1. Introduction
1. Le 28 janvier 2015, l’Assemblée parlementaire a adopté
la
Résolution 2034 (2015) sur la contestation, pour des raisons substantielles,
des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération
de Russie, dans laquelle elle a décidé de ratifier les pouvoirs
de la délégation russe. Mais, dans le même temps, soucieuse d’exprimer
clairement qu’elle condamne la poursuite des graves violations du
droit international commises par la Fédération de Russie en Ukraine,
notamment à l’égard du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1)
et des engagements pris par la Russie au moment de son adhésion
à l’Organisation, elle a décidé de suspendre les droits suivants
des membres de la délégation russe pour la durée de la session de
2015 de l’Assemblée: les droits de vote; le droit de représentation
au Bureau de l’Assemblée, au Comité des Présidents et à la Commission
permanente; le droit d’être désigné comme rapporteur; le droit d’être
membre d’une commission ad hoc d’observation des élections; le droit
de représenter l’Assemblée dans les instances du Conseil de l’Europe
ainsi qu’auprès d’institutions et d’organisations extérieures, tant
au niveau institutionnel qu’à titre occasionnel.
2. Au paragraphe 15 de la
Résolution
2034 (2015), l’Assemblée a décidé qu’elle pourrait examiner le rétablissement
des droits de vote et de représentation au Bureau de l’Assemblée,
au Comité des Présidents et à la Commission permanente de la délégation
russe lors de sa partie de session d’avril 2015, s’il devait s’avérer
que la Russie a fait «des progrès tangibles et mesurables pour donner
suite aux exigences formulées par l’Assemblée aux paragraphes 4.1
à 4.4, 5.1 à 5.3, 7.1 à 7.9, 11 et 12.1 à 12.4» et qu’elle a apporté
sa pleine et entière coopération au groupe de travail mentionné
au paragraphe 17 de la
Résolution
2034 (2015).
3. Par ailleurs, au paragraphe 16 de la
Résolution 2034 (2015), l’Assemblée a décidé d’annuler les pouvoirs de la délégation
russe lors de sa partie de session de juin 2015 si aucun progrès
n’était constaté pour ce qui concerne la mise en œuvre du Protocole
et du Mémorandum de Minsk ainsi que «les demandes et recommandations
de l’Assemblée qui figurent dans la présente résolution, en particulier
celles relatives au retrait immédiat des troupes russes de l’est
de l’Ukraine».
4. Le 12 février 2015, l’Assemblée a reçu un courrier du président
de la délégation russe, M. Alexei Pushkov, dans lequel il annonçait
la suspension jusqu’à la fin de 2015 de l’ensemble des contacts
officiels de la délégation russe avec l’Assemblée parlementaire,
y compris toutes les visites au nom des organes de l’Assemblée
.
5. Le 17 mars 2015, compte tenu de l’absence manifeste de progrès
en ce qui concerne les demandes formulées par l’Assemblée dans sa
Résolution 2034 (2015) et du manque de coopération de la délégation russe avec
l’Assemblée, la commission pour le respect des obligations et engagements
des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) a
demandé à l’unanimité au Bureau de retirer de l’ordre du jour de
la partie de session d’avril 2015 de l’Assemblée le point intitulé
«Suite à donner à la
Résolution
2034 (2015)): réexamen des sanctions à l’égard de la délégation
de la Fédération de Russie à l’Assemblée parlementaire». Le Bureau
de l’Assemblée a appuyé cette demande et, le 20 avril 2015, l’Assemblée
a convenu de retirer ce point de l’ordre du jour de sa partie de
session d’avril.
6. Au titre du suivi du paragraphe 16 de la
Résolution 2034 (2015), le 24 avril 2015, le Bureau de l’Assemblée a saisi
la commission de suivi pour rapport sur la question «Examen de l’annulation
des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de
Russie (suivi du paragraphe 16 de la
Résolution 2034 (2015))». La commission du Règlement, des immunités et des
affaires institutionnelles a quant à elle été saisie pour avis sur
ce rapport.
7. Lors de sa réunion du 20 avril 2015, en anticipation de la
décision du Bureau, la commission de suivi m’a nommé rapporteur
pour le présent rapport.
8. L’Assemblée a imposé les sanctions énoncées dans la
Résolution 2034 (2015) pour toute la durée de la session de 2015. Lorsqu’elle
a décidé de retirer de l’ordre du jour de la partie session d’avril
la discussion sur la «Suite à donner à la
Résolution 2034 (2015): réexamen des sanctions à l’égard de la délégation de
la Fédération de Russie à l’Assemblée parlementaire» en raison de
l’absence manifeste de progrès eu égard aux demandes formulées dans
la résolution susmentionnée, l’Assemblée a de nouveau confirmé les
cinq sanctions
pour le restant de la
session de 2015. Cette décision ne saurait être remise en question
par le présent rapport.
9. Dans le même temps, au paragraphe 16 de la
Résolution 2034 (2015), l’Assemblée a décidé d’envisager l’annulation des pouvoirs
déjà ratifiés de la délégation russe, mais n’a pas explicitement
envisagé la possibilité d’appliquer d’autres sanctions. Le présent
rapport et son projet de résolution se pencheront par conséquent uniquement
sur la question de savoir s’il convient d’annuler les pouvoirs de
la délégation russe sur la base des critères établis au paragraphe
16 de la
Résolution 2034
(2015) et n’examineront, ni ne pourront examiner un éventuel
allègement ou durcissement des sanctions prises l’égard de la délégation
de la Fédération de Russie, hormis l’éventuelle annulation des pouvoirs.
10. Je dresserai pour commencer une vue d’ensemble des principaux
développements en ce qui concerne la mise en œuvre des demandes
et des recommandations formulées par l’Assemblée dans la
Résolution 2034 (2015) ainsi que des accords de Minsk. Une courte section sera
ensuite consacrée aux évolutions concernant d’autres obligations
et engagements de la Fédération de Russie à prendre en ligne de
compte dans le présent contexte. Enfin, j’examinerai brièvement
les questions du dialogue et des sanctions prises par l’Assemblée.
11. Avant de se pencher sur la mise en œuvre des demandes
et des recommandations formulées par l’Assemblée dans sa
Résolution 2034 (2015), il importe de rappeler qu’elle a décidé de retirer
de l’ordre du jour de la partie de session d’avril 2015 la question
du réexamen de la question des sanctions à l’égard de la délégation
de la Fédération de Russie à l’Assemblée parlementaire (suivi du
paragraphe 15 de la
Résolution 2034
(2015)), à la suite de la demande formulée en ce sens par la
commission de suivi compte tenu de «l’absence manifeste de progrès
en ce qui concerne les demandes formulées par l’Assemblée dans sa
Résolution 2034 (2015)»
.
Je fonderai par conséquent mon analyse sur la question de savoir
si, depuis la partie de session d’avril, des avancées sont susceptibles
d’amener à reconsidérer cette appréciation.
12. S’agissant de la Crimée, aucune initiative n’a été prise à
ce jour pour mettre fin à l’annexion illégale et son intégration
à la Fédération de Russie se poursuit sans relâche. Dans un documentaire
diffusé le 15 mars 2015 par la télévision
d’Etat russe, le Président Poutine a révélé avoir donné l’ordre
de préparer l’annexion de la Crimée le 22 février 2014, soit le
jour où l’ancien Président ukrainien Ianoukovitch s’est enfui en
Russie. Dans ce contexte, il a également reconnu avoir dès le départ
déployé clandestinement à cette fin des militaires russes sans insignes.
Ce documentaire a clairement montré que l’annexion était préméditée
et planifiée dès l’origine par les autorités russes et qu’il ne
s’agissait en aucun cas d’une mesure prise en réaction au soulèvement
spontané du peuple de Crimée à la suite des événements de l’Euromaidan.
13. La situation des droits de l’homme en Crimée, particulièrement
celle des Tatars de Crimée, a continué de se dégrader et soulève
de graves préoccupations.
14. L’enquête sur la mort et la disparition de militants politiques
pro-ukrainiens
n’a en rien progressé
et les opposants à l’annexion illégale continuent d’être victimes
de harcèlement. Par ailleurs, les rassemblements publics, y compris
les célébrations commémoratives organisées par les Tatars de Crimée,
seraient interdits ou perturbés
.
15. Après l’annexion illégale, les organisations non gouvernementales
(ONG) ont été tenues de se réenregistrer en vertu de la législation
russe. Quelques-unes seulement y sont parvenues. Sur plus de 10 000 ONG
enregistrées avant l’annexion, seules 400 ont été reconduites. Ces
dernières auraient été mises en garde contre le risque de fermeture
au titre de la législation russe visant à lutter contre l’extrémisme
si elles venaient à organiser des activités pro-ukrainiennes. Plus
inquiétant encore, le Mejlis des Tatars de Crimée a été officiellement
menacé de dissolution en application de cette législation par le
«procureur général de Crimée».
16. De même, les médias ont été contraints de se réenregistrer
en vertu de la législation russe avant le 1er avril
2015
.
Un grand nombre d’entre eux, dont la quasi-totalité des médias pro-ukrainiens
ou tatars de Crimée, ont essuyé un refus d’inscription de la part
du Service fédéral russe pour la surveillance des communications,
des technologies de l’information et des médias («Roskomnadzor»)
.
Par ailleurs, un appel d’offres pour la réattribution des fréquences
radio a été organisé avant l’achèvement du processus de réenregistrement
des médias, de sorte que plusieurs stations ont perdu leur fréquence.
17. Malheureusement, les organisations tatares de Crimée ont continué
d’être victimes de harcèlement
. Le 29 janvier
2015, les services de sécurité russes ont arrêté Ahtem Ciygoz, vice-président
du Mejlis des Tatars de Crimée, l’accusant d’avoir organisé des
émeutes; ils ont perquisitionné son domicile le 30 janvier. En dépit
du tollé suscité par son arrestation dans la communauté internationale,
sa demande de mise en liberté sous caution a été rejetée et il a
été placé en détention provisoire. Mustafa Dzhemilev et Refat Chubarov restent
persona non grata dans la Fédération
de Russie et ne sont pas autorisés à regagner leur domicile en Crimée.
La chaîne de télévision tatare de Crimée ATR s’est vu refuser son
enregistrement et a cessé d’émettre le 1er avril
2015.
18. La situation des droits de l’homme dans l’est de l’Ukraine
continue de se dégrader et de graves violations sont commises de
part et d’autre, y compris par des militaires russes et des volontaires
russes présents dans cette région. Dans son rapport publié le 3
mars 2015
, la mission des Nations Unies de
surveillance des droits de l’homme en Ukraine faisait part de signalements
dignes de foi de violations du droit international des droits de
l’homme et du droit international humanitaire par les deux parties
au conflit, dont des enlèvements, des détentions arbitraires et
des allégations de torture de civils perpétrés dans les zones contrôlées
par les séparatistes pro-russes
. Le 17
mars 2015, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations
Unies a exprimé ses préoccupations devant la dégradation de la situation
des droits de l’homme dans l’est de l’Ukraine consécutive aux violations
de l’accord de cessez-le-feu de Minsk, en particulier aux abords
de l’aéroport de Donetsk et à Chyrokine. Le 9 avril 2015, Amnesty
International a publié une déclaration
dans laquelle l’organisation condamne
la torture, les mauvais traitements et les exécutions sommaires
de soldats ukrainiens capturés par les forces séparatistes pro-russes
et appelle à mener une enquête complète sur ces crimes de guerre.
Le 15 avril 2015, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
a adopté une décision sur la situation en Ukraine dans laquelle
les Délégués des Ministres «expriment leur grave préoccupation face
à la détérioration continue de la situation des droits de l’homme
dans l’est de l’Ukraine et en Crimée»
.
19. Dans sa
Résolution
2034 (2015), l’Assemblée exprimait sa vive inquiétude concernant
l’incarcération et l’inculpation de la pilote d’hélicoptère ukrainienne
Nadiia Savchenko, en violation du droit international. Mme Savchenko
étant devenue à ce moment-là membre de l’Assemblée parlementaire,
cette dernière a demandé à la Fédération de Russie de respecter
pleinement les obligations qui lui incombent en tant que Partie
à l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de
l’Europe et à son Protocole (STE nos 2
et 10), en vertu desquels Mme Nadiia
Savchenko jouit de l’immunité parlementaire européenne. Elle a par
conséquent appelé les autorités russes à libérer Mme Savchenko
dans les vingt-quatre heures après l’adoption de la résolution et
à garantir son retour en Ukraine, ou à la remettre à un pays tiers.
20. Mme Savchenko n’a à ce jour toujours
pas été libérée par les autorités russes. Bien au contraire, le
30 janvier 2015, le lendemain même de l’adoption de la
Résolution 2034 (2015), la commission d’enquête russe a porté de nouvelles
accusations contre Mme Savchenko, lui
reprochant d’avoir prétendument franchi illégalement la frontière
de la Fédération de Russie. Le 5 mars 2015, Mme Savchenko
a interrompu sa grève de la faim, notamment après l’appel lancé
en ce sens par le Médiateur russe.
21. Le 29 mars 2015, en réponse à une demande des avocats de Mme Savchenko,
la commission d’enquête russe a refusé de lui accorder l’immunité
en sa qualité de membre de l’Assemblée parlementaire. Le 7 avril 2015,
les avocats de Mme Savchenko ont fait
appel de cette décision devant un tribunal de Moscou. Cet appel a
été rejeté le 6 mai 2015 et le tribunal a par ailleurs prolongé
sa détention provisoire jusqu’au 30 juin 2015
.
22. Immédiatement après l’adoption de l’Ensemble de mesures en
vue de l’application des accords de Minsk le 12 février 2015, le
Président ukrainien Porochenko annonçait que Mme Savchenko
serait libérée par la Fédération de Russie dans le cadre de cet
accord. Cette information a cependant été contredite par le président
de la délégation russe auprès de l’Assemblée parlementaire, M. Puskhov,
qui a par la suite déclaré ne connaître aucun mécanisme juridique
susceptible de garantir la libération automatique de Mme Savchenko, laquelle
doit au préalable prouver son innocence devant les tribunaux
. Ces propos furent ensuite corroborés par
le porte-parole du Président Poutine, qui a nié toute éventuelle
promesse de remise en liberté de Mme Savchenko
par la Russie
. Le 14 avril 2015, le ministre allemand
des Affaires étrangères a confirmé que Mme Savchenko
devrait être libérée en application du paragraphe 6 de l’Ensemble
de mesures en vue de l’application des accords de Minsk signé le
12 février 2015.
23. Aucun progrès n’a été réalisé en ce qui concerne les demandes
formulées par l’Assemblée dans la
Résolution 2034 (2015) s’agissant de la politique de la Russie vis-à-vis des
pays voisins. De façon controversée, le 18 mars 2015, la Russie
et les autorités de fait de la «République d’Ossétie du Sud» autoproclamée
ont signé un traité «d’alliance et d’intégration» similaire à celui
conclu entre la Russie et la «République d’Abkhazie» autoproclamée.
La communauté internationale, y compris les rapporteurs de la commission
de suivi pour la Géorgie, ont condamné ce traité qu’ils considèrent
comme une nouvelle illustration de l’annexion rampante de ces régions
par la Fédération de Russie.
24. Au paragraphe 17 de sa
Résolution
2034 (2015), l’Assemblée a invité le Bureau de l’Assemblée «à envisager
d’instituer, dans l’attente de l’accord des parlements concernés,
un groupe de travail spécial auquel participeraient les Présidents
de la Douma russe et de la Verkhovna Rada ukrainienne, ou leurs
représentants, groupe qui serait chargé de contribuer à la mise
en œuvre de toutes les propositions figurant dans la présente résolution
et de proposer d’éventuelles initiatives supplémentaires de l’Assemblée
parlementaire pour favoriser l’application du Protocole de Minsk».
Elle a demandé à la délégation russe d’apporter sa pleine et entière
coopération à ce groupe.
25. Le 4 février 2015, la Présidente de l’Assemblée parlementaire,
Mme Anne Brasseur, a envoyé un courrier au
président de la Douma d’Etat russe, M. Sergueï Narychkine, invitant
la Russie à participer à ce groupe de travail. Dans la réponse adressée
le 6 février 2015, M. Pushkov, déclinant l’invitation, a déclaré
qu’un groupe de travail avait été établi en juillet 2014 dans le
cadre de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE afin d’aider à résoudre
la situation en Ukraine mais que ces travaux avaient été bloqués
par la Pologne, l’Ukraine et les Etats-Unis. Comme évoqué précédemment,
dans une lettre datée du 12 février 2015, M. Pushkov a confirmé la
décision de la délégation russe de suspendre jusqu’à la fin de 2015
tout contact et toute coopération avec l’Assemblée parlementaire.
3. Les accords de
Minsk et la présence militaire russe en Ukraine
26. Les faits survenus dans l’est de l’Ukraine jusqu’à
janvier 2015 et l’implication de la Russie à cet égard ont été succinctement
décrits dans mon rapport
ayant conduit à la
Résolution 2034 (2015). Le présent rapport n’a pas pour objet d’exposer en
détail les événements intervenus depuis lors dans cette région.
Je me limiterai ici aux principaux développements depuis janvier
2015.
27. A la mi-janvier, les troupes militaires ukrainiennes avaient
repris le contrôle de l’aéroport de Donetsk. Le 21 janvier 2015,
les forces séparatistes aidées par les troupes militaires russes
ont
lancé une offensive contre l’aéroport de Donetsk, qui s’est soldée
par l’éviction des forces ukrainiennes. Après s’être emparés de l’aéroport
de Donetsk, les séparatistes et les forces russes ont lancé plusieurs
offensives contre les troupes militaires ukrainiennes présentes
le long de la ligne de contact telle qu’établie par les accords
de Minsk de septembre 2014. Les combats furent particulièrement
intenses aux alentours des villes de Marioupol et de Debaltseve.
28. Debaltseve est une ville stratégiquement importante qui était
sous le contrôle du gouvernement. En raison de sa position stratégique
en tant que nœud routier et ferroviaire, les troupes séparatistes,
appuyées par l’armée russe, ont lancé l’offensive contre la ville
le 17 janvier 2015. Dans les jours qui ont suivi, Debaltseve a été
la cible de bombardements à l’artillerie lourde et aux lance-roquettes
multiples, faisant un nombre considérable de victimes civiles. Fin
janvier, les forces pro-russes avaient quasiment encerclé la localité
et la situation des défenseurs et des civils ukrainiens pris au
piège dans la ville est devenue insoutenable
. Au 31 janvier 2015, plus d’un
millier de civils avaient été évacués par les autorités ukrainiennes
et des renforts étaient dépêchés pour venir en aide aux troupes
prises au piège à Debaltseve. Les combats se sont poursuivis et,
le 11 février, la ville était entièrement encerclée par les forces
séparatistes. Après la signature de l’accord de cessez-le-feu à
Minsk le 12 février 2015
et en violation
flagrante de ces accords, les forces séparatistes et russes ont
à nouveau lancé l’offensive, parvenant à occuper la ville le 18
février. Le chef autoproclamé de la «République populaire de Donetsk»,
Alexander Zakhartchenko, a déclaré publiquement que, selon les forces séparatistes,
les accords conclus à Minsk en février 2015 ne s’appliquaient pas
à Debaltseve
.
29. Le 24 janvier 2015, les forces séparatistes, soutenues semble-t-il
par les troupes et l’artillerie russes, ont également lancé une
offensive contre Marioupol et bombardé la ville, faisant plus de
30 victimes parmi les civils. Elles ont ensuite essuyé une contre-offensive
menée par le bataillon volontaire Azov et les forces armées ukrainiennes.
La situation aux abords de Marioupol est particulièrement sensible,
certains chefs séparatistes ayant ouvertement annoncé qu’ils continueraient
leurs tentatives visant à prendre la ville à l’armée ukrainienne.
L’occupation de Marioupol par les forces séparatistes et russes
marquerait une étape importante sur la voie de la création d’un
pont terrestre vers la Crimée (voire vers Odessa), considérée par
beaucoup comme un éventuel objectif à long-terme des autorités russes
.
30. La rupture du cessez-le-feu convenu à Minsk en septembre 2014
a donné lieu à une série de négociations diplomatiques intenses
menées par la Chancelière allemande et le Président français, qui aboutirent
à la signature, le 12 février 2015 à Minsk, de l’«Ensemble de mesures
en vue de l’application des accords de Minsk»
, comprenant notamment un nouvel accord
de cessez-le-feu censé entrer en vigueur le 15 février 2015. La
reprise des hostilités et la progression des séparatistes en janvier
2015 avaient conduit les Etats-Unis à envisager de fournir une aide
militaire létale aux forces armées ukrainiennes. Il va sans dire
que cette possibilité a fortement contribué à la conclusion d’un
accord à Minsk le 12 février 2015.
31. Une discussion et une analyse détaillées de l’Ensemble de
mesures en vue de l’application des accords de Minsk n’entrent pas
dans le cadre de ce document. Je me limiterai aux aspects qui présentent
une importance pour le présent rapport. Le 15 février 2015, l’accord
de cessez-le-feu négocié à Minsk trois jours plus tôt est entré
en vigueur. Cependant, comme décrit précédemment, les forces séparatistes,
soutenues par la Russie, ont poursuivi sans relâche leur offensive
sur Debaltseve en violation de cet accord jusqu’à ce que la ville
tombe entre leurs mains. Cet accord de cessez-le-feu a néanmoins
permis la cessation, jusqu’à ce jour, des actions militaires de
grande ampleur. Mais il demeure extrêmement fragile et est quotidiennement
violé, en particulier aux alentours de l’aéroport de Donetsk et
de Marioupol. Le Président Hollande et la Chancelière Merkel ont
à maintes reprises déclaré qu’une offensive des séparatistes sur
Marioupol conduirait à un durcissement important des sanctions de
l’Union européenne à l’égard de la Russie.
32. L’Ensemble de mesures en vue de l’application des accords
de Minsk prévoit le retrait par les deux parties de toutes les armes
lourdes à des distances égales afin d’établir une zone de sécurité
.
Les deux camps ont procédé à un retrait massif des armes lourdes
de ladite zone de sécurité, mais il en reste bien plus encore. Les
observateurs internationaux, régulièrement entravés dans leurs déplacements
par les deux parties au conflit, ne sont pas en mesure de déterminer
avec exactitude l’ampleur du retrait des armes lourdes. Par ailleurs,
plusieurs gouvernements occidentaux, ainsi que l'Organisation du
Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ont constaté l’arrivée massive
d’armes et de matériels russes réceptionnés par les rebelles au
lendemain immédiat de la signature des accords de Minsk en février
2015.
33. L’Ensemble de mesures impose la libération de tous les otages
et personnes retenues illicitement par toutes les parties au conflit,
y compris la Russie
. Malheureusement, comme noté dans la section
précédente, la Russie prétend que Mme Nadiia
Savchenko n’est pas couverte par ce paragraphe et refuse de la remettre en
liberté.
34. L’Ensemble de mesures détaille une série de dispositions afin
d’encourager une solution politique négociée au conflit. Il prévoit
dans ce cadre la mise en place de quatre groupes de travail chargés respectivement
des dossiers de la sécurité, du processus politique, des affaires
économiques et des questions humanitaires. J’invite les autorités
russes à participer pleinement et de manière constructive à ces
groupes de travail et à faire en sorte qu’il en soit de même des
représentants des forces séparatistes.
35. L’accord de cessez-le-feu demeure fragile et plusieurs obstacles
qui entravent de part et d’autre l’application des accords de Minsk
pourraient aisément conduire à une reprise des hostilités militaires
à grande échelle
. Le chef de la «République populaire
de Donetsk» autoproclamée, Alexander Zakhartchenko, a mis en avant
cette éventualité dans une déclaration où il prévient que le cessez-le-feu
échouera tant que l’indépendance de la «République populaire de
Donetsk» autoproclamée n’aura pas été reconnue
. Je réitère l’appel lancé par l’Assemblée
à toutes les parties au conflit et particulièrement, dans le contexte
du présent rapport, à la Fédération de Russie, pour qu’elles appliquent
de bonne foi les accords de Minsk. Par ailleurs, j’invite les autorités
russes à retirer toutes leurs troupes militaires du territoire ukrainien;
à cesser sur-le-champ de fournir des armes aux forces séparatistes
et à prendre des mesures crédibles pour mettre fin à la participation
de volontaires russes au conflit.
36. Les autorités russes continuent de démentir toute implication
de leurs troupes militaires ou fourniture d’armements lourds sophistiqués
aux forces séparatistes engagées dans le conflit dans l’est de l’Ukraine. Cependant,
ces affirmations sont clairement contredites par d’innombrables
preuves publiquement accessibles qui attestent du contraire. Parmi
elles figurent des rapports de l’OTAN et de ses Etats membres, des
analyses d’images satellite disponibles dans le commerce réalisées
par des analystes de la défense indépendants, ainsi que des comptes
rendus de journalistes et d’autres témoins oculaires, dont ceux
de militaires russes sur les médias sociaux ou lors d’interviews.
En mars 2015, le Royal United Services Institute (RUSI), groupe
de réflexion britannique indépendant renommé, a publié un document
d’information
dans lequel il détaille au niveau
du bataillon la présence de troupes militaires russes en Ukraine
ainsi que la création de bataillons hybrides formés de soldats russes
et de volontaires, russes et autres, dans l’intention de dissimuler
la participation directe de militaires russes au conflit.
4. Développements
concernant d’autres engagements et obligations de la Fédération
de Russie
37. Comme cela a déjà été noté dans la
Résolution 1990 (2014) et la
Résolution
2034 (2015), les actions de la Russie à l’égard de la Crimée, ainsi
que son rôle et sa participation dans le conflit à l’est de l’Ukraine, constituent
une violation directe du Statut du Conseil de l’Europe et des engagements
contractés lors de son adhésion à l’Organisation, et en particulier
des paragraphes 10.7, 10.8 et 10.11 de l’
Avis 193 (1996) de l’Assemblée
.
En outre, les événements survenus en Ukraine ont aggravé un certain
nombre de tendances négatives – souvent liées à la montée de l’idéologie
de «l’eurasisme» – en Fédération de Russie, relativement à d’autres
obligations et engagements sur lesquels il convient de se pencher
pour que ce rapport soit complet. Cela se traduit par une marginalisation
croissante de l’opposition politique, un contrôle accru des médias
et le musellement des voix indépendantes qui s’élèvent au sein de
la société civile.
38. L’annexion de la Crimée par la Russie et le conflit militaire
dans le sud-est de l’Ukraine qui en est résulté ont engendré une
recrudescence du harcèlement et de la répression des militants et
des organisations des droits de l’homme ainsi que des actes d’intimidation
à l’égard des voix dissidentes en Russie. Ces derniers mois, le
climat politique général, animé par des objectifs de sécurité et
de stabilité, a porté préjudice au respect des droits fondamentaux.
Avec la mise en place et l’application d’un cadre juridique répressif,
l’opposition, les médias indépendants et la société civile font
l’objet de nouvelles restrictions qui entravent la liberté d’expression
et de réunion. Les ONG indépendantes sont soumises en permanence
à des menaces qui nuisent à leur travail.
39. La législation relative aux ONG a perturbé l’action de nombreuses
organisations des droits de l’homme, contraintes de cesser leurs
activités ou confrontées au harcèlement et à la persécution de la
part des autorités. Cette législation s’est notamment traduite par
la mise en œuvre de mesures très dures visant à empêcher et à dissuader
les organisations de la société civile, dont l’organisation des
Mères de soldats, de mener à bien leur mission. Plus de 53 organisations
ont été enregistrées en tant qu’«agents étrangers». Plusieurs d’entre elles
ont fait appel de cette décision devant les tribunaux. Cinq au moins
ont perdu leur procès
et
15 au moins ont décidé de se dissoudre afin d’éviter de nouvelles
persécutions
. La complexité de la procédure de
retrait du registre des «agents étrangers» était également source
de préoccupation
. Ce problème ne semble pas avoir
été résolu
par la nouvelle loi régissant la
procédure d’exclusion des organisations à but non lucratif du registre
des agents étrangers, adoptée en février 2015
. Le montant total des amendes infligées
à des ONG pour défaut d’enregistrement en tant qu’«agents étrangers»
s’élève à ce jour à plus de 6 000 000 de roubles russes (environ
€ 100 000)
.
40. Le 23 mai 2015, une nouvelle loi interdisant «les organisations
étrangères indésirables» a été promulguée par le Président Poutine.
Cette loi criminalise le travail des organisations étrangères à
but non lucratif qui sont considérées comme «une menace pour la
sécurité de l’ordre constitutionnel russe et la capacité de défense
du pays», et punit de lourdes amendes quiconque est considéré comme
collaborant avec elles. La liste «des organisations étrangères indésirables»
sera placée sous la responsabilité du Procureur général en coopération
avec le ministère des Affaires étrangères. Cette législation constitue
un autre signe inquiétant des mesures prises par les autorités pour
limiter toute critique
.
41. En particulier, les ONG œuvrant dans le domaine des médias
ont continué d’être victimes d’intimidation en Russie et de subir
des pressions délibérées et excessives qui mettent encore davantage
en danger la liberté des médias
.Le Centre
de défense des médias de masse (Mass Media Defence Center, MMDC),
une ONG spécialisée dans le droit des médias qui fournit une assistance
juridique et protège les droits des médias, a été informé le 20
février 2015 de son inscription au registre des «agents étrangers»
.L’ONG
Institut régional de presse (Regional Press Institute), qui a pour
vocation d’aider les journalistes et les médias, a été contrainte
de s’acquitter de l’amende la plus lourde infligée à ce jour au
titre de la législation sur les «agents étrangers» pour défaut d’enregistrement
.
42. Les autorités russes ont, ces dernières années, durci le contrôle
exercé par l’Etat sur le secteur des médias. Certains obstacles
juridiques ont fait peser de nouvelles restrictions sur les médias
indépendants – limitations à la propriété étrangère de médias, avertissements,
retraits de licence, fermeture d’organes de presse et blocage de
sites web et de plateformes en ligne. Dans ce contexte, une nouvelle
loi, signée par le Président Poutine le 2 mai 2015, a multiplié
par dix l’amende maximale susceptible d’être infligée aux médias d’information
russes accusés d’incitation au terrorisme ou à l’extrémisme
. Ces changements
législatifs font craindre que des pressions accrues ne soient exercées
sur les quelques médias indépendants que compte encore le pays.
Les organes de presse peuvent désormais être contraints de payer
jusqu’à un million de roubles, soit environ $US 19 000 (au lieu
de 50 000 et 100 000 roubles) en cas de publication de contenus présumés
inciter au terrorisme ou à l’extrémisme ou justifier de tels actes.
La définition juridique de l’«extrémisme» reste vague et pourrait
donner lieu à une application arbitraire de la nouvelle disposition
. Des médias critiques envers le
Kremlin ont reçu des avertissements en ce sens. A titre d’exemple,
en janvier 2015, un tribunal de Moscou a rejeté la procédure engagée
par la station de radio d’inspiration libérale Ekho Moskvy (Echo
de Moscou) à la suite des avertissements que lui avait adressés
le Roskomnadzor pour avoir diffusé des contenus qualifiés «d’extrémistes»
par ce dernier dans sa couverture du conflit dans l’est de l’Ukraine
.
43. Cette répression à l’égard de la société civile et des médias
est étroitement liée aux intimidations systématiques exercées contre
les chefs de l’opposition dans le but de faire taire les voix critiques.
Les mouvements de protestation contre la guerre en Ukraine et l’annexion
de la Crimée ont été sévèrement et régulièrement réprimés
. Le meurtre d’une éminente figure
de l’opposition, Boris Nemtsov, le 28 février 2015 constitue l’assassinat
politique le plus révélateur à ce jour et témoigne clairement de
la dégradation du climat politique en Russie. Il a été perpétré
la veille du jour où Boris Nemtsov était censé conduire une marche
de protestation contre la situation économique en Russie et la guerre
en Ukraine et juste avant la publication d’un rapport sur l’enquête
qu’il avait menée sur la participation de la Russie dans le conflit
du Donbass
.
44. Certains éléments de preuve laissent à penser qu’il a été
fait usage de la torture sur les suspects interpellés dans le cadre
de l’enquête sur cet assassinat
.
Les autorités russes ont menacé d’engager des poursuites pénales
à l’encontre de deux militants des droits de l’homme qui avaient
publié des allégations d’actes de torture formulées par les deux
hommes accusés du meurtre de Boris Nemtsov, soulevant ainsi des questions
préoccupantes quant à l’équité de l’enquête
.
45. Le harcèlement dont serait l’objet l’opposition peut également
être perçu comme une volonté de déstabiliser les efforts de création
d’une alternative politique unie à l’approche des prochaines élections
de 2015 et 2016. Le 17 février 2015, le chef de l’opposition russe,
Alexeï Navalny, a été condamné à quinze jours de prison pour avoir
violé une loi restreignant les manifestations, cette mesure l’empêchant
ainsi de participer au rassemblement prévu le 1er mars
2015. Le 28 avril, le ministère de la Justice a annoncé que le Parti
du progrès de M. Navalny avait été radié de la liste des partis
autorisés, son inscription légale ayant été annulée pour n’avoir
pas enregistré à temps ses antennes régionales. La décision survient
dix jours après l’annonce de la création d’un nouveau mouvement
d’opposition au sein duquel l’opposition démocratique s’est rassemblée
autour d’une plateforme commune pour les élections régionales de
2015 et les élections législatives de 2016. La coalition regroupe
le Parti RPR-Parnas de Boris Nemtsov, coprésidé par Mikhail Kasyanov,
le Parti du progrès d’Alexeï Navalny et quatre autres partis
.
5. Coopération entre
la délégation de la Fédération de Russie et l’Assemblée parlementaire
46. Dans sa
Résolution
2034 (2015), l’Assemblée a déclaré ceci: «Aussi la Fédération de
Russie doit-elle engager un véritable dialogue avec l’Assemblée
sur cette question, ainsi que sur le respect de ses engagements
et obligations à l’égard du Conseil de l’Europe. Pour autant, l’Assemblée
tient à souligner qu’un tel dialogue n’est possible qu’à la condition
que les autorités russes acceptent de participer, en toute bonne
foi et sans condition préalable, à un dialogue constructif et ouvert
avec l’Assemblée, y compris sur des points à propos desquels les
vues de l’Assemblée et de la Russie divergent
.»
Elle a par conséquent décidé de ratifier les pouvoirs de la délégation
russe – tout en suspendant un ensemble de droits afin d’exprimer
clairement qu’elle condamne les actions de la Russie en Crimée et
dans l’est de l’Ukraine – aux seules fins de «favoriser le dialogue
avec la Fédération de Russie»
.
47. Toutefois, comme évoqué précédemment, après l’adoption de
la
Résolution 2034 (2015), la délégation russe a décidé de cesser tout contact
et toute coopération avec l’Assemblée parlementaire jusqu’à la fin
de 2015. Je déplore vivement la décision de la délégation russe,
qui constitue un rejet clair de la proposition de l’Assemblée de
maintenir un dialogue ouvert et constructif, y compris sur les actions
de la Russie en Ukraine. Cette décision conduit à s’interroger sur
la volonté de la délégation russe de coopérer et d’entretenir un dialogue
positif avec l’Assemblée, s’agissant notamment du respect de ses
engagements et obligations envers notre Organisation.
48. Pourtant, un dialogue de bonne foi entre l’Assemblée et la
délégation russe reste essentiel pour trouver une solution durable,
fondée sur le droit et les principes internationaux, au conflit
dans l’est de l’Ukraine et à l’annexion illégale de la Crimée. Par
ailleurs, ce dialogue est indispensable pour que la délégation russe
soit amenée à rendre des comptes sur la base des valeurs et des
principes du Conseil de l’Europe
.
49. A de multiples occasions, l’Assemblée a clairement exprimé
son souhait d’engager un tel dialogue, notamment en avril 2014 et
en janvier 2015, lorsqu’elle a adopté la
Résolution 1990 (2014) et la
Résolution 2034
(2015), dans lesquelles elle a décidé de ratifier à cette fin
les pouvoirs de la délégation russe. Il est désormais essentiel
que le Parlement russe et sa délégation auprès de l’Assemblée expriment
leur volonté claire d’engager avec l’Assemblée un dialogue sans
conditions préalables sur le respect par la Russie de ses obligations
et engagements à l’égard du Conseil de l’Europe, notamment en ce
qui concerne sa politique vis-à-vis de ses Etats voisins. L’acceptation
d’un tel dialogue est un principe fondamental de l’appartenance
à l’Assemblée parlementaire, qui incombe à toutes les délégations.
J’appelle par conséquent la délégation russe à rétablir le dialogue
avec l’Assemblée concernant en particulier la mise en œuvre des
demandes formulées par l’Assemblée dans sa
Résolution 1990 (2014) et sa
Résolution
2034 (2015).
50. Dans un premier temps, la délégation russe devrait reprendre
ses travaux au sein de la commission de suivi et permettre à ses
rapporteurs pour la Russie de se rendre dans le pays dans le cadre
de leur mission. A cet égard, il convient de noter que, conformément
à l’article 8.2.b du Règlement
de l’Assemblée, «le manque de coopération dans le processus de suivi
de l’Assemblée» constitue en soi une raison pour laquelle les pouvoirs
d’une délégation peuvent être contestés.
51. De toute évidence, l’annulation des pouvoirs de la délégation
russe, en sus des sanctions générales déjà imposées par l’Assemblée,
pourrait entraver dans la pratique l’instauration d’un tel dialogue
avec la délégation russe. D’un autre côté, il faut bien voir que
le refus de la délégation russe d’établir le dialogue, selon les modalités
décrites dans les précédents paragraphes, risque de susciter des
appels de plus en plus pressants au sein de l’Assemblée en faveur
de la non-ratification des pouvoirs de la délégation russe en janvier
2016. La possibilité d’engager un dialogue constructif avec l’Assemblée
dans son ensemble au cours des six prochains mois est une chance
que la délégation russe ne peut se permettre de laisser passer.
6. Sanctions prises
par l’Assemblée
52. Dans les trois paragraphes qui suivent, je réitère
certaines observations à propos de la question des sanctions déjà
formulées dans mon rapport «Contestation, pour des raisons substantielles,
des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération
de Russie»
de janvier 2015. Selon moi, ces
observations restent parfaitement valables dans le cadre de l’examen
de l’annulation des pouvoirs de la délégation russe.
53. Le 11 avril 2014, le Bureau de l’Assemblée a invité la commission
du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles à
«élaborer une liste des droits de participation ou de représentation
dont l’exercice peut faire l’objet d’une privation ou d’une suspension
dans le cadre d’une contestation ou d’un réexamen des pouvoirs (...)».
Le 30 septembre 2014, cette commission a approuvé un avis pour le
Bureau
sur cette question, préparé par
Mme Nataša Vučković (Serbie, SOC). Cet
avis a été approuvé par le Bureau de l’Assemblée à sa réunion du
30 septembre 2014.
54. Dans son avis, Mme Vučković souligne
qu’il serait impossible de donner une liste exhaustive des droits de
participation
ou de représentation
susceptibles d’être retirés à une délégation
ou suspendus, car les possibilités n’auraient de limite que l’imagination
des membres
. Elle a toutefois
précisé dans son exposé des motifs que toute sanction devrait être
cohérente et reposer sur les principes de la sécurité juridique
et de la proportionnalité avec la gravité de l’infraction en cause.
55. Les principes de sécurité juridique et de proportionnalité
sont par conséquent d’importants critères à prendre en considération
lors des discussions et des décisions sur les éventuelles sanctions
à appliquer à la délégation russe. En l’occurrence, la sécurité
juridique implique de veiller à ce que des violations similaires conduisent
à des sanctions similaires si elles venaient à se répéter, et que
des actions similaires d’autres délégations entraînent des sanctions
de même niveau. Le respect de la proportionnalité signifie que,
s’il est décidé d’appliquer des sanctions, ces dernières – ou l’absence
de ces dernières – ne devront pas, par leur trop grande sévérité
ou leur trop grande légèreté, empêcher l’Assemblée de sanctionner
par la suite des violations plus ou moins graves des obligations
et engagements d’un pays donné.
56. Comme évoqué, Mme Vučković a également
précisé que la décision de sanctionner devrait être cohérente tant
d’un point de vue juridique et réglementaire que d’un point de vue
politique. A cet égard, la décision de sanctionner doit être rationnelle
et prendre en compte l’efficacité et la clarté de la sanction appliquée
.
57. Dans sa
Résolution
2034 (2015), l’Assemblée a décidé d’imposer une série de sanctions
sévères qui ont eu un profond impact sur les privilèges des membres
de la délégation russe. Ces sanctions perdurent jusqu’à la fin de
la session de 2015. L’annulation des pouvoirs aurait pour principal
effet, outre les sanctions déjà en place, d’empêcher les membres
de la délégation russe de participer aux séances de l’Assemblée
et aux réunions de ses commissions et de s’exprimer dans ce cadre.
Cependant, comme mentionné précédemment, la délégation russe a pris
la regrettable décision d’interrompre tout contact et de cesser
toute coopération avec l’Assemblée parlementaire jusqu’à la fin
de 2015. Par conséquent, dans la pratique, l’annulation des pouvoirs
n’aurait guère d’effet supplémentaire et serait pour l’essentiel
un geste symbolique. Il convient de souligner que la condamnation
des agissements de la Russie dans l’est de l’Ukraine et en Crimée ressort
déjà clairement des sanctions générales appliquées. En revanche,
une annulation des pouvoirs fermerait plusieurs possibilités concrètes
pour la délégation russe de rouvrir le dialogue avec l’Assemblée
en vue de rétablir la coopération et de répondre aux préoccupations
exprimées par l’Assemblée notamment dans sa
Résolution 1990 (2014) et sa
Résolution
2034 (2015).
7. Conclusions
58. Comme évoqué en introduction, la seule question à
examiner dans le cadre du présent rapport est l’annulation éventuelle
des pouvoirs de la délégation russe. Les sanctions établies dans
la
Résolution 2034 (2015) ont été imposées à cette dernière pour la durée de la
session de 2015 et restent par conséquent valides jusqu’à l’ouverture
de la première partie de la session de 2016. Ce rapport ne saurait
alléger ou durcir les sanctions en vigueur, si ce n’est d’envisager
l’annulation des pouvoirs.
59. De toute évidence, aucun progrès n’a été réalisé en ce qui
concerne les demandes formulées par l’Assemblée dans sa
Résolution 2034 (2015). Par ailleurs, le cessez-le-feu instauré par le processus
de Minsk demeure fragile et fait l’objet de violations quotidiennes.
D’importantes forces militaires russes sont encore déployées dans
l’est de l’Ukraine et leur présence aurait été renforcée après la
signature de l’Ensemble de mesures en vue de l’application des accords
de Minsk le 12 février 2015. De plus, la fourniture aux forces séparatistes
et aux «volontaires» russes d’armements lourds sophistiqués se poursuit
sans relâche.
60. Cependant, l’annulation des pouvoirs de la délégation russe
serait pour l’essentiel un geste purement symbolique qui n’aurait
guère d’effet supplémentaire compte tenu des sanctions déjà en place
et de la décision de la délégation russe de suspendre sa participation
au sein de l’Assemblée jusqu’à la fin de 2015. La condamnation explicite
par l’Assemblée des actions de la Fédération de Russie dans l’est
de l’Ukraine ainsi que de son annexion illégale de la Crimée ressort
clairement de la série de sanctions générales qu’elle a imposées
pour la durée de la session de l’année en cours.
61. D’autre part, l’annulation des pouvoirs au moment présent
empêcherait toute éventuelle tentative de la délégation russe d’établir
le dialogue constructif et ouvert sollicité par l’Assemblée. J’ai
la ferme conviction qu’il convient d’offrir à la délégation russe
une nouvelle chance d’engager un dialogue sérieux et concret avec l’Assemblée,
sans conditions préalables, sur le respect par la Russie de ses
obligations et engagements à l’égard du Conseil de l’Europe, notamment
en ce qui concerne sa politique vis-à-vis de ses Etats voisins et
les demandes formulées par l’Assemblée dans sa
Résolution 1990 (2014) et sa
Résolution
2034 (2015).
62. Je propose par conséquent à l’Assemblée de ne pas annuler,
au stade actuel, les pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe.
Toutefois, elle devrait exhorter cette dernière à mettre à profit
le restant de l’année pour engager un dialogue constructif avec
l’Assemblée concernant la mise en œuvre des demandes exprimées dans
la
Résolution 1990 (2014) et la
Résolution
2034 (2015). Faute d’une telle démarche de la part de la délégation
russe, une nouvelle contestation de ses pouvoirs au cours de la
partie de session de janvier 2016 serait fort vraisemblable.