicapées parentes des personnes disparues, la législation en vigueur ne leur ouvrant pas droit à une aide sociale et financière en cas de perte de leur soutien de famille.

3.3.2. Réponse des ONG russes

50. L’ONG russe «Les mères de soldats de Saint-Pétersbourg», qui défend les droits des recrues et des militaires de carrière, a mis en place un service d’assistance téléphonique pour les proches de soldats russes disparus ; elle a reçu des informations sur au moins 100 soldats tués et 300 soldats blessés et a exhorté les autorités militaires russes à enquêter sur ces affaires.

3.3.3. Réactions d’organisations et d’ONG internationales

51. Le CICR a déployé ses missions à Kiev, Lougansk, Donetsk et Kharkiv. Il a travaillé avec la Société de la Croix-Rouge d’Ukraine pour documenter et répertorier les cas de personnes disparues et suit actuellement 300 dossiers individuels. Une collaboration a été instaurée entre les autorités de toutes les parties afin d’élucider le sort de ces personnes. Le CICR a également fourni 500 sacs mortuaires à la Direction des affaires civiles et militaires de l’armée ukrainienne pour une utilisation dans l’est du pays, ainsi que des stocks de fournitures et équipements 
			(13) 
			CICR
– Faits et chiffres, Crises en Ukraine, Tour d’horizon des activités,
janvier et février 2015..
52. Human Rights Watch participe activement à la surveillance des violations des droits de l’homme en Crimée et a publié le rapport «Rights in Retreat», dont un chapitre est consacré aux disparitions forcées dans cette région.

3.4. Aide aux familles des personnes disparues

53. Voici un exemple parmi tant d’autres des tragédies familiales engendrées par le conflit: «Le premier appel inquiétant reçu par Tatiana Efremova est arrivé quelques heures après le départ de Poltava du groupe de bénévoles dont faisait partie sa mère Irina Boiko, 48 ans, lorsque celle-ci lui a téléphoné pour la prévenir qu’ils avaient été arrêtés par des rebelles et accusés de soutenir “l’ennemi”, c’est-à-dire l’armée ukrainienne. Le deuxième appel lui est parvenu au bout de quelques heures, de la part d’un rebelle qui lui a expliqué que tout était fini: sa mère avait été abattue. Cela a été contredit par un nouvel appel des heures plus tard, qui affirmait cette fois qu’Irina Boiko avait été relâchée. Malgré les demandes insistantes de Tatiana, qui voulait savoir où elle pourrait venir chercher sa mère, son interlocuteur a raccroché, la plongeant dans l’impasse et dans un cauchemar interminable fait d’incertitude et d’angoisse 
			(14) 
			Ukraine’s disappeared:
«What happens to them doesn’t seem to matter», 7 août 2014, Sabra
Ayres, Al Jazeera.
54. Tatiana Efremova a expliqué que le gouvernement s’occupe en priorité de la libération de journalistes ou de militaires, mais qu’il ne parle que rarement des bénévoles disparus 
			(15) 
			Ibid..
55. Les ONG travaillant avec les familles des personnes disparues affirment également que l’Etat n’apporte pas à ces dernières le soutien dont elles ont besoin. Les familles de soldats dont les restes sont rapatriés doivent quelquefois procéder à des collectes d’argent pour organiser l’inhumation.
56. Les familles des personnes disparues ont avant tout besoin de connaître la vérité sur le sort de leurs proches et de voir les responsabilités établies. Elles doivent également être informées de la marche à suivre pour enregistrer la disparition.
57. Une autre priorité de ces familles est d’obtenir une reconnaissance officielle du statut de «personne disparue» de leur proche et l’aide gouvernementale correspondante. L’absence de définition du statut de conjoint ou de descendant d’une personne disparue peut avoir des répercussions sur les droits de propriété, la garde des enfants, les droits de succession et la possibilité de se remarier.
58. Aujourd’hui, les familles des civils disparus n’obtiennent aucune aide du gouvernement, que ce soit financière ou autre, alors que celles des militaires disparus bénéficient au moins de la rémunération de leur parent disparu. Il leur faut également un soutien psychologique. Confrontées à une telle tragédie, nombre d’entre elles refusent de donner un échantillon de leur ADN, considérant en quelque sorte le test comme une reconnaissance du décès de leur proche. Les familles des personnes disparues sont presque toutes confrontées au problème de la fraude. Elles reçoivent des appels téléphoniques d’inconnus leur demandant de l’argent pour recevoir des nouvelles de leurs proches. Les services de police devraient les aider à faire cesser ce type de harcèlement.
59. Enfin, dans le cas des personnes qui ont été enlevées ou des disparitions forcées, ou encore des personnes disparues du fait de l’inaction des pouvoirs publics ou de groupes militaires, les familles exigent souvent que soient reconnus la dignité et la valeur intrinsèques de la personne disparue, le crime commis, la responsabilité des pouvoirs publics ou des groupes militaires, ainsi que les démarches à accomplir pour que justice soit faite.

4. Mesures nécessaires pour déterminer le sort des personnes disparues

60. Dans un contexte de violences armées, toutes les parties ont le devoir de respecter le droit international humanitaire. Toutefois, la responsabilité d’éviter que des personnes ne disparaissent et d’établir la vérité sur le sort des disparus afin d’en informer les familles incombe en premier lieu aux pouvoirs publics et aux groupes armés. Ils sont tenus d’enquêter sur les disparitions survenues sur leur territoire et/ou imputables à des groupes militaires placés sous leur contrôle. Ils doivent localiser les personnes disparues ou déterminer ce qu’il est advenu d’elles, prévenir leurs proches et apporter un soutien à ces derniers. Lorsque cela est nécessaire, les pouvoirs publics doivent s’assurer que des poursuites pénales sont engagées et que des réparations sont accordées. Par conséquent, ils sont également responsables de la coordination du travail des organisations humanitaires et de tous les autres acteurs impliqués dans le processus d’élucidation des cas de personnes disparues.
61. Le préalable essentiel d’opérations efficaces d’exhumation et d’identification des restes des personnes disparues est un cessez-le-feu. Celui d’août 2014 a permis aux ONG et aux groupes de bénévoles actifs dans le Donbass d’accélérer leur travail et d’exhumer davantage de corps pour les soumettre aux laboratoires d’analyses d’ADN en vue d’une identification.
62. Il est fondamental que les autorités de l’Ukraine et de la Fédération de Russie prennent toutes les mesures nécessaires pour aider les familles des personnes disparues à trouver et, le cas échéant, à identifier sans délai les restes de leurs proches. Les autorités devraient également créer le cadre juridique et les mécanismes nationaux nécessaires à la résolution du problème des personnes disparues.
63. Il est regrettable qu’il n’existe aucune liste unique des personnes portées disparues pendant les actions militaires en Ukraine. La recherche des disparus est assurée par diverses organisations bénévoles et de défense des droits de l’homme, dont le travail n’est pas coordonné par les autorités. Les informations pertinentes sur les personnes disparues devraient faire l’objet d’échanges entre ceux qui travaillent sur le terrain, les morgues et les laboratoires des autorités ukrainiennes chargés des analyses ADN, mais aussi entre les autorités ukrainiennes et les séparatistes.
64. Une mesure importante pour aider les familles confrontées à la disparition de proches est la mise en place de lignes d’assistance téléphonique dans tous les centres régionaux et d’oblast, pour leur fournir toutes les informations disponibles sur la situation dans les zones de combat de l’opération antiterroriste, c’est-à-dire les soldats et les volontaires qui y sont présents. Tous ces services devraient bénéficier d’une coordination régionale et nationale.