1. Introduction
1. S’agissant de la procédure de suivi en cours, le
dernier débat sur le respect des obligations et engagements de l’Azerbaïdjan
s’est tenu à l’Assemblée parlementaire en janvier 2013 et a débouché
sur l’adoption de la
Résolution
1917 (2013). Les précédents corapporteurs, MM. Joseph Debono Grech
et Pedro Agramunt, ont effectué une dernière visite en Azerbaïdjan
en mai 2014, après quoi ils ont publié une note d’information qui
a été déclassifiée le 25 août 2014
.
2. En janvier 2015, la commission de suivi a nommé M. Tadeusz
Iwiński corapporteur en remplacement de M. Joseph Debono Grech.
Comme le mandat de corapporteur de M. Pedro Agramunt doit aussi
s’achever sous peu, afin d’assurer une transmission efficace du
dossier, nous avons décidé d’effectuer immédiatement une visite
ensemble en tant que corapporteurs du 1er au
4 mars 2015. Le but de cette visite était d’évaluer la mise en œuvre
des recommandations formulées par l’Assemblée en janvier 2013. Durant
cette visite, nous avons décidé de centrer nos efforts sur la question
fondamentale de l’indépendance de la justice, qui est l’une des
conditions préalables essentielles requises par l’Etat de droit
et le principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs. Nous avons
aussi abordé certaines questions relatives aux élections, puisque
des élections générales sont prévues en Azerbaïdjan en novembre
2015. Nous étions alarmés par les informations émanant de défenseurs
de droits de l’homme, d’organisations non gouvernementales (ONG)
nationales et internationales et d’organisations internationales
sur l’utilisation présumée d’accusations contre des militants et
des journalistes – et leurs avocats – qui, aux yeux de beaucoup,
sont des prisonniers politiques et des prisonniers d’opinion. Nous
avons donc décidé d’examiner plus particulièrement l’état de mise
en œuvre des paragraphes 18.2 et 18.4 de la
Résolution 1917 (2013).
3. Au vu des développements observés dans le pays dans les domaines
susmentionnés, nous avons décidé de publier un rapport sur le fonctionnement
des institutions démocratiques en Azerbaïdjan. Dans ce rapport,
nous examinerons l’application effective du principe de séparation
des pouvoirs, afin de comprendre l’équilibre des pouvoirs dans le
pays et, en particulier, la fonction de contrôle du parlement dans
un système fortement présidentiel, le rôle des partis d’opposition,
ainsi que l’indépendance de l’appareil judiciaire. Dans l’optique
des prochaines élections générales qui auront lieu en novembre 2015,
une section sera consacrée au cadre juridique et institutionnel
et aux pratiques dans le domaine électoral. Nous examinerons dans
ce contexte, mais aussi plus généralement, l’indépendance et le
fonctionnement de la justice, ainsi que la question de la détention
provisoire. Les derniers développements concernant la liberté d’expression
et d’association seront également pris en compte. Sans entrer dans
le détail de chaque cas, nous jugeons très inquiétant le fait qu’au
moins 22 prisonniers de conscience soient actuellement détenus en
Azerbaïdjan selon Amnesty International, une organisation réputée
. Les exemples ci-dessous sont mentionnés
uniquement pour illustrer les problèmes systémiques. D’autre part,
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
a chargé M. Pedro Agramunt de préparer un rapport sur «La présidence
azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quel suivi en matière de
respect des droits de l’homme?».
4. Au cours de notre visite, nous avons rencontré plusieurs hauts
responsables, dont le Président de la République, le ministre de
la Justice, le procureur général et des membres de l’administration
présidentielle. Au Milli Mejlis (parlement), nous avons rencontré
les présidents de la commission des politiques juridiques et de
réorganisation de l’Etat et de la commission des droits de l’homme.
Nous avons également tenu un échange de vues avec la délégation
de l’Azerbaïdjan auprès de l’Assemblée parlementaire. Le Bureau
du Conseil de l’Europe à Bakou a aimablement organisé des rencontres
avec des ONG, des représentants de la communauté internationale
et des avocats de personnes en détention. Nous souhaitons exprimer
notre gratitude à la délégation parlementaire azerbaïdjanaise et
à son secrétariat pour l’excellente organisation de la visite, ainsi
qu’au Bureau du Conseil de l’Europe à Bakou qui nous a aidés à organiser
des réunions. Nous sommes particulièrement reconnaissants aux autorités
de nous avoir fourni des moyens de transport pour rendre visite
à des détenus dans la prison de Kurdakhani et dans la Prison 13.
2. Développements
récents
5. La situation politique et de sécurité de l’Azerbaïdjan
est déterminée dans une large mesure par le contexte géopolitique
et peut difficilement être examinée sans prendre en compte ce dernier.
Le pays est situé entre la Fédération de Russie, l’Iran et l’Arménie.
6. Depuis son accès à l’indépendance, l’Azerbaïdjan s’est efforcé
de trouver dans sa politique étrangère un équilibre dans les relations
avec l’Union européenne, la Turquie, l’Iran et ses autres voisins
de la mer Caspienne, la Fédération de Russie et les Etats‑Unis.
Pendant les dernières années, l’Azerbaïdjan est parvenu à maintenir
une politique étrangère indépendante, équilibrée et diversifiée
en s’appuyant sur ses importantes ressources énergétiques et sa
situation stratégique sur la mer Caspienne.
7. L’Azerbaïdjan a noué des relations diplomatiques avec des
acteurs clés comme l’Union européenne, les Etats‑Unis et la Turquie.
Ses relations avec la Fédération de Russie ont été caractérisées
par la prudence, l’Azerbaïdjan ayant refusé d’adhérer à l’Union
eurasiatique. Dans le même temps, l’Azerbaïdjan a exprimé des réserves
au sujet de la signature d’un Accord de stabilisation et d’association
avec l’Union européenne
. L’Azerbaïdjan
a souhaité obtenir un traitement différentiel au sein du Partenariat
oriental, en insistant pour que ses liens de coopération bilatéraux
avec l’Union européenne soient axés sur le développement économique, l’énergie,
les communications et les migrations, peut-être au détriment de
certains éléments clés de la démocratie, de l’Etat de droit et du
respect des droits de l’homme
. Cette politique semble avoir pour
but de manifester la neutralité de l’Azerbaïdjan à l’égard de la
Russie et des pays occidentaux.
8. L’agenda de politique étrangère azerbaïdjanais est toujours
dominé par l’occupation du Haut‑Karabakh et de sept autres provinces
d’Azerbaïdjan par l’Arménie. Cette question sera abordée par M. Robert
Walter dans le rapport qu’il prépare pour la commission des questions
politiques et de la démocratie sous le titre «L’escalade de la violence
dans le Haut‑Karabakh et les autres territoires occupés en Azerbaïdjan».
Nous n’analyserons pas, dans le cadre du présent rapport, la question
de la mise en œuvre des engagements du pays à cet égard.
9. Evoquant les manifestations qui ont eu lieu avant l’élection
présidentielle de 2013 en Azerbaïdjan, nos interlocuteurs sont apparus
inquiets de la possibilité de troubles sociaux ou de désordres.
Ils ont invoqué les exemples de la Géorgie et de l’Ukraine pour
justifier leur approche quasi‑paranoïaque de la stabilité et de
la sécurité intérieures du pays.
10. Les événements en Ukraine ont également exercé une influence
sur les relations de l’Azerbaïdjan avec les pays occidentaux en
révélant la fragilité de l’environnement de sécurité énergétique
en Europe. L’Azerbaïdjan constitue à cet égard un pays particulièrement
important dont les ressources énergétiques jouent un rôle pivot.
L’Union européenne cherche à diversifier ses fournitures d’énergie
via le «corridor gazier sud-européen» et cela a très fortement renforcé
la position stratégique de Bakou.
11. L’Union européenne est le principal partenaire commercial
de l’Azerbaïdjan, les échanges avec l’Union européenne représentant
environ 42,4 % du total des échanges de l’Azerbaïdjan
. En 2014, les échanges bilatéraux
Union européenne–Azerbaïdjan ont atteint 16,7 milliards d’euros
. Le partenariat stratégique autour de
l’énergie est l’épine dorsale de cette relation. Le projet de l’Union
européenne en vue de la création d’un système de pipelines pour
le transport des ressources en hydrocarbures de l’Azerbaïdjan vers
l’Europe via la Turquie a été développé il y a une dizaine d’années
afin de briser le monopole exercé par la Fédération de Russie sur
l’exportation des ressources énergétiques de la mer Caspienne et
de fournir à l’Europe un moyen important de diversification grâce
à l’établissement d’un «corridor gazier sud‑européen». Lorsque l’Azerbaïdjan
est devenu le seul fournisseur du corridor, elle a promu le réseau
gazier transanatolien (TANAP) en remplacement du projet Nabucco
alors contesté. Le réseau TANAP doit permettre à l’Azerbaïdjan et
à la Turquie d’obtenir le contrôle du transit du gaz azerbaïdjanais
et du gaz d’Asie centrale, d’Iran et d’Irak via la Turquie. Le projet
conjoint Union européenne–Azerbaïdjan de corridor gazier sud‑européen
a été officiellement lancé en septembre 2014. La Turquie a inauguré
les travaux du pipeline TANAP en mars 2015. Les pays de l’Union
européenne prévoient que ce corridor permettra de réduire fortement
leur dépendance à l’égard du gaz russe, puisqu’il devrait couvrir
20 % des besoins de l’Union européenne.
12. L’Azerbaïdjan fait maintenant valoir de façon particulièrement
vigoureuse son droit à une vision propre de l’avenir du pays. Il
en est résulté une transformation de la nature des relations entre
l’Azerbaïdjan et les pays occidentaux, l’Azerbaïdjan évoluant d’une
position de demandeur à celle d’acteur indépendant.
13. Les interlocuteurs de haut niveau avec lesquels nous nous
sommes entretenus en Azerbaïdjan nous ont déclaré à cet égard que
le pays doit faire face à de nombreuses menaces pour son indépendance
et qu’une réponse vigoureuse est nécessaire pour assurer sa stabilité
et sa sécurité. Ils ont insisté en outre sur la nécessité d’éviter
le risque de crises et de tensions sociales avant les premiers Jeux
européens qui auront lieu à Bakou en juin 2015. A cet égard, l’intensification
récente des critiques formulées au niveau international par des
ONG occidentales a conduit à la publication en avril 2015 par l’Agence
de Presse Azérie (APA) d’une enquête documentaire
accusant un «réseau extérieur anti-Azerbaïdjan»
et le «lobby arménien» d’associer leurs efforts pour exagérer de
manière artificielle et malveillante les problèmes de droits de
l’homme, de liberté de la presse, de corruption, etc., en appelant
à boycotter les premiers Jeux européens. L’APA, qui exprime le point
de vue azerbaïdjanais officiel, déclare que ces forces cherchent
à politiser les premiers Jeux européens par un barrage d’informations
unilatérales, en attirant de manière déformée l’attention de la
communauté internationale sur les affaires intérieures de l’Azerbaïdjan
et en contraignant le pays à abandonner son orientation politique
indépendante au moyen de pressions et de menaces qui ont déjà été
utilisées avec succès contre certains Etats. Cependant, il est connu
qui mène ces activités scandaleuses, et par quels moyens, car d’autres
pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI) ont été soumis
récemment à une campagne similaire organisée par des milieux occidentaux.
Bien que les véritables motifs de ces activités soient clairs, ces
milieux font de grands efforts pour dissimuler leurs motifs et leurs
intentions derrière de fausses déclarations. D’après l’APA, le motif
principal des ONG étrangères est de protéger les membres de la «cinquième
colonne» qui sont financés et reçoivent leurs instructions de sources
occidentales et arméniennes et qui participent activement depuis
de nombreuses années à une campagne de dénigrement contre l’Azerbaïdjan,
en violant de manière flagrante la législation du pays.
14. Lors de nos entretiens, les autorités nous ont notamment rappelé
les multiples menaces auxquelles est confronté l’Azerbaïdjan. Mentionnant
la tentative du dirigeant du Conseil national des forces démocratiques, Rustam
Ibragimbekov, qui est de nationalité russe, de se porter candidat
aux élections de 2013, et l’influence négative de certains intérêts
étrangers par le biais du financement des ONG, les autorités ont
parlé d’«attaques par des étrangers, des ONG et des médias contre
un pays libre». A leur avis, le Conseil de l’Europe et d’autres organisations
internationales n’appliquent pas des normes identiques à l’Azerbaïdjan
et à d’autres pays dans lesquels la situation est bien plus grave,
par exemple la Géorgie où la moitié des membres du gouvernement précédent
sont en prison. Lors d’une réunion avec Amnesty International, les
deux corapporteurs ont appris, à leur grande surprise, que les anciens
membres du gouvernement emprisonnés en Géorgie ne sont pas considérés
comme des prisonniers politiques.
3. Equilibre entre
les pouvoirs
15. L’Azerbaïdjan se caractérise par un pouvoir exécutif
fort. Les principes de l’indépendance et de la séparation des pouvoirs
sont inscrits dans la Constitution, mais le cadre institutionnel
accorde des pouvoirs importants au Président de la République
.
Les deux autres pouvoirs – judiciaire et législatif – sont en comparaison
faibles. Les organes chargés d’exercer des fonctions de contrôle
(société civile, médias et partis politiques) sont également faibles.
L’institution du Médiateur ne jouit guère d’indépendance. Dans son
rapport d’évaluation du quatrième cycle
,
le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) indique que «le cadre institutionnel
confère des pouvoirs particulièrement étendus au Président et au
pouvoir exécutif, qui exercent une influence considérable sur le
corps législatif et judiciaire, en particulier sur le ministère
public. Cette configuration crée un environnement manquant de transparence
et propice au favoritisme politique ainsi qu’à la corruption». Cependant,
dans son rapport
, Transparency International considère
que les capacités des institutions gouvernementales, en particulier
leurs ressources humaines, techniques et financières, et le solide cadre
légal du pays constituent les principaux points forts du système
national d’intégrité de l’Azerbaïdjan. Transparency International
indique également que «pendant les dernières années, le gouvernement
a lancé plusieurs programmes importants qui commencent à donner
de premiers résultats. Entre 2011 et 2014, l’Azerbaïdjan a vu une
réduction du niveau de la corruption, en particulier dans les services
fournis quotidiennement par le réseau de centres de services publics
appelés centres ASAN, grâce à l’introduction d’un système de services
électroniques et d’un portail unique de l’administration publique
en ligne, et aussi à l’amélioration des procédures de création d’entreprise
et des pratiques de recrutement dans la fonction publique».
16. Le Président de l’Azerbaïdjan, M. Ilham Aliyev, est à la fois
chef de l’Etat et chef du pouvoir exécutif. Il occupe ces fonctions
depuis le 31 octobre 2003. Il a été réélu le 15 octobre 2008 avec
88,7 % des voix, puis en 2013 avec 85 % des voix, obtenant ainsi
un troisième mandat de cinq ans. Le Président est rééligible sans limitation
de mandats et la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) a jugé que cela constituait «un recul
du point de vue de la démocratie»
. Il convient
de noter, cependant, que la ré‑éligibilité sans limitation de mandats
du chef de l’Etat ou du chef du gouvernement existe aussi dans de nombreux
Etats membres du Conseil de l’Europe. Le Président jouit de l’immunité
à vie contre les poursuites pénales.
17. Les pouvoirs du Président sont énumérés longuement à l’article
109 de la Constitution. Entre autres choses, la Constitution donne
pouvoir au Président de nommer et renvoyer le gouvernement; le Président
est le garant de l’indépendance de l’appareil judiciaire; il soumet
le budget au Milli Mejlis; il soumet également au Milli Mejlis les
nominations et révocations des juges de la Cour constitutionnelle,
de la Cour suprême et des cours d’appel; il nomme les juges des
autres tribunaux; il nomme et révoque le Procureur général avec l’approbation
du Milli Mejlis; il présente des candidats au Milli Mejlis en vue
de l’élection du Commissaire aux droits de l’homme d’Azerbaïdjan;
il règle d’autres questions ne relevant pas des compétences du Milli
Mejlis de la République d’Azerbaïdjan et de l’appareil judiciaire
(article 109, paragraphe 32).
18. L’Assemblée nationale est un organe unicaméral comprenant
125 membres élus au système majoritaire pour un mandat de cinq ans.
Les dernières élections législatives ont eu lieu le 7 novembre 2010.
Le parti au pouvoir a obtenu 73 sièges et 71 sièges ont été attribués
au parti «Azerbaïdjan nouveau» (Yeni Azerbaijan) et 41 à des candidats
indépendants. Le Parti de la patrie a obtenu 2 sièges. Les 11 sièges
restants ont été répartis entre neuf partis d’opposition. Le Parti
Musavat et le Parti du front populaire d’Azerbaïdjan n’ont pas réussi
à obtenir une représentation au parlement. Cela est dû principalement
au fait que le système électoral, un système majoritaire à un tour
similaire à celui du Royaume‑Uni, favorise à la fois le parti au
pouvoir et les candidats indépendants et qu’en outre, l’opposition
est très divisée en Azerbaïdjan et les candidats de l’opposition
sont souvent en concurrence les uns contre les autres dans la même
circonscription, s’affaiblissant ainsi réciproquement. Selon la
Commission électorale centrale (CEC), le taux de participation au
scrutin a été de 50,1 %. Les prochaines élections sont prévues pour
le 1er novembre 2015 (voir plus bas la
section sur les élections).
19. Nous sommes préoccupés par les compétences restreintes et
les pouvoirs effectifs du Milli Mejlis, tels que définis dans la
Constitution.
20. Aux termes de la Constitution
, lorsque l’initiative d’un texte de loi émane
d’une autre instance que les parlementaires – Président de la République,
Cour suprême, Bureau du procureur, Conseil suprême de la République
autonome du Nakhitchevan ou groupe de 40 000 citoyens ayant le droit
de vote –, le projet de loi ne peut être modifié qu’avec l’approbation
de l’instance habilitée à initier un texte de loi et doit être soumis
au vote dans un délai de deux mois (ou 20 jours dans les cas urgents),
tandis que les autres projets de loi doivent être adoptés dans un
délai de six mois (article 20 du règlement du parlement). Nous avons
exprimé notre préoccupation au sujet de la restriction substantielle
des fonctions législatives du Milli Mejlis qui résulte de ces dispositions
.
21. Un certain nombre de dispositions constitutionnelles prévoient
que le parlement doit approuver diverses nominations à des postes
exécutifs et judiciaires de haut niveau
.
Comme l’a souligné la Commission de Venise
, le parlement n’est aucunement
habilité dans ces cas à initier quoi que ce soit; ses pouvoirs se limitent
à donner ou refuser son approbation. Dans certains cas, le refus
du parlement peut même être contourné
. Comme les rapporteurs précédents
dans leurs rapports de suivi, nous insistons sur la nécessité d’accroître
le contrôle exercé par le parlement sur l’exécutif, afin d’assurer
un équilibre entre les pouvoirs.
22. Le principal point faible du Milli Mejlis tient à ce que tous
les partis de l’opposition ne sont pas représentés au parlement,
qui nuit à l’efficacité du contrôle parlementaire. Les initiatives
individuelles des députés sont limitées par le fait que, pour établir
un groupe parlementaire, 25 députés au moins sont nécessaires (soit
20 % des 125 députés). En réalité, seul le parti «Azerbaïdjan nouveau»
– le parti au pouvoir – est en mesure de créer un groupe parlementaire.
23. Faisant écho à ces préoccupations, nous souhaitons rappeler
qu’il est dans l’intérêt supérieur du processus démocratique, et
du parti au pouvoir lui-même, qu’il puisse se confronter à toutes
les forces de l’opposition au sein d’un organe représentatif, en
permettant ainsi un véritable dialogue politique dans le cadre parlementaire.
Il importe de développer un système politique inclusif et un environnement
favorable au pluralisme politique
. Les autorités nous ont informés
qu’une initiative en faveur du dialogue politique a été lancée il
y a quelque temps mais que les partis de l’opposition non représentés
au parlement, tels que le Parti Musavat et le Parti du Front populaire,
refusent jusqu’à ce jour d’y participer.
24. L’indépendance de la justice soulève aussi certaines préoccupations,
qui seront abordées dans une section distincte.
4. Elections
25. Le Code électoral de l’Azerbaïdjan est le principal
texte de loi réglementant le processus électoral dans le pays; cependant,
certaines questions électorales sont également régies par la Constitution
et la loi sur les rassemblements publics, la législation sur les
médias et le Code de procédure pénale.
26. En 2009, la Commission de Venise a adopté un avis sur le projet
d’amendements à la Constitution de l’Azerbaïdjan
qui
mentionnait, parmi les principaux points soulevés par la réforme,
la suppression de la limite de deux mandats pour le Président
et les restrictions des libertés et droits
fondamentaux, principalement la liberté des médias et les restrictions
imposées aux journalistes qui ne peuvent réaliser d’enregistrements
lors de réunions publiques ou de réunions présentant un intérêt
général s’ils n’ont pas été expressément autorisés à le faire. Les
amendements sont néanmoins entrés en vigueur en mars 2009. Il est
à noter qu’aucune des modifications du Code électoral adoptées en
2010, 2012 et 2013 n’a été soumise à la Commission de Venise pour
avis.
27. En ce qui concerne le Code électoral, en mars 2008, le Bureau
des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) et la Commission
de Venise ont préparé un avis conjoint intérimaire sur le projet
d’amendements au Code
. Le Milli Mejlis a adopté les amendements
le 2 juin 2008. La Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH ont adopté en
juin 2008 un autre avis conjoint sur les amendements adoptés au
Code électoral
.
Depuis, le Code électoral a été de nouveau amendé en juin 2010,
avril 2012 et avril 2013 mais les problèmes clés n’ont pas été résolus,
en particulier la réforme de la composition de l’administration
électorale, qui n’est pas suffisamment indépendante.
28. Dans leur rapport sur «Le respect des obligations et engagements
de l’Azerbaïdjan»
du 20 décembre 2012,
les corapporteurs précédents ont exprimé leurs préoccupations sur
le fait que les recommandations antérieures de la Commission de
Venise n’avaient pas été prises en compte. Ils mentionnaient comme
sujets d’inquiétude les plus importants la composition de la Commission
électorale centrale et des commissions électorales territoriales,
l’enregistrement des candidats, les observateurs, la liste électorale
et son exactitude, ainsi que les procédures de réclamation et de
recours. Le Code électoral n’a pas été amendé depuis pour améliorer
la composition de l’administration électorale, l’enregistrement
des candidats et la liste électorale, malgré les recommandations
de la Commission de Venise.
29. Les membres de la Commission électorale centrale sont nommés
par le parlement: un tiers d’entre eux sur proposition de la majorité,
un autre tiers sur proposition de la minorité et le dernier tiers
sur proposition de députés indépendants. Ce système peut, en théorie,
paraître adéquat mais, dans la pratique, il assure aux forces pro-gouvernementales
une majorité décisive et se traduit par l’absence de membres de
l’opposition au sein de la commission.
. La loi dispose
que tous les présidents des commissions électorales sont nommés par
la majorité parlementaire. Les membres des commissions électorales
de circonscription sont nommés par la Commission électorale centrale
et les membres des commissions électorales locales sont nommés par
la commission électorale de circonscription pertinente. Au vu de
ce qui précède, la composition des commissions ne peut que nuire
à l’indépendance de l’administration des élections, sapant ainsi
la confiance dans le processus électoral.
30. Les précédents avis de la Commission de Venise ont souligné
à plusieurs reprises la nécessité de réviser les normes s’appliquant
aux candidatures, car certaines dispositions ne sont pas suffisamment précises
et certaines peuvent même être considérées comme indûment restrictives.
Le processus d’enregistrement des candidats devrait être plus transparent.
La mise en œuvre des dispositions légales existantes sur la nomination
et l’enregistrement des candidats devrait être renforcée en améliorant
la transparence des règles et procédures de vérification. Les décisions
de refus d’une candidature devraient être bien fondées et motivées.
31. La Cour européenne des droits de l’homme a constaté des violations
du droit à la tenue d’élections libres (article 3 du Protocole n°
1 à la Convention) de plusieurs requérants membres de partis d’opposition
ou candidats indépendants à l’occasion des élections législatives
de 2005
.
La Cour a jugé que les réclamations des requérants et les éléments
qu’ils ont présentés à l’appui ont été rejetés sans aucune justification
légale, que les déclarations et témoignages à l’encontre des requérants
ont été acceptés sans examen adéquat de leur véracité et de leur
crédibilité
, que les
décisions annulant la candidature ou l’élection des requérants n’ont reposé
sur aucun examen indépendant et n’ont pas été motivées, et que les
requérants n’ont pas eu la possibilité de participer à l’audition
.
32. La Cour a souligné l’absence d’examen indépendant et de motivation
argumentée à l’appui des décisions des commissions électorales et
insisté plus généralement sur la nécessité que les autorités chargées de
l’administration des élections fonctionnent de manière transparente
et maintiennent impartialité et indépendance à l’égard de toute
ingérence politique. L’importance de l’indépendance des membres
des commissions électorales a été réitérée à plusieurs reprises
également par la Commission de Venise
,
qui recommande que les commissions électorales centrales incluent
au moins un membre de l’appareil judiciaire. Ces conclusions ont
ensuite été reprises dans l’avis
de
la Commission de Venise sur le projet d’amendements au Code électoral
de la République d’Azerbaïdjan.
33. Dans sa décision du 25 septembre 2014 sur l’exécution des
arrêts de la Cour dans le groupe d’affaires Namat Aliyev, le Comité
des Ministres prend note des éclaircissements fournis par les autorités
au sujet du groupe d’experts créé en 2008 pour assister ces commissions,
mais juge néanmoins que cette réforme ne semble pas résoudre les
problèmes mis en évidence dans les arrêts de la Cour quant à l’indépendance,
la transparence et la qualité juridique des procédures devant ces
commissions. Dans sa décision du 12 mars 2015, le Comité des Ministres,
s’appuyant sur ses nombreuses décisions soulevant depuis 2013 des préoccupations
identiques au sujet de l’indépendance, de la transparence et des
compétences légales des commissions électorales en relation avec
ce groupe d’affaires, note que les informations fournies récemment portent
uniquement sur la formation des membres de ces commissions et réitère
que de telles mesures ne sauraient en elles‑mêmes suffire à résoudre
les problèmes identifiés par la Cour.
34. D’après les autorités azerbaïdjanaises, au cours des élections
municipales de décembre 2014, 17 réclamations concernant 14 municipalités
ont été déposées auprès de la Commission électorale centrale avant
le jour du scrutin, et 12 réclamations portant toutes sur l’enregistrement
de candidats ont obtenu gain de cause. Après les élections, la CEC
aurait reçu 79 réclamations concernant 58 municipalités. La CEC
aurait annulé les résultats du scrutin dans 8 municipalités. Les
autorités ne nous ayant pas fourni d’informations pertinentes détaillées
sur les procédures de règlement des plaintes déposées après les
élections municipales de décembre 2014 et leur aboutissement, nous
ne sommes pas en mesure d’évaluer les progrès éventuels en ce domaine.
35. Les autorités nous ont informés qu’en vertu du Code de procédure
administrative entré en vigueur le 1er janvier
2011, les réclamations contre des actes (ou omissions) et des décisions
des commissions électorales devront être déposées auprès des cours
d’appel (chambre des affaires administratives et économiques). Nous
n’avons pas reçu d’informations permettant d’analyser de manière
adéquate le fonctionnement de ce nouveau moyen de recours.
36. Etant donné l’imminence des prochaines élections législatives,
qui auront lieu en novembre 2015, il est de la plus haute importance
d’assurer que les commissions électorales et les tribunaux fonctionnent
de manière adéquate, en étant aptes à examiner la légalité des décisions
de ces commissions. Les autorités devraient s’efforcer de continuer
à améliorer le système de contrôle de la régularité des élections,
afin d’empêcher tout arbitraire, au moyen de directives pratiques
de la Cour suprême et d’instructions adéquates aux commissions électorales
. Elles
devraient mettre à profit dans ce contexte les compétences de la Commission
de Venise.
37. Au vu de ce qui précède, il apparaît qu’à ce jour, plusieurs
recommandations des organes du Conseil de l’Europe concernant le
cadre légal et institutionnel et les pratiques des élections n’ont
toujours pas été prises en compte. Les prochaines élections générales
auront lieu en novembre 2015. Pendant notre visite, nous avons souligné
l’importance d’assurer à temps avant les prochaines élections la
conformité de la législation et des pratiques avec les normes européennes,
comme indiqué dans les recommandations de la Commission de Venise
et dans les décisions du Comité des Ministres sur l’exécution des
arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme.
38. Dans son deuxième rapport de conformité du troisième cycle
,
le GRECO s’est félicité des efforts réalisés par l’Azerbaïdjan pour
améliorer peu à peu le contrôle public du financement des campagnes électorales,
en s’appuyant sur des groupes de travail regroupant des experts
et des représentants de la société civile. Les propositions visant
à renforcer le contrôle du financement des partis politiques sous
la responsabilité de la Commission électorale centrale constituent
un pas dans la bonne direction, à condition que la CEC soit dotée
de compétences et de moyens appropriés pour pouvoir contrôler efficacement
à la fois le financement des partis et le financement des campagnes
électorales et que son indépendance opérationnelle soit effectivement
garantie
.
5. Appareil judiciaire
39. L’indépendance de la justice est une condition préalable
essentielle dans un système de séparation et d’équilibre des pouvoirs.
Assurer l’indépendance de l’appareil judiciaire vis-à-vis de l’exécutif
est donc de la plus haute importance.
5.1. Le Conseil judiciaire
et juridique
40. L’article 8 de la Constitution de l’Azerbaïdjan dispose
que le Président de la République est le principal garant de l’indépendance
de la justice. Aux termes de l’article 1 de la loi sur le Conseil
judiciaire et juridique, le Conseil est un organe chargé, entre
autres, d’assurer l’organisation et le fonctionnement du système
des tribunaux et l’indépendance des juges. Selon les normes du Conseil
de l’Europe, l’indépendance de la justice doit être sauvegardée
par un organe judiciaire autonome, dont la composition, le mode
de sélection des membres et les fonctions doivent garantir l’entière
indépendance et impartialité.
41. Depuis sa création en 2005, le Conseil judiciaire et juridique
est présidé par le ministre de la Justice. Conformément à la loi
sur le Conseil judiciaire et juridique, le Conseil se compose de
15 membres comprenant des juges ainsi que des représentants de l’exécutif
et du corps législatif, du Bureau du procureur et de l’Ordre des
avocats, comme suit: le président de la Cour suprême de la République
d’Azerbaïdjan, un membre (juge) nommé par la Cour constitutionnelle
de la République d’Azerbaïdjan, deux membres (juges de la Cour suprême)
nommés par la Cour suprême parmi les candidats (deux au moins) proposés
par l’Assemblée générale des juges, deux membres (juges des cours
d’appel) nommés par la Cour suprême parmi les candidats (deux au
moins) proposés par l’Assemblée générale des juges, un membre (juge
de la Cour suprême de la République autonome du Nakhitchevan) nommé
par la Cour suprême de cette république parmi les candidats proposés
par l’Assemblée générale des juges, deux membres (juges des tribunaux
de première instance) nommés par le ministre de la Justice parmi
les candidats (deux au moins) proposés par l’Assemblée générale
des juges, un membre nommé par le Président de la République d’Azerbaïdjan,
le ministre de la Justice, un membre nommé par le Milli Mejlis (parlement)
de la République d’Azerbaïdjan, un membre nommé par le ministre
de la Justice de la République d’Azerbaïdjan, un membre (avocat)
nommé par le conseil de l’Ordre des avocats de la République d’Azerbaïdjan,
et un membre nommé par le Bureau du procureur général de la République
d’Azerbaïdjan.
42. Dans un rapport de 2013
préparé
dans le cadre du projet conjoint Union européenne/Conseil de l’Europe
«Renforcement de la réforme judiciaire dans les pays du Partenariat
oriental», les experts du Conseil de l’Europe notent que l’Assemblée
générale des juges doit proposer dans tous les cas au moins deux candidats
pour chaque poste et que la décision finale revient à divers organes,
dont un est extérieur à l’appareil judiciaire. Par conséquent, la
sélection de la majorité des membres du Conseil ne repose pas sur
l’élection de juges par leurs pairs mais fait appel à de nombreux
organes et institutions composés en grande partie de membres de
l’exécutif. Les experts concluent que «le système serait beaucoup
plus transparent si l’Assemblée générale des juges disposait de
pouvoirs d’élection ou de nomination au lieu d’être un organe consultatif seulement
habilité à proposer des candidats, la décision finale revenant à
diverses institutions appartenant à d’autres secteurs du pouvoir
d’Etat». Cette proposition a aussi été présentée aux autorités azerbaïdjanaises dans
le cadre de la surveillance renforcée de l’exécution des arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme concernant le groupe
d’affaires Namat Aliyev
.
43. Dans le groupe d’affaires Namat Aliyev, le Comité des Ministres
a invité les autorités azerbaïdjanaises à tenir compte des propositions
concernant le réexamen des fonctions de l’exécutif et du Procureur
général au sein du Conseil judiciaire et juridique, en particulier
en matière de nomination, de promotion et de sanction disciplinaire
des juges, et à renforcer d’une manière générale le rôle joué par
le Conseil dans la nomination et la promotion des juges.
44. Au cours de notre visite, le ministre de la Justice nous a
informés que des amendements à la loi avaient été adoptés par le
parlement en décembre 2014 et promulgués par le Président de la
République en février 2015. Aux termes de ces amendements, les deux
juges de cours d’appel ne seront plus nommés par la Cour suprême
et les deux juges de tribunaux de première instance ne seront plus
nommés par le ministre de la Justice: ces quatre juges seront élus
directement par le Conseil judiciaire et juridique à partir d’une
liste de candidats soumise par l’Assemblée générale des juges. Nous
prenons bonne note de ces amendements et invitons les autorités
à veiller en outre à ce que le Conseil soit composé exclusivement
de juges ou d’une forte majorité de juges élus par leurs pairs,
et à réduire encore l’influence de l’exécutif sur le Conseil
. Nous réitérons la proposition
d’autres organes du Conseil de l’Europe visant à accroître à cet
égard les pouvoirs de l’Assemblée générale de juges.
5.2. Nomination des
juges
45. Comme indiqué ci‑dessus, le Président de la République
joue un rôle important dans la nomination des juges, y compris la
nomination des chefs des hautes institutions judiciaires: certaines
de ces nominations sont même de son ressort exclusif. La nomination
des présidents de la Cour suprême, de la Cour suprême de la République
autonome du Nakhitchevan, des cours d’appel et du Tribunal des crimes
graves relève traditionnellement des seules compétences du Président
de l’Azerbaïdjan. Nous prenons bonne note des informations fournies
par les autorités azerbaïdjanaises
sur l’adoption
d’amendements à la législation sur les tribunaux, les juges et le
Conseil judiciaire et juridique
,
aux termes desquels les présidents de tous les tribunaux, à l’exception
de la Cour suprême de la République d’Azerbaïdjan et de la Cour
suprême de la République autonome du Nakhitchevan, sont maintenant
nommés par le Président de la République d’Azerbaïdjan sur proposition
du Conseil judiciaire et juridique. Le Président de la République
nomme tous les juges des tribunaux de district sur recommandation
du Conseil judiciaire et juridique. Le Président recommande au Milli
Mejlis la nomination des juges de la Cour suprême de la République
d’Azerbaïdjan, de la Cour suprême de la République autonome du Nakhitchevan,
de la Cour constitutionnelle et des cours d’appel. Dans la République
autonome du Nakhitchevan, les juges sont nommés par le Président
de la République sur proposition du président de l’Ali Mejlis (parlement)
de cette république. Les juges de la Cour suprême de la République
autonome du Nakhitchevan sont nommés par le Milli Mejlis après présentation
du Président de la République sur la base d’une proposition du président
du parlement de cette république.
46. Tout en prenant bonne note des derniers développements, nous
recommandons de renforcer encore le rôle du Conseil judiciaire et
juridique dans la nomination de toutes les catégories de juges et
de présidents de tribunaux
.
47. Aux termes de la loi sur le Conseil judiciaire et juridique
(article 11), le Conseil est responsable de la sélection initiale
des candidats à des fonctions judiciaires. Puis, sur la base des
résultats du processus de sélection, le Conseil judiciaire et juridique
soumet une proposition de nomination au Président (article15 de
la loi sur le Conseil judiciaire et juridique), qui nomme les juges
(article 109 de la Constitution). A la suite d’une demande adressée
par les autorités azerbaïdjanaises à la Commission européenne pour
l’efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe, une équipe
d’experts du CEPEJ a examiné le système de sélection des juges en
Azerbaïdjan
en
septembre 2011
. Ces experts ont conclu que le
système de sélection repose sur des critères objectifs et est assez
transparent. Selon leur rapport, «d’une manière générale, le modèle développé
par les autorités azerbaïdjanaises pour la sélection de nouveaux
juges peut être considéré comme un exemple intéressant de bonne
pratique tenant compte des particularités et du niveau de développement
du pays, afin d’assurer l’indépendance et la qualité de la justice
dans une nouvelle démocratie». Les résultats de l’évaluation de
chaque candidat sont soumis au Conseil, qui propose au Président
de la République d’Azerbaïdjan leur nomination à des fonctions judiciaires.
48. Le ministre de la Justice nous a assurés que le Président
n’avait encore jamais refusé de nommer un candidat proposé par le
Conseil, et qu’il n’avait jamais usé de son pouvoir pour influencer
la nomination des juges. Cependant, les normes européennes n’exigent
pas seulement la conformité des pratiques, mais aussi l’existence
d’un cadre législatif conforme.
5.3. Période probatoire
et mandat des juges
49. Le ministre de la Justice nous a informés que, le
30 décembre 2014, le parlement a adopté des amendements à la loi
sur les tribunaux et les juges
aux
termes desquels le mandat des juges nommés pour la première fois
sera de trois ans, au lieu de la période probatoire antérieure de
cinq ans. A l’issue de leur mandat de trois ans, les juges seront
renommés sur évaluation du Conseil judiciaire et juridique et occuperont leurs
fonctions jusqu’à l’âge de la retraite, c’est‑à‑dire 68 ans pour
les juges de la Cour suprême et 66 ans pour tous les autres juges.
Nous prenons bonne note de la réduction de la période probatoire
et invitons les autorités à la réduire encore. Nous rappelons que
la Commission de Venise s’est toujours opposée aux périodes probatoires
pour les juges, car elles mettent en danger leur indépendance: elle
recommande que les juges ordinaires soient nommés de façon permanente
jusqu’à l’âge de la retraite
. La fixation de périodes probatoires
peut porter atteinte à l’indépendance des juges, car ceux-ci peuvent
avoir le sentiment de faire l’objet de pressions pour statuer d’une
certaine manière
. Lorsqu’existe encore
une période de nomination initiale, celle‑ci devrait être de durée
assez brève et l’évaluation des qualifications, des capacités et
des compétences requises pour rendre des jugements en appliquant
la loi avant la nomination à vie doit reposer sur des critères objectifs
clairs et équitables, définis au préalable et accessibles
. Au vu des
informations disponibles, nous ne sommes pas en mesure, à ce stade,
de conclure qu’existent en Azerbaïdjan des critères clairs et définis
au préalable d’évaluation des juges aux fins de la nomination permanente
à des fonctions judiciaires.
50. Des experts du Conseil de l’Europe ont également critiqué
l’absence antérieure d’un âge obligatoire de retraite, fixé par
la loi, pour tous les juges dans le cadre du projet conjoint Union
européenne/Conseil de l’Europe «Renforcement de la réforme judiciaire
dans les pays du Partenariat oriental»
.
Ces nouvelles règles nous semblent bienvenues et, en particulier,
la suppression des normes et pratiques antérieures qui permettaient
d’étendre le mandat de certains juges de 65 à 70 ans.
5.4. Rôle du ministère
public et droits de la défense
51. Aux termes de l’article 133 de la Constitution et
de l’article 4 de la loi sur le ministère public, le Bureau du procureur
supervise l’exécution et l’application des lois; il engage les poursuites
pénales et mène les enquêtes; il représente l’Etat devant les tribunaux
et intervient comme partie dans les affaires civiles, commerciales
ou administratives; et il fait appel des décisions des tribunaux.
Il existe deux catégories de procureurs: les procureurs chargés
de conduire l’enquête dans les affaires pénales et les procureurs
qui remplissent les fonctions de ministère public en défendant des
accusations à caractère public ou semi‑public devant les tribunaux.
Le Bureau du procureur fait partie du pouvoir judiciaire et est
considéré comme une autorité indépendante
.
52. Le Président de la République joue un rôle important, directement
ou indirectement, dans les nominations aux postes supérieurs du
ministère public. Le Procureur général est nommé et révoqué par
le Président de la République, sous réserve de l’approbation du
Milli Mejlis. Ses adjoints, ainsi que les procureurs en chef spécialisés
et le procureur général de la République autonome du Nakhitchevan,
sont nommés par le Président de la République sur recommandation
du Procureur général. Les procureurs territoriaux et spécialisés
sont nommés par le Procureur général avec l’approbation du Président
de la République.
53. Le Procureur général est responsable devant le Milli Mejlis
et le Président de la République
. Il informe chaque
année le Milli Mejlis des activités du ministère public, à l’exception
des affaires pénales en cours d’enquête. Le Procureur général nous
a indiqué qu’outre ses rapports annuels, il notifie régulièrement
le Président de la République, y compris à propos des enquêtes pénales
en cours.
54. Au vu de ce qui précède, il est clair que le Président de
la République joue un rôle important dans la nomination des membres
du ministère public. Comme l’a souligné le GRECO dans son rapport
d’évaluation du quatrième cycle
, il est essentiel que, dans
l’exercice de ses fonctions, le ministère public soit – et soit perçu
comme – réellement indépendant à l’égard du pouvoir exécutif, lequel
doit avoir une influence minime sur ses décisions. Le fait que,
dans de nombreuses affaires, les tribunaux semblent fonctionner
comme un simple prolongement du ministère public constitue un sujet
de préoccupation supplémentaire
. Le taux élevé de condamnation dans
les affaires pénales n’est pas favorable à la bonne réputation de
la justice: il témoigne d’un système pénal tourné vers les poursuites,
dans lequel les tribunaux n’examinent pas en toute indépendance
les éléments de preuve produits par le ministère public et ne tiennent
pas suffisamment compte des droits de l’accusé.
55. La question de l’équité des procès, de l’égalité des moyens
et du respect de la présomption d’innocence a été abordée lors de
nos rencontres avec des représentants de la société civile, des
avocats et des personnes en détention. Nous avons été informés de
certaines irrégularités pendant l’étape préparatoire au procès et
de violations des droits de la défense au cours du procès. Dans
un certain nombre d’affaires contre l’Azerbaïdjan, la Cour européenne
des droits de l’homme a conclu à des violations des normes de l’article
6 de la Convention européenne des droits de l’homme
.
Les avocats avec lesquels nous nous sommes entretenus nous ont alertés
sur la détérioration de la situation pour les avocats de la défense.
Il serait devenu très difficile pour eux d’assurer la défense de
défenseurs des droits de l’homme, de journalistes et de représentants
d’ONG à cause des fortes pressions exercées sur leur travail
. Certains avocats
de la défense ont affirmé avoir été arbitrairement exclus d’un procès
ou radiés du barreau; d’autres ont été convoqués comme témoins dans
des affaires où ils représentaient l’accusé et ont été contraints
par conséquent d’interrompre leur défense; d’autres encore ont déclaré
qu’une procédure pénale avait été engagée à leur encontre. Nous
renvoyons à cet égard au rapport que prépare actuellement la commission
des affaires juridiques et des droits de l’homme sur «La présidence
azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quel suivi en matière de
respect des droits de l’homme?», qui traitera de plusieurs affaires
judiciaires particulières.
56. Dans l’arrêt rendu dans l’affaire
Ilgar
Mammadov c. Azerbaïdjan , la Cour européenne des droits
de l’homme déclare explicitement ce qui suit: «Dans toutes leurs
décisions concernant la présente affaire, les tribunaux nationaux
se sont limités à recopier les arguments écrits du parquet, en se
servant de formules brèves, vagues et stéréotypées pour rejeter
comme infondées les plaintes du requérant. Les tribunaux nationaux
se sont essentiellement contentés d’approuver automatiquement les
demandes du parquet et on ne peut donc considérer qu’ils ont véritablement
examiné la “légalité” de la détention du requérant. Cela est contraire
non seulement aux exigences de l’article 5, par. 4, mais aussi au
droit interne tel qu’interprété et clarifié par le plénum de la
Cour suprême. Les considérations qui précèdent permettent à la Cour
de conclure que le requérant n’a pu obtenir un examen judiciaire
adéquat de la légalité de sa détention. La violation de l’article
5, par. 4, de la Convention est donc avérée». Dans sa Résolution
intérimaire
du 12 mars 2015 sur l’exécution
de cet arrêt, le Comité des Ministres a réitéré son appel aux autorités
azerbaidjanaises de fournir sans délai des informations concrètes
et complètes sur les mesures prises et/ou envisagées pour éviter l’ouverture
de procédures pénales sans fondement légitime et pour assurer le
contrôle juridictionnel effectif de toute tentative en ce sens du
parquet, ainsi que pour éviter de nouvelles violations de la présomption d’innocence
par le parquet et par des membres du gouvernement. Le Comité des
Ministres a également réitéré son appel aux autorités d’assurer
sans autre délai la mise en liberté du requérant.
57. Au cours de notre visite, le Président de la République et
le Procureur général nous ont tous deux déclaré qu’ils n’acceptaient
pas l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Ilgar Mammadov, qu’ils
jugent motivé par des considérations politiques. Ils ont maintenu
que la condamnation décidée par les tribunaux nationaux en relation
avec les événements survenus dans la région d’Ismayilli en janvier
2013 était entièrement justifiée. Nous rappelons aux autorités qu’aux
termes de l’article 46 de la Convention, l’exécution des arrêts
de la Cour est obligatoire et nous regrettons la décision prise
par la Cour suprême le 13 janvier 2015 de reporter
sine die l’examen du recours en
cassation déposé par M. Mammadov. Le Comité des Ministre note à
cet égard que le recours déposé par le requérant contre sa condamnation
est toujours pendant devant la Cour Suprême, et exprime sa vive
préoccupation face au fait que la Cour Suprême ait reporté son examen
sine die .
5.5. Détention provisoire
58. Le Code de procédure pénale prévoit dix catégories
de mesures préventives pouvant être imposées dans l’attente d’un
procès, y compris la mise en détention provisoire, qui peut être
décidée lorsqu’existent certains risques spécifiques
.
Au moment de la décision sur la nécessité d’une mesure préventive
et du choix de la mesure à appliquer, les juges doivent prendre
en compte un certain nombre d’éléments qui sont énumérés à l’article
155.2
.
59. En règle générale, le placement en détention provisoire peut
être imposé comme mesure préventive uniquement aux personnes inculpées
d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement de plus de
deux ans. Le Code distingue deux types de détention provisoire:
la détention en cours d’enquête, c’est‑à‑dire pendant que l’organe
de poursuite compétent conduit l’enquête préparatoire au procès;
et la détention ultérieure, pendant que l’affaire est en jugement
devant un tribunal. Dans le cas des personnes accusées de délits
criminels particulièrement graves, la durée maximum de la détention
en cours d’enquête ne peut excéder 18 mois à compter du jour de
l’arrestation, en y incluant les prolongations éventuelles de la
période initiale de détention de trois mois. Le calcul de la durée
totale de la détention en cours d’enquête doit prendre en compte les
périodes de détention effective, de résidence surveillée ou de séjour
dans un service médical. La détention en cours d’enquête cesse le
jour où l’affaire est portée devant le tribunal, ou le jour où est
levée la mesure préventive de détention provisoire. Dans le cas
des personnes accusées de délits criminels «moins graves», la durée
maximum de la détention provisoire avant le procès ne peut excéder
neuf mois à compter du jour de l’arrestation, en y incluant les
prolongations éventuelles de la période initiale de détention de
deux mois. Aux termes des articles 164.1 et 164.2 du Code de procédure
pénale, la libération sous caution peut être ordonnée uniquement
en remplacement d’une décision antérieure de détention provisoire
et sur la demande de la personne placée en détention. La libération
sous caution peut être accordée uniquement aux personnes accusées
d’infractions qui ne posent pas un danger majeur pour l’ordre public,
de délits criminels moins graves ou d’infractions graves commises
par négligence.
60. Dans sa décision «sur l’application de la législation par
les tribunaux lors de l’examen des demandes de placement d’un accusé
en détention provisoire comme mesure préventive» du 3 novembre 2009,
le plénum de la Cour suprême d’Azerbaïdjan donne instruction aux
tribunaux d’examiner les alternatives à la détention provisoire
. Depuis,
une nouvelle loi clarifiant les normes des différents textes législatifs
concernant la détention provisoire a été adoptée en 2012
. En pratique,
les juges ordonnent la détention provisoire dans la grande majorité
des procédures pénales, sans examen véritable ou adéquat des raisons
justifiant cette décision ou de la possibilité d’imposer des mesures
moins restrictives telles que la résidence surveillée ou la libération
sous caution.
61. La Cour européenne des droits de l’homme a conclu, dans un
certain nombre d’arrêts, à des violations de l’article 5 de la Convention
. La Cour a conclu, par
exemple, à une violation de l’article 5.1 de la Convention dans
les cas de maintien en détention, en l’absence de décision judiciaire,
pendant une durée supérieure aux 48 heures prévues par la législation
nationale
, ou après
que le dossier d’un requérant ait été transmis au tribunal chargé
du procès et avant que ce même tribunal ait tenu une audition préliminaire
. La Cour
a également conclu à des violations de l’article 5.3 de la Convention
dans les cas de prolongation de la détention provisoire sur la base
de décisions non adéquatement ou suffisamment motivées
.
Dans d’autres affaires, la Cour a considéré que l’article 5.4 n’avait
pas été respecté en raison de l’absence d’examen judiciaire par
les tribunaux nationaux d’une décision de prolongation de la détention
qui n’était pas conforme, par la nature et la portée, à ce que requiert
l’article 5.4
.
Dans l’arrêt
Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan , la Cour a jugé que le requérant avait été
placé en détention pour des motifs autres que la commission d’une
infraction et conclu à une violation de l’article 18 de la Convention
en conjonction avec l’article 5. Elle a déclaré: «Les circonstances susmentionnées
montrent que les mesures contestées avaient en fait pour but de
réduire au silence ou de punir le requérant pour avoir critiqué
le gouvernement et tenté de diffuser ce qu’il pensait être des informations exactes
que le gouvernement cherchait à dissimuler. Au vu de ces considérations,
la Cour conclut que les restrictions imposées à la liberté du requérant
ont été imposées à d’autres fins que celles de le faire comparaître
devant une autorité légale compétente sur la base de soupçons raisonnables
qu’il avait commis une infraction.»
62. Dans son intervention en qualité de tierce partie dans l’affaire
Rasul Jafarov c. Azerbaïdjan ,
le Commissaire aux droits de l’homme a réitéré que la détention
provisoire doit être l’exception et non la règle, comme l’exigent
les normes européennes et internationales, notamment la
Recommandation Rec(2006)13 du Comité des Ministres sur la détention provisoire
. Les alternatives à la détention,
telles que la libération sous caution, l’obligation de se présenter
régulièrement à la police ou à une autre autorité, la surveillance électronique
et les mesures de couvre‑feu, devraient être promues.
63. Nous renvoyons dans ce contexte au rapport préparé actuellement
par la commission des affaires juridiques et des droits de l’homme
sur «L’abus de la détention provisoire dans les Etats Parties à
la Convention européenne des droits de l’homme», qui porte spécifiquement
sur cette question.
5.6. Présomption d’innocence
64. Dans de nombreuses affaires engagées contre l’Azerbaïdjan
,
la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à des violations
de l’article 6.2 de la Convention en relation avec les déclarations
d’autorités chargées de l’application de la loi, de leurs hauts
représentants ou de membres du gouvernement dont la formulation,
qui ne comprenait aucune réserve ou clause restrictive, revenait
en fait à affirmer expressément et sans équivoque qu’un requérant
avait commis une infraction criminelle. Dans ces déclarations, ils
ont préjugé de l’évaluation des faits par l’autorité judiciaire
compétente et ont indubitablement incité le public à considérer
le requérant comme coupable avant que sa culpabilité ait été établie
conformément à la loi. Dans ses décisions sur l’exécution des arrêts
de la Cour
, le Comité des Ministres
a exprimé son inquiétude au sujet des violations répétées par des
officiels de haut niveau du principe de présomption d’innocence,
malgré plusieurs arrêts de la Cour ayant précisé depuis 2010 les
normes de la Convention à cet égard, et insisté sur la nécessité
d’une action rapide et décisive à ce sujet afin d’éviter des violations
similaires à l’avenir.
65. Comme indiqué dans la note d’information précédente des corapporteurs
,
nous attendons des autorités qu’elles accordent à Leyla Yunus un
procès équitable, conformément à la Convention européenne des droits
de l’homme. Il nous semble donc troublant que, le lendemain de son
arrestation, le Bureau du procureur général et le ministère de la
Sécurité nationale aient publié conjointement un communiqué de presse la
présentant comme coupable des charges retenues contre elle.
6. Liberté d’association
6.1. Législation sur
les ONG
66. Les représentants des ONG et les avocats que nous
avons rencontrés se sont plaints d’une grave détérioration de la
situation depuis l’élection présidentielle de 2013. Ils ont déclaré
que, pendant les dernières années, les autorités ont introduit des
mesures qui restreignent l’enregistrement des ONG, leur aptitude
à fonctionner dans le cadre de la loi et leur accès aux fonds internationaux.
67. Lors de nos entretiens, les autorités nous ont déclaré que
ces mesures faisaient partie des efforts engagés par l’Etat pour
renforcer la transparence dans le cadre de la lutte contre le financement
du terrorisme et le blanchiment de capitaux.
68. En 2009, des amendements à la loi sur les ONG ont renforcé
le contrôle administratif des ONG nationales et internationales.
Ces amendements ont également introduit de nouvelles normes d’enregistrement
pour les ONG étrangères et internationales. D’après la Commission
de Venise
, ces amendements ne sont
pas conformes aux normes internationales. Les aspects les plus problématiques
des amendements concernent l’enregistrement des ONG de manière générale
et, plus précisément, l’enregistrement des bureaux et des représentations
d’ONG internationales, les exigences relatives au contenu des statuts
des ONG, ainsi que les dispositions régissant la responsabilité
et la dissolution des ONG. La Commission de Venise a jugé que la
nouvelle législation sur les ONG a rendu encore plus complexe une procédure
déjà longue et compliquée et que les obligations spécifiques relatives
à l’enregistrement des ONG internationales étaient en elles‑mêmes
problématiques. La loi sur les ONG pose aussi des problèmes de compatibilité
avec l’article 11 de la Convention en ce qui concerne la responsabilité
et la dissolution des ONG. Dans un certain nombre d’affaires, la
Cour européenne des droits de l’homme a conclu à des violations
du droit des requérants à la liberté d’association
en
raison de l’inaptitude répétée du ministère de la Justice à prendre une
décision définitive ou à répondre dans les délais prévus par la
loi à une demande d’enregistrement d’une association. Dans toutes
ces affaires, la Cour a conclu à des violations de l’article 11
de la Convention dues à l’incapacité du ministère de la Justice
à enregistrer une association en temps opportun, ou à la dissolution injustifiée
d’une ONG
. Selon la Cour, un retard
important à répondre à la demande d’enregistrement d’une association
équivaut de fait à un refus d’enregistrer cette association.
69. Entre-temps le parlement a adopté le 15 février 2013 de nouveaux
amendements à la loi sur les ONG, qui introduisent une nouvelle
disposition régissant les dons et les subventions, et à d’autres
textes législatifs, notamment la loi sur les subventions et le Code
des infractions administratives
. Il a ensuite adopté le 17 décembre
2013 une autre série d’amendements à la loi sur les ONG, à la loi
sur les subventions, à la loi sur l’enregistrement des associations
et au Code des infractions administratives
puis, de nouveau, le 17 octobre 2014,
une série d’amendements à la loi sur les ONG et à la loi sur les
subventions. Le 14 novembre 2014, le Président a signé ces amendements
et a émis deux décrets d’application présidentiels. Ces divers amendements
ont introduit des contraintes administratives supplémentaires portant
sur l’enregistrement des ONG en tant qu’entités légales, la réception
et l’utilisation de subventions par les ONG et leurs obligations
de déclaration à l’Etat. Plus généralement, ces amendements ont
renforcé le contrôle exercé par le ministère de la Justice sur les
ONG azerbaïdjanaises et étrangères en activité dans le pays. Les
amendements adoptés récemment donnent également au gouvernement
le pouvoir discrétionnaire de dissoudre une ONG, de lui imposer
des sanctions financières et de geler ses avoirs en cas d’infraction
mineure aux lois en vigueur. Les restrictions visant le financement
des ONG sont le changement le plus important. Après leur enregistrement, les
ONG sont tenues de respecter des dispositions restrictives quant
à l’obtention de fonds provenant de l’étranger et elles sont soumises
à des contrôles fiscaux.
70. En pratique, les associations publiques peuvent fonctionner
sans personnalité morale mais l’acquisition de la personnalité morale
est une condition préalable pour se prévaloir de différentes aides.
Plus important, seules les ONG enregistrées, qui jouissent de la
personnalité morale, peuvent ouvrir un compte bancaire, se porter
acquéreur de biens de propriété, obtenir des subventions et bénéficier
d’avantages fiscaux. Avant l’entrée en vigueur de ces amendements,
à cause des difficultés et des retards du processus d’enregistrement, ou
bien après le refus ou l’annulation de leur enregistrement, un certain
nombre d’ONG de premier plan dans le domaine des droits de l’homme
ont poursuivi en pratique leurs activités comme ONG non enregistrées.
Elles recevaient des dons sous le nom de leur président sur un compte
bancaire privé ou établissaient des relations de partenariat avec
des ONG enregistrées qui pouvaient leur reverser des subventions.
71. Pour remédier à ces lacunes de la législation, les amendements
de mars et décembre 2013 ont étendu l’obligation de déclaration
des subventions aux ONG non enregistrées, en exigeant des personnes
qui reçoivent des subventions qu’elles les déclarent au ministère
de la Justice. Les amendements ont limité les dons en espèces, en
exigeant que tous les dons d’un montant plus élevé soient effectués
par virement bancaire sur le compte de l’organisation elle‑même.
Les dons doivent aussi être déclarés au ministère de la Justice
pour pouvoir bénéficier des exemptions fiscales.
72. Sous l’effet de multiples changements législatifs, plusieurs
ONG locales et internationales des droits de l’homme auraient été
empêchées de poursuivre leurs activités. De plus, des dirigeants
d’ONG enregistrées et non enregistrées ont été poursuivis pour irrégularités
financières en raison de la non‑déclaration de subventions au ministère
de la Justice et accusés de détournement de fonds et de fraude fiscale.
Un certain nombre de comptes bancaires ont été gelés et de nombreuses
ONG sont visées par une enquête fiscale, leurs locaux ont été perquisitionnés
et leur matériel confisqué. Plusieurs dirigeants d’ONG bien connues
ont été inculpés d’infractions pénales comme la fraude fiscale,
la poursuite d’activités d’entreprise non déclarées et l’abus de
pouvoir.
73. La Commission de Venise, le Commissaire aux droits de l’homme
et le Conseil d’experts sur le droit en matière d’ONG de la Conférence
des ONG internationales du Conseil de l’Europe sont tous d’avis
que la législation de l’Azerbaïdjan sur les ONG n’est pas conforme
aux normes internationales sur le respect de la démocratie et les
droits de l’homme
. Dans son avis de 2014, la Commission
de Venise recommande de simplifier et de décentraliser la procédure
d’enregistrement et d’amender les dispositions pertinentes afin
de limiter les motifs de refus d’enregistrement aux seuls cas d’insuffisances
graves. Elle regrette que les ONG puissent toujours être dissoutes
en raison de délits qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier l’application
de la sanction la plus sévère. La Commission de Venise considère
en outre que l’obligation pour les ONG internationales de créer
des bureaux et des représentations locales, et d’obtenir leur enregistrement, devrait
être revue. Les nouvelles obligations imposées aux ONG en matière
d’acceptation de subventions et de dons, et en matière d’obligation
de rendre compte aux autorités publiques, semblent entraîner une ingérence
suffisamment grave pour constituer une violation
prima facie du droit à la liberté
d’association
.
74. Tout en soutenant les efforts engagés par le pays pour promouvoir
la transparence et combattre le financement du terrorisme et le
blanchiment de capitaux, nous rappelons l’importance de maintenir
un équilibre adéquat entre le droit d’association, tel que garanti
par la Convention européenne des droits de l’homme, et le besoin
légitime de l’Etat de combattre le crime organisé. Au vu de ce qui
précède, nous invitons les autorités à réexaminer la loi sur les
ONG afin de prendre en compte les préoccupations exprimées par la
Commission de Venise, d’améliorer et de faciliter la procédure d’enregistrement
des ONG et de créer un climat propice à la poursuite des activités
des ONG.
6.2. Evénements ultérieurs
75. En mai 2014, le Bureau du Procureur général a ouvert
des enquêtes pénales sur les activités de douzaines d’ONG (ONG de
la République d’Azerbaïdjan et bureaux et représentations locales
d’ONG étrangères) en alléguant des irrégularités au regard des dispositions
restrictives sur l’enregistrement des ONG et des obligations de
déclaration des subventions. Dans ce contexte, plusieurs ONG – notamment
l’Institut des droits des médias, le centre pour le développement
de la démocratie et des droits de l’homme, l’Union pour les droits
de l’homme, l’Association des avocats azerbaïdjanais et l’Institut
pour la liberté et la sécurité des journalistes – ont fait l’objet
de mesures telles que perquisitions, saisies, confiscations et blocage
de comptes bancaires, et leurs représentants ont été soumis à des
interrogatoires et à des interdictions de voyager. Des avocats et
des partisans et défenseurs des droits de l’homme prééminents ont
été arrêtés et inculpés en relation avec des violations dans les
activités de leurs ONG. Le nombre d’accusations de ce type contre
des défenseurs des droits de l’homme a augmenté pendant l’été 2014.
Au cours de notre visite, nous avons appris qu’Emin Huseynov, dirigeant
de l’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes, s’était
réfugié à l’Ambassade de Suisse à Bakou depuis août 2014. Une décision
judiciaire l’obligeant à se présenter devant le procureur a été
émise par un tribunal après qu’il ait décidé de disparaître
.
76. A la suite d’un accord conclu en août 2014 entre le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe et le Président Aliyev, un groupe
de travail conjoint sur les questions des droits de l’homme, composé
de représentants de la société civile, de parlementaires et de membres
de l’administration présidentielle, a été créé et s’est réuni trois
fois
.
77. Pendant notre visite, nous avons rencontré Rasul Jafarov à
la prison de Kurdakhani. Cet avocat et militant très connu des droits
de l’homme, qui est le fondateur et le président du Club des droits
de l’homme, a été arrêté le 2 août, inculpé pour entreprise non
déclarée, fraude fiscale et abus de fonction puis, en décembre 2014,
de chefs d’accusation supplémentaires dont le détournement de fonds
à grande échelle et la contrefaçon. Il nous a expliqué que le ministère
de la Justice n’a jamais accepté d’enregistrer son ONG, bien qu’il
en ait fait la demande à trois reprises et ait ensuite porté plainte
contre ces refus auprès des tribunaux azerbaïdjanais, mais ces plaintes
ont été rejetées. Une requête est actuellement pendante devant la
Cour européenne des droits de l’homme. Rasul Jafarov a précisé qu’à
l’époque, la législation n’interdisait pas toute activité aux ONG
non enregistrées. Le Club des droits de l’homme a donc continué
ouvertement à mettre en œuvre des projets et à recevoir des subventions.
Il n’a reçu aucun don après le 3 février 2014, car cela aurait exigé
que l’ONG soit enregistrée, conformément à la nouvelle loi (le dernier
accord de subvention date de juillet 2013). Rasul Jafarov a présenté
les documents financiers requis par le Bureau du procureur général.
Il a déclaré que son arrestation et sa détention étaient illégales
et motivées par des raisons politiques. Un mois et demi après notre
visite, le 16 avril 2015, le Tribunal des crimes graves de Bakou
l’a condamné à une peine d’emprisonnement de six ans et demi. Les
organisations internationales et les OING ont massivement critiqué cette
condamnation
. Nous réitérons nos préoccupations
au sujet de cette condamnation et appelons les autorités azerbaïdjanaises
à remettre en liberté Rasul Jafarov. Les autorités devraient veiller
à ce qu’il bénéficie d’une procédure d’appel équitable, conformément
à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme
.
78. Intigam Aliyev, avocat et militant des droits de l’homme bien
connu en Azerbaïdjan et dirigeant de la Société de formation juridique,
qui a représenté de nombreux requérants devant la Cour européenne
des droits de l’homme, a été arrêté en août 2014 et inculpé d’abord
pour entreprise non déclarée, fraude fiscale et abus de fonction,
puis pour fraude et détournement de fonds à grande échelle en décembre 2014.
Ses avocats considèrent que ces accusations sont montées de toutes
pièces et motivées par des raisons politiques. Bien que les autorités
nous aient autorisés à lui rendre visite pendant notre séjour à
Bakou, nous n’avons pu le rencontrer dans la prison de Kurdakhani
car on nous a indiqué qu’il participait à ce moment-là à une audition devant
le tribunal. Dans sa Résolution intérimaire
du 25 septembre 2014 sur l’exécution
des arrêts
Mahmudov et Agazade c. Azerbaïdjan et
Fatullayev c. Azerbaïdjan, le Comité
des Ministres «insiste, par ailleurs, pour obtenir, sans autre retard,
des informations détaillées sur tous les chefs d’accusation contre
le représentant des requérants [c’est‑à‑dire Intigam Aliyev] dans
le présent groupe d’affaires, qui est également le représentant
de plusieurs requérants dans le groupe d’affaires Namat Aliyev,
groupes sous examen par le Comité ainsi que dans de nombreuses requêtes
actuellement pendantes devant la Cour relatives à la liberté d’expression».
Dans son intervention en qualité de tierce partie devant la Cour
européenne des droits de l’homme
dans l’affaire
Intigam Aliyev c. Azerbaïdjan, le
Commissaire aux droits de l’homme a exprimé ses préoccupations sur
la saisie par les autorités des dossiers d’affaires en instance
devant la Cour dans le cadre des enquêtes ouvertes contre les requérants.
Intigam Aliyev a été condamné à six ans et demi de prison le 23 avril
2015, moins d’une semaine après Rasul Jafarov, et ce verdict a été
fortement critiqué par la communauté internationale
. Nous avons exprimé nos graves préoccupations
au sujet de cette peine sévère et appelé les autorités à remédier
à la cette situation.
79. Nous avons également rendu visite à Anar Mammadli à la Prison
13. Anar Mammadli est un défenseur bien connu des droits de l’homme
spécialisé dans l’observation indépendante des élections avec son organisation,
le Centre d’études sur la démocratie et d’observation des élections
(EMDS). Il nous a indiqué que l’enregistrement avait été refusé
à EMDS cinq fois avant que l’organisation soit finalement enregistrée,
pour quelques mois seulement, en février 2008. En mai 2008, l’enregistrement
a été annulé par le tribunal de district sur la demande du ministère
de la Justice. EMDS a continué à fonctionner sans enregistrement
et poursuivi ses activités d’observation des élections. Anar Mammadli
a été arrêté le 16 décembre 2013 et jugé en mai 2014 pour entreprise
non déclarée, fraude fiscale, abus de fonction officielle en vue
d’influencer les résultats d’une élection, détournement de fonds
et fraude à grande échelle, conjointement avec son collègue Bashir Suleymanli.
Ils ont été condamnés respectivement à une peine d’emprisonnement
de cinq ans et demi et trois ans et demi. Bashir Suleymanli a été
libéré en mars 2015 par un décret de grâce du Président de la République.
Anar Mammadli nous a indiqué qu’avec les changements introduits
dans la législation sur les ONG, les ONG ne peuvent poursuivre leurs
activités à cause de l’impossibilité d’obtenir leur enregistrement
et des restrictions sur l’utilisation de fonds d’origine étrangère.
Il a déclaré qu’il était innocent et se considérait comme un prisonnier
politique. Pendant notre entretien, il s’est déclaré préoccupé par
les conséquences des attaques contre les organisations des droits
de l’homme; d’après lui, la destruction des ONG des droits de l’homme
par les autorités favorisera, en l’absence d’alternatives crédibles,
le développement des mouvements islamiques. Lors de nos rencontres
avec la société civile, d’autres représentants d’ONG nous ont également fait
part de leurs inquiétudes au sujet de cette évolution.
80. Malgré notre demande, nous n’avons pas été autorisés à rencontrer
Leyla et Arif Yunus, fondateurs et dirigeants de l’Institut pour
la paix et la démocratie (ONG en activité depuis 2002 sans avoir
été enregistrée), qui étaient encore visés par une enquête au moment
de notre visite. Leyla Yunus a été arrêtée le 30 juillet 2014 et
accusée de trahison, d’entreprise non déclarée, de fraude fiscale,
d’abus de pouvoir, de fraude et de contrefaçon. Elle a été placée
en détention provisoire. Arif Yunus a été accusé des mêmes infractions
mais libéré sous résidence surveillée pour raisons de santé. Le
5 août 2014, il a été placé en détention provisoire. Tous deux ont
de graves problèmes de santé. Nous sommes également vivement préoccupés
par l’inculpation pour trahison de Leyla et Arif Yunus. L’accusation
de trahison est très grave, en particulier à l’heure où l’on observe
un regain des tensions autour du Haut-Karabakh. Le Commissaire aux
droits de l’homme est intervenu dans la procédure de la Cour européenne
des droits de l’homme en qualité de tierce partie: il a exprimé
son inquiétude au sujet de l’arrestation et de la détention de Leyla
et Arif Yunus, qu’il a qualifiées de «tentative de réduire au silence
leurs activités d’information sur les violations des droits de l’homme,
qui vise à les empêcher de poursuivre leur travail, notamment sur
la question sensible de la réconciliation entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie»
.
81. Amnesty International
considère
que tous les militants de la société civile mentionnés ci‑dessus
sont des prisonniers de conscience. Plusieurs listes de détenus
politiques et de prisonniers de conscience en Azerbaïdjan ont été
diffusées par la société civile et des partis de l’opposition. Ces
listes évoluent en permanence, certaines personnes étant libérées,
notamment par grâce présidentielle, tandis que de nouvelles personnes
sont arrêtées et mises en accusation. Pendant notre visite, Amnesty
International a publié un rapport
selon
lequel «au moins 22 personnes sont en prison pour avoir exercé légalement
leurs droits à la liberté d’expression, d’association ou de réunion
pacifique. Ce sont des prisonniers de conscience. Plusieurs d’entre
elles sont poursuivies sur la base de fausses accusations de fraude,
d’irrégularités financières et d’abus de pouvoir, tandis que d’autres
sont faussement accusées de délits en matière de drogues».
82. Dans sa Résolution du 18 septembre 2014 sur la persécution
des défenseurs des droits de l’homme en Azerbaïdjan
, le Parlement européen a réitéré
sa position selon laquelle le soutien et la coopération de l’Union européenne
avec l’Azerbaïdjan, y compris les négociations en cours en vue d’un
Partenariat stratégique pour la modernisation, doivent être conditionnels
et inclure des clauses sur la protection et la promotion des droits de
l’homme, en particulier en ce qui concerne la liberté des médias,
y compris les garanties pour la liberté de l’internet et l’accès
non censuré à l’information et à la communication, la liberté d’expression,
la liberté d’association et la liberté de réunion.
7. Liberté d’expression
83. Tous les représentants de la société civile et les
avocats avec lesquels nous nous sommes entretenus ont exprimé leurs
préoccupations au sujet de la liberté d’expression en Azerbaïdjan
et, en particulier, des pressions exercées sur les journalistes
critiques et de l’incrimination de la diffamation. Des rapports
inquiétants sur les violations de la liberté d’expression nous ont
été communiqués par des organisations nationales et internationales,
notamment Reporters sans frontières, Amnesty International, Human
Right Watch et la Fondation de la Maison des droits de l’homme.
Les autorités azerbaïdjanaises sont persuadées que la très forte
augmentation de la production de rapports par ces ONG étrangères
s’inscrit dans un plan général coordonné par des organisations étrangères
qui ne cherchent qu’à déstabiliser le pays. Elles ont mentionné
à ce sujet la publication par l’Agence de Presse Azérie (APA) de
documents confidentiels et de courriers de ces ONG qui montrent
l’existence de calendriers détaillés et de plans d’action concrets
en vue de la mise en œuvre d’«une
violente campagne de diffamation contre l’Azerbaïdjan», dans la
perspective à la fois des prochains Jeux européens et des élections
législatives de novembre 2015.
84. Dans sa Résolution intérimaire sur l’exécution des arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires
Mahmudov et Agazade c. Azerbaïdjan et
Fatullayev c. Azerbaïdjan , le
Comité des Ministres a réitéré qu’«en ce qui concerne l’application
arbitraire des lois pénales pour limiter la liberté d’expression,
la situation actuelle soulève de graves préoccupations, en particulier
en raison d’indications données sur l’utilisation récente de différentes
lois pénales – similaires à celles utilisées dans ce groupe d’affaires (accusations
d’activités illégales, d’abus de pouvoir, de trahison, d’hooliganisme
ou d’autres infractions pouvant avoir des liens étroits avec l’exercice
légitime de la liberté d’expression) – vis-à-vis de journalistes, blogueurs,
avocats et membres d’ONG».
85. Le cadre législatif relatif à la liberté d’expression est
aussi quelque peu préoccupant. Malgré l’avis de la Commission de
Venise sur la législation de l’Azerbaïdjan relative à la protection
contre la diffamation
et les observations
du Commissaire aux droits de l’homme à cet égard
, les
sanctions pénales applicables en cas de diffamation, qui comprennent
une peine d’emprisonnement de trois ans maximum, n’ont toujours
pas été supprimées. En 2013, le gouvernement a même étendu le champ
d’application des sanctions légales pour diffamation afin d’y inclure
les expressions diffusées sur l’internet. Les procès civils en diffamation
ont donné lieu à de fortes amendes contre des organisations des
médias. Dans sa décision de décembre 2014 sur l’exécution des arrêts
Mahmudov et Agazade et
Fatullayev, le Comité des Ministres
a réitéré l’appel aux autorités d’avancer sur la question de la
diffamation en adoptant les amendements législatifs requis pour réduire
la possibilité de l’imposition d’une peine de prison dans les affaires
de diffamation, en se basant sur la proposition du plénum de la
Cour suprême, et en élaborant un projet de loi plus étendu sur la
diffamation en coopération étroite avec la Commission de Venise.
Dans l’intervalle, la législation existante devrait être appliquée
avec prudence afin d’éviter l’imposition d’une peine de prison pour
de telles infractions, comme l’a proposé le plénum de la Cour suprême.
Dans le même esprit, la
Résolution
2035 (2015) de l’Assemblée de janvier 2015 sur la protection de
la sécurité des journalistes et de la liberté des médias en Europe
exhorte le Parlement azerbaïdjanais
à modifier sa législation relative à la diffamation afin de la rendre
conforme aux obligations de l’Azerbaïdjan en vertu de la Convention
européenne des droits de l’homme et à la proposition de loi faite
par le plénum de la Cour suprême de l’Azerbaïdjan. Il convient de
noter cependant que, selon le rapport de la Représentante de l’OSCE
pour la liberté des médias intitulé «Libel and insult laws: a matrix
on where we stand and what we would like to achieve»
,
qui comprend des données détaillées sur les dispositions pénales
et civiles et les pratiques des tribunaux en matière de diffamation
dans la région de l’OSCE, la diffamation constitue un délit pénal
dans 42 des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe et, dans 39 Etats
membres, ce délit est passible d’une peine d’emprisonnement. En
2012, le Conseil de l’Europe a publié une étude visant à recenser
l’état de la législation en matière de diffamation dans les Etats
membres et à fournir une analyse globale de cette législation et
de son application au regard de la jurisprudence pertinente de la
Cour européenne des droits de l’homme
. Les données recueillies sur la
législation anti‑diffamation dans les Etats membres font apparaître
une situation en évolution constante. L’analyse des règles et pratiques
en la matière dans tous ces Etats révèle un tableau hétérogène dans
lequel la décriminalisation de la diffamation ne constitue pas un
indicateur très fiable de la situation réelle du harcèlement judiciaire
des journalistes au moyen de procès en diffamation. Outre la nécessaire
décriminalisation de la diffamation, cela fait ressortir l’importance
extrême de l’application du principe de proportionnalité, tel que
défini dans la jurisprudence de la Cour. La mise en conformité des
règles et pratiques en matière de diffamation avec la jurisprudence
de la Cour est une tâche qui présente de multiples aspects et qui
requiert les efforts conjoints du législateur, de la justice et
des médias.
86. Nous avons appris que de nouveaux amendements à la loi sur
les médias et l’information de grande diffusion, qui permettent
au ministère de la Justice de l’Azerbaïdjan de demander à un tribunal
de fermer tout organe de média recevant un financement de l’étranger
ou reconnu deux fois coupable de diffamation, ont été promulgués
en février 2015
. D’autre part, en mars 2015, le
ministère des Affaires étrangères azerbaïdjanais a approuvé les
Normes d’accréditation des représentants de mass médias étrangers
en Azerbaïdjan, qui sont entrées en vigueur en avril 2015. Ces normes
d’accréditation prévoient que l’accréditation peut être retirée
aux représentants de médias étrangers dont les activités mettent
en danger l’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté
de l’Azerbaïdjan, ou qui se rendent dans les régions occupées du
pays
.
87. Nous demeurons préoccupés par la situation en matière de liberté
d’expression et de liberté des médias en Azerbaïdjan, aussi bien
en droit qu’en fait, et nous appelons les autorités à veiller au
respect de l’article 10 de la Convention européenne des droits de
l’homme.
8. Remarques finales
88. En vue de la préparation de ce rapport, nous avons
réalisé une visite d’information en Azerbaïdjan où nous avons pu
nous entretenir avec divers interlocuteurs et recueillir des renseignements.
Nous avons étudié les enquêtes, rapports, recommandations et décisions
des organes du Conseil de l’Europe concernant l’Azerbaïdjan, afin
de produire une analyse fondée sur de solides sources documentaires.
Nous avons aussi examiné les rapports d’autres organisations internationales,
y compris les ONG internationales des droits de l’homme les plus
renommées, afin de corroborer l’information recueillie.
89. Au cours de notre visite, les autorités nous ont déclaré que
l’Azerbaïdjan est menacé de tous côtés et que des forces intérieures
et extérieures cherchent à déstabiliser le pays. Elles ont insisté
sur la nécessité de prendre des mesures pour garantir la stabilité
du pays, en particulier dans la perspective des Jeux européens qui
auront lieu à Bakou
. Tout en étant sensibles aux préoccupations
des autorités, nous rappelons que la «stabilité» ne doit pas être
obtenue au détriment des normes des droits de l’homme et nous invitons
les autorités à continuer à veiller au respect de leurs obligations
et engagements en tant qu’Etat membre du Conseil de l’Europe.
90. Une démocratie stable exige une véritable séparation et un
solide équilibre entre les pouvoirs. Il est de la plus haute importance
de permettre un dialogue politique réel, notamment dans le cadre
parlementaire. Comme indiqué plus haut
,
l’Azerbaïdjan aurait tout à gagner d’un contrôle parlementaire accru
afin de garantir l’équilibre entre les pouvoirs. Cela exigerait
de renforcer les fonctions du parlement et de favoriser la présence
d’une véritable opposition au sein du Mili Mejlis. Nous avons également
noté certaines insuffisances eu égard à l’indépendance de la justice
(voir plus bas). Nous considérons qu’un examen détaillé de la Constitution
azerbaïdjanaise par la Commission de Venise serait un moyen utile
d’aider les autorités à remédier à ces insuffisances.
91. Une démocratie stable exige la tenue d’élections libres et
équitables permettant la libre confrontation des idées. Comme indiqué
plus haut, il semble qu’à ce jour, plusieurs des recommandations
des organes du Conseil de l’Europe concernant le cadre juridique
et institutionnel et les pratiques des élections n’ont toujours pas
été prises en compte. L’accès à des moyens de réclamation et de
recours indépendants et impartiaux devrait en particulier être garanti.
Les prochaines élections générales sont prévues en novembre 2015.
De nouveaux progrès sur la base des recommandations de la Commission
de Venise et des résolutions du Comité des Ministres sont donc souhaitables
.
Plus généralement, il conviendrait d’assurer le maintien d’un climat favorable
aux procédures démocratiques tout au long du processus électoral,
en particulier du point de vue de la liberté d’expression et de
la liberté d’association.
92. Une démocratie stable exige le respect des principes de l’Etat
de droit. Nous avons examiné la question de l’indépendance, de l’impartialité
et de l’équité du système judiciaire azerbaïdjanais en relation
avec les procédures visant des médias et des ONG, en gardant à l’esprit
les préoccupations exprimées par le Commissaire aux droits de l’homme
au sujet du «caractère sélectif des poursuites pénales engagées
à l’encontre de journalistes et d’autres personnes exprimant des
opinions critiques»
. La Cour européenne des droits de l’homme,
qui note que les tribunaux nationaux semblent fonctionner comme
un simple prolongement du ministère public
,
a constaté des violations des principes de l’égalité des moyens
et de la présomption d’innocence dans un certain nombre d’affaires
contre l’Azerbaïdjan
.
93. Une démocratie stable exige une société civile dynamique et
des médias libres aptes à contribuer au débat public. Nous avons
rapporté plus haut des allégations de répression à l’égard de personnes
exprimant des opinions critiques. Les amendements récents à la législation
sur les ONG et son application apparemment arbitraire, qui semblent
effectivement nuisibles aux activités de la société civile, ont
conduit à l’ouverture de procédures pénales à l’encontre d’un certain
nombre de dirigeants d’ONG réputées. Nous sommes également préoccupés
par les allégations d’application arbitraire de la législation pénale
en vue de limiter la liberté d’expression.