1. Introduction
1. L’initiative de ce rapport revient à M. Mogens Jensen
(Danemark, SOC), qui a présenté, le 30 janvier 2013, avec d’autres
membres de l’Assemblée parlementaire, une proposition de résolution
sur «La responsabilité et la déontologie des médias dans un environnement
médiatique changeant» (
Doc.
13122). Nommé ministre du Commerce et du développement du
gouvernement danois le 3 février 2014, M. Jensen a quitté l’Assemblée,
à la suite de quoi la commission de la culture, de la science, de
l'éducation et des médias m’a nommé rapporteur sur ce sujet. Après
avoir entamé ma carrière à la BBC en 1993, j’ai travaillé comme journaliste
et cinéaste à Kiev jusqu’en 2007, date à laquelle j’ai été élu député.
Cette expérience ainsi que l’influence des médias sur la transition
démocratique dans mon propre pays et dans les pays voisins expliquent mon
engagement en faveur de la liberté, de la responsabilité et de l’éthique
des médias.
2. Il y a plus d’une vingtaine d’années, l’Assemblée adoptait
la
Résolution 1003 (1993) relative à l’éthique du journalisme. Cette époque a
été marquée par la chute du rideau de fer qui divisait l’Europe
entre l’est et l’ouest, ainsi que par la transition progressive
des pays d’Europe centrale et orientale vers la démocratie. Le rôle
traditionnellement imparti aux médias dans les régimes communistes
a alors changé lui aussi. Alors qu’ils étaient auparavant considérés
comme un outil de propagande destiné à guider les masses, ils devenaient
le moyen pour tous les citoyens de recevoir des informations et
de confronter leurs points de vue, deux fonctions nécessaires dans
une société démocratique. Durant cette période de transition, il
était donc important de rappeler les principes éthiques du journalisme,
qui correspondent à des valeurs telles que la démocratie et les droits
de l’homme.
3. Ces dix dernières années, les progrès technologiques dans
les médias électroniques ont profondément bouleversé le paysage
médiatique, en particulier du fait de la convergence électronique
sur internet. La presse traditionnelle sur papier a perdu abonnés
et recette publicitaires, faisant de la plupart des journaux des
proies pour des investisseurs financiers mus par des ambitions politiques
plutôt que par des intérêts commerciaux. Parallèlement à cette transformation
du paysage médiatique, la profession de journaliste a elle aussi
évolué. Si les journalistes pouvaient auparavant espérer trouver
un emploi de longue durée, le recours de plus en plus fréquent à
des pigistes a réduit les effectifs permanents des journaux et a
entraîné une concurrence accrue parmi les journalistes. De plus,
dans nombre de pays, les journalistes ont des revenus très bas et
de faibles droits sociaux, ce qui les rend très vulnérables aux
pressions politiques et autres dans l’exercice de leur métier.
4. En conséquence, il est grand temps de rappeler aux parlements
et gouvernements des pays européens qu’il est nécessaire, dans une
société démocratique fondée sur l’Etat de droit, de reconnaître
aux médias la liberté de décider eux-mêmes des règles éthiques de
leur profession, tout en leur rappelant leurs obligations professionnelles.
2. Travaux
préparatoires
5. Le 22 mai 2013, la commission de la culture, de la
science, de l'éducation et des médias a tenu une audition sur ce
sujet à la Chambre des Communes, à Londres, en présence de Mme Agnès
Callamard, Directrice générale, ARTICLE 19, Londres, de M. Lutz
Tillmanns, Secrétaire général, Conseil de la presse allemande, Berlin,
de Mme Judit Bayer, Représentante du
Réseau du Sud-Est de l'Europe pour la professionnalisation des médias,
Budapest, et du Dr Rachael Craufurd Smith, Faculté de Droit, Université d’Edimbourg.
Mme Rachael Craufurd Smith a par la suite
fait un exposé introductif sur l’autorégulation des médias lors
de la réunion de la sous-commission des médias et de la société
de l'information qui a eu lieu à Istanbul les 12 et 13 mai 2014.
Sur la base de ces travaux préparatoires en commission et de mes
instructions sur les aspects à traiter, Mme Rachael
Craufurd Smith a été chargée d’établir un rapport d’information,
qu’elle a présenté en commission à Strasbourg, le 27 janvier 2015.
Le présent exposé des motifs se fonde sur son rapport d’information,
dont je lui suis très reconnaissant.
3. Législation sur
les médias et déontologie des médias
6. Comme la Cour européenne des droits de l’homme le
rappelle invariablement, la liberté d’expression vaut non seulement
pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées
comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui
heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de
la population, sous réserve des seules conditions ou restrictions
prévues par la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5, «la Convention»). C’est à cette
aune que doit être mesurée la liberté des médias et toute législation
en la matière.
7. En vertu de l’article 10 de la Convention, toute restriction
à la liberté des médias doit être prévue par la loi et être proportionnée
à un but légitime, nécessaire dans une société démocratique. En
conséquence, les Etats ne peuvent restreindre la liberté des médias
que par la voie légale, par opposition à tout critère arbitraire ou
«flou» visant à restreindre la portée de l’article 10. La place
centrale faite à la loi s’explique par le fait que les dispositions
légales peuvent être appliquées ou contrôlées par les tribunaux,
étant donné qu’elles sont publiquement accessibles – du fait que
les lois sont publiées – et qu’elles doivent être suffisamment précises.
8. Pour sa part, la déontologie des médias relève, de ce fait,
d’une approche non législative, qui correspond le plus souvent à
une démarche d’autorégulation par les médias eux-mêmes. Cette démarche
suppose que les médias et les journalistes se conforment volontairement
à certaines normes professionnelles. Si l’application de ces principes
déontologiques ne peut, en toute logique, pas être imposée par les
tribunaux, ceux-ci peuvent prendre en compte le respect de la déontologie
ou de la diligence professionnelle dans l’application des normes
légales au comportement des journalistes. Un exemple typique est
la protection légale contre les accusations de diffamation: les
affirmations ou allégations faites par les médias dans l’intérêt
du public ne sont pas condamnables, même lorsqu’elles sont inexactes,
pour autant que leur inexactitude n’était pas connue, qu’elles n’aient
pas été faites dans l’intention de nuire et que leur véracité ait
été vérifiée avec la diligence requise.
9. Les principes déontologiques des médias peuvent être très
larges et variables, en fonction du secteur propre à une entreprise
de média, de son personnel et de sa volonté d’imposer une norme
éditoriale. Une liste relativement exhaustive de ces principes déontologiques
a été dressée par l’Assemblée dans sa
Résolution 1003 (1993) relative à l’éthique du journalisme. Comme nous le verrons
plus bas, il n’existe pas de principes déontologiques communs au
niveau national, exception faite de quelques principes de base tels
que l’obligation professionnelle d’exactitude et de respect de la
vérité, d’impartialité et d’indépendance éditoriale, d’objectivité
des commentaires, de respect de l’autre et de rectification des
erreurs
.
4. Le rôle de l’autorégulation
dans le secteur des médias
10. L’autorégulation est de longue date une composante
importante de la réglementation des médias en Europe. Très présente
dans les secteurs de la presse écrite, de l’industrie cinématographique,
des jeux vidéo et de la publicité, elle consiste en l’élaboration
et l’application de règles par ceux dont le comportement doit être
régi, sans supervision par l’Etat. L’une des principales motivations
de l’autorégulation dans le domaine des médias est de protéger la
liberté d’expression et d’aider les médias à remplir leurs fonctions
démocratiques, c’est-à-dire informer sur les questions pouvant intéresser
le public, formuler des commentaires et des opinions, offrir un
espace de débat et surveiller les milieux politiques et autres groupes
sociaux puissants.
11. Le rôle démocratique de la presse est spécifiquement reconnu
dans un certain nombre de constitutions nationales, par exemple
dans l’article 5 de la Loi fondamentale de la République fédérale
d’Allemagne et la Loi sur la liberté de la presse de la Suède. La
Cour européenne des droits de l’homme conclut quant à elle que la liberté
d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme constitue non seulement «l’un des fondements
essentiels d’une société démocratique» mais également qu’«il incombe à
la presse de communiquer des informations et des idées sur les questions
débattues dans l’arène politique, tout comme sur celles qui concernent
d’autres secteurs d’intérêt public»
.
12. L’autorégulation limite la capacité de l’Etat d’influencer
les médias à ses propres fins et se caractérise par une grande flexibilité,
ce qui lui permet de s’adapter rapidement aux évolutions de situation.
Elle s’appuie sur le savoir-faire de la profession, ce qui lui donne
une efficacité accrue et offre des méthodes simples et rapides de
règlement des litiges. Les mécanismes d’autorégulation étant généralement
financés totalement ou principalement par le secteur concerné, ils
peuvent également réduire le coût de la réglementation pour le grand
public.
13. Bien que la réglementation des médias par l’Etat puisse poser
des problèmes de censure, la Cour européenne des droits de l’homme
a conclu que les restrictions de la liberté d’expression par l’Etat
peuvent se justifier lorsque l’ingérence est prévue par la loi,
qu’elle poursuit un but public légitime, notamment la protection des
droits d’autrui, et qu’elle est nécessaire dans une société démocratique.
Dans la pratique, les médias de tous les Etats européens sont soumis
à une part importante de réglementation étatique. L’on attend des médias
qu’ils respectent le droit commun en matière civile et pénale. Certains
secteurs comme les médias de radiodiffusion, le sont davantage en
raison notamment de leur capacité patente d’influencer le public.
Une réglementation étatique peut également être nécessaire pour
renforcer la liberté des médias, par exemple en s’attaquant à la
concentration des médias.
14. Le recours à la réglementation étatique pour appuyer l’autorégulation
est en revanche plus controversé. Les régimes d’autorégulation sont
volontaires par nature et les avantages qu’ils offrent en termes
de réputation ou autre sont les principaux facteurs qui motivent
l’adhésion. Cela dit, ces incitations ne sont pas toujours suffisantes
pour que les membres respectent les normes qui ont été définies
et certains opérateurs peuvent estimer qu’il est dans leur intérêt
de rester totalement hors du système. Les mécanismes d’autorégulation
sont donc confrontés à deux problèmes majeurs – celui de l’efficacité
et celui du respect – susceptibles de limiter la protection offerte
au public. Dans la mesure où l’Etat souhaite défendre les intérêts
poursuivis par l’instance d’autorégulation, ou estime qu’il y a
des avantages particuliers à le faire, par exemple une réduction
du nombre d’actions en justice, il peut essayer de renforcer ou
d’étayer le mécanisme par le biais d’interventions législatives
ou autres, dans le cadre d’une approche que l’on désigne souvent
sous le terme de «corégulation».
15. Dans le secteur des médias, la corégulation prend diverses
formes. L’Etat peut définir les conditions de fonctionnement du
système d’autorégulation (Danemark, Royaume-Uni), imposer l’adhésion
à ce système (Danemark) ou encore prévoir des pouvoirs complémentaires
d’exécution ou de sanction (Danemark, Irlande et Royaume-Uni). Bien
conçue, une telle intervention peut contribuer à renforcer l’indépendance
du mécanisme de régulation à l’égard des pressions extérieures,
y compris de la profession elle-même, mais elle peut également ouvrir
la voie à une influence étatique qui modifierait fondamentalement
la nature de l’instance d’autorégulation, laquelle passerait alors
d’un organe servant les intérêts de la profession et créé par elle,
à un organe agissant au nom de l’Etat. Comme cela a été noté ci-dessus,
l’Etat peut avoir des raisons particulières de souhaiter le succès
du régime d’autorégulation, ce qui peut influer sur la nature de
son intervention.
16. On peut soutenir qu’il ne devrait y avoir aucune autre réglementation
des médias que celle établie par le droit commun, car même l’autorégulation
par la profession n’exclut pas la censure et les directives venant de
l’extérieur. Ces préoccupations ont pesé sur la réglementation des
médias dans des pays comme la France, où l’opposition à la mise
en place de mécanismes d’autorégulation pour la presse est vive
. Cela dit, il n’est pas rare d’observer
en Europe des régimes d’autorégulation et de corégulation distincts
coexister avec le droit commun, dans une interaction subtile.
17. Les médias ont plusieurs raisons de soutenir le développement
de régimes d’autorégulation
. Premièrement, ces régimes sont souvent mis
en place pour devancer la réglementation par l’Etat. Deuxièmement,
ils cherchent à instaurer la confiance chez les citoyens et les
consommateurs en définissant des normes fondamentales que les organisations
ou personnes physiques participantes s’engagent à respecter. Ces
normes peuvent se superposer partiellement avec le droit commun,
si l’on prend l’exemple de l’engagement à ne pas causer du tort
aux enfants ou à ne pas porter atteinte à la vie privée, mais vont habituellement
beaucoup plus loin en imposant les principes d’honnêteté, de transparence,
de diligence et de respect, sans qu’il y ait toutefois de répercussion
au plan juridique en cas de manquement à ces derniers. Les régimes
d’autorégulation servent à souligner le caractère professionnel
du journalisme et favorisent l’exercice par les médias de leur rôle
démocratique. Troisièmement, certains régimes incluent une procédure relativement
peu onéreuse et rapide pour traiter les plaintes du public relatives
au contenu publié ou aux pratiques journalistiques qui enfreignent
les normes définies par le régime, ce qui accentue le sens des responsabilités
des médias. Quatrièmement, la profession est consciente du fait
que le respect de normes professionnelles peut quelquefois offrir
une protection dans les procédures judiciaires, si l’on fait valoir
que la personne physique ou l’instance concernées ont agi de manière
responsable, ou déboucher sur l’octroi de certains droits, notamment
l’accès à l’information. Dernier point, mais non le moindre, ces
régimes peuvent avoir de larges attributions, pour la défense de
la liberté de la presse et de la liberté d’expression par des initiatives
éducatives ou de formation ainsi qu’une participation active aux
politiques et aux débats politiques relatifs à ces libertés.
18. Certains de ces objectifs sont de nature intéressée, car ils
visent à protéger la profession contre diverses menaces extérieures
ou à lui apporter des avantages, tandis que d’autres cherchent véritablement
à servir l’intérêt général. Les priorités adoptées ont une influence
non négligeable sur la capacité de l’autorité de régulation à orienter
les normes générales relatives aux médias. Ainsi, l’importance relativement
limitée accordée au traitement des plaintes par la précédente Commission
britannique des plaintes relatives à la presse aurait dissuadé l’autorité
de régulation d’analyser les facteurs culturels et organisationnels
qui faisaient obstacle au respect de la déontologie dans certains
secteurs de la presse. Il est plus probable que l’intérêt du public
à bénéficier d’un journalisme libre, indépendant et responsable
soit satisfait lorsque ceux qui échafaudent les mécanismes d’autorégulation
reconnaissent expressément le caractère central de ces objectifs,
à la fois dans les codes qu’ils publient et dans le cadre constitutionnel.
5. L’autorégulation
des médias dans la pratique
19. L’autorégulation dans le secteur des médias inclut
généralement l’un ou l’autre des éléments suivants, ou les deux:
- un code de conduite;
- une instance – habituellement un conseil et/ou un médiateur
– chargée de la promotion ou de l’application du code, bien que
son champ de compétences puisse être beaucoup plus vaste, comme cela
a été indiqué précédemment.
20. Dans certains secteurs des médias, notamment l’industrie cinématographique
et le secteur des jeux, l’autorégulation consiste plutôt en la création
par la profession de systèmes de classification qui peuvent être utilisés
pour informer le public sur la nature du contenu proposé. On peut
citer en exemple le système PEGI (Pan European Game Information)
élaboré pour la Fédération européenne des logiciels de loisirs (Interactive Software
Federation of Europe) et utilisé dans 30 pays européens pour classer
les jeux informatiques. L’autorégulation vise ici à donner des informations
au public plutôt qu’à garantir le respect de normes journalistiques.
En règle générale, les classifications sont utilisées pour faciliter
la protection des enfants contre l’exposition à un contenu inapproprié
et attirer l’attention sur les contenus violents ou à caractère
sexuel dans des contextes où les biens et services audiovisuels,
jugés particulièrement influents, sont vendus à la demande.
5.1. Codes de conduite:
typologie
21. Des codes de conduite ont été élaborés par un grand
nombre d’organisations de médias à la fois au niveau inter- et intra-sectoriel.
22. Certaines organisations représentatives, notamment des syndicats,
ont établi des codes de conduite pour leurs membres qui, comme dans
le cas de l’Union nationale des journalistes au Royaume-Uni, pourraient –
en plus de s’appliquer à la presse écrite et aux médias de radiodiffusion
traditionnels – être étendus aux services en ligne
.
23. Les organisations de médias, publiques ou privées, ont également
la possibilité d’adopter des codes de conduite applicables à leur
personnel, leurs contributeurs ou leurs utilisateurs. La BBC, par
exemple, a élaboré une ligne éditoriale détaillée pour ses producteurs
. Les médias de service public se
devant d’avoir des principes et critères de qualité et de déontologie
plus exigeants, les valeurs adoptées par l’Union européenne de radio-télévision
en 2012 et son guide «Public Service Values, Editorial Principles
and Guidelines» sont une référence pour ses membres
. Les sites de médias sociaux comme
YouTube donnent des consignes à leurs utilisateurs à propos du contenu
qu’ils diffusent sur leurs chaînes. Des manquements répétés à ces
consignes peuvent entraîner la clôture du compte de l’utilisateur
.
24. Des codes de conduite ont également été adoptés pour des secteurs
spécifiques des médias, comme la presse écrite, les médias de radiodiffusion
et la vidéo à la demande.
25. De nombreux codes s’appliquent au niveau national mais des
codes privés utilisés par certaines multinationales ou des codes
élaborés par des organisations représentatives comme la Fédération internationale
des journalistes (FIJ)
peuvent également avoir une dimension
internationale.
5.2. Les codes de conduite
dans un environnement médiatique changeant: défis actuels
5.2.1. Complexité, opacité
et lacunes potentielles
26. Le nombre et la variété des codes en vigueur peut
créer un environnement réglementaire complexe et embrouillé. Le
public peut de ce fait avoir du mal à déterminer si un service donné
est soumis à l’autorégulation, qui est responsable de ce service
et quelles sont les normes applicables. Dans certains pays comme
le Royaume-Uni, la mise en place progressive de régimes d’autorégulation
ou de corégulation distincts pour divers secteurs des médias a entraîné
des lacunes et disparités dans la protection offerte au public.
Cela a également donné lieu à des litiges de compétence entre les
autorités de régulation, les membres de la profession cherchant
à s’affilier au régime le plus avantageux et à éviter tout paiement
de cotisations multiples
.
27. Dans mon propre pays, l’Ukraine, deux syndicats de journalistes
concurrents se sont dotés chacun de leur propre code déontologique. En
pratique, ces codes n’ont guère eu d’impact sur l’amélioration de
la déontologie des journalistes, mais les deux syndicats se sont
entendus en 2013 sur un code de conduite unique et ont renforcé
ainsi leur éthique professionnelle.
5.2.2. Convergence et
cadre réglementaire
28. Les effets de la convergence des médias sur les systèmes
d’autorégulation nationaux font ressortir l’importance de créer
un cadre réglementaire cohérent et transparent. Bien qu’en termes
de production et de présentation, le contenu textuel et le contenu
vidéo puissent soulever des questions différentes, les principes fondamentaux
relatifs au journalisme responsable restent les mêmes. Si nécessaire,
les spécificités d’un média peuvent être abordées dans des recommandations
complémentaires. Par ailleurs, le travail de comparaison entre les
modes de réglementation de différents secteurs peut conduire à un
renforcement des normes à tous les niveaux. Au Royaume-Uni, par
exemple, les régimes de réglementation relatifs aux médias de radiodiffusion
incluent une procédure détaillée à suivre avant toute action susceptible
de porter atteinte à la vie privée. Si ces procédures avaient été
appliquées dans la presse écrite, il aurait certainement été possible de
prévenir certains des comportements illicites qui ont précipité
l’enquête Leveson.
29. Certains régimes réglementaires ont été plus prompts que d’autres
à se préoccuper de la convergence et à prendre en considération
les fournisseurs de contenu uniquement en ligne, les blogueurs et
les services de médias sociaux, ainsi que les agences de presse.
Le régime finlandais, par exemple, s’étend désormais aux agences
de presse finlandaises, à la presse écrite et aux médias de radiodiffusion
ainsi qu’à leurs services sur le web et aux services uniquement
en ligne; de la même manière, le Conseil de presse suédois est ouvert aux
acteurs présents uniquement en ligne, tandis que le Conseil de presse
allemand traite les plaintes relatives au «contenu journalistique
et rédactionnel sur internet». Les règles professionnelles élaborées
par le Conseil de presse danois demandent à tous les services nationaux
de presse écrite et de radiodiffusion d’adhérer au régime mais certains
médias sur internet, et notamment les blogs et médias sociaux, sous
réserve d’un contrôle éditorial, peuvent également demander l’enregistrement
et ont fait usage de cette possibilité dans la pratique. Ces évolutions
soulèvent la question des droits que les acteurs en ligne devraient
être appelés à payer et de leur représentation au sein des structures
de gestion des instances d’autorégulation. Le dialogue et l’échange
d’expériences entre les différentes instances de régulation existant
en Europe peuvent s’avérer utiles pour ceux qui ont encore des progrès
à faire en la matière.
30. Il peut toutefois rester souhaitable de disposer de plusieurs
régimes d’autorégulation dans un même pays afin de rendre compte
de la diversité des opérateurs de médias et de leurs aspirations.
Lara Fielden, par exemple, a proposé l’adoption de plusieurs régimes
réglementaires d’intensité variable qui seraient ouverts aux fournisseurs
de services textuels, audio et vidéo
.
Il y aurait ainsi quatre degrés de réglementation. Le premier –
et le plus contraignant (offre de service public) – reprendrait
les normes applicables aux radiodiffuseurs de service public, y
compris l’impartialité. Le deuxième degré (contenu privé respectueux
de l’éthique) serait légèrement plus exigeant que le régime en vigueur
pour la presse au Royaume-Uni mais moins que ceux applicables à
la radiodiffusion. Le troisième degré (contenu privé de base) conserverait
les normes minimales énoncées dans la Directive de l’Union européenne
sur les services de médias audiovisuels (codifiée dans la Directive
2010/13/UE), tandis que le quatrième degré ne comporterait aucune
réglementation autre que le droit commun. Les opérateurs adhérant
à l’un ou l’autre des trois premières formes de réglementation pourraient
employer des symboles ou «Kitemark» pour informer le public sur
le type de service proposé. Les différentes formules seraient ouvertes
aux blogueurs et éditeurs amateurs qui auraient la possibilité d’opter pour
l’un des trois degrés de réglementation afin de bénéficier de la
marque de qualité et des avantages offerts en termes de réputation.
31. Il convient également de clarifier la question de savoir dans
quelle mesure les organisations de médias peuvent être tenues pour
responsables du contenu généré par l’utilisateur hébergé sur les
divers forums ou sites de dialogue en ligne que nombre d’entre elles
proposent aujourd’hui. Ces sites permettent aux journaux de tester
leur contenu avant tirage et constituent un important espace d’échange
et de débat démocratique. Un certain nombre d’autorités de régulation,
comme la nouvelle Independent Press Standards
Organisation (IPSO) au Royaume-Uni, n’examinent que les
plaintes relatives au courrier des lecteurs ou aux contenus qui ont
été coupés ou soumis à modération. Exiger des fournisseurs qu’ils
assurent une modération a priori de tous ces contenus imposerait
toutefois une charge administrative impossible aux organisations
de médias et ferait obstacle à la participation du public.
32. Le récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
en l’affaire
Delfi c. Estonie , actuellement à l’examen
devant la Grande Chambre, laisse entendre que les systèmes de notification
et le filtrage sélectif ne sont pas nécessairement suffisants pour
décharger les fournisseurs d’information de responsabilité dans les
actions en diffamation devant les tribunaux, s’agissant du contenu
généré par l’utilisateur. Cette affaire met en exergue l’importance
de développer une conception appropriée du «journalisme responsable»
au regard de tous les services proposés à l’heure actuelle par les
médias et de leur rôle évolutif, qui va bien au-delà de la simple
diffusion d’informations produites et remaniées en interne. Il convient
de prendre note à cet égard des recommandations sur «les publications
générées par le public sur le site web d’un média» publiées par
le Conseil finlandais des médias
en 2011 et la disposition relative
au contenu rédactionnel dans les règles de déontologie du Conseil
de presse danois
.
5.3. Amélioration de
la qualité des codes de conduite par une approche comparative
33. En Europe, les opinions divergent quant à la question
de savoir si la définition des codes des médias devrait ressortir
uniquement à la profession, avec un risque d’omissions ou de dispositions
servant des intérêts propres, ou s’il convient d’y associer le citoyen
et le consommateur, voire une représentation judiciaire comme au
Danemark. L’article 9 du Code de principe de la FIJ sur la conduite
des journalistes dispose que «reconnaissant le droit connu de chaque
pays, le journaliste n’acceptera, en matière professionnelle, que
la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute intrusion gouvernementale
ou autre»
. En Finlande, le Groupe de gestion,
qui inclut des représentants des éditeurs, des organismes de radiodiffusion
et du syndicat des journalistes, établit et révise les règles. Des
préoccupations similaires concernant les risques d’intervention extérieure
s’observent dans le système allemand, qui laisse aux membres de
la profession le soin de rédiger le Code de la presse. Dans un certain
nombre de pays post-communistes, les craintes portent sur le risque que
des groupes d’intérêts ne compromettent l’indépendance des instances
d’autorégulation, du fait de la participation de non-journalistes.
D’autres pays, comme le Danemark, tiennent compte des contributions
des journalistes, de la direction et du public ainsi que de juristes
indépendants, afin d’assurer la prise en compte des intérêts du
public dans les normes relatives à la presse.
34. En ce qui concerne la représentation de la profession, il
est important que les intérêts de la direction comme des journalistes
soient pris en considération. Ainsi, le fait que l’ancienne Press Complaints Commission (PCC)
du Royaume-Uni ait négligé d’associer des journalistes d’échelon
inférieur à celui de rédacteur en chef à l’élaboration et l’application
des normes a pu nuire à sa crédibilité et à son efficacité. Indépendamment
de la composition de l’organe chargé de la rédaction ou de la révision
du code, il faudrait prévoir une consultation du public et laisser
suffisamment de temps pour les contributions avant l’adoption du texte.
35. Les codes de déontologie des médias sont influencés par un
ensemble de facteurs sociaux et culturels. Les attentes en matière
de respect de la vie privée, par exemple, ne sont pas les mêmes
en France qu’au Royaume-Uni. Il faut donc s’attendre à des divergences,
d’ailleurs bienvenues, entre les codes des différents pays. Celles-ci
n’empêchent toutefois pas de poursuivre le dialogue entre les différentes
instances d’autorégulation existant en Europe pour recenser et échanger
des bonnes pratiques tant sur les questions de fond que sur les
prescriptions de forme. Une telle initiative permettrait également
de mettre en évidence les réelles omissions et les grandes priorités,
qui peuvent être différentes. Les règles de déontologie du Conseil de
presse danois, par exemple, visent à faire en sorte que les journalistes
n’aient pas à effectuer des tâches contraires à leur conscience
ou à leurs convictions
, tandis que le Code de la presse
allemand définit clairement les contextes dans lesquels il peut
y avoir un conflit d’intérêts et demande expressément la séparation
du contenu publicitaire et du contenu rédactionnel
.
36. Certaines questions posent problème dans tous les pays, et
en particulier les circonstances dans lesquelles des pratiques journalistiques
habituellement jugées contraires à la déontologie, devraient être tenues
pour légitimes dans l’intérêt général. Une discussion coordonnée
sur ces questions au niveau régional, voire international pourrait
contribuer à clarifier les enjeux et à mieux les faire connaître.
37. Etant donné l’internationalisation croissante des médias,
on pourrait également envisager de définir un ensemble de normes
et de principes fondamentaux qui devraient être intégrés à tous
les codes. On a recensé plusieurs critères permettant d’améliorer
de manière générale la qualité des codes de conduite des médias. En
particulier, les codes devraient être rédigés de manière claire
et être révisés régulièrement à la lumière des évolutions technologiques
et sociales. Ils devraient également être facilement accessibles
au public. Compte tenu de la nature évolutive du secteur, il est
préférable que le code se concentre sur les principes et valeurs fondamentaux
et qu’il soit complété par des indications détaillées sur la façon
d’appliquer ces principes et valeurs dans la pratique ainsi que
sur la gestion des conflits internes potentiels.
38. Concrètement, pour Article 19, les codes de conduite/de déontologie
devraient au minimum prévoir l’adhésion aux principes suivants:
- le respect du droit à l’information
du public;
- l’exactitude dans la collecte et la présentation de l’information;
- l’impartialité dans les méthodes d’obtention d’informations,
de photographies et de documents;
- l’absence de discrimination fondée sur la race, l’origine
ethnique, la religion, le sexe et l’orientation sexuelle;
- la sensibilité dans la diffusion d’informations sur des
groupes vulnérables comme les enfants et les victimes de crimes;
- le respect de la présomption d’innocence dans la diffusion
d’informations sur les procédures pénales;
- le devoir de protéger les sources d’informations obtenues
à titre confidentiel;
- le devoir de rectifier les informations publiées qui se
révèleraient par la suite inexactes ou préjudiciables .
39. Les codes et déclarations élaborés par des organisations telles
que la FIJ pourront également être mentionnés. Il y a toutefois
un risque que ces exigences minimales soient interprétées comme
établissant une norme de qualité suffisante et que cela ait un effet
dissuasif sur l’adoption de normes complémentaires.
40. En coordination avec les citoyens intéressés, les consommateurs,
la profession et les organisations de défense de la liberté de la
presse, l’Alliance des conseils de presse indépendants d’Europe
pourrait faire progresser le dialogue entre les différents conseils
de presse nationaux. Il faudrait faire en sorte que la nature et
les conclusions des débats soient les plus transparentes possibles
et qu’elles soient rendues accessibles au public, autant que faire
se peut.
6. Mise en œuvre et
application
6.1. Mise en œuvre des
normes relatives aux médias: la nécessité d’une approche à plusieurs niveaux
41. Même lorsqu’un code répond aux exigences précitées
et tient compte de l’intérêt pour la société de disposer d’une presse
libre et responsable, il n’apportera pas beaucoup s’il n’oriente
pas la pratique des médias sur le terrain. En effet, le système
d’autorégulation risque alors de masquer la nécessité d’une action plus
poussée. Tout régime d’autorégulation est confronté à la difficulté
d’attirer suffisamment de membres pour assurer sa crédibilité et
de veiller à ce que l’attachement de la profession aux normes définies
ne soit pas que de pure forme.
42. La capacité et la volonté des propriétaires des médias, des
rédacteurs en chef et des journalistes d’agir d’une manière responsable
et respectueuse des normes de déontologie ne peuvent être attribuées
à un seul facteur, mais dépendent plutôt d’une interaction complexe
entre différents éléments qui influent sur l’écologie globale des
médias. En particulier, l’adhésion aux normes professionnelles dépend:
i. du journaliste – son niveau de
formation et sa conception de la profession et de son rôle en tant
que journaliste;
ii. de l’institution dans laquelle il travaille – cela inclut
la sécurité de la fonction, la rémunération, la charge de travail
et l’existence de mécanismes internes permettant de débattre des
questions de déontologie;
iii. de l’environnement professionnel et juridique – autrement
dit, la capacité des organisations professionnelles à représenter
efficacement les intérêts des journalistes et à répondre de manière satisfaisante
aux préoccupations du consommateur et du public, la reconnaissance
du rôle démocratique important du journalisme dans les textes constitutionnels,
les lois et la mise en œuvre du droit commun;
iv. de l’environnement social et culturel – la compréhension
par le public du rôle du journalisme dans la société (éducation
aux médias) et les facteurs qui l’influencent, ainsi que la volonté
d’adopter une approche critique vis-à-vis des médias, notamment
lorsque des articles portant atteinte à la vie privée ou des reportages
non respectueux de l’éthique sont publiés.
43. Pour être efficace, une instance d’autorégulation devra tenir
compte de toutes ces dimensions. Les défaillances au journal britannique
News of the World, qui ont conduit
à l’enquête Leveson
,
ont souligné le caractère essentiel de conditions de travail qui
protègent et respectent les normes professionnelles. Le scandale
du piratage téléphonique a mis en évidence l’importance d’un environnement
où les questions de déontologie peuvent être abordées et où le personnel
n’a pas peur de s’exprimer. En définitive, les bénéfices commerciaux
tirés du comportement non respectueux de l’éthique se sont révélés
être une fausse économie, bien que l’on ne s’en soit pas rendu compte
à ce moment-là.
44. Comment prévenir de tels problèmes? L’affirmation claire par
une société de son attachement aux normes de déontologie et la publication
de cet engagement sur son site web peuvent être un début. D’après les
journalistes interrogés en Europe et dans le monde arabe dans le
cadre d’études menées par le projet MediaAcT, la ligne éditoriale
est l’un des instruments les plus influents de responsabilité des
médias
.
Les codes de déontologie et l’enseignement du journalisme ont été
jugés tout aussi influents. Il a également été dit
qu’une
représentation syndicale indépendante aurait donné davantage de
confiance au personnel de
News of the
World dans les relations avec la direction et que l’un
des critères d’affiliation à une instance d’autorégulation pourrait
être sa volonté de reconnaître la représentation collective, en
particulier sur les questions de déontologie. Il ressort d’autres
études que plus les journalistes sont organisés en syndicats, plus ils
jugent élevé le poids des instruments traditionnels de responsabilité
des médias
.
45. Une autre solution consisterait à désigner une personne qui
examinerait avec les journalistes les questions de déontologie susceptibles
de se poser dans le cadre de leur travail, bien que cela puisse
être vu comme une ingérence dans le rôle du rédacteur en chef. Dans
plusieurs pays européens comme la Finlande, certaines organisations
de presse sont tenues de nommer un directeur de la rédaction qui
porte ouvertement la responsabilité du contenu publié. Des préoccupations
similaires ont été exprimées après la nomination de médiateurs ou
de responsables du courrier des lecteurs au sein de certaines sociétés
dans des pays comme l’Allemagne, le Portugal et le Royaume-Uni.
Le responsable du courrier des lecteurs du journal britannique
The Guardian examine non seulement
les commentaires et plaintes des lecteurs, mais également – dans
une perspective plus stratégique – les moyens d’améliorer le travail
et les performances du journal
.
46. Pour Maciá-Barber
,
les médiateurs ne devraient pas jouer un rôle uniquement consultatif;
ils devraient également être compétents pour veiller à ce que les
rédacteurs respectent leurs obligations éthiques. En période d’austérité
économique, toute obligation supplémentaire éloignant les journalistes
de leur rôle journalistique pose problème, mais le fait d’apporter
une réponse rapide et directe aux plaintes peut éviter des litiges
plus longs et coûteux à un stade ultérieur. On pourrait envisager
des roulements pour assurer les services, ou qu’un médiateur travaille
pour plusieurs titres afin de répartir les coûts.
47. L’enquête Leveson a également examiné la possibilité de mettre
en place d’une ligne de dénonciation de dysfonctionnements que les
journalistes pourraient utiliser pour poser des questions de déontologie
à une autorité de régulation de la presse, de manière confidentielle.
Que des initiatives concrètes de ce type soient prises ou non, il
apparaît que les médiateurs et conseils de médias ont un rôle important
à jouer ici, en aidant des journalistes à développer et à maintenir
un cadre de travail qui soit respectueux et conforme à l’éthique.
6.2. Le rôle des conseils
de presse et des médiateurs dans l’application des normes professionnelles
48. Au-delà des différentes entreprises du secteur, ce
sont le plus souvent des conseils des médias et/ou médiateurs spécifiques
qui assurent la promotion et l’application des normes codifiées
relatives aux médias. A l’instar des commissions chargées de mettre
en place et de rédiger les codes de déontologie de la profession, les
organes de direction des conseils nationaux des médias sont de composition
variable. Ils peuvent inclure l’ensemble de la profession comme
en Allemagne ou une combinaison de représentants de la profession
et de représentants indépendants, quelquefois avec un directeur
juridique, comme c’est le cas au Danemark.
49. Ces organisations disposent d’un éventail de sanctions généralement
limité qui consiste principalement à exiger de l’organisation de
médias concernée la rectification des erreurs ou la présentation
d’excuses. Le dépôt de plaintes est plus ou moins facilité selon
les pays, avec différents délais et exigences pour introduire une
requête. En Irlande et au Danemark, par exemple, seuls ceux qui
sont personnellement lésés par une publication peuvent porter plainte,
tandis qu’en Allemagne n’importe qui peut le faire. L’approche suivie
par l’IPSO au Royaume-Uni est plus nuancée: lorsque la demande a
trait à l’inexactitude d’un élément de fait général, toute personne
peut porter plainte, mais lorsque l’inexactitude concerne une organisation
ou une personne en particulier, l’IPSO examine la position de ces
dernières avant de décider d’accepter ou non une requête d’un tiers.
Dans les autres cas, seules les parties lésées peuvent porter plainte;
cela dit, l’IPSO examine également les requêtes présentées par des
organes représentatifs lorsque la violation présumée du Code est
jugée importante et qu’il y a un intérêt public à engager une procédure
.
50. Alors que les organisations de médias elles-mêmes soulignent
l’important effet dissuasif de l’obligation de publication d’un
rectificatif ou d’une décision négative à leur encontre, à peine
plus de 30 % des journalistes interrogés pour MediaAcT considéraient
que les conseils de presse ont un impact «élevé» ou «très élevé»
sur le sens des responsabilités des médias. Dans certains pays comme
le Royaume-Uni, l’effet dissuasif et éducatif des décisions négatives
a été amoindri par l’accent mis sur la médiation, qui permet aux
sociétés de médias de fuir la responsabilité en l’absence de constat
formel de faute. Comme l’a noté le Media Standards Trust, la médiation
est fondamentalement différente de la réglementation, qui implique
l’établissement de précédents pour guider l’action future et l’adoption
de décisions quant à ce qui constitue une réparation adéquate pour
tel ou tel type de violations
. Cela dit, de nombreux conseils de
presse en Europe encouragent le recours à la médiation avant toute
procédure judiciaire, bien que celui du Danemark exclue cette possibilité. A
nouveau, il faudra, lors de la définition du régime réglementaire,
s’interroger sur ce qui constitue la priorité absolue. Dans le contexte
danois, celle-ci semble être l’intérêt de la société à maintenir
les normes relatives à la presse.
51. Outre l’exigence de publier un rectificatif ou des excuses,
il est théoriquement possible de retirer sa qualité de membre à
un récidiviste. Dans le système suédois, les publications ayant
fait l’objet d’une plainte dont le bien-fondé a été reconnu doivent
s’acquitter d’une amende administrative d’un montant limité. L’absence
générale de sanctions financières importantes sert à établir une
distinction entre les régimes d’autorégulation de la presse et la
procédure judiciaire en matière civile et pénale, où des dommages-intérêts ou
amendes de montant élevé peuvent être infligés. L’imposition de
sanctions financières importantes risque d’entraîner des pressions
en vue de leur systématisation et d’une représentation juridique,
susceptibles d’aller à l’encontre de l’approche constructive sur
laquelle repose l’autorégulation et d’avoir un effet dissuasif sur l’adhésion
à de tels systèmes.
52. Cela étant, rien ne s’oppose en principe à ce que les systèmes
d’autorégulation prévoient des sanctions bien plus lourdes, comme
le montre l’exemple de l’IPSO, nouvelle autorité de régulation de
la presse britannique, qui peut punir ses membres d’une amende dont
le montant maximum est fixé à un million de livres ou 1 % du chiffre
d’affaires annuel. Le montant des amendes distingue l’IPSO des autres
instances d’autorégulation des médias mais il est peu probable que
l’on puisse tester son effet dissuasif dans un futur proche. En
effet, le président de l’IPSO lui-même, Sir Alan Moses, a affirmé
que «la notice d’utilisation de ce nouvel instrument est peu compréhensible
pour le commun des mortels, comme nous chez IPSO»
. Par ailleurs, il n’est fait aucune
mention à la possibilité d’imposer des amendes sur la page web d’IPSO
consacrée aux plaintes. On ignore toutefois pourquoi il n’aurait
pas été possible d’établir des critères pour appliquer des amendes
de niveau inférieur dans des cas bien particuliers, bien que la
solution retenue ici corresponde manifestement à l’idée répandue
selon laquelle les amendes ne constituent pas une sanction appropriée
dans le contexte de la réglementation de la presse (contrairement
au secteur de la publicité, par exemple).
53. Excluant la censure préalable, les médiateurs et les conseils
de la presse répondent généralement aux plaintes relatives aux informations
publiées ou aux pratiques de la presse qui ont déjà eu lieu. Bien
qu’il n’autorise par le Conseil de presse à bloquer la publication
de certains contenus, le Code de la presse danois demande aux éditeurs
d’examiner avec attention tout contenu susceptible d’être préjudiciable
à quelqu’un et si possible, de le présenter à l’intéressé avant
publication. Les autorités de régulation des médias ayant un rôle consultatif
pour leurs membres (mais pas pour le public), elles pourraient formuler
des avis sur tel ou tel article ou enquête proposés par ces derniers
et contribuer à prévenir les pratiques contraires à la déontologie
en publiant les décisions rendues par le passé et en donnant des
éclaircissements sur les dispositions du code.
6.3. L’intervention
de l’Etat et le rôle de la corégulation
54. Compte tenu de l’impossibilité d’assurer la participation
de tous les grands acteurs de la profession aux systèmes d’autorégulation
et du risque d’insuffisances dans la mise en œuvre, certains Etats
ont choisi de compléter ou de renforcer ces systèmes par des dispositions
législatives. Des recours spécifiques sont quelquefois prévus par
la loi. Plusieurs pays, comme la Finlande et le Danemark, ont inscrit
dans la loi un droit de réponse, tandis que l’article 28 de la Directive
de l’UE sur les services de médias audiovisuels appelle les Etats
à veiller à ce que toute personne morale dont les droits légitimes
ont été lésés à la suite d’une allégation incorrecte faite au cours
d’une émission télévisée bénéficie d’un droit de réponse (Directive
2010/13/UE).
55. Certains Etats ont également entrepris de consolider les structures
d’autorégulation et d’en améliorer l’efficacité par des initiatives
de corégulation. Le Danemark a été l’un des plus interventionnistes
en la matière, exigeant que tous les services de presse écrite et
de radiodiffusion nationaux participent au mécanisme de régulation
géré par le Conseil de presse danois. Le non-respect d’une décision
du Conseil de presse est passible d’une amende d’un montant limité,
voire d’une peine d’emprisonnement de quatre mois. L’Irlande a adopté
une approche relativement différente en la matière. Aux termes de
sa loi de 2009 sur la diffamation, lorsque les tribunaux s’interrogent
sur le caractère «juste et raisonnable» d’une déclaration diffamatoire publiée
par une organisation de médias, ils doivent prendre en considération
l’affiliation de cette dernière au Conseil de presse et le respect
de son Code de pratique (article 26). Pour être reconnu ainsi, le
Conseil de presse doit tenir un code de conduite couvrant des questions
spécifiques, et en particulier l’exactitude, l’intimidation et le
harcèlement, le respect de la vie privée, l’intégrité et la dignité.
Une autre forme de soutien consiste en l’octroi d’un financement
pour appuyer le fonctionnement des conseils de presse ou des médias, comme
la contribution de l’Etat allemand à hauteur de 30% environ des
dépenses du Conseil de presse allemand.
56. A l’instar de l’Irlande, le Royaume-Uni n’est pas allé jusqu’à
exiger des sociétés de médias qu’elles s’affilient à un mécanisme
d’autorégulation; l’adhésion à ce système repose donc sur le volontariat.
La loi «Crime and Courts» de 2013 établit toutefois un certain nombre
de mesures incitatives et dissuasives visant à encourager les éditeurs
de presse à adhérer à un organe indépendant de régulation des médias
approuvé par la Charte royale de 2013 sur l’autorégulation de la
presse. Ces organisations bénéficient d’une certaine protection
contre l’imposition de dommages-intérêts exemplaires et le paiement
des frais de justice en matière civile, tandis que les non-membres
s’exposent à une condamnation aux dépens, qu’elles aient obtenu
gain de cause ou non (articles 34-42). Il a donc fallu se pencher
sur la question de savoir qui devrait être membre d’un tel organe
reconnu (voir article 41 et annexe 15 de la loi, qui exclut notamment
les «micro-entreprises»). L’une des particularités de la Charte
royale de 2013 est l’obligation pour les autorités de régulation
reconnues de prévoir un système d’arbitrage des litiges d’ordre
civil impliquant leurs membres (critère 22). Le lien ainsi fait entre
l’instance d’autorégulation et les litiges civils brouille les frontières
entre l’autorégulation relative à des normes bien établies et le
règlement de litiges. L’opposition au nouveau système a conduit
la plupart des journaux britanniques, à l’exception notable du Guardian et du Financial Times, à adhérer à l’IPSO,
qui n’entend pas demander sa reconnaissance au titre de la Charte
royale de 2013.
57. Certains pays ont préféré la réglementation étatique à l’autorégulation,
même dans le secteur de la presse. Au Portugal, par exemple, un
organe administratif indépendant, la Entidade Reguladora para a Comunicação
Social (ERC) a été établi par la loi en 2005 avec pour mandat de
superviser le fonctionnement de la presse écrite et des médias audiovisuels
(Loi 53/2005 du 8 novembre). L’Assemblée nationale du Portugal nomme
quatre des cinq membres de l’autorité de régulation de l’ERC. Le
cinquième membre est ensuite désigné par les quatre premiers. Ce
recours à des nominations politiques peut remettre en question l’indépendance
de l’autorité de régulation.
6.4. Recours et réexamen
des décisions prises
58. On note des variations considérables en Europe s’agissant
des possibilités de recours et de réexamen des décisions prises
par une autorité de régulation des médias. Lorsque le système de
régulation inclut à la fois un médiateur et un Conseil de presse,
comme en Irlande et en Suède, un recours contre une décision du médiateur
est généralement possible auprès du conseil de presse. Dans plusieurs
pays, il existe des recours sur certaines questions. En Allemagne,
un mécanisme de recours interne est prévu, permettant de saisir
une commission de composition différente; en Finlande, il n’est
possible de faire appel d’une décision du Conseil de presse que
si cette décision se fondait sur des informations incorrectes, tandis
qu’au Royaume-Uni, l’IPSO permet aux requérants de porter les questions
de procédure (mais non les questions de fond), relatives au traitement
de leur litige devant un organe d’examen des plaintes spécialement
désigné à cet effet.
59. Aucun recours en révision d’une décision de l’autorité de
régulation ne peut être exercé dans des pays comme la Finlande alors
que cette possibilité existe ailleurs, par exemple au Danemark et
au Royaume-Uni. A en juger par l’expérience britannique, cette solution
ne présenterait toutefois qu’un intérêt limité pour les requérants
compte tenu de son coût potentiel et de la déférence des tribunaux
à l’égard du jugement des organisations professionnelles. Dans une
demande de recours en révision d’une décision du PCC de la présentatrice
de télévision Anna Ford en 2001, par exemple, le juge a conclu que
le tribunal devrait respecter les décisions du PCC et n’aller à
l’encontre de celles-ci «que lorsqu’il est clairement souhaitable
de le faire»
. De ce point de vue, l’ajout d’une procédure
d’appel, sur le modèle allemand, permettrait de donner aux requérants
de pays comme le Royaume-Uni l’assurance que leurs préoccupations
seront prises au sérieux, en dépit de ce que cela implique inévitablement
en termes de coût et de charges administratives pour des systèmes
conçus dans le souci d’offrir au public un recours rapide et relativement
simple. Des travaux comparatifs plus poussés portant sur l’utilité
pratique de telles procédures pourraient donc se révéler instructifs.
6.5. Application dans
un contexte international
60. La distribution croissante des médias au niveau international
augmente la probabilité qu’un individu souhaite porter plainte contre
une publication basée dans un autre pays. Certaines autorités de
régulation, comme le Conseil de presse irlandais, autorisent les
sociétés établies à l’étranger et présentes en Irlande à devenir
membres, bien que les organismes non membres qui «adhèrent à des
normes équivalentes» à celles du Conseil puissent également se prévaloir
des dispositions de la loi de 2009 sur la diffamation.
61. Pour un média, s’affilier à des instances d’autorégulation
dans tous les territoires qu’il couvre aurait un coût non négligeable
mais finalement peu d’intérêt. Une solution serait de s’appuyer
sur l’expérience du système de plaintes transfrontalières de l’Alliance
européenne pour l’éthique en publicité (EASA), dans le cadre duquel
les personnes qui souhaitent porter plainte contre une publicité
diffusée par une organisation soumise à une instance d’autorégulation
dans un pays étranger peuvent s’adresser à leur autorité de régulation
nationale qui transmettra le dossier à l’autorité de régulation
compétente
.
62. Une autre approche, bien plus ambitieuse, serait de soutenir
le développement de systèmes d’autorégulation actifs au niveau régional,
voire international, et dotés de leurs propres codes de déontologie (incluant
les normes éthiques de base) et procédures de résolution de litiges.
Comme indiqué ci-dessus, un certain nombre d’organisations européennes
et internationales comme la Fédération européenne des journalistes
et la Fédération internationale des journalistes ont élaboré des
codes qui débordent les frontières nationales. Il conviendrait d’approfondir
la réflexion sur les moyens de résoudre cette question d’importance croissante,
toujours en faisant prévaloir l’intérêt public.
7. Propagande de guerre
et discours de haine: les limites légales internationales à l’action
des médias
63. L’action des médias en matière d’autorégulation ne
peut se développer que dans les limites légales de la liberté des
médias. S’il n’est pas possible de mentionner toutes les lois à
caractère général régissant le contenu des médias, le discours de
haine est particulièrement préoccupant. Comme il n’existe pas de
définition claire du discours de haine, des considérations éthiques
peuvent être appliquées à la zone grise qui entoure ce concept,
même si le discours de haine en tant que tel doit être puni par
la loi, conformément aux normes juridiques internationales. Dans
ce contexte, il est donc important de rappeler ces limites.
64. L’article 20 du Pacte international des Nations Unies relatif
aux droits civils et politiques (PIDCP) est la norme universelle
par excellence contre la propagande de guerre et le discours de
haine. Il dispose que: «(1) Toute propagande en faveur de la guerre
est interdite par la loi. (2) Tout appel à la haine nationale, raciale
ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination,
à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi.» La seconde
partie de l’article 20 a fait l’objet d’analyses et d’interprétations
à l’échelle internationale (voir, par exemple, Article 19.b, 2010) et a été, par la suite,
développée dans l’article 4 de la Convention internationale des
Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale, qui dispose, entre autres, que: «Les Etats parties (…)
s’engagent notamment (a) à déclarer délits punissables par la loi
toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale,
toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes
de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute
race ou tout groupe de personnes d'une autre couleur ou d'une autre
origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités
racistes, y compris leur financement; (b) à déclarer illégales et
à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande
organisée et tout autre type d'activité de propagande qui incitent
à la discrimination raciale et qui l'encouragent et à déclarer délit
punissable par la loi la participation à ces organisations ou à
ces activités.»
65. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté en
1997 sa Recommandation no R (97) 20 sur le
discours de haine. Cette problématique est aussi traitée par le
Conseil de l’Europe dans le cadre de sa Commission européenne contre
le racisme et l’intolérance (ECRI), qui a adopté les recommandations
de politique générale no 7 sur la législation
nationale visant à lutter contre le racisme et la discrimination
raciale et no 8 «Lutter contre le racisme
tout en combattant le terrorisme».
66. S’agissant de l’interdiction de la propagande de guerre en
vertu de l’article 20.1 du PIDCP, on renverra utilement à l’Observation
générale no 11 adoptée par le Comité
des droits de l’homme des Nations Unies le 29 juillet 1983: «L’interdiction
prévue au paragraphe 1 s’étend à toutes les formes de propagande
menaçant d’entraîner ou entraînant un acte d’agression ou une rupture
de la paix, en violation de la Charte des Nations Unies. (…) Les
dispositions du paragraphe 1 de l’article 20 n’interdisent pas l’appel
au droit souverain à la légitime défense ni au droit des peuples
à l’autodétermination et à l’indépendance conformément à la Charte
des Nations Unies
.»
8. Conclusions
67. Les législations nationales devraient garantir la
liberté des médias et en fixer les limites; de la sorte, aucune
ingérence «externe» de la part des pouvoirs publics ne saurait être
admissible, sauf à être clairement prévue par la loi. Les politiques
internes des entreprises de médias sont l’expression de leur libre
choix. Elles peuvent fixer des procédures ou des règles éditoriales
pour leurs contenus, qui limitent dans une certaine mesure la liberté
individuelle des journalistes ou d’autres salariés ou fournisseurs.
Entre ces deux extrémités, il y a place pour des «codes de déontologie»,
établis en particulier au niveau national.
68. Comme l’Assemblée parlementaire a affirmé dans sa
Résolution 1636 (2008) sur les indicateurs pour les médias dans une démocratie,
«les médias devraient créer leurs propres organes d’autorégulation
– commission des plaintes ou médiateurs. Les décisions de ces organes
devraient être mises en application» (paragraphe 8.25). En fait,
en Europe, l’autorégulation dans le secteur des médias possède une
histoire riche et variée, avec des systèmes actifs au niveau national
et régional, intra- et intersectoriel, ainsi qu’au sein des différentes
entreprises du secteur. Les systèmes nationaux, qui varient considérablement
selon le contexte politique, économique et culturel, sont nombreux
à bénéficier d’un niveau élevé de soutien tant public que de la
profession. Cela dit, ils ont tendance à présenter des insuffisances,
notamment en termes de couverture et de mise en œuvre; il y a donc
là une réelle occasion de mettre à profit l’expérience acquise au
niveau européen pour renforcer et améliorer les régimes existants.
69. Les principaux défis auxquels sont confrontés les systèmes
d’autorégulation en Europe aujourd’hui sont la nécessité de faire
face à la convergence des médias et l’internationalisation croissante
de l’environnement médiatique. L’accumulation progressive des systèmes
d’autorégulation au fil du temps, parallèlement aux initiatives
de réglementation étatique et de corégulation, a créé dans certains
pays un paysage réglementaire excessivement complexe et quelquefois
lacunaire dans la protection offerte au public. Il faudrait par conséquent
envisager de rationaliser les cadres existants et de ne plus se
focaliser uniquement sur le support. Un certain nombre d’autorités
de régulation, comme le Conseil de presse danois, se sont déjà bien
adaptées à ce nouvel environnement en s’ouvrant aux éditeurs en
ligne soumis à un contrôle éditorial. Jusqu’ici, la question de
la distribution internationale n’a pas fait l’objet d’une attention
particulière; en s’appuyant sur l’expérience d’autres secteurs comme
la publicité, des travaux plus approfondis devront être menés pour développer
des systèmes viables de coordination ou de régulation supranationale
en Europe.
70. Les codes d’autorégulation doivent constamment être revus
et corrigés. Ceux qui les supervisent doivent intensifier leurs
efforts pour veiller à ce qu’ils restent à jour. Une comparaison
des différents mécanismes existant en Europe peut mettre en évidence
d’éventuelles lacunes ou suggérer des améliorations à la fois sur
le fond et sur la forme. Il est proposé de faire progresser le dialogue
entre les différents conseils de presse nationaux, éventuellement
par le biais de l’Alliance des conseils de presse indépendants d’Europe, en
coordination avec les citoyens intéressés, les consommateurs, la
profession et les organisations de défense de la liberté de la presse.
Ce dialogue viserait à recenser les meilleures pratiques chez les
membres et à les publier, tout en abordant les sujets de préoccupation
communs tels que le degré de supervision que les éditeurs devraient
appliquer au contenu généré par l’utilisateur qu’ils hébergent sur
leurs sites.
71. Il existe une grande diversité d’approches en Europe, notamment
au niveau procédural, et bien que la transposition de certaines
dispositions en dehors du contexte national exige une grande prudence,
il reste possible d’examiner dans une perspective comparative des
questions comme la fonction des enquêtes d’initiative propre, les
délais pour engager des poursuites, notamment en ce qui concerne
le contenu en ligne, les avantages respectifs de la médiation et
de la procédure judiciaire, l’intérêt des procédures d’appel, l’efficacité
et les incidences des sanctions financières, ainsi que la publication,
l’accessibilité et la facilité de recherche des décisions de l’autorité
de régulation.
72. Le scandale du piratage téléphonique au Royaume-Uni a souligné
l’importance d’un environnement de travail dans lequel les questions
de déontologie peuvent être abordées ouvertement et le personnel
est traité avec respect. Dans l’idéal, la mission des instances
d’autorégulation des médias ne devrait pas se limiter au traitement
des plaintes du public mais inclure également l’aide au développement
d’un tel climat par un travail de suivi et de formation. Il convient
d’encourager les entreprises à formuler leurs propres codes de déontologie et
à les publier. Elles devraient également, en tant que condition
d’adhésion à l’instance d’autorégulation, favoriser les initiatives
de représentation collective de la part de leur personnel. Dans
la mesure où les instances d’autorégulation s’ouvrent à des éditeurs
professionnels et amateurs qui ne travaillent pas au sein d’organisations
de médias établies, comme dans le contexte danois, elles peuvent
servir de point de liaison et de lieu privilégié de débat sur les
questions éthiques.
73. Confrontés aux lacunes systémiques dans les mécanismes d’autorégulation,
certains Etats ont entrepris de renforcer l’efficacité de ces systèmes
par une intervention législative. Les exemples du Danemark et de l’Irlande
autorisent à penser qu’il est possible d’introduire des mesures
étatiques élaborées avec soin sans nuire à l’indépendance des médias
(ces pays sont respectivement 7e et 16e du
classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans
Frontières pour 2014). A l’inverse, les initiatives étatiques au
Royaume-Uni ont rencontré une vive opposition au sein de la presse
et ont été rendues largement inopérantes. En demandant à une instance
d’autorégulation reconnue de fournir des services d’arbitrage pour
les litiges civils, un lien très direct et controversé était fait
entre le régime d’autorégulation et la protection des droits juridiques. L’expérience
britannique montre que les Etats qui envisagent une intervention
pour renforcer les mécanismes d’autorégulation dans le secteur des
médias devraient veiller à ce que les mesures qu’ils prennent soient compatibles
avec ces mécanismes et ne risquent pas de les dénaturer.