1. Introduction
1. A la suite d’une réunion de
la sous-commission sur le Proche-Orient à Amman en novembre 2012,
que j’ai eu l’honneur de présider, et de la participation de deux
députés jordaniens à la partie de session de juin 2013, le parlement
de Jordanie a demandé, par lettre du 25 juillet 2013 (voir l’annexe),
à se voir accorder le statut de partenaire pour la démocratie auprès
de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
2. L’Assemblée a renvoyé la demande à la commission des questions
politiques et de la démocratie le 30 septembre 2013 et la commission
a désigné M. Mogens Jensen (Danemark, Groupe Socialiste) comme rapporteur.
La commission a tenu un premier échange de vues avec la participation
de députés jordaniens en novembre 2013 à Lisbonne.
3. Suite à la nomination de M. Jensen en tant que ministre du
Commerce et du Développement du Danemark, la commission m’a désignée
rapporteure le 12 mars 2014 et, les 25 et 26 mars 2014 j’ai effectué ma
première visite d’information en Jordanie. Au cours de la partie
de session d’avril 2014, j’ai fait rapport de la visite à la sous-commission,
qui a tenu un échange de vues avec M. Mustafa Al Hamarneh et M. Yousef
Al Qarneh, membres du bloc parlementaire Al Moubadara de la Chambre
des Représentants jordanienne.
4. Les 4 et 5 septembre 2014, la commission a examiné une note
sur ma visite d’information en Jordanie et a tenu un échange de
vues avec la participation de M. Mustafa Al Hamarneh, M. Yousef
Al Qarneh et Mme Tamam Alryati, membres de la Chambre des Représentants
jordanienne. La sous-commission sur le Proche-Orient et le monde
arabe a eu un échange de vues avec M. Abdallah Khawaldeh, membre
de la Chambre des Représentants jordanienne, pendant la partie de
session d’avril 2015.
5. J’ai effectué une deuxième visite d’information en Jordanie
du 13 au 16 Septembre 2015, dont j’ai fait rapport à la commission
au cours de la partie de session d’octobre 2015. A cette occasion,
la commission a tenu un échange de vues avec M. Mustafa Al Hamarneh,
membre de la Chambre des Représentants jordanienne.
6. L’objet de ma mission en tant que rapporteure sur la demande
du statut de partenaire pour la démocratie de l’Assemblée parlementaire
est le suivant:
- vérifier si
la demande officielle du parlement contient les engagements formels
prévus à l’article 62.2 du règlement de l’Assemblée, c’est-à-dire:
une référence explicite à l’aspiration dudit parlement à faire siennes
les valeurs du Conseil de l’Europe; un engagement à agir pour abolir
la peine capitale et à encourager les autorités compétentes à introduire
un moratoire sur les exécutions; une déclaration relative à l’intention
du parlement de s’appuyer sur l’expérience de l’Assemblée ainsi
que sur l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) dans ses travaux institutionnels
et législatifs; un engagement à organiser des élections libres et
équitables conformes aux standards internationaux en la matière;
un engagement à encourager la participation équilibrée des femmes
et des hommes à la vie publique et politique; un engagement à encourager
les autorités compétentes à adhérer aux conventions et accords partiels
pertinents du Conseil de l’Europe pouvant être signés et ratifiés
par des Etats non membres, en particulier ceux traitant des droits
de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie; une obligation
d’informer régulièrement l’Assemblée des progrès accomplis dans
la mise en œuvre des principes du Conseil de l’Europe;
- vérifier si ces engagements correspondent à la réalité
en Jordanie et, par conséquent, si le statut peut être octroyé;
- vérifier si des conditions spécifiques préalables seraient
à remplir par le Parlement jordanien avant l’octroi du statut;
- déterminer les domaines dans lesquels de nouvelles réformes
sont le plus nécessaires et doivent être au centre du processus
d’examen et de suivi à l’avenir.
2. Contexte
7. La Jordanie est un petit pays
d’une superficie totale de 89 342 km², dont 80 % de désert. Son
territoire est limitrophe à l'ouest de la Palestine et d’Israël,
au sud de l’Arabie saoudite, à l'est de l'Irak et au nord de la Syrie.
La population de la Jordanie, dont 54 % sont des femmes, est estimée
à environ 8 millions d’habitants en 2015, dont 2 millions de réfugiés.
La capitale est Amman avec plus d’un million d’habitants. L’arabe
est la langue officielle de l’Etat et l’Islam, la religion. Sa Majesté
le Roi Abdallah II, âgé de 53 ans, est le chef de l’Etat depuis
le 7 février 1999. La Jordanie est une monarchie constitutionnelle
indépendante depuis 1946.
8. De par sa position géopolitique, ce pays «qui ne ferme pas
ses frontières» est pris en étau et subit depuis des décennies toutes
les conséquences des conflits régionaux, notamment le conflit israélo/palestinien
(Il y a un million de Palestiniens en Jordanie). Actuellement c’est
l’impact politique, économique et social du conflit en Syrie que
subit massivement le pays. Le 17 novembre 2015, il y avait 633 644
réfugiés syriens enregistrés par le Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR) en Jordanie, toutefois leur nombre
total est estimé par les Jordaniens à plus du double, soit 1 200
000, auxquels il faut ajouter 450 000 Egyptiens, 50 000 Yéménites
et 50 000 Libyens. Aujourd’hui, la proclamation de «l’Etat Islamique»
par des djihadistes radicaux qui prônent la terreur, l’épuration
ethnique et religieuse et l’extension du califat jusqu’à Bagdad, menace
encore plus la Jordanie ainsi que les pays voisins, le Liban et
la Palestine.
9. La Jordanie fait un effort considérable pour gérer l’afflux
et l’accueil des réfugiés syriens et a ouvert les camps Zaatari
(80 000) et Azraq (28 000) situés dans le désert à la frontière
syrienne; 85 % des réfugiés, cependant, vivent hors des camps. Les
besoins sont énormes et représentent un défi permanent si l’on considère
notamment à Zaatari le nombre des enfants: 45 000 sur 80 000 personnes
dont 25 000 enfants scolarisés. Les enseignants sont des Jordaniens
et le montant des salaires s’élève à 50 millions de dollars par an.
Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) estime que l’alimentation
des 221 000 réfugiés qui ont droit à des tickets repas s’élève à
53 millions de dollars par an soit environ 5 millions de dollars
par mois, dont 1 million de dollars pour le pain. Les besoins en
eau sont estimés à 35 litres d’eau par personne et par jour, soit
pour le camp de Zaatari environ 3 850 000 litres d’eau par jour!
(le coût du m3 est de plus de 3 dollars).
La communauté internationale devrait faire beaucoup plus pour soutenir
cet effort de la Jordanie.
3. Notre mission
3.1. Les rencontres
10. A Amman, j’ai rencontré M.
Atef Tarawneh, Président de la Chambre des Représentants, et M. Abdulraoof
Rawabdeh, Président du Sénat; M. Ahmed Obeidat, Président du Front
national pour la réforme et ancien Premier ministre; M. Hamza Mansour,
Secrétaire général du Front d’action islamique ainsi que MM. Mohammad
Al Zeud, Ali Abu Alsukar et Murad Al Adailah; M. Rohile Gharaibeh,
de l’initiative Zamzam; Mme Abla Abu Elbah, Première Secrétaire
générale du Parti démocratique; et M. Tuma Khader Al Obieaallah du
Parti d’union nationale de Jordanie.
11. J’ai également rencontré M. Taher Almasri, ancien Premier
Ministre; M. Salameh Hammad Suhaim, ministre de l’Intérieur; M.
Bassam Al-Talhouni, ministre de la Justice; M. Khalid Kalaldeh,
ministre des Affaires politiques et parlementaires; M. Rajai Muasher,
Sénateur, Chef de la Commission royale chargée de l’évaluation de
la mise en œuvre du plan exécutif de la Charte de l’intégrité nationale;
M. Riyad Al Shak’a, Président en exercice de la Commission électorale
indépendante; M. Hisham Al Tal, Président du Conseil de la Magistrature
et de la Cour de Cassation; M. Taher Hikmat, Président de la Cour
constitutionnelle et le juge Mansour Hadidi, membre de la Cour;
ainsi que M. Samjh Bino, Président de la Commission anti-corruption.
12. J’ai par ailleurs eu des entretiens avec les ambassadeurs
suivants: en mars 2014, Mme Caroline Dumas, Ambassadrice de France,
Mme Joanna Wronecka, Ambassadrice de la Délégation de l'Union européenne,
M. Patrizio Fondi, Ambassadeur d’Italie, M. Sedat Önal, Ambassadeur
de Turquie, et en septembre 2015, M. Andrea Matteo Fontana, Ambassadeur
de la Délégation de l’Union européenne, Mme Birgitta Siefker-Eberle,
Ambassadrice d’Allemagne, M. Hendrik Van De Velde, Ambassadeur de Belgique,
Mme Maria Luisa Marinakis, Ambassadrice de Grèce, M. Paul van den
Ijssel, Ambassadeur des Pays-Bas, M. Boris Bolotin, Ambassadeur
de Russie, Mme Helena Gröndahl Rietz, Ambassadrice de Suède et à
nouveau Mme Caroline Dumas.
13. Enfin, j’ai eu des réunions avec de nombreux représentants
de la société civile: M. Mousa Burayzat, Commissaire Général, et
M. Muhammad Adnan Bakhit, Président du Centre national pour les
droits de l’homme; M. Sami Hourani, Directeur exécutif de Leaders
of tomorrow (dirigeants de demain): Mme Asma Khader, Secrétaire
générale de la Commission nationale jordanienne pour les femmes,
et Mme Salma Al-Nemis, qui lui a succédé; Mme Nadia Shamroukh, Directrice
générale, et Mme Maysa’a Faraj de l’Union des femmes de Jordanie;
Mme Eva Abu Halaweh, dirigeante de Mizan; des représentants d’une
organisation d’avocats pour les droits de l’homme; Mme Leen Kayyat,
avocate spécialisée dans les droits de l’homme; M. Ayoub Namour,
responsable du programme au Centre El-Hayat et membre de la coalition
des jeunes Jordaniens pour les droits de l’homme; M. Amro Ziad Al-Nawayseh,
également du Centre El-Hayat; Mme Layla Naffa Hamarneh, Directrice
de projets de l’Organisation des femmes arabes de Jordanie; M. Hussein
Abu Rumman, Directeur du Centre d’études politiques Al Quds; M.
Suleiman Sweiss, Président de la Société jordanienne pour les droits
de l’homme, et M. Fahed Khitan, journaliste au journal Alghad.
3.2. Les entretiens
14. Prioritairement avec Sa Majesté
le Roi Abdallah II qui m’a accordé un entretien le 14 septembre
2015 particulièrement libre et riche d’informations sur la situation
au Proche et Moyen-Orient. Il a insisté sur les risques majeurs
que représentent Daesh au Moyen-Orient, Boko Haram en Afrique et
Al Shabab en Ethiopie. Tous les problèmes du terrorisme et l’afflux
des réfugiés viennent vers l’Europe mais «les premières victimes en
sont les musulmans». Le Roi a aussi abordé la nature et le rôle
des coalitions qui se sont positionnées au Moyen-Orient «sans stratégie»
alors que la lutte contre Daesh est «une 3e guerre
mondiale». Le risque majeur, c’est la balkanisation du Moyen-Orient.
Il a insisté aussi sur le rôle des puissances régionales, l’Iran,
la Turquie qui «est un problème», mais également la Russie. A propos
des Chrétiens d’Orient et après la Conférence de Paris du 8 septembre
2015, il a tenu à préciser que les Chrétiens ne sont pas une «minorité»
mais une «composante» de la société jordanienne «pluraliste». Ils
vivent une tragédie dans la tragédie. A ma question: «Et les divisions
fondamentales entre les musulmans qui sont aussi en guerre ailleurs,
au Yémen, par exemple, comment voyez-vous ce problème interne qui
n’est pas mineur?», il a répondu: «Ça, c’est notre problème, c’est
la responsabilité des musulmans.» Il a aussi exprimé sa détermination
à faire avancer les réformes intérieures dans une phrase qui est
essentielle: «L’instabilité de la région ne sera pas une excuse pour
ne pas réformer.» A l’issue de notre entretien, je lui ai transmis
l’invitation de la Présidente de l'Assemblée à s’adresser à l'Assemblée
au cours de la partie de session de janvier 2016.
15. A l’occasion de toutes les rencontres que j’ai eues, j’ai
tenu à expliquer longuement l’objet de notre mission pour le Conseil
de l’Europe. Nos interlocuteurs étaient ouverts et coopératifs.
Ils soutenaient la candidature du parlement jordanien au statut
de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire.
Ils ont insisté sur le fait que la Jordanie était réellement sur
la voie des réformes. Notamment entre 2010 et 2012, un tiers des
articles de la Constitution avaient déjà été modifiés de manière
à élargir les droits et libertés. Et le processus se poursuit. Certains
autres ont cependant indiqué qu’ils estimaient que les réformes
n’allaient pas assez loin et qu’il fallait poursuivre: j’ai ressenti
la force de la demande, mais aussi la volonté des autorités jordaniennes
de poursuivre les efforts.
3.3. La situation politique
16. Une monarchie constitutionnelle
et parlementaire, un Roi éclairé et courageux. Ce souverain veut
faire de la Jordanie un pays moderne et stable. Mais le système
est tribal et la société conservatrice. Au demeurant, parlant de
son peuple, dans son extrême diversité, le Roi formule sur l’avenir
des mots forts comme celui de «Nation»: un concept à définir dans
une société arabe musulmane et tribale. Il veut incontestablement
une ouverture de cette société, une libération des volontés et même
des territoires. L’objectif est ambitieux. Il n’est pas sans danger
et devra être évolutif. Les problèmes immédiats de ce pays sont
la sécurité et le terrorisme.
3.3.1. Le train de réformes engagé
17. La Jordanie a entrepris, depuis
2011, sous l’impulsion directe du Roi, des réformes importantes
allant dans le sens de la démocratie et de l’Etat de droit. Un tiers
de la Constitution (39 articles sur 131) a été amendé en 2011, pour
la rendre plus moderne et pour un meilleur partage des pouvoirs
entre le Roi, le parlement et le gouvernement.
18. Une Cour constitutionnelle ainsi qu’une Commission électorale
indépendante ont été créées. La création de la Cour constitutionnelle
et la réforme de la justice sont, en partie, le résultat de la coopération,
depuis 2012, avec le Conseil de l’Europe, notamment avec la Commission
européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ).
19. D’autres réformes ont été engagées, qui concernent la loi
sur les partis politiques, la loi électorale, la transparence, la
corruption et les droits de l’homme, de la femme et des enfants.
La mise en œuvre des réformes n’est pas encore terminée.
20. Une Charte nationale pour l'intégrité a été élaborée en 2012,
conformément à une directive du Roi, pour améliorer le système national
d'intégrité de la Jordanie. Celui-ci cherche à servir les citoyens,
à préserver leur dignité et à protéger leurs biens grâce à l'application
des lois, règlements et instructions en vigueur, sur la base de
la transparence, de la justice et de l'égalité. La Charte nationale
pour l'intégrité a les objectifs suivants: encourager un système
de valeurs et de codes de conduite dans les institutions étatiques;
défendre la transparence concernant les opérations de l'administration
publique, des mesures, des services et des résultats; relier responsabilité
et responsabilisation dans l'administration publique; limiter au
maximum l’utilisation du pouvoir discrétionnaire; combler les lacunes
dans la législation et les défauts dans la structure organisationnelle
des institutions de l'Etat. En février 2014, le Roi Abdallah a chargé
l’ancien Vice-Premier ministre Rajai Muasher de présider une Commission
royale chargée de l'évaluation et du suivi de la mise en œuvre du
Plan exécutif de la Charte nationale pour l'intégrité.
21. La Jordanie a accompli des progrès considérables au cours
des trois dernières années, notamment sur l’ensemble des droits
civils et politiques accordés aux femmes et les grandes lois qui
ont été adoptées ou sont examinées par le parlement, dont la loi
électorale et la loi sur les partis politiques.
3.3.2. La Jordanie et le Conseil
de l’Europe
22. Depuis 2010, la Jordanie participe
au Réseau méditerranéen de coopération sur les drogues et les addictions
(MedNET) – y compris l'alcool et le tabac – qui a pour objectif
de promouvoir la coopération, l'échange et le transfert réciproque
de connaissances entre pays du pourtour méditerranéen et pays européens
membres du Groupe Pompidou.
23. La coopération avec la Jordanie, depuis 2012, s'est attachée
notamment à soutenir la réforme de la justice. Le projet conjoint
« Soutien aux autorités jordaniennes pour améliorer la qualité et
l'efficacité du système judiciaire jordanien», financé par l'Union
européenne et mis en œuvre par le Conseil de l’Europe, a constitué
jusqu’à présent l'outil principal à cette fin. Le soutien à la réforme
du système judiciaire s'appuie sur l'expertise et les outils de
la CEPEJ, et vise à améliorer l'efficacité et la qualité du fonctionnement
des tribunaux jordaniens. Par ailleurs, la Commission de Venise
apporte son soutien à la consolidation de la Cour constitutionnelle
créée le 6 octobre 2012.
24. La Commission de Venise a commencé à travailler avec la Jordanie
en 2012 et a depuis organisé, à Amman, plusieurs ateliers, conférences
et séminaires, portant sur le système judiciaire jordanien en général et
sur les questions constitutionnelles en particulier, y inclus la
promotion du recours individuel devant la Cour constitutionnelle,
auquel la Commission de Venise accorde une grande importance.
25. Un partenariat de voisinage avec le Royaume Hachémite de Jordanie
2015-2017 a été mis en place par le Conseil de l’Europe, en partenariat
avec l’Union européenne, pour développer la coopération avec ce
pays. Un des objectifs de cette coopération est de faciliter la
création d’un espace juridique commun entre l’Europe et la Jordanie,
en incitant la Jordanie à demander l’adhésion aux conventions clés
du Conseil de l’Europe ouvertes aux Etats non membres.
26. Les domaines prioritaires pour la coopération intergouvernementale
incluent la lutte contre la violence à l’égard des femmes, la promotion
des droits des enfants, la lutte contre la traite des êtres humains, l’indépendance
et l’efficacité de la justice, le soutien à la réforme constitutionnelle,
la lutte contre la corruption, le blanchiment de capitaux et la
cybercriminalité et la formation des professionnels aux droits de
l’homme, à l’Etat de droit et à la démocratie.
3.3.3. Les réformes réalisées ou
en cours de réalisation
3.3.3.1. Les droits des enfants
27. En Jordanie, contrairement
aux pères, les mères mariées ne peuvent pas transmettre leur nationalité
à leurs enfants ou à leurs conjoints. En conséquence, les enfants
nés de mères jordaniennes et de pères étrangers n’avaient pas accès
aux soins de santé ou à l’éducation gratuits. Par ailleurs, il était
difficile pour eux d'obtenir un permis de conduire ou un permis
de travail. L’école publique pouvait coûter jusqu'à 12 fois plus pour
les non-citoyens, et un permis de travail d'un an pour un conjoint
ou un enfant étranger pouvait coûter jusqu'à 5 % du revenu par habitant.
Le Gouvernement jordanien estime qu'il y a près de 400 000 de ces
enfants vivant dans le pays, sur une population totale d'environ
8 millions.
28. Au cours de ma première visite, il nous a été dit que la plupart
de ces femmes (50 000 sur 80 000) étaient mariées à des Palestiniens.
Donner à ces Palestiniens la nationalité jordanienne pourrait remettre
en question leur droit au retour en Palestine. C’est une raison
politique réelle, qui ne devrait pas pour autant devenir un prétexte
pour ne pas respecter les droits fondamentaux des enfants.
29. Cette cause a été entendue, et à la suite d’une initiative
du bloc parlementaire Moubadara au Parlement jordanien, les enfants
de mères jordaniennes et de pères non jordaniens peuvent, depuis
janvier 2015, postuler pour une carte d'identité spéciale qui leur
permet d'obtenir des prestations gouvernementales subventionnées telles
que les études secondaires et les soins de santé. Les enfants adultes
de mères jordaniennes et de pères non jordaniens ne seront plus
obligés de payer pour les permis de travail et auront deuxième priorité
pour les emplois après les citoyens jordaniens. Ils seront également
autorisés à posséder des biens et à obtenir le permis de conduire.
30. Au cours du premier mois, près de 10 000 demandes de cartes
d'identité ont été effectuées. Cependant, pour que les enfants soient
admissibles aux prestations, la mère doit avoir résidé en Jordanie
pendant au moins cinq ans. Cela crée des difficultés pour ceux dont
les mères résident en dehors de la Jordanie, ou n’ont pas de trace
de leur date d’entrée dans le pays, ou lorsqu’elles sont décédées.
3.3.3.2. Moratoire sur les exécutions
et abolition de la peine de mort
31. Dans leur lettre commune du
25 juillet 2013, les Présidents des deux Chambres du Parlement de
la Jordanie ont écrit ce qui suit sur la question concernant la
peine de mort: «Nous poursuivrons nos initiatives visant à sensibiliser
les organes publics et la société civile à l’abolition de la peine
de mort et à la mise en place d’un moratoire sur les exécutions.
Dans ce contexte, il convient de mentionner qu’aucune exécution
n’a eu lieu en Jordanie depuis 2006.»
32. Un moratoire sur les exécutions est effectivement en vigueur
depuis 2006. Cependant, des condamnations à mort continuent d’être
prononcées (selon Amnesty International, 16 personnes auraient été condamnées
à mort en 2013). On nous a dit que l’opinion publique en Jordanie
n’était pas préparée à l’abolition, on le comprend. Malgré tout,
le nombre des opposants à la pratique de la peine de mort serait
en croissance mais pas encore majoritaire. C’est cependant un signe
favorable.
33. Entre la première et la deuxième visite il y a eu malheureusement
11 exécutions en décembre 2014 et 2 autres en février 2015. Les
parlementaires et autorités jordaniennes m’assurent qu’il s’agissait
là de circonstances exceptionnelles – il ne faut pas oublier que
la Jordanie est en guerre – et que le moratoire, en vigueur depuis
2006, sera maintenu, malgré les pressions populaires pour le lever.
Ceci nous a été confirmé par le Roi qui, tout en insistant sur les
circonstances du moment et l’émotion du peuple, a montré sa ferme intention
pour le maintien du moratoire, la fin des exécutions et, à terme,
l’abolition de la peine de mort.
3.3.3.3. La détention administrative
34. La loi sur la prévention de
la criminalité (ou «détention de protection») de 1954 permet aux
responsables administratifs que sont les gouverneurs d'engager des
procédures administratives préventives contre les personnes qui
seraient sur le point de commettre un crime, ou d'aider à le perpétrer,
ou ont l’habitude de commettre des vols, de protéger des voleurs
ou de receler des biens volés. Cette loi permet ainsi d’emprisonner
toute personne qui constituerait un danger pour autrui. Les arrêts
des tribunaux et les interviews que Human Rights Watch a menées
indiquent que les gouverneurs peuvent faire un usage excessif du
recours à cette dernière disposition.
35. Il nous a été précisé aussi par le Président du Sénat que,
dans certains autres cas, la protection des personnes était nécessaire,
par exemple s’agissant de femmes accusées de «crimes sexuels» qui
risqueraient d’être tuées dans leurs familles si elles étaient remises
en liberté et réintégraient la société. «Il faut les protéger.»
Notons que ce Président du Sénat a depuis été remplacé par le Roi.
36. Les autorités ont également emprisonné administrativement
des hommes «pour leur protection», dans des cas de menaces de vengeance
tribale.
37. Parmi les personnes détenues en dehors du champ d'application
de la loi sur la prévention de la criminalité il y a donc des femmes
et des hommes en détention dite «de protection». Les gouverneurs légitiment
leur démarche en faisant référence à la loi sur la prévention de
la criminalité – même si cette loi ne couvre pas explicitement de
telles situations. En réalité, dans tous les cas de détention «de
protection», les gouverneurs violent les principes élémentaires
de la justice en punissant les victimes au lieu de poursuivre les responsables
de ces menaces. Parfois les femmes et les hommes en détention administrative
ou «détention de protection» peuvent rester détenus indéfiniment,
et n'ont pas de moyen efficace de contester leur détention.
38. Lors de notre première visite, plus d'une personne sur cinq
dans les prisons jordaniennes était en détention administrative.
Le Centre national pour les droits de l'homme a signalé qu’en 2008
il y a eu 11 870 cas de détention administrative.
39. Cette pratique n’est pas conforme aux valeurs du Conseil de
l’Europe à plusieurs égards: on ne doit pas maintenir quelqu’un
en prison sans qu’un juge ne se soit prononcé; on ne doit pas maintenir
quelqu’un en prison sous prétexte de le protéger; et enfin on ne
doit pas emprisonner quelqu’un pour un crime qu’il n’a pas encore
commis.
40. Ce problème évolue. Plusieurs de nos interlocuteurs, parmi
lesquels le Président de la Cour constitutionnelle, se sont déclarés
en faveur d’une éventuelle abrogation de cette disposition de la
loi sur la prévention de la criminalité de 1954.
41. A l’occasion de ma deuxième visite en Jordanie, M. Hisham
Al Tal, Président du Conseil de la magistrature et de la Cour de
cassation, a confirmé que, par le passé, des gouverneurs avaient
mal utilisé la procédure de détention administrative. Un changement
législatif est en cours à l’initiative du bloc Moubadara, de M.
Hamarneh. Une telle procédure devrait toujours impliquer l’intervention
d’un magistrat.
3.3.3.4. Egalité homme-femme
42. En Jordanie, les femmes représentent
54 % de la population. Malgré des progrès récents, la participation
des femmes est encore faible dans tous les domaines. Par exemple,
sur le marché du travail, elles représentent seulement 14 %. En
ce qui concerne l’égalité femme-homme en politique, le parlement
s’est engagé à «continuer à soutenir la participation équilibrée
des femmes et des hommes à la vie publique et politique». La nouvelle
loi électorale, impliquant un système proportionnel et des listes
ouvertes, s’y prêterait.
43. Actuellement, il y a 18 femmes à la Chambre des députés, alors
que le quota pour les femmes est de 15, et 6 femmes au Sénat, où
il n’y a pas de quota. Dans les conseils municipaux, il y a un quota
de 25 % pour les femmes. La loi sur les partis politiques exige
que 10 % des membres des organisations qui souhaitent devenir des
partis politiques soient des femmes. Il n’y a pas de femmes au gouvernement.
Le journal Alghad, que nous
avons visité, est le premier journal dans le monde arabe dont le
rédacteur en chef est une femme.
44. En ce qui concerne le droit des femmes, des organisations
de femmes ont attiré mon attention sur l’article 6.1 de la Constitution
jordanienne qui permet de justifier la discrimination envers les
femmes.
45. Cet article 6.1 dit: «Les Jordaniens sont égaux devant la
loi sans discrimination entre eux en ce qui concerne les droits
et les devoirs même s’ils diffèrent par la race, la langue ou la
religion.»
46. A partir du moment où il y a une énumération – race, langue,
religion – l’absence de référence au «genre» ou au «sexe», introduit
de fait une discrimination, et nous pourrions de même mentionner
le handicap.
47. Selon le rapport Women, Business
and the Law 2016 (les femmes, les affaires et la loi
de 2016) de la Banque Mondiale, la Jordanie est à l’avant-dernière
place, devant l’Arabie saoudite, parmi 173 Etats, en ce qui concerne
l’égalité entre les femmes et les hommes dans la législation. C’est
aussi un des Etats où aucune amélioration de la situation n’a été
enregistrée dans les deux dernières années. Toujours selon le même rapport,
les domaines dans lesquels il y a discrimination entre femmes et
hommes en Jordanie sont: demander un passeport, être chef de famille,
décider où habiter, transmettre la nationalité aux enfants, avoir
un emploi et voyager.
48. La Commission de Venise a relevé, à plusieurs reprises, que
la constitution d’un Etat de droit démocratique respectueux des
droits fondamentaux doit contenir l’interdiction explicite de toute
discrimination. Les causes de discrimination prévues par les instruments
internationaux doivent être couvertes pas cette interdiction.
49. Il y a plusieurs manières d’obtenir ce résultat: en énumérant
dans l’article interdisant la discrimination toutes les causes de
discrimination interdites. Cette liste doit correspondre à celle
des traités internationaux ratifiés par l’Etat et aux principes
de droit international généralement reconnus
.
50. La liste peut également être plus détaillée, mais dans ce
cas, «comme d’autres motifs de discrimination sont susceptibles
d’apparaître à l’avenir, il importe de maintenir la possibilité
de les faire figurer dans la liste de motifs. C’est pourquoi leur
énumération dans les dispositions constitutionnelles (…) ne doit
pas être exhaustive»
.
51. Il est également possible d’interdire toute discrimination
tout court, sans aucune indication des causes de discrimination.
De l’avis de la Commission de Venise, même si une formule très large
est conforme aux standards internationaux «la mention (…) des différentes
causes de discrimination renforcerait le poids et la portée de l’interdiction
de discrimination»
.
52. En tout état de cause, la Commission de Venise recommande
l’introduction dans la constitution d’une disposition garantissant
explicitement l’égalité homme/femme
.
53. La violence envers les femmes est un autre problème grave.
Selon Amnesty International, en 2013 «dix femmes au moins auraient
été tuées par des parents proches de sexe masculin au nom de l’honneur
de leurs familles». Mme Asma Khader, Secrétaire générale de la Commission
nationale jordanienne pour les femmes, nous a parlé d’une vingtaine
de cas, dont trois seulement auraient abouti à la condamnation de
l’assassin. Nous avons vivement encouragé le débat sur la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul») et sa signature.
3.3.3.5. Le train spectaculaire des
réformes politiques en cours
54. La Jordanie est une monarchie
constitutionnelle et parlementaire bicamérale. Le Parlement jordanien est
aujourd’hui composé de deux chambres, le Sénat et la Chambre des
Représentants, qui siègent ensemble. Les députés, élus pour quatre
ans, sont 150. Le nombre des sénateurs ne doit pas dépasser la moitié
des membres de la Chambre des Représentants. Ils sont au nombre
de 75, nommés par le Roi pour deux ans renouvelables.
55. La loi pour les élections à la Chambre des Représentants en
2012 prévoit que 108 députés sont élus, pour quatre ans, au scrutin
général direct et secret, sur des circonscriptions électorales locales
uninominales, et que 15 femmes et 27 députés sont élus sur une circonscription
nationale générale à la représentation proportionnelle fermée. Le
découpage électoral favorise les tribus transjordaniennes. Chaque
électeur a deux voix: une locale et une générale.
56. La nouvelle loi électorale en étude au parlement prévoit un
système proportionnel ouvert pour tous les députés, dont le nombre
est réduit à 130. Les mêmes quotas qui existent maintenant sont
prévus pour les femmes (15), les chrétiens (10), les bédouins (9)
– il y a plus de 750 tribus – et les Tcherkesses et Tchétchènes (3).
Le découpage électoral n’est pas prévu par la loi et ne sera pas
en débat au parlement. Il n’y a pas encore de décision sur les critères
de ce découpage. Cela crée une certaine tension, voire de la crainte.
Il est prévu que le nombre de circonscriptions soit réduit de 45
à 23, mais la répartition des élus par circonscription n’est pas
encore fixée.
57. Des projets de loi sur les municipalités et sur la décentralisation
sont aussi en discussion au parlement. Le projet de loi sur les
municipalités établit une structure de gouvernance municipale qui
comprend des maires, des conseils municipaux et de nouveaux conseils
locaux élus (avec une structure distincte pour la municipalité du
Grand Amman). Le projet de loi sur la décentralisation établit une
structure qui comprend de nouveaux conseils de gouvernorat qui sont
partiellement élus.
58. Une loi sur les partis politiques a été adoptée en 2015, selon
laquelle tout groupe ou association de 150 personnes (dont 10 %
de femmes) peut demander à se transformer en parti politique. Actuellement,
les partis politiques existants ne sont pas représentés au parlement,
où les députés se regroupent dans des blocs. La plupart de ces blocs
envisagent de se constituer en partis politiques avant les prochaines
élections législatives.
59. Sous réserve que la nouvelle loi soit adoptée à temps, il
est prévu de tenir des élections municipales en mai 2016, des élections
régionales (pour les conseils des gouvernorats) en août 2016 et
des élections législatives en novembre 2016 (ou en 2017). Cependant
ces dates ne sont pas encore confirmées.
60. Dans ce pays, le «système tribal conservateur» qui prône la
soumission au chef est encore structurellement fort et privilégie
«l’organisation sociale» par rapport au «fait politique»; les partis
politiques sont faibles mais il y en a plus d’une trentaine. En
réalité, les seuls vraiment organisés sont les islamistes et les
communistes. Mais cette situation est aussi la conséquence de l’histoire
de ce pays après cinquante ans de répression et d’interdiction de
ces mêmes partis jusqu’en 1989-1990. Et les esprits et les mentalités, longuement
pétris de peur, sont lents à se remettre en dynamique et en action.
Par ailleurs, les syndicats ont été actifs et ont occupé l’espace
politique. Ils sont encore une quinzaine et ils sont forts et riches.
61. Pour autant, la société n’est pas inerte mais il faut la remobiliser.
Le débat social et politique s’engage à différents niveaux, notamment
dans la perspective des élections municipales et régionales de 2016
et législatives de 2016 ou 2017. Même chez les jeunes, l’intérêt
monte, à l’exemple de cette ONG «Leaders of tomorrow» que nous avons
rencontrée.
62. Comment, à partir d’une réforme électorale, renforcer la capacité
d’un peuple à devenir un pays démocratique? D’abord en garantissant
des élections libres et régulières et en faisant en sorte que la
vie politique s’organise réellement autour des partis, piliers d’une
démocratie. Dans l’immédiat, les organisations existantes n’ont
ni idéologie affirmée, ni programme, et souvent pas de leader. Les
islamistes sont mieux organisés, notamment, les Frères Musulmans
du Front d’Action islamique créé en 1992. Ils semblent «ouverts au
dialogue» et «modérés» selon les appréciations portées par les autorités.
Ils seraient favorables aux réformes «essentielles» et «nécessaires»,
selon le Secrétaire général que nous avons rencontré. Ils avaient 17
députés en 2003 (soit 15 %) mais ont boycotté les élections suivantes.
63. Les blocs rencontrés au parlement sont au nombre de huit.
(Il faut au minimum 15 députés pour former un «bloc»):
- bloc «Union nationale», créé
en 2013, libéral: 16 élus;
- bloc «Tamkin», créé en 2014, engagé selon les thèmes en
débat: 15 élus;
- bloc «Watan» (nation), parti national, créé en 2013: 20
élus;
- bloc «Moubadara» (initiative), créé en 2014, députés anciennement
indépendants qui travaillent avec le gouvernement sur différentes
questions: 15 élus;
- bloc «Al-Eslah» (réforme) créé en 2013, réformateur: 15
élus;
- bloc «Al-Nahda», réformateurs, opposition: 17 élus, réformateurs
et opposants au programme du gouvernement;
- bloc «Centre islamique», modéré: 16 élus;
- bloc «Wifaq», islamique modéré: 16 élus.
64. La recomposition supposera des alliances et des fusions, notamment
si les blocs se transforment en «partis» et proposent des listes
gagnantes à partir de programmes. De son côté, le pouvoir devra
aider ce processus, y compris par le financement des partis. Cela
semble être prévu dans la loi.
65. Comment établir un partenariat de fait avec les citoyens?
La majorité est à 18 ans et l’âge d’éligibilité à 30 ans (25 ans
dans les municipalités). C’est un peu tard, quand on sait que 62 %
de la population a moins de 24 ans, et 70 %, moins de 30 ans.
66. Comment réorganiser la mosaïque des régions, alors que les
circonscriptions électorales sont diminuées de moitié? Cela suppose
une volonté politique et il nous est apparu qu’elle y était au sommet
de l’Etat et dans certaines strates de la société. Cela suppose
une attitude nouvelle et de nouvelles institutions. Elles se mettent
en place: la loi électorale, la loi sur les partis, les lois de
décentralisation. Cela suppose aussi une évolution des mentalités
dans le cadre d’une identité culturelle et religieuse respectée.
L’aptitude à concilier «identité» et «modernité».
67. La nouvelle loi électorale qui suppose la mise en place de
listes à la «proportionnelle ouverte sans panachage» (trois candidats
minimum par liste), si elle aboutit, peut être ce moment «d’ouverture»
et «de relance» de la société jordanienne. Il faudra cependant obtenir
un consensus fort à l’appui de cette libération des citoyens et
des territoires. Il ne peut pas s’agir de «rupture» mais «d’évolution».
68. Toutes ces réformes ambitieuses et profondes, si elles sont
menées à leur terme, peuvent satisfaire l’objectif du Roi qui est
d’assurer la stabilité de la Jordanie dans la durée.
4. Evaluation de la situation
en Jordanie
4.1. Les exigences réglementaires
pour l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie
69. Comme cela est mentionné ci-dessus,
ma tâche principale en tant que rapporteure est d’évaluer si le Parlement
de la Jordanie remplit les critères pour l’octroi du statut de partenaire
pour la démocratie.
70. Conformément à l’article 62.2, toute demande formelle de statut
de partenaire pour la démocratie doit contenir les engagements politiques
suivants:
- une référence explicite
à l’aspiration dudit parlement à faire siennes les valeurs du Conseil
de l’Europe, que sont la démocratie pluraliste et paritaire, l’Etat
de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
- un engagement à agir pour abolir la peine capitale et
à encourager les autorités compétentes à introduire un moratoire
sur les exécutions;
- une déclaration relative à l’intention du parlement de
s’appuyer sur l’expérience de l’Assemblée ainsi que sur l’expertise
de la Commission de Venise dans ses travaux institutionnels et législatifs;
- un engagement à organiser des élections libres et équitables
conformes aux standards internationaux en la matière;
- un engagement à encourager la participation équilibrée
des femmes et des hommes à la vie publique et politique;
- un engagement à encourager les autorités compétentes à
adhérer aux conventions et accords partiels pertinents du Conseil
de l’Europe pouvant être signés et ratifiés par des Etats non membres,
en particulier ceux traitant des droits de l’homme, de l’Etat de
droit et de la démocratie;
- une obligation d’informer régulièrement l’Assemblée des
progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes du Conseil
de l’Europe.
71. Dans leur lettre commune du 25 juillet 2013, les Présidents
des deux Chambres du Parlement de la Jordanie ont clairement contracté
ces engagements politiques, comme l’exige l’article 62.2.
72. En particulier, en ce qui concerne les valeurs fondamentales,
il est indiqué ce qui suit: «Nous partageons les mêmes valeurs que
nos collègues membres du Conseil de l’Europe: une démocratie pluraliste
fondée sur la parité entre les hommes et les femmes, l’Etat de droit
et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.»
4.2. Nos exigences complémentaires
sur d’autres points importants
73. D’autres questions ont été
abordées par les interlocuteurs de la société civile et les responsables d’ONG:
- la gouvernance est à l’évidence
déséquilibrée en faveur de la Cour royale. Le Roi détient le pouvoir exécutif
et, en grande partie, le pouvoir législatif. Mais on l’a dit, il
inspire aussi toutes les réformes du système et de la société. Cette
monarchie constitutionnelle parlementaire peut cependant trouver d’autres
équilibres, notamment après les profondes réformes politiques en
cours;
- la liberté d’expression, d’association et de réunion.
On nous a dit que la liberté d’expression s’était améliorée mais
qu’il y avait encore beaucoup à faire, notamment pour réduire le
processus d’autocensure dans la presse;
- la justice n’est pas non plus totalement indépendante;
- la lutte contre la corruption – qui est grande – doit
rester une priorité;
- la torture et autres mauvais traitements de la part de
la police et des services de renseignement sont dénoncés. Ces services
ne semblent pas être suffisamment formés et contrôlés. Les responsables bénéficieraient
d’impunité;
- les procès inéquitables de civils accusés d’infractions
liées à la sécurité;
- les lois anti-terrorisme, qui permettent que des civils
soient jugés par la Cour de sûreté de l’Etat;
- le rôle des tribunaux spéciaux, tels que la Cour de sûreté
de l’Etat et les tribunaux militaires, ainsi que celui des tribunaux
religieux, qui traitent des questions familiales;
- la société civile se plaint de ne pas être reconnue par
les pouvoirs publics et rencontre des difficultés notamment financières.
5. Nos propositions
74. Concernant la mise à profit
de l’expérience du Conseil de l’Europe, la demande contient la déclaration ci-après:
«Notre Parlement s’efforce en permanence de s’enrichir de l’expérience
de tiers et nous entendons tirer profit de l’expérience de l’Assemblée
et de l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par
le droit (Commission de Venise) dans nos travaux institutionnels
et législatifs.»
75. Concernant les conventions du Conseil de l’Europe, le Parlement
jordanien a pris l’engagement «d’encourager les autorités compétentes
à adhérer aux conventions et accords partiels du Conseil de l’Europe qui
sont ouverts à la signature et à la ratification d’Etats non membres,
en particulier ceux traitant des droits de l’homme, de l’Etat de
droit et de la démocratie».
76. Concernant la responsabilité de «rendre compte», le Parlement
jordanien a pris l’engagement «de tenir l’Assemblée régulièrement
informée des progrès accomplis dans la mise en œuvre des réformes
selon les principes du Conseil de l'Europe».
77. Concernant les élections, le Parlement jordanien s’est engagé
à «maintenir le processus électoral en conformité avec les normes
internationales relatives aux élections législatives» et à assurer
des élections libres et équitables.
78. Notre Assemblée est intéressée par tous les progrès réalisés
dans les domaines liés à la démocratie, au respect des droits de
l’homme et à l’Etat de droit et souhaite un suivi régulier de l’évolution
des situations.
79. La décision d’octroyer, de suspendre ou de retirer le statut
de partenaire pour la démocratie est prise par une résolution de
l’Assemblée, sur la base d’un rapport de la commission des questions
politiques et de la démocratie, d’un avis de la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme et d’un avis de la commission
sur l’égalité et sur la non-discrimination, et le cas échéant, de
toute autre commission compétente de l’Assemblée. Ces commissions
assurent, dans les domaines qui relèvent de leur mandat spécifique,
le suivi des progrès réalisés dans la mise en œuvre des engagements
pris par les parlements concernés lors de leur demande d’octroi
du statut. L’Assemblée fixe le nombre des membres d’une délégation
partenaire pour la démocratie.
6. Conclusions
80. La question qui se pose est
donc de savoir si le Parlement de Jordanie remplit, actuellement,
les conditions pour obtenir le statut de partenaire pour la démocratie.
81. Précisons qu’il ne s’agit pas d’une candidature pour l’adhésion
de la Jordanie comme membre à part entière du Conseil de l’Europe.
En conséquence, les critères ne sont pas les mêmes et les exigences
non plus, parce que les situations diffèrent fondamentalement. Et
il faut en tenir compte.
82. Pour ce pays du Moyen-Orient, petit mais pivot dans le contexte
régional déstabilisé et en état de guerre, la volonté de réformes
profondes engagées par ce Roi courageux est exemplaire.
83. C’est un système tribal conservateur que les réformes veulent
faire évoluer. Elles sont demandées par une partie de la population
et déjà, pour beaucoup, engagées. Elles sont ambitieuses et ont
été exposées dans le rapport. Elles ont pour objectif d’assurer
la démocratisation et la stabilité de la Jordanie dans la durée.
84. Cependant, nous devons comprendre que cette démarche part
de loin et que cette société est complexe. C’est un processus d’évolution
qui doit s’engager sans rupture. Et nous devons l’accompagner avec patience,
compréhension et détermination. La Jordanie est sur la bonne voie.
85. Le Roi et le parlement ont pris les engagements que fixe le
Conseil de l’Europe à l’appui de la demande d’adhésion afin que
les réformes à poursuivre rapprochent la Jordanie des valeurs de
notre institution et des normes démocratiques.
86. Le rôle d’un rapporteur en la circonstance est d’analyser
la situation du pays concerné et d’apprécier en toute objectivité
et responsabilité si les conditions le rendent apte à poursuivre
les engagements souscrits; et de vérifier aussi la volonté du Roi
et du parlement, les décisions prises et les moyens mis en œuvre
qui permettent d’atteindre les objectifs.
87. Votre rapporteure veut exprimer ici toute sa confiance à ce
pays et à ce peuple courageux; à ses représentants et à son Roi.
Ils méritent notre respect et notre soutien.
88. La rapporteure demande donc à l’Assemblée d’octroyer le statut
de partenaire pour la démocratie au Parlement de Jordanie et de
poursuivre avec bienveillance et exigence le suivi de cette procédure.