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Résolution 2062 (2015)

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 23 juin 2015 (22e séance) (voir Doc. 13801, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi), corapporteurs: M. Pedro Agramunt et M. Tadeusz Iwiński). Texte adopté par l’Assemblée le 23 juin 2015 (22e séance).

1. L’Assemblée parlementaire reconnaît la complexité de la situation géopolitique de l’Azerbaïdjan, qui s’efforce d’entretenir des relations équilibrées avec l’Union européenne, la Turquie, l’Iran et ses autres voisins de la mer Caspienne, la Fédération de Russie et les Etats‑Unis. L’Azerbaïdjan a réussi à maintenir une politique étrangère indépendante et diversifiée, en particulier grâce à ses importantes ressources énergétiques et à son emplacement stratégique sur la mer Caspienne. L’Assemblée est pleinement consciente du conflit du Haut-Karabakh qui domine dans une large mesure la politique étrangère de l’Azerbaïdjan.
2. L’Assemblée prend note des préoccupations des autorités au sujet de la sécurité et de la stabilité du pays face aux menaces présumées venant de l’étranger, en particulier les risques qui pourraient résulter pour l’Azerbaïdjan de la situation dans certains autres pays européens. L’Azerbaïdjan est à cet égard un pays particulièrement important, dont les ressources énergétiques jouent un rôle essentiel, en particulier au moment où l’Union européenne cherche à diversifier ses fournitures d’énergie au-delà de celles qui proviennent de la Fédération de Russie, ce qui a très fortement renforcé la position stratégique de Bakou ces derniers mois.
3. Elle note que la structure institutionnelle de l’Azerbaïdjan accorde des pouvoirs particulièrement importants au Président de la République et à l’exécutif. Outre les compétences restreintes attribuées au Milli Mejlis par la Constitution, l’Assemblée attire l’attention sur le fait que toutes les forces de l’opposition ne sont pas représentées au parlement, ce qui empêche un dialogue politique véritable et un contrôle parlementaire efficace. Cela est dû principalement au fait que le système électoral, un système majoritaire à un tour similaire à celui du Royaume‑Uni, favorise à la fois le parti au pouvoir et les candidats indépendants. En outre, l’opposition est très divisée en Azerbaïdjan et les candidats de l’opposition sont souvent en concurrence les uns avec les autres, s’affaiblissant ainsi réciproquement. C’est pourquoi, convaincue qu’il est dans l’intérêt supérieur du processus démocratique et du parti au pouvoir lui-même de se confronter aux partis de l’opposition au sein d’un organe représentatif, l’Assemblée appelle les autorités à mettre en place un environnement favorable au pluralisme politique et à un contrôle parlementaire accru sur l’exécutif, afin d’assurer l’équilibre des pouvoirs.
4. En novembre 2015, l’Azerbaïdjan procédera à des élections législatives. L’Assemblée regrette que certaines des recommandations les plus importantes de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), notamment celles concernant la composition des commissions électorales et l’enregistrement des candidats, n’aient pas été prises en compte. Elle rappelle que les autorités chargées de l’administration des élections doivent fonctionner de manière transparente et maintenir leur impartialité et leur indépendance. Des voies de recours effectives sont essentielles pour assurer la confiance dans le processus électoral. Lors de l’élection présidentielle de 2013 en Azerbaïdjan, les délégations d’observation des élections de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et du Parlement européen ont constaté que le processus électoral s’était déroulé de manière libre, équitable et transparente le jour du scrutin, mais que des améliorations du cadre électoral sont encore souhaitables. Néanmoins, l’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises à prendre les mesures nécessaires pour éviter les problèmes observés pendant les élections précédentes, par exemple l’adoption de décisions judiciaires non pleinement motivées et non fondées en droit et l’absence d’un véritable contrôle juridictionnel. L’Assemblée salue l’importante contribution qu’elle a apportée à la promotion de la démocratie en Azerbaïdjan par le biais des missions d’observation des élections. L’Assemblée estime qu’il reste tout aussi important de maintenir son travail d’observation. Si d’autres équipes d’observateurs n’étaient pas en mesure de participer, l’Assemblée devrait envisager d’intensifier la contribution du Conseil de l'Europe aux prochaines élections législatives afin d’assurer un contrôle effectif du processus électoral.
5. L’Assemblée rappelle que l’indépendance de l’appareil judiciaire est l’une des conditions fondamentales de la séparation des pouvoirs et de l’équilibre entre ceux-ci. Elle accueille favorablement les modifications législatives récentes concernant le pouvoir judiciaire et, en particulier, la nouvelle règle prévoyant le départ à la retraite des juges de la Cour suprême à l’âge de 68 ans et ceux de tous les autres tribunaux à l’âge de 66 ans, et la suppression de la réglementation antérieure qui permettait le maintien de certains juges dans leurs fonctions jusqu’à l’âge de 70 ans. Cependant, elle encourage les autorités à mieux assurer la pleine indépendance de l’appareil judiciaire et, en particulier, à empêcher toute influence et ingérence de l’exécutif. Le Conseil judiciaire et juridique devrait être composé exclusivement de juges, ou au moins comprendre une forte majorité de juges élus par leurs pairs. Il est recommandé que le rôle du Conseil judiciaire et juridique dans la nomination de toutes les catégories de juges et de présidents de tribunaux soit encore renforcé. D’autre part, tout en prenant note des modifications législatives récentes réduisant de cinq à trois ans la période probatoire pour les juges, l’Assemblée rappelle que la Commission de Venise s’est toujours opposée à l’existence de périodes probatoires pour les juges et ne les tolère que sous certaines conditions rigoureuses.
6. Malgré ces efforts, le manque d’indépendance de l’appareil judiciaire demeure une source de préoccupation en Azerbaïdjan où le pouvoir exécutif continuerait à exercer une influence indue. L’ouverture de poursuites pénales sur la base d’arguments juridiques douteux et l’imposition de peines disproportionnées demeurent des aspects préoccupants. L’équité des procès, l’égalité des moyens et le respect de la présomption d’innocence sont aussi des motifs majeurs de préoccupation. L’Assemblée s’inquiète du recours à la détention provisoire comme moyen de punir des personnes ayant critiqué le gouvernement, comme indiqué dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan où elle constate une violation de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»).
7. Une légère baisse des niveaux de corruption a été observée sous l’effet de plusieurs réformes importantes et de plusieurs programmes nationaux et internationaux. L’Assemblée se félicite de la baisse du niveau de la corruption, notamment en raison des services fournis au quotidien par le réseau de centres de services publics appelés centres ASAN. Tout en soutenant les efforts engagés par le pays pour promouvoir la transparence et lutter contre la corruption, le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux, l’Assemblée appelle instamment les autorités à trouver un équilibre adéquat entre le droit d’association et la liberté d’expression, garantis par la Convention, et la lutte légitime de l’Etat contre le crime organisé.
8. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les autorités à réviser la loi sur les organisations non gouvernementales (ONG) afin de répondre aux préoccupations exprimées par la Commission de Venise et de créer un environnement propice aux activités de la société civile. Les insuffisances de la législation sur les ONG nuisent en effet à la capacité des ONG à mener leurs activités, ce qui est préoccupant. Le contrôle strict exercé par les autorités de l’Etat sur les ONG est susceptible de porter atteinte à l’exercice du droit à la liberté d’association garanti par l’article 11 de la Convention. A cet égard, l’Assemblée condamne les atteintes aux droits de l’homme en Azerbaïdjan où les conditions de travail des ONG et des défenseurs des droits de l’homme se sont considérablement détériorées et où certains défenseurs des droits de l’homme, militants de la société civile et journalistes, éminents et reconnus, sont derrière les barreaux. L’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises à veiller à ce que ces personnes détenues bénéficient d’un procès objectif. D’autre part, l’Assemblée prend note de l’adoption de la loi sur la participation publique, qui instaure un contrôle public sur le pouvoir exécutif central et local, et les organes de l’autonomie locale, en assurant la participation des institutions de la société civile aux processus de décision.
9. L’Assemblée est profondément préoccupée par le nombre croissant de mesures de représailles visant des médias indépendants et des défenseurs de la liberté d’expression en Azerbaïdjan. A cet égard, elle déplore l’application arbitraire de la législation pénale afin de limiter la liberté d'expression, et en particulier l’utilisation, récemment signalée, de diverses lois pénales à l’encontre de journalistes et de blogueurs, et recommande de prendre les mesures nécessaires pour assurer un réexamen véritablement indépendant et impartial, par le système judiciaire, des affaires impliquant des journalistes et d’autres personnes ayant exprimé des opinions critiques.
10. L’Assemblée est alarmée par les informations communiquées par les défenseurs des droits de l’homme et les ONG internationales, confirmées par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, sur le recours de plus en plus fréquent à des poursuites pénales à l’encontre de dirigeants d’ONG, de journalistes et d’avocats, ou d’autres personnes exprimant des opinions critiques, en s’appuyant sur des allégations d’infractions en relation avec leurs activités, en particulier d’Intigam Aliyev, avocat spécialiste des droits de l'homme; d’Anar Mammadli, chef d’un groupe d’observation des élections; de Leyla Yunus, militante de longue date, et de son mari Arif Yunus; de Rasul Jafarov, fondateur de la campagne «Le sport pour les droits», et des journalistes Khadija Ismayilova et Rauf Mirgadirov. L’Assemblée appelle les autorités à faire cesser le harcèlement systématique de ceux qui critiquent le gouvernement et à libérer ceux qui ont été abusivement emprisonnés. L’Assemblée partage les préoccupations exprimées par le Commissaire aux droits de l'homme à l’égard du système judiciaire. L’Assemblée prend note avec satisfaction du rétablissement des activités d’un groupe de travail conjoint sur les questions de droits de l’homme, composé de représentants de la société civile, d’éminents militants des droits de l’homme, de représentants du Conseil de l’Europe, et de représentants des autorités, à la suite de l’accord conclu en août 2014 entre le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le Président de la République d’Azerbaïdjan.
11. Compte tenu de ces préoccupations et de ces développements, l’Assemblée appelle les autorités azerbaïdjanaises:
11.1. à mettre un terme à la répression systématique contre les défenseurs des droits de l’homme, les médias et tous ceux qui critiquent le gouvernement, y compris aux poursuites à motivation politique; à permettre un réexamen judiciaire effectif de ces manœuvres; et à garantir que le climat général deviendra propice au pluralisme politique en vue des prochaines élections de novembre 2015;
11.2. à appliquer pleinement les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, conformément aux résolutions du Comité des Ministres;
11.3. concernant l’équilibre entre les pouvoirs, à renforcer l’application effective du principe de séparation des pouvoirs garanti par la Constitution, et en particulier:
11.3.1. à renforcer le contrôle parlementaire de l’exécutif;
11.3.2. à assurer la pleine indépendance de l’appareil judiciaire, notamment vis-à-vis de l’exécutif;
11.4. concernant les élections:
11.4.1. à accélérer la mise en œuvre des recommandations en suspens de la Commission de Venise et des décisions du Comité des Ministres sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans le groupe d’affaires Namat Aliyev avant les prochaines élections, et en particulier:
11.4.1.1. à prendre les mesures nécessaires pour résoudre les problèmes mis en évidence dans les arrêts de la Cour au sujet de l’indépendance, de la transparence et de la qualité juridique des procédures engagées devant les commissions électorales;
11.4.1.2. à continuer d’améliorer le système de contrôle de la conformité des élections afin de prévenir tout arbitraire et de permettre un contrôle juridictionnel effectif des procédures;
11.4.1.3. à poursuivre les réformes concernant la composition de l’administration électorale, l’enregistrement des candidats et l’inscription des électeurs sur les listes électorales, conformément aux recommandations de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH);
11.4.1.4. à finaliser les réformes en cours concernant le financement des partis politiques et, en particulier, le financement des campagnes électorales, conformément aux recommandations du Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO);
11.4.1.5. à veiller à ce que les candidats ne soient tenus de notifier aux autorités exécutives que leur seule intention d’organiser un rassemblement;
11.4.1.6. à mettre à profit les compétences de la Commission de Venise à cet égard;
11.4.1.7. à prendre acte de l’importance d’un partage clair des responsabilités ainsi que de la pratique discutable de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales le jour même du scrutin;
11.4.2. à encourager un climat favorable au pluralisme, à la liberté de faire campagne et à la liberté des médias en vue des élections de novembre 2015;
11.5. concernant l’appareil judiciaire:
11.5.1. à garantir l’indépendance de la justice et des juges, et à empêcher et s’abstenir d’exercer sur eux de quelconques pressions;
11.5.2. à continuer de modifier la législation sur la composition et les compétences du Conseil judiciaire et juridique, et la nomination des juges en vue de réduire l’influence de l’exécutif, et en particulier:
11.5.2.1. à faire en sorte que le Conseil judiciaire et juridique soit composé exclusivement de juges ou d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs, en accordant des pouvoirs accrus à l’Assemblée générale des juges;
11.5.2.2. à examiner la possibilité de supprimer la période probatoire pour les juges ou, au moins, d’en réduire encore la durée sur la base de critères objectifs préétablis;
11.5.3. à prendre les mesures nécessaires pour éviter que des procédures pénales soient engagées sans motif légitime et pour assurer un contrôle juridictionnel effectif par le parquet de toute tentative en ce sens, ainsi que pour prévenir les violations de la présomption d’innocence par les organes d’application de la loi ou par des membres du gouvernement;
11.5.4. à prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir la régularité de la procédure et l’impartialité des tribunaux, conformément à l’article 6 de la Convention;
11.5.5. à prendre les dispositions nécessaires pour assurer que la détention provisoire ne peut être imposée sans examiner si cette mesure est nécessaire et proportionnée, ou si des mesures moins attentatoires peuvent être appliquées;
11.5.6. à utiliser tous les outils juridiques disponibles pour libérer les détenus dont l’incarcération soulève des doutes et des préoccupations justifiés;
11.5.7. à s’abstenir de toute pression sur les avocats défendant des représentants d’ONG et des journalistes;
11.5.8. à garantir que le médiateur est juridiquement indépendant et bénéficie d’une immunité professionnelle, et qu’il soit compétent pour réexaminer les questions relatives aux droits de l'homme et aux médias;
11.6. concernant la liberté d’expression:
11.6.1. à créer des conditions adéquates pour permettre aux journalistes d’effectuer leur travail et à s’abstenir de toute forme de pression sur eux;
11.6.2. à mettre un terme aux mesures de représailles à l’encontre de journalistes et d’autres personnes exprimant des opinions critiques;
11.6.3. à s’abstenir de restreindre la liberté d’expression et la liberté des médias, aussi bien dans la législation que dans la pratique;
11.6.4. à intensifier les efforts en vue de la dépénalisation de la diffamation, en coopération avec la Commission de Venise, afin d’assurer que la diffamation n’est pas associée à des sanctions pénales excessivement sévères, y compris des peines d’emprisonnement; et, entre-temps, à appliquer la législation en vigueur avec prudence afin d’éviter des peines d’emprisonnement pour ce type d’infraction;
11.6.5. à libérer tous les prisonniers politiques, y compris ceux qui ont coopéré avec l’Assemblée parlementaire;
11.7. concernant la liberté d’association:
11.7.1. à réviser la loi sur les ONG en vue de répondre aux préoccupations exprimées par la Commission de Venise;
11.7.2. à créer un environnement propice aux activités légitimes des ONG, y compris celles exprimant des avis critiques;
11.8. concernant la coopération internationale:
11.8.1. à annuler la décision des autorités visant à fermer le bureau de l’OSCE à Bakou et à pleinement coopérer avec cette organisation.
12. L’Assemblée décide de suivre de près la situation en Azerbaïdjan et de faire le point sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la présente résolution et des résolutions précédentes.