1. Introduction
1. L’eau unit, l’eau divise –
mais reste essentielle au développement humain. L’eau fait partie
du patrimoine commun de l’humanité et constitue une ressource essentielle
à la survie de l’homme. L’eau reste toutefois une ressource limitée
et vulnérable.
2. En reconnaissant, en 2010, que le droit à une eau potable
propre et à l’assainissement sont des droits humains, les Nations
Unies ont souligné le rôle de l’eau dans la plaine jouissance de
la vie et des autres droits humains. Elles ont également réaffirmé
une série d’obligations pour les principales parties prenantes et notamment
les Etats. Ces derniers doivent garantir l’accès de leurs populations
à des ressources en eau suffisantes, sûres et à un prix abordable
.
3. Malgré une amélioration constante de l’approvisionnement local
en eau, la situation reste critique dans certaines régions d’Europe.
Les problèmes sont généralement imputables à une mauvaise gestion
des ressources en eau et affectent les besoins quotidiens de centaines
de milliers de personnes. Un habitant sur six dans le monde n’a
pas toujours accès à l’eau. En conclusion, l’eau peut aussi être
une source de conflits.
4. L’agriculture intensive, les activités industrielles, le changement
climatique et les habitudes des consommateurs mais aussi les erreurs
des pouvoirs publics et les considérations politiques sont autant
de facteurs qui peuvent engendrer des situations conflictuelles.
L’attention de notre Assemblée parlementaire a été attirée sur les
graves difficultés rencontrées par les populations vivant dans les
régions frontalières non-occupées de l’Azerbaïdjan et qui dépendent
de l’eau provenant du barrage de Sarsang, situé dans le Haut-Karabakh.
5. Le présent rapport traite des problèmes concernant les régions
susmentionnées et a pour but de proposer des solutions pragmatiques
que pourraient adopter les autorités des deux pays voisins concernés, afin
d’optimiser la gestion de l’eau dans leurs régions frontalières.
6. En tant que rapporteure, je me dois d’informer l’Assemblée
que, lors de la préparation de ce rapport, je n’ai effectué que
deux visites d’information en Azerbaïdjan: en décembre 2014, en
saison hivernale, et en août 2015, en saison estivale, afin de tenir
compte des changements de conditions de vie d’une saison à l’autre. Malheureusement,
je n’ai pas eu l’occasion d’effectuer une visite en Arménie en raison
du défaut de coopération de la part de délégation arménienne. Celle-ci
n’a pas souhaité accéder aux demandes successives qui lui ont été
adressées: lettre officielle du Secrétaire général de l’Assemblée,
requêtes de la commission des questions sociales, de la santé et
du développement durable et mes propres demandes. En raison du temps
limité pour la préparation de ce rapport, j’ai dû avancer dans mon
travail sans pouvoir effectuer une visite en Arménie.
2. Le réservoir de Sarsang:
quel est le statu quo?
2.1. Données essentielles sur
le réservoir
7. Le réservoir de Sarsang est
une vaste retenue d’eau située dans le Haut-Karabakh, en Azerbaïdjan, mais
qui est de fait contrôlée par l’Arménie depuis 1993. Ce réservoir
s’est formé en 1976 suite à la construction d’un barrage sur la
rivière Tartar/Terter par la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan
de l’époque. L’installation se situe dans une vallée de montagne
à 726 mètres d’altitude, avec un barrage de 125 mètres de haut et
un réservoir d’une capacité maximale de 575 millions de m3 d’eau.
Les rives de ce réservoir s’étendent sur environ 50,25 kilomètres.
8. Le système comprend également un réservoir de régulation avec
un barrage en remblai de terre d’une capacité d’environ 6 millions
de m3; celui-ci se trouve à Madaguiz,
à une vingtaine de kilomètres en aval du réservoir principal. Madaguiz
joue un rôle important dans le fonctionnement du réservoir de Sarsang
et du système d’irrigation car les canaux d’irrigation (le canal
principal et ses bras nord et sud) prennent naissance en aval de
ce barrage, à partir duquel, avant 1994, l’eau était dirigée vers
les canaux par le biais des déversoirs situés en hauteur – ce à
des fins d’irrigations.
9. Le but principal du réservoir de Sarsang était de fournir
de l’eau potable à la population locale ainsi que de l’eau d’irrigation
pour les terres fertiles de cette région. Il constitue également
la principale source d’énergie (40 % à 60 % de l’approvisionnement).
La centrale électrique située sur le barrage de Sarsang était destinée à
fournir de l’énergie au pays et de l’eau pour les utilisations domestiques
et agricoles. L’approvisionnement en eau du réservoir de Sarsang
concerne environ 138 000 habitants du Haut-Karabakh et environ 400 000 personnes
d’autres régions du Bas-Karabakh en Azerbaïdjan.
10. En raison de l’occupation arménienne du territoire sur lequel
se trouve le réservoir de Sarsang, quelques centaines de milliers
de personnes vivant dans cette zone ont été privés d’eau potable
de qualité. Avant l’invasion du territoire azerbaïdjanais, le barrage
de Sarsang assurait l’irrigation de plus de cent mille hectares de
terres fertiles dans six régions du pays (Terter, Aghdam, Barda,
Goranboy, Yevlakh et Aghdjabedi).
11. L’exploitation du réservoir ne peut donc pas être envisagée
isolément du contexte géographique et géopolitique. Il est à la
fois possible et souhaitable d’améliorer l’approvisionnement en
eau de la population grâce à un large éventail de mesures susceptibles
d’aboutir à une gestion plus durable de toutes les ressources en
eau de la région.
2.2. Aspects problématiques en
rapport avec Sarsang
2.2.1. Aspects environnementaux
12. Comme les ressources en eau
douce sont inégalement réparties dans le Caucase du Sud
, l’on trouve de nombreuses zones
arides qui ne sont pas viables sans intervention humaine. Les sécheresses
sont fréquentes et l’irrigation est indispensable à l’agriculture
de subsistance pendant les mois à faibles précipitations, notamment
en été. Autour de Sarsang, les besoins en irrigation sont particulièrement
importants au printemps et en été, tandis que les abondantes précipitations
des mois d’hiver peuvent même provoquer des inondations. Les autorités
azerbaïdjanaises estiment qu’environ 100 000 hectares de terres
agricoles des régions frontalières sous contrôle de l’Azerbaïdjan,
proches de Sarsang, souffrent d’un grave stress hydrique risquant
de provoquer la désertification des secteurs où la pénurie est la
plus forte.
13. Le barrage de Sarsang a été construit sur la rivière Tartar,
affluent de la Koura. Le déversoir du barrage débouche sur le Tartar,
qui rejoint la Koura dans la région de Barda avant de se jeter dans
la mer Caspienne. C’est pourquoi tout rejet d’eau à Sarsang a un
impact sur la région du cours inférieur de la Koura, en Azerbaïdjan,
et ne peut être considéré indépendamment du risque d’inondation
que connaît cette région. C’est l’une des raisons pour lesquelles
la gestion des eaux à Sarsang ne saurait être envisagée en se limitant
au seul réservoir.
14. En ce qui concerne la consommation d’eau annuelle, les estimations
font état de 700 à 800 millions de m3 d’eau
utilisés à des fins d’irrigation dans les six régions (Agdam, Barda,
Tartar, Yevlakh, Goranboy et Aghdjebedi) avant le conflit de 1992-1994.
15. A la suite du conflit du Haut-Karabakh, les autorités arméniennes
ont pris le contrôle du réservoir et des parties hautes du canal
d’irrigation (intégralité de la branche sud et une grande partie
de la branche nord). Le Tartar quitte les territoires contestés
en se dirigeant vers la Koura et les plaines azerbaïdjanaises inférieures. D’autre
part, dans les secteurs occupés, un nombre important d’habitants
azéris ont fui vers d’autres régions du pays et sont aujourd’hui
des personnes déplacées.
16. Depuis le conflit, le réservoir est entièrement sous le contrôle
des autorités arméniennes; il ne semble y avoir aucune communication
efficace entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet de la gestion
opérationnelle du réservoir et/ou d’une coopération mutuelle pour
répondre aux besoins en eau de la région depuis 1993. Cette situation,
qui a entraîné des problèmes dans les six régions frontalières de
l’Azerbaïdjan, soulève les préoccupations décrites ci-après.
– Perte de l’usage des infrastructures d’irrigation existantes
dans les régions frontalières de l’Azerbaïdjan
17. Comme indiqué plus haut, le canal d’irrigation situé en aval
du réservoir (d’une longueur totale d’environ 240 kilomètres) se
divise en une branche nord et une branche sud. La branche sud irrigue
des territoires occupés dans les régions frontalières sous contrôle
des autorités de fait. De ce fait, elle ne peut être utilisée pour
irriguer les autres secteurs des régions frontalières d’Azerbaïdjan,
même lorsqu’elle est alimentée en eau. La branche nord traverse
tout d’abord le territoire contrôlé par les autorités de fait. Ce
n’est que dans ses 22 derniers kilomètres qu’elle traverse des régions
frontalières sous contrôle azerbaïdjanais. En conséquence, plus
de 90 % du canal ne peut être utilisé pour irriguer les six régions
frontalières. Un autre problème concerne l’état du canal qui, semble-t-il,
n’a pas été utilisé depuis de longues années et n’a pas fait l’objet
d’inspections techniques ni de travaux d’entretien depuis plus de
20 ans.
18. Toutefois, certains éléments (photographies aériennes, images
satellites) font apparaître d’importants dégâts à deux endroits
du canal, tous deux situés sur le territoire occupé. Le premier
endroit, considérablement touché, se situe tout près de Madaguiz
(à environ 1,3 kilomètre en aval du barrage, avant le point où le
canal se divise en deux bras). Le deuxième endroit se situe au milieu
du bras sud où le canal semble avoir été détruit par des explosifs
sur une longueur d’environ 100 mètres.
19. Dans les deux cas, les dégâts ont été provoqués pendant la
guerre (1992-1994), très probablement par des explosifs, des combats
ayant eu lieu à proximité du canal. Le fait est que les dégâts n’ont
jamais été réparés après la guerre. Quoiqu’il en soit, dans de telles
conditions, l’usage de l’eau du réservoir de Sarsang à des fins
d’irrigation est impossible tant que le canal n’aura pas été réparé.
– Pénurie d’eau d’irrigation
20. Des lâchers d’eau du réservoir dans le Tartar (qui alimente
en partie le canal d’irrigation à Madaguiz) ont lieu principalement
à l’automne et en hiver. Il apparaît en revanche qu’au printemps
et en été, lorsque les besoins en eau d’irrigation sont élevés,
le débit d’eau provenant du réservoir est réduit. En conséquence,
les six régions concernées ont connu de graves pénuries d’eau d’irrigation.
Etant donné qu’il n’existe pas d’autre source d’eau de surface dans
cette partie du pays, l’Azerbaïdjan mène depuis 1994 un vaste programme
de pompage des eaux souterraines et a foré un grand nombre de puits
artésiens (plus de 700). Ce programme a permis de couvrir au moins
en partie les besoins en eau d’irrigation des six régions concernées
mais a entraîné plusieurs nouveaux problèmes, décrits ci-après.
– Surexploitation des aquifères
21. Le niveau des nappes phréatiques de la région baisse régulièrement
depuis des années, ce qui donne à penser que l’alimentation des
nappes est inférieure aux prélèvements (pompage pour irriguer);
cela entraîne une surexploitation des ressources et un déficit en
eaux souterraines. Ces dernières années, une diminution du débit
des systèmes de pompage a également été observée.
22. L’abaissement du niveau des nappes phréatiques entraîne une
augmentation de la profondeur du pompage et donc de la consommation
d’énergie pour l’irrigation.
– Intrusions salines dans les aquifères
23. La surexploitation des aquifères entraîne un abaissement du
niveau des nappes phréatiques et, de ce fait, des intrusions d’eau
salée (ou saumâtre) aboutissant à une augmentation de la salinité
de l’eau pompée dans les puits. Ce grave problème de qualité de
l’eau d’irrigation provoque une baisse de la productivité des cultures.
C’est aussi, plus généralement, un important problème environnemental
pour la région. La directive-cadre sur l’eau (Directive 2000/60/CE)
de l’Union européenne décrit les intrusions salines comme un problème environnemental
sérieux qu’il convient d’éviter.
24. Les eaux souterraines obtenues par pompage présentent une
composition chimique différente de celle des eaux de surface; elles
contiennent des minéraux (notamment des minéraux lourds) qui les
rendent inutilisables (ou peu adaptées) pour l’irrigation des cultures
pratiquées dans la région. Des organisations présentes en Azerbaïdjan
(le bureau du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD),
par exemple) ont commencé à collecter des échantillons d’eau de
pompage à des fins d’analyse. Il semblerait que la qualité des eaux
souterraines se dégrade au fil des années. Cela peut entraîner une
baisse de la productivité des cultures ou nécessiter un changement
de cultures; dans certains secteurs cela peut également provoquer l’abandon
de toute activité agricole.
– Qualité de l’eau potable
25. L’eau provenant du réservoir de Sarsang n’est pas utilisée
comme eau potable, même en hiver lorsque le débit du canal est important.
En effet, il est craint qu’elle soit polluée par des minéraux lourds
ou des déchets toxiques. En 2007 par exemple, on a signalé des cas
de poissons morts et de bétail agonisant, attribués à la contamination
de l’eau provenant de Sarsang.
26. Les eaux souterraines captées par pompage ne conviennent pas
toujours à une utilisation comme eau potable car elles peuvent contenir
des minéraux lourds. Pour approvisionner la population des six régions frontalières,
des quantités importantes d’eau potable sont acheminées depuis d’autres
régions et stockées dans des réservoirs. Les quantités nécessaires
sont largement inférieures aux besoins en eau d’irrigation et le transport
ne pose pas de problème technique (grâce à une infrastructure installée
après 1994 dans ces six régions), mais ce dispositif engendre néanmoins
une augmentation du coût de la vie pour la population car c’est
un service payant. Le système est subventionné par l’Etat, mais
la charge financière qu’il représente pour les habitants pourrait
être évitée s’ils pouvaient utiliser sans crainte l’eau du réservoir
de Sarsang.
27. Mais l’achat de l’eau potable auquel sont obligés de recourir
des habitants de certains villages de la région de Tartar n’est
pas seulement un problème financier. Les conditions d’hygiène et
sanitaires des réservoirs d’eau domestique ne répondent pas aux
normes en raison de manque de ressources financières de la population.
Les réservoirs en fer sont en usage depuis longtemps et, bien que
nettoyés quatre à cinq fois par an, sont rouillés. Les réservoirs
en plastique, même lavés une fois par mois, sont aussi dans un état douteux,
leurs parois noircies et les fonds recouverts de végétation. Tout
cela montre que les eaux conservées dans les réservoirs en fer et
en plastique peuvent aboutir à des problèmes de santé publique.
– Inondations
28. En hiver, lorsque les pluies sont abondantes, il est procédé
sans préavis à des lâchers d’eau du réservoir dans le Tartar ce
qui provoque des inondations (ou les aggrave) dans la région. En
2011, par exemple, lors d’une période de pluies abondantes, un lâcher
d’eau a eu lieu sans préavis et a provoqué une aggravation de la
crue de la Koura et des inondations dans les parties inférieures
de la région de Koura, en aval de l’embouchure du Tartare. Les terres
irriguées par la Koura se situent en-dehors des six régions frontalières mais,
ainsi qu’il est indiqué plus haut, le réservoir de Sarsang fait
partie du système Tartar-Koura et influence la circulation des eaux
au-delà des six régions frontalières.
29. A la suite de cet incident, d’importants ouvrages de protection
contre les inondations ont été construits le long de la Koura, mais
le danger n’est pas écarté. Le réservoir de Sarsang ne peut provoquer
une inondation importante à lui seul, mais la région de la Koura
inférieure est sensible aux inondations. L’absence de communication
entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan fait craindre que des lâchers d’eau
inattendus viennent aggraver les inondations en période de fortes
pluies.
30. En 2013 il s’est produit un incident au cours duquel des sédiments
rejetés du réservoir ont atteint le cours inférieur du Tartar et
se sont déposés dans le lit de la rivière, venant affecter six villages.
Cet incident fait craindre que de nouveaux rejets de sédiments puissent
se produire sans préavis à l’avenir.
– Impact sur l’environnement: l’érosion des sols
31. La violation de l’équilibre de l’eau depuis plus de 20 ans
dans la région et le relâchement irrégulier de l’eau dans le réseau
d’irrigation ont entraîné l’érosion des sols. Grâce à des plantations
spécifiques, l’érosion a été freinée dans quelques villages. Le
manque d’irrigation des terres provoque le dessèchement et la désertification
du sol. Des milliers d’hectares de terres arables sont affectés
par l’érosion dans les régions d’Aghdam, de Barda et de Tartar où
la couche d’humus est soufflée.
– Impact sur la productivité dans l’agriculture
32. En raison de la diminution des couches d’eau alimentant les
puits artésiens, l’efficacité de ces puits a diminué. En fait, il
est impossible de prélever de l’eau des puits artésiens plus de
deux à trois heures par jour pendant la saison. L’eau diminue dans
les couches d’eau et les activités agricoles doivent s’interrompre.
Selon les agriculteurs, il est extrêmement difficile d’irriguer
les cultures avec 50 % à 75 % d’eau en moins par rapport à ce qui
serait normalement nécessaire.
33. Les puits artésiens fournissent aux agriculteurs une eau dont
la salinité est très élevée; en conséquence, la qualité des produits
cultivés diminue et la fertilité des sols est affectée. Selon les
agriculteurs, une telle irrigation diminue le rendement annuel des
plantations et conduit à la destruction des plantations et à l’assèchement
des vergers après deux à trois ans.
– Impact sur la biodiversité
34. Les ressources naturelles ainsi que la faune et la flore de
la région ont été impactées par la pénurie d’eau autour de réservoir
de Sarsang. Les populations locales tentent de combattre la pénurie
d’eau grâce à divers moyens techniques et financiers; quant à la
flore et la faune de cette région, un certain nombre d’espèces ont été
anéanties, tandis que d’autres désertent la région. Quelque 36 espèces
d’animaux et 31 espèces de plantes rares sont en danger d’extinction.
2.2.2. Aspects de sécurité
35. Outre les variations annuelles
de débit en eau, la sécurité des personnes ne peut être garantie
en raison de problèmes techniques. Les structures en béton du réservoir
sont vieillissantes et les efforts de maintenance sont insuffisants
depuis de nombreuses années. L’entretien de ce réservoir et de ses
installations a été négligé, ce qui fait peser une grande menace
en termes de sécurité. La destruction accidentelle du barrage ou même
un sabotage présenteraient un immense danger pour les villes et
villages des régions de Tartar, d’Aghdam, de Barda, de Goranboy,
de Yevlakh et d’Aghdjabedi.
36. Actuellement sous contrôle militaire arménien, ce barrage
nécessite des travaux urgents trop longtemps négligés. En cas d’accident
ou de sabotage, les 400 000 habitants des six régions azerbaïdjanaises
au-delà de la ligne de contact, ainsi que les biens publics et privés,
seraient exposés au risque d’une destruction totale.
37. Des incidents ont été rapportés, au sujet d’explosifs (mines)
transportés par l’eau provenant du réservoir et qui auraient tué
ou blessé plusieurs habitants des six régions frontalières. En 2012,
un enfant et sa mère ont été tués par des explosifs qui se trouvaient
dans un jouet qu’ils auraient ramassé dans le canal. Des mines ont également
été découvertes en 2013 (8 mines) et en 2014 (14 mines). La mort
d’un berger, tué par une mine, a été signalée en décembre 2014.
38. Par ailleurs, en raison d’une maintenance insuffisante ou
inexistante, la population de régions situées en aval craint la
rupture du barrage. Dans un tel cas, la partie inférieure du Tartar
serait inondée, entraînant d’importants dommages humains et matériels.
Un millier d’hectares seraient complètement submergés.
39. Outre le cas extrême d’une rupture du barrage, les autorités
azerbaïdjanaises s’inquiètent de l’état de la digue qu’elles ont
inspecté pour la dernière fois en 1993. On ignore si des inspections
ou des travaux d’entretien sont effectués bien que l’on observe
des rejets de sédiments, qui sont le signe d’un entretien. Bien entendu,
en cas de rupture, les barrages en remblai de terre (comme celui
de Sarsang) sont en principe beaucoup plus sûrs que les autres types
de barrages (barrages voûte notamment). Il faut néanmoins souligner que,
faute de pouvoir se rendre sur place, il n’est pas possible d’apprécier
l’état exact du barrage ni de constater avec certitude d’éventuels
risques techniques.
40. Il est donc nécessaire d’établir des contacts avec les autorités
responsables et des experts afin d’éclaircir cet aspect. L’Azerbaïdjan
a demandé que des ingénieurs et des hydrologistes indépendants puissent
réaliser une étude approfondie de l’état du réservoir, ce que les
autorités considèrent comme une mesure de sécurité indispensable.
2.2.3. Aspects juridiques
41. La soi-disant «République du
Nagorno-Karabakh», établie dans le Haut-Karabakh et sur les territoires occupés
aux alentours, n’est reconnue par aucun Etat ou organisation internationale
et n’est pas considérée comme légitime.
42. Le défi de la gestion de l’eau du réservoir de Sarsang ne
pourra être relevé sans une volonté politique. Pourtant, la gouvernance
de l’eau est en elle-même un facteur qui complique les discussions
multilatérales sur l’avenir de la région car l’eau est une ressource
stratégique et la croissance démographique et le changement climatique
ne simplifieront pas les choses. Nous devrions rappeler aux autorités
concernées leurs responsabilités et leurs obligations dérivées du
droit international à l’égard de la population civile dont les besoins
vitaux en eau ne devraient pas faire l’objet d’une instrumentalisation
politique.
43. Pour résoudre ce problème complexe et grave pour la population
locale, il est judicieux de se référer aux documents internationaux
concernant les solutions trouvées lors de situations semblables.
Environ 3 600 conventions internationales relatives au contrôle
et à l’usage de ressources hydriques ont été conclues par le passé.
Une grande partie de ces conventions portaient sur la délimitation
de frontières par les voies d’eau entre Etats frontaliers ou sur
une utilisation commune à des fins de navigation et de pêche.
44. Suite aux défis sociaux et environnementaux à la fin du XXe siècle
et au début du XXIe siècle, un caractère
juridique a été attribué à l’eau douce qui, outre ses particularités
économiques et politiques, est désormais porteuse d’une dimension
humanitaire. Il est intéressant de souligner que les instruments
juridiques internationaux sur l’utilisation et la protection de
l’eau douce rejettent le concept de monopole et soulignent que l’eau
douce est un bien social et culturel qui appartient à tous.
45. Afin d’assurer une utilisation de l’eau douce de manière équilibrée,
équitable et humanitaire, plusieurs institutions mondiales ont été
établies, dont la plus connue est le Conseil mondial de l’eau (The
World Water Council) qui a débuté ses activités en 1996 à Marseille,
où se trouve son siège.
46. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient respecter
les conventions internationales ayant pour but d’éviter les complications
possibles dans les zones frontalières. Plusieurs conventions sont indispensables
pour trouver des solutions à de telles situations de conflit:
- les conventions de Genève adoptées
en 1949 et leurs trois Protocoles adoptés en 1977 et en 2005 sont reconnus
aujourd’hui comme étant des documents clés du droit international
visant à protéger les droits des civils pendant les conflits militaires;
- les Principes de Dublin signés sous l’égide des Nations
Unies en 1992;
- les Règles d’Helsinki (Association de droit international)
qui sont la base juridique de la «Convention sur l’eau» des Nations
Unies signée à Helsinki en 1992;
- la Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement
dans un contexte transfrontière» (Espoo (Finlande), 1991);
- le Protocole relatif à l’évaluation stratégique environnementale
(Kiev, 2003);
- le Parlement européen et le Conseil européen ont adopté
en 2000 une directive-cadre sur l’eau (Directive 2000/60/CE) afin
de mettre fin aux litiges et de mettre en œuvre une gestion et une
protection des ressources en eau sur la base de normes équilibrées.
47. Tous ces documents imposent aux parties de prendre toutes
les mesures appropriées pour prévenir la pollution des eaux qui
a, ou risque d’avoir, un impact transfrontalier, pour veiller à
ce que la gestion des eaux transfrontalières soit effectuée de manière
rationnelle, raisonnable, équitable et respectueuse de l’environnement,
particulièrement dans le cas d’activités qui sont susceptibles de
revêtir une dimension transfrontalière, afin d’assurer la conservation
voire la remise en état des écosystèmes.
48. Ces conventions et documents internationaux font du droit
à l’eau une part intégrante des droits humains. Ainsi, l’eau «est
essentielle à la vie et à la santé. Le droit à l’eau est indispensable
pour mener une vie digne. Il est une condition préalable à la réalisation
des autres droits de l’homme»
.
49. L’occupation armée du bassin hydrologique équivaut à un non-respect
par l’Arménie de la Convention d’Helsinki des Nations Unies sur
la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers
et des lacs internationaux ainsi que d’autres conventions concernant
les autres aspects du problème (la santé publique, les droits des
civils pendant les conflits militaires – ici le conflit «gelé» –,
la prévention de l’utilisation de l’atmosphère, de la biosphère
et de l’hydrosphère comme instruments de pression par les protagonistes
d’un conflit, les règles et normes techniques concernant l’entretien
correct des installations hydrauliques et la protection des écosystèmes).
2.2.4. Les besoins les plus urgents
des populations voisines du réservoir
50. Si la sûreté technique du réservoir
est une question qui appelle des vérifications, les besoins quotidiens en
eau de la population sont réels et pressants, puisque le réservoir
de Sarsang est la seule source d’eau pour des régions frontalières
de l’Azerbaïdjan. Pour des raisons géologiques, il n’est pas possible
de combler ce manque de façon durable en creusant des puits artésiens
dans les régions proches de Sarsang en Azerbaïdjan. Le réseau d’approvisionnement
en eau a été gravement endommagé lors des intenses combats du début
des années 1990 ou s’est dégradé plus tard par manque d’entretien.
Ce déficit d’entretien était, dans une large mesure, la cause des
inondations qui ont ravagé de vastes régions frontalières de l’Azerbaïdjan
en 2010.
51. D’un point de vue géographique plus large, le Tartar qui alimente
le réservoir de Sarsang est un affluent de la Koura, le plus grand
fleuve du Caucase. Avec ses interconnexions hydrologiques, la Koura
forme une grande partie du bassin hydrologique Koura-Araxe qui s’étend
sur quatre pays de la région (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie et Turquie).
Les besoins en eau des populations dépendant de ce réseau sont affectés non
seulement par les pénuries mais aussi par une forte pollution. Ces
problèmes communs ne pourront être résolus sans une coopération
régionale visant à instaurer une gestion durable des ressources
en eau.
3. Conclusions
52. La situation actuelle concernant
la gestion opérationnelle du réservoir de Sarsang et ses conséquences soulève
plusieurs questions et problèmes dans les six régions frontalières
d’Azerbaïdjan: la pénurie d’eau d’irrigation et d’eau potable, la
dégradation de l’infrastructure d’irrigation, la surexploitation
des aquifères, la salinisation consécutive et la dégradation de
la qualité des eaux souterraines, l’aggravation des inondations
et l’augmentation du niveau de risque en termes de sécurité.
53. Pendant la guerre, le principal canal d’irrigation a été considérablement
endommagé, au point qu’il est actuellement impossible d’utiliser
l’eau du réservoir de Sarsang à des fins d’irrigation. Des travaux
de réparation seraient plus que nécessaires pour prévenir une grave
crise écologique et humanitaire.
54. De même, des études sont indispensables pour rendre compte
de l’état de santé publique et de l’état des écosystèmes, des conditions
de protection des sources d’eau, de la flore et de la faune contre
la pollution, et des perspectives visant l’amélioration des conditions
de vie quotidienne des habitants.
55. Le défaut d’entretien depuis plus de 20 ans de ce barrage
et de ses installations représente un péril qui appelle une réaction
urgente. Aussi longtemps que l’occupation perdure, le barrage de
Sarsang constituera une menace grave pour une population d’environ
400 000 personnes en aval de celui-ci.
56. Pour conclure, il est regrettable que le défaut de collaboration
des autorités ne m’a pas permis d’effectuer une visite de terrain
du côté arménien pour pouvoir compléter le diagnostic du réservoir.
L’état de fait reste inchangé: le réservoir se situe côté arménien
et les populations civiles qui en dépendent vivent du côté azerbaïdjanais.
Le destin de ces derniers est lié à l’état actuel et futur du réservoir,
qui dépend lui-même des hommes.