1. Introduction
1. En juin 2011, l’Assemblée parlementaire
a décidé de réformer en partie ses structures et de procéder à une
nouvelle répartition des tâches. En conséquence, le nouveau mandat
de la commission des questions politiques et de la démocratie énonce
que «[l]a commission établit des rapports sur les activités de l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Banque
européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). En
vue de la préparation des rapports et des débats à l’Assemblée,
la commission entretient des relations avec l’OCDE et la BERD, ainsi
qu’avec les parlements des Etats non membres participant à ces débats».
2. La réforme étant entrée en vigueur en janvier 2012, la commission
a présenté des rapports sur les activités de l’OCDE en octobre 2012
(rapporteur: M. Jean-Marie Bockel, France, PPE/DC) et en octobre
2013 (rapporteur: M. Dirk Van der Maelen, Belgique, SOC). Le Secrétaire
général de l’OCDE, M. Angel Gurría, a participé aux deux débats.
En mars 2014, la commission des questions politiques et de la démocratie
m’a nommé rapporteur.
3. Le débat sur les activités de l’OCDE a lieu sur la base d’un
règlement spécial, dans le cadre d’une «assemblée élargie» composée
de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et des délégations
des parlements nationaux des Etats non européens membres de l’OCDE,
à savoir l’Australie, le Canada, le Chili, Israël, le Japon, la
Corée, le Mexique, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis d’Amérique,
ainsi que du Parlement européen. Selon ce règlement, le Secrétaire
général de l’OCDE «présente un rapport sur les activités de son
Organisation et répond aux questions».
4. Les débats sur les rapports relatifs aux activités de l’OCDE
se tiennent lors de la partie de session d’automne de l’Assemblée
et se déroulent en présence des délégations des parlements des Etats
membres de l’OCDE qui ne font pas partie du Conseil de l’Europe
et du Secrétaire général de l’OCDE. Ces délégations sont aussi invitées
à la réunion au cours de laquelle la commission des questions politiques
et de la démocratie approuve le rapport, au début du mois de septembre.
5. Compte tenu de la charge de travail considérable que représente
la préparation des rapports et des débats, il a été décidé en 2014
que les rapports de la commission sur les activités de l’OCDE seraient
établis tous les deux ans, comme pour les activités de la BERD.
Ces rapports seront ainsi traités comme les autres rapports de l’Assemblée
établis sur une période de deux ans.
6. Afin de maintenir le même niveau de relations avec l’OCDE,
il a été décidé ce qui suit:
- les
débats élargis de l’Assemblée sur les activités de l’OCDE continueront
à se tenir normalement chaque année, avec la participation des délégations
des parlements nationaux des Etats non européens membres de l’OCDE
et du Parlement européen, ainsi que du Secrétaire général de l’OCDE;
- une année sur deux, le débat se tiendra sur la base d’un
rapport présenté par la commission des questions politiques et de
la démocratie;
- l’année suivante, il s’appuiera sur un rapport du Secrétaire
général de l’OCDE, sans rapport établi par l’Assemblée;
- la Sous-commission sur les relations avec l’OCDE et la
BERD tiendra en principe chaque année une réunion au siège de l’OCDE
afin de procéder à un échange de vues avec les dirigeants de l’Organisation.
7. Par conséquent, en octobre 2014, le débat de l’Assemblée élargie
sur les activités de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) en 2013-2014 s’est tenu sur la base d’un rapport présenté
par M. Gurría. L’exercice a été considéré comme une réussite par
tous les participants.
8. En 2015, le débat s’appuiera sur un rapport établi par l’Assemblée.
Pour préparer ce rapport, j’ai participé, avec la Sous-commission
sur les relations avec l’OCDE et la BERD, aux 3e Journées
parlementaires de l’OCDE (Paris, 25-26 février 2015). A cette occasion,
j’ai également rencontré M. Christian Kastrop, Directeur de la branche
des études de politique économique du Département des Affaires économiques, Mme Mathilde
Mesnard, Coordonnatrice des Nouvelles approches face aux défis économiques
(NAEC), Mme Ana Novik, Chef de la Division Investissement de la
Direction des affaires financières et des entreprises, qui m’ont
communiqué de précieuses informations sur les travaux de l’OCDE
dans leurs domaines de compétences respectifs. En juin, j’ai assisté
au Forum 2015 de l’OCDE, en marge duquel j’ai participé à la Fabrique-à-idées New Solution Spaces: The Pre-2060 Agenda.
2. Rôle et activités de l’OCDE
9. L’OCDE a été créée en 1961
dans le but de promouvoir des politiques visant: a) à réaliser la
plus forte expansion possible de l’économie et de l’emploi et une
progression du niveau de vie dans les pays membres, tout en maintenant
la stabilité financière, et à contribuer ainsi au développement
de l’économie mondiale; b) à contribuer à une saine expansion économique
dans les pays membres, ainsi que non membres, en voie de développement
économique; et c) à contribuer à l’expansion du commerce mondial
sur une base multilatérale et non discriminatoire conformément aux
obligations internationales.
10. Bien que l’OCDE puisse prendre des décisions qui, sauf disposition
contraire, s’imposent à tous les Etats membres, les décisions sont
prises par consensus au sein du Conseil. En conséquence, le secrétariat de
l’OCDE, c’est-à-dire le Secrétaire général et les agents, ne peut
que tenter de convaincre tous les membres au moyen d’analyses et
de propositions fondées sur des preuves et des bonnes pratiques.
11. Le 14 décembre 2015 marquera le cinquante-cinquième anniversaire
de la signature de la Convention relative à l’OCDE, à Paris. Cette
convention est entrée en vigueur dans l’année qui a suivi. Le cinquantième anniversaire
de l’OCDE a été célébré modestement, dans un contexte marqué par
la timide reprise qui faisait suite à la plus grave récession enregistrée
depuis des années et causée par la plus grave crise financière mondiale
depuis la naissance de l’organisation.
12. En 2009, et à nouveau en 2010, l’Assemblée élargie a invité
instamment l’OCDE, comme le montre le large soutien exprimé lors
de votes séparés, à analyser le rôle que ses préconisations politiques
ont joué dans la vulnérabilité aux crises des systèmes monétaires,
financiers et économiques, ce qui pourrait lui permettre de tirer
des enseignements précieux afin d’améliorer à l’avenir son activité
de conseil. Cette invitation a conduit l’OCDE à lancer ses Nouvelles
approches face aux défis économiques (New
Approaches to Economic Challenges) ou initiative NAEC,
que le Secrétaire général de l’OCDE a décrit en 2013 comme «l’un
des résultats les plus tangibles, les plus visibles et les plus
féconds du dialogue entre le Conseil de l’Europe et l’OCDE».
13. Etant donné que le Rapport de synthèse
final NAEC a été présenté à la réunion du Conseil ministériel cette
année, je crois que le moment est bien choisi aujourd’hui pour faire
le point non seulement sur les activités de l’OCDE, les développements
économiques et les dernières tendances et prévisions depuis le dernier
rapport de son Secrétaire général à notre Assemblée élargie, mais
aussi pour prendre le temps de réfléchir aux enseignements tirés
de la dernière crise. Afin de mettre en perspective les tendances
lourdes et les publications phares (telles que Tous concernés) dans les domaines
de la croissance durable et inclusive, le présent rapport propose
une vue panoramique de certains des principaux développements historiques
dans ces domaines.
3. Perspectives mondiales
14. Le message central des
Perspectives économiques de l’OCDE publiées
en juin 2015 est que la croissance mondiale s’améliore, mais reste
encore modérée. Ce message se base sur des projections légèrement
plus optimistes pour 2016, la performance de l’économie mondiale
au premier trimestre 2015 ayant encore été la plus faible depuis
l’impact initial de la crise de 2008, ce qui a amené à revoir à
la baisse les projections de croissance mondiale pour 2015 et 2016
par rapport aux dernières projections faites en novembre 2014. Pour
la zone euro, ces projections se sont améliorées pour 2015 et 2016.
Si le Japon devrait faire mieux l’an prochain, les Etats-Unis et
le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (BRIC) s’en sortent moins
bien que prévu précédemment. Alors que les prévisions de croissance
mondiale pour 2015 faites par l’OCDE en novembre 2014 étaient encore
de 3,9 %, elles sont aujourd’hui de 3,1 %
.
15. Selon l’OCDE, si l’assouplissement monétaire, le desserrement
du frein budgétaire et la baisse des prix du pétrole portent à un
certain optimisme, la situation du secteur financier et les tensions
(géo)politiques continuent de peser sur la croissance, tandis que
la stimulation des investissements nécessaires pour relancer la
demande, les capacités de production et l’emploi reste insuffisante
pour remettre l’économie sur la voie de la reprise.
16. Les projections de reprise reposent sur une accélération progressive
de la croissance de l’investissement (d’environ 2,5% en 2014 et
2015 à 4% en 2016 en moyenne, dans les pays de l’OCDE), après des
années de stagnation. Cette accélération restera cependant plus
faible que lors des précédents cycles de reprise, reflétant le regain
modeste d’activité au niveau national et international, la persistance
de l’incertitude et de capacités excédentaires dans de nombreux
secteurs, ainsi que les freins à l’investissement engendrés par
la baisse des prix du pétrole dans certaines grandes économies.
A mesure que la reprise économique s’installe, que la croissance
de la consommation s’accélère, parallèlement à celle des salaires
et des revenus, et que la confiance dans les perspectives économiques
se raffermit, les entreprises devraient intensifier leurs dépenses
d’investissement.
17. Une hausse des investissements est importante non seulement
pour soutenir la reprise cyclique, mais aussi pour accroître la
productivité. Le renforcement de l’investissement productif sera
donc nécessaire pour que la croissance mondiale se maintienne à
moyen terme. Dans l’ensemble, les pays de l’OCDE ont fait des efforts
pour simplifier les démarches administratives de création d’entreprises
et la réglementation, créant ainsi des conditions d’égalité pour
ce qui est des attentes relatives à une conduite responsable des
entreprises, et améliorer l’accès à l’information sur la réglementation.
Cependant, pour l’OCDE, il faut faire plus pour stimuler l’investissement
intérieur et transnational. Priorité doit être donnée en particulier
aux mesures visant à encourager le financement d’investissements
à long terme pour la transition vers une économie sobre en carbone,
l’OCDE pouvant à cet égard contribuer à identifier des politiques
crédibles de réorientation des investissements et des capitaux.
L’OCDE concourt à instaurer la confiance dans la volonté des pays développés
de mobiliser conjointement $US 100 milliards par an d’ici 2020 grâce
au suivi statistique des flux financiers publics réalisé par son
Comité d’aide au développement et le rôle moteur qu’elle joue dans
le collectif de recherche
qui développe et évalue les méthodes
d’estimation des ressources financières privées mobilisées en faveur
du climat.
18. La croissance de l’emploi reste trop lente pour que le marché
du travail se remette pleinement. Dans la zone OCDE, fin 2016, la
part de la population en âge de travailler qui occupe effectivement
un emploi restera inférieure de 1 point de pourcentage à son niveau
d’avant la crise (contre 1,8 point début 2015) et il y aura 8,3 millions
de chômeurs de plus qu’au quatrième trimestre 2007 (contre 10,6
millions début 2015). Un regain d’investissements productifs peut
stimuler la création d’emplois tout en créant les conditions permettant
aux salaires réels de repartir à la hausse, avec la résorption des
capacités inutilisées sur le marché du travail et l’augmentation
de la productivité. La composition des investissements sera un facteur
déterminant de la vitesse à laquelle la productivité du travail
et le niveau de vie des travailleurs pourront s’améliorer. Les investissements
dans les infrastructures, l’innovation et les compétences peuvent
jouer un rôle particulièrement important. Leur impact sur l’emploi
pourrait être renforcé par des mesures d’accompagnement visant à
réduire les obstacles empêchant une participation effective des
travailleurs au marché du travail.
19. Si des mesures exceptionnelles restent nécessaires, dans de
nombreuses économies avancées, pour soutenir la demande et contrer
les tendances déflationnistes et si l’intervention des banques centrales
reste cruciale pour assurer une croissance solide, ces pays doivent
éviter de s’en remettre exclusivement à la politique monétaire pour
influer sur la demande. Des taux d’intérêt anormalement bas ouvrent
la voie à une prise de risque accrue et à un endettement alimentés
davantage par la liquidité que par les fondamentaux économiques.
Une approche plus équilibrée est nécessaire, les politiques budgétaire,
et surtout, structurelle, devant apporter un soutien synergétique
à la politique monétaire.
20. Des taux d’intérêt extraordinairement bas pendant une période
exceptionnellement longue – six ans de la politique monétaire mondiale
la plus accommodante de l’histoire – ont fait que les marchés financiers
ne «voient» que peu de risques dans la hausse du prix des actifs
partout dans le monde, tandis que l’économie mondiale réelle montre
tous les signes de capacités excédentaires: faible inflation, voire
déflation, dans certains pays et manque total de volonté d’investissement
de la part des (grandes) entreprises. L’OCDE voit dans ce paradoxe
de l’investissement le plus grand mystère actuel du monde des affaires
et de la finance
. Les
Perspectives
2015 de l’OCDE sur l’entreprise et la finance permettent
de comprendre comment les entreprises, les banques, les investisseurs
institutionnels et les intermédiaires du système bancaire parallèle réagissent
à un environnement marqué par une croissance et des taux d’intérêt
faibles et à l’accumulation des risques dans le système financier.
21. Les risques exceptionnels qui pèsent sur l’économie mondiale
sont notamment l’extrême volatilité des marchés obligataires et
des principaux taux de change, une tourmente financière sur les
marchés émergents, le défaut de la Grèce ou «Grexit», un fort ralentissement
en Chine, ainsi que les tensions géopolitiques. Dans son rapport
de 2015 sur la stabilité financière dans le monde, le Fonds monétaire
international (FMI) ajoute quelques détails à ces analyses, les
risques pour la stabilité financière se déplaçant selon lui des
marchés avancés vers les économies émergentes, des banques classiques
vers les banques parallèles et du champ de la solvabilité vers celui
de la liquidité du marché.
22. Le rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) Perspectives pour l’emploi et le social dans le
monde – Tendances pour 2015 analyse plus en profondeur
les perspectives mondiales du marché du travail et est encore plus
alarmant que les projections de l’OCDE, puisqu’il prévoit une poursuite
de la hausse du chômage et la progression des formes atypiques d’emploi.
Selon l’OIT, seule 40 % de la population active mondiale perçoit
un salaire ou occupe un emploi. Sur ces 40 %, presque 60% sont en
contrat temporaire ou n’ont pas de contrat du tout. L’OIT y voit
une tendance qui aboutit à la baisse des salaires par rapport à
la productivité du travail, ce qui renforce l’insuffisance de la
demande globale. Le rapport estime à $US 3 700 la perte pour la
demande mondiale due au chômage et à la stagnation des revenus du
travail, qui se traduisent par un niveau réduit de consommation,
d’investissements et de recettes publiques. D’après les Perspectives de l’emploi de l’OCDE,
les inégalités de salaires sont plus faibles dans les pays qui répondent
mieux à la demande croissante de qualifications et de compétences.
Toujours d’après cette source, pour être plus efficaces, les salaires
minimums doivent être étroitement coordonnés avec les politiques
fiscales et de prestations sociales.
23. L’OCDE, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque
mondiale, l’OIT et les pays du Groupe des 20 (G20) soulignent tous
le besoin urgent d’investir dans une croissance durable et inclusive
. L’OCDE continue à collaborer avec
les pays du G20 et les pays en développement pour assurer un dialogue
inclusif à l’échelle planétaire sur les enjeux politiques mondiaux
majeurs.
4. Vision historique d’ensemble
24. Si l’on considère l’évolution
économique dans une perspective plus large, l’histoire récente est
tout à fait impressionnante, et même inquiétante malheureusement.
25. Au cours du dernier millénaire, la population mondiale a été
multipliée par 22, le revenu par habitant par 13 et le produit intérieur
brut (PIB) mondial par près de 300. Cette progression contraste
radicalement avec celle enregistrée au cours du millénaire précédent:
la population mondiale n’avait alors augmenté que d’un sixième et
le revenu par habitant stagné.
26. De l’an 1000 jusqu’en 1820, la croissance du revenu par habitant
a été très lente, la moyenne mondiale progressant d’environ 50%;
l’essentiel de la croissance a été consacré à satisfaire les besoins
d’une population multipliée par quatre.
27. Depuis 1820, le développement mondial est bien plus dynamique:
le revenu par habitant a été multiplié par plus de huit et la population
par plus de cinq
.
28. Le niveau d’éducation et l’état de santé se sont largement
améliorés dans de nombreux pays du monde. Le rapport
Comment vivait-on? Le bien-être à l'échelle
mondiale depuis 1820, publié conjointement par l’initiative
du Vivre mieux de l’OCDE, le Centre de développement de l’OCDE et
le projet de recherche Clio infra, établit une forte corrélation
statistique entre l’alphabétisation, le niveau d’études, l’espérance
de vie, la taille des individus et l’évolution du PIB. Au niveau
mondial, le taux d’alphabétisation est passé de 20 % en 1820 à 80 %
en 2000
.
29. Le développement économique a subi un revers majeur avec la
crise économique de 1929 et la seconde guerre mondiale. Déterminés
à éviter les erreurs de leurs prédécesseurs au sortir de la première
guerre mondiale, les dirigeants européens ont compris que le meilleur
moyen d’assurer une paix durable était d’encourager la coopération
et la reconstruction, plutôt que de punir les vaincus. L’Organisation
européenne de coopération économique (OECE) a été instituée en 1948
pour administrer le plan Marshall financé par les Etats-Unis afin
de reconstruire un continent dévasté par la guerre. Encouragés par
le succès de l’OECE et dans la perspective d’une extension de ses
travaux à l’échelle mondiale, le Canada et les Etats-Unis s’y sont joints
en 1960, donnant ainsi naissance à l’OCDE
.
4.1. Viabilité écologique
30. Le but premier de l’OCDE, énoncé
à l’article premier de sa Convention, étant de promouvoir des politiques
visant à réaliser la plus forte expansion possible de l’économie,
le premier facteur à prendre en compte est la viabilité écologique.
En définitive, les écosystèmes forment le substrat des sociétés,
elles-mêmes à l’origine des systèmes économiques. Il n’y a donc
pas de développement économique durable sans société durable, et
pas de société durable sans écosystème viable.
31. Avec le développement économique rapide qu’elle a connu récemment,
l’humanité n’est plus seulement le produit de son environnement
naturel; elle est devenue la force dominante qui façonne les systèmes écologiques
et biophysiques. Si nous menaçons l’écologie de notre planète, ce
n’est pas seulement notre santé, notre prospérité et notre bien-être
que nous mettons en danger, mais bien notre survie.
32. Le rapport
How was life? Global
well-being since 1820 établit clairement une corrélation
négative entre la progression du PIB et la qualité de l’environnement:
la biodiversité a décliné dans l’ensemble des régions et à l’échelle
mondiale, l’occupation des sols s’est profondément modifiée et les
émissions de CO2 par habitant ont augmenté
suite à l’industrialisation
.
33. Dans son rapport
Planète Vivante,
le World Wildlife Fund (WWF) présente d’importants indicateurs de l’état
de notre planète et de notre impact sur cette dernière, comme l’Indice
Planète Vivante (IPV) et l’Empreinte écologique
.
34. L’Indice Planète Vivante montre que nous avons perdu 52 %
des plus de 10 000 populations représentatives des espèces de mammifères,
d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens et de poissons entre 1970 et
2010. La perte et la dégradation de l’habitat, d’une part, l’exploitation
subie à travers la chasse et la pêche, de l’autre, sont les premières
causes de déclin. Le changement climatique, troisième menace la
plus grave répertoriée dans l’IPV, devrait, quant à lui, avoir un
impact croissant sur les populations à l’avenir.
35. L’empreinte écologique fait la somme des espaces écologiques
dont nous avons besoin en tant que surface biologiquement productive
(ou biocapacité) occupée par les terres agricoles, les pâturages,
les espaces bâtis, les zones de pêche et les forêts productives,
sans oublier les surfaces forestières nécessaires pour absorber
les émissions de dioxyde de carbone ne pouvant l’être par les océans.
Certes, les progrès technologiques, les intrants agricoles et l’irrigation
ont contribué à accroître les rendements moyens par hectare de surface
productive, notamment ceux des cultures, portant ainsi la biocapacité
totale de la planète de 9,9 à 12 milliards d’hectares globaux (hag)
entre 1961 et 2010. Mais la population humaine mondiale étant passée
de 3,1 à près de 7 milliards d’habitants durant la même période,
la biocapacité disponible par tête a été ramenée de 3,2 à 1,7 hag,
pendant que l’empreinte écologique progressait légèrement (de 2,5
à 2,7 hag par tête). Aujourd’hui, nous aurions ainsi besoin de la
capacité régénératrice de 1,5 Terre pour fournir les services écologiques
que nous utilisons.
36. Ce «dépassement» est possible car nous coupons les arbres
à un rythme supérieur à celui de leur croissance, nous prélevons
plus de poissons dans nos océans qu’il n’en naît, et nous rejetons
davantage de carbone dans l’atmosphère que les forêts et les océans
n’en absorbent. Conséquence, les stocks de ressources s’appauvrissent,
et les déchets s’accumulent plus vite qu’ils ne peuvent être absorbés
ou recyclés, comme en témoigne l’élévation de la concentration de
carbone dans l’atmosphère. Le carbone issu de la consommation des
combustibles fossiles forme la composante dominante de l’empreinte
écologique de l’humanité depuis plus d’un demi-siècle, et cette
tendance ne fait que se confirmer: en 1961, le carbone représentait
36 % de notre empreinte totale, contre 53 % en 2010. Dans une récente
conférence le 3 juillet 2015, intitulée
Climat :
ce qui a changé, ce qui n’a pas changé et ce que nous pouvons faire
- A six mois de la COP 21, le Secrétaire général de l’OCDE
a encouragé les pays à procéder à une évaluation plus rigoureuse des
véritables coûts du charbon et à ne plus rester prisonnier de systèmes
polluants basés sur les combustibles fossiles
.
37. La pollution atmosphérique est aujourd’hui la première cause
de décès prématuré dû à l’environnement, détrônant les problèmes
d’assainissement et la pénurie d’eau potable. La pollution de l’air
extérieur – due, entre autres sources, au trafic automobile, aux
industries et aux centrales électriques – tue aujourd’hui près de 3,4
millions de personnes chaque année dans le monde, d’après les données
de 2010
. Le coût pour les pays de l’OCDE,
la République populaire de Chine et l’Inde en vies perdues et en
problèmes de santé est estimé à $US 3 500 milliards par an et la
tendance est à la hausse
.
38. Une plus grande utilisation des sources d’énergie à faibles
émissions de carbone contribuerait à réduire la pollution atmosphérique
et les émissions de gaz à effet de serre. Si l’utilisation d’énergies
renouvelables augmente, elles ne représentaient cependant encore
que 8,5 % environ de la production d’énergie dans les pays de l’OCDE
en 2012. L’OCDE, l’Agence internationale de l’énergie, l’Agence
pour l’énergie nucléaire et le Forum international des transports
ont publié le rapport
Aligner les politiques
pour une économie bas carbone, qui constitue le premier
diagnostic à l’échelle de l’économie mondiale des obstacles que
les problèmes d’alignement des politiques peuvent dresser sur la
voie de la transition vers une économie à bas carbone
.
39. La consommation d’eau varie très largement entre les différents
pays de l’OCDE, mais elle a augmenté pratiquement partout depuis
les années 1970. A l’échelle mondiale, on estime que la demande
d’eau a augmenté deux fois plus vite que la population du globe
au cours du dernier siècle. Et elle continue d’augmenter. Elle devrait
croître d’environ 55% d’ici 2050, la production manufacturière,
l’industrie, la production d’électricité et les usages domestiques
constituant une part importante de cette demande supplémentaire.
Une gestion efficace de l’eau est nécessaire pour assurer une croissance
économique inclusive et la durabilité environnementale
.
40. Comme l’a dit Erik Solheim, le président du Comité d’aide
au développement de l’OCDE, «plantes et animaux disparaissent aujourd’hui
à un rythme inégalé depuis l’époque des dinosaures. L’eau, les sols
et nombre de ressources naturelles, notamment halieutiques, sont
surexploités. Nos émissions de carbone peuvent provoquer des changements
climatiques catastrophiques».
41. Si l’humanité et ses activités économiques (production, transports
et consommation) ont un impact incontestable sur notre écosystème,
celui-ci agit en retour sur la santé et l’économie des sociétés
humaines (par la pollution et l’épuisement des ressources).
42. La priorité absolue à long terme est de ramener nos activités
économiques dans une trajectoire écologiquement viable. La croissance
démographique et l’évolution quantitative et qualitative de notre production
économique seront des facteurs importants de notre empreinte écologique
future. La population mondiale devrait arriver à son point culminant
entre 2050 et 2070, avec environ 9 milliards d’êtres humains. Notre
capacité à revenir à des niveaux viables d’exploitation des ressources
et de pollution dépendra de la manière dont nous gérons nos activités
économiques et des paramètres que nous utilisons pour cela. Sur
ce dernier point, l’OCDE peut et doit jouer un rôle crucial.
4.2. Chômage/emploi, niveau de
vie, (in)égalités
43. «L’économie
mondiale progressa beaucoup plus vite entre 1950 et 1973 qu’elle
ne l’avait fait auparavant; ce fut une période de prospérité inégalée,
un âge d’or. Le PIB mondial par habitant a augmenté d’environ 3 %
par an (soit un doublement tous les 25 ans). Le PIB mondial a progressé
de près de 5 % par an et les échanges mondiaux de près de 8 %. (…)
44. Les résultats exceptionnellement
bons de cet âge d’or peuvent s’expliquer de plusieurs façons. Tout d’abord,
les pays capitalistes avancés ont créé une sorte de nouvel ordre
économique libéral international, doté de codes de conduite explicites
et rationnels et d’institutions de coopération (l’OECE, l’OCDE,
le FMI, la Banque mondiale et l’Accord général sur les tarifs douaniers
et le commerce) qui n’existaient pas auparavant. (…) Jusque dans
les années 1970, [les Etats-Unis] servirent aussi de point d’ancrage
à la stabilité monétaire internationale. (…).
45. Le deuxième élément nouveau de
cette puissance tient au caractère des politiques intérieures, délibérément
consacrées à la promotion de niveaux élevés de demande et d’emploi
dans les pays avancés. La croissance était non seulement plus rapide
que jamais, mais le cycle conjoncturel disparut quasiment totalement.
Les investissements atteignirent des niveaux sans précédent, s’accompagnant
d’espoirs euphoriques. Jusque dans les années 1970, la pression
inflationniste était également plus faible que prévu dans ces conditions
de boom séculaire.
46. Le troisième élément de ce cercle
vertueux réside dans le potentiel de croissance du côté de l’offre. L’Europe
et l’Asie pouvaient encore largement mobiliser des éléments «normaux»
de «reprise» par rapport aux années de dépression et de guerre.
De plus, et cela a davantage d’importance, le progrès technique
aux Etats-Unis ne cessait de s’accélérer. (…)
47. Depuis cette période faste, la
face du monde a bien changé. La croissance par habitant a été plus
de deux fois moins rapide.»
48. La croissance réelle du PIB mondial s’est ralentie à 3,8%
en moyenne dans les années 1970 et 3,1% dans les années 1980 et
1990. Depuis le milieu des années 1990, la productivité du travail
affiche un recul typique dans les pays du Groupe des 7 (G7). Après
la crise financière de 2008, elle a chuté de manière sensible dans
pratiquement tous les pays de l’OCDE
. Une récente analyse de l’OCDE montre
que ce ralentissement reflète essentiellement une panne de la mécanique
de diffusion de l’innovation: l’augmentation de la productivité
des entreprises les plus productives à l’échelle mondiale reste
forte au XXIe siècle, mais l’écart entre
ces entreprises et les autres s’accroît avec le temps, ce qui amène
à s’interroger sur les raisons pour lesquelles des connaissances
et des technologies apparemment accessibles ne se diffusent pas
à toutes les entreprises
.
49. Le ralentissement de la croissance économique a entraîné une
hausse du chômage. Dans l’ensemble du monde, plus de 200 millions
de personnes sont formellement au chômage, selon l’OIT, les destructions d’emplois
se montant à plus de 60 millions depuis le début de la crise
. Malgré de récentes améliorations
sur les marchés du travail des pays de l’OCDE, la hausse des taux
de chômage qui a suivi la crise économique mondiale n’a été résorbée
à peu près qu’à moitié plus de sept ans après
et beaucoup de personnes
sans emploi formel ne sont pas comptées dans ces statistiques. Des
études récentes indiquent qu’en Amérique latine, en Afrique, au
Proche-Orient, en Asie du Sud et du Sud-Est, l’emploi dans l’économie
informelle, hors agriculture, est de l’ordre de 30% à 80%
.
50. Des années 1960 aux années 1980, l’économie informelle a augmenté
dans de nombreuses parties du monde, parallèlement à l’économie
formelle. Ces dix dernières années, tout particulièrement, le secteur informel
s’est étendu beaucoup plus rapidement. En Afrique, on estime que
80% des nouveaux emplois relèvent de l’économie informelle. Le lien
est souvent établi entre l’expansion du secteur informel et la mondialisation,
la libéralisation économique et la concurrence par la réduction
des coûts du travail et l’externalisation. Les nouvelles recherches
conduites par l’OCDE sur la qualité des emplois dans les économies
émergentes montrent que l’emploi informel est largement inférieur
à l’emploi formel en termes de rémunération, de sécurité et de conditions
de travail
.
51. Ces dernières décennies, la hausse du niveau d’emploi dans
les économies avancées n’a pas entraîné de réductions automatiques
des inégalités de revenus, car cet effet a été limité par la disparition
progressive des contrats permanents et de longue durée au profit
de formes de travail atypiques. Plus de la moitié des emplois créés
depuis 1995 dans les pays de l’OCDE relèvent de cette catégorie
et offrent la plupart du temps des niveaux de sécurité et de rémunération
inférieurs. La plupart des personnes occupant ces emplois atypiques
n’ont pas pu en faire un tremplin vers un emploi plus stable
. En conséquence, le fait d’exercer
un emploi temporaire ou à temps partiel accroît le risque d’avoir
un faible niveau de rémunération sur le long terme
.
52. De 1980 à 2011, la part des revenus du travail au niveau mondial
a diminué de 62% à 54% du PIB mondial
. La part moyenne du travail dans le revenu
national dans 26 des 30 pays de l’OCDE a chuté de 66,1% en 1990
à 61,7% en 2009
. Dans
les années 1970, cette part était encore de 75% ou plus dans la plupart
des économies développées (80% au Japon)
.
53. Dans nombre de pays de l’OCDE, du milieu des années 1990 au
début de la crise, le revenu disponible des ménages n’a pas connu
la même progression que le PIB par habitant, tandis que l’inégalité
des revenus s’accentuait
.
Dans certains de ces pays, plus de la moitié de la croissance du
PIB depuis 1975 a profité aux 10% de la population aux revenus les
plus élevés. Aux Etats-Unis, c’est plus de 80 % qui sont allés à
ce groupe et pratiquement 50 % aux 1 % disposant des plus hauts
revenus
. Cette part est plus faible
dans les autres pays de l’OCDE, mais elle est en augmentation dans
la majorité d’entre eux.
54. Pendant l’âge d’or évoqué plus haut, les inégalités ont diminué
dans la plupart des pays de par le monde. En revanche, depuis la
fin des années 1970 cette tendance a été inversée. Le coefficient
de Gini, qui mesure les inégalités des revenus internes à chaque
pays, est tombé à 0,36 en 1980 pour remonter à 0,45 en 2000, niveau
identique à celui de 1820
.
55. Les inégalités de revenus sont à leur plus haut niveau dans
les pays de l’OCDE depuis un demi-siècle. La pauvreté relative a
également augmenté, y compris dans les pays de l’OCDE. En 2000,
le revenu moyen des 10% de la population la plus riche dans l’OCDE
était environ neuf fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres,
contre sept fois il y a vingt-cinq ans. Depuis la crise, ce ratio
a augmenté encore plus rapidement et est pratiquement de 10 aujourd’hui
.
56. Avec la crise, dans les économies les plus avancées, les inégalités
des revenus marchands se sont creusées autant entre 2007 et 2011
qu’au cours des douze années précédentes, l’impact provoqué par
cette situation a cependant été atténué par les stabilisateurs automatiques.
Les mesures d’austérité appliquées à partir de 2011 ont cependant
commencé à entraîner les revenus disponibles à la baisse. Selon
les constatations du FMI, les salaires réels ont été frappés beaucoup
plus durement que les bénéfices et les loyers corrigés de l’inflation.
Nombre d’instruments de consolidation ont pour effet d’aggraver
les inégalités de revenus.
57. Dans ses dernières
Perspectives
pour l’emploi et le social dans le monde, l’OIT indique
que les inégalités de revenu dans le monde vont continuer de s’amplifier,
les 10% les plus riches percevant 30% à 40% du revenu total tandis
que les 10% les plus pauvres se partageront entre 2% et 7% du revenu
national brut (RNB)
.
58. Depuis le début de la crise, la pauvreté a augmenté dans les
pays de l’OCDE. Un nombre croissant de travailleurs vivent en dessous
du seuil de pauvreté, les personnes qui travaillent à temps partiel,
en contrat temporaire ou à leur compte étant celles qui ont le plus
de risques de tomber dans la pauvreté
.
59. La répartition du patrimoine est plus inégale que celle des
revenus. Dans 18 pays de l’OCDE disposant de données comparables,
les 40% de la population qui possèdent le moins détiennent seulement
3% du patrimoine total des ménages, tandis que les 10% possédant
le plus gros patrimoine détiennent la moitié des richesses. Ces
données, qui n’existent que dans un nombre limité de pays, montrent
que le patrimoine privé tend à être de plus en plus inégalement
réparti ces dernières décennies. Il semble que la tendance au creusement
des inégalités de richesse se soit accentuée avec la crise
.
60. L’amplification des inégalités semble être une tendance de
fond appelée à s’accentuer avec le temps. Comme elle ne touche pas
seulement les revenus et le patrimoine, mais a aussi des conséquences
sur la santé, l’éducation, les chances dans la vie et le bien-être
en général, elle est un problème pour la société. Les inégalités
ne sont plus un «simple» problème de morale: il est établi que les
inégalités accrues sont aussi un obstacle à la croissance économique.
61. Une croissance inclusive qui produise des emplois de qualité
suffisante est devenue un enjeu pour l’OCDE. Elle doit traiter les
causes de la faiblesse de la productivité, de la précarisation croissante
de l’emploi et de la multiplication des emplois atypiques, de la
stagnation des niveaux de salaires, de la diminution de la part
du travail et de la hausse des inégalités et tenter de concevoir
des stratégies pour contrer ces tendances et leurs effets sur la
répartition de du bien-être.
62. Il n’est pas impensable qu’une prochaine révolution de la
production vienne rendre encore plus difficile la création d’emplois
(en quantité suffisante) et amène les politiques économiques à se
focaliser moins sur le seul accroissement de la production pour
s’intéresser davantage à la répartition du travail, des revenus
et du bien-être en général.
4.3. Mondialisation, échanges
commerciaux, investissements et développement
63. Ces dernières décennies, l’activité
économique a connu un processus de globalisation rapide qui a profondément
modifié les perspectives de l’économie mondiale et reconfiguré les
schémas de répartition des ressources entre les pays, générant différents
effets en termes de prospérité, une concurrence accrue, une baisse
des prix et une augmentation de la variété de biens.
64. La crise économique et financière récente a souligné à la
fois la puissance de la mondialisation et la vulnérabilité du système
économique globalisé. La titrisation, dont le but était de répartir
les risques entre un plus grand nombre d’acteurs, a resserré encore
plus les liens entre les institutions financières, alors qu’elles avaient
déjà multiplié leurs relations dans tous les pays sous l’effet de
la mondialisation du secteur financier. Le résultat en a été la
propagation rapide de la crise financière à la planète entière,
qui a aussi atteint l’économie réelle, sapant la confiance des entreprises
et des consommateurs. La baisse de la demande a entraîné une contraction
du commerce mondial et des investissements extérieurs. Cet effondrement synchronisé
des échanges et des investissements a été sans précédent
.
65. L’investissement joue un rôle multiple dans la croissance
d’une économie solide, inclusive, durable et résiliente. A ce titre,
il reste une priorité. Avec son Cadre d’action pour l’investissement
(CAI), l’OCDE cherche à mobiliser l’investissement privé pour soutenir
une croissance économique durable, qui est l’un des facteurs du
bien-être social. Ce cadre a jusqu’à présent été appliqué dans une
trentaine de pays émergents et en développement, ainsi que dans
des ensembles économiques régionaux, pour répondre aux problèmes
du changement climatique, des infrastructures, du financement des
petites et moyennes entreprises, de la concurrence, de la gouvernance
des marchés financiers et pour aider la modernisation des entreprises
dans les chaînes de valeur mondiales. L’OCDE contribue aussi au
débat sur les traités régissant l’investissement et les investissements
directs étrangers (IDE) dans le cadre de sa Table ronde sur la liberté
d’investissement. Elle encourage un dialogue plus ouvert sur les
moyens d’améliorer les conditions d’investissement dans le monde,
tout en veillant à ce que l’investissement contribue au développement
durable.
66. Il est largement admis que les chaînes de valeur mondiales
ont contribué à la croissance mondiale, à l’emploi et à la productivité,
y compris dans les pays en développement
. On estime cependant que
ces chaînes de valeur mondiales ont joué un rôle important dans
la propagation de la crise. Elles peuvent avoir un effet domino
car la baisse des exportations de produits finis entraîne une diminution
immédiate des importations de biens intermédiaires. Le commerce
international et les investissements directs étrangers restent deux
vecteurs essentiels d’intégration économique. Ce n’est pas nouveau,
mais leur ampleur et leur complexité se sont singulièrement accrues.
Les investissements internationaux, directs et de portefeuille,
ont augmenté plus que le commerce international, mais ils sont aussi
plus volatils. Les fusions et acquisitions internationales ont particulièrement
contribué à la forte hausse des flux d’investissements internationaux
.
67. Selon l’OIT, le nombre de personnes travaillant dans des chaînes
d’approvisionnement mondiales était estimé à environ 300 millions
en 1995 et à pratiquement 500 millions en 2007. Il est redescendu
à 453 millions en 2013
.
68. Les entreprises multinationales sont les principaux moteurs
de la mondialisation car elles concentrent les transferts internationaux
de capitaux, de main-d’œuvre qualifiée, de technologies, de biens
intermédiaires et de biens de consommation finale. Le commerce intra-entreprise
représente une part croissante des échanges internationaux
.
69. Si la part du travail diminue, celle des revenus du capital
augmente. Le stock des avoirs représentés par les investissements
de portefeuille transfrontaliers a enregistré une croissance annuelle
de plus de 20% en moyenne au cours des dix années qui ont précédé
la crise. Dans le même temps, le produit des investissements a plus
que triplé
.
70. Le total des actifs des multinationales (filiales étrangères)
est passé de $US 3 893 milliards en 1990 (18% du PIB mondial) à
$US 96 625 milliards en 2013 (130 % du PIB mondial). Plus de la
moitié des investissements directs étrangers au cours de cette période
était due à des fusions-acquisitions
.
71. Les investissements de création ont affiché un relatif déclin.
De débiteurs nets (recourant à l’emprunt pour saisir les opportunités
d’investissement) jusque dans les années 1980, les multinationales
non financières sont devenues des créanciers nets, accumulant une
épargne qui représente environ 3% du PIB dans les économies les
plus avancées
.
Dès avant la crise, la stagnation de la demande mondiale agrégée
a conduit à une diminution des investissements dans l’économie réelle
et à un bond supplémentaire des actifs financiers.
72. L’OCDE a constaté que, depuis les années 70, le secteur financier
a connu une expansion massive, octroyant un volume de crédit égal
aujourd’hui à trois fois le PIB, et la capitalisation boursière
a également triplé par rapport au PIB au cours des quarante dernières
années
.
73. Une étude de 2012 indique que le «total des actifs financiers»
représentait, selon les estimations, $US 600 000 milliards en 2010,
avec des prévisions de croissance de $US 300 000 milliards supplémentaires d’ici
à 2020, alors que le «PIB total» n’augmenterait que de $US 27 000 milliards dans
le même temps. En 2020, selon cette même étude, l’ensemble des capitaux
ainsi accumulés excédera la base des actifs de l’économie réelle
d’un facteur trois et le PIB mondial d’un facteur dix
.
74. Des études récentes ont montré que, lorsque le secteur financier
est bien développé, comme cela a été le cas dans les économies de
l’OCDE pendant très longtemps, de nouvelles augmentations de la
taille du secteur financier ralentissent la croissance économique
à long terme. Une augmentation excessive du crédit rend les économies
plus vulnérables aux crises. Une augmentation du crédit aux ménages
est plus négativement associée à la croissance qu’une augmentation
du crédit aux entreprises
. «Les
données indiquent également que les inégalités économiques se creusent
quand la finance prospère.»
75. Une autre étude, de 2014, montre que le monde ne croule pas
seulement sous l’argent, mais aussi sous la dette. Le désendettement
relatif des établissements financiers et des ménages qui a suivi
la crise a été contrebalancé par l’augmentation de la dette publique
dans les économies développées et de l’accumulation de la dette
privée sur les marchés émergents. La dette mondiale totale (hors
institutions financières) a atteint de nouveaux sommets, à 215%
du PIB mondial en 2013, contre 180% en 2008, et croît encore plus
vite qu’avant la crise financière
.
76. Ces dernières décennies ont été le témoin d’une globalisation
rapide et d’une financiarisation de l’activité économique qui a
profondément modifié les perspectives de l’économie mondiale. Pourtant,
la croissance économique mondiale a plutôt enregistré un ralentissement
qu’une amélioration et la part du travail dans le revenu mondial
a diminué. Aujourd’hui, la hausse de la productivité se ralentit
aussi. Les entreprises multinationales ont acquis un pouvoir et
une richesse considérables, mais leurs investissements (de création) n’ont
pas évolué au même rythme et ont décru en poids relatif. «Les entreprises
encouragent les opérations de rachats d’actions et la cession d’actifs
transfrontières.»
77. Si la part du travail a décliné, la consommation à crédit
a augmenté. Depuis les années 1980, de nombreuses crises ont été
(en partie) résolues par un assouplissement monétaire, ouvrant ainsi
la voie au crédit à bon marché. La dette privée (et le risque correspondant)
s’est déplacée des entreprises aux ménages, ralentissant la croissance
et creusant les inégalités. Les entreprises n’investissent que tant
qu’elles trouvent des consommateurs solvables pour leurs produits
et services. C’est l’une des autres raisons qui doit amener l’OCDE
à s’intéresser en priorité à la répartition des produits de l’économie
et aux effets distributifs des politiques économiques.
78. La conjoncture que nous connaissons actuellement, qui se caractérise
par la faiblesse de la croissance et des taux d’intérêt, pose aussi
des problèmes aux fonds de pension et aux compagnies d’assurance-vie
pour tenir les promesses financières faites à leur clientèle de
retraités
. Dépendant du rendement de leurs investissements
pour honorer leurs obligations, ces intermédiaires financiers peuvent
être poussés à suivre des stratégies d’investissement plus risquées,
qui pourraient finir par ruiner leur solvabilité. Cette situation
ne constitue pas seulement un risque pour le secteur financier:
elle met aussi en danger les retraites de nos citoyens et accroît
les inégalités.
79. Réduire le risque de corruption dans les échanges commerciaux
et les investissements favorise les bonnes pratiques commerciales
et les investissements à l’étranger et ouvre de nouveau marchés d’exportation.
Les exportateurs et les investisseurs ont tout à gagner d’une situation
dans lesquelles les affaires se déroulent d’une manière saine, transparente
et prévisible et où l’obtention de contrats tient à la qualité des
produits et services plutôt qu’à l’importance des pots-de-vin. Les
gouvernements soucieux de prévenir la corruption de leurs fonctionnaires
par des entreprises étrangères et désireux de garantir la stabilité des
contrats commerciaux sont très ouverts aux investissements d’entreprises
de pays qui respectent les normes internationales interdisant la
corruption d’agents étrangers.
80. La Convention anti-corruption est le seul instrument mondial
qui traite de la corruption transnationale. Elle est ouverte aussi
bien aux pays membres de l’OCDE qu’aux autres. La force de cette
convention réside dans deux éléments: 1) la priorité donnée à l’éradication
de la corruption de fonctionnaires étrangers dans le cadre de transactions
commerciales internationales; et 2) le processus rigoureux d’examen
par les pairs pour vérifier l’application de la convention par les
Etats Parties (conduit par le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption
dans le cadre des transactions commerciales internationales). Cette
convention est entrée en vigueur en 1999 et compte aujourd’hui 41 Etats
Parties (tous les Etats membres de l’OCDE ainsi que l’Argentine,
le Brésil, la Bulgarie, la Colombie, la Lettonie, la Russie et l’Afrique
du Sud), dont beaucoup sont aussi membres du Groupe d’Etats contre
la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe. Le travail de lutte contre
la fraude de l’OCDE et celui réalisé par le GRECO sont hautement
complémentaires.
81. Le Groupe de travail sur la corruption s’engage prioritairement
auprès de partenaires clés non membres (Chine, Inde et Indonésie),
notamment dans le contexte du G20, pour susciter chez eux la volonté
d’adhérer à la Convention anti-corruption. Dans le cadre du Plan
d’action anti-corruption 2015-2016 du G20, les dirigeants se sont
engagés à donner l’exemple dans la lutte contre la corruption, notamment
en participant activement au Groupe de travail de l’OCDE sur la
corruption et en examinant la possibilité d’adhérer à la Convention
anti-corruption de l’OCDE.
5. Réponse de l’OCDE aux crises
et aux tendances de fond
82. En 2015, la réunion du Conseil
ministériel (RCM 2015) a porté surtout sur les solutions pour débloquer les
investissements dans l’économie réelle afin de promouvoir une croissance
plus vigoureuse, plus inclusive et plus écologique, d’accroître
la productivité et de créer des emplois en plus grand nombre et
de meilleure qualité.
83. Ces questions sont des priorités pour l’OCDE, qui œuvre toujours
à sortir de la crise et à se remettre de ses effets persistants.
Mais les discussions ont aussi porté sur les tendances de fond.
Parmi ces tendances de fond bien identifiées figurent le déplacement
de l’influence économique de l’Occident vers l’Orient et le vieillissement
des populations. A mesure que l’écart de productivité entre l’Occident
et l’Orient se comble, il est fort probable que le rythme de la
croissance économique converge vers les taux inférieurs de l’Occident.
Le ralentissement de la croissance démographique entraînera aussi
une baisse du potentiel de production économique. Les autres tendances
de fond sont la «pression environnementale» croissante et l’aggravation des
inégalités, qui ont toutes deux des incidences négatives sur les
perspectives de croissance. Une autre tendance de fond pourrait
apparaître à la suite de la prochaine révolution de la production,
causée par la numérisation de l’économie (mégadonnées ou
big data, robotisation, intelligence
artificielle). La question est de savoir si cette révolution de
la production permettra à la productivité de repartir à la hausse
et si cela sera suffisant pour contrebalancer les conséquences économiques
négatives des autres tendances de fond
. La réponse à cette question pourrait
bien dépendre de notre capacité à gérer ces tendances, ce qui suppose
de disposer du bon cadre analytique et des bons indicateurs.
84. Lors de la RCM 2015, l’OCDE a été encouragée à poursuivre
ses efforts pour améliorer ses cadres et méthodes analytiques, notamment
ses outils d’analyse sur le long terme. La RCM a salué en particulier
le
Rapport de synthèse final NAEC et reconnu l’importance des indicateurs
allant au-delà du PIB et des travaux de l’OCDE portant sur les indicateurs
Comment va la vie? et
Croissance verte. La RCM a appelé
l’OCDE à poursuivre la généralisation de ses analyses multidimensionnelles
dans ses publications phares, notamment ses travaux sur la croissance
inclusive et l’égalité hommes–femmes, reconnaissant la nécessité
de s’intéresser aux inégalités et à la valeur du dialogue social
pour parvenir à une croissance plus inclusive et à des emplois de
qualité.
5.1. Initiative NAEC et orientations
stratégiques
85. La violence et l’ampleur de
la récente crise, et ses séquelles persistantes, appellent à une
profonde réflexion pour moderniser et enrichir la manière dont sont
élaborées les politiques publiques actuelles et pour définir un
nouveau programme d’action à l’appui d’une croissance plus forte,
plus résiliente, plus inclusive et plus durable. L’initiative NAEC
est un processus de réflexion global, à l’échelle de l’OCDE entière,
qui débouche sur une révision accélérée des cadres analytiques de
l’organisation, ainsi que sur un renouvellement et un renforcement
de ses instruments et outils politiques.
86. Avant la crise, l’analyse des politiques a souvent accordé
la priorité à l’efficience des marchés. Cette approche reléguait
au second plan des aspects du bien-être tels que la qualité de vie,
la durabilité environnementale et l’égalité des chances. Du coup,
la croissance économique a souvent été envisagée, de manière trop
restrictive, comme une fin en soi plutôt que comme un moyen d’améliorer
le bien-être de la société.
87. L’initiative NAEC propose et soutient une évolution des objectifs
et des perspectives:
- elle appelle
à mettre l’accent sur le bien-être et sa distribution afin de veiller
à ce que la croissance soit une source de progrès pour tous. Les
choix opérés en matière d’action publique devraient être réalisés à
la lumière de l’évaluation de leur impact sur les différentes dimensions
du bien-être et de leurs conséquences sur la redistribution. Cette
démarche permettrait de mieux comprendre les conséquences non intentionnelles
des politiques mises en œuvre et conduirait à analyser de façon
plus équilibrée les arbitrages et les complémentarités entre les
différentes options en matière d’action publique. L’OCDE a mis au
point une grille d’analyse qui prend en compte ces éclairages;
- elle préconise une meilleure intégration du secteur financier
et des risques associés dans les analyses, mettant en lumière les
interactions nombreuses et complexes entre la finance et l’économie
réelle;
- elle prend acte du renforcement de l’intégration économique
internationale et de la complexité qui en résulte, ainsi que des
éclairages qui peuvent ressortir de l’analyse de l’économie mondiale
en tant que système complexe adaptatif. Cette démarche aiderait
à mieux prendre en compte l’incertitude, les retombées négatives,
les risques systémiques et les effets de réseau. Une telle analyse,
entre autres, aiderait les responsables de l’action publique à mieux
appréhender le phénomène grandissant de l’interdépendance mondiale;
- elle recommande l’adoption d’une perspective à plus long
terme, qui permette d’étudier comment nos économies s’enracinent
dans des institutions façonnées par l’histoire, les normes sociales
et les choix politiques. De cette réflexion pourraient naître des
solutions plus adaptées à la situation, aux besoins, aux capacités
et au contexte institutionnel de chaque pays;
- elle recommande d’accompagner ce changement d’approche
en développant davantage la prospective stratégique.
88. Pour que ce changement d’approche se concrétise, l’OCDE doit
élaborer, lorsque cela est possible, des instruments et outils nouveaux,
mais aussi approfondir, généraliser et systématiser leur utilisation:
- ces infléchissements supposent
de mesurer les stocks (de richesse, de ressources naturelles, de
capital social, etc.) et de tenir dûment compte des concepts de
stock et de flux dans les analyses.
- ils supposent également de continuer de développer l’utilisation
des microdonnées de façon à mettre en évidence l’hétérogénéité des
ménages et des entreprises et de faciliter les analyses visant à appréhender
les mécanismes qui sous-tendent les inégalités et à y remédier.
89. L’Organisation doit également revoir et améliorer ses approches
de la modélisation, en adoptant une démarche plus intégrée tout
en diversifiant les types de modèles qu’elle utilise et en prenant
acte des limites des hypothèses fondamentales sur lesquelles ils
sont bâtis.
90. En mai 2015, les membres de l’OCDE ont reconduit le Secrétaire
général Gurría dans ses fonctions jusqu’en 2021, à la suite de quoi
celui-ci a présenté à la RCM ses orientations stratégiques pour
l’OCDE, l’objectif global restant de faire de l’OCDE l’institution
de référence auprès de laquelle on recherche des conseils sur les
politiques à mener pour favoriser la croissance, le développement
et le bien-être, dans les pays membres et à travers le monde. Des
priorités ont donc été formulées afin d’aider les pays membres et partenaires
à relever les défis qu’ils rencontrent et à exploiter au mieux les
possibilités qui se présentent à eux. La première de ces priorités
est qu’ils relèvent les défis et saisissent les opportunités et
qu’ils gèrent les risques afin de renforcer leurs économies
.
91. A l’échelle mondiale, il va falloir intensifier les efforts
visant à relancer la croissance. L’investissement mondial reste
faible et, dans de nombreux pays, les petites et moyennes entreprises
(PME) ont toujours du mal à trouver des financements. Malgré l’abondance
des liquidités, il se révèle difficile de diriger les capitaux vers
les investissements à long terme, notamment dans les infrastructures.
A l’échelle nationale, de nombreux gouvernements sont confrontés
au défi de favoriser la croissance sous une forme inclusive et durable
et de rétablir la confiance des citoyens, qui est fortement entamée.
92. Dans ce contexte, les principaux défis stratégiques de l’OCDE
pour 2015-16 sont les suivants:
- favoriser
une croissance inclusive qui permettra de lutter contre le chômage
et d’assurer un partage égal des fruits de la croissance, en renforçant
l’horizontalité de ses travaux et en y intégrant de façon systématique
les NAEC;
- pousser plus avant son programme en faveur de la productivité
et de la compétitivité en s’appuyant sur les travaux consacrés à
la prochaine révolution de la production et à l’innovation afin
d’aider les pays membres et partenaires à assurer une croissance
inclusive au sein de l’économie mondialisée moderne;
- renforcer sa contribution à un système économique international
fondé sur des règles en optimisant l’impact de ses normes existantes
et en repérant les domaines dans lesquels en élaborer de nouvelles;
- continuer à renforcer sa dimension mondiale et à apporter
un appui à l’agenda mondial et aux initiatives collectives internationales
en matière d’action publique, par l’intermédiaire du G20 et à travers
des contributions spécifiques à des questions importantes comme
le développement international, l’amélioration de l’égalité hommes–femmes
(avec l’objectif 25x25) et le changement climatique.
5.2. Systématiser la prise en
compte de la croissance verte et inclusive
93. Les pays sont en train de prendre
des mesures qui vont dans le sens de la croissance verte, mais des efforts
bien plus décisifs sont nécessaires pour que les priorités environnementales
soient intégrées dans les agendas économiques afin de promouvoir
une croissance et un bien-être durables. Le rapport de l’OCDE intitulé Vers une croissance verte : Suivre les progrès vise,
grâce à des conseils plus ciblés et plus cohérents sur l’action
publique, à contribuer à accélérer la mise en œuvre, par les pays,
de politiques en matière de croissance verte. Dans ce contexte,
l’OCDE continuera d’intégrer systématiquement la croissance verte
dans ses travaux. Le rapport Aligner
les politiques pour une économie bas carbone est un exemple
emblématique des efforts déployés par l’OCDE pour fournir une stratégie
intégrée de croissance verte. Il offre un diagnostic des contradictions
entre les mesures d’action en faveur du climat et d’autres réglementations
axées sur les combustibles fossiles et propose des moyens pour surmonter
ces contradictions afin de soutenir une transition plus tangible
de l’ensemble des pays vers une économie à bas carbone. Des informations
pertinentes à cet égard sont désormais régulièrement inclues dans
ses études économiques, examens environnementaux, examens des politiques
de l’investissement et rapports villes et croissance verte. Le Forum
sur la croissance verte et le développement durable 2015 portera
sur les moyens de favoriser la «prochaine révolution industrielle»
en exploitant le potentiel des politiques d’innovation des systèmes
destinées à soutenir la croissance verte.
94. L’initiative sur la croissance inclusive sera la pierre angulaire
des analyses et conseils horizontaux de l’OCDE sur le bien-être
et permettra de relever les enjeux ayant trait aux inégalités. Le
cadre multidimensionnel sur la croissance inclusive prend en compte
le fait que les inégalités vont au-delà des revenus: elles affectent aussi
l’emploi, la santé et d’autres éléments non monétaires. A l’intérieur
de ce cadre, on étudie de nouvelles options permettant de concilier
une croissance vigoureuse et une meilleure répartition de ses bienfaits.
Cette approche a des implications sur l’action publique, au sens
où elle accorde une importance très grande aux effets que des politiques
structurelles individuelles peuvent avoir sur des groupes sociaux
spécifiques, par exemple les pauvres ou la classe moyenne. L’objectif
visé consiste à identifier des synergies entre les politiques propices
à la croissance et celles qui favorisent l’inclusivité et, lorsque
des arbitrages doivent être opérés, à garantir la cohérence de l’action
et le respect des complémentarités. L’OCDE va aussi ouvrir un Centre
pour l’égalité des chances, dont la mission sera de s’intéresser
à la nature pluridimensionnelle des inégalités et d’identifier les
politiques qui permettent de promouvoir une croissance inclusive
dans tous les secteurs. Elle soutient aussi l’objectif du G20 de
réduire l’écart hommes–femmes en termes de participation au marché
du travail de 25 % d’ici 2025.
95. La prochaine étape sera de préciser et renforcer les éléments
méthodologiques du Cadre d’action pour une croissance inclusive.
Il faudra pour cela intégrer progressivement dans les indicateurs
de progrès de l’OCDE d’autres dimensions extérieures au revenu qui
comptent dans le bien-être (l’éducation et l’environnement, par
exemple), mais aussi inclure de nouveaux pays dans les analyses
et vérifier la solidité de ce cadre. Suivront des mesures visant
à l’intégrer systématiquement à l’ensemble des travaux de l’OCDE.
96. Les travaux menés sur la qualité des emplois dans le cadre
de l’initiative NAEC fournissent déjà un cadre d’évaluation de cette
qualité selon trois grands critères: la qualité de la rémunération,
la sécurité de l’emploi et la qualité de l’environnement du travail.
Ces travaux permettront de recenser les principaux leviers d’action
susceptibles d’améliorer la qualité des emplois, dans l’optique
de l’élaboration d’une nouvelle Stratégie de l’OCDE pour l’emploi.
97. Les travaux de l’OCDE sur l’éducation et les qualifications
présentent un intérêt direct pour la croissance inclusive. En aidant
les pays à résoudre les problèmes persistants d’inadéquation des
compétences, l’OCDE s’attaque au problème de la perpétuation des
faibles niveaux d’instruction d’une génération à l’autre. Pour empêcher
que l’inadéquation des qualifications n’aboutisse à un chômage global
plus élevé, une croissance économique plus faible et de plus grandes
inégalités de revenus, les Perspectives
de l’OCDE sur les compétences 2015 formulent des recommandations
pour l’élaboration d’une stratégie globale pour améliorer les compétences
et l’employabilité des jeunes.
98. L’OCDE, en sa qualité d’instance d’établissement de normes,
peut aussi contribuer à la croissance inclusive et au bien-être
tout en rétablissant la confiance. Elle continuera à renforcer et
à optimiser l’impact des normes existantes, tout en repérant dans
quels domaines il convient d’en élaborer de nouvelles.
99. Pour assurer une croissance inclusive et durable, les gouvernements
doivent aussi s’attaquer aux problèmes de fraude et d’évasion fiscales.
Dans le cadre du projet OCDE-G20 sur l’érosion de la base d’imposition
et le transfert de bénéfices (BEPS), une panoplie de mesures sera
proposée pour mettre fin aux failles qui permettent aux entreprises
de transférer artificiellement leurs bénéfices vers des territoires appliquant
une imposition faible ou nulle. Il s’agira, à cette fin, de redonner
de la cohérence aux règles fiscales internationales, de faire en
sorte que les bénéfices soient imposés là où interviennent les activités économiques
et la création de valeur, et d’assurer une plus grande transparence.
Toutes les mesures liées au projet BEPS, qui sont en cours d’élaboration
dans le cadre d’une collaboration entre plus de 60 pays, seront parachevées
en 2015. Pour garantir que cette initiative emblématique aura bien
l’impact souhaité après la livraison des mesures BEPS en 2015, les
travaux futurs devront mettre l’accent sur le soutien à apporter
aux pays pour une mise en œuvre efficace et cohérente des résultats
du plan d’action BEPS, grâce à l’élaboration d’une législation type
et d’orientations techniques, ainsi qu’au suivi de l’impact des
mesures BEPS sur la résolution des questions de double imposition
et de double exonération.
5.3. Renforcer le rayonnement
mondial de l’OCDE
100. L’OCDE renforce ses relations
avec ses pays partenaires dans le monde entier afin d’enrichir les
débats de l’organisation sur l’action publique et de contribuer
à une vision commune des grands enjeux des politiques publiques
et des normes de bonnes pratiques. En renforçant son rayonnement
mondial, l’OCDE gagne en efficacité dans son rôle de plateforme
pour le partage d’expériences sur l’action publique entre pays membres et
partenaires, l’apprentissage par les pairs, l’élaboration et l’actualisation
des normes et la promotion de leur respect.
101. Dans le cadre de sa stratégie de développement de ses relations
mondiales, l’OCDE s’est ouverte à de nouveaux membres, a mis en
place des programmes régionaux complets, lancé des programmes par
pays et élargi l’utilisation des forums mondiaux. A ce titre, elle
a récemment signé des protocoles d’accord avec la Chine, le Brésil
et l’Indonésie. La Stratégie de l’OCDE pour le développement contribue
aussi à la cohérence des politiques et au partage des connaissances
qui permettent d’améliorer l’élaboration des politiques et la réforme
économique dans l’ensemble des pays.
5.4. Analyse des conseils politiques,
des trilemmes et des arbitrages de l’OCDE
102. L’OCDE a relevé le défi de
réfléchir sérieusement à la crise et au rôle qu’elle a joué dans
la période qui a précédé. Elle s’engage à s’interroger sur les approches
politiques actuelles, à les compléter et à fixer une nouvelle feuille
de route pour parvenir à une croissance plus durable, inclusive
et résistante. Le processus de réflexion engagé avec l’initiative
NAEC à l’échelle de toute l’organisation est d’une grande portée; transdisciplinaire
et tourné vers l’avenir, il consiste à élaborer des scénarios et
à faire de la prospective stratégique.
103. Dans le même temps, la prise en compte systématique de ces
nouvelles idées n’en est encore qu’à ses débuts et les conseils
que l’OCDE dispense à chacun des pays sur les politiques à mener,
dans le cadre de l’approche dite «par pays» de l’OCDE, ne diffèrent
pas vraiment des prescriptions adressées aux Etats membres avant
la crise. Si les réformes structurelles constituent toujours l’axe
d’analyse principal de l’OCDE, une place plus importante est aujourd’hui
faite aux arbitrages sous-jacents entre les différentes dimensions complémentaires
de la prospérité, comme l’illustre l’édition 2015 de la publication Objectif croissance. Une importance
accrue est également accordée aux politiques d’accompagnement et
à la nécessité de concevoir des trains de réforme. Dans une étude
récente qui s’appuie sur des microdonnées, l’OCDE montre que les réformes
des marchés du travail et des produits destinées à favoriser la
croissance macroéconomique réduisent généralement les inégalités
de revenus. Cette étude pointe cependant des exceptions: les réformes qui
stimulent la croissance en réduisant le volume ou la progressivité
de l’impôt et des transferts sociaux risquent d’aggraver la vulnérabilité
et l’inégalité des revenus des ménages.
104. Lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux inégalités, le principal
conseil reste qu’il est nécessaire d’investir dans les compétences
car des travailleurs mieux formés pourront trouver des emplois de
meilleure qualité.
105. Cet investissement doit aller de pair avec des politiques
visant à revitaliser la croissance de la production et en particulier
à faire redémarrer la mécanique de diffusion des innovations. L’OCDE
et l’OIT constatent par exemple que de nombreux jeunes, y compris
parmi les mieux formés et les plus compétents, sont condamnés à
des formes d’emplois atypiques, qui n’entrent pas dans la catégorie
des emplois de meilleure qualité. Ou, comme l’a dit le président
de la Commission Syndicale Consultative auprès de l’OCDE (TUAC)
et de la Fédération américaine du travail et Congrès des organisations
industrielles (AFL-CIO), Richard Trumka, dans le cadre du panel
Perspectives économiques, lors de la RCM 2015: «Cette approche est
erronée; l’amélioration des compétences et les gains de productivité
n’ont pas d’effet automatique sur les salaires car les mesures influant
sur l’offre ne se répercutent pas jusqu’aux ménages. Nous avons
besoin d’une stratégie qui donne du pouvoir aux travailleurs et
des droits de négociation pour restaurer l’équilibre économique
et social et la confiance à l’égard de nos dirigeants politiques.»
Une nouvelle approche s’impose donc aujourd’hui: «La réduction des
inégalités peut et doit aller de pair avec la stimulation de la
croissance. Elle doit s’inscrire dans une stratégie d’ensemble.
Les réformes structurelles et l’austérité sont allées dans le mauvais sens
jusqu’à présent.»
106. Pour ses analyses globales, l’OCDE s’appuie sur les idées
transversales les plus récentes, mais elle reste plus timorée dans
ses prescriptions politiques et préconise en partie ce que le gouvernement
de l’Etat membre concerné peut utiliser dans le débat national pour
appliquer les mesures de réforme structurelle préférées. L’OCDE
n’ayant ni pouvoir de contraindre, ni mécanisme d’application, elle
ne peut parvenir à ses fins que si les gouvernements des Etats membres
sont disposés à coopérer.
107. Les réformes que l’OCDE est susceptible de recommander en
son nom sont celles qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité
quelque part. Bien que le Rapport de
synthèse final NAEC constate que «l’analyse des politiques
[accordait souvent, avant la crise,] la priorité à l’efficience
des marchés, [que cette] approche reléguait parfois au second plan
des aspects du bien-être tels que la qualité de vie, la durabilité environnementale
et l’égalité des chances [et que] la croissance était ainsi souvent
considérée comme une fin, et non comme un moyen d’améliorer le bien-être
dans la société», de nombreuses analyses politiques donnent encore
l’impression de considérer la croissance comme une fin, privilégiant
l’efficience des marchés pour y parvenir.
108. Avec le temps, les graines du changement se répandront aussi
et les rapports de conseils politiques aux pays s’adapteront probablement
aux idées les plus récentes. Cependant, reprendre une nouvelle politique
qui a fait la preuve de son efficacité ailleurs ne mettra pas forcément
fin aux problèmes, même si cette politique ne vise pas uniquement
la croissance économique et l’efficience des marchés. Certaines
politiques efficaces pour parvenir à un développement économique
durable et inclusif dans un pays ne contribuent pas nécessairement
à un progrès économique durable et inclusif à l’échelle mondiale.
Le protectionnisme n’est, à cet égard, qu’un exemple bien connu
de politique du chacun pour soi. La théorie des jeux montre qu’un
choix optimal au niveau individuel ne conduit pas toujours au meilleur
résultat collectif.
109. Le fait d’être un pays compétitif est bon pour les affaires
et peut aussi être un facteur de durabilité et d’inclusivité en
fonction de l’avantage compétitif qui est exploité. Si cet avantage
découle d’une productivité plus élevée, il accroît la productivité
mondiale, ce qui est une bonne chose (pour autant qu’il contribue
aussi à la durabilité à et à l’inclusivité). Par contre, si le coût
unitaire du travail est réduit au moyen d’une baisse des salaires,
il entraînera un recul de la demande mondiale. Il permet d’améliorer
la compétitivité, mais il freine la croissance au niveau mondial.
De même, une fiscalité réduite peut être un élément positif pour
la compétitivité, mais le manque de moyens pour financer les investissements
publics et les dépenses sociales ne contribuent pas au progrès global.
La simplification administrative peut aussi améliorer la compétitivité,
mais risque dans le même temps de ramener la réglementation à un
niveau qui ne permette plus de protéger les travailleurs ou les
consommateurs, ou de piloter l’économie en temps de crise. La concurrence
sur les salaires, les impôts ou la réglementation est toujours potentiellement
nuisible. Un pays où les salaires et les impôts sont faibles et
où la réglementation est réduite dispose d’un avantage compétitif,
mais seulement jusqu’à ce que les autres rentrent dans cette compétition.
Sinon, il a pour seul effet d’aboutir à un relâchement de toutes
les règles et de produire un nivellement par le bas.
110. Le problème est que même si cette concurrence a des effets
néfastes sur la population d’un pays donné, cette population pourrait
se trouver dans une situation encore pire si ce pays ne se lançait
pas dans cette course concurrentielle alors que tous les autres
le font. L’absence de gouvernance économique mondiale rend difficile
la coordination des politiques pour le bien de tous. C’est ce que
Dany Rodrik appelle le paradoxe de la mondialisation ou le «trilemme»
de l’économie internationale.
111. Les économistes ont mis en évidence plusieurs trilemmes, dont
celui de «l’impossible trinité» ou trilemme de Mundell-Fleming est
probablement le plus connu; il affirme que seuls deux des trois
objectifs que constituent un régime de taux de change fixe, une
politique monétaire nationale indépendante et la mobilité des capitaux
peuvent être réalisés simultanément. Dans le cas du trilemme de
l’économie internationale théorisé par Rodrik, l’arbitrage doit
se faire entre la mondialisation économique, la démocratie et la souveraineté
nationale. Les différents pays peuvent avoir des politiques économiques
et sociales indépendantes dans le cadre d’une mondialisation limitée,
comme pendant le système de Bretton Woods. Ou mettre en place une
intégration poussée des marchés et exercer leur souveraineté nationale,
auquel cas l’espace démocratique se réduira pour assurer la compétitivité
avec l’abandon des politiques sociales et de stabilité économique
qui ne servent pas directement cet objectif de compétitivité. Comme
il n’y a, au niveau mondial, ni autorité de contrôle de la concurrence,
ni prêteur en dernier ressort, ni filets de sécurité, ni instance démocratique
de contrôle des marchés, ces derniers souffrent d’un déficit de
gouvernance et sont donc exposés à l’instabilité, à l’inefficience
et au manque de légitimité populaire.
112. Pour la lutte contre la fraude fiscale, nous dépendons de
la coopération intergouvernementale au sein du G20 et de l’OCDE
et utilisons par exemple l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe. Pour défendre les normes du travail, nous dépendons de
l’OIT. Nous ne pouvons malheureusement pas faire grand-chose si
les gouvernements des grandes puissances économiques ne veulent
pas coopérer. Par exemple, jusqu’à ce que le gouvernement fédéral
des Etats-Unis décide de ratifier les conventions fondamentales
de l’OIT, les employeurs américains disposent d’un avantage compétitif
sur les européens en termes de coût du travail, la concurrence transatlantique
exerçant en retour une pression à la baisse sur les normes acceptées au
niveau international.
113. Pourquoi la part des rémunérations du travail (salaires et
autres avantages) dans la valeur ajoutée a‑t‑elle diminué ces dernières
décennies? Selon l’OCDE
,
cela s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs: le progrès
technologique, l’augmentation de la productivité globale des facteurs
(PGF) et de l’intensité capitalistique, l’intensification de la
concurrence internationale et intérieure et la délocalisation provoquées
par la mondialisation et, enfin, les privatisations. A l’époque
de Bretton Woods, le progrès technologique et l’augmentation de
l’intensité capitalistique avaient entraîné une hausse de la productivité
du travail et de la part du travail dans la valeur ajoutée. On peut
en déduire que la qualité de ces facteurs a changé et que l’intensité capitalistique
pose aujourd’hui de nouveaux problèmes. De plus, la mondialisation
a modifié l’équilibre des puissances et transformé l’idéologie et
les modèles économiques dominants. Il en a résulté une libéralisation et
une déréglementation des marchés, la privatisation d’entreprises
et une concurrence accrue. Il en a résulté la libéralisation et
la déréglementation des marchés, la privatisation d’entreprises
et une concurrence accrue. Cela n’a en général malheureusement pas
entraîné une augmentation plus rapide de la productivité mondiale, mais
plutôt une pression à la baisse sur les salaires, la perte de pouvoir
des syndicats et, donc, le déclin du syndicalisme, l’émergence de
formes de travail atypiques, la flexibilisation de la relation de
travail et la croissance de l’économie informelle, tous ces phénomènes
aboutissant à une baisse de la part du travail au niveau mondial
et au développement des inégalités au niveau national.
114. L’OCDE préconise une intégration économique plus poussée et
la stimulation des échanges et des investissements internationaux.
Ces derniers ont largement contribué à la prospérité mondiale, mais
pas sans contrepartie. L’intégration économique internationale et
la concurrence internationale accrue nous ont privés de la possibilité
de réguler les marchés (nationaux) afin d’assurer la stabilité,
la durabilité, l’équité ou la sécurité. Nous avons besoin de règles
pour que les marchés fonctionnent correctement, mais aussi pour protéger
l’environnement, les travailleurs et les consommateurs. Or, il est
beaucoup plus dur de réguler les marchés mondiaux que les marchés
locaux ou nationaux.
115. Les arguments en faveur d’une intégration économique internationale
plus poussée découlent d’études comparatives: les pays engagés dans
la mondialisation s’en sortent beaucoup mieux que les autres. Les marchés
émergents qui se sont ouverts à la mondialisation (après s’être
dotés d’industries nationales dans un cadre protégé) en ont bénéficié.
Mais comme la productivité et le coût du travail dans ces pays a
augmenté, cela n’a pas suffi à compenser la perte de revenus du
travail dans les économies avancées pour empêcher une chute de la
part du travail au niveau mondial. Comme avec les politiques du
chacun pour soi, ce qui est bon pour un pays ne l’est pas nécessairement
pour tous.
116. L’initiative NAEC a ouvert la voie à l’étude de nombreux types
d’arbitrage entre les différents facteurs, mais pas encore à celle
des arbitrages entre les politiques nationales et leurs implications
mondiales. Avant de préconiser d’aller plus loin dans la libéralisation
des échanges commerciaux et des investissements, il serait judicieux
de s’interroger sur ses coûts en termes d’espace démocratique pour
la régulation, la stabilité, le travail et l’égalité.
6. Conclusions
117. Dans ce rapport, j’ai passé
en revue les développements récents à l’OCDE et l’évolution de l’économie mondiale,
ainsi que les publications récentes de l’OCDE. J’ai considéré les
choses dans un contexte plus large puisqu’une partie des travaux
de recherche récents de l’OCDE ne s’intéressent pas à la croissance
simplement en termes de PIB, mais prennent en compte des paramètres
sociaux et écologiques, ainsi que des mesures du bien-être, du développement
durable et du caractère inclusif de la croissance. J’ai porté une
attention particulière au processus des NAEC, puisqu’il s’agit de
«l’un des résultats les plus tangibles, les plus visibles et les
plus féconds du dialogue entre le Conseil de l’Europe et l’OCDE
».
118. Les deux derniers siècles ont été témoins d’une croissance
de la prospérité sans précédent dans l’histoire du développement
économique. Tout particulièrement après la seconde guerre mondiale,
pour des millions de personnes dans les économies avancées, l’espérance
de vie, l’alphabétisation, la santé et la richesse ont progressé
de façon considérable. Puis à nouveau au cours de ces dernières
décennies, marquées par la mondialisation de l’économie, des centaines
de millions de personnes dans les économies émergentes ont été tirées
de l’extrême pauvreté
.
119. Mais l’histoire du développement, de la financiarisation et
de la mondialisation économiques n’est, hélas, pas faite que de
réussites. Le développement a aussi conduit à l’exploitation de
la main-d’œuvre et des ressources naturelles. A cause de nos activités
économiques, végétaux et animaux disparaissent à un rythme inégalé
depuis l’époque des dinosaures. L’eau, les sols et nombre de ressources
naturelles sont surexploités. Nos émissions de carbone peuvent provoquer
des changements climatiques catastrophiques.
120. Si la croissance économique sans précédent de cet «âge d’or»
qu’ont été les années 1950 et 1960 s’est traduite par des niveaux
record d’investissement et est allée de pair avec une augmentation
de la part du travail, la réduction des inégalités et une stabilité
économique relative, l’ère de la mondialisation économique s’accompagne
d’un niveau plus faible d’investissement, d’une croissance plus
lente de la productivité et de la production économique, d’une diminution
de la part du travail dans la valeur ajoutée et de la hausse des inégalités.
121. Comme en 2014, les perspectives économiques à court terme
sont moins bonnes qu’anticipées, mais les projections pour l’an
prochain sont plus optimistes. La récente révision à la baisse des
prévisions de croissance pour 2015 est due aux résultats du premier
trimestre 2015, qui a enregistré les performances économiques les
plus faibles depuis l’impact initial de la crise financière, en
2008. L’économie mondiale subit encore les séquelles de la plus
profonde et plus longue récession depuis la naissance de l’OCDE,
il y a 55 ans.
122. L’OCDE a mis en garde contre l’apparition de nouveaux risques
financiers et appelle à ne pas s’en remettre exclusivement à la
politique monétaire, étant donné que des taux d’intérêt anormalement
bas peuvent conduire à une prise de risques et à un endettement
alimenté davantage par la liquidité que par les fondamentaux économiques.
Bien qu’elle ne pense pas vraiment que la prochaine crise financière
soit pour tout de suite, elle appelle les pays à continuer d’améliorer
leur résistance aux chocs financiers.
123. L’optimisme affiché pour l’an prochain repose sur une accélération
progressive de la croissance de l’investissement réel, après des
années de stagnation. Cette accélération restera cependant plus
faible que lors des précédents cycles de reprise. Le problème est
que le niveau d’investissement est décevant d’année en année depuis
la crise. On comprend que la réunion ministérielle 2015 de l’OCDE
ait porté essentiellement sur la stimulation de l’investissement.
Les multinationales ne semblent cependant pas être intéressées par l’investissement,
même si l’accès aux ressources financières n’apparaît plus comme
le principal problème. Nombre de multinationales sont des épargnants
nets et disposent de ressources considérables pour se lancer dans
des acquisitions ou des rachats d’actions. Il faudra apparemment
attendre que les investissements d’autorités publiques qui ne sont
pas encore surendettées insufflent un nouvel élan de confiance dans l’économie
et la nécessaire transition vers une économie verte.
124. Historiquement, l’OCDE a aussi prôné le soutien au commerce
international en tant que moteur de croissance. Mais quelle puissance
a encore le moteur de la libéralisation des échanges dans des économies avancées?
Et quel en est le coût? Comme le «prix Nobel d’économie» Paul Krugman
l’a expliqué à plusieurs occasions, l’avantage comparatif est une
bonne raison pour s’ouvrir au commerce international, mais lorsque le
commerce est déjà bien ouvert, il n’y a pas grand-chose à gagner
à l’ouvrir encore plus. Krugman pense qu’il est déjà trop optimiste
d’évaluer à 0,5 % du PIB le total des gains que les pays membres
du Partenariat transpacifique retirent de celui-ci. De même, l’un
des scénarios les plus optimistes parmi les différentes projections
réalisées pour la Commission européenne sur les gains à attendre
du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI
ou TTIP) fait état d’un surplus de croissance de seulement 0,5 %
sur les dix prochaines années. D’autres études sont moins positives,
voire négatives, en ce qui concerne les gains économiques. Une étude
qui s’est intéressée à la distribution des gains et des pertes liés
au PTCI prévoit un nouveau recul de la part du travail, des destructions
d’emplois et un renforcement des inégalités, ce qui correspond assez
largement à l’histoire de la mondialisation jusqu’à présent.
125. D’autres éléments de ces accords de commerce et d’investissement
récemment négociés étant encore plus contestés – notamment le mécanisme
d’arbitrage –, il pourrait être sage de ne pas se précipiter et
de solliciter les compétences de l’OCDE, en s’appuyant sur son Cadre
d’action pour l’investissement et ses travaux sur les traités relatifs
à l’investissement et aux investissements directs étrangers, pour
déterminer quels bénéfices réels en attendre et quels sont les enjeux
en présence. Les partenariats transpacifique et transatlantique
vont-ils réellement entraîner des destructions d’emplois et une
nouvelle diminution de la part du travail? Vont-ils accroître les
inégalités? Et si oui, quel impact cela aura-t-il sur la croissance
économique? Nous savons par différentes études de l’OCDE et également
du FMI que la hausse des inégalités entrave la croissance économique.
126. Globalement, la généralisation des analyses découlant de l’initiative
NAEC et de la croissance verte et inclusive mérite d’être pleinement
soutenue. Les chiffres relatifs aux arbitrages opérés entre la croissance,
la stabilité, l’environnement/l’écologie, l’équité/le bien-être
fournissent des informations politiques très utiles. Je recommanderais
néanmoins qu’une dimension supplémentaire soit ajoutée à l’analyse
des complémentarités et des arbitrages entre les différents objectifs:
il s’agit du reste du monde. Des externalités influent sur l’environnement
et le domaine public, mais elles peuvent aussi être exportées et
toucher d’autres pays.
127. Les tendances et projections à long terme laissent craindre
la poursuite de la dégradation de l’environnement, de la pollution,
de l’épuisement des ressources et de l’amplification des inégalités,
ce qui entravera le développement économique, qui est déjà compromis
par le ralentissement des gains de productivité et le vieillissement
des populations. Après l’Europe et le Japon, d’autres pays et continents
seront touchés. Ces tendances de fond doivent être contrées, pas
seulement en s’écartant des modes de pensée conventionnels, mais
en changeant de référentiel de pensée. Nous avons besoin de nouveaux
modèles, d’un nouveau discours. Les conseils de politique économique
orthodoxes venant de la vieille école ne feront qu’aggraver les
tendances de fond.
128. Une autre de ces tendances pourrait venir contrebalancer en
partie le ralentissement anticipé; elle découle de la prochaine
révolution de la production, qui pourrait se manifester par une
automatisation, une informatisation et une robotisation plus poussées.
Les progrès rapides de l’intelligence artificielle et des connaissances
tirée des mégadonnées, entraînés par la numérisation de l’économie,
pourraient aboutir au remplacement accru de la prochaine génération
de travailleurs par du capital à moindre coût. Ce n’est plus seulement
le travail le moins qualifié, mais aussi la plupart des emplois
les plus qualifiés qui pourraient être automatisés dans un avenir
proche. Si tel devait être notre avenir, comment pourrions-nous
encore dégager une croissance inclusive? Nous devrions alors relever
un défi entièrement nouveau en matière d’inégalités, revoir la répartition
économique et repenser les systèmes éducatifs. Dans ce contexte,
l’OCDE met en chantier un projet portant sur la prochaine révolution
de la production dont le but est d’apporter un éclairage sur les développements
scientifiques et technologiques qui pourraient entraîner un changement
des modes de production dans les dix à quinze prochaines années
et d’envisager les risques, les opportunités et les actions que
les pays devront mener pour pouvoir bénéficier des avantages de
cette évolution. Lors de la RCM de cette année, un document de référence
sur la prochaine révolution de la production a été présenté. Courant
2015-2016, un rapport sera publié à partir de l’expertise de plusieurs
comités de l’OCDE pour évaluer l’importance de ces technologies,
leurs implications potentielles sur les chaînes de valeur mondiales
et la productivité ainsi que certaines de leurs incidences sur les
emplois et les compétences.
129. Comme l’OIT a déjà indiqué que le chômage et la précarité
de l’emploi dans le secteur formel vont continuer de progresser
et que l’économie informelle va se développer étant donné que la
croissance économique sera insuffisante pour générer la création
de véritables emplois, et comme nous pourrions assister à une nouvelle
révolution de la production qui aura très probablement un impact
immense sur le monde du travail, l’OIT a chargé une commission de
haut niveau de préparer un rapport sur l’avenir du travail pour
la conférence du centenaire de l’organisation, en 2019. Je recommande
que l’OCDE cherche activement à participer à cette conférence et
à ses travaux préparatoires. La réunion des ministres du travail
et de l’emploi de l’OCDE, qui se tiendra à Paris le 15 janvier 2016,
offrira une bonne occasion d’avoir une discussion à haut niveau
sur ces sujets. Les résultats de cette réunion seront mis à la disposition
de la conférence à haut niveau organisée par l’OIT.