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Rapport | Doc. 13919 | 13 novembre 2015

Le sort des détenus gravement malades en Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Andreas GROSS, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc 13573, Renvoi 4080 du 3 octobre 2014. 2015 - Commission permanente de novembre

Résumé

Nul ne devrait mourir en détention et les Etats membres devraient veiller à accorder à chaque détenu la dignité humaine élémentaire de pouvoir mourir hors de prison. Cependant, il existe des obstacles juridiques et pratiques à l’accès des détenus à des soins médicaux vitaux, comme l’indisponibilité d’un personnel médical et psychologique formé, le manque de communication rapide et efficace entre le personnel pénitentiaire et le personnel médical et le fait de ne pas transférer rapidement les détenus dans un hôpital public. Des informations font aussi état de l’application disproportionnée de la contention à des détenus malades qui sont physiquement incapables de s’évader ou de blesser autrui. Les Etats membres devraient veiller à ce que toute personne placée en détention bénéficie d’un niveau de soins médicaux équivalent à celui que peut obtenir tout autre membre de la société.

En outre, il faut déplorer les pratiques trop restrictives dont fait l’objet, partout en Europe, l’octroi d’une libération pour des motifs de compassion à des personnes âgées et gravement malades, qui repose bien souvent sur des critères incertains et subjectifs ou sur les recommandations de professionnels de santé qui ne sont pas indépendants du système carcéral. Par conséquent, les Etats membres sont exhortés à prévoir des procédures équitables et rapides de demande de libération pour des motifs de compassion, qui permettent aux détenus gravement malades de bénéficier de soins médicaux spécialisés et aux détenus âgés ou malades en phase terminale de mourir dans la dignité, hors de prison.

Le Comité des Ministres est invité à réaliser une étude exhaustive de la législation et de la pratique des Etats membres en matière de libération (provisoire et permanente) pour des motifs de compassion des détenus et des autres catégories de personnes placées en détention, en vue de recenser les meilleures pratiques et d’adopter des lignes directrices sur la libération pour des motifs de compassion des personnes gravement malades et âgées.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 2 novembre
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire estime que nul ne devrait mourir en détention. Tous les Etats membres devraient veiller à accorder à chaque détenu la dignité humaine élémentaire de pouvoir mourir hors de prison.
2. Dans cet état d’esprit, l’Assemblée est préoccupée par les obstacles juridiques et pratiques à l’accès des détenus à des soins médicaux vitaux et à la libération pour des motifs de compassion des détenus âgés ou malades en phase terminale.
3. Bien que les normes internationales prévoient qu’un détenu doit jouir d’un droit d’accès aux soins médicaux comme tout autre membre de la société, l’Assemblée est préoccupée par le fait que le système des soins médicaux en milieu carcéral n’offre pas toujours un accès en temps utile à un traitement médical vital, en particulier pour les détenus gravement malades.
4. Les obstacles pratiques, comme l’indisponibilité d’un personnel médical formé, le manque de communication rapide et efficace entre le personnel pénitentiaire et le personnel médical, le fait de ne pas transférer les détenus dans un hôpital public et l’application disproportionnée de la contention aux détenus, entravent la capacité d’un détenu à recevoir des soins médicaux adéquats, surtout lorsque son état de santé est si grave qu’il doit se faire soigner dans un hôpital extérieur à son lieu de détention.
5. L’Assemblée s’inquiète également des informations qui font état de l’utilisation inappropriée de menottes sur des détenus immobiles, dans le coma, mourants, voire décédés ce qui met en lumière les pratiques alarmantes de certains Etats membres qui recourent avec insistance à des moyens de contention, même lorsqu’il est évident qu’un détenu est physiquement incapable de s’évader ou de blesser les personnes qui l’entourent.
6. L’Assemblée est également préoccupée par les pratiques restrictives à l’octroi d’une libération pour des motifs de compassion. Elles reposent bien souvent sur des critères incertains et subjectifs ou sur les recommandations de professionnels de santé qui ne sont pas indépendants du système carcéral ou du pouvoir exécutif. En outre, la décision finale est parfois prise par un fonctionnaire, sans possibilité de contrôle juridictionnel.
7. La tendance au vieillissement de la société transparaît dans la population carcérale. Comme la population des détenus vieillit, les besoins en soins médicaux adéquats et la libération anticipée pour des motifs de compassion deviennent vitaux pour des raisons humanitaires.
8. Les personnes en détention ont tendance à vieillir prématurément et sont souvent sujettes à davantage de problèmes de santé que les personnes en liberté. Les besoins en fonctionnalités gériatriques adaptées qui en découlent dans les centres de détention devraient être pris en compte lors de la construction et de la rénovation des locaux.
9. Le manque de programmes de soins de fin de vie ou de soins palliatifs dans de nombreux centres de détention, ou leur mauvais usage ou mise en œuvre insuffisante lorsqu’ils existent, conduit à des situations dans lesquelles les détenus meurent privés de dignité et dans la douleur, bien souvent dans une cellule ou un hôpital pénitentiaire et sans la présence de leur famille ou de leurs amis.
10. L’Assemblée exhorte par conséquent les Etats membres du Conseil de l’Europe:
10.1. à mettre leurs législation et pratique en conformité avec les normes internationales qui consacrent le droit à l’égalité des soins médicaux pour les détenus;
10.2. à veiller à l’existence de procédures qui permettent aux détenus gravement malades de déposer une demande de libération provisoire pour des motifs de compassion, afin de recevoir des soins médicaux spécialisés, et dont la décision soit soumise au contrôle d’une instance juridictionnelle indépendante;
10.3. à veiller à l’existence de procédures qui permettent aux détenus âgés ou malades en phase terminale de déposer une demande de libération permanente pour des motifs de compassion, afin de pouvoir mourir dans la dignité, et dont la décision soit soumise au contrôle d’une instance juridictionnelle indépendante;
10.4. à veiller à ce que les autorités compétentes:
10.4.1. autorisent le traitement d’un détenu malade et assurent efficacement son transport lorsque l’état de l’intéressé exige des soins médicaux particuliers dans un établissement extérieur;
10.4.2. procèdent à une évaluation des risques pour déterminer le niveau nécessaire de contention, le cas échéant, lorsque l’état d’un détenu exige son traitement dans un établissement extérieur, en tenant compte avant tout de l’état de santé du détenu et de son évolution;
10.4.3. accélèrent la prise de décisions lorsqu’elles sont saisies de demandes de libération provisoire ou permanente pour des motifs de compassion, en gardant à l’esprit l’urgence médicale de la situation;
10.4.4. mettent en place des programmes de soins palliatifs et de fin de vie qui satisfassent aux besoins particuliers d’une population de détenus âgés, de manière à offrir à un détenu l’environnement le plus humain et le plus confortable possible jusqu’à sa libération.
11. Outre ce qui précède, l’Assemblée invite:
11.1. la Turquie:
11.1.1. à adopter une politique nationale qui prévoie que le recours à la contention appliquée aux détenus en milieu médical doit être exceptionnel et toujours proportionné de manière réaliste au risque que l’intéressé peut représenter pour la sécurité;
11.1.2. à attribuer la compétence du transport des détenus vers des hôpitaux extérieurs à un organe autre que la gendarmerie et à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour garantir la dignité du détenu avant et pendant ces transferts, notamment en s’assurant qu’ils aient lieu sans retard excessif ou discriminatoire et en évitant tout mauvais traitement des détenus au cours de ces transferts;
11.1.3. à modifier sa législation relative à la suspension des peines d’emprisonnement pour raisons médicales de manière à garantir:
11.1.3.1. que les décisions d’octroi ou d’annulation de la suspension d’une peine d’emprisonnement soient prises par une autorité indépendante prévue par la loi, autre que le ministère public, afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts ou de partialité politique;
11.1.3.2. que la recevabilité d’une demande de libération pour des motifs de compassion soit évaluée sur la base de rapports médicaux établis par des médecins indépendants de l’administration pénitentiaire et du pouvoir exécutif;
11.1.3.3. que le critère de recevabilité en vertu duquel la personne à libérer ne représente pas une menace pour la sécurité publique ne soit pas appliqué de manière discriminatoire, afin que tous les détenus qui réunissent les conditions d’une libération pour raisons médicales soient libérés, tout en imposant toutes les conditions qui peuvent s’avérer nécessaires pour éviter une récidive;
11.1.3.4. que le droit et la pratique soient conformes avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative aux peines de réclusion à perpétuité, en offrant aux détenus qui purgent une peine de réclusion à perpétuité aggravée la possibilité de demander une libération conditionnelle, ainsi qu’une suspension de peine pour raisons médicales;
11.2. la Roumanie:
11.2.1. à augmenter les effectifs du personnel médical dans les lieux de détention, notamment en incitant le personnel médical qualifié à travailler dans les établissements pénitentiaires;
11.2.2. à augmenter significativement la ration alimentaire quotidienne des détenus et veiller à ce qu’une alimentation nutritive leur soit fournie;
11.2.3. à redoubler d’efforts pour lutter contre la surpopulation carcérale et garantir des conditions de détention qui favorisent la bonne santé des détenus et leur rétablissement après une maladie;
11.3. le Monténégro à entreprendre de continuer à augmenter les effectifs du personnel médical dans ses établissements pénitentiaires et à renforcer la coopération avec les services médicaux extérieurs au système carcéral, surtout pour les soins psychologiques et le traitement des troubles mentaux.
12. Enfin, l’Assemblée observe que la situation des personnes placées en détention qui présentent de graves handicaps suscite des préoccupations similaires à celles qui ont été exposées plus haut et estime qu’il convient de les examiner de manière distincte.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 2 novembre 2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution ... (2015) sur le sort des détenus gravement malades en Europe, souligne qu’il est de la plus haute importance de garantir des soins de santé adéquats et des traitements médicaux aux personnes privées de liberté, dont l’absence pourrait entraîner des violations des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
2. L’Assemblée rappelle les normes internationales établies dans ce domaine, et notamment les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus et l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies, la Recommandation no R (98) 7 relative au aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire et la Recommandation Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes du Comité des Ministres, ainsi que les lignes directrices élaborées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
3. Réitérant sa conviction que nul ne devrait mourir en prison, l’Assemblée souligne la nécessité pour les Etats membres de prévoir des possibilités de libération des détenus (provisoire ou permanente) pour des motifs de compassion, fondées sur des raisons médicales. Elle invite le Comité des Ministres:
3.1. à encourager les Etats membres à collecter systématiquement et mettre en commun des données statistiques:
3.1.1. sur le pourcentage des demandes de libération pour des motifs de compassion acceptées et refusées, déposées par des détenus malades en phase terminale, les détenus souffrant d’une grave maladie qui exige leur traitement hors de leur lieu de détention et les détenus d’un âge avancé;
3.1.2. sur les maladies des détenus libérés pour raisons médicales;
3.1.3. sur la durée de la peine restant à purger des détenus jugés aptes à bénéficier d’une libération pour des motifs de compassion, le type d’infraction dont ils avaient été reconnus coupables et la durée de la peine déjà purgée avant leur libération;
3.1.4. sur la durée moyenne de la procédure de révision;
3.1.5. sur le nombre de personnes décédées pendant l’examen de leur demande de libération pour des motifs de compassion;
3.2. à procéder à une étude exhaustive de la législation et de la pratique de l’ensemble des Etats membres en matière de libération (provisoire et permanente) pour des motifs de compassion des détenus et des autres catégories de personnes placées en détention, en vue de recenser les meilleures pratiques et d’adopter des lignes directrices sur la libération pour des motifs de compassion des détenus gravement malades et âgées.

C. Exposé des motifs, par M. Gross, rapporteur

(open)

1. Procédure

1. La proposition de résolution 
			(3) 
			Doc. 13573. sur «Le sort des détenus gravement malades dans les prisons turques», déposée par M. Nazmi Gür et d’autres membres de l’Assemblée, a été renvoyée pour rapport à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme le 3 octobre 2014.
2. Lors de sa réunion du 30 octobre 2014, la commission m’a nommé rapporteur sur ce sujet. Elle a ensuite procédé à un échange de vues avec le président sortant du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), M. Lətif Hüseynov, au cours de sa réunion à Paris le 18 mars 2015. A cette occasion, la commission a pu obtenir un certain nombre d’informations d’ordre général sur le traitement et la possibilité de libération des détenus gravement malades dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
3. J’ai été autorisé à effectuer des visites d’étude au Monténégro, en Roumanie et en Turquie lors de la réunion de la commission à Strasbourg le 21 avril 2015. A cette occasion, la commission a décidé, sur la base de la vue d’ensemble de la situation donnée par M. Hüseynov et sur ma proposition, de modifier l’intitulé du rapport comme suit: «Le sort des détenus gravement malades en Europe». La commission a jugé opportun d’étendre le champ d’application du rapport de manière à examiner la situation de l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe. La commission a également décidé d’étendre le champ d’application du rapport à la situation non seulement des détenus qui purgent une peine à laquelle ils ont été condamnés après avoir été jugés coupables d’une infraction par un tribunal, mais également des autres «personnes détenues», comme celles qui sont placées en détention provisoire, les immigrés placés en rétention ou tout autre personne dont le placement en détention ne découle pas d’une condamnation au pénal. Enfin et surtout, la commission m’a également autorisé à envoyer un questionnaire par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), pour demander aux délégations nationales des informations sur leur droit et leur pratique internes en matière de traitement ou de libération des détenus gravement malades.
4. Le 20 mai 2015, à l’occasion de sa réunion à Erevan (Arménie), la commission a examiné une note d’information.

2. Les questions en jeu

5. Les rapports émanant d’un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe ont signalé la négligence et l’absence de traitement dont font l’objet les détenus gravement malades, qu’ils souffrent d’une maladie physique ou mentale, voire des deux à la fois. Bon nombre de prisons et d’autres lieux de privation de liberté ne sont pas équipés pour prendre soin des détenus qui souffrent de certaines pathologies ou leur prodiguer des soins de fin de vie, ce qui risque d’entraîner une dégradation de leur état de santé et peut, parfois, leur être fatal. Par ailleurs, certains rapports indiquent que des mesures de contention (à l’aide de menottes ou d’instruments similaires) sont appliquées à tort (parfois systématiquement) aux détenus âgés, infirmes et mourants, y compris à des personnes qui ont été transférés dans un hôpital pour y recevoir un traitement 
			(4) 
			Voir, par exemple, The Guardian: «<a href='http://www.theguardian.com/society/2013/nov/09/sick-prisoners-handcuffing-terminally-ill'>Dying
in chains: why do we treat sick prisoners like this?</a>» (9 novembre 2013, en anglais).. Qui plus est, les détenus n’ont bien souvent pas la possibilité de contester efficacement le traitement inadapté qui leur est réservé, par exemple parce qu’ils n’ont pas droit à une aide juridictionnelle à cette fin.
6. J’examinerai ces questions et un certain nombre de problèmes connexes plus attentivement. Mais il existe une question plus essentielle encore, sur laquelle repose mon mandat de rapporteur : est-il opportun de maintenir en détention une personne gravement malade ou mourante? Selon certaines allégations, les autorités nationales compétentes refusent trop souvent d’accorder une libération pour des motifs de compassion en tenant compte d’un âge avancé ou d’une maladie, malgré la logique qui voudrait qu’un malade âgé en phase terminale, physiquement affaibli, soit peu susceptible de représenter encore une menace sur le plan de la sécurité s’il était libéré.
7. Je traiterai dans mon rapport de trois des quatre catégories de détenus, y compris les détenus condamnés et les prévenus, que le CPT juge inaptes à la détention (continue) 
			(5) 
			Voir plus loin la note
de bas de page no 11 et le texte qui
l'accompagne., à savoir:
  • les détenus qui souffrent d’une grave maladie qui exige leur traitement hors de leur lieu de détention;
  • les détenus malades en phase terminale (c’est-à-dire ceux qui présentent un pronostic fatal à court terme);
  • les détenus d’un âge avancé.
8. Je considère que la quatrième catégorie mentionnée par le CPT, celle des détenus (sévèrement) handicapés, sort du cadre de mon rapport. Il ne fait cependant aucun doute que la situation des détenus handicapés mérite une enquête plus approfondie. Lors de mes visites d’études, j’ai eu connaissance d’un certain nombre de cas inquiétants de détenus qui étaient incapables de prendre soin d’eux-mêmes en raison de leur handicap (essentiellement physique). Un arrêt récemment rendu par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») contre la France 
			(6) 
			Voir <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-152257'>Helhal
c. France</a>, Requête no 10401/12, arrêt
du 19 février 2015. corrobore mes inquiétudes au sujet de la violation des droits des détenus handicapés. Au vu de ces éléments, j’encourage l’Assemblée parlementaire (et peut-être sa commission sur l'égalité et la non-discrimination) à consacrer un rapport distinct à cette question.
9. Les questions associées aux détenus gravement malades méritent une attention particulière, puisque la peine d’emprisonnement – et donc la privation de la liberté physique d’une personne – est conçue comme une peine proportionnée et appropriée infligée aux personnes reconnues coupables d’une infraction pénale par un tribunal; toute privation supplémentaire des droits de l’intéressé, notamment de son droit aux soins médicaux, outrepasse le mandat de condamnation à une peine donné à l’Etat. La situation peut être plus dérangeante encore pour les personnes placées en détention provisoire qui n’ont pas été reconnues coupables d’une infraction pénale et auxquelles on refuse pourtant une attention médicale.
10. Mon rapport porte plus spécialement sur la pratique de trois pays: la Roumanie, le Monténégro et la Turquie, que j’ai retenus sur la base des rapports du CPT et d’autres sources disponibles, parce que le traitement des détenus gravement malades pouvait y rencontrer d’importants problèmes. Afin d’obtenir des informations supplémentaires des Etats membres dans lesquels je n’ai pu me rendre, je leur ai adressé un questionnaire par l’intermédiaire du CERDP pour demander à chacun d’eux des informations sur leur législation relative à la libération pour raisons de compassion des détenus malades ou âgés. Ce questionnaire figure en Annexe 1 du présent rapport. Sur les 47 Etats membres contactés, 29 ont répondu 
			(7) 
			Albanie, Allemagne,
Autriche, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Chypre, Danemark, Espagne,
Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Islande, Italie,
Lituanie, Luxembourg, Monténégro, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République
de Moldova, Roumanie, Serbie, République slovaque, Suisse, République
tchèque et Turquie, ainsi qu’Israël (dont le parlement jouit du
statut d’observateur auprès de l’Assemblée parlementaire). et un autre Etat a indiqué qu’il refusait de donner des informations 
			(8) 
			Le Danemark.. Je tiens à dire ma reconnaissance aux services de recherche parlementaire pour leur coopération, qui m’a permis de brosser un tableau de la situation des détenus gravement malades dans l’ensemble de l’Europe.

3. Normes internationales pertinentes et travaux connexes du Conseil de l’Europe – bref aperçu

3.1. Soins médicaux prodigués aux détenus gravement malades

11. Les Nations Unies ont spécifiquement consacré trois documents principaux aux droits des détenus. En premier lieu, les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, qui énoncent que «les détenus ont accès aux services de santé existant dans le pays, sans discrimination aucune du fait de leur statut juridique» et que «les détenus doivent continuer à jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme ». Deuxièmement, l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus 
			(9) 
			Adopté
par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime
et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvé
par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV)
du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977.reconnaît l’importance d’un personnel médical indépendant et indique que «les services médicaux devraient être organisés en relation étroite avec l'administration générale du service de santé de la communauté ou de la nation». Enfin, l’Ensemble de principes pour la protection des personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement énonce avant tout que «toute personne soumise à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine».
12. Le CPT a consacré une partie de son 3e rapport général aux services de santé dans les prisons 
			(10) 
			CPT, 3e rapport
général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au
31 décembre 1992, <a href='http://www.cpt.coe.int/fr/annuel/rap-03.htm'>CPT/Inf(93)12</a> (4 juin 1993), paragraphes 30 et suiv.. En outre, les Normes du CPT (document CPT/Inf/E(2002)1 Rev. 2006) énoncent comme principe fondamental que tous les détenus ont droit à un niveau de soins médicaux équivalent à celui dont bénéficie tout autre membre de la collectivité au sens large. Enfin, comme je l’ai indiqué plus haut, après avoir précisé qu’il incombait aux Etats membres de dispenser des soins médicaux aux personnes détenues sur leur territoire, le CPT a par ailleurs clairement indiqué que certaines catégories de détenus étaient inaptes à une détention (continue). Il a ainsi fait valoir que:
«Des exemples typiques sont ceux de détenus qui présentent un pronostic fatal à court terme, ceux qui souffrent d'une affection grave dont le traitement ne peut être conduit correctement dans les conditions de la détention ainsi que ceux qui sont sévèrement handicapés ou d'un grand âge. La détention continue de telles personnes en milieu pénitentiaire peut créer une situation humainement intolérable. Dans des cas de ce genre, il appartient au médecin pénitentiaire d'établir un rapport à l'intention de l'autorité compétente, afin que les dispositions qui s'imposent soient prises 
			(11) 
			CPT,
Normes du CPT, <a href='http://www.cpt.coe.int/fr/documents/fra-standards.pdf'>CPT/Inf/C(2002)1
[Rev. 2015]</a>, 21 janvier 2015, partie 31/86, paragraphe 70 (p. 50).
Normes du CPT, ainsi que l'ensemble des rapports et des déclarations
publiques qui émanent du CPT, peuvent désormais être consultés et
faire l'objet d'une recherche sur la nouvelle <a href='http://hudoc.cpt.coe.int/fre/'>base de données HUDOC
CPT</a>.
13. La Recommandation N° R (98) 7 du Comité des Ministres présente une série de recommandations sur les «aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire», notamment l’accès à un médecin à tout moment et sans retard excessif et l’indépendance professionnelle des médecins qui assurent le traitement des détenus.
14. De même, le manuel du Conseil de l’Europe sur les soins et l’éthique médicale dans les prisons («Prison health care and medical ethics») souligne l’importance de l’indépendance professionnelle du personnel de santé des établissements pénitentiaires, en faisant remarquer qu’«il est essentiel que les décisions cliniques des médecins des établissements pénitentiaires soient uniquement régies par des critères médicaux et que la qualité et l’efficacité de leur action soient évaluées par une autorité médicale qualifiée».
15. Il convient également de mentionner la Recommandation 1418 (1999) sur la protection des droits de l'homme et de la dignité des malades incurables et des mourants, qui rappelle, en citant la Résolution 613 (1976), que «les malades mourants tiennent avant tout à mourir dans la paix et la dignité, si possible avec le réconfort et le soutien de leur famille et de leurs amis».
16. La Cour européenne des droits de l’homme a également précisé que les questions relatives aux droits sanitaires des personnes placées en détention pouvaient relever de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention»), qui consacre l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les situations graves, dans lesquelles un détenu décède par suite de soins médicaux insuffisants peuvent également relever du droit à la vie protégé par l’article 2. La Cour s’est prononcée à plusieurs reprises sur les soins médicaux (ou la privation alléguée de soins médicaux) dispensés aux détenus qui souffrent d’une pathologie. Les affaires suivantes peuvent être mentionnées à titre d’exemple.
17. Depuis l’arrêt de Grande Chambre rendu dans l’affaire Kudła c. Pologne 
			(12) 
			Requête
no 30210/96, arrêt du 26 octobre 2000
(Grande Chambre)., la Cour a constamment réaffirmé que le fait, pour un Etat, de ne pas dispenser les «soins médicaux requis» à une personne détenue pouvait être constitutif d’une violation de l’article 3 de la Convention. Elle a notamment fait remarquer en l’espèce (au paragraphe 94) que:
«l'Etat [doit] s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l'administration des soins médicaux requis.»
18. Dans son appréciation de l’article 3, la Cour tient compte, comme elle l’a précisé dans l’arrêt Mouisel c. France 
			(13) 
			Requête
no 67263/01, arrêt du 21 mai 2003., d’éléments tels que l’état de santé médical du détenu, l’adéquation de l’assistance médicale et des soins médicaux dispensés en détention et le caractère recommandable du maintien de la mesure de détention au vu de l’état de santé du requérant. Ce critère a été étoffé dans l’affaire Gelfmann c. France 
			(14) 
			Requête
no 25875/03, arrêt du 14 décembre 2004., où la Cour a tenu compte, entre autres facteurs pertinents, de la dynamique de l’état de santé du requérant, de la possibilité de libération conditionnelle d’un détenu gravement malade dont la santé se dégrade et de l’attitude du requérant.
19. La Cour a également conclu à la violation de l’article 3 dans divers arrêts prononcés contre plusieurs Etats Parties, affaires dans lesquelles les détenus s’étaient vus refuser l’accès à des soins médicaux vitaux ou avaient reçu un traitement totalement inadapté. Les affaires suivantes, dont la liste n’est de loin pas exhaustive, illustrent ces situations:
  • Testa c. Croatie 
			(15) 
			Requête
no 20877/04, arrêt du 30 janvier 2008., en raison des soins médicaux inadaptés à l’hépatite C du détenu;
  • Dirdizov c. Russie 
			(16) 
			Requête
no 41461/10, arrêt du 27 novembre 2012., en raison de l’absence de «traitement médical complet, efficace et transparent» dispensé en détention au requérant pour son arthrite et sa maladie de Bechterew progressive, alors que les médecins avaient averti que l’absence de soins médicaux adéquats mettait en danger la vie du requérant et le rendrait handicapé;
  • Romokhov c. Russie 
			(17) 
			Requête
no 4532/04, arrêt du 16 décembre 2010., en raison du retard et des défauts du traitement médical dispensé au requérant pendant sa détention, qui l’ont amené à perdre la vue;
  • Khoudobine c. Russie 
			(18) 
			Requête
no 28370/05, arrêt du 9 juillet 2012. et Salakhov et Islyamova c. Ukraine 
			(19) 
			Requête
no 28005/08, arrêt du 14 juin 2013., en raison de l’absence de traitement médical adéquat dispensé par les centres de détention respectifs à des détenus séropositifs;
  • Grori c. Albanie 
			(20) 
			Requête
no 25336/04, arrêt du 7 octobre 2009., en raison du refus du centre de détention de dispenser un traitement adéquat à un détenu souffrant de sclérose en plaques;
  • McGlinchey et autres c. Royaume-Uni 
			(21) 
			Requête
no 50390/99, arrêt du 29 avril 2003., en raison de l’absence de soins médicaux adéquats dispensés par le centre de détention à une détenue qui présentait de graves symptômes de sevrage, alors même que son état avait empiré.
20. La Cour a également conclu à la violation de l’article 2 (droit à la vie) dans de graves affaires où un détenu est décédé en raison du caractère inadapté ou inefficace de son traitement. Citons, notamment:
  • Tararieva c. Russie 
			(22) 
			Requête
no 4353/03, arrêt du 14 décembre 2014., en raison des soins médicaux inadaptés dispensés au détenu et de son transfert prématuré d’un hôpital civil vers l’hôpital pénitentiaire de l’établissement où il était placé en détention, qui ont contribué à son décès;
  • Salakhov et Islyamova c. Ukraine 
			(23) 
			Requête
no 28005/08, arrêt du 14 mars 2013., en raison des soins inadaptés et de leur retard injustifié, qui ont causé la mort d’un détenu séropositif.
21. Compte tenu de l’urgence des questions relatives aux besoins médicaux des détenus, la Cour a également ordonné à plusieurs reprises des mesures provisoires au titre de l'article 39 du Règlement de la Cour. Dans l’affaire Tymoshenko c. Ukraine 
			(24) 
			Requête
no 49872/11, arrêt du 30 avril 2013., la Cour a ordonné une mesure provisoire au titre de l’article 39 et a demandé au gouvernement de veiller à ce que la requérante, l’ancien Premier ministre ukrainien emprisonné, Ioulia Timochenko, reçoive des soins médicaux adaptés à ses divers malaises. Dans l’affaire Paladi c. Moldova 
			(25) 
			Requête
no 39806/05, arrêt du 10 mars 2009 (Grande
Chambre)., elle a ordonné au gouvernement défendeur de ne pas transférer le requérant, qui souffrait de troubles neurologiques, de l’hôpital spécialisé où il était traité à l’hôpital pénitentiaire.

3.2. Détenus bénéficiant d’un traitement hors de leur lieu de détention

22. La Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes indique que lorsque l’état d’un détenu exige des soins spécialisés qui ne sont pas disponibles à l’hôpital pénitentiaire, il devrait être transféré dans un hôpital civil pour y recevoir ces soins. De même, l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, des Nations Unies, précise que les détenus malades qui exigent un traitement particulier devraient être transférés dans un établissement extérieur et que les directeurs de prison devraient prendre immédiatement des mesures pour tenir compte des recommandations du personnel médical.
23. Les Normes du CPT indiquent que, «en cas de recours à un hôpital civil, la question des mesures de sécurité se pose. A cet égard, le CPT souhaite insister sur le fait que les détenus envoyés dans un hôpital pour y recevoir un traitement ne doivent pas être attachés à leurs lits ou à d'autres éléments du mobilier afin d'assurer la sécurité. D'autres moyens de satisfaire aux exigences de sécurité peuvent et doivent être mis en œuvre».
24. La jurisprudence de la Cour en est le reflet. Pour ne citer que deux exemples, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du retard (répété) de l’admission d’un détenu dans un hôpital spécialisé dans les affaires Poghossian c. Géorgie 
			(26) 
			Requête
no 9870/07, arrêt du 24 mai 2009. et Andrey Gorbunov c. Russie 
			(27) 
			Requête
no 43174/10, arrêt du 5 février 2013..

3.3. Application de la contention aux détenus dans un environnement médical

25. Accessoirement, la Cour européenne des droits de l’homme exige que l’utilisation des menottes dans un environnement médical se justifie objectivement, afin qu’elle soit conforme à l’éthique médicale et à la dignité de la personne. Elle a conclu à une violation de l’article 3 dans un certain nombre d’affaires, dont celles que j’énonce ci-dessous, dans lesquelles les autorités nationales n’étaient pas parvenues à un juste équilibre entre les préoccupations légitimes en matière de sécurité et les droits des détenus:
  • Mouisel c. France (citée plus haut), en raison de la contention physique appliquée aux poignets et aux chevilles du détenu pendant sa chimiothérapie; et
  • Tararieva c. Russie 
			(28) 
			Requête
no 4353/03, arrêt du 14 mars 2007., en raison de l’enchaînement du détenu à son lit d’hôpital, alors même qu’il souffrait d’une grave pathologie gastrique dont il est finalement décédé.
26. La Cour a également examiné l’utilisation de menottes pour les détenus accompagnés vers ou depuis un hôpital et a conclu, par exemple dans l’affaire précitée Mouisel où le requérant était enchaîné pendant son transfert, qu’au vu de l’état de santé et de la faiblesse physique du requérant, l’usage des menottes était disproportionné par rapport aux besoins de sécurité.

3.4. Libération de détenus malades pour des motifs de compassion

27. La libération de détenus malades pour des motifs de compassion englobe deux situations. La première concerne les détenus qui demandent leur libération provisoire pour recevoir des soins médicaux dans un établissement extérieur, lorsque ces soins ne sont pas ou ne peuvent pas être dispensés par le centre de détention; la seconde concerne les détenus qui souffrent d’une maladie incurable et demandent à être libérés de façon permanente pour pouvoir mourir chez eux.
28. Le Comité des Ministres, dans sa Recommandation n° R (82) 16 sur le congé pénitentiaire, recommande avant tout aux Etats membres «d’accorder le congé pénitentiaire dans la plus large mesure possible pour des raisons médicales (…) et d’autres raisons sociales» et d’accorder ce congé «dès que possible et aussi fréquemment que possible». Le Comité des Ministres indique par ailleurs qu’en cas de refus les services pénitentiaires devraient donner dans la plus large mesure possible les raisons de ce refus et prévoir un mécanisme de réexamen de celui-ci.
29. Dans sa Recommandation Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle, le Comité des Ministres appelle l’ensemble des Etats membres à mettre en œuvre une législation interne qui autorise une forme de libération conditionnelle, lorsque cette législation n’existe pas encore. Il pose également pour principe que tout détenu qui satisfait aux critères minimaux d’une libération devrait être libéré et qu’il appartient aux autorités compétentes de démontrer pour quelles raisons un détenu ne devrait pas être libéré.
30. La Recommandation Rec(2003)22 comporte diverses recommandations relatives aux garanties procédurales. Elle indique plus précisément que «les décisions relatives à l'octroi, au report ou à la révocation de la libération conditionnelle, ainsi qu'à l'imposition ou la modification des conditions et des mesures qui lui sont associées, devraient être prises par des autorités établies par disposition légale». Elle ajoute que les personnes condamnées qui font une demande de libération conditionnelle ont le droit d’être entendues et de présenter des éléments de preuve, le droit d’accéder à leur dossier et le droit de se voir notifier par écrit une décision motivée.
31. La Cour a établi que l’article 3 permettait d’aller jusqu’à exiger la libération conditionnelle d’un détenu gravement malade ou handicapé, notamment lorsque, soit il ne peut plus recevoir de traitement adéquat en détention, soit son état de santé est si mauvais qu’il serait inhumain ou dégradant de le maintenir en détention. Bien qu’elle ne soit pas exhaustive, la liste des affaires suivantes est exemplaire des situations dans lesquelles l’état de santé d’un détenu n’a plus été jugé compatible avec sa détention et nécessitait une libération provisoire ou permanente:
  • Tekin Yildiz c. Turquie 
			(29) 
			Requête
no 22913/04, arrêt du 10 février 2006., en raison de la détention constante d’un détenu souffrant des complications entraînées par une grève de la faim;
  • Xiros c. Grèce 
			(30) 
			Requête
no 1033/07, arrêt du 21 février 2011., en raison du refus de donner suite à la demande du requérant, qui souhaitait bénéficier d’un traitement externe pour ses problèmes de vue;
  • Gülay Cetin c. Turquie 
			(31) 
			Requête
no 44084/10, arrêt du 5 juin 2013., en raison du refus des autorités de libérer un détenu atteint d’un cancer à un stade avancé;
  • Contrada (n° 2) c. Italie 
			(32) 
			Requête no 7509/08,
arrêt du 11 mai 2014., en raison de la durée excessive de la détention d’un homme dont l’état de santé avait été jugé par les tribunaux à plusieurs reprises incompatible avec son maintien en détention.
32. Les juridictions internationales ad hoc, comme le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le tribunal de Nuremberg, ont également adopté la pratique de la libération pour des motifs de compassion. A l’occasion du procès de Nuremberg, trois condamnés pour crimes de guerre ont bénéficié d’une libération anticipée en raison de leur mauvais état de santé 
			(33) 
			Voir la vue d'ensemble
réalisée par l’Université de Missouri-Kansas City, <a href='http://law2.umkc.edu/faculty/projects/ftrials/nuremberg/meetthedefendants.html'>«Defendants
in the Major War Figures Trial»</a>. . Pour ce qui est du TPIY, Biljana Plavšić, condamnée pour génocide et autres crimes commis lorsqu’elle était en fonction à la présidence collective de Bosnie-Herzégovine, a bénéficié d’une libération anticipée en raison de son grand âge et de la dégradation de sa santé 
			(34) 
			Voir TPIY, affaire
no IT-00-39 & 40/1-ES, <a href='http://www.icty.org/x/cases/plavsic/presdec/en/090914.pdf'>«Decision
of the President on the Application for Pardon or Commutation of Sentence
of Mrs Biljana Plavšić»</a>, 14 septembre 2009. .

3.5. Prise en charge des détenus âgés et possibilité de libération anticipée

33. L’enquête que j’ai menée pour le présent rapport s’est étendue au-delà du sort des détenus gravement malades, de manière à prendre également en compte les perspectives de libération des personnes âgées en détention. Un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) 
			(35) 
			Brie Williams, Cyrus Ahalt et Robert Greifinger, <a href='http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0007/249208/Prisons-and-Health,-19-The-older-prisoner-and-complex-chronic-medical-care.pdf'>«The
older prisoner and complex chronic medical care»</a>, in Organisation
mondiale de la Santé (OMS), Bureau régional de l’Europe, Prisons and Health (Copenhague:
OMS, mai 2014), chapitre 19. recense quelques-unes des principales difficultés liées à l’incarcération des détenus d’un âge avancé et observe que des détenus peuvent être considérés comme gériatriques dès l’âge de 50 à 55 ans. Le rapport recommande par ailleurs aux autorités pénitentiaires d’évaluer et d’adapter les centres de détention aux besoins très particuliers des détenus âgés, de revoir les listes de médications pour veiller à ce que celles-ci soient adaptées aux détenus âgés et de développer les ressources qui permettent d’offrir aux détenus âgés des programmes de soins palliatifs ou des services d’établissement de soins palliatifs, le cas échéant.
34. La Recommandation N° R (82) 16 du Comité des Ministres va plus loin, en encourageant les Etats membres à accorder des congés pénitentiaires pour différents motifs, et en précisant expressément qu’il peut s’agir de «raisons médicales, éducatives, professionnelles, familiales et d’autres raisons sociales» (le libellé original ne comporte pas d’italique). J’estime que la condition de détenus d’âge avancé peut et devrait être considérée comme l’une de ces raisons sociales.
35. Il importe de constater que la Cour n’exclut pas la possibilité que la détention prolongée d’une personne âgée puisse s’apparenter à un traitement inhumain ou dégradant, constitutif d’une violation de l’article 3 de la Convention. C’est ce qu’elle a indiqué dans l’arrêt Papon c. France 
			(36) 
			Requête
no 54210/00, arrêt du 7 juin 2001., bien qu’elle ait estimé que le niveau minimum de gravité nécessaire à l’engagement de l’article 3 n’était pas atteint en l’espèce 
			(37) 
			Voir également Steve
Foster, Human Rights and Civil Liberties,
2e édition (Harlow: Pearson Education,
2008), p. 316-317.. La Cour a également mentionné l’âge avancé d’un détenu à propos d’un grief tiré de l’article 3 dans l’affaire Farbtuhs c. Lettonie 
			(38) 
			Requête
no 4672/02, arrêt du 6 juin 2005., dans laquelle elle a conclu à la violation en raison du grave handicap du détenu et du fait qu’il était déjà âgé de 84 ans au moment de sa condamnation, puisque les infractions dont il avait été reconnu coupable avaient été commises près de 60 ans plus tôt.
36. Plus généralement, j’aimerais rappeler que, comme nous l’avons indiqué plus haut, le 3e rapport général du CPT précise que les détenus malades en phase terminale, les détenus d’un âge avancé et les détenus malades qui doivent être traités en dehors de leur lieu de détention sont inaptes à la détention continue.

3.6. Traitement des autres catégories de détenus

37. L’Assemblée a récemment adopté la Résolution 2077 (2015) et la Recommandation 2081 (2015) sur l'abus de la détention provisoire dans les Etats Parties à la Convention européenne des droits de l'homme, sur la base d’un rapport (Doc. 13863) établi par M. Pedro Agramunt (Espagne, PPE/DC). Ces deux textes invitent instamment les Etats membres à éviter autant que possible de recourir à la détention provisoire, en faisant remarquer les multiples conséquences négatives de la détention provisoire sur le détenu et la société tout entière. Il me paraît utile de rappeler que l’interdiction de tout traitement inhumain ou dégradant (article 3) vaut pour l’ensemble des détenus; les prévenus, qui sont présumés innocents, ont de ce fait aussi le droit de bénéficier d’un traitement médical adéquat, y compris dans un établissement extérieur, si nécessaire.
38. De même, les migrants placés en rétention dans les Etats Parties sont protégés par l’article 3. Les Normes du CPT indiquent que, «de la même manière que d'autres catégories de personnes privées de liberté, les étrangers retenus devraient, dès le début de leur privation de liberté, (…) avoir accès à un avocat et à un médecin». Malgré ces normes, plusieurs cas de traitement impropre de personnes immigrées placées en rétention ont été portés à mon attention par la Fédération internationale de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (FIACAT), notamment le placement en centre de rétention à Luxembourg de migrants en situation irrégulière qui avaient besoin d’un traitement psychologique spécialisé. En Suède, un demandeur d’asile syrien serait mort d’un cancer après cinq semaines de placement dans un centre de rétention pour migrants, où elle se trouvait isolée et n’avait pas accès à des médicaments autres que des antidouleur 
			(39) 
			Contribution
écrite de la FIACAT à mon rapport, septembre 2015 (disponible auprès
du Secrétariat). .

4. Législation, pratique et problèmes récurrents des Etats membres du Conseil de l’Europe

4.1. Obstacles à l’accès des détenus gravement malades à des soins médicaux (extérieurs)

39. J’ai constaté, à propos des soins médicaux dispensés aux détenus gravement malades, que divers Etats membres étaient confrontés à des problèmes d’indépendance du personnel médical, de disponibilité de moyens de transport des détenus vers des hôpitaux extérieurs et de contention appliquée aux détenus qui bénéficient de soins médicaux extérieurs, ce qui serait contraire aux normes européennes précitées.

4.1.1. Absence d’indépendance du personnel médical

40. Les normes européennes imposent que le personnel médical des centres de détention soit professionnellement indépendant pour pouvoir établir un diagnostic médical et administrer des soins en se préoccupant avant tout de la santé des détenus. J’ai cependant constaté, dans bien des cas, que les professionnels de santé des centres de détention restaient trop dépendants de l’administration pénitentiaire. D’après les réponses données à mon questionnaire, en Autriche, l’évaluation des détenus malades en phase terminale est pratiquée par deux médecins indépendants, ainsi que sous la forme d’un examen «de contrôle» effectué par le chef du service médical; cela me paraît une pratique satisfaisante. En revanche, en Bosnie-Herzégovine, seuls les services médicaux de chaque établissement pénal décident de la nécessité d’administrer des soins médicaux à l’extérieur de l’établissement.
41. Les professionnels de santé indépendants jouissent d’une plus grande confiance auprès des patients et d’une plus grande liberté de diagnostic sur la seule base de l’état de santé du détenu, ce qui n’est pas le cas lorsqu’ils doivent tenir compte des ressources et des préférences du centre de détention. Les Etats membres devraient s’employer à renforcer l’indépendance des professionnels de santé qui travaillent dans les centres de détention. Certains rapports constatent que l’un des moyens de renforcer l’indépendance du personnel soignant des centres de détention consiste à transférer la compétence de la santé pénitentiaire de l’administration pénitentiaire au ministère de la Santé, une option choisie par certains pays (dont la France, le Luxembourg, la Norvège, le Royaume-Uni et la Turquie) 
			(40) 
			Voir International
Centre for Prison Studies, King’s College London, <a href='http://www.prisonstudies.org/sites/default/files/resources/downloads/health_service_integration.pdf'>«Prison
Health and Public Health: The integration of Prison Health Services»</a>, rapport d'une conférence organisée par le ministère
de la Santé et le Centre international d'études pénitentiaires (Londres,
2 avril 2004).. Bien qu’il ne s’agisse pas du seul moyen de parvenir à l’indépendance professionnelle, j’encourage les Etats membres à envisager en plus grand nombre de procéder à ce transfert de compétences.

4.1.2. L’accès tardif aux soins médicaux

42. Je partage par ailleurs les préoccupations dont a fait part le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans un certain nombre de rapports établis à la suite de sa visite dans divers Etats membres – notamment, sans que cette liste soit exhaustive, en Azerbaïdjan (2010), Belgique (2008) et France (2008) – qui mettent en avant le problème posé par l’annulation ou le retard des rendez-vous médicaux extérieurs en raison, soit d’un manque de possibilités de transport depuis le centre de détention vers l’établissement hospitalier, soit d’une politique trop restrictive d’autorisation de ces traitements appliquée par l’administration pénitentiaire 
			(41) 
			Sur
ce dernier point, la FIACAT a fait remarquer dans ses conclusions
écrites que, bien souvent, le problème rencontré en France n'était
pas celui de la disponibilité des services, mais de la rigidité
dont font preuve les autorités pour autoriser l'accès à ces services. . J’ai également soulevé cette question au cours de mes missions d’information et je ne peux que souligner qu’il importe de transférer sans tarder les détenus malades auprès de médecins ou d’établissements médicaux extérieurs. La procédure de demande et d’organisation de ces transferts devrait être souple et éviter les excès de bureaucratie, tout en garantissant une approche non discriminatoire et en prévenant les décisions arbitraires de retard ou de refus de transfert.

4.1.3. Application de la contention aux détenus dans un environnement médical

43. J’ai constaté dans divers Etats membres un autre problème persistant: l’application constante et inutile ou disproportionnée de la contention aux détenus, même lorsqu’il est totalement impossible au vu des circonstances qu’ils s’évadent ou blessent autrui. Il arrive même que dans les Etats membres qui procèdent à une évaluation des risques pour déterminer le niveau adéquat de contention, le personnel pénitentiaire se contente parfois d’effectuer une seule évaluation des risques avant le transfert initial du détenu, au lieu de réévaluer constamment la situation à mesure que l’état du détenu évolue.
44. Je souscris aux conseils donnés en la matière par le médiateur des Etablissements pénitentiaires et Services de probation d’Angleterre et du pays de Galles (Prisons and Probation Ombudsman for England and Wales), qui a indiqué dans un rapport de 2013 consacré aux «Soins de fin de vie», que le «niveau de contention appliqué aux détenus doit être à tout moment proportionné aux risques perçus pour la sécurité et mis en balance avec la prise en compte des soins administrés aux détenus et du caractère décent du traitement qui leur est réservé». Il est néanmoins inquiétant de constater que le principe de proportionnalité semble être négligé dans les faits (de façon parfois criante) comme dans les exemples suivants:
  • un détenu de 67 ans atteint d’un cancer en phase terminale est mort enchaîné à un gardien de prison 
			(42) 
			Prisons
and Probation Ombudsman for England and Wales, <a href='http://iapdeathsincustody.independent.gov.uk/wp-content/uploads/2013/02/PPO-Learning-the-Lessons-Fatal-Incidents-Investigations-Restraints-February-2013.pdf'>«Learning
lessons bulletin, Fatal accidents investigations 2»</a>, février 2013.;
  • un détenu est resté enchaîné pendant ses quatre jours de coma artificiel, sans qu’aucune nouvelle évaluation des risques ne soit effectuée 
			(43) 
			Ibid.;
  • une détenue a été contrainte de rester enchaînée à une gardienne pendant qu’elle subissait un examen gynécologique invasif 
			(44) 
			The
Guardian, <a href='http://www.theguardian.com/society/2013/nov/09/sick-prisoners-handcuffing-terminally-ill'>«Dying
in chains, why do we treat sick prisoners like this?»</a>, 9 novembre 2013.;
  • un détenu de 65 ans a dû annuler un examen cardiaque et reprendre rendez-vous parce que les six gardiens qui l’accompagnaient ont refusé de lui ôter les menottes pour que cet examen puisse être pratiqué 
			(45) 
			Ibid.;
  • un détenu de 22 ans maintenu en vie par un respirateur artificiel est resté enchaîné à un gardien jusqu’à ce que cet appareil soit éteint 
			(46) 
			Ibid. .
45. Il importe cependant de noter que le Royaume-Uni n’est pas le seul pays auquel peut être reproché un recours excessif à la contention à l’égard de ces détenus, comme le démontrent les arrêts mentionnés plus haut (au paragraphe 25), rendus par la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de la France et de la Russie. Dans le même esprit, en France, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a critiqué le fait que les détenus soient souvent menottés, non seulement pendant leur transfert à l’hôpital, mais également pendant les consultations médicales et parfois même pendant des interventions chirurgicales 
			(47) 
			Contrôleur Général
des Lieux de Privation de Liberté (France), «<a href='http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030891422&categorieLien=id'>Avis
du 16 juin 2015 relatif à la prise en charge des personnes détenues
au sein des établissements de santé</a>». . La FIACAT a indiqué qu’au Luxembourg les détenus étaient régulièrement menottés à leur lit, même lorsqu’ils étaient placés en chambre d’hôpital sécurisée prévue à cet effet 
			(48) 
			Contribution
écrite de la FIACAT à mon rapport, septembre 2015 (disponible auprès
du Secrétariat). Voir également le dernier rapport du CPT sur le
Luxembourg, <a href='http://www.cpt.coe.int/documents/lux/2015-30-inf-fra.pdf'>CPT/Inf(2015)30</a>, p. 24. . Je soupçonne et je crains que les Etats membres soient plus nombreux encore à pratiquer une application excessive de la contention à leurs détenus lorsque ceux-ci bénéficient d’une assistance médicale.

4.1.4. Refus délibéré de soins médicaux

46. Le fait que l’administration ou les autres autorités compétentes empêchent délibérément l’administration des soins médicaux nécessaires représente l’un des problèmes les plus criants. Tout récemment, en septembre 2015, Vladimir Kondrulin a succombé à un cancer de la prostate dans un hôpital antituberculeux placé sous l’autorité du Service pénal fédéral de la région de Chelyabinsk en Russie. Il réunissait les conditions légales d’une libération pour des motifs de compassion, mais sa demande avait été rejetée et M. Kondrulin n’a pas été transféré dans un hôpital spécialisé 
			(49) 
			Agence russe d'informations
juridiques (RAPSI), <a href='http://rapsinews.com/judicial_news/20150908/274532301.html'>«Terminally
ill Russian inmate dies despite ECHR efforts»</a> (9 septembre 2015). Voir également RAPSI, <a href='http://rapsinews.com/judicial_news/20150901/274502499.html'>«ECHR
asks Russia to provide medical assistance to terminally ill inmate»</a> (1er septembre 2015).. De même, un récent rapport du CPT (document CPT/Inf(2015)27) établi à la suite de la visite d’une délégation dans la partie caribéenne du Royaume des Pays-Bas, a fait remarquer que, «[e]n 2013, une détenue de 36 ans est décédée d’une cardiomyopathie après avoir attendu plusieurs heures la visite d’un médecin» (paragraphe 171).
47. Ces situations sont d’autant plus inquiétantes lorsqu’une assistance médicale est refusée à des prisonniers politiques présumés. Au nombre des exemples spécifiques en la matière figurent la détention en Azerbaïdjan de Leyla et Arif Yunus, dont l’état de santé est préoccupant et auxquels un traitement a été systématiquement refusé 
			(50) 
			Selon certaines informations,
Leyla Yunus souffre de diabète et doit par conséquent bénéficier
d'un régime spécial, tandis que son mari souffre de problèmes cardiaques
et de tension. Ces mêmes informations affirment qu'un traitement leur
a été refusé à plusieurs reprises. Voir Fédération internationale
des ligues des droits de l’Homme (FIDH), <a href='https://www.fidh.org/International-Federation-for-Human-Rights/eastern-europe-central-asia/azerbaijan/16979-concerns-over-the-deterioration-of-the-health-of-leyla-yunus-arif-yunusov'>«Concerns over
the deterioration of the health of Leyla Yunus, Arif Yunusov and
Anar Mammadli while in arbitrary detention»</a>, 13 février 2015. Je note qu’Arif Yunus a été récemment
libéré pour raisons humanitaires, et je salue ce fait, comme l’a
fait Anne Brasseur, Présidente de l’Assemblée. En le faisant, elle
a, à juste titre, souligné la nécessité de libérer d’autres personnes
détenues, en particulier celles dont l’état de santé est extrêmement
préoccupant, <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5873&lang=1&cat=15'>www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5873&lang=1&cat=15.</a>, ainsi que le cas de Ioulia Timochenko 
			(51) 
			Voir <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-119382'>l'arrêt</a> de la Cour du 30 avril 2013, Requête no 49872/11., qui s’est vue refuser l’accès à des soins médicaux vitaux jusqu’à ce que la Cour européenne des droits de l’homme intervienne au titre de l’article 39.
48. Le cas de ce type le plus connu, pour ne pas dire le plus notoire, est sans doute celui de Sergueï Magnitski, dont la mort en détention provisoire à la suite du refus des autorités de lui administrer un traitement indispensable à sa pancréatite a suscité un tollé international et conduit à l’adoption de la Résolution 1966 (2014) et de la Recommandation 2031 (2014), «Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski», sur la base d’un rapport (Doc. 13356 et addendum) que j’avais établi pour le compte de l’Assemblée. Malgré un diagnostic très clair de son état de santé, qui exigeait une intervention chirurgicale, M. Magnitski a été transféré dans une prison qui ne disposait pas des installations nécessaires. Cette affaire est actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme 
			(52) 
			Voir <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-149050'>Magnitski
et Zharikova c. Russie</a>, Requêtes nos 32631/09 et
53799/12, communiquées au Gouvernement russe le 28 novembre 2014..
49. Enfin, l’affaire Aleksanyan c. Russie 
			(53) 
			Requête
no 46468/06, arrêt du 22 décembre 2008. concerne le traitement réservé à l’ancien vice-président de la société pétrolière Ioukos et avocat de MM. Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev, Vasily Aleksanyan. Malgré une sérieuse détérioration de son état de santé, M. Aleksanyan, qui souffrait du sida et avait développé une tuberculose et un cancer du foie accompagné de métastases dans les ganglions lymphatiques, n’a pas été transféré vers une clinique spécialisée pour y recevoir un traitement antirétroviral et y effectuer une chimiothérapie. Au contraire, sa détention provisoire a même été prolongée, au mépris évident de deux mesures provisoires indiquées par la Cour de Strasbourg, qui ordonnait aux autorités «d’assurer immédiatement, par des moyens appropriés, le traitement hospitalier du requérant dans un hôpital spécialisé dans le traitement du sida et des maladies associées» (paragraphe 76 de l’arrêt). M. Aleksanyan a uniquement été libéré sous caution (pour un montant équivalent à 2 millions d’euros) après que la Cour avait conclu à la violation de l’article 3 en raison de l’absence de l’assistance médicale requise pendant sa détention provisoire et estimé qu’il devait être mis fin à sa détention provisoire; il est décédé environ deux ans et demi plus tard.
50. Inutile de dire que ces affaires (politiques) ne représentent que le sommet de l’iceberg. Plus généralement, je dois admettre que j’ai été frappé de constater que les recommandations et les conseils très clairs qui émanent des nombreux documents précités adoptés par le Comité des Ministres, l’Assemblée parlementaire et le CPT, qui cherchent à établir un minimum de normes pour le traitement des détenus, semblent être bien souvent ignorés. Plus grave encore, lorsqu’un détenu parvient à demander réparation devant une juridiction nationale ou devant la Cour européenne des droits de l’homme, il a souvent subi un préjudice qui ne peut être supprimé. L’Assemblée doit par conséquent appeler l’ensemble des Etats membres à prodiguer les traitements médicaux nécessaires à tous les détenus.

4.1.5. Surmonter les obstacles recensés aux soins médicaux

51. A la lumière de ce qui précède, il me paraît de la plus haute importance de rappeler la Recommandation Rec(2000)22 du Comité des Ministres concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, ainsi que la Résolution 1938 (2013) et la Recommandation 2018 (2013) de l’Assemblée sur la promotion d’alternatives à l’emprisonnement 
			(54) 
			Voir également le rapport, Doc. 13174 (rapporteure: Mme Nataša Vučković, Serbie, SOC). par l’utilisation des sanctions appliquées dans la communauté et d’autres mesures alternatives au lieu d’un recours à la détention, chaque fois que cela s’avère possible. Le fait de placer moins de personnes en détention n’allège pas seulement la charge de travail excessive du personnel pénitentiaire, mais atténue également le risque d’une violation des droits des détenus malades. En outre, l’adoption d’une approche plus clémente à l’égard de la libération pour des motifs de compassion contribuera également à diminuer la surpopulation carcérale, ce qui favorisera par voie de conséquence des conditions de détention propices à la bonne santé des détenus. Avant d’examiner le type de traitement médical dont a besoin un détenu, les pouvoirs publics devraient par conséquent se demander pour commencer s’il convient réellement de placer l’intéressé en détention.
52. La jurisprudence de la Cour indique clairement que les détenus gravement malades doivent recevoir des soins médicaux adéquats et ne pas subir une contention supérieure à ce qui s’avère nécessaire. Le droit interne devrait permettre l’accès à l’assistance médicale d’un hôpital extérieur chaque fois qu’un professionnel de santé indépendant décide que cet accès est conforme à l’intérêt supérieur de la santé du détenu. Il convient également que le droit interne garantisse, en étant appliqué en ce sens, que la norme devrait être l’absence complète de contention, sauf si elle est exigée par une évaluation au cas par cas des risques. Le droit interne devrait rendre obligatoire la réévaluation constante de l’état de santé d’un détenu, afin de déterminer si, et à quel moment, la contention n’est plus indispensable.
53. Enfin, les pouvoirs publics ne doivent en aucun cas refuser délibérément un traitement médical à un détenu. Ces violations volontaires et patentes de l’article 3 sont totalement inacceptables.

4.2. Prise en charge et conditions générales de détention des détenus âgés

54. La population carcérale européenne vieillit. A titre d’exemple, j’aimerais faire remarquer que dans mon propre pays, en Suisse, le nombre de détenus âgés de plus de 59 ans a augmenté de 11 % entre 1990 et 2012; le nombre de détenus de plus de 70 ans a augmenté de 425 % au cours des 20 dernières années 
			(55) 
			Schweizerische
Eidgenossenschaft, Bundesamt für Statistik, chiffres du 28 août
2013; cité par Nicolas Quenoz,  «Mourir en prison: entre punition
supplémentaire et “choix” contraint», 3 Revue
internationale de criminologie et de police technique et scientifique 373,
2014. . Cette tendance au vieillissement s’accompagne d’un certain nombre de difficultés; elle conduit notamment à se demander comment traiter les détenus qui souffrent de certaines pathologies liées à l’âge. Je citerai une nouvelle fois l’exemple de la Suisse, où le détenu le plus âgé du pays, qui avait 90 ans à l’époque, s’était vu refuser sa demande d’interruption de peine alors qu’il était atteint d’un cancer en phase terminale et d’une démence prononcée 
			(56) 
			Ibid. . Lorsqu’il est question de démence à un stade avancé, je considère le maintien en détention comme un choix totalement injustifié, car l’intéressé ne comprendrait très probablement plus le but poursuivi par la peine qui lui est infligée.
55. Plus généralement, de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe sont dépourvus de centres de détention équipés pour pouvoir faire face aux besoins très particuliers d’une population carcérale vieillissante. Dans certains pays, les établissements pénitentiaires occupent des bâtiments anciens, sans ascenseur, dont les couloirs et les cages d’escalier sont étroits 
			(57) 
			Voir Contrôleur Général
des Lieux de Privation de Liberté (France), <a href='http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2013/02/CGLPL_Rapport-2012_version-WEB.pdf'>Rapport
d’activité 2012</a>, p. 240-241, ainsi que The
Telegraph, <a href='http://www.telegraph.co.uk/lifestyle/10107203/Should-we-help-our-OAPs-Old-Age-Prisoners.html'>«Should
we help our OAPs? (Old Age Prisoners)»</a> (11 juin 2013); The Economist,<a href='http://www.economist.com/news/international/21572752-old-prisoners-are-suffering-poor-careand-putting-strain-jails-too-it-life'> «In
it for life»</a> (2 mars 2013).. Il s’avère que les Etats où la population carcérale est faible, et où la population carcérale gériatrique est plus faible encore, sont peu incités à procéder à des changements significatifs 
			(58) 
			Ibid.. Mais ces détenus doivent bénéficier des mêmes droits et des soins médicaux appropriés que leur garantissaient les normes du CPT et l’article 3 de la Convention. Les détenus âgés souffrent inutilement de conditions de détention qui ne sont pas convenablement adaptées à leurs besoins. Il importe par conséquent que les Etats membres modernisent leurs centres de détention pour pouvoir accueillir cette population (par exemple en élargissant les couloirs, en permettant l’accès des chaises roulantes et en rendant les pharmacies et les infirmeries accessibles).
56. Sur une note positive, certains Etats membres ont commencé à réfléchir aux moyens d’améliorer la qualité de vie des détenus âgés 
			(59) 
			Voir Ken
Howse/Centre for Policy on Ageing and Prison Reform Trust, <a href='http://www.prisonreformtrust.org.uk/uploads/documents/Growing.Old.Book_-_small.pdf'>«Growing
Old in Prison. A scoping study on older prisoners»</a> (Londres: Prison Reform Trust, 2003), ainsi que swissinfo.ch, <a href='http://www.swissinfo.ch/eng/more-prisoners-face-old-age-behind-bars/7191664'>«More
prisoners face old age behind bars»</a> (2 février 2009).. Au Portugal, les peines de privation de liberté, lorsqu’elles sont appliquées à des personnes de plus de 65 ans, «doivent respecter leurs besoins particuliers, leur état de santé et leur autonomie, en garantissant l’aide dont elles ont besoin pour leurs activités quotidiennes et en leur offrant un logement, des conditions de détention, une sécurité, des activités et des programmes spécialement adaptés à leur situation». D’autres Etats prévoient des dispositions similaires. En Autriche, les détenus d’âge avancé sont «accueillis, soit en régime semi-ouvert, soit dans un service médical spécial du système carcéral», en fonction de leurs besoins en soins infirmiers. La République de Moldova autorise les hommes condamnés qui ont atteint l’âge de 65 ans et les femmes condamnées de 60 ans et plus à demander leur placement dans des foyers d’accueil pour personnes handicapées ou personnes âgées; mais elle n’a donné aucune précision sur les normes en vigueur dans ces foyers.
57. Les programmes de soins de fin de vie et de soins palliatifs sont fréquemment utilisés pour les détenus de certains Etats membres. L’existence et l’application adéquate de ces programmes sont cruciales pour la protection de la dignité élémentaire des détenus vieillissants. Au Royaume-Uni, le médiateur des Etablissements pénitentiaires et Services de probation d’Angleterre et du pays de Galles a publié un rapport qui examine l’inadéquation et les défaillances des programmes de soins de fin de vie appliqués aux détenus décédés ces dernières années. Ce rapport présente des cas concrets positifs et négatifs d’application de soins palliatifs à des détenus mourants et souligne combien il importe qu’un programme de soins palliatifs soit efficace, à défaut d’une libération (préférable) des détenus âgés pour des motifs de compassion. Les programmes de soins de fin de vie et de soins palliatifs permettent aux intéressés de bénéficier de soins de fin de vie de grande qualité. Il convient d’encourager l’établissement d’une étroite coopération avec les centres spécialisés dans les soins palliatifs et les établissements de soins palliatifs.

4.3. Normes et procédures de libération pour des motifs de compassion

58. Plusieurs Etats membres prévoient certaines formes de libération des détenus pour des motifs de compassion. Mais le droit interne varie d’un pays à l’autre: la décision est parfois prise par le ministre de la Justice ou le ministre équivalent au sein du gouvernement lorsqu’un diagnostic de maladie grave ou en phase terminale a été établi pour le détenu et que celui-ci présente une demande de libération (comme c’est le cas en Irlande et au Royaume-Uni, par exemple). Dans d’autres Etats membres, comme en France, la décision est prise par une commission classique de libération conditionnelle ou une juridiction ordinaire. Le cas de la Turquie, que j’examinerai plus attentivement par la suite, est préoccupant, car il présente un risque de partialité politique et de manque d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif. La décision de suspension d’une peine pour des motifs de maladie ou de handicap y est prise par les services du procureur.
59. Les procédures et les critères d’acceptation d’une demande de libération provisoire ou permanente pour des motifs de compassion peuvent varier. L’immense majorité des Etats autorisent les demandes déposées par le détenu et par l’autorité pénitentiaire. La République slovaque, en revanche, ne semble autoriser que le dépôt d’une demande par le directeur de l’établissement de détention, ce qui soulève la question de l’indépendance de la libération pour des motifs de compassion et de l’accès de l’intéressé à celle-ci.
60. La plupart des systèmes s’appliquent de la même manière aux prévenus et aux détenus purgeant une peine. La République tchèque et la Finlande, par exemple, ont indiqué dans les réponses qu’elles ont données au questionnaire qu’il existait une possibilité de reporter l’emprisonnement sur la base d’une expertise médicale. En République slovaque, en revanche, la libération pour des motifs de compassion est impossible pour un prévenu. Cette situation est préoccupante au vu du rapport précité de M. Agramunt sur l’abus de la détention provisoire dans les Etats membres. La libération pour des motifs de compassion ne devrait pas être refusée aux personnes en attente de jugement.

4.3.1. Libération provisoire ou permanente d’un établissement pénitentiaire (ou d’une maison d’arrêt)

61. Les motifs de libération pour raisons de compassion varient d’un Etat à l’autre. Certains prévoient une liste exhaustive de maladies, tandis que d’autres procèdent à une appréciation plus large. Le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales de Géorgie, par exemple, a adopté une liste de maladies graves et incurables qui motivent une libération. La Grèce énumère elle aussi les maladies graves requises pour une libération. Israël, dont le parlement a le statut d’observateur auprès de l’Assemblée parlementaire, exige que le séjour en prison mette en danger de manière substantielle la vie du détenu, que son état médical impose la prise de mesures de respiration artificielle, qu’il soit plongé dans un coma permanent ou une démence avancée qui impose une surveillance 24 heures sur 24, qu’il soit atteint d’un cancer ou qu’il doive faire l’objet d’une transplantation d’un organe vital.
62. Je juge préférable d’adopter des approches plus personnalisées. La Pologne autorise une libération provisoire pour les besoins d’un traitement si la maladie menace l’existence du détenu ou si son maintien en détention conduit à une détérioration de sa santé; cette évaluation est faite au cas par cas. La Finlande, en revanche, apprécie le caractère particulièrement difficile de l’administration du traitement en prison, en accordant davantage d’importance à la capacité de l’établissement à faire face à la situation du détenu qu’à la situation personnelle du détenu.
63. La Cour constitutionnelle espagnole a limité la libération probatoire pour des motifs de compassion «aux maladies graves et incurables, dont l’évolution souffrirait d’un maintien en détention, qui entraînerait une dégradation de l’état de santé du patient et écourterait ainsi sa vie, même s’il n’existe pas de risque imminent de décès». Bien que le Code allemand de procédure pénale limite la libération pour motifs de compassion aux situations dans lesquelles l’emprisonnement représenterait une menace pour l’existence du détenu, la Haute Cour régionale de Hambourg a conclu en 2006 que le respect de la dignité humaine exigeait la libération d’un détenu malade incurable qui ne représentait qu’un danger très limité pour la société, même si l’emprisonnement ne présentait pas en soi un risque pour la vie du détenu et que son traitement était possible au sein de l’hôpital de l’établissement pénitentiaire.
64. Aux Pays-Bas, les demandes d’amnistie sont appréciées selon qu’il est devenu évident ou non que le placement ou le maintien en détention ne permet raisonnablement plus d’atteindre le but poursuivi. De même, la France autorise la libération du détenu lorsque sa maladie incurable est incompatible avec son maintien en détention. Ce système est probablement le plus progressif de tous les Etats membres, puisqu’il reconnaît le caractère inutile de l’incarcération d’une personne gravement malade, indépendamment du fait que cette incarcération soit ou non préjudiciable à sa santé. Je souscris totalement à ce point de vue.
65. Il y a lieu de se féliciter de cette reconnaissance de la dignité du détenu, même lorsque son maintien en détention n’entraîne pas son décès imminent. Le fait d’apprécier les effets du maintien d’une incarcération sur la personne du détenu au lieu de s’en tenir à une «liste exhaustive» de maladies suffisamment graves est plus conforme à ses droits fondamentaux.
66. Compte tenu de ces éléments, je constate avec inquiétude qu’en Croatie la libération pour des motifs de compassion se limite à une libération provisoire de 12 mois, à l’issue de laquelle le détenu doit continuer à purger sa peine, ce qui est totalement contraire aux droits de la personne. En outre, au Monténégro, la libération pour des motifs de compassion est uniquement accordée aux détenus de plus de 50 ans qui souffrent de maladie grave. Je trouve préoccupant que cette libération pour des motifs de compassion soit impossible pour les détenus plus jeunes.
67. L’évaluation de la menace que représente le détenu pour la sécurité publique est liée à ces questions. La Lituanie tient compte de la «gravité de l’infraction pénale commise, de la personnalité du condamné, de la nature de sa maladie [et] de [sa] conduite». En Israël, lorsqu’une libération conditionnelle est examinée pour raisons de santé, on tient compte de «la situation familiale du détenu et de la situation de la victime et de sa famille». Le Portugal autorise un large éventail de motifs de libération pour des raisons de compassion, «sauf lorsque la prévention ou la paix sociale et l’ordre public l’exigent fortement».
68. Je ne conteste pas le fait que les questions de sécurité publique doivent toujours être prises en compte, mais les Etats membres devraient systématiquement garantir le respect de la dignité humaine du détenu, notamment lorsqu’il s’agit d’un malade en phase terminale ou dont le décès est prévu à court terme. Le risque d’abus est indéniable, surtout pour les prisonniers politiques, dès lors que la libération pour des motifs de compassion peut être refusée pour des motifs – souvent vagues – d’ordre public. J’ajoute qu’il existe des mesures de substitution au maintien en détention moins restrictives, qui permettent de prévenir la récidive, comme l’obligation de pointage (téléphonique), voire de surveillance électronique.
69. Un nombre limité d’Etats prévoient un système de grâce 
			(60) 
			Chypre, Hongrie, Pologne,
République de Moldova, Roumanie, Suisse et Turquie.. Malheureusement, ces Etats membres n’ont fourni aucune information sur le nombre de grâces accordées pour ces motifs. Il serait utile que les Etats conservent des statistiques en la matière et les rendent publiques. Bien que la législation chypriote autorise uniquement la libération pour des motifs de compassion par grâce présidentielle, le pays admet en pratique qu’une demande de suspension ou de commutation de la peine puisse être légalement déposée auprès du Procureur général et que l’issue de cette demande soit susceptible de recours. Je suis davantage préoccupé par le fait qu’en Hongrie la grâce présidentielle représente le seul moyen d’obtenir une libération anticipée; il n’existe aucun mécanisme légal codifié de libération pour des motifs de compassion. Comme la grâce n’est pas motivée, il est impossible d’apprécier s’il existe des cas de libération pour des motifs de compassion. Je suis d’avis que la libération pour des motifs de compassion des détenus gravement malades ne doit pas être laissée à l’appréciation discrétionnaire du pouvoir politique.
70. Plusieurs pays ont communiqué les chiffres aussi bien des demandes de libération anticipée que des demandes acceptées ou rejetées:
  • en 2012, 296 demandes de suspension de peine ont été déposées en France. 253 d’entre elles ont été acceptés, contre 33 rejetées 
			(61) 
			J’ignore
pourquoi il manque le compte rendu de 10 demandes.. Aucun chiffre n’a été communiqué à propos du nombre de détenus libérés de façon permanente pour des motifs de compassion;
  • en 2013, 14 demandes de libération pour des motifs de compassion ont été déposées en Lituanie, dont quatre ont été accordées. En 2014, 17 demandes ont été déposées, dont neuf acceptées;
  • la République slovaque établit des statistiques détaillées, une bonne pratique que j’invite les autres pays à suivre. En 2014, 63 demandes de fin d’exécution d’une peine d’emprisonnement ou de remise de peine ont été déposées. Six d’entre elles concernaient un pronostic fatal à court terme et ont toutes été acceptées. 34 demandes portaient sur une maladie grave qui exigeait un traitement à l’extérieur du lieu de détention; 32 % d’entre elles ont été approuvées. 19 autres détenus ont été libérés pour cause de maladie en phase terminale. Quatre détenus sont décédés pendant l’examen de leur demande. La durée moyenne de la prise de décision est de six jours;
  • l’Estonie a elle aussi fourni des statistiques sur une période de cinq ans. Cinq détenus gravement malades, sur une population carcérale d’environ 3 200 personnes, ont été libérés chaque année. Ce nombre a augmenté, puisqu’il est passé de seulement deux libérations en 2010 à quatre libérations pour le seul premier semestre de 2015. Chaque année, à l’exception de 2011, toutes les demandes ont été acceptées. Bon nombre des détenus libérés avaient encore une part importante de leur peine à purger; l’éventail de leur âge allait de 26 à 70 ans. Au cours de cette même période, deux détenus ont reçu un traitement à l’extérieur de leur lieu de détention.
71. Il n’existe aucune donnée statistique sur le nombre de détenus morts en prison après le rejet de leur demande de libération. Il est cependant clair que les Etats se heurtent parfois à des difficultés pour procéder à la libération de personnes jugées inaptes à être maintenues en détention, par exemple lorsque des détenus entament une grève de la faim au point de développer des complications, dont le syndrome de Wernicke-Korsakoff 
			(62) 
			Voir l'affaire <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-71007'>Tekin
Yildiz c. Turquie</a> (voir note 30), dans laquelle un détenu avait développé
le syndrome de Wernicke-Korsakoff et avait été maintenu en détention,
alors que son état de santé avait été constamment jugé incompatible
avec une détention, ce qui constituait une violation de l'article
3.. Pourtant, les autorités décisionnelles ne tiennent pas toujours compte de l’avis du médecin lorsque celui-ci établit qu’une personne est inapte à être maintenue en détention et il arrive que des détenus gravement malades restent parfois en détention pendant des mois après l’établissement de leur inaptitude médicale à un maintien en détention 
			(63) 
			The Guardian, <a href='http://www.theguardian.com/uk-news/2013/nov/19/asylum-seeker-hunger-strike-stay-custody-death-nigeria-muaza'>«Dying
asylum seeker on hunger strike must stay in custody, says high court»</a> (19 novembre 2013)..
72. A ce propos, la Géorgie a indiqué que la durée de la prise de décision était de 14 jours, délai que l’Etat a jugé trop long et qu’il a décidé à présent de revoir. Chypre a qualifié la durée moyenne de sa prise de décision de «la plus rapide possible» et a affirmé qu’aucun détenu susceptible de bénéficier d’une libération pour des motifs de compassion n’était décédé pendant l’examen de sa demande. En République slovaque, de nombreuses décisions ont pris à peine un ou deux jours, tandis qu’il a fallu 15 jours dans deux autres cas.
73. Par ailleurs, de nombreux processus de libération exigent une forme d’expertise médicale établie par un ou plusieurs médecins, bien que les médecins ou les hôpitaux qui établissent cette expertise ne soient pas systématiquement indépendants. Ainsi, en Turquie, l’Institut de médecine légale (Adli Tıp Kurumu Başkanlığı) formule des recommandations médicales sur les détenus qui souffrent de maladies qui leur permettent de demander une libération pour des motifs de compassion. Or, l’Institut de médecine légale, qui est un organisme souffrant de lenteurs bureaucratiques, est en plus étroitement lié au ministère de la Justice et n’est donc pas une autorité médicale indépendante, comme le recommandent les normes internationales et le Conseil de l’Europe.
74. Certains Etats membres ne prévoient pas de possibilité de contrôle juridictionnel d’une décision de refus d’une libération, ce qui est une autre source de préoccupation. La Roumanie et la Croatie autorisent toutes deux le dépôt d’un recours dans un délai de trois jours à compter de la décision initiale 
			(64) 
			La Roumanie autorise
également le dépôt d'un recours contre la décision de la Commission
de libération conditionnelle, dans un délai similaire. et l’Albanie prévoit la possibilité de déposer un recours dans un délai de cinq jours; mais aucun contrôle juridictionnel n’est prévu en Espagne, par exemple. En Lituanie, les recours s’effectuent selon la procédure des juridictions ordinaires; mais la Cour européenne des droits de l’homme a également constaté plus de 20 violations de l’article 6 dans ce pays en raison de la durée excessive de la procédure. Il importe donc que les Etats veillent à ce que les demandes de libération pour des motifs de compassion et les recours y afférents soient entendus aussi rapidement que possible.
75. Je crains que l’absence de tout recours puisse pousser l’autorité compétente à prendre une décision erronée par excès de prudence, en rejetant la demande, sachant que la décision de libération d’un détenu sera définitive et contraignante. La possibilité de soumettre à un contrôle juridictionnel la décision de ne pas libérer un détenu malade ou âgé est donc capitale et devrait être prévue par tous les Etats membres.

4.3.2. Libération des détenus âgés

76. Pour ce qui est des détenus âgés, aucun Etat membre du Conseil de l’Europe ne prévoit à l’heure actuelle de limite d’âge supérieure de détention. Aucun Etat membre ne possède non plus de législation particulière qui permette la libération anticipée d’un détenu au seul motif de son âge avancé, même si l’âge fait partie des critères pris en compte dans les demandes de libération pour des motifs de compassion 
			(65) 
			Rappelons
à ce propos l'affaire <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-67652'>Farbtuhs
c. Lettonie</a>, citée plus haut (voir note 42), dans laquelle l'âge
du détenu a été pris en compte., comme le confirment les réponses au questionnaire:
  • la Roumanie autorise la libération conditionnelle des condamnés de plus de 60 ans qui purgent leur peine en régime ouvert ou semi-ouvert, lorsque le juge est convaincu de la possibilité de réinsertion de l’intéressé;
  • l’Espagne autorise la probation des détenus de plus de 70 ans;
  • la Géorgie, qui autorise la libération des hommes de plus de 70 ans et des femmes de plus de 65 ans qui ont purgé la moitié de leur peine, a libéré 43 détenus en raison de leur âge avancé entre le 28 décembre 2012 et le 6 juillet 2015 
			(66) 
			L’âge limite fixé en
Géorgie n'a pas été indiqué dans les réponses au questionnaire.;
  • un homme de 74 ans a été libéré à Chypre en raison de son âge avancé;
  • les détenus de plus de 70 ans peuvent être libérés en Grèce, sous réserve qu’ils aient purgé les deux cinquièmes de leur peine et sous certaines conditions. En outre, chaque jour passé en prison par un détenu de plus de 65 ans est comptabilisé comme deux jours de sa peine, une approche raisonnable qui mérite d’être imitée.
77. Le nombre de détenus âgés continue néanmoins à augmenter, en partie parce que les condamnations sont prononcées pour des infractions commises des dizaines d’années auparavant. Ainsi, la récente condamnation d’un ancien gardien SS âgé de 94 ans à quatre ans d’emprisonnement semble avoir encouragé les procureurs à continuer à engager des poursuites sans tenir compte de l’âge que peuvent avoir les prévenus 
			(67) 
			The
Guardian, <a href='http://www.theguardian.com/world/2015/jul/15/accountant-oskar-groning-auschwitz-jailed-for-the-of-300000-jews'>«Accountant
of Auschwitz’ jailed for the murder of 300 000 Jews»</a> (15 juillet 2015).. Bien que cet homme de 94 ans puisse ne pas purger sa peine selon la décision que prendront prochainement les médecins et le procureur, le juge qui l’a condamné a reconnu qu’il ne survivrait probablement pas à la durée de sa peine 
			(68) 
			Ibid..

4.3.3. Evaluation et recommandations

78. Seuls 12 Etats ont communiqué une forme de données statistiques sur le traitement réservé aux détenus gravement malades 
			(69) 
			Chypre,
Estonie, Finlande, France, Géorgie, Islande, Italie, Lituanie, Portugal,
République slovaque, République tchèque et Turquie. La Bosnie-Herzégovine
a promis de communiquer des données supplémentaires et le Monténégro
ne disposait pas de statistiques car la législation relative à la
libération pour des motifs de compassion est entrée en vigueur tout
récemment. Les autres Etats ont été en mesure de fournir des données
plus importantes sur l'ensemble des détenus en permission (Pologne),
les chiffres de libération conditionnelle (Roumanie) ou le nombre
total de grâces présidentielles (Hongrie), sans que les motifs précis
de libération ne soient indiqués. La Croatie a pu tirer des conclusions
limitées sur l'existence de la libération pour des motifs de compassion
à partir des chiffres du nombre de détenus décédés pendant l'interruption
de la peine d'emprisonnement qu'ils purgeaient., l’unique pays à avoir pu fournir l’ensemble des informations demandées étant la République slovaque. La première mesure capitale à prendre consisterait donc à exiger des Etats membres qu’ils conservent ces statistiques de manière réglementée et uniforme. Pour pouvoir évaluer la politique appliquée dans ce domaine, le nombre de demandes acceptées et rejetées, le nombre de décès survenus au cours de la demande, ainsi que la comparaison de ces chiffres sur plusieurs années et entre les Etats membres sont indispensables.
79. Cette recommandation se double de la nécessité d’une plus grande clarté terminologique à l’occasion de l’examen des cas de détenus gravement malades. Il apparaît clairement au vu de la grande diversité des réponses que l’Europe manque à l’heure actuelle d’une évaluation et d’un traitement uniformes de ses détenus gravement malades. De nombreuses informations ont été fournies sur des systèmes élargis de libération conditionnelle; elles sont parfois pertinentes, mais ne prennent souvent pas en compte la position très particulière des détenus gravement malades. Ces derniers se heurtent à des difficultés spécifiques en matière de droits de l’homme, qui exigent un traitement distinct des considérations classiques de la libération conditionnelle. Les politiques des Etats membres doivent préciser clairement si elles autorisent une libération permanente ou uniquement un traitement permanent dans un établissement de santé à l’intérieur ou à l’extérieur du système carcéral. Les Etats utilisent bien souvent de manière interchangeable les formules «interruption», «suspension», «libération provisoire» et «extinction de la peine». En tout état de cause, il est toutefois capital que ce traitement et cette libération ne fassent pas l’objet de limitations arbitraires.
80. Les droits de l’homme doivent s’appliquer de manière égale à l’ensemble des personnes détenues dans le cadre de la détention provisoire, de la rétention des migrants et demandeurs d’asile et des autres formes de détention hors du système carcéral classique. Les Etats membres doivent non seulement veiller à ce que leur système de permission pour des motifs de compassion prenne en compte l’ensemble des détenus qui relèvent de leur compétence, mais également assurer une collecte satisfaisante des données sur ces détenus pour pouvoir procéder à une évaluation convenable de leur traitement.
81. Quoique le manque de statistiques permet difficilement d’établir des conclusions générales, je constate que de nombreuses législations et pratiques relatives à la libération provisoire ou permanente sont trop restrictives et le délai d’attente pour la réponse à une demande de libération est bien trop long.
82. Les processus de libération pour des motifs de compassion qui exigent la présentation de témoignages ou de rapports établis par des médecins doivent veiller à ce que ces médecins soient indépendants du système carcéral. Ils ne sauraient en aucun cas être agents de l’administration ou employés d’un établissement public. Seuls des médecins indépendants ou employés par des structures privées devraient être autorisés à formuler des recommandations sur l’état de santé d’un détenu dans la perspective de son éventuelle libération pour des motifs de compassion.
83. Chaque fois que l’état de santé d’un détenu est jugé incompatible avec son maintien en détention, il devrait immédiatement obtenir une libération provisoire et être autorisé à recevoir un traitement médical dans un établissement extérieur. La libération pour des motifs de compassion devrait toujours être possible pour les détenus malades en phase terminale. L’âge avancé d’un détenu devrait continuer à faire partie des critères pris en compte pour décider de l’issue d’une demande de libération pour des motifs de compassion.
84. Enfin, il est également indispensable de préciser la procédure de recours dans les Etats membres. Les recours déposés par des détenus malades en phase terminale doivent être examinés en priorité et recevoir toute l’attention qu’ils méritent. Il est inadmissible que des détenus décèdent en attendant le résultat de leurs demandes. Les demandes de libération pour des motifs de compassion devraient toujours être traitées par un tribunal et les décisions d’octroi ou de refus de cette libération ne devraient en aucun cas être prises par un seul agent public. Toutes les décisions devraient être soumises à un contrôle juridictionnel.

5. Résumés des visites d’information

85. Je me suis rendu, avec l’autorisation de la commission, dans trois pays – le Monténégro, la Roumanie et la Turquie – afin d’y examiner plus en détail la situation des détenus gravement malades et âgés. Comme je l’ai indiqué plus haut, le choix des pays a été déterminé en partie au préalable par le sujet de la proposition de résolution à l’origine de mon mandat de rapporteur (dans le cas de la Turquie) et en partie sur la base des informations contenues dans les rapports du CPT qui font allusion à la prévalence de certains problèmes ou lacunes liés aux questions en jeu (dans le cas du Monténégro et de la Roumanie). J’aimerais rappeler cependant que ces problèmes ne se rencontrent pas exclusivement dans ces pays, comme le montrent les réponses au questionnaire. J’aimerais également profiter de cette occasion pour remercier chacune des trois délégations nationales et leurs secrétariats respectifs de leur excellente coopération dans la planification et la réalisation de mes missions d’information, ainsi que de leur hospitalité.

5.1. Roumanie

86. Le 25 mai 2015, j'ai effectué une visite d’information en Roumanie, où j'ai rencontré le directeur de l'Administration pénitentiaire nationale et des représentants du ministère de la Justice, du Bureau du médiateur et d’organisations non gouvernementales (ONG). Je me suis également entretenu avec des membres de la Commission d’enquête sur les abus, la corruption et les pétitions ainsi que de la Commission des droits de l'homme, des cultes et des minorités nationales de la Chambre des députés du Parlement roumain.
87. Le droit des personnes privées de liberté à une assistance médicale, à un traitement et à des soins de santé est régi par l'article 71 de la loi no 254/2013 relative à l'exécution des peines et des mesures de privation de liberté ordonnées par les instances judiciaires durant la procédure pénale, dont l’objectif était d’harmoniser la législation avec les normes des Règles pénitentiaires européennes et de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies. Les détails sont précisés dans l'ordonnance commune no 429/2012 du ministère de la Santé et du ministère de la Justice relative à l'octroi d'une assistance médicale aux personnes privées de liberté et placées sous la responsabilité de l'Administration pénitentiaire nationale.
88. En dépit de ce cadre, les représentants de la société civile comme les députés que j'ai rencontrés à Bucarest ont fait état de disparités locales et régionales et de dysfonctionnements fréquents dans la mise en œuvre du droit à des soins de santé. La pénurie de personnel médical persiste dans les établissements pénitentiaires et le manque de structures pour un traitement psychologique adapté est particulièrement inquiétant : il n'existe apparemment que trois unités psychiatriques en Roumanie et la coopération entre les prisons et les hôpitaux civils doit être encore renforcée.
89. L'insuffisance des soins de santé mentaux semble constituer un problème plus large, comme en attestent les types de plaintes déposées auprès du médiateur. Dans son arrêt de 2008 concernant l'affaire Petrea c. Roumanie 
			(70) 
			Requête
no 4792/03, arrêt du 29 avril 2008., la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’absence de traitement médical pour les problèmes psychiques dont était atteint le requérant, combinée à des conditions de détention inadéquates, emportait violation de l'article 3 de la Convention. Quant au CPT, il continue de dénoncer les mauvaises conditions de détention matérielles, et en particulier la surpopulation 
			(71) 
			Voir les derniers rapports
du CPT (document <a href='http://www.cpt.coe.int/documents/rom/2015-31-inf-fra.pdf'>CPT/Inf(2015)31</a> sur la visite de 2014 du CPT et document <a href='http://www.cpt.coe.int/documents/rom/2011-31-inf-fra.pdf'>CPT/Inf(2011)31</a> sur la visite de 2010). Voir également <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-142407'>Remus
Tudor c. Roumanie</a> (Requête no 19779/11, arrêt
du 15 avril 2014), <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=001-92073'>Brânduşe
c. Roumanie</a> (Requête no 6586/03, arrêt
du 7 avril 2009) et <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-112420'>Iacov Stanciu
c. Roumanie</a> (Requête no 35972/05, arrêt
du 24 juillet 2012). Dans cette dernière affaire, la Cour a noté
que 80 requêtes similaires déposées contre la Roumanie et portant
sur les conditions de détention étaient pendantes et que ce dossier
était symptomatique d’un problème fréquent dans les prisons roumaines.. D'après ce que j'ai pu constater pendant ma visite, il me semble qu'il existe une volonté politique d'améliorer les conditions de détention, notamment les soins de santé, mais cette question doit devenir prioritaire, conformément aux recommandations du CPT.
90. Les organisations de la société civile soulignent que les directeurs de prison sont réticents à autoriser le transfert de détenus vers les hôpitaux civils, mieux équipés pour fournir un traitement spécialisé. Ces déclarations semblent confirmées par les statistiques, qui montrent que 97% de l’ensemble des admissions de détenus à l'hôpital en 2014 (95% en 2013) ont concerné des hôpitaux pénitentiaires. Il paraît peu plausible que les besoins de traitement hors du système pénitentiaire n’aient pas été plus importants, d’autant que l'un de mes interlocuteurs officiels a expliqué que les médecins des prisons étaient surchargés et que «parfois il est impossible de fournir les services médicaux dont les détenus ont réellement besoin».
91. Les représentants d'ONG avec lesquels je me suis entretenu à Bucarest ont également noté que les professionnels de la santé rechignaient à travailler dans des hôpitaux pénitentiaires. Qui plus est, lorsqu'un détenu demande à être examiné par un médecin particulier qui n'exerce pas dans le système pénitentiaire, il doit payer des frais. Les autorités roumaines devraient inciter le personnel médical dûment formé à travailler dans des hôpitaux pénitentiaires, notamment en améliorant les conditions de travail (par exemple la durée du travail et les équipements) et les prestations liées à l'emploi (comme un salaire suffisant et la garantie d’emploi à long terme).
92. Un autre problème inquiétant concerne la qualité et la quantité de nourriture fournie aux personnes privées de liberté en Roumanie. J'ai été choqué d'apprendre que la dépense quotidienne moyenne en alimentation par détenu et par jour est inférieure à un euro. Un budget quotidien aussi faible est totalement insuffisant, comme l'ont admis des responsables à Bucarest – surtout pour les personnes qui doivent suivre un régime particulier en raison d’une maladie 
			(72) 
			D'après l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), le droit à une alimentation adéquate
devrait faire partie des droits fondamentaux des détenus, d’autant
que ces derniers sont souvent en mauvaise santé. Des repas sains
et nourrissants permettent la prise correcte de médicaments et préviennent
le développement d’infections potentiellement mortelles telles que
le VIH/SIDA et la tuberculose. En outre, les groupes de population
vulnérables en prison – femmes enceintes et allaitantes, toxicomanes,
adolescents et personnes âgées – doivent suivre un régime alimentaire
particulier. Voir les informations publiées sur le site internet
du Bureau régional de l'Europe de l’OMS à l'adresse <a href='http://www.euro.who.int/en/health-topics/health-determinants/prisons-and-health/activities/nutrition'>www.euro.who.int/en/health-topics/health-determinants/prisons-and-health/activities/nutrition</a>.. Les autorités doivent allouer sans délai des ressources suffisantes afin de garantir une alimentation saine. A moyen terme, comme je l'ai souligné à Bucarest, il semblerait souhaitable que la Roumanie instaure un système dans lequel les détenus puissent cultiver leurs propres aliments. Cela permettrait non seulement aux services pénitentiaires de réaliser des économies considérables, mais aurait également pour effet de promouvoir la resocialisation.
93. En 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu à la violation de l'article 2 (droit à la vie) de la Convention dans une affaire où les autorités roumaines auraient dû protéger la vie de M. Traian Gagiu en lui administrant le traitement médical dont il avait besoin. Alors que M. Gagiu souffrait de plusieurs graves maladies, il avait été placé en cellule jusqu'à la veille de sa mort, au lieu de recevoir le traitement prescrit par des chirurgiens et des spécialistes 
			(73) 
			<a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=001-91438'>Gagiu
v. Roumanie</a>, Requête no 63258/00, arrêt
du 24 février 2009..
94. En 2014, 122 décès en prison ont été enregistrés (pour une population moyenne de 31 847 
			(74) 
			Ce
chiffre était de 28 487 au 22 septembre 2015, <a href='http://www.prisonstudies.org/country/romania'>www.prisonstudies.org/country/romania</a>. détenus à cette période), dont 87 % étaient dus à des causes médicales – essentiellement des maladies cardio-vasculaires, des néoplasies (cancers), des maladies digestives et des maladies respiratoires. Les responsables que j'ai rencontrés à Bucarest ont convenu que personne ne devrait mourir en prison.
95. Cette situation souligne l'importance de permettre la libération (temporaire ou définitive) de détenus. Outre la Constitution, qui prévoit à l'article 100(1) la possibilité d'une grâce présidentielle (basée sur un décret signé à la fois par le chef de l'Etat et par le chef du gouvernement), le droit roumain (articles 590-594 du Code de procédure pénale) autorise l'interruption d'une peine d'emprisonnement lorsque le condamné ne peut être traité au sein du réseau de soins de l'Administration pénitentiaire nationale. Dans ce cas, le tribunal compétent ne doit pas considérer que le détenu représente une menace pour la société. Dans le cadre de l’examen de la demande d'interruption, le tribunal tient compte de la gravité de l'infraction commise.
96. Il est positif que l'Administration pénitentiaire nationale ait pu fournir des statistiques sur les libérations motivées par une interruption de peine, mais malheureusement aucune information n'a été transmise au sujet des taux de satisfaction et de rejet des demandes. Malgré tout, on peut tirer certaines conclusions. Fait intéressant, les statistiques montrent que, si le nombre d'examens médico-légaux pratiqués sur des détenus est passé de 256 en 2010 à 357 en 2014, celui des propositions émanant des commissions médico-légales 
			(75) 
			Pour les maladies oncologiques
en phase terminale, la commission est composée d'un médecin légiste,
d'un médecin nommé par l'Administration pénitentiaire nationale
et d'un médecin du réseau de soins. et visant à autoriser une interruption de peine a diminué continuellement et sensiblement sur la même période, passant de 59 à trois seulement. Bien que ces statistiques portent exclusivement sur des maladies en phase terminale (comme le cancer) et «des maladies très graves» (comme l’insuffisance rénale chronique d'une personne en dialyse ou des maladies qui nécessitent une opération à cœur ouvert) et que d'autres catégories de personnes soient autorisées à déposer une demande de suspension de leur peine, cette tendance est inquiétante et ne peut s’expliquer (uniquement) par une amélioration des possibilités de traitement au sein du système pénitentiaire roumain. Elle se reflète d’ailleurs dans les statistiques concernant les demandes satisfaites. Entre février 2009 et le 31 avril 2015, 727 libérations motivées par une interruption de peine ont eu lieu, suivant une tendance à la baisse; 51 personnes sont mortes pendant la période d'interruption de leur peine et 21 ont été libérées ou graciées. De plus, la plupart de ces libérations étaient dues à une grossesse ou à la prise en charge d'un enfant. Au premier trimestre 2015, seules quatre personnes ont obtenu une interruption de peine pour raisons médicales.
97. En conclusion, je dois reconnaître que les représentants du gouvernement et les parlementaires que j'ai rencontrés à Bucarest affichent de bonnes intentions de respecter pleinement la dignité et les droits des détenus. Mais il faut redoubler d’efforts pour combler les lacunes et offrir des soins opportuns et de qualité dans les prisons du pays – notamment en luttant contre la surpopulation, en augmentant les effectifs médicaux dans les prisons, en renforçant encore la coopération entre les prisons et les hôpitaux publics et en veillant à ce que les détenus atteints d'une maladie mentale soit transférés dans des hôpitaux spécialisés. Parallèlement, il faudrait manifester davantage de clémence dans les décisions relatives aux interruptions de peine pour raisons médicales.

5.2. Monténégro

98. Le 26 mai 2015, j’ai entrepris une visite d’information au Monténégro. J’ai effectué un certain nombre de visites officielles à l’occasion desquelles j’ai rencontré les personnes suivantes: le directeur de l’Institut de l’exécution des peines, le directeur général de la Direction de l’exécution des peines du ministère de la Justice et le médiateur. Je me suis également entretenu avec les représentants de diverses ONG et avec la délégation monténégrine auprès de l’Assemblée parlementaire.
99. La population carcérale globale d’environ 1 500 personnes compte, d’après les chiffres communiqués par l’Institut de l’exécution des peines, de 80 à 90 détenus condamnés considérés comme «gravement malades». Environ 70 détenus sont recensés pour leurs troubles psychologiques. Au moment de ma visite, deux prévenus recevaient un traitement à l’hôpital, ce qui représentait une charge pour les autorités, car elles devaient assurer l’application de mesures de sécurité adéquates. Les tribunaux devraient systématiquement tenir dûment compte de la santé d’une personne lorsqu’ils se prononcent sur son placement ou non en détention. En cas de maladie, il convient de faire le plus large usage possible des mesures de substitution à la détention provisoire. J’encourage également le Monténégro à poursuivre ses importantes initiatives de renforcement du service de probation et d’augmentation du recours aux sanctions alternatives pour les infractions mineures 
			(76) 
			Voir
également les recommandations de l’Alliance civile (Gradanska alijansa), <a href='http://www.gamn.org/images/docs/en/ca-alternative-sanctions-final.pdf'>«Report
about the Situation of Alternative Sanctions in Montenegro»</a>, Podgorica, avril 2015, p. 25, et l'évaluation faite
par la Commission européenne dans son <a href='http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2014/20141008-montenegro-progress-report_en.pdf'>«Montenegro
Progress Report»</a> d'octobre 2014, p. 44. .
100. J’ai également appris que, de juillet 2012 à mai 2015, quatre détenus étaient décédés: l’un en prison et les trois autres dans des établissements médicaux 
			(77) 
			Dans
l'un de ces cas, il s'agit d'un décès subit par crise cardiaque,
comme le confirme un rapport médico-légal.. Le fait que tous mes interlocuteurs à Podgorica aient été d’accord sur le fait que personne ne devrait mourir en prison mérite d’être remarqué. A ce propos, un représentant de l’ONG monténégrine Action pour les droits de l’homme (Akcije za ljudska prava) a fait observer que la société monténégrine dans son ensemble éprouvait de la compassion pour les personnes détenues gravement malades et était en général favorable à leur libération pour qu’elles puissent mourir chez elles.
101. A Podgorica, j’ai appris que le service de santé du Monténégro comptait à l’heure actuelle 23 professionnels de santé, dont trois médecins généralistes et un dentiste. Les médecins spécialistes sont sollicités pour effectuer des visites régulières dans les établissements pénitentiaires, une à trois fois par semaine, et les thérapies sont coordonnées avec les hôpitaux publics, à commencer par ceux de Podgorica et de Bijelo Polje. Les ONG considèrent que les effectifs sont toujours insuffisants, malgré les améliorations de ces dernières années. Elles observent notamment que le personnel infirmier continue à devoir travailler pendant de très longues plages horaires et un nombre important d’heures supplémentaires, comme cela avait été critiqué par le CPT 
			(78) 
			Voir
Report to the Government of Montenegro on the visit to Montenegro
carried out by the CPT from 13 to 20 February 2013, <a href='http://www.cpt.coe.int/documents/mne/2014-16-inf-eng.htm'>CPT/Inf(2014)16</a> du 22 mai 2014, paragraphe 57.. Il est souhaitable que le Monténégro incite les médecins et les autres membres du personnel médical à travailler dans l’univers carcéral, notamment grâce à une rémunération et une formation satisfaisantes. J’ai reçu l’assurance du directeur général de la Direction de l’exécution des peines du ministère de la Justice qu’il était prévu d’offrir de meilleures perspectives de carrière au personnel médical des établissements pénitentiaires du pays et de donner aux détenus la possibilité d’être pris en charge non seulement par les hôpitaux publics, mais également par les établissements médicaux privés; il s’agit de mesures importantes, qui permettront de dispenser des soins médicaux satisfaisants et rapides aux personnes placées en détention.
102. L’administration des soins psychologiques et psychiatriques aux détenus atteints de troubles mentaux est particulièrement préoccupante. Seul un psychiatre effectue des visites dans les centres de soins médicaux pénitentiaires une fois par semaine environ – une situation dénoncée par le CPT dans son rapport consacré à sa visite de 2013. Il est urgent que des consultations plus fréquentes de psychiatres soient assurées et que les détenus qui souffrent de graves troubles mentaux soient transférés dans un hôpital qui dispose des moyens adéquats.
103. Il est intéressant de souligner que les représentants des pouvoirs publics et de la société civile constatent tous que le ratio médecin-patient (c’est-à-dire le nombre de médecins pour un nombre X de patients) au Monténégro est plus élevé au sein du système pénitentiaire national que dans l’ensemble de la société. Il arrive que l’état de santé d’un détenu soit uniquement décelé lors de son examen initial à son arrivée dans l’établissement. Les services du médiateur ont reçu au total 73 plaintes de prévenus et détenus l’an passé, dont 15 concernaient les soins sanitaires et médicaux, principalement en raison des délais d’attente excessifs pour leur transfert dans des hôpitaux. Selon ces services, le délai d’attente pour voir un médecin, et plus encore pour obtenir un rendez-vous pour une opération chirurgicale, une chimiothérapie ou d’autres soins spécialisés, est trop long, aussi bien pour les détenus que pour les citoyens ordinaires. Il importe donc que le Monténégro s’applique à améliorer encore son système de santé en général.
104. En matière de libération pour des motifs de compassion, l’article 53 de la loi relative à l’exécution des peines (loi no 40/2011) autorise la suspension de la peine d’emprisonnement d’un détenu à des fins de traitement hors de son lieu de détention, sous réserve que l’intéressé revienne dans son lieu de privation de liberté si sa santé le permet. La décision d’acceptation ou de refus de cette demande est prise par le ministère de la Justice et est susceptible de recours devant un tribunal administratif.
105. En 2014, 20 peines d’emprisonnement au total ont été suspendues à des fins de traitement en milieu hospitalier, voire au domicile de l’intéressé 
			(79) 
			Chiffres
communiqués par l’Institut de l’exécution des peines au cours de
ma visite.. Mes interlocuteurs officiels m’ont expliqué que, parmi les facteurs pris en compte pour apprécier la réunion des conditions qui permettent à un détenu d’obtenir une suspension de peine, figurent la durée de la peine, la durée de la peine déjà purgée, l’état de santé du détenu et son parcours médical, le traitement nécessaire et les possibilités de traitement en prison, ainsi que l’âge du détenu. L’application concrète des dispositions pertinentes ne semble pas poser de problème au Monténégro.
106. Cependant, d’après les réponses données au questionnaire, les frais de l’expertise médicale présentée à l’appui d’une demande de suspension de peine sont à la charge du détenu. En outre, si le détenu est traité dans un établissement médical qui n’est pas couvert par la Caisse nationale d’assurance-maladie, il doit prendre à sa charge non seulement le coût du traitement médical, mais également le coût du transport et des mesures de sécurité. Je suis également préoccupé par les allégations des représentants des ONG: selon eux, les prisonniers âgés hospitalisés à la suite d’une attaque cardiaque préfèrent retourner en prison quelques jours à peine après leur admission à l’hôpital plutôt que demander une suspension de leur peine pour se rétablir totalement. La raison en serait que le temps passé à l’hôpital pendant la suspension de leur peine ne serait pas comptabilisé comme une période passée en prison. Ces facteurs pourraient inciter les détenus à faire le mauvais choix de ne pas demander de traitement ni de suspension de leur peine.
107. Au vu de ces éléments, j’ai été d’autant plus heureux d’apprendre qu’à la suite de ma visite d’information au Monténégro le Parlement avait adopté, le 26 juin 2015, la loi relative à l’exécution des peines d’emprisonnement, des amendes et des mesures de sécurité. A l’initiative des membres de la délégation monténégrine auprès de l’Assemblée, avec qui j’avais procédé à un échange de vues constructif, le projet de loi initial a été modifié pour y insérer une disposition (qui figure à l’article 36 de la nouvelle loi, portant sur l’interruption de l’exécution des peines) qui autorise, «à titre exceptionnel (…) et (…) sous réserve de l’obtention préalable d’un rapport médical et d’un avis favorable du conseil médical compétent, l’interruption de l’exécution d’une peine pendant une période indéterminée pour les détenu[s] de plus de 50 ans qui souffrent d’une maladie mortelle à un stade aigu ou d’une maladie chronique qui dégénère» (selon une traduction non officielle en anglais).

5.3. Turquie

108. Finalement, je me suis rendu en Turquie, où je me suis entretenu avec un certain nombre de personnes à Ankara les 17 et 18 septembre 2015. C’est précisément la situation des détenus malades en Turquie qui avait poussé M. Nazmi Gür et d’autres membres de l’Assemblée à déposer leur proposition de résolution. Je me permets d’ailleurs de faire remarquer d’emblée que la situation qui s’est présentée à moi en Turquie est plus inquiétante que celle des autres pays que j’ai visités.
109. Avant d’effectuer ma mission d’information, j’avais obtenu un certain nombre d’informations auprès des ONG, notamment des exemplaires des dossiers médicaux et judiciaires d’un certain nombre de détenus malades. A Ankara, j’ai consulté, entre autres, des représentants des ministères de la Justice et de la Santé, des services du médiateur, de l’Institution nationale de défense des droits de l’homme, du ministère public et des ONG. En outre, le président de l’Institut de médecine légale m’a adressé une réponse écrite aux questions que je lui avais envoyées.
110. Ma visite m’a également conduit à la prison de type F de Sincan, une prison de haute sécurité située à l’extérieur d’Ankara, où j’ai eu la possibilité de m’entretenir avec la direction de l’établissement et avec des détenus gravement malades. A mon grand regret, je n’ai cependant pas été autorisé à m’entretenir en privé avec MM. Kaytan et Alkiş, ni à voir leurs cellules; l’administration pénitentiaire a préféré me montrer ce qu’elle a qualifié de «cellule standard». Je ne suis donc pas en mesure de formuler un commentaire sur l’adéquation de la cellule de MM. Kaytan et Alkiş.
111. Ces deux hommes souffrent de graves problèmes de santé, comme en attestent clairement leurs dossiers médicaux et ce qu’ils m’ont dit par eux-mêmes; ils sont emprisonnés depuis déjà, respectivement, 13 et 22 ans. Il suffit de préciser ici que, à la suite d’une opération à cœur ouvert pratiquée en 2004, l’Institut de médecine légale a estimé que M. Alkiş devait bénéficier d’une libération provisoire pour se rétablir hors du milieu carcéral; cette recommandation n’a pas été suivie par le ministère public et M. Alkiş est resté en prison. Le cas de MM. Kaytan et Alkiş est particulièrement préoccupant, car en leur qualité de détenus purgeant une peine de réclusion à perpétuité aggravée, ils ne peuvent bénéficier d’une libération (conditionnelle), malgré la dégradation de leur état de santé. Ils attendent par conséquent tous deux la mort en prison. Cette situation est clairement contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle chaque peine doit systématiquement s’accompagner d’une perspective de libération 
			(80) 
			Voir <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx?i=001-122664'>Vinter
et autres c. Royaume-Uni</a>, Requêtes nos 66069/09, 130/10
et 3896/10, arrêt du 9 juillet 2013 (Grande Chambre), et, plus généralement, <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-146372'>Trabelsi
c. Belgique, </a>Requête no 140/10, arrêt du
4 septembre 2014. . Mais leur cas représente seulement le sommet de l’iceberg. Plusieurs interlocuteurs m’ont informé d’autres cas inquiétants qu’il m’est impossible d’aborder ici en détail sans sortir du cadre de ce chapitre de mon rapport.
112. En outre, la veille de ma visite à la prison de Sincan, j’ai appris que M. Vedad Dağ, auquel avait été diagnostiqué une paraplégie médullaire, aurait été placé en détention provisoire dans cet établissement, menotté à son lit. J’ai demandé à le voir également, mais cela m’a été refusé au motif que je n’avais pas demandé à lui parler préalablement à ma visite et que M. Dağ recevait des soins palliatifs à l’hôpital pénitentiaire. Ce dernier élément a été confirmé par mes interlocuteurs du ministère de la Santé, qui ont indiqué que sa mère prenait soin de lui en prison. Le procureur a affirmé que le ministère public avait recommandé la libération de M. Dağ et qu’il s’attendait à ce que le tribunal saisi de cette demande rende une décision favorable sous peu. Néanmoins, je crois comprendre que le tribunal a choisi de ne pas suivre cette recommandation. M. Dağ reste détenu à l’hôpital pénitentiaire de la prison de Sincan, malgré un rapport de l’hôpital de Numune, qui précise que son état exige une suspension de son séjour en détention de six mois 
			(81) 
			Information au 19 octobre
2015. Apparemment, le rapport rédigé par l'hôpital de Numune a été
envoyé pour évaluation à l'Institut de médecine légale. . Bien qu’il ne m’ait pas été permis de vérifier par moi-même comment était traité M. Dağ, je suis profondément inquiet à son sujet. J’invite instamment les autorités turques à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour veiller à ce qu’il reçoive les soins adéquats et pour assurer sa libération sans plus tarder.
113. Au moment de ma visite, la population carcérale globale en Turquie était de 172 247 personnes. Divers chiffres m’ont été communiqués à propos du nombre de détenus gravement malades; le service de recherche parlementaire m’a indiqué le chiffre de 809 détenus et l’ONG Human Rights Association m’a parlé de 721 personnes au mois de mai 2015.
114. Au sein du système pénitentiaire turc, les soins médicaux sont normalement dispensés par des médecins généralistes et spécialistes sur le lieu de détention. Ces médecins sont nommés par le ministère de la Santé pour exercer dans une prison. Sur l’ensemble du territoire, cinq prisons disposent d’un hôpital pénitentiaire. Pour les cas d’urgence, une coopération est prévue entre le lieu de détention et les hôpitaux universitaires.
115. Avant et pendant ma visite d’information, j’ai eu connaissance d’allégations de violation du secret médical, notamment en raison de la présence de gardiens pendant les examens médicaux 
			(82) 
			Voir Human Rights Foundation
of Turkey (HRFT), <a href='http://en.tihv.org.tr/wp-content/uploads/2015/08/Treatment-Report-eng.pdf'>«Treatment
and Rehabilitation Centres Report 2014»</a>, Ankara, mai 2015, p. 45.. Ce problème a été largement attesté par le CPT dans un certain nombre de pays, dont la Turquie 
			(83) 
			Voir
Report to the Turkish Government on the visit to Turkey carried
out by the CPT from 9 to 21 June 2013, <a href='http://www.cpt.coe.int/documents/tur/2015-06-inf-eng.pdf'>CPT/Inf (2005)6</a>, paragraphes 101-102.. Les vagues affirmations des responsables de la Direction générale des prisons et des centres de détention, qui m’ont indiqué que «le droit au respect de la vie privée [des détenus était] respecté», que «les mesures de sécurité [nécessaires étaient] prises» et que les médecins pouvaient examiner leurs patients en privé s’ils le souhaitaient, ne m’ont pas convaincu que des mesures étaient prises pour remédier de manière satisfaisante à ces défaillances. Je ne peux que me faire l’écho de la position adoptée sur la question par le CPT: «Tout examen médical (…) doit se dérouler sans que les agents de la force publique ne l’entendent et, sauf demande contraire du médecin concerné dans un cas particulier, sans que ces agents ne le voient».
116. Il est également préoccupant que les prévenus et les détenus soient trop souvent, pour ne pas dire habituellement, menottés pendant les examens médicaux pratiqués à l’hôpital. C’est ce que m’ont confirmé mes interlocuteurs de l’Institution nationale de défense des droits de l’homme et les représentants des ONG. Mme Ayse Doğan, une ancienne détenue que j’ai rencontrée à Ankara, m’a indiqué qu’elle avait parfois refusé un traitement parce qu’elle aurait été menottée dans le dos, ce qui ne lui aurait pas permis de se déshabiller afin d’être convenablement examinée. Je suis très heureux que le directeur général des Prisons et des Centres de détention convienne du fait que l’administration d’un traitement à un détenu menotté est contraire à la dignité humaine. Il importe à présent de tout faire pour joindre le geste à la parole.
117. Un autre problème a été porté à mon attention, celui du transfert des détenus vers des établissements hospitaliers extérieurs. Cette tâche incombe à la gendarmerie. Il m’a été rapporté que les cas de mauvais traitements des détenus se poursuivent lors de leur transfert dans des hôpitaux par les gendarmes 
			(84) 
			Voir également Amnesty
International, Action d'urgence, <a href='https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CB0QFjAAahUKEwib2KPbur_IAhUCWhoKHX8fCwU&url=https%3A%2F%2Fwww.amnesty.org%2Fdownload%2FDocuments%2FEUR4423282015ENGLISH.pdf&usg=AFQjCNEGmJaWpEgjGSAlPYiRBE-walnGVQ&cad=rja'>«Protect
Men from Further Ill-Treatment»</a>, 28 août 2015 (UA 187/15; Index: EUR 44/2328/2015 Turkey).. Les prisonniers politiques kurdes semblent particulièrement sujets à ces violences 
			(85) 
			Ce
n'est pas forcément une surprise, puisque la gendarmerie est partie
au conflit entre la Turquie et le PKK, qui a repris de plus belle
cet été à la suite de la rupture du processus de paix.. Mme Doğan m’a décrit de façon crédible comment elle avait dû attendre dans un véhicule de gendarmerie pendant des heures, sans manger ni boire. J’ai vu de mes propres yeux l’un de ces véhicules et je peux imaginer combien il doit être épuisant pour une personne malade de rester des heures dans un espace aussi confiné et aussi peu aéré. Lorsque j’ai rencontré des responsables du ministère de la Santé, ils m’ont appris que le ministère de la Justice prévoyait de mettre en place une nouvelle unité qui remplacerait la gendarmerie pour assurer la sécurité externe des prisons. Cette mesure semble être un pas dans la bonne direction. Ma position sur cette question est claire: le transfert dans un hôpital doit systématiquement avoir lieu dans des conditions qui respectent la dignité des détenus et il importe que la gendarmerie ne participe pas à ces transferts. Ce point de vue repose également sur ce qui m’a été rapporté de façon crédible au sujet du temps excessif mis pour conduire des détenus dans un hôpital, en raison parfois d’un manque de véhicules, mais apparemment aussi parce que les gendarmes voulaient délibérément entraver ce transfert. Si les gendarmes n’amènent pas les détenus à l’hôpital à temps, les patients manquent leur rendez-vous et doivent en prendre un nouveau. Cette situation provoque des interruptions ou des retards de traitement qui peuvent être préjudiciables et accroît sans justification la souffrance des détenus qui ont besoin de soins médicaux.
118. Le problème des délais excessifs se pose également pour les libérations anticipées pour raisons de santé. L’article 16(2) de la loi no 5275 relative à l’exécution des peines et des mesures de sécurité prévoit que l’exécution d’une peine d’emprisonnement peut être suspendue au profit des personnes «incapables de continuer à vivre dans un établissement pénitentiaire en raison d’une grave maladie ou d’un grave handicap».
119. Malheureusement, les statistiques que m’ont communiquées le service de recherche parlementaire, l’Institut de médecine légale et le ministère de la Justice ne sont pas les mêmes. D’après l’ensemble le plus complet de données (qui m’a été communiqué par le ministère de la Justice), entre l’entrée en vigueur de la dernière modification apportée à l’article 16 de la loi no 5275 du 31 janvier 2013 et la date de ma visite, 5 814 demandes de suspension de peine au total ont été déposées. 1 423 demandes sont actuellement pendantes: 1 068 auteurs de ces demandes attendent d’être conduits à l’hôpital pour y recevoir un rapport médical et 345 autres attendent l’évaluation finale de l’Institut de médecine légale. 691 personnes ont été libérées (pour d’autres motifs) avant qu’une décision soit prise au sujet de leur demande. Sur les 3 700 décisions prises, 512 demandes (soit 14 %) ont été acceptées et 3 188 demandes (86 %) ont été rejetées.
120. De façon plus positive, j’ai appris que l’administration pénitentiaire et le ministère de la Justice pouvaient, de plein droit, engager une procédure de suspension de peine pour raisons de santé. Je ne peux que les encourager à faire un large usage de cette faculté. Mais en vertu de l’article 16(3) de la loi no 5275, la décision relative à une demande de suspension de peine est prise par le ministère public. Selon moi, cette situation pose problème. Bien qu’un recours puisse être déposé auprès du juge chargé de l’exécution des peines, il peut y avoir un conflit d’intérêts lorsque le procureur, qui décide des demandes de libération anticipée, fait partie de la même hiérarchie que celle qui a demandé au cours du procès qu’une peine d’emprisonnement soit infligée.
121. La décision du ministère public repose pour une bonne part sur un rapport de l’Institut de médecine légale ou de la commission de santé d’un hôpital pleinement équipé désignée par le ministère de la Justice et approuvée par l’Institut de médecine légale. Là encore, il existe un risque de partialité politique et un manque d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif.
122. Premièrement, je ne suis pas convaincu des explications que m’ont données mes interlocuteurs au sujet de la nécessité de confier le «monopole» de l’expertise médico-légale à l’Institut de médecine légale d’Istanbul 
			(86) 
			Le
directeur de l’Institut de médecine légale a fait remarquer que
les médecins qui ont reçu une formation clinique ont tendance à
ne pas avoir l'expertise médico-légale nécessaire pour évaluer si
l'état de santé d'une personne relève du champ d'application des
dispositions légales pertinentes. Le ministère de la Justice m’a
informé que les hôpitaux locaux pouvaient être influencés par des
«organisations criminelles» et qu'ils étaient par conséquent plus
enclins à demander une hospitalisation ou une suspension de peine. . Ce dernier joue à l’évidence un rôle capital dans la prise de décision: un Comité d’expertise médico-légale évalue tous les dossiers médicaux à la lumière des questions posées par le ministère public et rend des conclusions expresses sur la recevabilité de la demande de suspension de peine du détenu aux fins de l’article 16 de la loi no 5275. Ce rôle crucial pose problème dans la mesure où l’Institut de médecine légale est un organe officiel du ministère de la Justice. Bien que mes interlocuteurs aient souligné que le rattachement de l’Institut au ministère était purement administratif, le directeur de l’Institut a indiqué que «le président, les vice-présidents, les responsables et les membres du Comité d’expertise médico-légale sont nommés par (…) décret (…) signé du ministre de la Justice, du Premier ministre et du Président. La nomination des spécialistes de médecine légale et des autres membres du personnel technique est faite par le ministère». Ces éléments mettent sérieusement en doute l’indépendance de l’Institut de médecine légale.
123. En outre, la procédure prévue par la législation entraîne apparemment d’importants retards dans le traitement des demandes de libération provisoire. Bien que l’Institut de médecine légale déclare que les dossiers des détenus sont «traités immédiatement et que le détenu est admis pour examen sans rendez-vous», il ressort des dossiers que j’ai pu examiner qu’il pouvait s’écouler des mois entre le dépôt d’une demande et la prise d’une décision. Lorsqu’un détenu doit être examiné en personne à l’Institut de médecine légale, il est en général conduit à la prison Metris de type R d’Istanbul. Il arrive qu’il attende des semaines ou des mois pour être examiné, parce que l’Institut a pu demander la communication de dossiers médicaux supplémentaires. L’échange de courrier qui en résulte entre l’Institut, le procureur général et l’hôpital local qui a établi le rapport initial prolonge inutilement la procédure.
124. Les représentants des ONG ont également formulé des critiques à l’égard de la législation, qu’ils jugent axée avant tout sur la sécurité, alors qu’elle devrait privilégier des considérations de compassion. La loi prévoit que les détenus peuvent uniquement être libérés en raison de leur maladie ou de leur handicap s’ils ne représentent pas un danger pour la sécurité. Il est important de préciser que les dispositions pertinentes ont été modifiées en juin 2014. L’article 16 de la loi no 5275 était auparavant libellé comme suit:
«l’exécution des peines des détenus incapables de continuer à vivre dans un établissement pénitentiaire en raison d’une grave maladie ou d’un grave handicap et qui ne représentent pas une menace grave et substantielle pour la sécurité publique est suspendue jusqu’à leur rétablissement.»
125. Dans sa version actuelle, la loi dispose que les peines de ces détenus sont suspendues, sauf s’ils représentent «une menace grave et particulière [ou concrète] pour la sécurité publique» (d’après une traduction non officielle en anglais; l’italique ne figure pas dans la version originale). Il est toutefois regrettable que, alors que cette formulation semble à première vue une amélioration capable d’atténuer le risque d’arbitraire, elle semble avoir peu d’impact concret sur les décisions prises par les procureurs.
126. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la faiblesse de l’argumentaire de certaines décisions prises par les procureurs, qui sont parfois contraires aux rapports favorables de l’Institut de médecine légale. Certaines de ces décisions affirment que l’intéressé, s’il était libéré, représenterait une menace pour la sécurité publique, sans motiver le moins du monde cette affirmation. Dans d’autres cas, elles font état du risque supposé que l’intéressé, alors qu’il ne représente pas lui-même une menace, pourrait être utilisé comme un «instrument de propagande» s’il était libéré. Je répondrais à cela qu’avec de tels arguments, il est de fait impossible qu’un détenu condamné en raison de son affiliation au PKK ait la moindre chance d’être libéré pour raisons de santé. Il importe que la Turquie abandonne ce critère discriminatoire et libère tous les détenus qui réunissent les conditions nécessaires à une libération pour raisons médicales, tout en imposant toutes les conditions nécessaires pour éviter une récidive.

5.4. Conclusions de mes missions d’information

127. L’ampleur des difficultés auxquelles se heurtent les détenus pour jouir de manière effective de leurs droits à la santé varie entre les trois pays que j’ai visités. En parallèle, comme on pouvait s’y attendre, certaines des conclusions que j’ai établies à l’issue de ces visites autorisent à tirer des enseignements d’ordre plus général, ainsi qu’à formuler des recommandations adressées à plusieurs, pour ne pas dire à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
128. Dans les trois pays que j’ai visités, des améliorations supplémentaires doivent être apportées pour garantir le respect de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies, qui exigent que «lorsque le traitement hospitalier est organisé dans l'établissement, celui-ci doit être pourvu d'un matériel, d'un outillage et des produits pharmaceutiques permettant de donner les soins et le traitement convenables aux détenus malades, et le personnel doit avoir une formation professionnelle suffisante». J’aimerais également attirer l’attention sur le manuel du Conseil de l’Europe à l’intention du personnel de santé et des autres membres du personnel pénitentiaire qui ont en charge le bien-être des détenus 
			(87) 
			Andres Lehtmets et
Jörg Pont, <a href='http://www.coe.int/t/dgi/criminallawcoop/Presentation/Documents/Publications_HealthCare_manual_Web_A5_E.pdf'>«Prison
health care and medical ethics. A manual for health-care workers
and other prison staff with responsibility for prisoners’ well-being»</a> (Strasbourg: Conseil de l'Europe, novembre 2014). ; celui-ci comporte des bonnes pratiques, met en avant d’importantes normes déontologiques et propose des solutions aux dilemmes éthiques relatifs à l’accès à un médecin, à l’égalité des soins, au consentement des patients et à la confidentialité des données qui les concernent, aux soins préventifs, ainsi qu’à l’indépendance et à la compétence professionnelles. Par ailleurs, je pense que ces trois pays, et sans doute la plupart des autres Etats membres du Conseil de l’Europe, feraient bien de renforcer la coopération entre les services médicaux en milieu carcéral et les hôpitaux extérieurs. Cela permettrait également de mettre la pratique nationale plus en conformité avec le paragraphe 40(1) des Règles pénitentiaires européennes, qui précise que «[l]es services médicaux administrés en prison doivent être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la collectivité locale ou de l’Etat».
129. J’ai été heureux d’apprendre que les trois pays que j’ai visités prévoient tous, comme d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe, une suspension provisoire de la peine d’emprisonnement d’un détenu pour que celui-ci puisse recevoir un traitement médical. Lorsque le temps passé dans un hôpital extérieur n’est pas comptabilisé comme un temps passé à purger une peine, les Etats devraient rechercher des moyens de garantir que la législation ne dissuade pas les personnes en détention de demander le traitement dont elles ont besoin. Il est par ailleurs indispensable que le temps nécessaire pour avoir accès à des examens médicaux, à un traitement et être transféré dans un hôpital ne soit pas excessif.

6. Conclusion

130. Les atteintes aux droits de l’homme dans les centres de détention, dont il a été fait état amplement, ont attiré l’attention sur les problèmes et le manque de solution auxquels est confrontée une catégorie particulièrement vulnérable de la société: les détenus gravement malades et âgés. L’inaction aura pour seul effet de perpétuer ces atteintes et certains détenus risquent de continuer à se trouver à la merci d’un système carcéral national qui ne tient pas compte de leurs besoins médicaux et ne leur offre aucune possibilité réaliste de libération anticipée. Le Conseil de l’Europe a le devoir de veiller à ce que tous ses Etats membres respectent les protections les plus élémentaires des droits de l’homme. Il doit saisir cette occasion d’attirer l’attention sur le fait que, alors même que le CPT et le Comité des Ministres ont adressé diverses recommandations à propos de l’accès des détenus aux soins médicaux et des procédures de libération anticipée, ces droits ne sont, dans bien des cas, toujours pas correctement respectés.
131. La population des détenus vieillit, comme le reste de la population. Les Etats membres doivent prendre conscience du vieillissement de leurs détenus et examiner et modifier les dispositions actuellement en vigueur de manière à leur assurer la détention la plus confortable possible. Il importe également qu’ils examinent leur législation interne pour veiller à ce qu’elle comporte des solutions adéquates, comme de larges possibilités de libération anticipée. Il est indispensable, d’un point de vue juridique comme sur le plan humanitaire, que les détenus malades et âgés bénéficient de meilleures conditions de détention.
132. Aucun être humain ne devrait mourir en détention, mais la tendance européenne montre que davantage de personnes qu’autrefois décèdent aujourd’hui derrière les barreaux 
			(88) 
			Le <a href='http://wp.unil.ch/space/files/2015/02/SPACE-I-2013-English.pdf'>rapport</a> le plus récent des Statistiques pénales annuelles du
Conseil de l’Europe indique que, de 2010 à 2012, le taux de mortalité
en prison est passé de 25 décès pour 10 000 détenus à 28 décès pour
10 000 détenus.. Le Conseil de l’Europe doit demander à ses Etats membres d’examiner leur législation et leur politique, afin de procéder aux modifications qui permettront à tout être humain de mourir dans la dignité, sans être enchaîné à un lit, en détention. L’Assemblée doit demander à l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe de remédier d’urgence et efficacement à cette situation désastreuse.

Annexe – Questionnaire adressé aux délégations nationales par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (ECPRD) le 30 avril 2015

(open)
1. Quels sont les critères légaux retenus pour la libération (provisoire), pour des motifs de compassion:
1.1. des détenus malades en phase terminale (c’est-à-dire détenus qui présentent un pronostic fatal à court terme);
1.2. des détenus souffrant d’une grave maladie qui requiert leur traitement hors de leur lieu de détention;
1.3. des détenus d’âge avancé?
2. Quels sont les autorités compétentes pour décider de la libération, pour des motifs de compassion, des personnes qui entrent dans les catégories susmentionnées, et selon quelle procédure?
3. Existe-t-il une possibilité de contrôle juridictionnel?
4. Veuillez fournir les statistiques les plus actualisées, si possible ventilées par âge, sexe et origine ethnique:
4.1. sur le pourcentage de demandes de libération pour des motifs de compassion accordées aux:
4.1.1. détenus malades en phase terminale (c’est-à-dire détenus qui présentent un pronostic fatal à court terme);
4.1.2. détenus souffrant d’une maladie grave qui requiert leur traitement hors de leur lieu de détention;
4.1.3. détenus d’âge avancé;
4.2. sur la maladie et l’espérance de vie des détenus malades en phase terminale libérés pour raisons médicales;
4.3. sur la durée de la peine qu’il restait à purger aux détenus ayant satisfait aux critères de la libération pour des motifs de compassion, le type d’infraction(s) dont ils avaient été reconnus coupables, ainsi que la durée de la peine purgée avant leur libération;
4.4. sur la durée moyenne du processus décisionnel;
4.5. sur le nombre de personnes qui satisfaisaient aux critères d’une libération pour des motifs (médicaux) de compassion et qui sont décédées en attendant l’examen de leur demande de libération.