1. Orientation générale de
mon rapport
1. Je me suis rendu à Pristina
au début octobre 2015, dans le cadre de l’élaboration de ce rapport
sur «La situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe».
Pristina ressemble beaucoup à d’autres villes des Balkans occidentaux:
grouillant de circulation et riche d’une myriade de boutiques, de
restaurants, de cafés et de gens. Et, partout, des jeunes gens.
Le Kosovo a la plus jeune population en Europe: sur quelque 1 800 000 d’habitants,
26,3 % ont moins de 14 ans, et 18,1 % entre 15 et 24 ans. L’âge
moyen de la population est de 27 ans
.
2. La jeunesse est un sujet qui est souvent revenu durant ma
visite. On m’a rappelé que nombre de ces jeunes étaient nés après
la guerre et n’avaient jamais connu le système précédent. Ils ont
grandi aux côtés d’une forte présence internationale; ils sont plus
instruits que leurs parents et typiquement pro-européens.
3. Je n’ai pu m’empêcher de penser à l’immense potentiel que
représente cette jeune population, mais aussi à l’énorme responsabilité
qui pèse tout d’abord sur les autorités du Kosovo et ensuite sur
la communauté internationale: cette jeune génération doit se voir
offrir une perspective européenne ainsi que des opportunités en
termes d’emploi, de stabilité démocratique et de participation à
la prise de décision politique. Faute de réponse à ces attentes
légitimes, le Kosovo risquerait de glisser dans une situation d’agitation
sociale et de troubles. Tous les signes sont là pour indiquer que
ce scénario affecterait la région et le reste de l’Europe.
4. La rédaction du présent rapport est imprégnée des fortes impressions
que m’ont laissées les réunions auxquelles j’ai participé à Belgrade
(24-25 août 2015) et à Pristina (5-6 octobre 2015). Dans les deux
villes, j’ai reçu un accueil amical, chaleureux et ouvert à la coopération.
Je tiens à présenter mes remerciements à la délégation serbe auprès
de l’Assemblée parlementaire ainsi qu’à l’Assemblée du Kosovo: elles
ont su faciliter les visites et veiller à ce que je puisse m’entretenir
avec des interlocuteurs de haut niveau et bien préparés. J’aimerais
également remercier le personnel des Bureaux du Conseil de l’Europe
à Belgrade et Pristina pour leur aide et leur soutien.
5. Ces visites m’ont permis de me faire une idée plus complète
de la situation et de la diversité des enjeux, des intérêts et des
sensibilités. Elles ont inspiré le cadre du présent rapport, lequel
s’appuie aussi sur des rapports concernant le Kosovo publiés par
des sources autorisées, celles-ci ne faisant pas défaut.
6. L’orientation générale de mon rapport est dans la continuité
des grands axes tracés par mon prédécesseur, M. Bjorn von Sydow
(Suède, SOC), qui a été rapporteur sur ce sujet de 2008 à 2013;
je maintiendrai une approche neutre par rapport au statut et m’attacherai
à évaluer les normes appliquées par le Kosovo en matière de démocratie,
de droits de l’homme et de prééminence du droit. M’appuyant sur
les travaux de mon prédécesseur, je suis en mesure de procéder à
une analyse concise des développements survenus depuis janvier 2013,
lorsque l’Assemblée a adopté sa
Résolution 1912 (2013) et sa
Recommandation
2006 (2013).
7. En ayant à l’esprit le peuple du Kosovo et, avant tout, ses
jeunes, je souhaiterais privilégier les quelques points essentiels
suivants: l’économie; la démocratie et la prééminence du droit;
les droits de l’homme; et la perspective européenne.
2. Economie
8. Cela ne devrait être une surprise
pour personne de me voir commencer cette présentation générale de la
situation au Kosovo par son économie. Au cours de ma visite à Pristina,
la discussion a fréquemment tourné autour de la situation économique,
préoccupation majeure de la population
comme des autorités. La croissance
économique du Kosovo est freinée par des problèmes endémiques qui
nuisent aussi au développement démocratique.
9. Le Kosovo a été épargné par la crise financière mondiale de
2008, notamment grâce à la faible intégration de son économie au
marché mondial. Selon la Banque mondiale, le Kosovo compte parmi
les quatre seules économies en Europe qui, durant la période 2008-2012,
ont continué de croître à un taux annuel moyen de 3,5 %.
10. Cette performance, cependant, est principalement due aux envois
de fonds de la diaspora, à un taux élevé d’investissements publics
et, enfin, à l’afflux régulier du soutien international de donateurs,
y compris de l’Union européenne
. Quant aux sources d’une croissance
économique durable au Kosovo, elles sont malheureusement absentes.
Qui plus est, la croissance économique de la dernière décennie a
connu un ralentissement considérable en 2014, chutant à 0,9 %
.
11. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant est d’environ
€ 2 900
;
plus d’un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté,
et environ un huitième dans une extrême pauvreté
. A titre de comparaison,
en termes de PIB par personne, la situation au Kosovo n’est pas
tellement différente de celle en Syrie ou en Egypte.
12. La situation du marché du travail est une source de préoccupation
particulière. Les données suivantes, recueillies par l’Agence des
statistiques du Kosovo, en disent long
:
- près de deux tiers de la population
kosovare sont en âge de travailler (15-64 ans), proportion qui ne
peut qu’augmenter étant donné la pyramide des âges;
- parmi ceux en âge de travailler, 58,4 % ne sont pas économiquement
actifs; c’est-à-dire qu’ils n’ont pas officiellement de travail
et ne sont pas enregistrés en tant que recherchant activement un
emploi.
13. Le taux de chômage a augmenté de 30 % en 2013 à 35,3 % en
2014
.
Durant la même période, le nombre de chômeurs de longue durée a
connu une hausse, passant de 68,9 % à 73,8 %. Le chômage des jeune
a également augmenté, passant de 55,9 % à 61 %. La proportion des
jeunes (entre 15 et 24 ans) qui ne sont ni au travail, ni scolarisés,
ni en formation a chuté de 35,3 % en 2013 à 30,2 % en 2014
. Ce chiffre reste toutefois alarmant,
de la même façon que le taux d’emploi informel.
14. Le secteur public représente le principal employeur. Dans
l’ensemble, il offre des salaires plus élevés que le secteur privé.
Il me semble important d’indiquer que, malgré la réforme de l’administration
publique, la transparence et l’équité des procédures de recrutement
et de promotion dans l’administration publique sont contestables,
et que l’administration publique reste fortement politisée et sous
l’influence des partis politiques
.
La décision d’augmenter de 25 % le salaire des fonctionnaires, décision
prise par le précédent gouvernement avant les élections législatives
de 2014 sans prévision budgétaire préalable, a été critiquée par plusieurs
instances internationales – notamment la Commission européenne et
le Fonds monétaire international – du fait de ses implications financières,
son caractère populiste et l’utilisation des ressources publiques
pour obtenir un avantage électoral.
15. Le secteur privé contribue à hauteur de 70 % du PIB
et
il est en expansion
. Entre 2010 et 2013, le nombre
total d’entreprises privées s’est accru de 26 %
. Par ailleurs, le processus de
privatisation et de restructuration des entreprises publiques est
en cours, bien que lent et entaché d’allégations de corruption
. La Commission européenne s’est
montrée critique à cet égard, soulignant notamment que l’agence
de privatisation du Kosovo «n’a toujours pas été dotée d’un nouveau
conseil de direction, crédible, indépendant et opérationnel» et
qu’«il faudrait encore renforcer sa procédure de sélection des cadres
sur la base du mérite et ses mécanismes de lutte contre la corruption»
(traduction non officielle).
16. Renforcer le secteur privé est une priorité essentielle du
gouvernement, lequel a lancé plusieurs initiatives dans ce sens,
notamment la
Private Sector Development
Strategy 2013-2017 et, à l’intention des petites et
moyennes entreprises (PME), la
SME Development Strategy 2012-2016 . Le gouvernement a également mis
en place KIESA (
Kosovo Investment and
Enterprise Support Agency)
, agence de soutien aux entreprises
et aux investissements chargée de favoriser des politiques et programmes
à l’intention des très petites, petites et moyennes entreprises
ainsi que de promouvoir les investissements étrangers.
17. Malgré ces efforts, l’expansion du secteur privé au Kosovo
reste lente. Comme le souligne la Banque européenne pour la reconstruction
et le développement (BERD), «Le développement du secteur privé au Kosovo
est freiné par un environnement économique difficile et par un manque
d’investissement. Les insuffisances en matière d’expertise de gestion
et de gouvernance de l’entreprise, un accès trop restreint à la finance
et la faiblesse de la primauté du droit, sont autant de facteurs
qui se sont traduits par une compétitivité médiocre et une croissance
inférieure à son potentiel»
(
traduction non officielle).
18. Selon des enquêtes fiables
, les pratiques du secteur informel,
notamment la corruption, comptent parmi les principaux obstacles
à l’activité économique du Kosovo: «La part des sociétés ayant déclaré
opérer dans le secteur informel s’élevait à 66 % (…); presque toutes
les petites et moyennes entreprises opèrent de manière informelle
– au moins en partie. (…) La corruption demeure parmi les trois
grands obstacles: le pourcentage de valeur du marché généralement
acquitté pour obtenir un contrat de l’Etat a augmenté, passant de
1 % en 2008-2009 à 4,3 % pour la période 2011-2014. La part des
sociétés invitées à effectuer un paiement informel pour obtenir
un permis lié à la construction s’est accrue, passant de 0,7 à 9,6 %
(...). A quoi s’ajoute la part des sociétés sollicitées pour des
paiements informels par des agents fiscaux : 9,5 % (...). Sans parler des
sociétés jugées dépenser 2,2 % de leur revenu annuel total en paiements
informels ou en cadeaux»
(
traduction
non officielle).
19. A l’évidence, cette situation constitue un obstacle au développement
des entreprises locales; elle a aussi un effet dissuasif sur les
investisseurs étrangers. Dans une récente déclaration, Mme Hykmete
Bajrami, ministre du Commerce et de l’Industrie du Kosovo, a reconnu
que les investissements étrangers directs au Kosovo étaient faibles
et que, de plus, ils étaient en baisse
.
20. J’ai longuement discuté de la situation économique avec le
Premier ministre Isa Mustafa, qui s’est montré énergique quant aux
défis à relever, confirmant que la croissance économique et la réduction
du chômage sont des priorités numéro un du gouvernement. J’ai aussi
été rassuré d’entendre, de divers hauts responsables à Pristina,
que la situation économique ne saurait servir de justification pour
relâcher les efforts nécessaires à l’établissement de normes plus
élevées en matière de démocratie, de droits de l’homme et de prééminence
du droit.
3. Démocratie
3.1. Les élections législatives
de 2014
21. Les dernières élections à l’Assemblée
du Kosovo ont eu lieu le 8 juin 2014. Elles ont été observées par de
nombreux acteurs locaux, ainsi que par l’Union européenne qui, à
cette fin, avait mis en place une mission composée d’observateurs
à court et à long terme dirigée par M. Roberto Gualtieri, membre
du Parlement européen (Italie, Groupe de l’Alliance progressive
des socialistes et des démocrates). Le jour du vote, l’observation
a été renforcée par des délégués de représentations diplomatiques.
22. Les résultats de la mission d’observation des élections organisée
par l’Union européenne ont été globalement positifs: le processus
du scrutin et du comptage des votes fut transparent et bien organisé.
Aucun incident majeur n’a été signalé. Les électeurs ont pu exprimer
leur vote librement
. Cette évaluation reflète l’amélioration
continue de l’administration du processus électoral au Kosovo. Il
s’agissait des secondes élections législatives organisées par la
Commission électorale centrale depuis la déclaration d’indépendance. Pour
la première fois, les élections de l’Assemblée du Kosovo se sont
tenues dans tout le Kosovo, y compris dans les municipalités du
nord, avec l’assistance de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE).
23. Malgré ces résultats positifs, certaines conditions laissaient
à désirer: la décision du gouvernement d’organiser des élections
anticipées seulement 31 jours après la dissolution de l’Assemblée
n’a laissé aux partis politiques que 10 jours pour faire campagne.
Selon le rapport final de la Mission d’observation des élections
de l’Union européenne, le raccourcissement des délais a eu des implications
sur la bonne conduite et la transparence du processus des élections
et a affecté le droit des électeurs à un choix pleinement informé. En
outre, il a fallu abréger toutes les étapes des échéances électorales,
ce qui a eu des conséquences négatives sur le vote en dehors du
Kosovo et sur la capacité des électeurs à porter plainte et à intenter
des recours judiciaires.
24. Autre sérieuse source d’inquiétude: le taux de participation
particulièrement bas qui de 47,8 % en 2010 est tombé à 42 %. D’après
un document d’orientation d’une organisation non gouvernementale
(ONG)
, de multiples facteurs – corruption
généralisée, ampleur du crime organisé, médiocre état de santé de
l’économie et lenteur des progrès vers une intégration européenne –
engendrent une méfiance vis-à-vis des partis politiques et ont nui
à la participation des électeurs.
25. J’invite les autorités du Kosovo à rechercher les raisons
qui se cachent derrière cette faible participation, parce que la
légitimité des institutions et du système politique dépend aussi
de l’engagement de l’électorat. Si rien n’est fait pour y remédier,
la désaffection des gens envers le système politique risque de compromettre
la stabilité démocratique du Kosovo.
3.2. L’Assemblée du Kosovo
26. L’Assemblée du Kosovo se compose
de 120 membres directement élus par un système de liste ouverte. Sur
120 sièges, 10 sont «garantis» pour des Serbes du Kosovo, et 10
pour d’autres communautés non majoritaires. En guise de garantie
supplémentaire, les entités politiques qui représentent des communautés non
majoritaires sont exemptées du seuil des 5 % qui s’applique aux
autres.
27. Les élections de 2014 sont les premières à avoir recouru au
système des «sièges garantis», ainsi que prévu par la Constitution
du Kosovo. En vertu de ce système, quels que soient les résultats
électoraux, les Serbes du Kosovo ont droit à au moins 10 sièges
à l’Assemblée, et les autres communautés non majoritaires à au moins
10 autres sièges. Selon l’ancien système transitoire des «sièges
réservés», 20 sièges étaient alloués aux communautés non majoritaires en plus des sièges obtenus sur la
base des résultats électoraux.
28. L’interprétation correcte du système applicable pour l’attribution
des sièges a occupé une place centrale durant la période préparatoire
des élections de 2014, en particulier dans les municipalités du
nord, provoquant un certain mécontentement et l’interruption des
activités de campagne. Les activités ont repris suite à la clarification
de la procédure par la Commission électorale centrale, une semaine
avant les élections.
29. A la suite des élections, les principaux partis représentés
à l’Assemblée du Kosovo sont les suivants: le Parti démocratique
du Kosovo (PDK), 30 %, la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), 25 %,
Vetëvendosje (VV, mouvement d’autodétermination), 13 % et l’Alliance
pour l’avenir du Kosovo (AAK), 9 %.
30. Une nouvelle coalition unifiée de trois partis politiques
serbes du Kosovo,
Srpska Lista, qui
a fait campagne au nord et au sud de la rivière Ibar, a obtenu neuf
sièges, tandis que le parti démocrate progressiste serbe a obtenu
un siège. La participation de la communauté serbe du Kosovo a été
forte par comparaison aux précédentes élections au Kosovo, grâce
également à une attitude positive et constructive des autorités
serbes à Belgrade. Les femmes ont été sous-représentées tout au
long du processus électoral et dans l’administration électorale.
Elles occupent 30 % des sièges à l’Assemblée du Kosovo grâce à un
quota obligatoire
.
31. Ces dernières années, les travaux législatifs de l’Assemblée
du Kosovo ont pris du retard en raison d’impasses politiques sur
des questions comme l’adoption d’une loi d’amnistie et la formation
d’un gouvernement à l’issue des élections législatives de 2014.
Cette situation a été aggravée par une attitude obstructionniste
et des gestes démonstratifs de la part de partis politiques d’opposition,
en particulier Vetëvendosje, dont les représentants se sont rendus
responsables d’actes extrêmement violents comme la pulvérisation
de gaz lacrymogènes dans la chambre.
32. Indépendamment du caractère sensible et de l’importance de
certaines questions – comme le tracé de la frontière avec le Monténégro,
l’établissement de chambres spécialisées ou l’association/la communauté
des municipalités à majorité serbe – l’incapacité à mener un débat
politique civilisé dans le respect des règles parlementaires, signe
le faible niveau de maturité des forces politiques concernées et
provoquera inévitablement une érosion de la crédibilité des institutions
démocratiques. Le recours inhabituellement fréquent à la Cour constitutionnelle
pour sortir d’impasses politiques est aussi un sujet de préoccupation,
car cela pourrait à long terme nuire à la perception de la Cour
en tant qu’organe neutre, hermétique à toute influence politique.
4. Prééminence du droit
33. Dans sa
Résolution 1912 (2013) sur la situation au Kosovo et le rôle du Conseil de
l’Europe, l’Assemblée déplorait la lenteur des progrès réalisés
sur un plan général en termes d’amélioration de la prééminence du droit
au Kosovo, s’agissant en particulier de la lutte contre la criminalité
organisée et la corruption. Elle regrettait par ailleurs que le
système judiciaire continue à pâtir de l’ingérence politique, d’un
manque d’efficacité et de transparence, ainsi que de la non-application
de la législation. Faisant un point sur la situation trois ans plus
tard, j’ai constaté que ces problèmes sérieux perduraient, en dépit
de légères améliorations.
4.1. Le paysage institutionnel
34. Lorsque, en 2008, l’Union européenne
a déployé la Mission sur l’Etat de droit au Kosovo (EULEX), son intention
était d’aider le Kosovo à établir des institutions d’état de droit
pérennes, indépendantes et responsables.
35. Le système de mise en application du droit au Kosovo est hybride,
des fonctionnaires d’EULEX et kosovars opérant côte à côte. La présence
d’EULEX s’est réduite au fil du le temps; à l’heure actuelle, son personnel
compte 1 600 membres et son budget total annuel s’élève à 111 millions
d’euros. Son mandat a été prolongé jusqu’en juin 2016 et modifié
pour cibler les questions de responsabilité, de corruption, de crimes interethniques
et de criminalité organisée
. Dans le
contexte de ce mandat renouvelé, le Chef de la mission EULEX, le
Représentant spécial de l'Union européenne au Kosovo et le ministre
de la Justice du Kosovo coprésident une Commission de coordination
conjointe sur la prééminence du droit, qui constitue la principale tribune
pour l’examen et la coordination des questions relatives à ce sujet.
36. Le rôle des juges d’EULEX a également évolué avec le temps;
actuellement, la proportion de juges d’EULEX et du Kosovo dans les
collèges mixtes est normalement d’un pour deux, tandis que la présidence
est aux mains des juges du Kosovo. Le personnel d’EULEX encadre
les Kosovars tout en continuant de ne juger exclusivement que les
affaires les plus sensibles, notamment dans les domaines de la corruption
et des crimes de guerre.
37. Malgré un investissement énorme en termes d’énergie, d’argent
et de ressources, la confiance en EULEX a chuté parmi la population
du Kosovo. Il est indubitable que les allégations de corruption
concernant le personnel d’EULEX y ont contribué, en plus des efforts
insuffisants engagés par EULEX pour expliquer son mandat et ses
limites au grand public. Mais d’autres problèmes s’y sont ajoutés,
et notamment le sentiment qu’EULEX avait remplacé la Mission d’administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) «en prenant le pas»
sur les autorités du Kosovo et l’incapacité d’EULEX à faire en sorte
que les Kosovars s’approprient les progrès réalisés dans le domaine
de la prééminence du droit
.
38. Il faut admettre toutefois que les efforts conjoints de la
communauté internationale et des autorités du Kosovo pour renforcer
la prééminence du droit ont produit un certain nombre de résultats
positifs. Des progrès ont notamment été accomplis concernant l’amélioration
de l’administration de la justice au Kosovo, et notamment de sa
diversité ethnique, de son professionnalisme et de son efficience.
39. Le recrutement de nouveaux juges et procureurs est en cours
afin de pourvoir les postes vacants. En conséquence d’un accord
signé entre Belgrade et Pristina en avril 2014, les Serbes du Kosovo
sont aussi progressivement intégrés dans les structures judiciaires
kosovares, à la fois dans le nord et dans le sud. En septembre 2015,
le nombre total de juges au Kosovo était de 351, dont 249 hommes
et 102 femmes. Parmi eux, on comptait sept Serbes du Kosovo, neuf
Bosniaques du Kosovo, un Turc du Kosovo et un Ashkali du Kosovo.
Parmi les procureurs, on comptait trois Bosniaques du Kosovo, deux
Serbes du Kosovo et un Turc du Kosovo
. Si le système judiciaire est encore
loin de refléter la diversité ethnique du Kosovo, la tendance qui se
dessine est positive, notamment si les personnes des communautés
non majoritaires continuent d’être encouragées à faire acte de candidature.
40. Des résultats positifs ont également été obtenus dans le traitement
des arriérés d’affaires; début 2015, un peu moins de 25 000 affaires
n’avaient pu être examinées. Les tribunaux du Kosovo affichent à
présent un taux d’affaires résolues supérieur à 84 % par an, alors
qu’il n’était que de 71 %
.
41. Lors de mes rencontres à Pristina, plusieurs interlocuteurs
ont mentionné la difficulté à recruter de nouveaux juges et procureurs,
à les former et à améliorer leur capacité à traiter efficacement
une lourde charge de travail compte tenu de ressources financières
limitées.
42. L’influence politique exercée sur les membres du système judiciaire
et les services de poursuites est un problème persistant. Selon
Transparency International, le système judiciaire est perçu comme
l’institution la plus corrompue au Kosovo, suivi des partis politiques
. Cette perméabilité
à l’influence politique explique également pourquoi beaucoup de
procureurs du Kosovo craindraient de se voir confier des affaires
très médiatisées compte tenu du risque de faire l’objet de pressions
d’autres branches du pouvoir
et
pourquoi ils ne donneraient pas suite à de nombreux dossiers sensibles.
43. Une prise de conscience accrue de la nécessité d’aborder ce
problème avec plus de fermeté se fait sentir parmi les autorités
du Kosovo. Le plan stratégique du Kosovo concernant le système judiciaire
(2014-2019) vise entre autres objectifs majeurs de renforcer les
protections institutionnelles contre les ingérences extérieures
. Dans ce contexte, il est prévu
de renforcer le système disciplinaire en vigueur pour les juges
et les autres personnes qui travaillent dans le système judiciaire,
ainsi que d’instaurer l’obligation de rendre publiques les mesures
disciplinaires prises en cas d’infractions. Je soutiens cette mesure,
convaincu qu’une plus grande transparence du processus disciplinaire
contribuerait à l’amélioration de la confiance du public dans le
système judiciaire.
44. Dans l’intervalle, ne serait-ce que l’année dernière, 40 procédures
disciplinaires ont été ouvertes contre des procureurs, tandis qu’un
juge et un procureur ont été relevés de leurs fonctions, ainsi que
cinq agents de l’administration judiciaire. Un juge a été suspendu
à la suite d’allégations de corruption.
45. Des efforts sont déployés pour corriger les problèmes qui
affectent le service correctionnel du Kosovo
(Kosovo
Correctional Service, KCS), autre corps essentiel à l’application
de la règle du droit qui n’est pas épargné par les ingérences politiques.
Entre juillet 2014 et septembre 2015, quatre membres du personnel
du KCS ont été arrêtés et sept agents ont été suspendus
. Parmi les principaux
problèmes qui touchent ce service, il faut citer le népotisme qui
règne parmi son personnel, la tolérance des trafics au sein de ses structures
et de graves irrégularités sur le plan disciplinaire. Quelques prisonniers
très médiatisés continuent de bénéficier d’un traitement préférentiel
ou de fréquentes autorisations de sortie exceptionnelles ou encore d’hospitalisations,
en violation de la loi. Comme cela m’a été expliqué dans le cadre
de mes rencontres à Pristina, certaines de ces affaires font les
gros titres dans les médias, ce qui sape plus encore la confiance
de la population envers l’application du droit.
46. La police du Kosovo (KPS) reste le service répressif le plus
multiethnique et celui dans lequel la population a le plus confiance,
compte tenu du faible niveau de corruption et du nombre réduit d’affaires disciplinaires
dont il fait l’objet.
4.2. La lutte contre la corruption
et la criminalité économique
47. Dans un récent entretien publié
dans le journal Koha ditore,
M. Samuel Zbogar, Chef du Bureau de l’Union européenne au Kosovo
et Représentant spécial de l’Union européenne, déclarait que le
terme «corruption» figurait 66 fois dans le Rapport de 2015 sur
le Kosovo de la Commission européenne. De fait, ce rapport qualifie
à plusieurs reprises la corruption d’endémique et de généralisée,
et touchant tous les domaines: gouvernement, entreprises et justice.
48. Selon l’Indice de perception de la corruption (IPC) en 2014,
le Kosovo obtient le score de 33 (autrement dit, la 110e place
sur 175 pays/territoires évalués). Pour replacer ce chiffre dans
son contexte, le score du Kosovo est égal à celui de l’Albanie,
mais il est supérieur à celui de tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe, y compris dans les Balkans occidentaux
.
49. Le Kosovo met en œuvre un plan d’action et une stratégie de
grande envergure pour combattre la corruption, sous la supervision
de l’agence de lutte contre la corruption (
Kosovo
Anti-Corruption Agency, ACA), tandis que d’autres plans
d’action sont déployés pour agir contre la corruption dans des secteurs
vulnérables spécifiques (douanes, police, administration fiscale,
etc.)
. En 2014, l’ACA a engagé des procédures administratives
dans 304 affaires de corruption. Parmi celles-ci, seules 30 ont
été transmises aux services de poursuites – le chiffre le plus bas
depuis que l’agence est entrée en activité en 2007
.
50. Le manque de coordination entre l’ACA et les services de poursuites
pose problème. Plus de 70 % des affaires instruites par l’ACA et
transmises aux services de poursuites sont restées sans suite, principalement parce
que ces derniers n’ont pas identifié de motifs suffisants pour poursuivre
les enquêtes. Les rares enquêtes menées dans des affaires de corruption
de haut niveau n’ont pas abouti à des condamnations définitives.
51. Au fil du temps, un cadre institutionnel complexe de lutte
contre la corruption a été mis en place; il regroupe notamment:
- le conseil national de lutte
contre la corruption (organe consultatif présidé par le Président
du Kosovo);
- le coordinateur national anticorruption (rattaché au Procureur
général);
- la task force de lutte contre la corruption (rattachée
au Bureau du Premier ministre);
- la direction des enquêtes sur le crime organisé et la
corruption (au sein de la police du Kosovo);
- le coordinateur de la lutte contre le crime économique
(avec pour mandat de lutter contre le blanchiment d’argent, le financement
du terrorisme et l’évasion fiscale).
52. Certains affirment cependant que le manque de coordination
et de coopération entre ces organes, dont les mandats se chevauchent
parfois, associé à l’absence d’approche proactive au stade des enquêtes,
nuit à l’efficience et à l’efficacité de la lutte contre la corruption
et la criminalité économique
.
53. Concernant la corruption politique, des efforts considérables
ont été fournis pour actualiser et renforcer le cadre juridique.
Parmi les mesures les plus récentes en la matière figurent:
- l’introduction d’amendements
à la loi sur le financement des partis politiques;
- l’adoption de la loi sur la déclaration, l’origine et
le contrôle des biens des hauts fonctionnaires;
- l’adoption de la loi sur la déclaration, l’origine et
le contrôle des cadeaux pour tous les agents publics.
54. Malgré les efforts législatifs, la lutte contre la corruption
politique reste un défi de taille qu’il ne sera possible de relever
qu’à la condition de l’application effective de la loi, de l’introduction
de mécanismes pour contrôler l’application de la loi et, surtout,
d’une ferme volonté et d’un comportement cohérent de la part des dirigeants
politiques.
4.3. La lutte contre le crime
organisé, le terrorisme et le phénomène des combattants étrangers
55. Le Kosovo continue d'être une
source et une zone de transit pour la traite des êtres humains,
en particulier des femmes et des enfants, et est une base pour la
contrebande et d'autres réseaux impliqués dans la criminalité transnationale,
y compris le trafic de drogue et le blanchiment d'argent. Malheureusement,
le taux de condamnation dans ces cas est faible.
56. Une préoccupation croissante évoquée lors de mes rencontres
à Pristina et Belgrade est la montée de la radicalisation au Kosovo
et l’augmentation du nombre de Kosovars qui partent pour combattre
en Syrie et en Irak. Aucun chiffre précis n’est disponible, mais
le ministère de l’Intérieur du Kosovo estime qu’à ce jour environ
300 Kosovars ont combattu au sein du groupe terroriste connu sous
le sigle «EI» («Daesh» an arabe)
.
57. Une publication récente du Centre kosovar d’études sur la
sécurité (
Kosovar Center for Security
Studies, KCSS) explore la vie et les motivations religieuses
de plus de 230 combattants du Kosovo, y compris des vétérans de
l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), des jeunes issus de milieux
divers et quelques chefs religieux qui prêchent le
jihad . Le rapport souligne que, si
l’on considère la taille de la population du Kosovo, le nombre total
de combattants étrangers est significatif et que la propagande d’«EI»
se répand facilement au Kosovo, du fait également du taux de pénétration
d’internet, aussi élevé que dans de nombreux autres pays européens.
58. Il est avéré que quelques-uns de ces combattants étrangers
sont morts en Syrie; d’autres sont revenus ou reviennent, avec les
risques que cela comporte.
59. En réponse, en janvier 2015, l’Assemblée du Kosovo a approuvé
une loi qui criminalise le fait d’aller participer à des conflits
armés à l’extérieur du Kosovo
. La loi pénalise l’organisation,
le recrutement, le financement, l’aide, l’encadrement ou la formation
d’individus ou de groupes d’individus dans l’objectif de leur permettre
de rejoindre ou de participer aux forces de police ou aux armées
étrangères. Les coupables s’exposent à une peine de prison pouvant
aller jusqu’à 15 ans. Qui plus est, une stratégie de lutte contre
le terrorisme est mise en œuvre
et, en septembre 2015, le Gouvernement
du Kosovo a adopté une stratégie quinquennale pour la prévention
de l’extrémisme violent et de la radicalisation.
60. Depuis 2014, plus d’une centaine d’individus ont été arrêtés
ou interrogés par les forces de l’ordre pour avoir incité, financé,
recruté ou participé au conflit en Syrie et en Irak. Quelques-uns
étaient des dignitaires religieux ou politiques connus en lien avec
l’Union islamique du Kosovo, qui est une institution religieuse officiellement
reconnue. Même l’Imam de la grande mosquée de Pristina, Shefqet
Krasniqi, a été arrêté. Il a ensuite été libéré faute de preuves
suffisantes. En mars 2015, des actes d’accusation ont été établis
à l’encontre de sept suspects.
61. Les événements à Kumanovo en mai 2015, dans le cadre desquels
un certain nombre d’Albanais du Kosovo – dont des vétérans de l’UÇK
– ont été accusés d’infractions liées au terrorisme et de possession illégale
d’armes et d’explosifs, nous rappellent que ces dangers sont très
concrets et qu’il convient d’y faire front efficacement non seulement
pour assurer la sécurité de la population, mais également dans l’intérêt
de la stabilité régionale.
4.4. La poursuite des crimes
de guerre
62. La poursuite des crimes de
guerre est un processus des plus sensibles et particulièrement lent.
Du fait de son caractère délicat, cette mission a été confiée à
EULEX, en particulier lorsque les affaires concernent des personnalités
très médiatisées. Même dans ces conditions, les poursuites se heurtent
à divers obstacles, et notamment les faiblesses du système kosovar
de protection des témoins.
63. Dans le contexte du transfert progressif des affaires d’EULEX
aux juges et procureurs du Kosovo, un groupe de juges d’EULEX a
publié en 2014 une lettre ouverte affirmant que les juges du Kosovo
seraient incapables de traiter efficacement des affaires sensibles
de crimes de guerre concernant des personnalités de haut niveau.
L’une des raisons avancées en était qu’ils risquaient de subir l’influence
du discours tenu par plusieurs responsables politiques de haut niveau,
qui soutiennent publiquement leurs anciens camarades accusés de
crimes de guerre et expriment leur solidarité envers ces derniers
.
64. La difficulté concernant le jugement des crimes de guerre
est illustrée par le fait que les décisions d’accusation prises
par les tribunaux de première instance sont souvent renvoyées pour
être rejugées en appel, parfois malgré l’opinion dissidente des
juges d’EULEX qui, la plupart des temps du temps, sont en minorité
dans les formations mixtes.
65. L’incapacité du système à rendre la justice dans des affaires
sensibles a conduit l'Union européenne à établir en 2011 une
équipe spéciale d’enquête (Special Investigative Task Force),
sise à Bruxelles et constituée d’un personnel international, pour
conduire des enquêtes pénales sur les crimes allégués par M. Dick
Marty dans son rapport de 2010 sur «Le traitement inhumain de personnes
et le trafic illicite d’organes humains au Kosovo»
.
66. Selon ce rapport, un certain nombre de membres de l’UÇK se
sont rendus responsables de graves violations des droits de l’homme,
y compris le prélèvement forcé d’organes, à l’encontre de prisonniers
retenus dans des lieux de détention secrets sur le territoire de
l’Albanie, pendant et après le conflit. Le rapport suggère que les
victimes seraient des Serbes du Kosovo et des Roms, ainsi que des
Albanais du Kosovo soupçonnés de collaboration avec la Serbie ou
avec des membres de groupes armés rivaux. Dans la période qui a
suivi le conflit, quelques-uns de ces chefs de l’UÇK sont entrés
en politique et ont accédé à des positions de haut niveau. M. Marty
affirmait que les organisations internationales présentes au Kosovo
n’avaient pas enquêté de façon appropriée sur ces affaires, privilégiant
une approche pragmatique et la stabilité politique à court terme au
détriment de la justice.
67. Dans ce contexte, il est facile de comprendre à quel point
il a été difficile pour l’Assemblée du Kosovo d’adopter, au début
du mois d’août 2015, les amendements constitutionnels qui rendraient
possible l’établissement de chambres spécialisées pour engager des
poursuites concernant les crimes allégués par M. Marty et sur lesquels
l’équipe spéciale enquête
.
68. Le 11 août 2015, trois partis de l’opposition – Vetëvendosje
(VV), l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK) et l’Initiative pour
le Kosovo (NISMA) – ont saisi la Cour constitutionnelle, affirmant
que les amendements étaient inconstitutionnels et qu’il y avait
eu des violations de procédure durant l’adoption du texte à l’Assemblée
du Kosovo. La Cour constitutionnelle a jugé la requête irrecevable.
Cela a donné le feu vert aux négociations entre Pristina et La Haye,
où le tribunal devrait être établi. Bien qu’établi à l’étranger,
le tribunal aurait comme tâche de juger des affaires conformément
au droit du Kosovo.
69. Comme je l’ai déjà affirmé dans une déclaration, je salue
la décision de l’Assemblée du Kosovo de poser les jalons de la création
de chambres spécialisées, que je considère comme un pas vers la
réconciliation et un signe de la volonté des autorités de lutter
contre l’impunité.
5. Droits de l’homme
70. La protection des droits de
l’homme au Kosovo est un sujet couvert par quantité de rapports
et que mon prédécesseur, M. Bjorn von Sydow, a analysé en détail.
Dans le présent rapport, je me limiterai par conséquent à fournir
des informations actualisées sur la situation, en mettant l’accent
sur une évaluation politique.
5.1. Aperçu général
71. Le cadre juridique de la protection
des droits de l’homme au Kosovo est généralement conforme aux normes
européennes. La Constitution prévoit l’applicabilité directe de
plusieurs instruments internationaux de défense des droits de l’homme.
Un ensemble substantiel de lois est en place et a été actualisé
en 2015 avec l’adoption de nouvelles lois sur l’égalité des genres
et la protection contre la discrimination
en général.
72. La nouvelle loi sur le médiateur et l’élection, par l’Assemblée
du Kosovo, du nouveau titulaire de ce poste – M. Hilmi Jashari,
que j’ai rencontré à Pristina – constituent un pas supplémentaire
vers le renforcement du système. Selon la nouvelle législation,
le mandat du médiateur n’est pas renouvelable, une disposition qui contribue
à l’indépendance accrue de l’institution. Le médiateur, outre le
fait d’enquêter sur des violations des droits de l’homme par les
pouvoirs publics kosovars (sur la base de plaintes ou ex officio), intervient aussi en tant
qu’organe de promotion de l’égalité.
73. Quelques rapports récents soulèvent des préoccupations concernant
la violence basée sur le genre, la discrimination au motif de l’orientation
sexuelle et l’identité de genre, la liberté d’expression et la liberté
des médias. En général toutefois, la faiblesse, dans le domaine
de la protection des droits de l’homme, ne réside pas dans le cadre
juridique, mais dans sa mise en œuvre et son application effectives
.
5.2. Les communautés minoritaires
74. Dans le domaine des droits
des minorités, le cadre juridique est également complet et le principal
défi réside dans sa mise en œuvre. Les principaux acteurs constitutionnels
dans ce domaine sont le Cabinet du Premier Ministre, le ministère
des Communautés et des Retours, le ministère de l’Administration
locale (dirigés tous deux par des ministres de Srpska Lista), la Commission interministérielle
des retours, le ministère des Questions communautaires, le Conseil
consultatif pour les communautés et le Bureau du Commissaire aux langues.
75. Procéder à une évaluation objective de l’état des relations
intercommunautaires au Kosovo est une tâche quasiment impossible.
A Belgrade et à Pristina, j’ai pu recueillir des opinions très contrastées
sur la question, qui ne peut qu’être éminemment subjective. A la
lumière de la nature, de la fréquence et du nombre des incidents
qui ont été portés à mon attention, mon impression est globalement
que la situation générale en matière de sécurité au Kosovo, concernant
les relations intercommunautaires, n’est pas un sujet de préoccupation.
76. Malheureusement, les incidents interethniques n’ont pas disparu,
et chacun d’entre eux est un de trop. Cependant, on ne peut pas
dire qu’ils soient très répandus, systématiques ou tolérés par les
autorités. En fait, les développements dans le Nord du Kosovo prouvent
que les tensions inter-ethniques peuvent diminuer en réponse à la
normalisation progressive des relations entre Belgrade et Pristina.
Cela ne signifie pas qu’il faut relâcher la vigilance. Etablir la
confiance entre les communautés est une entreprise de longue haleine,
qui exige l’engagement actif et le sens des responsabilités de toutes
les parties concernées.
77. Pour donner une idée du climat général, je voudrais relayer
les informations fournies par la MINUK pour la période de juillet
à octobre 2015: au total, 26 incidents affectant des sites patrimoniaux
culturels et religieux ont été rapportés, dont 17 concernant des
sites orthodoxes serbes; en août, quatre Serbes du Kosovo membres
de l’Assemblée du Kosovo ont reçu des menaces téléphoniques concernant
leur vote à l’Assemblée; plus tard ce même mois, durant la visite
de quelque 170 Serbes du Kosovo déplacés à Gjakovë/Ðakovica, un groupe
de manifestants albanais du Kosovo a tenté de franchir un cordon
de police, en lançant des pétards et des jets de peinture sur la
police; en octobre, un engin explosif a endommagé la maison du maire
de Leposaviq/Leposavić dans le nord du Kosovo
.
78. Tous les incidents, comme les attaques sur des personnes,
ciblant des biens privés ou le patrimoine religieux, lorsqu’ils
ont une motivation ethnique ou qu’ils affectent les communautés
minoritaires, renforcent le sentiment d’insécurité et découragent
d’autres retours. Lorsque ces incidents ne peuvent être empêchés,
il est de toute première importance qu’ils soient pris au sérieux
par les autorités, qu’ils fassent l’objet d’enquêtes et débouchent
sur des décisions judiciaires, le cas échéant. Un discours public
provocateur et l’impunité pourraient facilement raviver des blessures
qui ne sont pas totalement guéries.
79. La collecte de données et l’identification exacte des motifs
de ces incidents sont aussi de toute première importance. Mon attention
a été attirée par le manque de rigueur qui caractérise la façon
dont les données sur les crimes interethniques sont collectées,
et par le fait que la nouvelle législation qui prévoit que la haine
doit être considérée comme une circonstance aggravante n’est pas
encore appliquée.
80. Selon moi, les principaux problèmes qui affectent les communautés
non majoritaires au Kosovo, plus que la communauté majoritaire,
sont le chômage, la pauvreté et l’absence de perspectives économiques.
Les autorités du Kosovo devraient multiplier les efforts pour créer
des opportunités d’investissement dans les régions où résident les
communautés non majoritaires et améliorer leurs possibilités d’emploi
dans l’administration publique et les entreprises publiques. Il
est également nécessaire de trouver une solution à la reconnaissance
des diplômes délivrés par l’université de Mitrovicë/Mitrovica et
de supprimer les obstacles qui subsistent à l’utilisation de langues
officielles autres que l’albanais dans les relations avec l’administration publique.
81. Compte tenu de cette situation générale, il n’est guère surprenant,
qu’en 2014, les retours volontaires de personnes déplacées par le
conflit au Kosovo n’aient été que de 800, le chiffre le plus bas
depuis 2000. Lors de ma visite à Belgrade, j’ai participé à une
rencontre touchante avec des résidents du centre collectif de Krnjaca,
qui m’ont expliqué qu’ils ne retournaient pas au Kosovo non seulement
pour des raisons de sécurité, mais également parce qu’ils ne seraient
pas en mesure d’y trouver du travail et de gagner leur vie.
82. La plupart d’entre eux ont aussi été confrontés à de gros
problèmes pour bénéficier de la restitution de leurs biens; bien
que l’Agence de la propriété immobilière du Kosovo ait statué sur
42 116 requêtes sur les 42 749 reçues,
ses décisions sont peu appliquées.
Pour les plaignants, il est fastidieux d’engager des procédures
pour faire cesser l’occupation de leurs biens ou faire démolir des
biens illégalement construits, lorsque la décision du tribunal n’est
pas du tout prévisible. C’est là un problème que les autorités du
Kosovo et la communauté internationale devraient tenter de résoudre
sans plus attendre.
83. Tous les interlocuteurs que j’ai consultés m’ont confirmé
que les Roms, les Ashkali et les Egyptiens sont confrontés à une
situation extrêmement difficile et qu’ils sont particulièrement
exposés à la pauvreté, à l’exclusion sociale et à la discrimination.
L’abandon scolaire dans cette communauté a connu une diminution, mais
le travail des enfants et le mariage précoce restent des pratiques
généralisées
.
6. Dialogue facilité par l’Union
européenne entre Belgrade et Pristina
84. Les développements au Kosovo
sont étroitement liés à l’évolution des relations entre Belgrade
et Pristina. Un dialogue direct, démarré en 2011 et facilité par
l’Union européenne, a pris un nouvel élan en 2013, avec la signature
de l’Accord de Bruxelles sur la normalisation des relations entre
Belgrade et Pristina
.
85. Cet accord prévoyait l’intégration des communes du nord du
Kosovo au système législatif du Kosovo, et l’intégration des Serbes
du Kosovo au système judiciaire et à la police du Kosovo, y compris
pour accéder à des postes de haut niveau, comme je l’ai mentionné
précédemment. L’accord prévoyait également la tenue d’élections
locales dans le nord l’année suivante, dans le cadre législatif
du Kosovo et avec la facilitation de l’OSCE. Les deux parties se
sont engagées à ne pas entraver les démarches de l’autre en vue
d’intégrer l’Union européenne. Dernier point, mais non le moindre,
Belgrade et Pristina ont approuvé la mise en place d’une association/communauté
des municipalités à majorité serbe au Kosovo.
86. Les négociations pour la mise en œuvre de l’Accord de Bruxelles,
facilitées par l’Union européenne, se sont poursuivies les mois
suivants, tant au niveau technique que politique. Elles se sont
interrompues en 2014 en raison d’élections en Serbie et au Kosovo,
mais aussi de l’impasse qui a suivi pour former un nouveau gouvernement
à Pristina. A la reprise des pourparlers, en février 2015, la question
de l’association/communauté des municipalités à majorité serbe au
Kosovo est apparue comme le principal objet de litige.
87. Lors de ma visite à Belgrade en août 2015, j’ai rencontré
le Premier ministre Aleksandar Vučić alors qu’il s’apprêtait à rejoindre
Bruxelles pour participer à un nouveau cycle de pourparlers. Il
a souligné l’attitude constructive de la Serbie dans ce processus,
son objectif prioritaire consistant à protéger les intérêts de la communauté
serbe du Kosovo. A l’instar du Premier ministre Mustafa quelques
semaines plus tard, le Premier ministre Vučić a admis que cette
attitude positive n’était pas toujours à l’abri de la critique,
car étant considérée à tort comme une faiblesse.
88. Les pourparlers du 25 août à Bruxelles ont porté leurs fruits,
avec la signature de quatre accords concernant différents secteurs:
énergie, télécommunications, utilisation du pont au-dessus de l’Ibar
à Mitrovicë/Mitrovica et, enfin, l’association/la communauté des
municipalités à majorité serbe.
89. Si ces accords ont été applaudis comme une étape décisive
par l’Union européenne, ils ont fait l’objet de contestations à
Pristina. Les griefs les plus acerbes ont porté sur l’association/la
communauté des municipalités à majorité serbe, qui donne lieu à
différentes interprétations: selon Belgrade, l’association/la communauté
jouira de pouvoirs exécutifs en matière de soins de santé, d’éducation,
d’aménagement du territoire et de développement économique, ce que
Pristina dénie. Durant mon séjour à Pristina, on m’a appris que
cette divergence était due à un problème lié à la traduction de
l’accord en albanais et en serbe, alors que le texte original avait
été négocié en anglais.
90. Soutenant que l’accord sur l’association/la communauté des
municipalités à majorité serbe divise le Kosovo selon une ligne
ethnique, ce qui nuit à son bon fonctionnement, le mouvement d’opposition Vetëvendosje
a organisé des manifestations violentes dans la rue et des protestations
à l’Assemblée du Kosovo
.
91. Pour tenter de sortir de cette impasse, le Président du Kosovo,
Atifete Jahjaga, a soumis l’accord à la Cour constitutionnelle pour
obtenir son avis sur sa compatibilité avec la Constitution. A l’issue
de l’examen de cette question, la Cour a décidé, en guise de mesure
temporaire, de suspendre toute action judiciaire en lien avec l’accord
jusqu’en janvier 2016
.
92. Bien que le processus de normalisation soit complexe et non
sans embûches, il représente un progrès majeur par rapport au passé.
Il témoigne de la détermination des deux parties à trouver des solutions négociées
et, à n’en pas douter, il aura des retombées positives sur la vie
des Kosovars, quelles que soient leurs communautés, et sur la stabilité
générale de la région. J’encourage toutes les forces politiques
de Belgrade et de Pristina à soutenir le dialogue, ainsi qu’à faire
montre de retenue et de sens des responsabilités afin d’assurer
la réussite de ce processus.
7. Coopération internationale
et intégration
7.1. Perspective européenne
93. S’il existe une chose qui unit
Pristina et Belgrade, c’est leur ambition commune de progresser
vers l’intégration dans l’Union européenne. La Serbie est plus avancée
dans ce processus, puisqu’elle a signé un accord de stabilisation
et d’association avec l’Union européenne en 2013 et que les négociations
d’adhésion ont débuté en 2014
.
94. De son côté, le Kosovo a signé un accord de stabilisation
et d’association tout récemment, le 27 octobre 2015. Une fois entré
en vigueur – très probablement au premier semestre 2016 – cet accord
créera une zone de libre-échange dans laquelle s’appliqueront les
normes européennes dans des domaines tels que la concurrence, l’aide
et la propriété intellectuelle, ce qui renforcera encore le dialogue
politique et la coopération dans un grand nombre de secteurs. Pour
reprendre les propos du Commissaire Hahn, «cet accord (...) placera
le Kosovo sur la voie d’une croissance économique durable et pourra
permettre de créer des emplois dont les citoyens, en particulier
les jeunes, ont tant besoin»
. En vertu de l’instrument d’aide
de pré-adhésion, l’allocation budgétaire au Kosovo pour la période
2014-2020 représente un total de 645,5 millions d’euros
.
95. Malgré ces développements encourageants, la question du statut
vient obscurcir les perspectives d’adhésion du Kosovo à l’Union
européenne: selon l’article 49 du Traité sur l’Union européenne,
l’accession d’un nouvel Etat doit être approuvée à l’unanimité par
tous les Etats membres de l’Union européenne. A ce jour, cinq Etats
membres de l’Union européenne ne reconnaissent même pas le Kosovo
comme un Etat indépendant
.
96. Le 2 novembre 2015, l’Assemblée du Kosovo a voté pour la ratification
de l’accord de stabilisation et d’association. L’opposition, qui
avait perturbé le travail de l’Assemblée pendant des semaines, n’a
pas fait blocage cette fois-ci, mais a quitté la chambre après les
discours des chefs de file des groupes politiques.
97. S’adressant à l’Assemblée du Kosovo quelques jours plus tard,
le Commissaire Hahn a souligné que l’accord de stabilisation et
d’association visait à soutenir les efforts du Kosovo en vue de
renforcer la démocratie et la prééminence du droit, et à contribuer
à la stabilité institutionnelle et politique du Kosovo. Il a par
ailleurs ajouté, «L’accord ne peut résoudre les problèmes politiques
internes du Kosovo; ce sont des problèmes que vous devez régler,
vous les responsables politiques kosovars élus démocratiquement,
dans le cadre de vos règles et procédures»
.
98. Lors de ma visite à Pristina, on m’a dit à maintes reprises
que pour les Kosovars, et surtout les jeunes, l’aspect le plus important
dans les relations entre le Kosovo et l’Union européenne était la
libéralisation des visas. J’ai vu dans plusieurs lieux publics des
affiches de la Kosovo Foundation for Open Society indiquant: «Mais
où est notre liberté de mouvement? Traitez-nous équitablement»
.
99. A l’heure actuelle, le Kosovo n’a pas d’accord avec l’Union
européenne visant à faciliter la délivrance de visas. Un dialogue
et une feuille de route ont été mis en place pour veiller au respect
des exigences concernant l’assouplissement du régime des visas
, et le prochain rapport de la Commission
européenne concernant la satisfaction des conditions pour la libéralisation
des visas par le Kosovo devrait être publié mi-décembre 2015. Ces
exigences ont trait à des domaines tels que la gestion des frontières
et des flux migratoires du Kosovo, la prévention de la criminalité
organisée, de la corruption et du terrorisme, la lutte contre ces
problèmes, ainsi que les réadmissions et réinsertions.
100. La libéralisation des visas est vue au Kosovo comme une porte
de sortie au taux élevé de chômage, particulièrement celui des jeunes,
et une solution à l’absence de perspectives économiques. Les propos
tenus par le Commissaire Hahn lors de son discours susmentionné
à l’Assemblée du Kosovo sont particulièrement pertinents, selon
moi, dans ce contexte également. Le Kosovo ne peut attendre des
Etats membres de l’Union européenne qu’ils soient prêts à accepter
un afflux de Kosovars, sans traiter les causes profondes de ces mouvements
migratoires. Il faut également prendre en compte le fait que la
libéralisation des visas pourrait résulter en une émigration massive
des jeunes kosovars vers les pays de l’Union européenne. Cette fuite
des cerveaux priverait le Kosovo de toute perspective d’un avenir
viable.
101. Il est de la responsabilité des autorités kosovares de traiter
ces problèmes systémiques qui freinent la croissance économique
et la consolidation de la démocratie, que posent notamment la corruption
et l'application du principe de la prééminence du droit, en vue
d’offrir au peuple du Kosovo la possibilité de rester chez lui et
d’y jouir d’une vie normale, pacifique et prospère. A cet égard,
il était intéressant pour moi de lire que, selon une ONG, le pic
d’émigration irrégulière du Kosovo vers les pays de l’Union européenne
enregistré fin 2014 était provoqué par le fait que, suite à la formation
de l’actuel gouvernement, la population avait perdu tout espoir
dans un éventuel changement politique, économique et social au Kosovo
.
7.2. Demandes d’adhésion du Kosovo
à des organisations internationales
102. Après la déclaration d’indépendance,
le Kosovo a adhéré à différentes institutions financières internationales,
notamment le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et
la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(BERD). L’assistance de ces organisations a été essentielle pour soutenir
la reprise économique au Kosovo. Pour avoir une idée de l’ampleur
du soutien international, il faut se rappeler que depuis 1999, la
Banque mondiale a fourni ou géré quelque $US 400 millions au Kosovo,
tandis que la BERD a investi à ce jour 124 millions d’euros
.
103. Durant mes visites à Belgrade et à Pristina, la demande d’adhésion
du Kosovo à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la
science et la culture (UNESCO) a été un sujet de discussion fréquent.
J’ai entendu des opinions assez divergentes sur cette initiative.
Les autorités kosovares mettaient en avant les effets positifs qui
découleraient de l’adhésion à l’UNESCO dans le domaine de la protection
du patrimoine culturel. A l’inverse, Monseigneur Teodosije, évêque
de Raska-Prizren, ne voyait aucun avantage dans l’adhésion du Kosovo
à cette organisation et regrettait que la protection du patrimoine
culturel et religieux figure en mauvaise place – pour ne pas dire
pire – parmi les priorités du Gouvernement du Kosovo. Il déplorait également
le processus non inclusif qui avait débouché sur la décision de
déposer une demande d’adhésion; il avait appris la nouvelle dans
les journaux, alors qu’il était très engagé dans la protection du
patrimoine culturel et religieux serbe au Kosovo, y compris à travers
des projets soutenus par le Conseil de l’Europe.
104. Lors d’une session du Conseil de sécurité des Nations Unies
en août 2015, le ministre des Affaires étrangères de la Serbie,
M. Dačić, a fait part dans les termes les plus forts de l’opposition
de son pays à l’adhésion du Kosovo à l’UNESCO, insistant sur le
fossé qui existe entre les discours et les actes de Pristina en
matière de protection du patrimoine culturel serbe
.
105. Depuis, la situation a évolué. Le 22 octobre 2015, le Conseil
exécutif de l’UNESCO a recommandé l’adhésion du Kosovo à l’UNESCO
par 27 voix pour, 14 contre et 14 abstentions. La demande d’adhésion, toutefois,
n’a pas atteint le seuil requis des deux tiers de la majorité à
l’Assemblée générale de l’UNESCO, avec 92 voix pour, 50 contre et
29 abstentions (il fallait 95 votes favorables pour que l’adhésion
soit approuvée)
. Ce résultat a suscité une vive
déception à Pristina et a été salué comme un succès diplomatique à
Belgrade.
106. L’attention qui s’est focalisée sur l’UNESCO a provisoirement
éclipsé une autre demande d’adhésion, celle à INTERPOL. Jusqu’à
présent, la coopération avec INTERPOL se fondait sur un accord de
coopération signé en 2002 entre cette organisation et la MINUK
mais, en avril 2015, le Kosovo a
fait une demande d’adhésion à part entière. Il a également sollicité
la signature d’un accord d’association avec l’Office européen de
police (EUROPOL)
.
107. Les autorités serbes sont en désaccord, estimant que ces demandes
vont au-delà de l’accord sur la représentation régionale du Kosovo
qui a été conclu en 2012 dans le cadre du dialogue entre Belgrade
et Pristina. En vertu de cet accord, des représentants du Gouvernement
kosovar peuvent participer et s’exprimer au nom du Kosovo dans des
réunions régionales. Le nom «Kosovo» doit être accompagné d’une
note de bas de page formulée comme suit: «Cette dénomination ne
préjuge en rien des positions concernant le statut du territoire
et est conforme à la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des
Nations Unies et à l’avis de la Cour internationale de justice sur
la déclaration d’indépendance du Kosovo.» S’il y a lieu de lancer
et/ou signer de nouveaux accords, un représentant du Kosovo peut
le faire. Conformément à cet accord, la Serbie n’a pas fait obstacle
à l’adhésion du Kosovo au processus de coopération en Europe du
Sud-Est.
108. La participation de représentants du Kosovo à des réunions
régionales ou internationales revêt une grande importance pour améliorer
la vie au Kosovo, car elle permet aux autorités de bénéficier de
conseils, d’une assistance et de bonnes pratiques; en bref, elle
incite le Kosovo à se hisser au niveau des normes internationales.
Je suis favorable à une approche pragmatique et créative en ce qui
concerne la participation du Kosovo à des organisations internationales,
pour autant que l’objectif soit de renforcer les normes. A ce sujet,
je tiens à mettre en garde les autorités du Kosovo contre le fait
de chercher à adhérer à des organisations internationales dans le
seul but de consolider leur statut d’Etat.
8. Le Kosovo et le Conseil
de l’Europe
109. Lors de mes réunions avec le
Président du Kosovo et le vice-ministre des Affaires étrangères,
j’ai appris que le Kosovo souhaitait déposer une demande d’adhésion
au Conseil de l’Europe et qu’il pourrait le faire début 2016. Cette
initiative bénéficie du soutien entier de toutes les forces politiques
représentées à l’Assemblée du Kosovo, c'est-à-dire la majorité comme
l’opposition. Certains de mes interlocuteurs ont justifié la nécessité
pour le Kosovo d’adhérer à l’Organisation par le fait que les habitants
du Kosovo n’ont actuellement pas accès à la Cour européenne des
droits de l’homme.
110. Cet argument est sans nul doute tout à fait pertinent. Toutefois,
si une personne ne peut déposer une requête contre le Kosovo devant
la Cour européenne des droits de l’homme, elle peut se prévaloir
de la protection accordée par la Convention européenne des droits
de l’homme devant les juridictions kosovares, parce que la Constitution
du Kosovo prévoit l’applicabilité directe de la Convention et sa
primauté sur le droit interne. Par ailleurs, pour améliorer la connaissance
du droit des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe organise
et soutient depuis des années des stages de formation sur la Convention
européenne des droits de l’homme à l’intention des professionnels
du droit au Kosovo. Les juristes de la Cour constitutionnelle du
Kosovo peuvent même effectuer des visites d’études de plusieurs
semaines à la Cour européenne des droits de l’homme pour se familiariser
avec sa jurisprudence.
111. Je n’ai pas eu la possibilité de discuter avec les autorités
kosovares pour savoir si leur tentative infructueuse d’adhésion
à l’UNESCO pourrait les amener à envisager plus attentivement l’opportunité
de faire une demande d’adhésion au Conseil de l’Europe, et à quel
moment faire cette demande. Par souci de clarté, je voudrais rappeler
que, si l’Assemblée joue un rôle consultatif dans le processus d’adhésion,
la décision finale d’accepter ou pas un nouveau membre est prise
par le Comité des Ministres au niveau de ses Délégués, qui statuent
habituellement par consensus. Le résultat ne ferait pratiquement
aucun doute, étant donné que seulement 34 des 47 Etats membres du
Conseil de l’Europe ont reconnu le Kosovo en tant qu’Etat indépendant
.
112. Indépendamment d’une éventuelle demande d’adhésion, le Kosovo
coopère déjà avec le Conseil de l’Europe et est membre de quelques
organes de l’Organisation.
113. En novembre 2013, le Kosovo est devenu membre de la Banque
de développement du Conseil de l’Europe
. Des demandes de prêt peuvent être
déposées pour financer des projets dans quatre secteurs d’intervention:
renforcement de l’intégration sociale; gestion de l’environnement;
soutien aux infrastructures publiques à vocation sociale; soutien
aux très petites, petites et moyennes entreprises
.
114. Depuis septembre 2014, le Kosovo est membre de la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).
La Commission de Venise travaille sur le Kosovo depuis des années, prodiguant
des conseils sur des projets de loi et sur d’autres mécanismes,
à la demande de la MINUK ou de l’Assemblée parlementaire. Son dernier
avis concernant le Kosovo, formulé à la demande de l’Union européenne,
porte sur les modifications de la loi relative à la liberté de religion
au Kosovo et a été adopté en mars 2014, avant que le Kosovo ne devienne
l’un de ses membres
.
115. L’Association des communes du Kosovo
est dotée du statut d’observateur
auprès du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de
l’Europe depuis 2002.
116. Ces dernières années, le Conseil de l’Europe a renforcé sa
coopération au Kosovo selon un principe qui veut que l’Organisation
et son Secrétariat suivent une approche neutre à l’égard du statut.
Depuis 2012, une interaction directe entre des responsables du Conseil
de l’Europe et des responsables des autorités kosovares compétentes
est possible tout en respectant le principe de la «capacité fonctionnelle».
Un groupe de travail entre le Conseil de l’Europe et le Kosovo a
été mis sur pied afin de discuter de la planification, de la programmation
et du développement de la coopération. Ce groupe s’est réuni en
novembre 2013, septembre 2014 et mai 2015
.
117. Le 27 mai 2015, M. Bjorn Berge, directeur du Cabinet du Secrétaire
Général, et M. Petrit Selimi, Vice‑ministre des Affaires étrangères
du Kosovo, ont échangé des courriers sur le nouveau statut du Bureau du
Conseil de l’Europe à Pristina, qui joue un rôle important dans
la mise en œuvre des programmes de coopération
.
118. En janvier 2015, le montant des activités de coopération menées
au Kosovo s’élevait à 4,7 millions d’euros. Financées par des programmes
conjoints Union européenne/Conseil de l'Europe, elles concernaient principalement
la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, l’accès
des Roms, des Ashkali et des Egyptiens à l’éducation et la diversité
culturelle. Le Kosovo est également un bénéficiaire des programmes conjoints
régionaux Union européenne/Conseil de l’Europe qui visent à promouvoir
la protection des minorités – notamment des Roms – et l’éducation
inclusive, ainsi que du projet régional du Conseil de l’Europe sur
la liberté d’expression et la liberté des médias, financé par la
Norvège
.
119. Au-delà de la coopération, le Conseil de l’Europe réalise
un travail de suivi au Kosovo en s’appuyant sur des dispositifs
spécifiques concernant les mécanismes ci-dessous:
- le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT), dont la dernière visite au Kosovo date d’avril 2015 ;
- le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales (CCMN); à la suite de la réception du rapport
intérimaire préparé par l’OSCE et présenté par la MINUK, la dernière visite
de suivi a eu lieu en novembre 2013 .
120. Des membres du Groupe d’experts sur la lutte contre la traite
des êtres humains (GRETA) se sont rendus au Kosovo en 2015 et préparent
un rapport sur le respect par le Kosovo des normes de la Convention du
Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
(STCE no 197).
121. Dans le cadre du projet conjoint Conseil de l’Europe/Union
européenne de lutte contre la criminalité économique au Kosovo (
PECK), des experts du Conseil de l’Europe ont publié un rapport
d’évaluation final sur la conformité du Kosovo avec les normes internationales
dans les domaines de la lutte contre la corruption, le blanchiment
d’argent et le financement du terrorisme, selon la méthodologie
du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) et du Comité d'experts
sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux
et le financement du terrorisme (MONEYVAL).
122. Je suis convaincu que le Conseil de l’Europe doit poursuivre
ses activités au Kosovo, dans le domaine de la coopération comme
dans celui du suivi. Je ne pense pas, en revanche, qu’il soit nécessaire
que l’Assemblée demande au Comité des Ministres d’élargir l’éventail
des activités auxquelles le Kosovo participe, ou de les réorienter
selon différentes priorités. C’est la raison pour laquelle il ne
me semble pas nécessaire de proposer une recommandation au Comité
des Ministres.
123. J’ai la conviction, par ailleurs, que les autorités kosovares
devraient faire une meilleure utilisation des organes et mécanismes
du Conseil de l’Europe dont elles sont membres ou auxquels elles
participent sur la base de dispositions spéciales et ad hoc. Comme
je l’ai indiqué précédemment, l’objectif d’une plus étroite coopération
avec le Conseil de l’Europe ne devrait pas viser le renforcement
du statut d’Etat, mais le renforcement des normes. De ce point de
vue, il est temps selon moi d’intensifier plutôt que d’élargir la coopération,
afin qu’elle ait un impact réel sur la vie des Kosovars.
124. Pour commencer, j’encourage les autorités kosovares à tirer
pleinement parti de l’expertise de la Commission de Venise afin
d’harmoniser totalement le cadre juridique du Kosovo avec les normes
du Conseil de l’Europe. Malheureusement, bien que membre de la Commission
de Venise, le Kosovo n’a jamais sollicité son avis sur une quelconque
question. Comme l’a souligné la Commission européenne, cela pourrait
débuter dans le domaine du droit électoral: «Une série de lacunes
doivent encore être comblées pour mieux refléter les bonnes pratiques
et les normes internationales; il convient notamment de mieux délimiter
ce qui relève, en matière électorale, des textes de loi et des textes
réglementaires, de fixer des délais adéquats en matière de plainte
et de recours et de veiller à l’exactitude des listes électorales.
La récente adhésion du Kosovo à la Commission de Venise peut y contribuer.
» J’invite les autorités kosovares à suivre
cette suggestion.
8.1. Relations avec l’Assemblée
parlementaire
125. Les relations entre l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe et l’Assemblée du Kosovo ont évolué
au fil du temps.
126. Après l’adoption de la
Résolution
1739 (2010) de l’Assemblée sur la situation au Kosovo et le rôle
du Conseil de l’Europe, le Bureau de l’Assemblée a décidé qu’«à
titre de première étape», deux représentants élus à l’Assemblée
du Kosovo, l’un représentant la majorité et l’autre l’opposition,
pourraient être invités à assister aux réunions des commissions
de l’Assemblée «chaque fois qu'une question concernant directement le
Kosovo est à l'ordre du jour».
127. Ultérieurement, à la suite de l’adoption de la
Résolution 1912 (2013) de l’Assemblée, le Bureau a étendu le champ de leur participation
en décidant «d’accorder le droit à deux représentants des forces
politiques élues à l’Assemblée du Kosovo, l’un de la majorité, l’autre
de l’opposition (décision à prendre par les groupes respectifs au
sein de l’Assemblée du Kosovo, y compris des représentants des minorités)
de participer aux réunions des commissions (à l’exception des réunions
de la commission de suivi et de la commission du Règlement, des
immunités et des questions institutionnelles en raison de leur spécificité)
quelles que soient les questions figurant à l’ordre du jour. Les
deux représentants n’auraient pas le droit de voter, mais ils pourraient
prendre la parole lors des réunions de commissions sous réserve
de l’autorisation de la présidence». Le Bureau a aussi décidé qu’ils
auraient le droit «de suivre les sessions plénières de l’Assemblée sans
être autorisés à prendre la parole».
128. Depuis que les décisions du Bureau ont été ratifiées par l’Assemblée
, les membres de l’Assemblée du Kosovo
ont participé à de nombreuses réunions des commissions, en particulier
de la commission des questions politiques et de la démocratie, de
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et
de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.
Trop souvent, cependant, un seul membre de l’Assemblée du Kosovo
– appartenant à un parti de la majorité gouvernementale – a assisté à
ces réunions. A cet égard, j’aimerais encourager les groupes politiques
représentés à l’Assemblée du Kosovo à assurer une plus grande parité
entre les femmes et les hommes dans les délégations envoyées à Strasbourg
ainsi qu’une participation accrue des représentants de l’opposition
et des minorités.
129. Je pense que la participation d’une délégation de l’Assemblée
du Kosovo aux travaux de l’Assemblée parlementaire est utile pour
aider ces élus à nouer des contacts avec d’autres parlementaires
et à élargir leur horizon sur un certain nombre de préoccupations
communes. Ceci peut être crucial afin de les aider à rapprocher
le Kosovo des valeurs et normes du Conseil de l’Europe.
130. J’ai aussi constaté que le Gouvernement du Kosovo proposait,
dans son programme, de rédiger une stratégie sur la coopération
et l’amélioration de la diplomatie parlementaire et de renforcer
la coopération avec les structures interparlementaires
.
131. Compte tenu de ces considérations, je souhaiterais proposer
une intensification du dialogue entre l’Assemblée parlementaire
et l’Assemblée du Kosovo. Je recommanderais de donner le droit à
une «délégation de l’Assemblée du Kosovo» de participer aux réunions
des commissions et des réseaux de l’Assemblée, avec le droit de
prendre la parole, mais sans droit de vote. Cette délégation serait
formée d’un représentant de la majorité, d’un représentant de l’opposition
et d’un représentant des minorités (de l’opposition ou de la majorité). Autant
que possible, cette délégation devrait refléter la parité au sein
de l’Assemblée du Kosovo. Sa composition serait soumise au Bureau
pour approbation pour l’intégralité de la session. Le droit de suivre
les sessions plénières de l’Assemblée, sans le droit de prendre
la parole, resterait inchangé.
9. Conclusions
132. Ces dernières années, la situation
au Kosovo s’est améliorée dans de nombreux domaines, même si les
progrès restent timides et qu’il faut donc les confirmer. L’amélioration
du respect de la prééminence du droit et de son application effective
est de mon point de vue l’urgence numéro un, car la plus susceptible
d’avoir des effets bénéfiques sur la vie quotidienne des Kosovars,
de quelque communauté qu’ils soient.
133. Le climat politique au Kosovo n’a cessé de se dégrader et
certains élus se sont avérés incapables ou peu disposés à conduire
des négociations dans un esprit constructif et dans le respect des
règles de la démocratie parlementaire. Cette détérioration de la
conduite de la politique, et notamment le recours à la violence,
est source de graves préoccupations, et il faudra surveiller la
situation de très près dans les mois suivent.
134. Bâtir la confiance devrait être la priorité des autorités.
Cela vaut pour les relations intercommunautaires, mais aussi pour
la confiance des gens dans des institutions crédibles, offrant démocratie
et justice et aussi protection des droits de l'homme conformément
aux normes européennes.
135. Depuis que l’Assemblée s’est exprimée pour la dernière fois
sur la situation au Kosovo en 2013, le dialogue politique entre
Pristina et Belgrade s’est nettement amélioré, ce qui a eu des effets
positifs sur le terrain et a permis aux deux parties de progresser
vers l’intégration dans l’Union européenne. Cette évolution cruciale
contribue à la poursuite de la stabilisation de toute la région
des Balkans occidentaux.
136. Enfin, lorsqu’on examine la situation au Kosovo, il est impossible
de ne pas penser à la notion de «sécurité démocratique», à laquelle
se réfère souvent le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe,
Thorbjørn Jagland. Le respect de normes élevées en matière de démocratie,
de droits de l’homme et d’Etat de droit n’est pas seulement important
pour la vie des gens, c’est également un facteur de stabilité au
niveau interne comme international. A
contrario, le non-respect, aggravé par la mauvaise santé
de l’économie, représente une menace pour la stabilité et la sécurité
qui aura inévitablement des répercussions hors des frontières nationales.
137. Je souhaite que ce rapport contribue à améliorer la capacité
du Kosovo à connaître et à promouvoir la sécurité démocratique.