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Rapport | Doc. 13851 | 06 juillet 2015

Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Rafael HUSEYNOV, Azerbaïdjan, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13364, Renvoi 4022 du 31 janvier 2014. 2015 - Quatrième partie de session

Résumé

Nos sociétés démocratiques sont mises en danger par le fanatisme et les extrémismes religieux, mais aussi par la xénophobie et le rejet de la différence. Face à cette menace, les Etats et les religions devraient œuvrer ensemble, afin d’encourager le dialogue et le respect mutuel.

Les religions ont une responsabilité essentielle dans la promotion des valeurs et principes communs qui fondent le vivre ensemble. Les Etats, dans le cadre d’une laïcité de reconnaissance, devraient veiller à ce que leur neutralité reste inclusive et ouverte à la diversité, et rechercher des «aménagements raisonnables» pour des pratiques religieuses controversées. L’objectif devrait être de garantir l’égalité effective du droit à la liberté de religion et d’éviter toute restriction de ce droit non nécessaire dans une société démocratique.

L’éducation est la clé pour combattre l’ignorance, briser les stéréotypes, bâtir la confiance et le respect mutuel, et promouvoir l’adhésion sincère aux valeurs communes du vivre ensemble. L’école devrait être un forum de rencontre et de dialogue constructif entre individus de convictions différentes, et les aider à s’ouvrir à d’autres visions du monde. Dans ce contexte, les Etats et les communautés religieuses devraient collaborer afin que l’enseignement du fait religieux devienne une opportunité d’écoute réciproque et de développement de l’esprit critique.

Le Conseil de l’Europe devrait établir une plate-forme de dialogue stable avec des hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles, afin de favoriser l’engagement actif de toutes les parties prenantes dans des actions visant à promouvoir le vivre ensemble.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 23 juin
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire constate que le fait religieux connaît un regain d’importance dans les sociétés européennes. Une pluralité de croyances et d’Eglises se développent en Europe à côté des religions qui ont marqué par leur influence l’histoire de notre continent. L’Assemblée constate avec grand regret et inquiétude que cela continue de susciter des tensions, l’incompréhension et la méfiance, voire des attitudes xénophobes, les extrémismes, les discours de haine et la violence la plus abjecte. Il faut briser ce cercle vicieux.
2. Les Eglises et les organisations religieuses font partie intégrante de la société civile et doivent prendre part, avec les organisations de conviction laïque, à la vie de la société. Les autorités nationales devraient mieux tenir compte du potentiel des communautés religieuses à œuvrer en faveur du dialogue, de la reconnaissance mutuelle et de la solidarité. De leur côté, ces communautés ont une responsabilité essentielle, qu’elles se doivent d’assumer pleinement, dans la promotion des valeurs et principes communs qui fondent le «vivre ensemble» dans nos sociétés démocratiques.
3. Ces valeurs et principes consistent essentiellement dans le respect profond de la dignité humaine et des droits fondamentaux protégés par nos constitutions démocratiques et par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), ainsi que dans le respect des principes démocratiques et de l’Etat de droit, y compris le respect du principe de non-discrimination entre divers groupes qui composent nos sociétés plurielles. Ces valeurs et principes ne sont pas négociables et doivent prévaloir sur toute norme sociale ou religieuse qui s’y opposerait.
4. L’appartenance religieuse est, pour beaucoup de citoyens européens, un élément essentiel de leurs identités. Cette appartenance s’exprime aussi par le culte et le respect des pratiques religieuses. La liberté de vivre en conformité avec ces pratiques est une composante du droit à la liberté de religion garanti par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce droit cohabite avec les droits fondamentaux d’autrui et avec le droit pour tous d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble. Cela peut justifier l’introduction de restrictions à certaines pratiques religieuses; néanmoins, toute restriction non nécessaire dans une société démocratique est à éviter.
5. Par ailleurs, l’Assemblée considère que le principe de laïcité ne demande pas l’effacement du phénomène religieux de l’espace social; bien au contraire, ce principe, correctement entendu et mis en œuvre, protège la possibilité pour les diverses convictions, religieuses et non religieuses, de coexister paisiblement dans le respect de la part de tous des valeurs et des principes communs.
6. Les législateurs et les gouvernements doivent tenir compte du fait que des choix politiques au titre de la «neutralité de l’Etat» peuvent provoquer, en réalité, des discriminations déguisées à l’encontre des religions minoritaires, ce qui est incompatible avec le droit à la liberté de religion ainsi qu’avec le principe de laïcité. Pire, ces choix peuvent engendrer chez les membres des communautés concernées le sentiment qu’ils ne sont pas considérés comme étant membres à part entière de la communauté nationale.
7. Certaines pratiques religieuses prêtent à controverse au sein des communautés nationales. Quoique de manière différente, les cas du voile intégral, de la circoncision et de l’abattage rituel constituent des points de fracture. D’autres pratiques religieuses peuvent aussi provoquer des tensions, par exemple sur les lieux de travail. A cet égard, tout en sachant qu’il n’est pas possible de dicter des normes, l’Assemblée invite les Etats à rechercher des «aménagements raisonnables» visant à garantir une égalité effective, et non seulement formelle, du droit à la liberté de religion. Les Etats doivent veiller à ce que leur neutralité reste inclusive et ouverte à la diversité.
8. Concernant le voile intégral, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1743 (2010) «Islam, islamisme et islamophobie en Europe» et invite les Etats à s’abstenir de dicter des interdictions générales et à privilégier des politiques ciblées, destinées à sensibiliser les femmes musulmanes à leurs droits, à les aider à prendre part à la vie publique, et à leur offrir la possibilité de parvenir à une indépendance sociale et économique.
9. Concernant la circoncision, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1952 (2013) sur le droit des enfants à l’intégrité physique et, dans un souci de protection des droits des enfants que sans doute les communautés juives et musulmanes partagent, recommande aux Etats membres de prévoir que la circoncision rituelle des enfants ne soit pas autorisée à moins qu’elle soit pratiquée par une personne ayant la formation et le savoir-faire requis, dans des conditions médicales et sanitaires adéquates. Par ailleurs, les parents doivent être dûment informés de tout risque médical potentiel ou de possibles contre-indications et les prendre en compte lorsqu’ils décident de ce qui est préférable pour leur enfant, en gardant à l’esprit que l’intérêt de l’enfant doit être considéré comme étant la priorité première.
10. Concernant l’abattage rituel, l’Assemblée n’est pas convaincue qu’une législation interdisant cette pratique soit réellement nécessaire, ni qu’elle soit le moyen le plus efficace pour assurer la protection des animaux; des législations qui imposent des exigences strictes, comme en France ou en Allemagne, réconcilient de manière équilibrée le souci légitime d’éviter aux animaux des souffrances injustifiées et le respect du droit à la liberté de religion.
11. L’Assemblée est convaincue que l’éducation est la clé pour combattre l’ignorance, briser les stéréotypes, bâtir la confiance et le respect mutuel, et promouvoir l’adhésion sincère aux valeurs communes du vivre ensemble. A cet égard, l’Assemblée est consciente du fait que de nombreux facteurs influencent la formation de la personnalité des individus. Les familles et les médias, ainsi que les communautés culturelles et religieuses elles-mêmes, devraient soutenir le développement d’individus dotés d’une ouverture d’esprit et d’un d’esprit critique, et capables d’avoir un dialogue constructif avec les autres. Il est essentiel de lutter contre l’intolérance sur le web. L’école devrait être aussi un forum de rencontre et de dialogue constructif entre individus de convictions religieuses ou laïques différentes.
12. En rappelant sa Recommandation 1962 (2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, l’Assemblée rappelle aux Etats leur obligation de veiller à ce que toutes les communautés religieuses qui acceptent les valeurs fondamentales communes puissent bénéficier de statuts juridiques appropriés garantissant l’exercice de la liberté de religion. Pour elle, les Etats membres et les communautés religieuses devraient œuvrer ensemble, afin de favoriser la rencontre, le dialogue et le respect mutuel: il n’y a pas de voies plus efficaces pour lutter efficacement contre tout fanatisme et tout extrémisme, religieux ou antireligieux.
13. Dans ce contexte, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
13.1. de veiller à ce que les communautés religieuses et leurs membres puissent exercer le droit à la liberté de religion sans entraves et sans discriminations, conformément à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, et d’assurer, entre autres, que les communautés religieuses et leurs membres puissent, dans le respect de la loi:
13.1.1. pratiquer leur foi publiquement et librement dans des lieux de culte désignés à cette fin par elles-mêmes ou d’autres lieux accessibles au grand public, selon leurs propres rites et coutumes;
13.1.2. gérer des institutions diaconales (hôpitaux, ateliers de travail pour personnes handicapées, foyers de personnes âgées, jardins d’enfants, etc.) et des écoles et lieux d’instruction;
13.1.3. faire connaître leur opinion au grand public sans être soumises à la censure;
13.2. de favoriser l’intégration sociale des minorités religieuses et de traiter en amont les inégalités sociales, économiques et politiques dont ces minorités sont frappées;
13.3. de mettre en œuvre une «laïcité de reconnaissance» et de valoriser les organisations religieuses en tant que partenaires pour le développement de sociétés inclusives et solidaires, dans le respect du principe d’indépendance du politique par rapport aux religions et de la prééminence du droit; dans ce contexte:
13.3.1. développer des projets collaboratifs avec les communautés religieuses pour promouvoir les valeurs communes et le «vivre ensemble» et les associer dans la lutte contre tous les extrémismes et fanatismes;
13.3.2. encourager les projets développés en commun par plusieurs communautés, y compris avec les associations non religieuses, qui visent à consolider les liens sociaux à travers, par exemple, la promotion d’une solidarité intercommunautaire, l’attention à l’égard des personnes les plus vulnérables et la lutte contre les discriminations;
13.3.3. veiller à ce que les médias de service public s’opposent fermement à toute forme d’intolérance et de discrimination fondée sur la religion ou les croyances, et contribuent non seulement à lutter contre les préjugés, mais aussi à défendre la vision d’une société démocratique pluraliste, interculturelle et inclusive;
13.4. de promouvoir dans le cadre scolaire et/ou périscolaire des occasions de rencontre et de dialogue entre personnes de convictions différentes, afin qu’elles puissent apprendre à exprimer leur identité religieuse sans crainte mais aussi sans provocation ni prévarication des autres, et qu’elles puissent à la fois s’ouvrir à d’autres visions du monde et apprendre à les respecter même sans les partager; dans ce contexte, collaborer avec les communautés religieuses afin que l’enseignement du fait religieux devienne une opportunité d’écoute réciproque et de développement de l’esprit critique.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 23 juin
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2015) «Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique» et rappelant sa Recommandation 1962 (2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel et sa Recommandation 1975 (2011) «Vivre ensemble dans l’Europe du XXIe siècle: suites à donner au rapport du Groupe d’éminentes personnalités du Conseil de l’Europe», réitère son soutien à une approche intégrée des questions concernant le «vivre ensemble» et renvoie aux nombreuses propositions contenues dans ces textes, qui n’ont pas toutes été suivies de mesures concrètes.
2. Convaincue de l’urgence d’intensifier l’action du Conseil de l’Europe afin qu’il puisse mieux soutenir les efforts des Etats membres visant à contrer le danger que le fanatisme et les extrémismes religieux, mais aussi la xénophobie et le rejet de la différence, représentent pour nos sociétés démocratiques, l’Assemblée confirme sa disponibilité à participer à l’élaboration d’une stratégie globale du Conseil de l’Europe en la matière.
3. L’Assemblée estime par ailleurs que, dans ce contexte, le Conseil de l’Europe devrait renforcer et rendre plus concrète sa collaboration avec les principales communautés religieuses et les principales organisations européennes représentant le monde humaniste et philosophique laïque. Dès lors, elle recommande au Comité des Ministres:
3.1. de créer une plate-forme de dialogue, stable et formellement reconnue, entre le Conseil de l’Europe et de hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles, afin de consolider les relations existantes avec ces partenaires et de favoriser l’engagement actif de toutes les parties prenantes dans des actions de promotion des valeurs fondamentales de l’Organisation, qui sont à la base du «vivre ensemble»;
3.2. d’inscrire cette initiative parmi les priorités d’action du Conseil de l’Europe et de la développer rapidement en concertation avec les parties intéressées, en y associant étroitement l’Assemblée parlementaire; d’inviter, le cas échéant, l’Union européenne et l’Alliance des civilisations des Nations Unies, et éventuellement d’autres partenaires, à y contribuer;
3.3. de lier à cette plate-forme de dialogue l’organisation de rencontres thématiques sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, dont il faudrait renforcer le caractère opérationnel.
3.4. de développer des synergies entre la plate-forme et les rencontres thématiques sur la dimension religieuse du dialogue interculturel et d’autres projets et initiatives du Conseil de l’Europe dans les domaines de l’éducation, de la culture et de la jeunesse, par exemple le «Mouvement contre le discours de haine – Des jeunes en campagne pour défendre les droits de l’homme en ligne», «Education à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme» et «Cités interculturelles».

C. Exposé des motifs, par M. Huseynov, rapporteur

(open)

1. Introduction: cadre et but du rapport

1. Les attaques terroristes tragiques qui ont eu lieu les 7, 8 et 9 janvier 2015 à Paris 
			(3) 
			Le 7 janvier 2015,
deux jeunes Français sont entrés dans les locaux de l’hebdomadaire
satirique Charlie Hebdo et ont
tué 12 personnes. Au nombre des victimes figuraient des journalistes,
des analystes, des caricaturistes et des membres du personnel ainsi
que deux policiers en faction. Les tueurs ont été tués par la police
deux jours plus tard. Le 8 janvier, un autre Français tuait, de
sang-froid, d’un coup de feu une policière à Paris et, le 9 janvier,
prenait plus de 20 otages dans un supermarché casher, tuant immédiatement
quatre d’entre eux, tous juifs. Il a été ensuite tué par la police et
les autres otages ont été libérés., la double attaque meurtrière, les 14 et 15 février 2015 à Copenhague 
			(4) 
			Lors de la première
attaque, dans un centre culturel où avait lieu un débat sur l’islamisme
et la liberté d’expression auquel assistait le caricaturiste suédois
Lars Vilks, le réalisateur Finn Nørgaard a été tué et trois policiers
ont été blessés. La seconde attaque a eu lieu à l’extérieur de la
grande synagogue: un juif qui montait la garde pour protéger les
dizaines d’invités d’une bar mitzvah a
été tué et deux policiers ont été blessés., mais aussi les profanations de cimetières juifs et catholiques en France et d’autres épisodes de violence qui ciblent des communautés religieuses, nous montrent, de façon dramatique, la nécessité de reprendre notre réflexion sur «le vivre ensemble» dans nos sociétés démocratiques.
2. Au-delà de la tristesse et de la consternation que ces actes barbares provoquent, il faut se demander non pas seulement si nous aurions pu les éviter, mais comment nous allons agir pour en éviter d’autres. Se poser cette question n’implique aucune intention de culpabiliser – voire de nous culpabiliser. Il s’agit simplement de mieux comprendre la situation afin d’adopter des mesures efficaces.
3. Comprendre, ce n’est pas justifier. Il n’y a pas de justification possible à ces actes; il n’y a notamment aucune justification liée à la foi religieuse (réelle ou prétendue) des auteurs. La tuerie, de même que la profanation des lieux de culte ou des cimetières, n’a rien d’un acte de foi: c’est tout simplement une offense à toutes les religions ainsi qu’à la raison humaine que de prétendre le contraire.
4. Comprendre implique savoir distinguer; on ne saurait confondre les jeunes musulmans dans certains quartiers défavorisés, désemparés et à la recherche d’une place dans la société, avec les terroristes djihadistes ou les fanatiques antisémites.
5. J’en arrive ainsi au cœur du thème du présent rapport: la liberté de religion et le vivre ensemble dans une société démocratique. Dans une société qui serait totalement homogène d’un point de vue culturel, y compris religieux, la question de la liberté de religion ne serait pas problématique. Si nous en discutons de plus en plus, c’est que nos sociétés européennes sont plurielles et nos identités culturelles et religieuses sont de plus en plus diversifiées.
6. L’axiome de notre Assemblée est que cette diversité et la miscégénation des cultures non seulement sont inéluctables mais constituent une richesse. Nous l’avons affirmé sans détour et de façon réitérée.
7. Il faut arrêter d’avoir peur de la différence, abandonner l’idée que tout se passerait mieux si l’autre était comme nous et changer de discours politique concernant «l’identité» de la communauté nationale, entendue comme monolithique et qui devient donc négation de la nature plurielle des identités individuelles et collectives. En somme, il faut arrêter de souhaiter «l’assimilation» de l’autre et il faut promouvoir la reconnaissance de la diversité et l’intégration de tous dans une société plurielle inclusive. Cela ne peut se faire que si nous savons construire un consensus autour de valeurs communes – y compris l’interculturalité 
			(5) 
			Je souhaite me référer
à ce propos au rapport de notre commission sur «Identités et diversité
au sein de sociétés interculturelles» (rapporteur: M. Carlos Costa
Neves, Portugal, PPE/CD), Doc.
13522, Voir également Résolution
2005 (2014) et Recommandation
2049 (2014). – qui fondent le vivre ensemble.
8. Le présent rapport ne saurait appréhender cet enjeu complexe dans toutes ses multiples facettes, y compris celles qui relèvent des institutions et processus démocratiques, mais a pour but de contribuer à la plus vaste réflexion de l’Assemblée parlementaire sur ces questions.

2. Le fait religieux et droit à la liberté de religion

9. Les faits religieux sont des réalités historiques, sociales et culturelles. Leur importance est loin d’être en déclin et il est important d’en tenir compte. Dans la présente section, je reprends quelques éléments (sociologiques et juridiques) concernant le fait religieux et la protection que lui accorde la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»).

2.1. Comprendre le fait religieux et son ancrage dans la société

10. Comme le Professeur Jean-Paul Willaime 
			(6) 
			Le 22 avril 2015 à
Strasbourg, la commission a tenu un échange de vues avec le Professeur
Jean-Paul Willaime, Directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes
études (EPHE) de Paris. Cette sous-section s’inspire largement de
sa contribution (qui figure dans le document <a href='http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2015/20152005_Libertereligion_FR.pdf'>AS/Cult/Inf
(2015) 03</a> à laquelle je renvoie pour une analyse plus détaillée). l’a mis en évidence, les religions constituent des ressources identitaires et éthiques, et elles offrent du sens dans les trois acceptions de ce terme, car elles donnent:
  • des significations (de la vie et de la mort, du bonheur et du malheur);
  • des orientations (au comportement);
  • des sensations (émotions individuelles et collectives).
11. Les groupements religieux, comme toute réalité militante et de conviction, peuvent générer des attitudes intolérantes, voire la violence et le fanatisme. Dans ces expressions déviées, les religions peuvent représenter un danger pour la démocratie et les droits de l’homme. Cela est inacceptable, mais l’on ne saurait réduire les phénomènes religieux à ces dérives et les diaboliser 
			(7) 
			Le Professeur Willaime
fait à cet égard un parallèle intéressant: «C’est comme si, au prétexte
que des idéologies politiques ont mené au totalitarisme, on disqualifiait
le politique.».
12. Bien plus nombreux sont les exemples prouvant que les religions sont des atouts pour le vivre ensemble. Dans tous nos pays, nous avons des exemples d’appels, de mobilisations religieuses et d’actions sur le terrain en faveur des plus faibles, des personnes déshéritées et en situation d’extrême précarité (les réfugiés, les étrangers, les Roms, l’enfance abandonnée, les sans-abris, les personnes handicapées, les personnes âgées…). Les autorités religieuses sont souvent en première ligne pour rappeler le devoir de solidarité citoyenne et promouvoir la fraternité entre les peuples. De même, il n’est pas rare que les leaders religieux prônent un changement du modèle économique actuel et demandent dans le domaine écologique une gestion plus avisée des ressources et la sauvegarde de l’environnement.
13. Par ailleurs, le rapport de notre commission sur «La dimension religieuse du dialogue interculturel», mais aussi les témoignages de divers experts que nous avons entendus 
			(8) 
			Le 30 septembre 2014
à Strasbourg, la commission a eu un échange de vues avec le Rabbin
Moché Lewin, Directeur exécutif de la Conférence des rabbins européens,
et Mme Elizabeta Kitanović, Secrétaire
exécutive pour les droits de l’homme et la communication de la Commission
Eglise et Société, Conférence des Eglises d’Europe (KEK). Le 11
mars 2015 à La Haye, la commission a tenu une audition avec: Mme Gabriella
Battaini-Dragoni, Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe;
le Grand Rabbin Albert Guigui, Grand Rabbin de Bruxelles, représentant
permanent de la Conférence des Rabbins européens auprès des institutions
européennes à Bruxelles; M. Anouar Kbibech, Président du Rassemblement
des Musulmans de France (RMF), Vice-Président du Conseil français
du culte musulman (CFCM), Paris; Mme Marguerite
A. Peeters, Consulteur au Conseil pontifical pour la culture, Directrice
de l’Institut pour une Dynamique de Dialogue Interculturel, Bruxelles.
Les contributions présentées lors de cette audition figurent dans
le document <a href='http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2015/20152005_Libertereligion_FR.pdf'>AS/Cult/Inf (2015)
03</a>., nous rappellent la réponse des religions aux extrémismes et leur engagement sur le terrain de la diversité culturelle et religieuse.
14. M. Kbibech a souligné que les croyants et les humanistes de toutes les cultures et de toutes les religions ont pour tâche de rapprocher les communautés et les peuples. Le Grand Rabbin Guigui a rappelé que chaque religion doit avoir sa propre identité si elle veut prendre racine dans un pays, et que la seule façon de prévenir le djihadisme est de donner à chacun une identité. Mme Marguerite A. Peeters, renvoyant à l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme 
			(9) 
			Cet
article est ainsi rédigé: «Tous les êtres humains naissent libres
et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de
conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit
de fraternité.», a insisté sur l’urgence, «dans les discours politiques et dans l’éducation et la culture, de mettre en avant ce que les êtres humains ont en commun: la conscience, la raison et le cœur»; elle a souligné aussi qu’en ces temps de fragmentation, le patrimoine des cultures non occidentales peut contribuer à libérer nos cultures de leur individualisme et à promouvoir un développement plus complet de la personne humaine.
15. Je souhaite mentionner à cet égard les propos de Sa Sainteté le Pape François lors de son discours au Conseil de l’Europe du 25 novembre 2015: «La voie privilégiée vers la paix (…) c’est de reconnaître dans l’autre non un ennemi à combattre, mais un frère à accueillir.»
16. Enfin – à l’instar du professeur Willaime –, est-il essentiel d’insister sur le fait qu’il est erroné de vouloir faire taire les religions sur des sujets qui prêtent à controverse (questions relatives à la sexualité, au genre, à la filiation, à la gestation pour autrui, à la procréation médicalement assistée, au risque d’eugénisme, à la fin de vie et à l’euthanasie, à une recherche scientifique sans bornes éthiques…). Même lorsqu’ils gênent par leurs prises de position, il est clair que les citoyens qui adhèrent à une conviction religieuse ont le droit – comme les autres et avec les mêmes limitations – à la «liberté d’expression». La reconnaissance du fait religieux par les Etats passe aussi par cette acceptation d’un désaccord possible, dans le respect de l’ordre constitutionnel. Je reviendrai sur cette question plus loin.

2.2. Le droit à la liberté de religion: signification, portée et étendue de la protection

17. Bien entendu, à la base de la relation entre Etats et groupes religieux, il y a le droit à la liberté de religion. La liberté de pensée, de conscience et de religion est protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose:
«1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.»
18. L’article 2 du Protocole no 1 à la Convention (STE no 9) porte sur un aspect particulier de la liberté de religion, à savoir le droit des parents d’assurer l’éducation de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses:
«... L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.»
19. Notre rapport sur «La dimension religieuse du dialogue interculturel» 
			(10) 
			Doc. 12553 (rapporteure: Mme Anne Brasseur,
Luxembourg, ADLE). inclut une analyse détaillée de la place de la religion dans les Etats européens et des règles qui régissent le culte en Europe, ainsi qu’une présentation de la jurisprudence concernant l’article 9 de la Convention. Le Greffe de la Cour européenne des droits de l’homme a publié, en octobre 2013, un aperçu actualisé de la jurisprudence de la Cour en matière de liberté de religion 
			(11) 
			<a href='http://www.echr.coe.int/Documents/Research_report_religion_ENG.pdf'>www.echr.coe.int/Documents/Research_report_religion_ENG.pdf</a>; par ailleurs, le 4 juin 2014 à Paris, la commission
a tenu un échange de vues avec M. Lawrence Early, Jurisconsulte,
Greffe de la Cour européenne des droits de l’homme.. Sur cette base, les paragraphes ci-dessous mettent en lumière certains principes clés qui devraient orienter nos travaux.
20. La liberté de pensée, de conscience et de religion, consacrée par l’article 9 de la Convention, représente l’une des assises d’une «société démocratique» au sens de la Convention. Le terme «religion» doit être envisagé dans un sens non restrictif: les croyances religieuses ne sauraient se limiter aux «grandes» religions. Tous les groupements religieux et leurs adeptes bénéficient d’une égale garantie au regard de la liberté consacrée par l’article 9.
21. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie. La liberté de religion implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer 
			(12) 
			Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25
mai 1993, paragraphe 31; Buscarini et
autres c. Saint-Marin, Requête no 24645/94, arrêt
du 18 février 1999 [Grande Chambre], paragraphe 34..
22. L’article 9 doit s’interpréter à la lumière de l’article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’Etat. Vu sous cet angle, le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’Etat 
			(13) 
			Hassan
et Tchaouch c. Bulgarie, Requête no 30985/96,
arrêt du 2 octobre 2000 [Grande Chambre], paragraphe 62; Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres
c. Moldova, Requête no 45701/99,
arrêt du 13 décembre 2001, paragraphe 115; Saint
Synode de L’Eglise orthodoxe bulgare (métropolite Innocent) et autres
c. Bulgarie, Requêtes nos 412/03
et 35677/04, arrêt du 22 janvier 2009, paragraphe 103.. La participation à la vie de la communauté est une manifestation particulière de la religion qui jouit en elle-même de la protection de l’article 9 de la Convention 
			(14) 
			Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, op. cit.; Perry
c. Lettonie, Requête no 30273/03,
arrêt du 8 novembre 2007, paragraphe 55..
23. La liberté de religion présente un double aspect: interne et externe. Sur le plan «interne», cette liberté est absolue. Sur le plan «externe», la liberté religieuse implique aussi la liberté de «manifester sa religion» individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi.
24. L’article 9 énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou d’une conviction, à savoir: le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. Sur ce plan, la liberté en question n’est que relative, puisque l’ordre public peut être concerné, voire menacé. La liberté de religion ne protège pas n’importe quel comportement, pour peu qu’il soit motivé par des considérations d’ordre religieux ou philosophique. L’article 9 de la Convention protège ce qui relève du for intérieur de l’individu mais pas nécessairement tout comportement public dicté par la conviction: c’est la raison pour laquelle il n’autorise pas à se soustraire à une législation générale 
			(15) 
			Pichon et Sajous c. France (déc.),
Requête no 49853/99.. Néanmoins, toute ingérence d’un Etat dans l’exercice du droit à la liberté de religion doit être «nécessaire dans une société démocratique». Cela signifie qu’elle doit répondre à un «besoin social impérieux» 
			(16) 
			Sviato-Mykhaïlivska
Parafiya c. Ukraine, Requête no 77703/01,
14 juin 2007 paragraphe 116..
25. Dans l’exercice de son pouvoir de réglementation en la matière et dans sa relation avec les diverses religions, cultes et croyances, l’Etat se doit d’être neutre et impartial; il y va du maintien du pluralisme et du bon fonctionnement de la démocratie 
			(17) 
			Eglise
métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, op. cit., paragraphes 115-116..
26. Dans ce domaine délicat qu’est l’établissement de rapports entre les communautés religieuses et l’Etat, ce dernier jouit en principe d’une large marge d’appréciation 
			(18) 
			Cha’are
Shalom Ve Tsedek c. France, Requête no 27417/95,
arrêt du 27 juin 2000 [Grande Chambre], paragraphe 84.. La Cour en délimite l’ampleur en tenant compte de la nécessité de maintenir un véritable pluralisme religieux, inhérent à la notion de société démocratique 
			(19) 
			Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres
c. Moldova, op. cit.,
paragraphe 119.. La Cour a également affirmé que lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national 
			(20) 
			Leyla Şahin c. Turquie, Requête
no 44774/98, arrêt du 10 novembre 2005
[Grande Chambre], paragraphe 108..
27. L’article 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 12 (STE no 177) ne permettent pas à l’Etat de traiter différemment des personnes dans des situations substantiellement analogues, sans une justification objective et raisonnable. L’Etat bénéficie d’une certaine marge d’appréciation lorsqu’il évalue si et dans quelle mesure les différences qui existent justifient un traitement différent, mais la différence de traitement doit poursuivre une finalité légitime et respecter le critère d’une proportionnalité raisonnable 
			(21) 
			Oršuš et autres c. Croatie, Requête
no 15766/03, arrêt du 16 mars 2010 [Grande
Chambre], paragraphe 149; Savez crkava
“Riječ života” et autres c. Croatie, Requête no 7798/08,
arrêt du 9 décembre 2010, paragraphes 85-88..
28. De façon symétrique, il découle de la jurisprudence sur l’article 14 que, dans certaines circonstances, l’absence d’un traitement différencié à l’égard de personnes placées dans des situations sensiblement différentes peut emporter violation de cette disposition 
			(22) 
			Thlimmenos
c. Grèce, Requête no 34369/97,
arrêt du 6 avril 2000 [Grande Chambre], paragraphe 44. La Cour se réfère
à cette jurisprudence dans l’affaire Miroļubovs
et autres c. Lettonie, Requête no 798/05,
arrêt du 15 septembre 2009.. Ainsi, la Cour ne néglige pas les particularités des diverses religions (sur le plan dogmatique, rituel, organisationnel ou autre), lorsque ces particularités peuvent avoir une signification essentielle dans la solution du litige porté devant elle.
29. Dans une société démocratique, où plusieurs religions (voire plusieurs branches d’une même religion) et convictions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir la liberté de religion de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun 
			(23) 
			Eglise
métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, op. cit., paragraphe 115..

3. Liberté de religion et pratiques religieuses

30. Même si, globalement, les ordres juridiques des Etats européens offrent une reconnaissance et une protection adéquate aux diverses convictions (religieuses et non religieuses), comme Mme Kitanović (Conférence des Eglises d’Europe – KEK) nous en a fait état, les groupes religieux minoritaires ont des doléances, notamment en ce qui concerne la possibilité réelle de pratiquer leur religion sans discrimination.
31. Dès lors, il est utile d’insister sur le fait qu’au-delà du droit de se constituer en personne morale – que les Etats devraient garantir sans discrimination aux Eglises et aux communautés religieuses et de conviction – les législations nationales devraient – comme le demande la KEK 
			(24) 
			Voir
à cet égard le document élaboré par la KEK sur <a href='http://csc.ceceurope.org/fileadmin/filer/csc/Human_Rights/CSC_HR_minimumstandardsE.pdf'>Droits
minima des Eglises et des communautés de foi et de conviction.</a> – assurer également d’autres droits très concrets, concernant la libre pratique de la religion, y compris le droit pour une communauté religieuse:
  • de pratiquer sa foi publiquement et librement dans des lieux de culte désignés à cette fin par elle-même ou d’autres lieux accessibles au grand public, selon ses propres rites et coutumes;
  • de gérer des institutions diaconales (hôpitaux, ateliers de travail pour personnes handicapées, foyers de personnes âgées, jardins d’enfants, etc.) et des écoles (lieux d’instruction);
  • de faire connaître son opinion au grand public sans être soumise à la censure.
32. Les témoignages des représentants du culte juif et du culte musulman que nous avons entendus ont également porté sur les restrictions – de droit ou de fait – à la possibilité pour les fidèles de respecter certaines «pratiques religieuses» considérées comme essentielles à l’expression de leur identité et convictions religieuses. Ces pratiques étant considérées des éléments constitutifs des croyances religieuses, les restrictions pouvant les affecter posent la question d’atteintes éventuelles à la liberté de religion.
33. Les pratiques religieuses que je prendrai en compte dans le cadre du présent rapport sont celles qui vont au-delà de la «sphère privée» et ont, du moins dans une certaine mesure, une «dimension publique». C’est évidemment le cas lorsque les droits d’autres personnes que les croyants sont en jeu et, plus généralement, lorsque la pratique religieuse s’exerce dans un «espace public».
34. La circoncision entre dans cette catégorie, mais beaucoup d’autres pratiques soulèvent des questions. Par exemple, au-delà des problèmes particuliers que pose le voile intégral, les vêtements ou symboles religieux qui sont portés ostensiblement sont fréquemment interdits dans les établissements scolaires et les services publics (ou même privés) pour préserver la neutralité entre les différentes croyances et convictions. D’autres prescriptions pertinentes sont celles qui concernent les aliments; à cet égard l’abattage rituel est très important pour les communautés juives et musulmanes. Les pratiques religieuses qui exigent des croyants de ne pas travailler certains jours peuvent aussi créer des tensions entre les salariés et les employeurs.

3.1. La circoncision

35. La pratique de la circoncision fait l’objet de nombreuses polémiques dans plusieurs pays 
			(25) 
			Le Danemark, la Suède
et la Norvège envisagent actuellement d’interdire cette pratique.
En Allemagne, suite à la décision d’un tribunal de grande instance
de Cologne selon laquelle la circoncision religieuse des garçons
équivaut à un dommage corporel, le Parlement allemand a adopté une
loi qui n’autorise expressément la circoncision que dans des circonstances
bien définies.. Après l’adoption de la Résolution 1952 (2013) de l’Assemblée sur le droit des enfants à l’intégrité physique, certains lecteurs ont mal interprété la position de l’Assemblée, estimant qu’elle avait appelé à interdire la circoncision des jeunes garçons. Il est important de préciser que ce n’est pas le cas. Au contraire, l’Assemblée a appelé notamment les Etats membres du Conseil de l’Europe à «définir clairement les conditions médicales, sanitaires et autres à respecter s’agissant des pratiques qui sont aujourd’hui largement répandues dans certaines communautés religieuses, telles que la circoncision médicalement non justifiée des jeunes garçons» (paragraphe 7.5.2).
36. Toutefois, cette résolution, et plus précisément son paragraphe 2, risque de soulever la délicate question de savoir si la circoncision peut être qualifiée de «violation de l’intégrité physique des enfants» 
			(26) 
			Ce paragraphe est libellé
comme suit: «L’Assemblée parlementaire est particulièrement préoccupée
par une catégorie particulière de violations de l’intégrité physique
des enfants, que les tenants de ces pratiques présentent souvent
comme un bienfait pour les enfants, en dépit d’éléments présentant
manifestement la preuve du contraire. Ces pratiques comprennent
notamment les mutilations génitales féminines, la circoncision de
jeunes garçons pour des motifs religieux, les interventions médicales
à un âge précoce sur les enfants intersexués ainsi que les piercings,
les tatouages ou les opérations de chirurgie plastique auxquels
les enfants sont parfois soumis ou contraints.» ou, en d’autres termes, si la circoncision soulève en soi la question de la compatibilité avec le droit des enfants à leur intégrité physique. Il serait inexact, à mon avis, de conclure en ce sens. La circoncision a certes une incidence sur l’intégrité physique de l’enfant et entraîne une «altération permanente» (bien que mineure) du corps de l’enfant; toutefois, ce n’est pas une «violation en soi» de l’intégrité physique de l’enfant.
37. A cet égard, le lecteur a pu être induit en erreur par le fait que la Résolution 1952 (2013) mentionne la circoncision dans la même liste que notamment les mutilations génitales féminines et les interventions médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués. Il s’agit là évidemment de types très différents d’«altération physique» et, d’après moi, l’Assemblée n’a jamais eu l’intention de mettre sur le même plan ces pratiques et la circoncision des jeunes garçons.
38. Il est inutile d’examiner ici les avantages sanitaires potentiels de la circoncision par rapport à ses éventuels inconvénients. Au sein des sociétés européennes, dans de nombreux cas, c’est la croyance religieuse des parents qui est le principal motif de la circoncision, sinon le seul. A mon avis, il est tout à fait compréhensible et admissible que les parents souhaitent partager leur foi avec leurs enfants et leur désir de voir leurs enfants faire partie de leur communauté religieuse n’a rien de condamnable.
39. Il faut, bien sûr, s’accorder sur la nécessité de protéger l’enfant: l’intérêt de l’enfant doit être considéré comme primordial. C’est pourquoi il est bon que les Etats «réglementent» la circoncision en tant qu’acte médical. A cet égard:
  • premièrement, la circoncision ne doit pas être autorisée à moins qu’elle ne soit pratiquée par une personne ayant la formation et le savoir-faire requis, dans des conditions médicales et sanitaires adéquates. C’est là un impératif non négociable;
  • deuxièmement, les parents devraient, je crois, prendre des «décisions éclairées», ce qui signifie que, quelle que soit l’importance accordée à l’acte d’un point de vue religieux, les parents doivent être dûment informés de tout risque médical potentiel ou de possibles contre-indications et les prendre en compte lorsqu’ils décident de ce qui est préférable pour leur enfant.
40. Pour conclure sur cette question, je suis sûr que ni les autorités religieuses responsables, ni les communautés elles-mêmes ne demanderaient aux parents de causer un préjudice à leur enfant. Par conséquent, je pense aussi que les autorités religieuses elles-mêmes pourraient souhaiter trouver des moyens de concilier au mieux la tradition religieuse et les droits de l’enfant dans les cas où il y aurait des raisons médicales précises de s’opposer clairement à la pratique de la circoncision.

3.2. Le voile intégral: l’arrêt dans l’affaire S.A.S. c. France

41. Dans son arrêt de Grande Chambre dans l’affaire S.A.S. c. France 
			(27) 
			SAS
c. France, Requête no 43835/11,
arrêt du 1er juillet 2014 [Grande Chambre].
L’affaire concernait une ressortissante française résidant en France,
musulmane pratiquante, se plaignant de ne pouvoir porter publiquement
le voile intégral (la burqa ou le niqab) suite à l’entrée en vigueur,
le 11 avril 2011, de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010, alors
que le port du voile intégral était un choix libre, motivé par sa
foi, sa culture et ses convictions personnelles., la Cour européenne des droits de l’homme établit que l’interdiction de porter une tenue destinée à dissimuler le visage – en l’espèce, le voile intégral – dans l’espace public en France n’est pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.
42. La Cour constate que l’interdiction légale de dissimuler le visage constitue une «ingérence permanente» dans l’exercice des droits garantis par les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et surtout 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention. Néanmoins, l’interdiction contestée peut par conséquent passer pour «proportionnée».
43. La Cour rejette les arguments du gouvernement français concernant la «sécurité» ou la «sûreté» publiques ni, au titre de la «protection des droits et libertés d’autrui», les arguments concernant le respect de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la dignité des personnes. Néanmoins, pour la Cour, le fait de porter un voile cachant le visage dans l’espace public peut porter atteinte à une autre valeur d’une «société démocratique ouverte»: le «vivre ensemble».
44. A cet égard, la Cour souligne que le visage joue un rôle important dans l’interaction sociale et que la possibilité de relations interpersonnelles ouvertes, en vertu d’un consensus établi, est un élément indispensable à la vie en société. Elle dit pouvoir comprendre le souhait que des pratiques ou des attitudes mettant fondamentalement en cause cette possibilité ne se développent pas. Ainsi, pour la Cour, le voile intégral représente une «clôture» qui peut être perçue comme portant atteinte au «droit d’autrui d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble».
45. Ensuite, la Cour note, en particulier, que l’acceptation ou non du port du voile intégral dans l’espace public relèvent d’un choix de société et qu’il manque une communauté de vues entre les Etats membres du Conseil de l’Europe sur cette question 
			(28) 
			En effet, à ce jour,
seulement la France et la Belgique ont opté pour une mesure d’interdiction
du port du voile intégral dans l’espace public. Cette question est
ou a toutefois été en débat dans plusieurs pays européens (paragraphes 40-52
de l’arrêt).. Dans ce contexte, l’Etat concerné dispose d’une ample marge d’appréciation et la Cour se doit de faire preuve de réserve dans l’exercice de son contrôle de conventionnalité dès lors qu’il la conduite à évaluer un arbitrage effectué selon des modalités démocratiques au sein de la société en cause. L’interdiction contestée peut par conséquent passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la préservation du «vivre ensemble».
46. Dans le cadre du présent rapport, je ne souhaite pas prendre position par rapport à cet arrêt et ses implications possibles. Je me limiterai à la remarque suivante: si l’affirmation de l’existence du «droit d’autrui d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble», en l’espèce, porte à justifier une restriction de la liberté de religion, elle peut aussi être le point de départ pour développer une nouvelle conception du rôle de l’Etat dans la promotion du «vivre ensemble».
47. J’ajouterai que la Cour reconnaît le fort impact négatif de cette interdiction générale sur la situation des femmes qui souhaitent porter le voile intégral en raison de leurs convictions et note que de nombreux acteurs nationaux et internationaux de la protection des droits fondamentaux considèrent qu’une interdiction générale est disproportionnée 
			(29) 
			Celle-ci
était notamment la position exprimée par l’Assemblée parlementaire
dans la Résolution 1743
(2010) et la Recommandation
1927 (2010) sur l’Islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe,
ainsi que par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe, pour lequel l’interdiction de la burqa et du niqab ne
correspondrait pas aux valeurs européennes de la diversité et du
multiculturalisme. La Cour mentionne également les commentaires
généraux nos 22 et 28 du Comité des droits
de l’homme des Nations Unies concernant la liberté de religion et
l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que les avis de
la Commission nationale française consultative des droits de l’homme
et d’organisations non gouvernementales, telles que des tiers intervenant
dans des procédures devant la Cour..
48. La Cour souligne également qu’un Etat qui s’engage dans un tel processus législatif prend le risque de contribuer à consolider des stéréotypes affectant certaines catégories de personnes et d’encourager l’expression de l’intolérance alors qu’il se doit au contraire de promouvoir la tolérance. Elle rappelle encore que des propos constitutifs d’une attaque générale et véhémente contre un groupe identifié par une religion ou des origines ethniques sont incompatibles avec les valeurs de tolérance, de paix sociale et de non-discrimination qui sous-tendent la Convention et ne relèvent pas du droit à la liberté d’expression qu’elle consacre.

3.3. L’abattage rituel

49. Dans beaucoup de pays européens, l’abattage rituel exigé par la religion juive et musulmane, va à l’encontre du principe selon lequel l’animal à abattre doit, après immobilisation, être préalablement étourdi (c’est-à-dire plongé dans un état d’inconscience où il est maintenu jusqu’à intervention de la mort) pour lui éviter toute souffrance.
50. En Suisse, suite à un référendum sur l’abattage rituel, la Constitution a été modifiée en 1983 pour y introduire l’article 25 bis, qui interdit de saigner les animaux de boucherie sans les avoir étourdis préalablement. Cette disposition, qui s’applique à tout mode d’abattage et à toute espèce de bétail, interdit depuis 1894 l’abattage rituel. L’abattage d’animaux sans étourdissement préalable est également interdit en Islande, Norvège et Suède.
51. Plusieurs Etats autorisent l’abattage sans étourdissement préalable, mais sous des conditions spécifiques, telles que l’étourdissement postérieur «immédiat». En Allemagne, des exemptions à l’étourdissement peuvent être accordées aux abattoirs, mais seulement s’ils démontrent qu’ils ont une clientèle religieuse locale. En juin 2011, la chambre basse du Parlement des Pays-Bas avait voté en faveur d’une interdiction de l’abattage sans étourdissement préalable. La communauté juive a fermement condamné cette décision. En juin 2012, le Sénat des Pays-Bas a rejeté le projet de loi et a proposé, comme compromis, que durant l’abattage soit présent un vétérinaire et que la mort de l’animal ait lieu avant 40 secondes.
52. En France, la dérogation est soumise à certaines conditions: les abattages rituels doivent avoir lieu dans des abattoirs agréés; les opérateurs doivent être titulaires d’un certificat de compétence Protection animale (CCPA) et doivent être habilités par des organismes religieux agréés (le Grand Rabbinat de France en ce qui concerne l’abattage Cacher); les animaux doivent être immobilisés avant leur saignée par des matériels de contention conformes.
53. Au niveau européen, l’abattage rituel est autorisé par la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des animaux d’abattage (STE no 102) de 1979 et par le Règlement de l’Union européenne 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (qui s’applique depuis le 1er janvier 2013, remplaçant la Directive 93/119). Ce règlement permet que les méthodes d’abattage sans étourdissement (pour motifs religieux) existantes puissent continuer; néanmoins, les autorités nationales peuvent imposer des règles plus strictes, y compris en refusant d’exempter l’abattage religieux des normes sur l’étourdissement préalable.
54. Dans ce contexte et vu la diversité des solutions, il n’est pas aisé de prendre une position tranchée dans un sens ou dans l’autre. A titre personnel, il me semble que des législations comme celles en France ou en Allemagne réconcilient de manière équilibrée le souci légitime d’éviter aux animaux des souffrances injustifiées et le respect du droit à la liberté de religion, qui implique aussi le droit de manifester sa religion par l’accomplissement des rites 
			(30) 
			Cha’are
Shalom Ve Tsedek c. France, op.
cit., paragraphe 74..
55. Mis à part le fait que le droit à la liberté de religion est un droit fondamental, ces solutions me semblent aussi, en fin de compte, répondre mieux au souci des protéger les animaux. En effet, certains Etats justifient leur choix – qui sans doute répond au ressenti de leurs populations – en expliquant que, de toute façon, il est toujours possible pour les membres des religions concernées d’importer la viande dont ils ont besoin; or, cet argument me semble étrange: pour ceux qui tiennent à protéger les animaux, il devrait être préférable d’assurer le respect de garanties strictes (établies dans leur ordre juridique) plutôt que de déplacer le problème dans d’autres pays, où peut-être l’abattage rituel s’effectue sans contraintes particulières quant à la protection des animaux lors de leur mise à mort.

4. La place des religions dans une société démocratique

56. Il serait trop long – et peu utile au vu des finalités de ce rapport – de poursuivre une analyse détaillée du traitement dans les différents Etats d’autres pratiques religieuses qui soulèvent des tensions. Par exemple, la question des tenues vestimentaires – surtout le voile, mais pas seulement – pourrait vraisemblablement faire l’objet à elle seule d’un rapport spécifique. Il suffit de songer aux nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (dont quelques-uns déjà cités avant) ou, pour ne prendre que le cas de la France, au fleuve d’encre qui a coulé sur l’affaire «Baby Loup» 
			(31) 
			L’affaire
concerne le licenciement de Mme Fatima
Afif, directrice adjointe de la crèche Baby Loup de Chanteloup-les-Vignes,
pour avoir refusé d’enlever son voile pendant son travail à la crèche.
L’assemblée plénière de la Cour de cassation, par un arrêt du 25
juin 2014, a conclu que le licenciement était justifié. La Cour
a rappelé que, selon le code du travail français, une entreprise
privée ou une association peut restreindre la liberté du salarié
de manifester ses convictions religieuses, si cela est justifié
par «la nature de la tâche à accomplir» et si la mesure est «proportionnée
au but recherché». ou aux débats sur des questions comme la suivante: peut-on accepter qu’une mère musulmane accompagne des enfants en sortie scolaire avec son voile?
57. Comme nous l’a expliqué M. Kbibech, les débats sur le «voile intégral», l’«identité nationale» ou l’«islamisation de la France», qui stigmatisent la communauté musulmane, peuvent engendrer un profond malaise chez les jeunes musulmans: leur identité est remise en question par les doutes persistants sur la compatibilité de leur «culture» et de leurs «convictions religieuses» avec la vie en France. Par contrecoup, même ceux qui n’affirmaient pas leurs différences culturelles ou cultuelles se sentent obligés d’affirmer l’identité qu’on leur impose. C’est un danger que nous devons prendre en compte dans notre recherche de solutions pour faire barrage à la radicalisation.
58. Les tensions peuvent être d’intensité différente – et peuvent être réduites – en fonction aussi de l’approche retenue par les autorités nationales concernant le principe de laïcité et sa mise en œuvre. Par ailleurs, la solution éventuelle à plusieurs conflits passe par la volonté – ou non – de rechercher des «aménagements raisonnables». Je traite ces questions dans les sections suivantes.

4.1. Vers une laïcité de reconnaissance

59. Notre attachement au principe de laïcité ne saurait être remis en cause. C’est un pilier de nos sociétés démocratiques plurielles et nous devons nous assurer qu’il soit respecté. Néanmoins, force est de constater que la façon dont la laïcité est comprise et appliquée n’est pas univoque. Or, ces diverses conceptions de la laïcité ont un impact sur les façons de concevoir la place et le rôle des religions dans nos démocraties. A cet égard, je reprends dans cette section quasiment in extenso l’analyse faite de cette question par le professeur Willaime lors de son échange de vues avec notre commission, à laquelle je souscris entièrement.
60. Le langue anglaise fait une distinction nette entre secularity et secularism, et entre Secular State et Secularist State 
			(32) 
			“Secularism v. Secularity
in Europe”, <a href='http://www.strasbourgconsortium.org/'>www.strasbourgconsortium.org</a> (2011).. Alors que la sécularité de l’Etat et des pouvoirs publics est une composante essentielle des sociétés libérales, le sécularisme est une position idéologique cherchant à promouvoir un ordre séculariste au nom de valeurs individualistes qui lui sont propres. La laïcité, ce n’est pas l’Etat séculariste, c’est l’Etat séculier (Secular State) soit, dans les sociétés démocratiques, un Etat neutre et impartial par rapport aux religions et convictions de ses ressortissants, autrement dit un Etat qui, en tant qu’Etat, ne professe ni une religion particulière, ni une quelconque philosophie athée de la vie.
61. Cet Etat séculier, qui implique aussi le caractère séculier des institutions et services publics (et de leurs agents), ne signifie pas que la société soit laïque. Les personnes qui composent cette dernière peuvent y avoir des options religieuses ou philosophiques très diverses et les Etats peuvent prendre en compte de diverses manières cette composante des sociétés civiles en intégrant leurs contributions à la vie publique.
62. Cette laïcité, avec l’Etat qui adopte une position en principe neutre en matière de conceptions de la vie, repose sur les trois éléments suivants:
  • la liberté de conscience, de pensée et de religion qui inclut la liberté d’avoir une religion ou de ne pas en avoir, la liberté de changer de religion et de pratiquer ou non la religion de son choix (dans les seules limites du respect des lois, de la démocratie et des droits de l’homme);
  • l’égalité de droits et de devoirs de tous les citoyens quelles que soient leurs identifications religieuses ou philosophiques, c’est-à-dire la non-discrimination par l’Etat et les pouvoirs publics des personnes en fonction de leurs appartenances religieuses ou philosophiques;
  • l’autonomie respective de l’Etat et des religions, ce qui signifie aussi bien la liberté de l’Etat par rapport aux religions que la liberté des religions par rapport à l’Etat (dans le respect des lois et des droits de l’homme en démocratie).
63. La laïcité qui est fondée sur ces trois principes est le bien commun de tous, des croyants comme des incroyants. La neutralité laïque de l’Etat signifie aussi le traitement équitable des différents cultes. Néanmoins, la neutralité de l’Etat et des pouvoirs publics n’est pas relativiste: elle est enracinée dans le socle des valeurs communes que constituent les droits de l’homme et l’Etat de droit, la sécurité publique et la morale publique.
64. Charles Taylor adopte une position très semblable. En évoquant le «secularism» – terme qu’il assimile à «laïcité» –, Taylor déclare que «la neutralité de l’Etat consiste à éviter de favoriser ou de défavoriser non seulement les croyances religieuses, mais aussi toutes les idées essentielles, qu’elles soient de nature religieuse ou non. Selon lui, la «laïcité» est liée à «la réponse correcte apportée par l’Etat démocratique à la diversité» et suppose trois conditions ou objectifs 
			(33) 
			Charles Taylor, «The
meaning of secularism», The Hedgehog
Review, automne 2010, p. 23-33 (publié en ligne à l’adresse <a href='http://iasc-culture.org/THR/archives/Fall2010/Taylor_lo.pdf'>http://iasc-culture.org/THR/archives/Fall2010/Taylor_lo.pdf</a>). Voir aussi Jonathan VanAntwerpen et Eduardo Mendieta
(dir.), «Why we need a radical redefinition of secularism», dans The power of religion in the public sphere,
New York, Columbia University Press, 2011.:
  • «personne ne doit être contraint en matière de religion ou de croyance fondamentale»;
  • «il doit y avoir une égalité entre les personnes de foi ou de croyances fondamentales différentes»;
  • «toutes les familles spirituelles doivent être entendues et intégrées au processus continu qui vise à définir ce qu’est la société (son identité politique) et quelles sont les modalités de réalisation de ses buts».
Taylor ajoute un quatrième objectif: «s’efforcer, autant que faire se peut, de maintenir des relations d’harmonie et de respect entre les adeptes des différentes religions et des différentes Weltanschauungen» («visions du monde»). Je suis convaincu que cette démarche devrait ouvrir la voie à des politiques constructives en vue d’instaurer le «vivre ensemble».
65. Les événements tragiques de 2015 à Paris et à Copenhague, et les terrorismes qui se réclament de l’islam, nous apprennent que les religions peuvent être instrumentalisées. De là l’importance d’une laïcité comme protection contre les menées cléricales et absolutistes que peuvent avoir les religions lorsqu’elles veulent imposer par la contrainte leur normativité à leurs membres, voire étendre leur normativité à toute la société. Les religions peuvent mener aux communautarismes si elles tendent à «enfermer» leurs membres dans leur réseau en les coupant le plus possible de la société environnante, voire à leur faire percevoir la société globale – ou telle société, l’occidentale par exemple – comme une réalité diabolique qu’il faut fuir et combattre.
66. Néanmoins, dans les pays démocratiques, plutôt qu’adopter une conception purement défensive de la laïcité visant à protéger la société des religions, il faudrait accueillir une conception proactive et inclusive de la laïcité qui peut prendre positivement en compte les apports des composantes religieuses de la société. En fait, en Europe, prévalent diverses formes de laïcité de reconnaissance des religions, c’est-à-dire des formes de laïcité qui associent l’indépendance réciproque de l’Etat et des religions et une prise en compte explicite de la place et du rôle des religions dans la société.
67. «Laïcité de reconnaissance» c’est surtout dans le sens d’une reconnaissance sociale des communautés religieuses. Il y a reconnaissance sociale des religions quand elles sont considérées comme des réalités sociales et culturelles spécifiques. Les Etats reconnaissent socialement les religions à travers cinq dimensions:
  • une dimension proprement juridique en leur offrant des cadres juridiques spécifiques pour déployer leurs activités religieuses (en France même avec les associations cultuelles et les congrégations);
  • une dimension proprement sociale en prenant en compte leurs apports dans les domaines de la solidarité sociale et de l’éducation;
  • une dimension éthique en les consultant sur des enjeux engageant des conceptions de la personne humaine;
  • une dimension plus politique lorsque les Etats prévoient des relations de partenariat et de coopération avec les groupements religieux pour œuvrer à des objectifs communs;
  • une dimension plus symbolique lorsque les Etats mobilisent les religions ou, plus souvent la religion majoritaire, pour célébrer la communion nationale à certaines occasions (décès, catastrophes, …).
68. Une laïcité de reconnaissance ne peut que favoriser à la fois des partenariats constructifs entre les autorités publiques et les communautés religieuses, ainsi que la recherche, dans le cadre de tels partenariats, de solutions raisonnées et raisonnables aux tensions que des exigences contraposées peuvent soulever; solutions qui nous aideraient donc à vivre ensemble en harmonie.

4.2. Le concept d’aménagement raisonnable: la possibilité de l’appliquer au domaine de la liberté de religion

69. Lorsque l’on examine les obligations des Etats membres en rapport avec la garantie effective du droit à la liberté de religion, un concept intéressant est celui d’«aménagement raisonnable» 
			(34) 
			L’analyse ci-après
s’appuie, dans une large mesure, sur celle qui figure dans le mémorandum
introductif de M. Valeriu Ghiletchi (République de Moldova, PPE/DC)
sur le thème «Combattre l’intolérance et la discrimination en Europe,
notamment lorsqu’elles visent des chrétiens» (document AS/Ega (2014)
17, paragraphes 38-42). . Ce concept est apparu pour la première fois aux Etats-Unis et au Canada dans la législation sur l’égalité comme moyen de gérer la diversité religieuse. Il a été appliqué ensuite à d’autres motifs de discrimination, principalement au handicap 
			(35) 
			Voir
E. Bribosia, I. Rorive, L. Waddington, L’aménagement raisonnable
au-delà du handicap en Europe?, Commission européenne, 2013..
70. Ce concept signifie que des mesures doivent être prises pour garantir l’égalité effective et la pleine jouissance des droits. Il ne s’applique pas à des groupes ou à des catégories d’individus mais, au cas par cas, à des individus expressément et personnellement lésés par des règlements ou mesures qui les empêchent de jouir pleinement de leurs droits. Par conséquent, l’objectif n’est pas d’exclure l’application générale de la loi mais de lever les obstacles que rencontrent les personnes en situation de discrimination.
71. L’obligation d’aménagement raisonnable est généralement admise par les Etats membres du Conseil de l’Europe lorsqu’elle s’applique au handicap, en tant que corollaire de l’interdiction d’exercer une discrimination indirecte, mais seul un nombre très restreint d’entre eux reconnaissent cette obligation dans d’autres domaines. Toutefois, il faut noter que, dans la pratique, ce principe est appliqué dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe concernant les horaires de travail flexibles et les congés pour fêtes religieuses dans le secteur de l’emploi ou s’agissant de régimes alimentaires.
72. Dans l’affaire Glor c. Suisse 
			(36) 
			Requête no 13444/04,
arrêt du 30 avril 2009., sans expressément mentionner cette obligation en tant que telle, la Cour a affirmé que l’article 14 de la Convention «n’empêche pas une différence de traitement si elle repose sur une appréciation objective des circonstances de fait essentiellement différentes et si, s’inspirant de l’intérêt public, elle ménage un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis par la Convention». La Cour a ensuite observé que «des formes particulières de service civil, adaptées aux besoins des personnes se trouvant dans la situation du requérant, sont parfaitement envisageables» et a conclu à la violation de l’article 14 du fait de l’incapacité des autorités suisses de ménager «un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis au requérant».
73. S’agissant des restrictions alimentaires, la Cour a récemment conclu à une violation de l’article 9 suite au refus des autorités pénitentiaires d’accorder au requérant un régime végétarien conforme à ses convictions bouddhistes, faisant état notamment d’une «obligation positive de l’Etat d’adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits du requérant au titre du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention» 
			(37) 
			Vartic c. Romania (no 2),
Requête no 14150/08, arrêt du 17 décembre
2013..
74. Dans l’affaire Eweida et autres c. Royaume-Uni 
			(38) 
			Requête
no 48420/10, arrêt du 15 janvier 2013., les requérants ont fait valoir devant la Cour que le droit à la liberté de religion comportait aussi une obligation d’aménagement raisonnable. Une fois encore, la Cour n’a pas officiellement reconnu le concept mais a affirmé des principes généraux qui, du moins implicitement, induisent l’obligation pour les employeurs de procéder à un aménagement raisonnable concernant les croyances religieuses de leurs employés.
75. En particulier, dans le cas de Mme Eweida qui, salariée de British Airways, n’a pas été autorisée par son employeur à rester à son poste tant qu’elle porterait visiblement une croix en pendentif, la Cour a estimé que les tribunaux britanniques avaient accordé trop d’importance à la volonté de l’employeur de projeter une certaine image commerciale au détriment du désir de l’intéressée de manifester sa conviction religieuse et que, par conséquent, le critère de proportionnalité n’avait pas été satisfait en l’espèce.
76. En revanche, dans le cas de la deuxième requérante, Mme Chaplin, infirmière dans le service gériatrique d’un l’hôpital public, qui avait aussi été priée d’ôter sa croix pendant son service, la Cour a considéré que la raison pour laquelle cette demande lui avait été adressée, à savoir la protection de la santé et de la sécurité dans un service hospitalier, était par nature plus importante que la promotion d’une image commerciale et a conclu à la non-violation de l’article 9 de la Convention.
77. Dans les cas de Mme Ladele et de M. McFarlane, qui ont été licenciés pour avoir refusé de remplir certaines fonctions qui, à leurs yeux, cautionnaient l’homosexualité 
			(39) 
			Mme Ladele,
officier d’Etat civil (Registrar) pour les naissances, décès et
mariages de l’arrondissement londonien d’Islington, a été licenciée
après avoir refusé de participer à l’enregistrement d’unions civiles
entre personnes de même sexe. M. MacFarlane, conseiller dans une
société privée prestataire de thérapies sexuelles et de services
de conseils relationnels, a été licencié suite à son refus de travailler
avec des couples de même sexe. , la Cour a rejeté la prétention des plaignants à un aménagement raisonnable, estimant que le droit à la liberté de religion ne pouvait justifier l’atteinte portée à d’autres droits fondamentaux comme celui de ne pas faire l’objet d’une discrimination.
78. De cette jurisprudence, il semblerait que le concept d’aménagement raisonnable puisse être utilisé comme une sorte de corollaire du principe de non-discrimination; il permettrait au juge d’analyser une situation concrète pour vérifier si, pour une mise en œuvre efficace de ce principe, il faut adopter des solutions spécifiques pour les sujets concernés, en tenant compte des divers intérêts en jeu. Si l’on veut, une sorte de justice du cas concret, mais avec le potentiel de s’étendre à des cas similaires. Une telle évolution – à savoir une utilisation avisée du principe d’aménagement raisonnable par les juridictions, afin de corriger une discrimination indirecte qui pourrait résulter d’une réglementation imposant une charge disproportionnée aux membres des communautés religieuses – serait pour moi à saluer.
79. Heiner Bielefeldt 
			(40) 
			Heiner
Bielefeldt, «Freedom of religion or belief: anacronistic in Europe»;
dans «The RELIGARE Report Belief, Law and
Politics: what future for a secular Europe?», Ashgate
(2014), p. 55-65. Cette publication (éditée par Marie-Claire Foblets,
Katayoun Alidadi, Jørgen S. Nielsen et Zeynep Yanasmayan) présente
les principales conclusions du projet de trois ans RELIGARE sur
la diversité religieuse et les modèles séculaires en Europe., Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction, parle d’«égalité ouverte à la diversité» et avance que le principe d’aménagement raisonnable a pour but «de surmonter les effets indirectement discriminatoires des normes sociétales ou juridiques émanant des traditions religieuses dominantes d’un pays et de créer des conditions plus adaptées aux membres des minorités, qui devraient être en mesure de vivre en accord avec leurs convictions». Dans ce cadre, le critère de «caractère raisonnable» suppose que les griefs soient sérieux et il vise à éviter leur «inflation», et les «aménagements» contribuent à atteindre l’«égalité» dans différents contextes sociétaux.
80. Sur cette base, je souhaiterais proposer, en plus de l’approche juridique, une approche plus politique: au lieu de laisser au juge le monopole de la recherche de solutions équitables, j’estime qu’il incombe aux décideurs politiques de prendre des initiatives constructives dans ce domaine et de donner des orientations sur la manière de faciliter le vivre ensemble par des efforts réciproques d’accommodation. Cette proposition ne concerne pas que les croyants: le principe d’aménagement raisonnable, par exemple sur le lieu de travail, peut être utile aux employés non croyants et doit leur être applicable.
81. Je souhaite insister aussi sur la réciprocité: il n’y a pas d’une part les communautés religieuses qui demandent et de l’autre l’Etat qui répond. Les témoignages que nous avons entendus vont aussi dans le sens d’une disponibilité des communautés religieuses à s’inscrire dans le cadre légal du pays d’accueil; et aussi dans le sens d’une volonté de rencontre avec d’autres communautés: les extrémistes et les fanatiques sont l’exception et pas la règle.

5. Conclusions

82. Le vivre ensemble en harmonie se construit autour de principes et valeurs communs. Pour le Conseil de l’Europe, ces principes et valeurs peuvent se résumer:
  • dans le respect profond de la dignité humaine qui se décline dans le respect des droits fondamentaux, tels que reconnus et protégés par nos constitutions démocratiques et par la Convention européenne des droits de l’homme;
  • dans le respect des principes démocratiques et de l’Etat de droit qui se déclinent, entre autres, dans la reconnaissance de la diversité et le respect du principe de non-discrimination entre les divers groupes qui composent nos sociétés plurielles.
83. Ces principes et valeurs, fruit de notre Histoire, ne sont pas négociables et il est de notre responsabilité à tous – quelle que soit notre vision du monde, religieuse ou non religieuse – non seulement de les respecter, mais aussi de les préserver et de les promouvoir. Il n’est pas question d’accepter à cet égard le «relativisme». L’attachement inconditionnel et persistant à la garantie effective des droits fondamentaux de chacun, le respect constant des principes démocratiques et l’adhésion ferme à l’idée de prééminence du droit sont les points de référence qui s’appliquent à tous les membres de la communauté nationale. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu’il y a une seule manière de mettre en œuvre nos principes et valeurs communs dans des contextes différents. Cette «contextualisation» n’est pas là pour les affaiblir, mais pour les rendre dynamiques et vivants.
84. En son for intérieur, chacun est souverain de la vision du monde qu’il adopte et est libre de choisir sa foi; dans la vie relationnelle, cette liberté coexiste avec les libertés des autres. Le droit à la liberté de religion des uns ne peut pas s’imposer aux autres. Néanmoins, cela ne saurait impliquer une conception de l’espace public d’où le religieux devrait disparaître: cela ne serait au fond qu’imposer à tous une nouvelle religion d’Etat. Il s’agit plutôt de «faire place» à la rencontre des diverses visions. C’est le sens, je crois, d’une laïcité de reconnaissance. Notre rôle doit être de bâtir des sociétés où tous les concitoyens, quelle que soit leur identité religieuse ou culturelle, vivent ensemble dans le respect et la compréhension mutuels.
85. Dans tous nos pays, même si à des degrés différents, la rencontre avec «l’autre», avec ceux qui sont divers, génère malaise social; et la mixité, notamment celle issue de l’immigration, est perçue par certains comme symptôme de la dégradation des conditions de vie et est associée à tous les maux: prolifération de la criminalité et l’insécurité urbaines (trafics illicites, prostitution, violences, vols, vandalisme); chômage et déficits des systèmes de protection sociale, etc.
86. Plus en général, certains considèrent la diversité culturelle et religieuse comme un risque de perte de ce qu’on nomme l’identité nationale, qui semble le plus souvent comprise comme étant figée et sacralisée. Ainsi, le confinement et l’exclusion des membres des communautés marquées par cette diversité culturelle et religieuse, voire leur effacement de l’espace social, deviennent de fait ce que nombre de nos concitoyens souhaitent.
87. Le Grand Rabbin Guigui nous a dit que «la beauté et la richesse de notre société résident dans sa diversité» et que non seulement nous ne devons pas craindre les différences, mais nous avons un «droit à la différence». Pour moi, il ne s’agit pas seulement du droit d’être différent et d’être accepté, mais aussi du droit de tirer profit et de nous enrichir de la différence des autres.
88. La pluralité de repères culturels et religieux crée des tensions. Cela n’est pas une raison pour souhaiter des sociétés sans diversité ou la ghettoïsation du divers. Ces tensions peuvent être résolues par le dialogue et la volonté réelle de construire ensemble. Nous devons donc favoriser la rencontre et les partenariats.
89. Comme Sa Sainteté le Pape François nous l’a dit: «Il s’agit d’effectuer ensemble une réflexion dans tous les domaines, afin que s’instaure une sorte de “nouvelle agora”, dans laquelle chaque instance civile et religieuse puisse librement se confronter avec les autres, même dans la séparation des domaines et dans la diversité des positions, animée exclusivement par le désir de vérité et par celui d’édifier le bien commun.»
90. Pour unir nos forces et construire ensemble une justice sociale au moyen de politiques inclusives et réceptives, nous devons apprendre à nous connaître véritablement les uns les autres. Pour cela, nous devons d’abord faire preuve de compréhension et de respect mutuels. De nombreux facteurs influent sur la formation de la personnalité. Les familles et les communautés culturelles et religieuses ont la responsabilité et le devoir de développer chez les individus l’ouverture d’esprit, la pensée critique et le dialogue constructif avec autrui; sans cette volonté de leur part, il est presque impossible d’instaurer une société démocratique, pluraliste et solidaire.
91. De plus, les médias en général et l’internet en particulier ont une influence considérable sur la société de l’information mondialisée telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dans l’espace virtuel, les jeunes se rencontrent et nouent des relations d’homologue à homologue qui sont essentielles à la structuration de leur personnalité et de leur identité; mais ces rencontres peuvent être aussi le vecteur de messages qui déconstruisent la solidarité et instillent la peur, voire la haine de l’autre. Il est donc primordial de lutter contre l’intolérance sur le web et d’utiliser l’internet pour promouvoir la reconnaissance et le respect mutuels. Cette question sort du cadre du présent rapport, mais j’aimerais néanmoins saluer ici le projet «Mouvement contre le discours de haine – Des jeunes en campagne pour défendre les droits de l’homme en ligne» lancé par le Conseil de l’Europe.
92. Le rôle de l’éducation et la présence du phénomène religieux dans les écoles sont des questions sensibles. Au prix de susciter débat, j’estime que nous ne faisons pas assez de place à l’enseignement du fait religieux, ni à la rencontre entre les religions en milieu scolaire.
93. Quid si à la place de vouloir ôter tous les symboles religieux dans les écoles on pouvait essayer de se les expliquer réciproquement? Quid si à la place d’interpréter la présence de ces symboles comme une atteinte à notre identité personnelle, nous apprenions à l’interpréter comme l’offre que l’autre nous fait de ce qu’il est? Ce n’est pas le symbole en lui-même qui est le danger, mais l’attitude que nous avons en le portant ou en le rejetant. Et c’est sur les attitudes qu’il faut travailler, y compris en favorisant les rencontres et le dialogue. Une laïcité de reconnaissance implique peut-être plus d’efforts de la part des Etats à cet égard.
94. En tant que décideurs politiques, nous avons le devoir d’assurer que:
  • les principes de la démocratie soient respectés non seulement dans un sens formel mais dans leur signification profonde, donc donnant à chacun son mot à dire dans le processus qui doit porter à nos choix sociétaux;
  • l’on évite que, dans ce contexte, d’utiliser les principes démocratiques pour justifier la tendance au «majoritarisme», qui a tendance à ignorer, trop souvent, les besoins et les attentes d’une «minorité», ou pire encore lui donne le sentiment qu’elle n’est pas à sa place, qu’elle n’a pas le même droit de cité que la «majorité».
95. Enfin, j’estime que le Conseil de l’Europe devrait jouer un rôle plus actif dans la promotion du vivre ensemble. Nous avions déjà formulé des propositions concrètes au Comité des Ministres, entre autres dans notre Recommandation 1962 (2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel» et notre Recommandation 1975 (2011) «Vivre ensemble dans l’Europe du XXIe siècle: suites à donner au rapport du Groupe d’éminentes personnalités du Conseil de l’Europe». Certaines de ces propositions sont reprises dans le projet de résolution et le projet de recommandation contenus dans le présent rapport.