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Rapport | Doc. 13863 | 07 septembre 2015

L'abus de la détention provisoire dans les Etats Parties à la Convention européenne des droits de l'homme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Pedro AGRAMUNT, Espagne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12844, Renvoi 3839 du 9 mars 2012. 2015 - Quatrième partie de session

Résumé

La détention provisoire a des effets négatifs multiples, aussi bien pour les détenus que pour la société tout entière. La Convention européenne des droits de l’homme pose des limites au recours à la détention provisoire et des règles au traitement des détenus.

Le nombre élevé de personnes en détention provisoire en Europe indique que les motifs admissibles de détention provisoire, notamment le fait d’empêcher un suspect de prendre la fuite ou d’influencer les témoins et de porter atteinte aux autres éléments de preuve, sont, dans un certain nombre de cas, interprétés de manière trop large ou invoqués pour la forme, afin de justifier une détention provisoire qui poursuit d’autres buts abusifs. Ces motifs abusifs de détention provisoire visent à exercer des pressions sur les détenus pour les contraindre à avouer une infraction ou à témoigner contre un tiers; discréditer ou neutraliser par d’autres moyens les concurrents politiques ou poursuivre d’autres objectifs politiques; exercer des pressions sur les détenus pour les contraindre à vendre leur entreprise ou leur extorquer des pots-de-vin, ainsi que pour intimider la société civile et réduire au silence les voix divergentes.

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme, relevant un certain nombre de causes profondes du recours abusif à la détention provisoire, appelle les Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme à mettre en œuvre des mesures spécifiques, qui visent à diminuer le recours à la détention provisoire et à venir à bout de son application abusive.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 25 juin 2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire souligne l’importance de la présomption d’innocence dans la procédure pénale. La détention provisoire (détention préventive) devrait être uniquement utilisée de manière exceptionnelle, en dernier ressort, lorsque les autres mesures de contrainte ne suffisent pas à garantir l’intégrité de la procédure.
2. L’Assemblée constate les effets négatifs multiples de la détention provisoire, aussi bien pour le détenu que pour la société tout entière, dont la plupart se produisent également lorsque le détenu est par la suite acquitté:
2.1. les effets négatifs de la détention provisoire pour les prévenus:
2.1.1. le risque de perte d’emploi ou de faillite et, pour leur famille, les difficultés économiques subies en plus des conséquences humaines d’une séparation prolongée;
2.1.2. le fait d’être, dans bien des cas, exposés à la violence des autres détenus et des agents, à l’influence néfaste de criminels endurcis, aux maladies contagieuses et à des conditions de détention difficiles, qui sont souvent pires pour les détenus que pour les condamnés qui purgent leur peine d’emprisonnement;
2.1.3. le risque d’atteinte au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), en raison des conséquences psychosociales de la détention provisoire, qui s’accompagne souvent d’un profond isolement et nuit à la capacité des détenus de se défendre efficacement;
2.2. les effets négatifs de la détention provisoire pour la société tout entière:
2.2.1. le coût budgétaire élevé de la détention par rapport aux autres mesures de contrainte, comme la caution, l’assignation à résidence, l’imposition d’heures de couvre-feu ou de mesures d’éloignement, avec ou sans surveillance électronique. Les ressources consacrées à la détention provisoire pourraient être mieux employées à la prévention de la délinquance, à l’augmentation du taux d’élucidation des crimes et à la resocialisation des délinquants;
2.2.2. la perte de la contribution économique des détenus, la dé-socialisation de la famille des détenus et les effets préjudiciables de la détention sur la diffusion des maladies infectieuses;
2.2.3. le fait que la détention provisoire sans contrôle efficace génère des occasions de corruption et plus généralement nuit à la confiance de l’opinion publique dans le bon fonctionnement du système judiciaire pénal.
3. La Convention européenne des droits de l’homme, selon l’interprétation retenue par la Cour européenne des droits de l’homme, a posé des limites claires au recours à la détention provisoire et défini des règles relatives au traitement des détenus.
4. L’Assemblée observe que la législation de la plupart des Etats membres est généralement conforme aux normes de la Convention, mais que son application par les autorités de poursuite et les tribunaux ne l’est bien souvent pas.
5. Comme la diversité des pratiques en la matière, même dans les Etats membres de l’Union européenne, menace l’efficacité de la coopération judiciaire internationale, l’Union européenne a commandé une étude comparée approfondie pour recenser les problèmes et les solutions possibles.
6. Le nombre élevé de détenus (en nombre absolu et en proportion de la population carcérale totale), qui sont près de 425 000 (25 % de l’ensemble des personnes détenues) en Europe (2013), indique que les motifs admissibles de détention provisoire, notamment le fait d’empêcher un suspect de prendre la fuite ou d’influencer les témoins et de porter atteinte aux autres éléments de preuve, sont généralement interprétés de manière trop large ou invoqués pour la forme, afin de justifier une détention provisoire qui poursuit d’autres buts abusifs.
7. Les motifs abusifs de détention provisoire suivants ont été constatés dans un certain nombre d’Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’ils visent:
7.1. à exercer des pressions sur les détenus pour les contraindre à avouer une infraction ou à coopérer d’une autre manière avec le ministère public, y compris en témoignant contre un tiers (par exemple le cas de Sergueï Magnitski, en Fédération de Russie);
7.2. à discréditer ou neutraliser par d’autres moyens les concurrents politiques (par exemple les cas de certains dirigeants du Mouvement national uni (MNU) en Géorgie);
7.3. à poursuivre d’autres objectifs politiques, y compris en matière de politique étrangère (par exemple le cas de Mme Nadiia Savchenko, pilote ukrainienne et membre de la délégation ukrainienne auprès de l’Assemblée parlementaire, en Fédération de Russie);
7.4. à exercer des pressions sur les détenus pour les contraindre à vendre leur entreprise (par exemple l’affaire Gusinsky en Fédération de Russie) ou pour leur extorquer des pots-de-vin;
7.5. à intimider la société civile et réduire au silence les voix divergentes (par exemple le cas d’un garçon de 16 ans placé en détention provisoire en Turquie prétendument pour outrage au Président commis sur les réseaux sociaux ou les cas d’avocats et défenseurs des droits de l’homme de premier plan en Azerbaïdjan, ainsi que la détention provisoire prolongée des manifestants pacifiques de la place Bolotnaïa et d’autres cas encore en Fédération de Russie).
8. La surreprésentation des ressortissants étrangers parmi les détenus fait craindre que les motifs légaux de détention soient appliqués de manière discriminatoire.
9. Certains pays, comme la Pologne, ont fait des progrès considérables dans la diminution du recours à la détention provisoire, en mettant en œuvre de profondes réformes pour exécuter les arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme.
10. D’autres pays, comme la Fédération de Russie, la Turquie et la Géorgie, ont adopté des réformes législatives accompagnées de mesures concrètes, qui ont entraîné une nette diminution du nombre de détenus et une amélioration considérable du traitement de la majorité des détenus, bien que des cas de recours abusif à la détention provisoire, comme ceux mentionnés ci-dessus, continuent de se produire.
11. Les causes profondes du recours abusif à la détention provisoire sont notamment les suivantes:
11.1. une culture politique et judiciaire qui valorise ceux qui font preuve de fermeté avec les délinquants aux dépens de la présomption d’innocence;
11.2. un déséquilibre structurel entre les pouvoirs et les moyens dont disposent le ministère public et la défense (accès aux informations pertinentes, temps, financement);
11.3. le fait que les décisions relatives à la détention provisoire soient fréquemment prises par des juges débutants, généralement surchargés de travail et réticents à affirmer leur autorité face au ministère public. Cette situation aboutit, dans un certain nombre de cas, à ce que les juges entérinent en principe les demandes du ministère public sans tenir compte des circonstances de l’affaire en question;
11.4. la possibilité de rechercher la juridiction la plus favorable donnée au ministère public, qui peut être tenté d’élaborer diverses stratégies pour s’assurer que les demandes de détention provisoire dans certaines affaires soient traitées par un juge qui, pour diverses raisons, devrait se montrer «accommodant» (par exemple en Géorgie, en Fédération de Russie et en Turquie);
11.5. la possibilité pour le ministère public de contourner la durée légale maximale de la détention provisoire en modifiant ou en échelonnant les mises en accusation (par exemple en Géorgie).
12. L’Assemblée appelle par conséquent:
12.1. tous les Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme à mettre en œuvre des mesures qui visent à diminuer le recours à la détention provisoire, notamment
12.1.1. en sensibilisant les juges et les procureurs aux limites légales imposées à la détention provisoire par le droit interne et la Convention européenne des droits de l’homme et aux conséquences négatives de la détention provisoire sur les détenus, leur famille et la société tout entière;
12.1.2. en veillant à ce que les décisions relatives à la détention provisoire soient prises par des juges plus anciens ou par des juridictions collégiales et à ce que les juges ne subissent pas de conséquences préjudiciables pour avoir refusé une détention provisoire conformément à la législation;
12.1.3. en garantissant une meilleure égalité des armes entre le ministère public et la défense, notamment en autorisant les avocats de la défense à jouir d’un accès illimité aux détenus, en leur permettant de consulter le dossier de l’enquête avant la décision qui ordonne ou prolonge la détention provisoire et en consacrant des fonds suffisants à l’aide juridictionnelle, y compris pour les procédures relatives à la détention provisoire;
12.1.4. en prenant les mesures qui s’imposent pour corriger toute application discriminatoire des dispositions qui régissent la détention provisoire aux ressortissants étrangers, notamment en précisant que le fait d’être ressortissant étranger ne présente pas en soi un risque accru de fuite;
12.2. la Fédération de Russie, la Turquie et la Géorgie, notamment:
12.2.1. à prendre les mesures qui s’imposent pour empêcher les procureurs de rechercher la juridiction la plus favorable;
12.2.2. à s’abstenir de recourir à la détention provisoire pour des buts autres que la bonne administration de la justice et à libérer tous les prévenus actuellement détenus à des fins abusives.
13. L’Assemblée félicite l’Union européenne des initiatives prises ces dernières années en vue de diminuer le recours à la détention provisoire dans les Etats membres de l’Union européenne et invite les organes compétents de l’Union européenne à continuer à fonder leur action sur les normes de la Convention européenne des droits de l’homme, selon l’interprétation retenue par la Cour européenne des droits de l’homme.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté par la commission le 25 juin 2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2015) sur l’abus de la détention provisoire dans les Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme et à la Recommandation Rec(2006)13 du Comité des Ministres concernant la détention provisoire, les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place de garanties contre les abus.
2. Attirant l’attention du Comité des Ministres sur les défaillances continues, notamment la surreprésentation des ressortissants étrangers dans la détention provisoire, qui ont été attestées par une étude récemment menée pour le compte de l’Union européenne, et sur les exemples de recours abusif à la détention provisoire dans un certain nombre d’Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) évoqués dans la Résolution … (2015), l’Assemblée appelle le Comité des Ministres:
2.1. à réfléchir aux voies et moyens qui permettent de diminuer le recours à la détention provisoire en général et son usage abusif à des fins particulières, comme la poursuite d’objectifs politiques ou liés à la corruption, notamment à la lumière des faits nouveaux;
2.2. à encourager les organes pertinents du Conseil de l’Europe à intensifier leur coopération avec leurs homologues de l’Union européenne, afin de garantir que toute mesure visant à remédier au problème de la détention provisoire soit prise de manière coordonnée, sur la base des normes fixées par la Convention européenne des droits de l’homme, selon l’interprétation retenue par la Cour européenne des droits de l’homme.

C. Exposé des motifs, par M. Agramunt, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La proposition de résolution présentée par M. Dick Marty et plusieurs de ses collègues 
			(3) 
			Doc. 12844. a été renvoyée à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour rapport le 9 mars 2012. La commission m’a désigné rapporteur le 24 avril 2012. Le 1er octobre 2012, la commission a examiné une note introductive 
			(4) 
			Document
AS/Jur (2012) 34 du 28 septembre 2012., a procédé à un échange de vues et m’a autorisé à effectuer des visites d’étude en Fédération de Russie, en Turquie et en Ukraine. Le 10 décembre 2014, la commission m’a autorisé à effectuer une visite d’étude en Géorgie en 2015, au lieu de la visite initialement prévue en Ukraine. J’ai effectué les trois visites du 11 au 13 novembre 2013 (Moscou), les 11 et 12 juin 2014 (Ankara) et du 15 au 18 février 2015 (Tbilissi). En raison du retard imprévu pris par mes travaux, le renvoi a été prolongé à plusieurs reprises, la dernière fois jusqu’au 30 septembre 2015.
2. J’ai dû opérer un certain nombre de choix en raison des ressources limitées disponibles pour l’établissement de ce rapport: effectuer une visite d’étude dans un pays plutôt qu’un autre, ce qui a été fait en fonction de l’analyse statistique des violations constatées par la Cour européenne des droits de l’homme, ou analyser un nombre limité d’exemples dans le rapport, ce qui se justifiait par une nécessité pratique et non par le choix arbitraire d’un esprit critique ou l’application de deux poids, deux mesures.
3. En résumé, les auteurs de la proposition de résolution constataient avec inquiétude que, dans un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, la détention provisoire
  • était utilisée trop fréquemment;
  • était souvent excessivement longue;
  • s’accompagnait de conditions de détention bien souvent inadmissibles.
4. Il s’agit de profondes inquiétudes, compte tenu du contexte juridique dans lequel s’inscrit l’instrument de la détention provisoire, à savoir la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») à laquelle l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe ont adhéré:
  • le droit à la liberté est un droit de l’homme essentiel et son respect constitue une condition préalable indispensable de l’Etat de droit;
  • toute ingérence dans le droit à la liberté doit être strictement conforme à la liste limitative de restrictions autorisées par l’article 5 de la Convention;
  • les personnes placées en détention provisoire sont présumées innocentes et ont le droit d’être traitées comme telles;
  • le recours ou le recours abusif à la détention provisoire a d’importantes répercussions sur le caractère équitable du procès, qui est garanti par l’article 6 de la Convention.
5. A la lumière des faits recueillis au cours de mes trois visites d’information et de certaines recherches effectuées sur la jurisprudence et les statistiques, je suis parvenu à la conclusion que les inquiétudes exprimées au sujet des questions précitées sont bel et bien justifiées. Dans un certain nombre de pays, il convient d’y ajouter une autre question: la détention provisoire est utilisée pour de mauvaises raisons, notamment pour faire pression sur les détenus afin de les contraindre à coopérer avec les autorités répressives, voire pour discréditer et handicaper l’opposition politique, en emprisonnant ses personnalités publiques majeures.
6. Contrairement aux intentions qui étaient les miennes initialement, la question de la détention par les forces de police (garde à vue policière) ne sera pas traitée ici, pour la simple raison que la prise en compte de ces deux questions dans un seul rapport outrepasserait largement les limites budgétaires imposées aux rapporteurs de l’Assemblée pour un mandat.
7. Pour ce qui est de la détention provisoire, je compte tout d’abord rappeler les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. Je rendrai compte, dans un deuxième temps, de mes constatations faites au cours des trois visites d’étude effectuées en Fédération de Russie, Turquie et Géorgie. Enfin, à la lumière de ces exemples, choisis en accord avec la commission, je tirerai un certain nombre de conclusions sur la situation dans les Etats membres du Conseil de l’Europe en général.

2. Principes relatifs à la détention provisoire applicables aux Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme

8. Pour un rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») représente la toute première source d’inspiration, tant pour les problèmes posés dans un domaine donné que pour la recherche d’une solution fondée sur la Convention (ci-dessous partie 2.1). Mais, comme d’habitude, j’utiliserai également les autres travaux du Conseil de l’Europe (partie 2.2) et tirerai, dans la mesure du possible, des enseignements des débats actuels qui accompagnent les réformes entreprises dans divers Etats membres du Conseil de l’Europe (partie 2.3) et des études comparatives réalisées par des universitaires (partie 2.4).

2.1. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

9. L’instrument essentiel pour déterminer si une situation constitue un «abus» de détention provisoire/préventive dans un Etat membre du Conseil de l’Europe est la Convention européenne des droits de l’homme, selon l’interprétation retenue par la Cour européenne des droits de l’homme. Les dispositions relatives à la détention provisoire figurent, notamment, à l’article 5 de la Convention. Mais les abus de détention provisoire peuvent également être constitutifs de violations de l’article 6 (droit à un procès équitable), de l’article 3 (protection contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants), ainsi que de l’article 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits, qui interdit notamment les atteintes aux droits de l’homme motivées par des considérations politiques) 
			(5) 
			Voir le «Guide sur
l'article 5 de la Convention / Droit à la liberté et à la sécurité»
établi par la Cour elle-même, 2014, disponible sur le site web de
la Cour; voir également Jeremy McBride (2009), Human rights and criminal procedure, Editions
du Conseil de l'Europe, p. 35-108; pour une analyse approfondie
de la jurisprudence de la Cour, voir par exemple Stefan Trechsel
(2006): Human Rights in Criminal Proceedings,
Oxford et autres. Cette étude souligne les principaux axes de l'argumentation
de la Cour, ainsi que ses défauts. .
10. Les questions et affaires de référence suivantes sont particulièrement dignes d’intérêt.

2.1.1. L’objet de la détention

11. En vertu de l’article 5.1.c, l’arrestation ou la détention doit avoir pour objet de conduire la personne détenue devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction. La détention doit être une mesure proportionnée à la réalisation du but déclaré. Cela exclurait les arrestations effectuées pour des infractions mineures, pour lesquelles il est peu probable que le juge inflige une peine d’emprisonnement, même si la culpabilité du suspect est établie 
			(6) 
			Voir
également plus loin le paragraphe 23 (violation de l'article 18
en cas de détention à d'autres fins). .

2.1.2. Exigence de l’existence de raisons plausibles de soupçonner

12. Bien qu’il ne soit pas indispensable de disposer de la preuve absolue de la commission d’une infraction qui a conduit à l’arrestation pour justifier une détention, il doit exister des «raisons plausibles de soupçonner» une personne d’avoir commis une infraction, qui convaincraient un observateur objectif que l’intéressé peut en être l’auteur 
			(7) 
			Voir Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni,
Requêtes nos 12244/86, 12245/86 et 12383/86,
arrêt du 30 août 1990: les condamnations infligées autrefois aux
requérants du chef d'actes de terrorisme liés à l'I.R.A. ne peuvent constituer
la base exclusive de soupçons justifiant leur arrestation sept ans
plus tard; dans l'affaire Stepuleac c.
Moldova, Requête no 8207/06,
arrêt du 6 novembre 2007, un certain nombre de facteurs précisés
dans l'arrêt donnent «l'impression extrêmement troublante que le
requérant était délibérément visé».. Il faut également pour cela que les faits sur lesquels reposent ces soupçons puissent être raisonnablement considérés comme relevant d’un article du Code pénal qui qualifie pénalement cet acte 
			(8) 
			Voir Wloch c. Pologne, Requête no 27785/95,
arrêt du 19 octobre 2000; Kandzhov c.
Bulgarie, Requête no 68294/01, arrêt
du 6 novembre 2008; dans cette dernière affaire, les actes du requérant
avaient consisté à recueillir des signatures pour demander la démission
du ministre de la Justice et à afficher deux panneaux qui le qualifiaient
de «parfait imbécile», de façon tout à fait paisible, qui n'avait
pas entravé la circulation. De tels actes ne pouvaient d'aucune
manière présenter les éléments constitutifs de l’infraction de hooliganisme
pour laquelle le requérant avait été arrêté..

2.1.3. Interdiction du recours excessif à la force

13. Le recours excessif à la force rend une arrestation illégale et peut également emporter violation d’autres droits fondamentaux, comme le droit à la vie 
			(9) 
			Nachova et autres c. Bulgarie, Requêtes
nos 43577/1998 et 43579/1998, arrêt du
6 juillet 2005 [Grande Chambre]: le recours à une force potentiellement
meurtrière ne saurait passer pour «absolument nécessaire» lorsque
l'on sait que la personne qui doit être appréhendée ne représente
aucune menace pour la vie ou l'intégrité physique d'autrui et n'est
pas soupçonnée d'avoir commis une infraction à caractère violent..

2.1.4. Exigence de comparution rapide de l’intéressé devant un juge

14. Il existe une jurisprudence abondante sur ce que l’on entend par «rapide» et sur le statut que doit avoir l’agent qui exerce le pouvoir judiciaire au sens de l’article 5.3. Cet agent doit jouir d’une indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et des parties, tout en ayant le pouvoir de prendre une décision contraignante au sujet du maintien en détention 
			(10) 
			Voir, par exemple, Nikolova c. Bulgarie, Requête no 31195/95,
arrêt du 25 mars 1999 [Grande Chambre]; Brogan
et autres c. Royaume-Uni, Requêtes nos 11209/84,
11234/84, 11266/84 et 11386/84, arrêt du 29 novembre 1988, ce dernier arrêt
expliquant la distinction entre le terme «aussitôt» et l'exigence
moins stricte de la deuxième partie de l'article 5.3 (dans un «délai
raisonnable»)..

2.1.5. Déroulement convenable de l’audience

15. La Cour européenne des droits de l’homme exige que l’audience consacrée à l’examen juridictionnel de la détention se déroule de façon convenable et dépourvu de caractère menaçant 
			(11) 
			Ramishvili
et Kokhreidze c. Géorgie, Requête no 1704/06,
arrêt du 27 janvier 2009, paragraphes 129, 132 et 134; description
des conditions matérielles du procès: les détenus étaient placés
dans une cage en métal à une extrémité de la salle d'audience, entourés
par des agents des «forces spéciales»; ils parvenaient à peine à
s'entretenir avec leurs avocats et se trouvaient dans l'incapacité
d'entendre le juge ou le procureur; ils faisaient l'objet de mesures
de contention humiliantes et d'une sévérité qui ne se justifiait
pas au cours de l'audience; enfin, pendant cette même audience,
le juge est manifestement venu en aide au procureur. , et en présence du détenu 
			(12) 
			Grauzinis c. Lituanie, Requête no 37975/97,
arrêt du 10 octobre 2000, paragraphe 34. et de son avocat 
			(13) 
			Wloch c. Pologne, op. cit., paragraphe 129; Salduz c. Turquie, Requête no 36391/02,
arrêt du 27 novembre 2008., qui doivent avoir accès au dossier 
			(14) 
			Niedbala c. Pologne, Requête no 27915/95,
arrêt du 4 juillet 2000..

2.1.6. Obligation de rendre des comptes au sujet des personnes maintenues en détention

16. L’obligation de rendre des comptes au sujet des personnes maintenues en détention est une mesure essentielle pour prévenir les disparitions forcées. La Cour 
			(15) 
			Kurt
c. Turquie, Requête no 24276/94,
arrêt du 25 mai 1998. et l’Assemblée parlementaire, dans les rapports qu’elle a consacrés à la lutte contre les disparitions forcées 
			(16) 
			Recommandation 1995 (2012) et le rapport de M. Christos Pourgourides (Chypre, PPE/DC)
du 23 février 2012 (Doc. 12880), qui renvoient à la Convention internationale pour
la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées., ont énoncé des exigences rigoureuses qui visent à soumettre les autorités à l’obligation de rendre des comptes pour toute privation de liberté.

2.1.7. Conditions de détention et prévention des mauvais traitements

17. La prévention des mauvais traitements, tant au cours de la garde à vue que pendant la détention provisoire, est une préoccupation majeure. Elle est primordiale pour garantir le caractère équitable du procès, en évitant toute pression excessive pour obtenir des aveux ou de faux témoignages contre des tiers, et, en soi, pour prévenir les actes de torture et les traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la Convention. Malheureusement, un certain nombre d’affaires récentes ont montré que les conditions de détention provisoire continuaient à poser problème, de façon souvent pire que dans les établissements pénitentiaires où les personnes déjà condamnées purgent leur peine. J’aimerais rappeler à cet égard que les personnes placées en détention provisoire sont présumées innocentes. La lecture de l’énoncé des faits de certaines affaires de référence de la Cour, qui décrit de façon relativement détaillée les conditions de détention lamentables qu’ont véritablement connues les requérants, fait froid dans le dos 
			(17) 
			Voir,
par exemple, Elci et autres c. Turquie,
Requête no 23145/93, arrêt du 13 novembre
2003; I.I. c. Bulgarie, Requête
no 44082/98, arrêt du 9 juin 2005; Moiseyev c. Russie, Requête no 62963/00,
arrêt du 9 octobre 2008; voir également Mikhaïl Khodorkovski à propos
du procès des Pussy Riot: <a href='http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/aug/06/pussy-riot-trial-shame-russia'>I’ve
been there – how can these women endure it? the recent contribution
by Mikhail Khodorkovsky</a> (guardian.co.uk du 6 août 2012). . La visite que j’ai effectuée dans un centre de détention provisoire à Tbilissi en février 2015 m’a préoccupé, surtout la situation des détenus coupés de leur famille pendant une longue période 
			(18) 
			Voir plus loin le paragraphe
77..

2.1.8. Fourniture de soins médicaux adéquats

18. La controverse sur le caractère inadapté des soins médicaux fournis à l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko est notoire 
			(19) 
			Voir par
exemple BBC News du 9 mai 2012, <a href='http://www.google.com/url?q=http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-18002081&sa=U&ei=t-UsUOGGGOm70QWo2oDADA&ved=0CBIQFjAA&usg=AFQjCNGKR4JKBojY12Rhl2r9f58tsobeTw'>Yulia
Timoshenko ends hungerstrike after hospital move</a>. . L’insuffisance des soins médicaux en détention provisoire peut avoir des conséquences tragiques, comme dans le cas d’un patient atteint d’un cancer, dont le diagnostic n’a pas été établi à temps et qui n’a pas été traité pour une rechute 
			(20) 
			Popov
c. Russie, Requête no 26853/04,
arrêt du 13 juillet 2006; voir également Aleksanyan
c. Russie, Requête no 46468/06,
arrêt du 22 décembre 2008. M. Aleksanyan, avocat diplômé d'Harvard
qui travaillait pour Ioukos Oil, a été placé en détention provisoire
pendant plusieurs mois malgré un diagnostic de stade avancé du sida
(voir paragraphes 156-158: violation de l'article 3); dans l'affaire Kaprykowski c. Pologne, Requête
no 23052/05, arrêt du 3 février 2009,
la Cour a été «frappée par l’argument du Gouvernement selon lequel
le fait que le requérant [qui souffrait d'épilepsie] partageait
sa cellule avec d’autres détenus qui savaient comment agir en cas
de crise pouvait passer pour constituer des conditions de détention
adéquates» (paragraphe 74).. En Russie, une pancréatite aiguë a été diagnostiquée chez Sergueï Magnitski alors qu’il était en détention. Le fait de ne pas avoir été traité pour cet état de santé dangereux et douloureux a contribué à ce qu’il meure dans d’horribles circonstances, ce qui a fait l’objet d’un rapport distinct de l’Assemblée en 2014 
			(21) 
			Doc. 13356, Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski
(rapporteur: M. Andreas Gross, Suisse, SOC).. N’oublions pas, une fois encore, que les intéressés sont présumés innocents!

2.1.9. Justification de la détention provisoire

19. La Cour européenne des droits de l’homme a établi des normes très strictes, en vertu desquelles les autorités compétentes doivent justifier, d’une part, d’avoir vérifié que les motifs légaux de détention étaient réunis au vu des circonstances de l’affaire et, d’autre part, d’avoir examiné les éventuelles mesures de substitution à la détention 
			(22) 
			Voir
par exemple Ambruszkiewicz c. Pologne,
Requête no 38797/03, arrêt du 4 mai 2006,
paragraphes 29-32. (notamment le versement d’une caution). Au nombre des motifs acceptables de (maintien en) détention figurent, selon la jurisprudence de la Cour: a) le risque que l’accusé ne se présente pas au procès; b) le risque que l’accusé, une fois remis en liberté, n’entrave la bonne administration de la justice (par exemple en exerçant des pressions sur les témoins ou en portant atteinte d’une autre manière aux éléments de preuve); c) ne commette de nouvelles infractions; ou d) ne trouble l’ordre public 
			(23) 
			Voir par exemple Tiron c. Roumanie, Requête no 17689/03,
arrêt du 7 avril 2009..
20. Si le maintien de l’ordre public est invoqué comme motif de détention, la Cour applique des critères particulièrement rigoureux 
			(24) 
			Voir par exemple Letellier c. France, arrêt du 26
juin 1991, paragraphe 51. . Lorsque les autorités provoquent délibérément des troubles à l’ordre public en menant une campagne coordonnée contre d’anciens hauts responsables bien connus, comme il m’est arrivé de le voir en Géorgie, cela ne penche certainement pas en faveur de la validité de ce motif de détention 
			(25) 
			Voir plus loin le paragraphe
75 (situation en Géorgie)..
21. Il ne suffit pas d’évoquer l’existence de motifs tels que la gravité des accusations ou la probabilité que le suspect prenne la fuite ou fasse obstruction à la justice 
			(26) 
			Bykov
c. Russie, Requête no 4378/02,
arrêt du 10 mars 2009 [Grande Chambre]; Mamedova
c. Russie, Requête no 7064/05,
arrêt du 1er juin 2006.. Les arguments en faveur de la remise en liberté et contre cette dernière ne doivent pas être «généraux et abstraits», mais mentionner des faits précis et les circonstances personnelles du suspect qui justifient sa détention 
			(27) 
			Aleksanyan c. Russie, Requête no 46468/06,
arrêt du 22 décembre 2008, paragraphe 179.. La charge de la preuve des circonstances qui justifient la détention pèse sur le ministère public 
			(28) 
			Bykov c. Russie, op. cit., paragraphe 64.. La Cour européenne des droits de l’homme souligne également que les considérations pertinentes peuvent évoluer avec le temps et qu’il est par conséquent indispensable de procéder régulièrement à une nouvelle appréciation 
			(29) 
			Bykov c. Russie, ibid., et Labita
c. Italie, Requête no 26772/95,
arrêt du 6 avril 2000 [Grande Chambre].. Malheureusement, la pratique concrète de bon nombre d’Etats membres diffère considérablement de ces normes, même dans les Etats membres de l’Union européenne pris en compte pour un projet d’étude comparée approfondie, menée sous les auspices de la Commission européenne 
			(30) 
			Note 51 ci-dessous.. Selon un certain nombre d’observations, les demandes de placement en détention provisoire d’un suspect faites par le ministère public ne mentionnent habituellement pas les faits particuliers de l’espèce et vont jusqu’à reproduire les mêmes fautes de frappe. Elles sont pourtant entérinées par les juges, qui sont d’ordinaire débutants dans la carrière judiciaire, manquent de ce fait d’expérience et préfèrent ne pas attirer l’attention sur eux par des rejets de demandes de placement en détention 
			(31) 
			Fair
Trials International and Human Rights Monitoring Institute (Lituanie), Pre-Trial Detention in Lithuania, Communiqué
du groupe d'experts local (Lituanie), 9 mai 2013, paragraphes 5
et 6. . Malheureusement, alors que ces pratiques sont clairement contraires aux normes fixées par la Cour européenne des droits de l’homme, il est fréquent qu’elles ne parviennent pas jusqu’à cette dernière, qui, selon les professionnels interrogés dans le cadre de l’étude parrainée par l’Union européenne, «n’est plus considérée comme une juridiction utile, devant laquelle les problèmes posés par la détention provisoire (...) peuvent être soulevés, en raison de la longueur de la procédure et des frais encourus» 
			(32) 
			Ibid.,
paragraphe 35..

2.1.10. Durée de la détention provisoire

22. L’article 5.3 de la Convention consacre le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure. La Cour n’a pas défini de durée maximale fixe pour la détention provisoire. Le caractère raisonnable ou non de la période de détention doit être apprécié au cas par cas, selon les circonstances propres à l’affaire, et notamment la complexité de l’enquête 
			(33) 
			McKay
c. Royaume-Uni, Requête no 453/03,
arrêt du 3 octobre 2006 [Grande Chambre], paragraphes 41-45.. Bien que la sévérité de la peine encourue soit un critère d’appréciation pertinent du risque que le détenu prenne la fuite, la gravité des chefs d’accusation ne saurait en soi justifier de longues périodes de détention provisoire 
			(34) 
			Idalov c. Russie, Requête no 5826/03,
arrêt du 22 mai 2012 [Grande Chambre], paragraphe 145.. Par ailleurs, avec le temps, les exigences de l’enquête ne suffisent plus à justifier la détention: normalement, les risques d’entrave à l’enquête diminuent à mesure que le temps passe, car les enquêtes sont menées, les témoignages sont recueillis et les vérifications sont effectuées 
			(35) 
			Cloth c. Belgique, arrêt du 12 décembre
1991, paragraphe 44.. Lorsque le suspect est en détention, les autorités doivent faire preuve d’une «diligence particulière» dans la procédure 
			(36) 
			Scott
c. Espagne, arrêt du 18 décembre 1996, paragraphe 74.. Il convient de noter qu’il est uniquement possible d’exiger le versement d’une caution tant que les raisons qui justifient la détention prévalent 
			(37) 
			Aleksandr
Makarov c. Russie, Requête no 15217/07,
arrêt du 12 mars 2009, paragraphe 139..

2.1.11. Motifs de détention autres que l’administration de la justice répressive (article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme)

23. Dans un récent arrêt rendu dans l’affaire Iouri Loutsenko 
			(38) 
			Lutsenko
c. Ukraine, Requête no 6492/11,
arrêt du 3 juillet 2012., ancien ministre ukrainien de l’Intérieur arrêté en compagnie de l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko après l’arrivée d’un nouveau gouvernement, la Cour a rappelé que l’arrestation et le placement ultérieur en détention provisoire étaient également contraires à la Convention lorsqu’ils étaient motivés par des considérations autres que l’administration de la justice. Dans le cas de M. Loutsenko, la Cour a conclu à la violation de l’article 18 de la Convention – fait rare au vu du seuil de preuve extrêmement élevé défini dans l’arrêt qu’elle avait rendu à la suite de la première requête de Mikhaïl Khodorkovski 
			(39) 
			Khodorkovskiy
c. Russie, Requête no 5829/04,
arrêt du 31 mai 2011, paragraphes 255 et 258; la Cour rappelle dans l'arrêt
Lutsenko (note 39, paragraphe 106) que «l'ensemble de la structure
de la Convention repose sur l'idée générale que les pouvoirs publics
des Etats membres agissent de bonne foi. (…) Le simple soupçon que
les autorités aient usé de leur pouvoir à d'autres fins que celles
définies par la Convention ne suffit pas à démontrer la violation
de l'article 18. Qui plus est, le fait d'exercer des responsabilités
politiques importantes ne confère aucune immunité». . La Cour a estimé que la détention de M. Loutsenko était à l’évidence motivée par des «considérations politiques», comme le désir d’affaiblir cette personnalité de l’opposition, dont la dirigeante, Mme Timochenko, était également emprisonnée 
			(40) 
			Lutsenko c. Ukraine, op. cit., paragraphes 104-110.. Dans un arrêt antérieur rendu contre la Fédération de Russie, la Cour a conclu que la détention de M. Gusinskiy, soupçonné de fraude, était en vérité motivée par le désir qu’avaient les autorités de faire pression sur lui pour qu’il vende sa société, Most Media/NTV, à Gazprom (qui a ensuite cessé les activités de la chaîne d’actualité qui avait notamment couvert de façon réaliste les atrocités du premier conflit tchétchène) 
			(41) 
			<a href='https://cpj.org/2004/05/european-court-of-human-rights-condemns-russia-in.php'>«ECHR
condemns Russia in media case», Committee to Protect Journalists,
20 mai 2004</a>. . La Cour a par conséquent conclu que la détention de M. Gusinskiy constituait une violation de l’article 18 
			(42) 
			Gusinskiy c. Russie, Requête no 70276/01,
arrêt du 19 mai 2004. La Cour a octroyé à M. Gusinskiy une indemnisation
financière pour les jours passés en détention. Mais la question
de savoir si l'action des autorités visant à priver M. Gusinskiy
de sa société constituait également une violation de l'article 1er du
Protocole no 1 (protection de la propriété)
n'a jamais été soulevée devant la Cour. . Les critères établis par la Cour pour démontrer l’existence d’une violation de l’article 18 sont extrêmement exigeants, au point que, dans son premier arrêt Khodorkovskiy 
			(43) 
			Khodorkovskiy c. Russie, ibid., paragraphes 250-261., la Cour n’a pas conclu à cette violation, malgré les nombreux indices de motifs politiques de la détention de Mikhaïl Khodorkovski résumés dans le rapport de l’Assemblée sur «Les circonstances entourant l’arrestation et l’inculpation de hauts dirigeants de Ioukos» 
			(44) 
			Doc. 10368 de l'Assemblée (rapporteure: Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger,
Allemagne, ADLE).. Au cours de mes propres visites d’études, j’ai eu connaissance d’un certain nombre d’affaires dans lesquelles ces motifs «extrajudiciaires» pouvaient bien être la véritable cause du placement d’une personne en détention provisoire 
			(45) 
			Voir plus loin les
paragraphes 52-58, 66-67 et 75-79..

2.2. Travaux antérieurs du Conseil de l’Europe

2.2.1. Recommandation Rec(2006)13 du Comité des Ministres concernant la détention provisoire, les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place de garanties contre les abus 
			(46) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Rec(2006)13&Language=lanFrench&Ver=original&Site=CM&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Rec(2006)13</a>.

24. Dans cette recommandation, le Comité des Ministres a précisé que:
«Considérant la nécessité de veiller à ce que l’usage de la détention provisoire soit toujours exceptionnel et toujours justifié;
Ayant à l’esprit les libertés et droits fondamentaux de toutes les personnes privées de liberté et la nécessité spécifique de faire en sorte que les personnes placées en détention provisoire soient non seulement en mesure de préparer leur défense et de maintenir leurs liens avec leur famille, mais ne soient pas non plus détenues dans des conditions incompatibles avec leur statut juridique de présumés innocents; (…)
Recommande aux gouvernements des Etats membres de veiller à ce que leur législation et leur pratique soient inspirées des principes énoncés dans l’annexe à la présente recommandation (…) et à diffuser ces principes.»
25. Le texte annexé à la recommandation rappelle les grands principes énoncés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par les travaux du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et des organes de suivi pertinents des traités des Nations Unies.

2.2.2. Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes 
			(47) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=955747'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=955747</a>.

26. De même, dans l’annexe à la Recommandation Rec(2006)2, le Comité des Ministres synthétise de façon relativement détaillée les normes minimales applicables au traitement des détenus (y compris des prévenus en détention provisoire). Ces «Règles pénitentiaires européennes» demeurent l’ensemble de normes le plus complet sur les conditions de détention en Europe. Bien qu’elles précisent expressément 
			(48) 
			Règle 4. que «[l]e manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme», de nombreux arrêts dans lesquels la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une violation en la matière montrent que, dans la pratique, ces Règles ne sont toujours pas pleinement appliquées dans l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe.

2.2.3. Statistiques de la SPACE 
			(49) 
			La série
de statistiques la plus récente, publiée en février 2015, concerne
l’année 2013: <a href='http://wp.unil.ch/space/2015/02/space-i-and-space-ii-2013/'>http://wp.unil.ch/space/2015/02/space-i-and-space-ii-2013/</a> (en anglais; résumé en français disponible sous: <a href='http://wp.unil.ch/space/files/2015/04/FR_Executive-Summary_SPACE-2013_150206.pdf'>http://wp.unil.ch/space/files/2015/04/FR_Executive-Summary_SPACE-2013_150206.pdf</a>.

27. Les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (SPACE) fournissent des informations sur les populations carcérales (effectifs et flux) de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et les ventilent en fonction de différents critères (comme le motif de détention, sa durée, la nationalité des détenus, etc.). Les statistiques SPACE sont extrêmement utiles pour procéder à des comparaisons entre les pays et d’une période à l’autre, tout en permettant aux décideurs politiques de discerner un certain nombre de tendances et de replacer la situation de leur pays dans une perspective comparée.

2.3. Travaux des organes de l’Union européenne et des Nations Unies

28. Compte tenu de l’importance de la question de la détention provisoire, il n’est guère surprenant qu’un nombre considérable d’études comparées aient déjà été réalisées. Les deux études suivantes n’en sont que deux exemples particulièrement intéressants.

2.3.1. Etude de la Commission européenne sur la détention provisoire au sein de l’Union européenne

29. La Commission européenne a commandé une étude approfondie sur la détention provisoire au sein de l’Union européenne 
			(50) 
			Pre-Trial
Detention in the European Union, An Analysis of Minimum Standards
in Pre-trial Detention and the Grounds for Regular Review in the
Member States of the EU, A.M. van Kalmthout, M.M. Knapen,
C. Morgenstern (sous la direction de); introduction: <a href='http://ec.europa.eu/justice/doc_centre/criminal/procedural/doc/chapter_1_introduction_en.pdf'>http://ec.europa.eu/justice/doc_centre/criminal/procedural/doc/chapter_1_introduction_en.pdf</a>; chapitre consacré à la France (à titre d'exemple): <a href='http://www.google.com/url?q=http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download%3Fdoi%3D10.1.1.193.9899%26rep%3Drep1%26type%3Dpdf&sa=U&ei=K-X6T5v1JYqO8gOCt-SrBw&ved=0CB4QFjAG&usg=AFQjCNG5rRWzBlSlAvHu6xFKdIvfg1YSlw'>www.google.com/url?q=http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download</a>; Annexe 2 – étude comparée: <a href='http://ec.europa.eu/justice/newsroom/criminal/opinion/files/110510/appendix_2_-_comparative_research_en.pdf'>http://ec.europa.eu/justice/newsroom/criminal/opinion/files/110510/appendix_2_-_comparative_research_en.pdf</a>. . Ce document fournit une information factuelle et une analyse juridique détaillées de la situation de la détention provisoire dans les Etats membres de l’Union européenne. Le Livre vert de la Commission européenne de juin 2011, «Renforcer la confiance mutuelle dans l’espace judiciaire européen – Livre vert sur l’application de la législation de l’Union européenne en matière de justice pénale dans le domaine de la détention» 
			(51) 
			Document <a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0327:FIN:EN:PDF'>COM(2011)327
final</a>, Bruxelles, 14 juin 2011. , renvoie à cette compilation. Comme l’explique le Livre vert, la confiance mutuelle est une condition préalable à la reconnaissance et à l’exécution mutuelles des décisions de justice. Mais cette confiance mutuelle suppose elle-même l’existence de dispositions légales et de pratiques judiciaires raisonnablement comparables dans l’ensemble de la région.
30. En juin 2014, l’organisation non gouvernementale (ONG) «Fair Trials International» a lancé un autre projet essentiel de droit comparé sur la pratique de la détention provisoire dans les Etats membres de l’Union européenne, financé par la Commission européenne, auquel ont participé 10 partenaires issus de la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie, l’Espagne, les Pays-Bas, ainsi que de l’Angleterre et du pays de Galles 
			(52) 
			«<a href='http://www.fairtrials.org/press/update-on-fair-trials-pre-trial-detention-project/'>Fair
Trials launches new pre-trial detention project</a>», 13 juin 2014, et «<a href='http://www.fairtrials.org/press/update-on-fair-trials-pre-trial-detention-project/'>Update
on Fair Trials pre-trial detention project</a>», 26 mars 2015..
31. La mise en œuvre satisfaisante du droit de l’Union européenne, fondée sur la confiance mutuelle, peut effectivement contribuer à réduire le recours à la détention provisoire vis-à-vis des résidents étrangers. Les suspects de nationalité étrangère font sans doute plus souvent l’objet d’un placement en détention provisoire que les ressortissants nationaux dans des situations comparables, car les services répressifs nationaux estiment qu’ils risquent davantage de prendre la fuite. Les ressortissants étrangers sont de fait surreprésentés parmi les détenus dans tous les pays pris en compte par l’étude comparée. Les dispositions de l’Union européenne relatives à la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, y compris des décisions qui substituent à la détention provisoire des mesures de surveillance non privatives de liberté, peuvent donner à un juge l’assurance que le contrôle d’une mesure de substitution sera aussi fiable dans le pays d’origine du suspect que dans celui où l’infraction alléguée a eu lieu 
			(53) 
			<a href='http://ec.europa.eu/justice/criminal/files/com_2014_57_fr.pdf'>Rapport</a> de la Commission au Parlement européen et au Conseil
sur la mise en œuvre par les Etats membres des décisions-cadre 2008/909/JAI,
2008/947/JAI et 2008/829/JAI concernant la reconnaissance mutuelle
des décisions de justice prononçant des peines ou des mesures privatives
de liberté, des mesures de probation et peines de substitution, ainsi
que des mesures de contrôle en tant qu'alternative à la détention
provisoire.. Mais il faut un certain temps pour que s’installe la confiance mutuelle indispensable pour que ces dispositions soient pleinement opérationnelles. Les auteurs d’une proposition de résolution au Parlement européen de mars 2014 sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm on fait remarquer que les normes applicables en matière de détention provisoire dans de nombreux Etats membres ne respectaient pas les droits de l’homme et ont invité la Commission à envisager à nouveau la définition de «normes minimales et exécutoires en matière de détention préventive» à travers des mesures législatives 
			(54) 
			Parlement européen, <a href='http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2014-0153+0+DOC+XML+V0//FR'>Proposition
de résolution du Parlement européen sur l'examen à mi-parcours du
programme de Stockholm (2013/2024(INI))</a>, paragraphe 46.. Le Parlement européen se prépare à présent à négocier une nouvelle directive sur «la présomption d’innocence», afin de garantir que le droit à la présomption d’innocence d’une personne jusqu’à ce que sa culpabilité soit démontrée soit pleinement respecté dans les Etats membres de l’Union européenne 
			(55) 
			Voir le communiqué
de presse de la commission LIBE du 31 mars 2015: <a href='http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20150330IPR39303/html/Proc%C3%A8s-%C3%A9quitables-le-projet-de-loi-sur-la-pr%C3%A9somption-d'innocence-renforc%C3%A9'>www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content</a>..
32. Je ne peux que me féliciter de l’attention soutenue accordée par différents organes de l’Union européenne à la détention provisoire. Mais il convient de noter qu’il existe déjà des normes minimales communes. Elles sont énoncées par la Convention européenne des droits de l’homme, qui est en vigueur dans tous les Etats membres de l’Union européenne. Afin d’éviter tout chevauchement des travaux en la matière et toute divergence de normes, il importe que ce domaine d’activité relativement nouveau de l’Union européenne soit mis en place en étroite coopération avec le Conseil de l’Europe.

2.3.2. Compilation de normes et pratiques réalisée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme

33. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a établi un précieux résumé des normes et pratiques relatives à la détention provisoire, sur la base du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) et de la jurisprudence des organes de suivi des traités pertinents; il renvoie également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(56) 
			<a href='http://www.ohchr.org/Documents/Publications/training9chapter5en.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Publications/training9chapter5en.pdf</a>..

3. La détention provisoire dans les Etats membres du Conseil de l’Europe: quelques éléments factuels et chiffrés et son évolution récente

3.1. Quelques éléments factuels et chiffrés

34. Les données statistiques détaillées les plus récentes dont nous disposons (SPACE I 2013, publiées en février 2015) montrent que le recours à la détention provisoire continue à varier considérablement entre les Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme, alors même qu’ils sont tous soumis aux mêmes normes (voir plus haut les paragraphes 8-23).
35. Le nombre de personnes détenues sans avoir été condamnées par une décision de justice définitive pour 100 000 habitants est le plus élevé en Turquie (89,2), en Albanie (68,1), en Russie (65,6), à Monaco (63,4), en Lettonie (61,9), au Monténégro (58,3) et au Luxembourg (55,5). Les chiffres les plus bas sont ceux de l’Islande 
			(57) 
			Saint-Marin présente
un chiffre nul, mais en vertu d'un accord passé avec l'Italie, la
plupart des personnes détenues de Saint-Marin sont placées en détention
en Italie, ce qui fausse les statistiques. (4,0) et du Liechtenstein (5,4) et, parmi les pays de taille plus importante, ceux de la Bulgarie (10,6), de la Finlande (10,8), de la Slovénie (12,4), de l’Irlande (12,8) et de l’Allemagne (13,8). La moyenne se situe à hauteur de 31 personnes pour 100 000 habitants.
36. Pour ce qui est de la proportion, dans la population carcérale totale, des personnes détenues sans avoir été condamnées par une décision de justice définitive, les chiffres les plus élevés sont ceux de l’Andorre (59,6 %), de la Turquie (49,6 %), des Pays-Bas (46,3 %), du Luxembourg (41,6 %) et de la Suisse (40,6 %). Les meilleurs résultats sont ceux de la Pologne (8,3 %), de l’Islande (8,6 %), de la Bulgarie (8,8 %) et de la Roumanie (10,9 %). La moyenne se situe à hauteur de 25,8 %.
37. Le premier ensemble de chiffres reflète le nombre, en valeur absolue, des personnes placées en détention provisoire (plus précisément des personnes détenues qui n’ont pas encore fait l’objet d’une décision de justice ayant force exécutoire) par rapport à la population générale; le deuxième ensemble présente la proportion des personnes placées en détention provisoire, en pourcentage de la population carcérale totale. Ces chiffres montrent qu’il existe une corrélation entre, d’une part, le nombre élevé de placements en détention en général et, d’autre part, le nombre élevé de détentions provisoires et le pourcentage élevé de personnes en détention provisoire parmi la population carcérale globale. Les chiffres compilés dans le monde entier par le Centre international d’études pénitentiaires (International Centre for Prison Studies) 
			(58) 
			<a href='http://www.prisonstudies.org/sites/default/files/resources/downloads/world_pre-trial_imprisonment_list_2nd_edition_1.pdf'>World
Pre-trial/Remand Imprisonment List (second edition), International
Centre for Prison Studies (ICPS</a>), Université d’Essex. révèlent que les pays dont la proportion de personne en détention provisoire parmi la population carcérale totale est la plus élevée sont ceux qui font face à de graves difficultés institutionnelles et de gouvernance à tous les niveaux: les Comores (92 %), la Libye (87 %), le Libéria et la Bolivie (83 % chacun) et la République démocratique du Congo (82 %) 
			(59) 
			Un autre
pays européen figure également dans cette liste assez sinistre:
Monaco (73 %), mais la faible population de ce pays peut occasionner
des variations statistiques irrégulières. . Dans ces pays, la population carcérale totale n’est pas particulièrement importante, mais les magistrats ne parviennent à l’évidence pas à suivre le rythme des arrestations effectuées par les forces de police, qui pratiquent le placement en détention provisoire pour obtenir le versement de pots-de-vin, hors de tout contrôle.
38. Quels enseignements est-il possible de tirer de ces chiffres? Premièrement, cette comparaison à l’échelle du monde amène à conclure que le nombre élevé de détenus nous impose de tirer la sonnette d’alarme à propos du fonctionnement du système judiciaire et des activités répressives en général. Deuxièmement, les démocraties dites établies et les démocraties plus récentes affichent toutes deux un nombre de détentions provisoires élevé et bas. Cela signifie que ce nombre élevé de détenus n’est pas une fatalité: des progrès sont possibles, comme le montrent les exemples positifs impressionnants de la Pologne, de la Bulgarie et de la Roumanie. Parallèlement, le risque de recul n’épargne pas même des pays pourtant solidement ancrés dans l’Etat de droit, comme les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse, ce qui témoigne de la nécessité de maintenir une vigilance constante.
39. Il convient par conséquent de rappeler les inconvénients de la détention provisoire par rapport aux autres mesures de contrainte, comme la caution, l’assignation à résidence, l’imposition d’heures de couvre-feu (dont le respect est contrôlé, si besoin est, au moyen d’appareils électroniques), les obligations déclaratives, la surveillance ciblée des communications (pour éviter la falsification des preuves) et d’autres encore 
			(60) 
			«Pre-trial
detention – a challenge for the new Justice Commissioner and for
EU Member States», Conseil quaker pour les affaires européennes
(QCEA), document d'information, 2014: <a href='https://www.qcea.org/2014/11/background-paper-pre-trial-detention/'>https://www.qcea.org/2014/11/background-paper-pre-trial-detention/</a> (en anglais)..

3.2. Les effets préjudiciables de la détention provisoire sur les détenus et la société dans son ensemble

40. La détention provisoire a de fortes conséquences négatives sur le suspect, qui se trouve subitement coupé de sa vie professionnelle et familiale. La stigmatisation sociale qui en résulte est durablement préjudiciable aux détenus et à leur famille. De plus, il arrive souvent que les détenus subissent, au sein de la maison d’arrêt, des actes de violence et de torture et la violence des bandes qui y sévissent. Les taux d’homicide et de suicide sont plus élevés chez les personnes en détention provisoire que chez les détenus condamnés. La détention provisoire est donc une mesure extrêmement coûteuse non seulement pour le suspect, mais également pour le contribuable, compte tenu des frais élevés de détention 
			(61) 
			Selon les chiffres
cités dans le document d'information du QCEA, le coût de la détention
dans les Etats membres de l'Union européenne est de € 3 000 par
détenu et par mois (en 2011). A titre de comparaison, en Belgique,
le coût du contrôle électronique, c'est-à-dire de la mesure de substitution
à la détention provisoire la plus chère, ne représente qu'un tiers
du coût de la détention (document du QCEA, note 61, p. 5)..
41. Les conditions de vie en détention provisoire sont souvent pires que les conditions de détention des condamnés 
			(62) 
			<a href='http://www.opensocietyfoundations.org/publications/presumption-guilt-global-overuse-pretrial-detention'>Presumption
of Guilt, The Global Overuse of Pretrial Detention</a>, Open Society Justice Initiative, septembre 2014, p. 57-61.. Elles peuvent également empêcher le détenu de préparer son procès, voire contribuer à la dégradation de sa santé psychologique, ce qui nuit parfois à sa capacité à se préparer et à faire face de manière satisfaisante à son procès 
			(63) 
			Document
du QCEQ, note 61, p. 5, qui mentionne une étude réalisée aux Pays-Bas..
42. J’ai rencontré un certain nombre de détenus au cours de mes visites d’étude, ce qui m’a permis de constater personnellement à quel point l’isolement prolongé affecte leur bien-être psychologique. Je ne peux pas m’empêcher de penser que la dureté de ces conditions est parfois délibérée et qu’elle vise à faire pression sur les détenus pour obtenir d’eux des aveux ou une coopération avec les services répressifs. De telles situations peuvent parfaitement porter atteinte au droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui comprend la présomption d’innocence et le droit de garder le silence, le droit de ne pas s’accuser soi-même et le droit d’assister à son procès. Selon leur dureté, les conditions de détention peuvent également constituer une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants).
43. Le coût de la détention, à la fois pour le détenu et pour la société dans son ensemble, augmente avec la durée de la détention. Malheureusement, les chiffres de 2013 cités dans la dernière série de statistiques publiées en février 2015 
			(64) 
			SPACE I 2013 (note
50). montrent que la situation ne s’est pas améliorée depuis 2011. La durée médiane de la détention provisoire est toujours de 3,8 mois, mais avec d’énormes disparités entre les pays, où elle va de 31,1 mois dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», 16,6 mois en Turquie, à 0,3 mois au Liechtenstein, 0,6 mois en Suisse et 0,7 mois en Suède.

3.3. Evolutions positives survenues récemment dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe

3.3.1. Pologne

44. Le recours excessif à la détention provisoire était habituellement fréquent en Pologne, comme le montrent les nombreuses violations constatées par la Cour européenne des droits de l’homme. Le dernier rapport de l’Assemblée consacré à la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme constate un certain nombre d’avancées en la matière 
			(65) 
			Doc. 12455 (rapporteur: M. Christos Pourgourides, Chypre, PPE/DC),
paragraphes 81-85; audition consacrée à la mise en œuvre des arrêts
de la Cour, à laquelle a participé le chef de la délégation polonaise
pendant la partie de session d'octobre 2012; le Comité des Ministres
a prononcé la clôture des affaires de détention provisoire dans
sa Résolution CM/ResDH(2014)268.. Ces réformes ont généré une tendance positive à la diminution du recours à la détention provisoire en Pologne, qui s’est poursuivie au cours de ces dernières années jusqu’à culminer dans les excellents chiffres indiqués dans le rapport SPACE I de 2013 (voir plus haut, paragraphe 36).

3.3.2. Allemagne

45. Une importante réforme des dispositions qui régissent la détention provisoire en Allemagne est entrée en vigueur en janvier 2010. Les principales améliorations portent sur le droit du détenu à être assisté par un avocat (le cas échéant rémunéré par l’aide juridictionnelle, en fonction des revenus du détenu) dès le premier jour de détention, au lieu du délai de trois mois prévu auparavant. L’avocat doit également avoir accès au dossier tout au long de la période de détention et non, comme par le passé, au terme de l’enquête. Enfin, le prévenu doit être informé de ses droits dès le début de sa détention, par écrit et dans une langue qu’il comprend 
			(66) 
			Voir la description
et l'évaluation critique des mesures de réforme: <a href='http://www.jurablogs.com/de/reform-untersuchungshaft-1'>www.jurablogs.com/de/reform-untersuchungshaft-1 </a>(en allemand).. Les statistiques du rapport SPACE révèlent une tendance à la diminution du recours à la détention provisoire et de sa durée 
			(67) 
			SPACE I 2013, op. cit., p. 99 et 134..

4. La situation dans les pays visités (Fédération de Russie, Turquie et Géorgie)

46. Conformément aux décisions prises par la commission sur la base, notamment, des données statistiques sur le nombre de violations pertinentes constatées par la Cour européenne des droits de l’homme, je me suis rendu dans trois pays, à savoir en Fédération de Russie, en Turquie et en Géorgie, dans le but de tirer de ces exemples un certain nombre d’enseignements qui pourraient être utiles aux autres Etats membres. J’aimerais profiter de cette occasion pour remercier l’ensemble des trois délégations nationales de leur excellente coopération et de leur hospitalité pendant mes visites d’étude.

4.1. Fédération de Russie

47. Quelques avancées générales peuvent être constatées en Russie sous la forme d’une diminution du nombre de personnes en détention provisoire par rapport à la population carcérale globale, bien qu’il faille préciser que cette tendance à la baisse part de très haut 
			(68) 
			Au 1er septembre
2013, la Russie comptait 475 détenus pour 100 000 habitants, dont
environ 17 % en détention provisoire (SPACE I, p. 42 et 50). La
population carcérale totale a diminué de 5,3 % de 2012 à 2013, de
8,2 % de 2011 à 2012 et de 7,6 % de 2010 à 2011 (SPACE I, p. 68);
on peut observer une tendance similaire pour les prévenus en détention
provisoire (selon la liste établie pour la détention provisoire
par le Centre international d'études pénitentiaires, le taux de
détenus pour 100 000 habitants est passé de 113 en 2005 à 83 en
2010 et 80 en avril 2014).. Les autorités ont également pris des mesures pour améliorer les conditions de détention, y compris sur le plan des soins médicaux. Au cours de ma visite d’étude à Moscou à l’automne 2013, j’ai eu communication de statistiques officielles assez impressionnantes, qui attestent d’une diminution du nombre de détenus et de la surpopulation des établissements de détention provisoire. A titre d’exemple, j’ai visité les cellules récemment rénovées de la maison d’arrêt de Butyrka. J’ai également été informé des récentes réformes législatives pertinentes, et notamment du transfert de la compétence suprême des soins médicaux dispensés aux détenus, qui est passée du directeur local de l’établissement pénitentiaire au personnel médical du Service pénitentiaire fédéral.
48. L’impression positive qui en découle est vivement contredite par un rapport spécial que m’a transmis la Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (FIACAT), qui présente de nombreux exemples de graves défaillances des conditions de détention provisoire en Russie. Parmi celles-ci figure la surpopulation notoire des établissements, leur mauvais entretien, l’insuffisance de leur aération en été et de leur chauffage en hiver, leur manque de soins médicaux élémentaires et le contournement fréquent des mesures prises pour prévenir la torture et les autres formes de pressions exercées sur les détenus 
			(69) 
			Ce rapport spécial
est conservé au secrétariat (uniquement en français); voir également
le rapport publié par <a href='http://www.acatfrance.fr/public/acat_russie_fr.pdf'>ACAT France,
Les multiples visages de la torture, étude du phénomène tortionnaire
en Russie, novembre 2013</a>. .
49. Une autre réforme m’a été présentée à Moscou: il s’agit de l’exclusion, en principe, de la détention provisoire pour des infractions économiques. Au cours d’une réunion particulièrement intéressante avec les membres des commissions compétentes de la Douma, j’ai eu le sentiment que nos collègues parlementaires de Russie avaient une bonne connaissance des problèmes qui se posent dans ce domaine. J’ai été impressionné par la franchise de leur argumentation en faveur de l’abolition de la détention provisoire pour les infractions économiques: avant cette réforme, le recours abusif à la détention provisoire par des fonctionnaires corrompus des services répressifs était fréquent à l’encontre des entrepreneurs prospères, afin d’obtenir d’eux qu’ils «partagent», voire cèdent intégralement leur entreprise à des fonctionnaires des services répressifs au comportement de prédateur, une tactique qualifiée de «prise de contrôle hostile à la russe» 
			(70) 
			Doc. 11993, Allégations d'utilisation abusive du système de justice
pénale, motivée par des considérations politiques, dans les Etats
membres du Conseil de l'Europe (rapporteure: Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger);
voir également <a href='http://knowledge.wharton.upenn.edu/article/hostile-takeovers-russian-style/'>University
of Pennsylvania, Hostile takeovers – Russian style</a>, 2006.. J’espère sincèrement que cette réforme permettra de mettre un terme à cette odieuse pratique, qui a détruit l’existence de nombreux hommes et femmes d’affaires, en entravant le développement d’une solide structure économique fondée sur des petites et moyennes entreprises dynamiques.
50. Mais vu la facilité avec laquelle des chefs d’accusation pourront être montés de toutes pièces tant que le ministère public et les tribunaux manqueront de professionnalisme et d’indépendance, les agents corrompus des services répressifs pourront continuer à «découvrir» de la drogue et des armes au domicile des entrepreneurs qui sont la cible de leur «prise de contrôle». Les procédures ensuite ouvertes ne seront pas engagées pour «infraction économique», ce qui n’interdira pas du même coup le recours à la détention provisoire. Selon moi, tant que le pouvoir en place refusera de lâcher la bride à la justice et de favoriser une véritable culture de l’indépendance, pour pouvoir conserver la possibilité, dès qu’il le souhaite, d’engager des poursuites à l’encontre des opposants politiques et de les faire emprisonner, il sera impossible d’en éviter les retombées politiquement indésirables, sous la forme d’abus commis par des agents corrompus.
51. Les avocats et les ONG m’ont présenté un certain nombre de cas concrets, qui semblent démontrer la poursuite du recours abusif à la détention provisoire par les forces de l’ordre russes. Il n’est pas nécessaire que j’expose en détail un certain nombre d’affaires qui ont déjà fait l’objet de rapports distincts de l’Assemblée ou d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme:
52. Vladimir Gusinskiy a effectivement été «persuadé», pendant sa détention provisoire, de vendre sa chaîne d’actualité NTV à Gazprom. NTV avait contribué à l’arrêt de la première guerre de Tchétchénie grâce au réalisme de sa couverture des horreurs de la guerre. Gazprom a rapidement transformé NTV en une chaîne sportive 
			(71) 
			Voir l'arrêt de la
Cour européenne des droits de l'homme dans l’affaire Gusinskiy c. Russie (note 44); d’autres exemples
d’abus de détention provisoire figurent au Doc. 11031, Equité des procédures judiciaires dans les affaires d’espionnage
ou de divulgation de secrets d’Etat (rapporteur: M. Christos Pourgourides,
Chypre, PPE/DC)..
53. Mikhaïl Khodorkovski a passé plusieurs années en détention provisoire, pendant lesquelles la société Ioukos Oil a été démantelée et ses actifs repris par l’entreprise publique Rosneft; cet épisode s’est produit lorsque M. Khodorkovski et Ioukos ont commencé à représenter une menace pour le pouvoir, que ce soit en finançant des groupes de l’opposition ou en menaçant la position dominante sur le marché du gaz de Gazprom et de son réseau de gazoducs par le lancement de projets de coopération avec des partenaires étrangers pour la commercialisation du gaz naturel liquéfié (GNL). La Cour européenne des droits de l’homme a conclu à plusieurs violations de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’affaire introduite par M. Khodorkovski, mais n’a pas estimé que son arrestation et sa détention étaient motivées par des considérations politiques; une autre affaire relative au deuxième procès de M. Khodorkovski est toujours pendante devant la Cour 
			(72) 
			Doc. 11993, op. cit..
54. Sergueï Magnitski a été placé en détention provisoire et a été victime de mauvais traitements dans le but d’obtenir de lui qu’il revienne sur son témoignage contre des agents corrompus et accuse à l’inverse son propre client, William Browder. Comme il refusait, il n’a pas bénéficié de soins médicaux pourtant vitaux et est mort dans des circonstances suspectes pendant sa détention. Ce n’est que tout récemment que cette affaire a été présentée en détail dans un rapport de notre collègue Andreas Gross, qui a conduit l’Assemblée à recommander la prise de sanctions ciblées contre les agents impliqués dans cette affaire 
			(73) 
			Doc. 13356 et Addendum (note 22)..
55. «L’affaire Bolotnaïa», qui fait suite à la «Marche des millions» en direction de la place Bolotnaïa à Moscou le 6 mai 2012, la veille du retour controversé au pouvoir du Président Poutine, concerne un grand nombre de détentions provisoires prolongées dont la justification semble particulièrement douteuse 
			(74) 
			<a href='https://www.amnesty.org/en/articles/news/2014/02/russia-guilty-verdict-bolotnaya-case-injustice-its-most-obvious/'>Amnesty
International, «Russia: Guilty verdict in Bolotnaya case – injustice
at its most obvious»,</a> 21 février 2014; <a href='http://mm.hrw.org/content/russias-protestors-trial-what-you-need-know-about-bolotnaya-case'>Human
Rights Watch, «Russia's Protestors on Trial: What You Need to Know
About the Bolotnaya Case</a>«, 18 décembre 2013.. Les arrestations paraissent avoir eu pour but d’intimider les militants de l’opposition et de les dissuader d’entreprendre toute manifestation de masse à l’avenir. Plus de 200 enquêteurs auraient travaillé sur cette affaire. Vingt-sept manifestants pacifiques, dont certains avaient tenté de se protéger ou de protéger d’autres personnes contre les violences policières, ont été apparemment arrêtés de façon plus ou moins aléatoire et placés en détention provisoire, parfois pendant près de deux ans. La procédure engagée à leur encontre a été qualifiée de «terrible injustice» et de «mise en scène» 
			(75) 
			Radio Free Europe/Radio
Liberty, 6 mai 2014, «<a href='http://www.rferl.org/content/russia-bolotnaya-case-public-eye/25375291.html'>Two
Years On, Russian Activists Battle To Keep “Bolotnaya” Case In Public
Eye</a>». .
56. Outre ces exemples, qui ont eu un grand retentissement, d’autres affaires moins connues de recours abusif à la détention provisoire ont été portées à mon attention par les avocats et les ONG.
57. M. Sergey Mokhnatkin, militant bien connu des droits de l’homme, avait assuré dans l’affaire Bolotnaïa précitée la défense de M. Sergey Krivov, qui avait été placé en détention provisoire (comme de nombreux autres participants à la manifestation de masse pacifique organisée place Bolotnaïa) pendant plusieurs mois malgré son état de santé critique. Le 31 décembre 2013, M. Mokhnatin a été arrêté à son tour au cours d’un rassemblement de protestation («Stratégie 31»), après avoir appelé les forces de police à s’abstenir de recourir de manière excessive à la force. Il a finalement été battu par les fonctionnaires de police (les photos des coups qui lui ont été portés sont disponibles publiquement), qui n’ont pas été poursuivis, alors qu’il a lui-même fait l’objet de poursuites pénales et d’un placement en détention provisoire jusqu’à son transfert au Centre scientifique d’Etat de psychiatrie sociale et médico-légale de Serbsky (Moscou). Son internement à Serbsky a été prolongé au-delà de la période de détention ordonnée par le tribunal et il a uniquement été autorisé à quitter l’établissement psychiatrique le 8 octobre 2014, après avoir introduit une requête d’urgence devant la Cour européenne des droits de l’homme. En novembre 2014, il a été condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement 
			(76) 
			Voir la <a href='http://www.themoscowtimes.com/news/article/russian-opposition-activist-placed-on-wanted-list-after-ditching-court-sentencing-the-moscow-times-o/513092.htmll'>description
de l’affaire</a> dans le Moscow Times du
10 décembre 2014 et dans le <a href='http://www.themoscowtimes.com/article.php?id=508699'>Moscow
Times </a>du 9 octobre 2014..
58. M. Gleb Fetisov, milliardaire, ancien membre du Conseil de la Fédération de Russie (Sénat) et dirigeant du Parti Vert, a été arrêté en février 2014 pour détournement de fonds, un chef d’accusation qualifié de «motivé par des considérations politiques» par ses partisans. Sa détention provisoire a été prolongée dernièrement jusqu’en août 2015. Selon son avocat, au cours de la dernière audience consacrée à la prolongation de sa détention, le procureur a lui-même déclaré qu’une autre mesure de contrainte pouvait suffire, mais le juge en a décidé autrement. M. Fetisov se plaint également des conditions de détention particulièrement dures auxquelles il est exposé en dépit de ses problèmes de santé 
			(77) 
			«<a href='http://rapsinews.com/judicial_news/20150522/273776841.html'>Russian
billionaire Gleb Fetisov turns to ECHR over detention conditions</a>», RAPSI news,
22 mai 2015, et Moscow Times,
21 mai 2015, «<a href='http://www.themoscowtimes.com/news/article/imprisoned-russian-tycoon-appeals-to-european-court-of-human-rights-over-treatment/522003.html'>Imprisoned
Russian Tycoon Appeals to European Court of Human Rights Over Treatment</a>». .
59. Dans son rapport sur la situation des droits de l’homme 2014/2015 
			(78) 
			<a href='http://www.amnesty.eu/content/assets/Annual_Report/Annual_Report_-_English_-_AIR1415.pdf'>www.amnesty.eu/content/assets/Annual_Report/Annual_Report_-_English_-_AIR1415.pdf</a> (p. 308)., Amnesty International observe que des cas répétés de torture et d’autres mauvais traitements subis par les personnes détenues dans la colonie pénitentiaire et le centre de détention provisoire IK-5 de la région de Sverdlovsk ont été signalés par un organisme public de contrôle russe. Malgré l’existence de preuves photographiques des lésions présentées par un détenu (M. E.G.) à la suite d’actes de tortures allégués, les services du procureur ont classé l’affaire et ont conclu, après avoir interrogé le personnel de l’IK-5 et consulté les documents détenus par l’administration pénitentiaire, que ces lésions étaient antérieures au transfert de l’intéressé au centre de détention provisoire.

4.2. Turquie

60. En 2013, le taux de population carcérale générale se situait à hauteur de 180 pour 100 000 habitants 
			(79) 
			Voir SPACE I 2013, op. cit., p. 42., soit à peu près moitié moins qu’en Russie. Mais il a connu pendant longtemps une tendance contraire, puisque la population carcérale turque a augmenté de 78,9 % entre 2004 et 2013 
			(80) 
			Voir la World Pre-Trial/Remand
Imprisonment List de l’ICPS (deuxième édition), op. cit., p. 5.. Cela vaut malheureusement aussi pour le nombre de détenus, qui est passé de 44 pour 100 000 habitants en 2000 à 77 pour 100 000 en 2010 (+ 75 %). Cette tendance négative très marquée s’est atténuée en 2013, où le taux de détention provisoire est passé à 64, ce qui représente encore 45 % d’augmentation par rapport à 2000. Les autres chiffres inquiétants sont ceux de la durée de la détention provisoire, qui se situait à hauteur de 16,6 mois en 2013 
			(81) 
			Voir SPACE I 2013, op. cit., p. 64., et de la proportion de personnes en détention provisoire dans l’ensemble de la population carcérale, qui était la même année d’environ 40 % 
			(82) 
			Selon la World Pre-Trial/Remand
Imprisonment List de l’ICPS (deuxième édition), op. cit., p. 5 (qui comporte toutes les
personnes qui n'ont pas encore été condamnées par une décision de
justice exécutoire). (23 % de l’ensemble des détenus n’avaient même pas encore été condamnés en première instance 
			(83) 
			Selon le Plan d'action
du 9 avril 2013 sur l'exécution des arrêts de la Cour européenne
des droits de l'homme au titre du groupe d'affaires Demirel (obtenu
à Ankara), tableau 1 (p. 9); d'après les statistiques les plus récentes
communiquées par le ministère de la Justice à Ankara (du 9 juin
2014), cette tendance à la baisse s'est accélérée entre 2013 et
2014. La proportion de personnes détenues non encore condamnées
en première instance est passée à 13,5 %, ce qui place la Turquie
parmi les pays qui présentent la plus faible proportion de détenus
de l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe. ), soit autant de personnes présumées innocentes.
61. Mes interlocuteurs officiels à Ankara étaient en général conscients de ces chiffres et de leur importance. Ils ont souligné la tendance positive qui s’est installée ces dernières années, notamment pour ce qui est de la proportion des personnes non encore condamnées au sein de la population carcérale totale, qui est passée de près de 50 % en 2006 à 23 % en 2012 
			(84) 
			Voir le Plan d'action, ibid., tableau 2 (p. 9). et 13,5 % en 2014. Selon ces statistiques, la Turquie se classerait parmi les pays qui comptent la plus faible proportion de détenus dans l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe, avant l’Espagne (14,1 %) et l’Allemagne (16,7 %), par exemple 
			(85) 
			Mais les données communiquées
par le ministère de la Justice n'indiquent pas clairement si les
chiffres des autres Etats membres englobent également les détenus
qui attendent l'issue de leur procédure d'appel; les chiffres de
la Turquie excluent cette catégorie, comme permet de le déduire
le fait que le ministère de la Justice mentionne également le chiffre de
23 % pour l'année 2012, cité par le Plan d'action (qui prend uniquement
en compte les personnes non encore condamnées en première instance).
Les chiffres donnés par le ministère de la Justice pour les autres
pays sont très proches de ceux qu'indique pour ces mêmes pays la
World Pre-Trial/Remand Imprisonment List de l’ICPS, qui englobe expressément
la catégorie des personnes détenues en attente de l'issue de leur
procédure d'appel (soit, pour la Turquie, 40,1 % en 2013). Les chiffres
indiqués par le ministère de la Justice pour les autres pays ne
sont donc pas directement comparables..
62. Les hauts responsables d’Ankara ont également mis en avant les réformes législatives déjà adoptées ou en cours d’adoption, qui devraient entraîner de nouvelles améliorations. Elles s’inscrivent dans le cadre d’un «Plan d’action» pour l’exécution des 176 arrêts du «groupe Demirel», dans lesquels la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à des violations de la Convention liées à la détention provisoire 
			(86) 
			L'affaire
de référence est l'affaire Demirel c.
Turquie, Requête no 39324/98,
arrêt du 28 janvier 2003.. Dans ces arrêts, la Cour a constaté des violations du droit à la liberté et à la sécurité (article 5 de la Convention) dues notamment à l’absence de motifs pertinents et suffisants de détention, à l’absence de recours à des mesures de substitution, à la durée excessive de la détention provisoire et à l’absence de voies de recours. Parmi les mesures générales prévues dans le Plan d’action figurent l’amélioration de la protection des jeunes détenus, des dispositions légales plus précises sur les motifs de détention provisoire et une diminution de la période maximale de détention provisoire, qui passe de 10 ans à cinq ans. Comme le montrent les statistiques, ces mesures ont rencontré un certain succès. C’est également ce qu’a reconnu le Comité des Ministres, qui s’est «félicit[é] des récents efforts faits par les autorités turques, notamment dans le contexte des “troisième et quatrième paquets de réforme” en vue de mettre la législation et la pratique turques en conformité avec les exigences de la Convention [et a noté] avec satisfaction les informations statistiques montrant une baisse significative des durées de détention provisoire ainsi qu’un recours accru aux mesures préventives en tant qu’alternative à la détention» 
			(87) 
			1172e réunion
(DH) (4-6 juin 2013)..
63. Après l’entrée en vigueur d’une réforme pertinente en 2012, le nombre de personnes auxquelles des mesures de substitution sous forme de contrôle judiciaire ont été appliquées a augmenté de 95 % entre le premier et le second semestre 2012, d’après les statistiques qui m’ont été communiquées à Ankara. Mais leur nombre reste faible par rapport à celui des détentions ordonnées.
64. Les responsables avec lesquels je me suis entretenu à Ankara m’ont également indiqué qu’une nouvelle loi de réforme était en préparation pour adoption par le parlement, qui imposera l’existence de «véritables éléments de preuve» pour qu’une détention provisoire puisse être ordonnée. Je dois reconnaître que j’ai été surpris que cela ne soit pas déjà le cas. Les avocats de la défense et les universitaires que j’ai rencontrés m’ont appris qu’il était fréquent que des preuves soient fabriquées de toutes pièces par les autorités. Ils m’ont cité l’exemple d’une journaliste sur l’ordinateur de laquelle un courrier électronique non protégé avait été découvert; elle prenait paraît-il des dispositions pour poser une bombe. Mais le rapport récemment consacré par Pieter Omtzigt aux «Opérations de surveillance massive» 
			(88) 
			Doc. 13734. nous a démontré à quel point il était facile de pirater un ordinateur et d’y installer des documents compromettants. Lorsque j’ai soulevé la question de l’éventuelle manipulation de ces éléments de preuve électroniques auprès des services du procureur général, ceux-ci m’ont indiqué que la Turquie disposait d’une autorité publique qui vérifiait de façon indépendante les recours concernés.
65. Une autre réforme récente, la mise en place en 2014 des «tribunaux pénaux de paix», a été critiquée pour ses effets négatifs sur la détention provisoire. Ces nouvelles juridictions, qui seraient composés de juges choisis pour leur proximité avec le parti au pouvoir, ont été accusées d’être des instruments destinés à satisfaire les souhaits du gouvernement, qui autorisaient l’arrestation de journalistes, de militants, voire de fonctionnaires de police dont les opinions étaient contraires à celles du pouvoir. D’après certaines informations, des opérations ont bel et bien été menées contre des fonctionnaires de police et des journalistes avec la participation des tribunaux pénaux de paix. Des voix jouissant d’une grande crédibilité, comme celle de l’ancien président de la Cour constitutionnelle turque, Haşim Kılıç, ont exprimé des craintes au sujet de l’indépendance de la magistrature, compte tenu des pressions subies par les juges 
			(89) 
			«<a href='http://www.todayszaman.com/national_former-head-of-aym-says-criminal-courts-of-peace-are-illegal_375205.html'>Former
head of AYM says criminal courts of peace are illegal</a>», Today’s Zaman,
13 mars 2015..
66. Un certain nombre d’affaires récentes m’ont paru inquiétantes; c’est par exemple le cas de celles de jeunes militants, dont deux lycéens de Konya de 16 et 17 ans et de plusieurs autres dans différentes régions de Turquie, qui ont été placés en détention provisoire pour «outrage au Président» 
			(90) 
			Human
Rights Watch, «<a href='http://www.hrw.org/pt/node/134652'>Turkey: End prosecutions
for insulting the President</a>», qui mentionne toute une série d'affaires similaires;
et <a href='http://www.amnestyinternational.be/doc/actions-en-cours/les-actions-urgentes/article/action-urgente-turquie-le-militant'>www.amnestyinternational.be/doc/actions-en-cours/les-actions-urgentes/article/action-urgente-turquie-le-militant.</a>. Le fait de placer en détention provisoire pendant plusieurs semaines de jeunes militants qui ont scandé des slogans lors de manifestations ou se sont épanchés sur les réseaux sociaux équivaut bel et bien à une sanction sommaire destinée à servir d’exemple pour intimider les autres militants. La détention provisoire n’a pas vocation à servir de tels desseins.
67. L’autre série d’affaires préoccupantes concerne les manifestations organisées à propos du parc Gezi durant l’été 2013. Le 1er août 2013, à Ankara, 35 personnes accusées d’avoir organisé ces manifestations ont été arrêtées et placées en détention provisoire; six d’entre elles sont restées en détention au-delà de la fin du mois. Elles étaient accusées de graves infractions, notamment d’être membres d’une organisation illégale et de tentative de renversement du gouvernement par la force. Fin août, les procédures ont été déclarées secrètes, si bien que les avocats de la défense n’ont pas eu accès au dossier. Une répression identique s’est abattue sur Istanbul, Izmir et Antakya. A Istanbul, la police a détenu 48 membres de «Taksim Solidarity» 
			(91) 
			Une plate-forme qui
représente 150 partis politiques, ONG et organismes professionnels;
elle a été la première à organiser l'opposition au réaménagement
du parc Gezi., dont Ali Çerkezoğlu, secrétaire général de l’Association médicale d’Istanbul, et Mücella Yapıcı, secrétaire générale de la Chambre des architectes et ingénieurs. J’aimerais souligner que les demandes de placement en détention provisoire d’Ali Çerkezoğlu, de Mücella Yapıcı et de 10 autres personnes ont été rejetées par le tribunal 
			(92) 
			Amnesty International,
2 octobre 2013 «<a href='https://www.amnesty.org/en/documents/EUR44/022/2013/en/'>Turkey:
Gezi Park protests: Brutal denial of the right to peaceful assembly
in Turkey</a>» (p. 40-44).. Les poursuites ont eu des issues diverses: certains tribunaux ont prononcé l’acquittement de manifestants qui avaient simplement fait usage de leur droit à la liberté d’expression, tandis que d’autres ont condamné des manifestants sur la foi d’éléments de preuve extrêmement controversés 
			(93) 
			<a href='http://www.hurriyetdailynews.com/i-will-commit-the-same-crime-every-day-says-teen-sentenced-for-joining-gezi-protests.aspx?pageID=238&nID=76132&NewsCatID=339'>www.hurriyetdailynews.com/i-will-commit-the-same-crime-every-day-says-teen-sentenced-for-joining-gezi-protests.aspx?pageID=238&nID=76132&NewsCatID=339</a>; mon collègue Antti Kaikkonen élabore en ce moment un rapport
spécial sur les violences policières contre les manifestants pacifiques..
68. Le fait le plus inquiétant est aussi le plus récent; il s’agit de la révocation, le 12 mai 2015 par le Conseil supérieur de la magistrature (HSYK), de juges et procureurs qui avaient pris part en décembre 2013 à une enquête anticorruption dans laquelle des personnes proches des membres du gouvernement étaient impliquées. Cette décision survient peu de temps après la suspension par le HSYK et l’arrestation de deux juges qui avaient refusé de prolonger la détention provisoire d’un journaliste et d’un certain nombre de fonctionnaires de police, le premier ayant couvert les enquêtes de lutte contre la corruption et les seconds y ayant pris part. De nombreux professionnels du droit, ainsi qu’un ancien ministre de la Justice, auraient vivement critiqué ces décisions, considérées comme des sanctions infligées à des juges et à des procureurs pour leurs décisions judiciaires et comme l’expression de l’influence du pouvoir politique sur le HSYK 
			(94) 
			«<a href='http://www.todayszaman.com/national_hsyk-disbars-graft-probe-judge-prosecutors-from-profession_380471.html'>HSYK
disbars graft probe judge, prosecutors from profession</a>», Today’s Zaman,
12 mai 2015; comme l'indique cet article, le professeur Ergun Özbudun,
expert en droit constitutionnel, a qualifié la décision du HSYK
de «fin de la magistrature». L'ancien ministre de la Justice, Hikmet
Sami Türk, aurait commenté cette décision de la manière suivante: «L'éviction
de leurs fonctions des procureurs et des juges est un coup très
dur porté à l'indépendance de la justice et aux principes de l'Etat
de droit. Cette situation est inadmissible.» . Lorsque les juges risquent de perdre leur emploi pour avoir refusé une détention provisoire, il s’agit d’un message dissuasif adressé à tous leurs collègues qui s’efforcent de mettre en œuvre les normes européennes dans ce domaine.

4.3. Géorgie

69. Ma troisième et dernière visite d’étude m’a conduit en Géorgie, où j’ai rencontré des parlementaires de premier plan qui représentent les partis du gouvernement et de l’opposition, la ministre de la Justice, le Procureur général, le médiateur, ainsi que les représentants des ONG locales pertinentes (dont l’Association géorgienne des jeunes avocats et l’antenne géorgienne de Transparency International) et, enfin et surtout, un certain nombre d’avocats qui représentent des détenus. J’ai également rencontré en prison des détenus très médiatisés, à savoir M. Ivane Merabishvili, ancien Premier ministre, M. Giorgi Ugulava, ancien maire de Tbilissi, et M. Bachana Akhalaia, ancien ministre de la Défense, ancien ministre de l’Intérieur et ancien directeur du Service pénitentiaire du ministère de la Justice.
70. La Géorgie affichait un taux d’emprisonnement extrêmement élevé (y compris en matière de détention provisoire) sous le gouvernement dirigé par le Mouvement national uni (MNU) jusqu’aux élections d’octobre 2012 
			(95) 
			La population carcérale
totale en 2013 (SPACE I 2013, Faits et Chiffres, tableau 1, p. 8)
se situait à hauteur de 198 pour 100 000 habitants, ce qui place
toujours la Géorgie dans la catégorie des pays dont le nombre de
détenus en Europe est le plus élevé. La population carcérale a cependant
diminué de 61,6 % de 2012 à 2013 (SPACE I, p. 64).. En 2014, le taux de détention provisoire en Géorgie se situait à hauteur de 40 pour 100 000 habitants, contre 28 en 2013, mais 61 en 2010 et jusqu’à 117 en 2005 
			(96) 
			Source: ICPS World
Pre-trial/remand imprisonment list, op.
cit. p. 5, et SPACE I, tableau 5.1 (2013).. Mes interlocuteurs du MNU m’ont affirmé que ce taux de détention élevé était la conséquence inévitable d’une répression indispensable de la criminalité, et notamment de la criminalité organisée. Ils ont reconnu que cette politique avait eu des effets secondaires involontaires, comme une surpopulation carcérale et de dures conditions de détention. Ils avaient prévu d’assouplir leur politique de «tolérance zéro» en temps utile, une fois qu’elle aurait produit l’effet escompté, c’est-à-dire protéger davantage la Géorgie contre la criminalité.
71. Les représentants du pouvoir actuel, dirigé par la coalition «Rêve géorgien», ont vivement critiqué leurs prédécesseurs et ont souligné l’amélioration marquée des statistiques en matière de détention depuis le changement de gouvernement survenu à l’issue des élections d’octobre 2012. Ils m’ont expliqué que la nouvelle tendance à la hausse des détentions constatée en 2014 pouvait s’expliquer par le fait qu’après la loi d’amnistie de 2012 un certains nombres de détenus libérés avaient récidivé, en commettant notamment des infractions liées à la drogue, ce qui avait entraîné leur placement en détention provisoire dans le but de prévenir de nouvelles infractions. Surtout, les tribunaux étaient nettement plus enclins à rejeter les demandes de détention provisoire déposées par le ministère public. Selon les autorités géorgiennes, les tribunaux répondaient favorablement à 99,5 % des demandes de détention provisoire du ministère public en 2010, et même jusqu’à 99,9 % en 2011. Ce chiffre est passé à 78,6 % en 2013 et 66,5 % en 2014. J’ai tendance à penser, comme la ministre de la Justice et les représentants du Conseil supérieur de la magistrature, que ces chiffres témoignent de l’attitude plus indépendante adoptée par les tribunaux à l’égard des demandes du ministère public. Ils reflètent également un net progrès dans les remèdes apportés au recours excessif à la détention provisoire en général et, d’après les conversations que j’ai eues avec les acteurs concernés, j’ai l’impression que ceux-ci sont généralement conscients qu’il est souhaitable de diminuer encore le nombre et la durée des détentions provisoires 
			(97) 
			Note
du secrétariat, ajoutée sur instruction du rapporteur: le 8 juillet
2015, le Parlement géorgien a adopté un amendement au Code de procédure
pénale, qui oblige les tribunaux à réévaluer automatiquement la
validité des motifs de détention provisoire tous les deux mois.
Le rapporteur se félicite de cette réforme, qui devrait contribuer
à réduire la durée de la détention provisoire en Géorgie..
72. Parallèlement, il existe un nombre surprenant d’exemples individuels de recours sélectif et probablement abusif à la détention provisoire à l’encontre d’opposants politiques, qui montrent que les autorités nouvelles ne semblent pas avoir résisté à la tentation de faire usage des mécanismes répressifs en vigueur pour harceler et affaiblir l’opposition. Le fait est qu’un grand nombre d’anciens hauts responsables font l’objet, soit d’une détention provisoire, soit d’un mandat d’arrêt, à commencer par l’ancien Président Mikheil Saakashvili, l’ancien Premier ministre Ivane Merabishvili, l’ancien ministre de la Justice Zurab Adeishvili, l’ancien maire de Tbilissi et ancien directeur de campagne du MNU Giorgi Ugulava, l’ancien ministre de la Défense Davit Kezerashvili, l’ancien ministre de la Santé, du Travail et des Affaires sociales Zurab Tchiaberashvili, l’ancien ministre de la Défense et de l’Intérieur Bachana Akhalaia, ainsi que son frère David Akhalaia, ancien chef du Service constitutionnel du ministère de l’Intérieur. En avril 2015, j’ai reçu communication d’une liste de 24 anciens hauts fonctionnaires qui ont été poursuivis par le nouveau pouvoir en place.
73. Lors de ma visite dans le pays, j’ai été frappé par les profondes divisions qui règnent entre les partisans de l’actuel gouvernement et leurs prédécesseurs. Les services du Procureur général m’ont fait voir, dans leurs locaux, des séquences vidéo choquantes de cas de mauvais traitements infligés en prison, qui auraient été filmées par des donneurs d’alerte, et des images d’homicides commis pendant des opérations menées par les forces spéciales de police, dont on m’a affirmé que les représentants de l’ancien gouvernement, dont M. Bachana Akhalaia (ancien ministre de la Défense, ancien ministre de l’Intérieur et ancien directeur du Service pénitentiaire du ministère de la Justice), étaient directement responsables. Lorsque j’ai évoqué ces vidéos avec les représentants du MNU, ils m’ont indiqué que la séquence sur les mauvais traitements en prison, qui avait été diffusée à la télévision et était même à présent montrée aux élèves, avait d’ailleurs fortement contribué à la défaite électorale du MNU. Cette vidéo avait été rendue publique au plus fort de la campagne électorale, plusieurs mois après avoir été tournée. Selon eux, même s’il ne fait aucun doute que les détenus subissent des mauvais traitements, notamment en raison d’une surpopulation carcérale provisoire, cette pratique n’a jamais été l’expression d’une politique voulue par le gouvernement. La date de publication de cette vidéo (dont l’authenticité n’est pas mise en doute) et le fait que les gardiens aient été condamnés à de légères sanctions après le changement de gouvernement laissent supposer que ce scandaleux incident a été «orchestré» par des partisans de Rêve géorgien. Quant aux homicides survenus au cours d’une opération spéciale, ils étaient le résultat d’une fusillade avec des membres violents de la criminalité organisée. L’arrestation tardive, neuf ans après les faits, de hauts fonctionnaires de la police, dont M. Irakli Pirtskhalava (que j’ai rencontré en maison d’arrêt), représente selon le détenu la contrepartie politique promise par le grand ordonnateur du mouvement Rêve géorgien, M. Ivanishvili, en échange de l’aide que lui avait apportée, pour réunir les signatures dont il avait besoin pour obtenir la nationalité géorgienne, un personnage important de la criminalité organisée, dont le fils avait été tué au cours d’une opération policière. Ce chef de la pègre avait lui-même été tué dans une explosion survenue à côté de la sépulture de son fils 
			(98) 
			J’ai également reçu
des informations encore plus détaillées sur les circonstances des
infractions qui auraient été commises par les anciens membres du
gouvernement dans un «document de fond» de 19 pages daté du 2 juin
2015 préparé par Mme Eka Beselia, présidente de la Commission des
droits de l’homme et de l’intégration civique du Parlement géorgien,
dont une copie m'a été transmise en avance par le secrétariat de
la délégation géorgienne début mai. Lorsque j'ai rencontré à Tbilissi
les avocats des personnes qui font l'objet de ces accusations, ils
m'ont donné leur version des faits et des informations détaillées
sur les affaires concernées, complétée par une communication écrite
par la suite. Les deux parties m'ont également expliqué pourquoi
ces détentions provisoires se justifiaient ou non à la lumière des
circonstances des affaires en question. .
74. J’ai clairement indiqué aux deux parties qu’il n’entrait pas dans mes attributions de prendre position en faveur de l’une ou l’autre sur la culpabilité ou l’innocence des détenus que j’ai rencontrés, ou de toute autre personne. Il m’appartient encore moins de prendre la défense de mes collègues politiques du MNU, ce que la ministre de la Justice, Tea Tsulukiani, m’a pourtant reproché de faire dès le début de notre rencontre au ministère. Mon rôle se limite à recueillir des informations et à formuler des observations sur la manière dont la détention provisoire est appliquée dans les Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme en général, et dans trois pays choisis sur la base de critères objectifs pour que j’y effectue des visites d’étude en particulier; cette démarche s’effectue sur la base des normes énoncées par la Convention européenne des droits de l’homme, selon l’interprétation retenue par la Cour européenne des droits de l’homme.
75. A cet égard, j’ai d’ailleurs eu connaissance de faits inquiétants, notamment la participation de hauts représentants des autorités actuelles à une violente campagne publique lancée contre leurs prédécesseurs avant l’arrestation de ces derniers et qui semble porter atteinte à la présomption d’innocence. La ministre de la Justice a notamment déclaré publiquement que son objectif était la destruction du MNU 
			(99) 
			<a href='http://www.tabula.ge/en/story/75721-head-of-isfed-tsulukianis-comment-about-destroying-unm-unacceptable'>«Head
of ISFED: Tsulukiani’s comment about destroying UNM unacceptable»
– www.tabula.ge/en/story/75721-head-of-isfed-tsulukianis-comment-about-destroying-unm-unacceptable</a>. et a qualifié, avec d’autres personnalités majeures de Rêve géorgien, des membres en vue de l’opposition de «criminels et coupables» 
			(100) 
			<a href='http://foreignpolicy.com/2012/11/30/georgian-foreign-minister-saakashvili-officials-are-criminals-and-guilty/'>http://foreignpolicy.com/2012/11/30/georgian-foreign-minister-saakashvili-officials-are-criminals-and-guilty/</a>., voire de «monstres», avant même qu’ils ne soient placés en détention, sans parler de leur condamnation. Les représentants du MNU ont souligné l’existence d’une tendance récurrente, qui consiste à accuser publiquement d’anciens responsables de violations abjectes des droits de l’homme, puis de procéder à leur arrestation de façon extrêmement médiatisée et enfin de les acquitter ou de les condamner pour d’autres infractions moins graves de façon nettement plus discrète 
			(101) 
			Par exemple pour abus
d'autorité ou de fonction, une infraction pénale au champ d'application
étendu en vigueur dans un certain nombre d'Etats postsoviétiques,
que l'Assemblée avait déjà critiquée, car elle est propice à un
usage abusif motivé par des considérations politiques, voir Doc. 13214, «Séparer la responsabilité politique de la responsabilité pénale»
(rapporteur: M. Pieter Omtzigt, Pays-Bas, PPE/DC), notamment l’étude
du cas de l’ancien ministre ukrainien de l’Intérieur, M. Youri Loutsenko
(p. 18-20)., dans l’espoir que les intéressés en restent éclaboussés et que le MNU tout entier ne s’en relève pas. J’ai également eu connaissance d’exemples précis de pressions exercées sur les juges qui refusaient d’ordonner un placement en détention provisoire et de la recherche par les autorités des tribunaux les plus favorables, afin de garantir que les demandes de détention provisoire à l’encontre d’anciens hauts responsables soient tranchées par des juges que le ministère public estime mieux disposés à l’égard du pouvoir.
76. Je ne prétends pas que tous les anciens dirigeants du MNU soient innocents et je ne suis certainement pas favorable à l’impunité des responsables politiques qui ont commis des actes répréhensibles dans l’exercice de leurs fonctions. Mais il me paraît difficile d’imaginer que la quasi-totalité de l’ancien Gouvernement géorgien ait été composée de criminels. De fait, les demandes d’extradition adressées par la Géorgie au sujet de certaines des personnes précitées ont été rejetées par les autorités judiciaires en Ukraine (M. Saakashvili), en France (M. Kezerashvili) et en Grèce (M. Davit Akhalaia), qui les ont jugées motivées par des considérations politiques.
77. Lorsque j’ai rencontré MM. Ugulava, Merabishvili et B. Akhalaia sur leur lieu de détention, j’ai également constaté qu’ils avaient été maintenus en détention provisoire pendant une période inhabituellement longue. La détention de M. Ugulava, en particulier, a été prolongée au-delà de la limite légale de neuf mois immédiatement après ma visite à Tbilissi. Des ONG géorgiennes m’ont rendu attentif au fait que la durée maximale légale était fréquemment contournée dans les affaires «politiques» par la pratique des «accusations en série» utilisée par les procureurs; elle consiste à lancer une procédure après l’autre à l’encontre de la même personne, ce qui permet à chaque fois le démarrage d’un nouveau délai de neuf mois. J’ai également observé que ces trois hommes étaient maintenus à l’isolement de manière inhabituelle, puisqu’ils n’ont pas même de contact avec leur famille. M. Ugulava s’est plaint du fait que les autorités refusent qu’il rencontre sa femme et ses enfants (âgés de cinq à 13 ans) «dans l’intérêt de l’enquête». Il n’a été autorisé à téléphoner pour la première fois à sa famille qu’au mois de janvier, soit après six mois et demi passés en maison d’arrêt, alors que la législation autorise trois communications téléphoniques de 15 minutes chacune par mois. M. Akhalaia a passé deux ans en détention provisoire. Aucune visite ni aucun appel téléphonique ne lui ont été autorisés pendant toute la durée de sa détention provisoire et il n’a pas même eu l’autorisation de voir sa fille née peu de temps après son arrestation. Lorsque j’ai soulevé ces questions auprès du Procureur général, il ne se souvenait pas d’avoir refusé la moindre demande de visite de la famille de ces personnes, mais m’a promis d’examiner ces dossiers. Les informations qui m’ont été communiquées par les autorités après ma visite sont cependant incomplètes et peu concluantes 
			(102) 
			Dans la note précitée
qui m'a été transmise début mai 2015 (note 99 ci-dessus), les seules
informations sur l'isolement des détenus concernaient M. Merabishvili
et mentionnaient ce qui suit: «Des demandes de visite au profit d’Ivane
Merabishvili en maison d'arrêt ont été déposées dans le cadre de
diverses procédures pénales. Dans le cadre de l'affaire examinée
par les services du procureur régional de Géorgie occidentale, les
membres de la famille et les proches parents ont déposé 11 demandes
de visite. Ces demandes n'ont fait l'objet d'aucune restriction
(conjoint, membre de la famille, parents, etc.). Dans le cadre de
la procédure examinée par les services du Procureur général de Géorgie,
les membres de la famille et les proches parents de l'intéressé
ont déposé huit demandes de visite et ont fait usage de leur droit
de visite à cinq reprises.» Je n'ai trouvé aucune information sur
des visites effectuées par la famille de MM. Ugulava et Akhalaia,
qui se sont tout particulièrement plaint de leur isolement..
78. Le «Rapport d’observation des procès en Géorgie» (Trial Monitoring Report Georgia) du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) publié le 9 décembre 2014 
			(103) 
			<a href='http://www.osce.org/odihr/130676?download=true'>www.osce.org/odihr/130676?download=true</a> (ci-après: rapport OSCE/BIDDH). formule également un certain nombre de critiques à l’égard des procès des principales personnalités de l’opposition dont il a assuré le suivi, notamment la violation de la présomption d’innocence, les doutes à propos de l’impartialité et de l’indépendance des services du procureur 
			(104) 
			Rapport OSCE/BIDDH, ibid., p. 49-55; voir notamment
les pages 53 et 54, qui évoquent les déclarations publiques du ministre
de l'Intérieur de l'époque, M. Gharibashvili, à propos du cas de
M. Merabishvili, et la page 34, qui fait état de la déclaration
du Premier ministre d'alors, M. Khukhasvili, sur les cas de Bachana
Akhalaia et Mikheil Saakasvhili et de la vice-présidente du Parlement,
Manana Kobakhidze, sur le cas de M. Saakashvili. et le non-respect des normes internationales prévues pour ordonner et prolonger une détention provisoire envisagée comme une mesure de contrainte 
			(105) 
			Rapport
OSCE/BIDDH, ibid., p. 61-66
(notamment l'absence de motifs et l'absence d'appréciation des éléments
de preuve sur les circonstances d'une affaire, ainsi que la prolongation
quasi automatique de la détention provisoire jusqu'à la durée maximale
légale de neuf mois)..
79. Dans ces conditions, je ne peux m’empêcher d’avoir le sentiment que la détention des hauts responsables de l’ancien gouvernement s’inscrit dans le cadre d’une campagne agressive menée par les autorités actuelles contre leurs prédécesseurs. La diabolisation des concurrents politiques que j’ai constatée de part et d’autre de la scène politique en Géorgie n’est pas saine dans une démocratie. La politisation omniprésente du pouvoir judiciaire n’est d’ailleurs pas plus saine pour l’Etat de droit. Cette politisation n’a bien entendu pas débuté avec le changement de pouvoir en 2012, mais les nouvelles autorités n’y ont pas mis un terme. Le pouvoir de placer en détention les personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction ne doit en aucun cas être utilisé ou paraître utilisé au profit d’un règlement de comptes politique 
			(106) 
			Voir
la déclaration publique du 20 février 2015, faite à la suite de
la visite en Géorgie: «Rapporteur en Géorgie: la détention ne doit
pas être utilisée à des fins de règlement de comptes politique»: <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5439&lang=1&cat=5'>www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5439&lang=1&cat=5</a>..

5. Conclusion

80. Comme nous l’avons vu, le recours abusif à la détention provisoire – c’est-à-dire son application trop fréquente, trop longue et, surtout, pour des motifs erronés – continue à prévaloir dans de nombreux Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme. Les statistiques révèlent que le problème de l’usage excessif de la détention provisoire ne se limite pas aux «nouvelles» démocraties, mais touche également certains Etats dont les systèmes judiciaires fondés sur l’Etat de droit sont pourtant bien établis. La lutte contre le recours abusif à la détention provisoire concerne donc, en principe, tous les Etats Parties à la Convention. Le projet de résolution et le projet de recommandation qui précèdent le présent rapport comportent par conséquent un certain nombre de constats et de recommandations adressés à l’ensemble de nos Etats membres. Ils visent à mettre en avant des moyens et des voies d’amélioration de cette pratique dans l’ensemble de l’espace du Conseil de l’Europe, en tirant des enseignements des exemples réussis, comme celui de la Pologne, afin d’obtenir une diminution du nombre et de la durée des détentions provisoires dans l’intérêt des détenus et de la société tout entière.
81. Outre la question du recours excessif à la détention provisoire, qui concerne la plupart, pour ne pas dire la totalité des Etats Parties à la Convention, j’ai également eu connaissance de cas de recours abusif à la détention provisoire dans des buts autres que la simple administration de la justice pénale: elle peut être utilisée pour faire pression sur les détenus, afin de les contraindre à avouer une infraction ou à coopérer d’une autre manière avec le ministère public, y compris en témoignant contre un tiers, pour discréditer ou neutraliser par d’autres moyens les concurrents politiques, pour poursuivre d’autres objectifs politiques, y compris sur le plan de la politique étrangère; pour faire pression sur les détenus en vue de les contraindre à vendre leur entreprise ou de leur extorquer des pots-de-vin, ou encore pour intimider la société civile et réduire au silence les voix divergentes.
82. J’ai rencontré ces cas dans les trois pays visités (Russie, Turquie et Géorgie), mais je n’exclus pas qu’ils existent également ailleurs, par exemple en Azerbaïdjan, dont j’ai appris à connaître en ma qualité de corapporteur de la commission de suivi le système judiciaire fragile et soumis à l’influence du monde politique 
			(107) 
			La Cour européenne
des droits de l’homme a constaté un certain nombre de violations
à ce titre, voir par exemple le cas d’Ilgar
Mammadov c. Azerbaïjan, Requête no 15172/13,
arrêt du 22 mai 2014; voir aussi la déclaration sur le cas de Intigam
Aliyev: «Azerbaïdjan: les corapporteurs de suivi profondément déçus
par la condamnation d’Intigam Aliyev»: <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-fr.asp?newsid=5579&lang=1'>http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-fr.asp?newsid=5579&lang=1</a>; et, sur le même cas, «La commission est consternée
par la condamnation d’un célèbre avocat azéri spécialiste des droits
de l’homme»: <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-fr.asp?newsid=5570&lang=1'>http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-fr.asp?newsid=5570&lang=1</a>; je compte retourner aux affaires pertinentes dans le
rapport en préparation pour le compte de la commission des questions
juridiques et des droits de l'homme sur «Présidence azerbaïdjanaise
du Conseil de l’Europe: quelles sont les suites à donner en matière
de respect des droits de l’homme?».. Ces cas se produisent principalement à cause du manque d’indépendance de la magistrature dans ces pays.
83. Tant que le pouvoir en place refusera de lâcher la bride à la justice et de favoriser une véritable culture de l’indépendance, pour pouvoir conserver la possibilité, dès qu’il le souhaite, d’engager des poursuites à l’encontre des opposants politiques et de les faire emprisonner, il sera impossible d’en éviter les retombées politiquement indésirables, sous la forme d’abus commis par des agents corrompus qui se conduisent en prédateurs. La magistrature ne peut être qu’indépendante ou dépourvue d’indépendance. Lorsqu’elle n’est pas indépendante, on ne peut exclure l’usage abusif de la détention provisoire au bas de l’échelle, pour des motifs qui n’ont rien de politique et ne sont d’ailleurs pas souhaitables politiquement. Les détenteurs du pouvoir doivent faire un choix. J’ai l’impression que la Russie n’a pas encore, à l’heure actuelle, fait le choix de la véritable indépendance de la magistrature, ce qui est préjudiciable à la sécurité juridique des citoyens ordinaires et au développement d’un solide tissu économique de petites et moyennes entreprises. C’est malheureusement également le cas de l’Azerbaïdjan. La Turquie et la Géorgie, quant à elles, ont beaucoup progressé en direction d’une véritable indépendance de la magistrature, mais les autorités actuelles semblent succomber à la tentation d’un retour en arrière, comme le montrent les récents cas de pressions exercées sur les juges, évoqués dans les parties consacrées aux pays concernés.

Annexe – Avis divergent de Mme Eka Beselia (Géorgie, SOC) 
			(108) 
			En application de l’article
50.4 du Règlement de l’Assemblée («En outre, le rapport d’une commission
comporte un exposé des motifs établi par le rapporteur. La commission
en prend acte. Les avis divergents qui se sont manifestés au sein
de la commission y sont inclus à la demande de leurs auteurs, de
préférence dans le corps même de l’exposé des motifs, sinon en annexe
ou dans une note de bas de page»)., membre de la commission

(open)

Je n’approuve pas le choix des termes employés entre parenthèses dans le paragraphe 7.2 du projet de résolution. Le fait de ne mentionner qu’un seul parti politique n’est pas pertinent en l’espèce, puisque les intéressés font l’objet d’un placement en détention provisoire non pas parce qu’ils sont affiliés à un parti politique, mais parce que les autorités judiciaires en ont l’obligation en vertu de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. La détention provisoire devrait être uniquement une mesure absolument nécessaire, employée en dernier ressort, dans des affaires pénales précises, qui, pour la plupart d’entre elles, ont déjà donné lieu à une décision de justice définitive. Dans certaines affaires qui concernaient les membres du MNU (par exemple dans le cas de M. Chiaberashvili), aucun placement en détention provisoire n’a été ordonné. En outre, dans la majorité des affaires pénales, la juridiction compétente a uniquement eu recours à la détention provisoire lorsque l’intéressé ne s’était pas présenté devant l’instance chargée de l’enquête ou avait échappé à la justice.

Je ne souscris pas davantage au paragraphe 11.4 du projet de résolution, car le rapporteur ne mentionne pas dans son exposé des motifs le moindre élément factuel qui démontre l’exactitude de ses assertions. Je pourrais être d’accord avec la teneur de ce paragraphe s’il faisait référence à la période antérieure au changement de gouvernement survenu en octobre 2012.

Le paragraphe 11.5 évoque certaines manœuvres du ministère public à l’égard des périodes de détention provisoire. Cette affirmation est totalement fausse, car seules les juridictions ordonnent les mesures de contrainte en Géorgie. D’après les statistiques, le degré d’indépendance des juridictions géorgiennes a considérablement augmenté depuis 2012, où le recours à la détention provisoire a diminué de 34 %.

Le sous-paragraphe 12.2.2 devrait être rectifié, car cette demande outrepasse les attributions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et relève de la compétence exceptionnelle des juridictions nationales et de la Cour européenne des droits de l’homme. Comme le sens du sous-paragraphe 12.2.1 est très vague et très général, je proposerais plutôt de fusionner ces deux sous-paragraphes en employant le libellé suivant: «l’Assemblée invite instamment les Etats à consulter l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et à respecter les normes de la Convention lorsqu’ils recourent à la détention provisoire».