1. Introduction
1. En avril 2014, un groupe de
parlementaires russes, auquel se sont joints les présidents des
groupes politiques de l’Assemblée et d’autres membres de l’Assemblée,
déposait une proposition de résolution sur «Les sanctions prises
à l’encontre de parlementaires» qui a été renvoyée à la commission
du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles pour
rapport. La proposition fait état de l’interdiction imposée par l’Union
européenne à un certain nombre de parlementaires russes d’entrer
sur son territoire ou d’y transiter. Ses signataires y soutiennent
que l’interdiction de visa imposée aux parlementaires étrangers
par l’Union européenne porterait atteinte, entre autres, à leur
liberté d’expression. Par conséquent, ils proposent de mener une
réflexion sur la compatibilité de ces mesures, estimées discriminatoires
et non-constructives, avec les instruments fondamentaux du Conseil
de l’Europe, dont la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5, «la Convention») et, de manière
plus générale, leur compatibilité «avec la nature du parlementarisme,
qui présuppose l’entretien de relations par le dialogue».
2. Par la suite, d’autres cas de sanctions éventuelles contre
des parlementaires ont été adjoints au renvoi initial, afin d’être
pris en considération dans le cadre du présent rapport: ces cas
soulèvent la problématique «des listes noires» nationales – une
liste d’étrangers indésirables, y compris des parlementaires, auxquels
un Etat peut opposer un refus de visa ou un refus d’entrée –
ou
la question des sanctions pénales ou administratives qui pourraient
être prononcées par la juridiction d’un pays à l’encontre de parlementaires
de juridiction étrangère, du fait de la violation des lois régissant
l’entrée de son territoire.
3. Enfin, les cas de Mme Nadiia Savchenko, membre de la délégation
parlementaire ukrainienne, sous le coup d’un procès pénal en Russie
,
et de Mme Khalida Jarrar, membre de la délégation palestinienne
de partenaire pour la démocratie, ont été soulevés lors de la discussion
du rapport par la commission en lien avec l’application de l’Accord
général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe (STE
no 2).
4. Le rapporteur tient à remercier M. Antonios Tzanakopoulos,
professeur associé en droit international public, Faculté de Droit,
Université d’Oxford, et M. Conor McCarthy, avocat à Londres, qui
ont permis de recueillir des informations sur un nombre important
d’aspects juridiques régissant les sanctions en droit international.
Le rapporteur a également reçu une contribution écrite de M. McCarthy
qui lui a été très utile pour la préparation du présent report.
2. Problématique et portée du présent rapport
5. Le caractère multilatéral des
relations internationales actuelles, la multiplication des organisations
de coopération interparlementaire et des forums parlementaires internationaux
a contribué à l’accroissement des voyages à l’étranger des membres
des parlements nationaux. Par ailleurs, les parlements ont développé
leurs activités parlementaires internationales (groupes d’amitié
parlementaire, réseaux parlementaires internationaux spécialisés)
et sont également appelés à se prononcer sur des questions de politique extérieure,
ce qui suppose l’établissement de relations de travail avec leurs
homologues des parlements étrangers et des déplacements, formels
ou informels, hors des frontières nationales (missions d’information, groupes
d’études). La notion de diplomatie parlementaire témoigne de la
place croissante occupée par l’action internationale au sein des
parlements nationaux, laquelle s’inscrit en fait dans la continuité
et la complémentarité de la diplomatie d’Etat. L’Assemblée parlementaire
a mis en exergue le rôle positif de la diplomatie parlementaire
quant à la prévention des conflits, la facilitation du dialogue
et la médiation
.
6. Ce caractère multilatéral des relations actuelles exige que
les membres des parlements nationaux disposent de garanties suffisantes
quand ils se rendent à l’étranger ou participent à des réunions internationales.
Or, des sanctions ou des menaces de poursuites posent des limites
à des pouvoirs constitués et au mode d’action et d’expression des
parlementaires, empêchant la jouissance de certains droits et libertés reconnus
aux parlementaires, au premier rang desquels la liberté de mouvement
et la liberté d’expression, garanties d’ailleurs par la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5)
et ses protocoles en tant que droit fondamental.
7. Compte tenu du développement sans précédent qu’a connu le
système de coopération parlementaire multilatéral depuis la fin
de la seconde guerre mondiale, la question de la compatibilité des
mesures de sanctions prises à l’encontre de parlementaires avec
la nature du parlementarisme lui-même dépasse le seul cadre européen,
dont notre Assemblée en est l’exemple emblématique, et relève d’une
problématique de principe bien plus globale.
8. Le rapporteur reconnaît que si, en principe, le droit international
confère aux Etats le droit souverain de décider qui est autorisé
ou non à entrer sur leur territoire, refuser à une personne l’entrée
sur un territoire au seul motif qu’elle défend certaines opinions
politiques ou idéologiques pourrait constituer un abus du droit
et une forme de discrimination au sens de l’article 14 de la Convention
européenne des droits de l’homme. Dans sa
Résolution 1894 (2012) sur l’inacceptabilité des restrictions à la liberté
de circulation à titre de sanction pour prises de positions politiques,
l’Assemblée condamne de telles pratiques discriminatoires qui, de
surcroît, mettent en péril le concept du parlementarisme
.
9. Le présent rapport vise à clarifier le statut des parlementaires
vis-à-vis des actions de l’Etat, les relations entre le statut de
parlementaire national et un Etat tiers, à travers l’étude des dispositions
qui ont rendu possible la mise en place de sanctions malgré le statut
protecteur des parlementaires. Le rapport a donc pour objectif de
vérifier si, au final, il existe des limites légales qui peuvent
être posées au travail des parlementaires, notamment dans leurs
relations avec des Etats tiers, et s’il existe un noyau de droits
spécifiques dont les parlementaires nationaux peuvent se prévaloir
vis-à-vis d’un Etat tiers en toutes circonstances.
10. Bien que le rapport contienne quelques observations relatives
à la nature et la portée des sanctions à l’encontre de personnes
qui se trouvent être des parlementaires et la procédure suivie,
celles-ci sont formulées dans le seul but de fournir une meilleure
compréhension des problématiques liées au statut de parlementaire. Le
présent rapport entend répondre aux interrogations spécifiques soulevées
par les sanctions individuelles et nominatives auxquelles recourent
des Etats tiers et des organisations internationales sous forme
de mesures restrictives. Il ne traitera donc évidemment pas des
mesures prises par l’Assemblée parlementaire à l’encontre de ses
délégations ou de ses membres, pris individuellement, en application
de son Règlement, qui ne relèvent pas d’un régime de «sanctions»
couvert par le droit international.
3. Rappel
des faits à l’origine de sanctions prises à l’encontre de membres
de l’Assemblée parlementaire
3.1. Mesures
restrictives de l’Union européenne eu égard aux actions compromettant
ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance
de l'Ukraine
11. Le 1er mars
2014, le Conseil de la Fédération de Russie, réuni en session extraordinaire,
prenait la décision d’autoriser le Président de la Russie à déployer
des forces militaires sur le territoire de l’Ukraine. Conformément
à l’article 102.1.d de la
Constitution de la Fédération de Russie, il relève de la compétence
du Conseil de la Fédération de prendre toute décision relative à
la possibilité de recourir aux forces armées de la Fédération de
Russie hors des limites de son territoire. Cette décision a recueilli
l’unanimité des 90 députés présents.
12. L’annexion illégale ultérieure de la Crimée par la Fédération
de Russie et son intervention ayant entraîné un conflit militaire
dans l’est de l’Ukraine a conduit l’Union européenne à instaurer
une série de mesures restrictives, y compris l’interdiction de visas
ou d’entrée visant des parlementaires russes et le gel de certains avoirs.
13. Depuis l’entrée en vigueur de la première liste de sanctions,
le 17 mars 2014
,
l’Union européenne l’a régulièrement complétée. Au total, au nombre
des 149 personnes visées, 27 députés russes
figurent
sur la liste des sanctions, y compris les présidents des deux chambres
du Parlement russe et quelques présidents et vice‑présidents de
commissions. Les motifs d’inscription sur la liste des sanctions,
pour autant que cela concerne les parlementaires, se rapportent
principalement au fait qu’ils ont publiquement soutenu le déploiement
de troupes russes en Ukraine, y compris au cours des débats tenus
le 1er mars au Conseil de la Fédération,
et, pour certains d’entre eux, initié ou soutenu la législation
facilitant l’annexion de la Crimée
.
14. En guise de riposte, le ministre des Affaires étrangères de
la Russie a dressé une liste composée de dizaines de responsables
politiques interdits d’entrée sur le territoire russe
. On y trouve plusieurs eurodéputés
ou des élus nationaux, ainsi que des membres de l’Assemblée parlementaire
ou d’anciens membres
.
15. Par ailleurs, le 10 avril 2014, «afin de marquer sa condamnation
et sa désapprobation face aux agissements de la Fédération de Russie
à l’égard de l’Ukraine», l’Assemblée parlementaire décidait de suspendre
jusqu’à la fin de la session de 2014, le droit de vote de la délégation
russe, ainsi que son droit d’être représentée aux organes directeurs
de l’Assemblée et de participer à des missions d’observation des élections
.
En conséquence, la délégation russe a pris la décision de suspendre
sine die sa participation aux travaux
de l’Assemblée.
3.2. Le
non-respect des règles d’entrée du territoire par les parlementaires
16. Outre les sanctions directes
réciproques intervenues dans le cadre du conflit en Ukraine, il
y a lieu de mentionner les autres cas impliquant des membres de
l’Assemblée parlementaire qui sont sous la menace de poursuites,
pénales ou administratives, pour avoir exercé leur liberté de circulation.
17. Ainsi, en février 2015, M. Andrej Hunko, membre de la délégation
allemande à l’Assemblée, s’est rendu dans l’est de l’Ukraine, pour
le compte d’une organisation non gouvernementale (ONG), en entrant
par un passage de frontière non autorisé via la Fédération de Russie
.
La commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles,
ayant examiné ce cas à la demande du Bureau de l’Assemblée, le 24
juin 2015, a rappelé que M. Hunko ne s’était pas rendu dans l’est
de l’Ukraine en qualité de membre de l’Assemblée dûment missionné,
et qu’il ne bénéficiait donc pas en l’espèce de la protection offerte
par le Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1)
et l’Accord général sur les privilèges et immunités face aux sanctions
auxquelles il pourrait s’exposer du fait de son entrée sur le territoire
ukrainien en violation des lois ukrainiennes
. On relèvera que M. Hunko s’est à
nouveau rendu dans l’est de l’Ukraine en novembre 2015, sans avoir
reçu l’autorisation préalable des autorités ukrainiennes.
18. Par ailleurs, en juillet 2015, un groupe de parlementaires
français, dont trois membres de l’Assemblée – M. Thierry Mariani,
M. Yves Pozzo di Borgo et Mme Marie-Christine Dalloz – ont effectué
une visite en Crimée, présentée comme privée, à l’invitation des
autorités russes. Les autorités ukrainiennes n’ont pas été informées
de cette visite à laquelle elles se sont opposées après en avoir
eu connaissance par les médias
.
19. L’accès en Crimée, qui continue d’être considérée comme partie
du territoire ukrainien par la communauté internationale, est régi
par un décret du Cabinet des Ministres de l’Ukraine qui prévoit
des poursuites pénales en cas de non-respect de la procédure prévue
.
Suite à la demande du ministère des Affaires étrangères de l’Ukraine,
les parlementaires français ayant visité la Crimée ont été inscrits
sur la liste des interdits d’accès en Ukraine
.
20. Notons que le régime spécial d’entrée et de circulation sur
une partie de territoire n’est pas une question nouvelle. Il existe
un nombre de différends territoriaux qui concernent, en particulier,
le Haut-Karabakh, l’Abkhazie (Géorgie) et l’Ossétie du Sud (Géorgie),
auxquels se sont rajoutés désormais la Crimée et les territoires
occupés des régions de Donetsk et de Lougansk (Ukraine). La Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
a eu l’opportunité de se prononcer sur ce type de législations, qui
reflète la volonté des autorités nationales d’affirmer la souveraineté
et l’intégrité de leur territoire, et qu’elle ne considère pas en
soi incompatible avec les standards internationaux
.
3.3. La
détention des parlementaires
21. La détention représente une
forme extrême de sanctions à l’encontre des parlementaires. Dans
son essence même, le principe de l‘inviolabilité parlementaire,
reconnu dans de nombreux Etats européens en tant que garantie de
l’indépendance de l’institution parlementaire, fait obstacle à l’arrestation,
la détention, la privation ou la restriction de la liberté ou la
poursuite d'un élu sans le consentement du parlement dont il est membre.
22. Le cas de Mme Nadiia Savchenko, membre du Parlement ukrainien
et de la délégation ukrainienne à l'Assemblée parlementaire, incarcérée
en Fédération de Russie depuis juin 2014, retient à cet égard particulièrement
l’attention. Depuis plus d’un an, la communauté internationale est
mobilisée et déploie des efforts considérables pour la faire libérer
.
En janvier 2015, l’Assemblée demandait sa libération immédiate ainsi
que le respect de son immunité parlementaire en tant que membre
de la délégation parlementaire ukrainienne (
Résolution 2034 (2015)), s’appuyant à cet égard sur l’avis de la commission
du Règlement
. Les conclusions de la commission
et de l’Assemblée confirmant l’immunité de Nadiia Savchenko sont
contestées par les autorités russes. Or, l’Assemblée considère que
les autorités russes compétentes ne lui ayant adressé aucune demande
de levée de l’immunité parlementaire de Mme Savchenko, la Fédération
de Russie a de ce fait violé ses obligations au regard du droit
international.
23. Un autre cas de détention a été porté à l’attention de la
commission du Règlement par le Bureau de l’Assemblée, celui de Mme
Khalida Jarrar, membre de la délégation de partenaire pour la démocratie palestinienne,
qui a été arrêtée le 2 avril 2015 et placée en détention administrative
en Israël suite à des soupçons d’implication dans l’organisation
d’activités terroristes, sans lien avec ses activités parlementaires. La
commission du Règlement a conclu à l’absence de protection statutaire
dont pourrait se prévaloir Mme Jarrar, les Etats non membres du
Conseil de l'Europe n’étant parties ni au Statut du Conseil de l'Europe ni
à l’Accord général sur les privilèges et immunités de 1949
.
24. Le rapporteur note que le cas de Mme Jarrar est suivi par
le comité des droits de l’homme des parlementaires de l’Union interparlementaire,
ensemble avec une trentaine d’autres cas de membres du Conseil législatif
palestinien appartenant à la même force politique que Mme Jarrar.
Notre commission pourrait profiter de l’expérience et des observations
de cet organe qui se charge, depuis 1977, de protéger les parlementaires
des abus, d’enquêter et de statuer sur des violations des droits
de l’homme dont ils seraient victimes, individuellement ou collectivement,
pour lancer une réflexion commune visant au renforcement de la protection
de l’action parlementaire.
4. Les
«sanctions internationales»: observations générales
4.1. Définition
et fondement des sanctions en droit international
25. Même si le terme revêt une
connotation punitive, la «sanction» renvoie à la réaction d’un système juridique
à une situation d’illégalité ou un comportement non conforme à la
norme édictée, qui va au-delà du droit pénal. En droit international,
le terme «sanction» est réservé aux mesures prises par les Nations
Unies au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, pour
maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.
26. Toutefois, le terme générique de «sanction» est communément
utilisé pour désigner ce qui devrait être en fait qualifié de contre-mesures
ou de mesures de rétorsion.
27. En droit international, les «contre-mesures» font référence
à l’ensemble des mesures diplomatiques, économiques, militaires,
culturelles ou autres prises unilatéralement ou collectivement par
un ou plusieurs Etats ou une organisation internationale, en réaction
à un fait internationalement illicite d’un autre Etat, pour faire
cesser une violation du droit international et faire assurer le
respect d’un droit ou l’exécution d’une obligation par cet Etat.
28. Une contre-mesure est une sanction qui serait incompatible
avec les obligations de droit international de l’Etat imposant les
mesures en question, mais qui se justifie quand elle est prise conformément
aux conditions du régime juridique international applicable aux
contre-mesures. Ce régime est présenté au chapitre II des Articles
sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite,
dont l’Assemblée générale des Nations Unies a pris acte dans sa
Résolution 56/83 du 12 décembre 2001
.
29. Il faut distinguer les contre-mesures des actes qui relèvent
simplement de la «rétorsion». La rétorsion désigne des sanctions
qui sont incompatibles avec les obligations internationales de l’Etat
qui les impose. Ainsi que le souligne la Commission du droit international
au sujet du projet d’Articles sur la responsabilité de l’Etat pour
fait internationalement illicite, «il faut distinguer les contre-mesures
des mesures de rétorsion, c’est-à-dire d’un comportement «inamical»,
qui n’est pas incompatible avec une éventuelle obligation internationale
de l’Etat qui y recourt, même s’il entend riposter à un fait internationalement
illicite. Des mesures de rétorsion peuvent notamment consister dans
l’interdiction ou la restriction des relations diplomatiques normales
ou d’autres contacts, des mesures d’embargo de différentes sortes,
ou la suppression de programmes de secours volontaires».
30. Par mesures de rétorsion, on entend donc des actes certes
inamicaux, voire préjudiciables, mais parfaitement licites en droit
international, qui répondent à un acte antérieur qui pourrait lui
aussi avoir été inamical mais licite, ou illicite au plan international.
31. Un examen détaillé du régime international des contre-mesures
dépasserait le cadre du présent rapport. Aux fins du présent document,
la distinction entre «contre-mesures» et actes de simple «rétorsion»
est importante parce qu’elle signifie que le régime juridique international
des contre-mesures n’est souvent pas pertinent pour beaucoup de
sanctions.
32. En effet, tel est souvent le cas lors d’interdictions d’entrée
(y compris les interdictions d’entrée signifiées à un parlementaire),
qu’elles soient prises dans le cadre d’un ensemble de mesures restrictives
ou occasionnellement, car rien en droit international n’oblige en
général à admettre un ressortissant étranger sur le territoire d’un
Etat étranger, sinon dans des cas limités
. Les Etats conservent
d’ordinaire un pouvoir d’appréciation quant à leurs frontières,
qui sont un aspect élémentaire de la souveraineté territoriale. En conséquence,
une interdiction d’entrée équivaut uniquement à une «contre-mesure»
en droit international (et doit être justifiée en tant que telle)
lorsque l’Etat hôte est dans l’obligation particulière en droit
international d’admettre la personne sur son territoire ou de l’autoriser
à y transiter.
33. Notons, enfin, que les contre-mesures ne peuvent pas porter
atteinte aux obligations concernant la protection des droits fondamentaux
ou des droits diplomatiques
.
4.2. Légalité
des sanctions en droit international: une obligation erga omnes
34. L’ensemble des mesures prises
par l’Union européenne contre la Russie pourraient être qualifiées
de contre-mesures
.
Exercées collectivement par les Etats qui ne sont pas directement
affectés par la violation, elles prennent une toute autre perspective
dès lors qu’elles ne visent plus seulement la restitution, l’indemnisation
ou la satisfaction en lien avec le droit lésé, mais la protection
de l’ordre international dans son ensemble
, le respect
des droits fondamentaux
et la protection
des principes éthiques de la société
.
35. Une contre-mesure peut être prise par un Etat lésé contre
un Etat agresseur, mais le fait qu’elle ne soit pas prise directement
par la partie lésée est sans incidence sur sa légalité car il s’agit
d’une obligation
erga omnes . Un
droit
erga omnes confère à
la communauté internationale le droit de revendiquer le respect
d’un certain noyau dur de droits de l'homme
.
Relevons que les Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement
illicite adoptés par la Commission du droit international, précités,
ne contiennent pas de référence à l’obligation
erga omnes car, à l’époque, en 2001,
la commission avait laissé aux Etats le soin de déterminer eux-mêmes
si ce type de mesures devait être utilisé et de quelle manière.
Aujourd’hui, la doctrine est unanime quant à la légitimité de leur
utilisation.
4.3. Mesures
restrictives de l’Union européenne
4.3.1. Cadre
juridique
36. Les sanctions politiques adoptées
au sein de l’Union européenne portent la dénomination de mesures restrictives
et sont adoptées exclusivement dans le contexte de la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC)
.
Ces mesures peuvent découler de la mise en œuvre des sanctions des
Nations Unies ou être imposées à l’initiative de l’Union européenne
(sanctions autonomes). Rappelons que la politique étrangère et de
sécurité commune de l’Union européenne est basée sur le principe
de solidarité et de convergence des actions auquel les Etats membres
ont souscrit au vu de la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux,
de l’indépendance et l’intégrité de l’Union, ainsi que la préservation
de la paix et de la sécurité internationale.
37. Avant de parvenir aux mesures restrictives, la diplomatie
européenne fait appel à des moyens et instruments diversifiés, tels
que les démarches confidentielles, le dialogue politique, les déclarations, l’assistance
économique et financière, l’action humanitaire, les clauses des
droits de l’homme. Les mesures restrictives interviennent, en effet,
lorsque les démarches positives, préventives et constructives, qui
revêtent un caractère prédominant du point de vue de l’Union, sont
tenues en échec par les violations persistantes et particulièrement
graves des droits de l’homme
.
38. En l’espèce, les mesures restrictives adoptées le 17 mars
2014, complétées depuis, trouvent leur fondement juridique
dans
l’article 29 du Traité de l’Union européenne (TEU) qui habilite
le Conseil à adopter «des décisions qui définissent la position
de l'Union sur une question particulière de nature géographique
ou thématique» et le Règlement d’application adopté par le Conseil
sur la base de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne (TFEU) qui habilite le Conseil à adopter des
mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales
en l’obligeant à prévoir les dispositions nécessaires en matière de
garanties juridiques
.
Il s’agit en premier lieu d’une démarche intergouvernementale (position
commune) complétée par une démarche au niveau de l’Union européenne
visant une mise en œuvre uniforme (règlement).
39. Selon la jurisprudence de l’Union européenne, si les mesures
restrictives sont dirigées contre un pays tiers, cela peut inclure
les dirigeants d’un tel pays ainsi que des individus qui sont associés
à ces dirigeants. La Cour de justice de l’Union européenne veille
à ce qu’un lien suffisant existe entre l’individu concerné et le régime
en cause
.
40. Le règlement sur les mesures restrictives prévoit un nombre
de garanties pour les personnes concernées parmi lesquelles le droit
à un recours effectif, à un tribunal impartial, la protection des
données à caractère personnel, l’information sur les motifs d’inscription,
la possibilité de présenter ses observations, et la possibilité
de révision.
41. Le Conseil notifie aux personnes et entités soumises à un
gel des avoirs ou à une interdiction de voyager les mesures prises
à leur encontre. Dans le même temps, il attire leur attention sur
les voies de recours dont elles disposent: elles peuvent demander
au Conseil de revoir sa décision en formulant des observations à propos
de leur inscription sur la liste concernée. Elles peuvent aussi
attaquer les mesures devant le Tribunal de l'Union européenne
.
4.3.2. La
protection juridictionnelle effective
42. Le mécanisme des sanctions
ou des mesures restrictives, tant au niveau des Nations Unies qu’au niveau
de l’Union européenne, est en évolution constante, y compris pour
ce qui concerne les garanties les entourant. Nous sommes loin du
contexte dans lequel le rapport de l’Assemblée parlementaire sur
les «Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de
l’Union européenne» a été débattu en 2008
.
43. Si l’on examine la jurisprudence relative au contentieux sur
l’inscription et la radiation des personnes physiques portées sur
des listes de mesures restrictives de l’Union européenne, on constate
qu’elle a amplement évolué dans le sens du respect des garanties
procédurales
.
44. Le rapporteur note que, de manière générale, ce n’est pas
le déni d’accès à la justice qui faisait polémique
mais plutôt l’absence d’une procédure autonome
de radiation «des listes noires», ainsi que, en second lieu, l’étendue
et l’intensité du contrôle judiciaire
. Par ailleurs,
avant le traité de Lisbonne, les décisions prises par les représentants
des Etats dans le domaine de la PESC n’étaient pas susceptibles,
au sein de l’Union européenne, d’un contrôle juridictionnel; n’étaient
attaquables que les actes communautaires de mise en application
des positions communes. Or, si les mesures restrictives étaient
adoptées de manière autonome par l’Union, la liste des personnes
et entités visées figurait également en annexe de la décision PESC
. En pratique,
si la Cour de justice annulait le règlement pour autant que cela
concernait une personne inscrite, le Conseil de l’Union révisait
la décision en conséquence. Toutefois, ce mécanisme, bien qu’il
ait permis d’arriver à l’objectif voulu, ne répondait pas au principe
de sécurité juridique. Désormais, l’acte qui sert de support à la
réalisation de l’objectif de la PESC n’échappe pas au contrôle du
juge communautaire
.
45. A l’occasion du pourvoi formé dans l’affaire
Kadi II ,
la Cour de justice a affirmé qu’il incombe au «juge communautaire
d’assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble
des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie
intégrante de l’ordre juridique de l’Union». Au rang de ces droits
fondamentaux figurent, notamment, le respect des droits de la défense
et le droit à une protection juridictionnelle effective, affirmé
par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’effectivité
du contrôle juridictionnel implique le contrôle de la légalité des
motifs sur lesquels la décision d’inscription se fonde
.
46. La Cour de justice a poursuivi en statuant en effet que «le
propre d’une protection juridictionnelle effective doit être de
permettre à la personne concernée de faire constater par le juge,
par un arrêt d’annulation en vertu duquel l’acte attaqué est éliminé
rétroactivement de l’ordre juridique et est censé n’avoir jamais
existé, que l’inscription ou le maintien de son nom sur la liste
en cause a été entaché d’une illégalité, dont la reconnaissance
est susceptible de réhabiliter cette personne ou de constituer pour
elle une forme de réparation du préjudice moral subi»
.
47. Le rapporteur note que cette jurisprudence est constante avec
les jugements rendus récemment dans le cadre des sanctions autonomes
de l’Union européenne et qui préconisent la même approche pour tous types
de sanctions de l’Union européenne
.
48. Au vu des considérations qui précèdent, le rapporteur estime
que, depuis l’adoption de la
Résolution 1597
(2008) de l’Assemblée, les garanties entourant la procédure
de contestation des mesures restrictives, y compris concernant des
personnes physiques, ont été dûment améliorées dans le sens du respect
des droits de l’homme et de la prééminence du droit. Il n’en demeure
pas moins que certaines interrogations demeurent.
4.4. La
mise en cause de la responsabilité individuelle
49. Une des questions importantes
qu’il revient à la commission du Règlement d’examiner dans le cadre
du présent rapport est celle de la responsabilité des parlementaires
(plus généralement la responsabilité individuelle de personnes appartenant
à des institutions étatiques) s’agissant des actes juridiques pris
de manière présumée licite par et dans le cadre de leur appartenance
à un corps constitué. Dans le cas d’espèce à l’origine du présent
rapport, l’incompréhension des membres russes de l’Assemblée visés
par les sanctions de l’Union européenne pour avoir exercé leur mission
constitutionnelle mérite quelques clarifications
.
4.4.1. Responsabilité
du fait d’un acte juridique interne présumé licite, mais contraire
au droit international
50. Les parlementaires russes ont
en effet agi en vertu d’une disposition constitutionnelle qui soumet
les décisions relatives à l’utilisation des forces armées de la
Fédération de Russie dans les Etats tiers au Conseil de la Fédération
.
51. En vertu d’un principe bien établi en droit international,
aucun Etat ne peut se soustraire à sa responsabilité internationale
ou l’éluder sur la base d’une règle de droit interne quelle qu’en
soit la nature
. D’après le droit international,
le comportement de tout organe de l’Etat (et de toute personne,
ou tout groupe de personnes, ou entité faisant partie de son appareil
organique par le biais desquels l’Etat agit) est considéré comme
un fait de l’Etat, que cet organe exerce des fonctions législatives,
exécutives, judiciaires ou autres, quelle que soit la position qu’il
occupe dans l’organisation de l’Etat, et quelle que soit sa nature
en tant qu’organe du gouvernement central ou d’une collectivité
territoriale de l’Etat
.
52. En ce sens, la légalité ou l’illégalité d’un acte, d’une mesure
ou d’une conduite en droit interne est sans rapport (en droit international)
avec l’existence ou non d’une violation du droit international.
Ce principe est énoncé à l’article 32 des Articles sur la responsabilité
de l’Etat pour fait internationalement illicite, précités. En vertu
de l’article 32, «[l]’Etat responsable ne peut pas se prévaloir
des dispositions de son droit interne pour justifier un manquement
aux obligations qui lui incombent en vertu de la présente partie».
53. Cette règle, qui est fondamentale pour le système juridique
international, reflète le droit international coutumier. Sans elle,
les Etats pourraient souvent défendre une conduite incompatible
avec le droit international au motif que les actes en question sont
conformes à leur droit interne (ou requis par celui-ci), ce qui
leur permettrait de contourner les règles de droit international
. Ce principe s’applique indépendamment du
caractère ou du statut du droit interne en question. Il s’applique
aussi quand les actions d’un Etat sont dictées par des normes constitutionnelles
incompatibles avec le droit international. Cette supériorité du
droit international sur la loi constitutionnelle a été clairement
affirmée par la Cour permanente de justice internationale («d'après
les principes généralement admis, (...) un Etat ne saurait invoquer
vis-à-vis d'un autre Etat sa propre Constitution pour se soustraire
aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités
en vigueur») puis par la Cour internationale de Justice qui lui
a succédé
.
54. Les obligations d’un Etat en droit international ne sont pas
affectées par les règles ou principes de droit interne, y compris
par exemple une règle interne accordant l’immunité au parlement
ou créant une présomption de légalité pour la conduite du parlement.
4.4.2. La
place de l’individu au sein du système de la responsabilité internationale
4.4.2.1. Le
double jeu de la responsabilité étatique et de la responsabilité
individuelle
55. Selon la doctrine traditionnelle,
le droit international prend l’Etat dans son unité indivisible,
retient le fait internationalement illicite commis par l’Etat, mais
ignore la répartition des compétences dans l’ordre interne. Il y
a donc une responsabilité étatique, même lorsqu’une disposition
constitutionnelle attribue une compétence décisionnelle spécifique
à l’un des organes de l’Etat, qui ne se traduit pas par la responsabilité
individuelle des membres qui la composent.
56. Toutefois, la doctrine plus récente, prenant appui sur l’évolution
du droit international, notamment du droit international humanitaire,
et l’abondante jurisprudence des tribunaux internationaux, considère
que la vision reposant sur l’Etat souverain comme unique sujet du
droit international est désormais obsolète: l’individu est devenu
sujet du droit international, à la fois titulaire de droits reconnus
par le droit international – dont il peut demander la protection
et la reconnaissance devant les tribunaux – mais également d’obligations
qui lui sont imposées par le droit international et sanctionnées
par lui
. La violation grave de telles
obligations – de manière extrême, les crimes contre l’humanité,
d’agression et de génocide – engage la responsabilité pénale internationale
de l’individu, indépendamment de ce que prévoit en la matière le
droit interne de l’Etat concerné
.
4.4.2.2. Le
problème de l’imputation de la responsabilité de l’Etat sur l’individu
58. Le cas qui nous occupe – les
sanctions prises individuellement à l’encontre des parlementaires
du fait d’un acte internationalement illicite commis par l’Etat –
nous amène à une autre question.
59. Ici, nous quittons le cadre tracé des débats juridiques sur
la responsabilité de l’Etat du fait des personnes physiques ou la
question de la complicité, et rentrons dans la sphère des questionnements
éthiques, relativement peu explorée, visant à savoir comment la
responsabilité de l’Etat et de ses organes – des abstractions juridiques –
est répercutée de manière pratique sur des sujets bien réels: les
individus
.
60. Cela conduit donc nécessairement à dépasser le cadre strictement
juridique de notre réflexion – et donc le cadre du présent rapport.
Il y aurait cependant lieu de s’interroger sur l’utilité et l’efficacité
d’une «sanction» internationale à l’encontre de personnes individuelles,
auxquelles on imputerait la responsabilité d’un fait internationalement
illicite: aux yeux du droit international, l’Etat n’apparaît que
dans son unité, et le rang hiérarchique dans l’organisation étatique
de l’organe ayant pris la décision contraire au droit international
est sans influence sur l’imputabilité de la responsabilité de l’Etat.
61. Pourtant, analyser, d’un point de vue plus politique, le processus
décisionnel à l’origine du fait internationalement illicite permet
d’en identifier les véritables instigateurs et, préalablement à
toute «sanction», de cibler les auteurs, ceux qui, au-delà des apparences
constitutionnelles, exercent le pouvoir effectif.
62. Pour certains observateurs, avec les sanctions individuelles,
on assisterait à une dérive moralisatrice du droit international.
L’affirmation qu’un citoyen qui s’engage en faveur des objectifs
de l’Etat partage la responsabilité de celui-ci pour la réalisation
de ces objectifs
n’est-elle pas significative de l’évolution
du système de la responsabilité internationale faisant des «sanctions»
individuelles, en l’absence de toute responsabilité pénale, un complément
aux sanctions classiques telles que la suspension de l’application
d’un traité ou les pressions économiques?
4.4.2.3. Quid
des garanties individuelles?
63. Au vu de ces questionnements,
le rapporteur se demande si le système du droit de la responsabilité internationale
classique ne nécessiterait pas quelques ajustements afin d’aboutir
à une conception plus démocratique de celui-ci.
64. Par exemple, la structure classique de la normativité en droit
international ne s’opère pas selon le principe de sécurité juridique
car les Etats, ses seuls sujets, ne nécessitent pas les mêmes garanties
que les individus. Il en va de même pour le droit primaire de l’Union
européenne qui, d’ailleurs, constitue le fondement des «sanctions»
contre les individus. Seuls des actes dérivés de l’Union européenne
ou des législations nationales qui interfèrent avec les droits et
les obligations des individus sont tenus au respect de ce principe.
65. Or, le rapporteur considère que, dès lors qu’une «sanction»
– qu’elle soit une contre-mesure ou une mesure de rétorsion, nationale
ou internationale – touche un individu, elle doit répondre aux exigences
de sécurité juridique. Ce principe englobe quatre exigences qui
sont liées: l’existence d’une base légale, son accessibilité, sa
formulation assez précise pour permettre aux individus «– en s'entourant,
au besoin, de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable
dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter
d'un acte déterminé et de régler leur conduite»
, et enfin
la protection contre l’arbitraire sous forme de garanties procédurales
suffisantes.
66. La loi doit indiquer avec clarté l'étendue et les modalités
d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine
considéré afin de garantir à l’individu un degré minimal de protection
auquel il pourrait s’attendre dans une société démocratique
.
67. Il est clair que des «sanctions» basées sur un pouvoir discrétionnaire
absolu poseront un problème du point de vue de la sécurité juridique.
Dans l’affaire
Al-Nashif c. Bulgarie, concernant
l’expulsion d’une personne pour des motifs de sécurité nationale,
la Cour a jugé qu’«il serait contraire à l’Etat de droit que la
marge juridique d’appréciation reconnue à l’exécutif dans les domaines
touchant aux droits fondamentaux soit exprimée sous la forme de
pouvoirs absolus. En conséquence, la loi doit indiquer avec une
clarté suffisante la portée du pouvoir discrétionnaire conféré ainsi
aux autorités compétentes et les modalités de son exercice pour
ce qui est du but légitime de la mesure en question, afin d’offrir
aux personnes une protection appropriée contre des ingérences arbitraires»
.
68. Dans notre cas, il y a lieu de constater que les dispositions
juridiques à la base d’interdictions de visas ou d’entrée sur le
territoire, à la fois de l’Union européenne ou des Etats membres,
sont rédigées en termes généraux, se référant, quant aux derniers,
à la sécurité nationale et ne spécifient pas les comportements susceptibles
de déclencher une «sanction» individuelle, encore moins quand elle
découle du comportement illicite d’un Etat.
69. Il est vrai que l’exigence de prévisibilité ne va pas aussi
loin qu’il faille contraindre un Etat à adopter des dispositions
juridiques qui auraient énoncé en détail le comportement qui pourrait
aboutir à une décision d’interdiction d’entrée. Par la nature des
choses, les menaces à la sécurité nationale peuvent varier et sont difficiles
à prédire
.
C’est pour cela que la Cour européenne des droits de l’homme apprécie
l’ensemble du régime afin de savoir si d’autres composantes de sécurité
juridique ont été respectées de manière à pallier le manque de précision
de la formulation.
70. Le Règlement de l’Union européenne liste les personnes ciblées
par les mesures restrictives, fournit le motif et prévoit un certain
nombre de garanties procédurales dont le contrôle judiciaire. De
telles garanties, déterminées par un Règlement, sont-elles en soi
suffisantes ou faudrait-il un cadre juridique international plus global
afin qu’un individu visé par des sanctions bénéficie d’un véritable
statut à cet égard? C’est une question à laquelle l’Assemblée devrait
certainement continuer à réfléchir dans un rapport séparé.
5. Promouvoir
un statut de parlementaire exonératoire de sanctions
71. Il n’existe aucun statut spécifique
des parlementaires en droit international. Ceux-ci ne jouissent d’aucune
protection internationale et ne sont pas visés par les conventions
de Vienne sur les relations diplomatiques ou d’autres conventions
similaires. Tout au contraire, ainsi que l’analyse présentée ci-dessus
le démontre, il existe des régimes nationaux, comme internationaux,
qui sont susceptibles de restreindre une mission parlementaire au-delà
du cadre national. De telles situations sont vécues avec frustration
par les parlementaires eux-mêmes, comme autant d’obstacles aux actions
entreprises sous l’égide de la diplomatie parlementaire. Sans doute
est-il nécessaire de réfléchir aux moyens de renforcer la protection
de l’action parlementaire dans le contexte international. Aussi
le rapporteur a-t-il identifié deux éléments susceptibles de constituer
un embryon de régime de protection internationale, dont les parlementaires
peuvent se prévaloir dans leurs missions internationales – la liberté
d’expression et les (éventuelles) immunités – et dont la portée pourrait
être davantage renforcée.
5.1. La
liberté d’expression des parlementaires
5.1.1. Liberté
de mouvement des parlementaires comme corollaire de leur liberté
d’expression
72. Le droit à la liberté d’expression
des parlementaires possède une portée tellement large que son exercice
peut déjouer des restrictions, y compris les mesures de rétorsion
. En effet, l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme est susceptible d’engager la responsabilité
conventionnelle d’un Etat à la fois pour l’interdiction de visas
ou d’entrée du territoire et pour des menaces non-matérialisées de
poursuites pour la violation du régime d’entrée sur le territoire
. En effet, la Cour européenne des
droits de l’homme a développé le concept de l’effet dissuasif («chilling
effect») en vertu duquel certaines dispositions juridiques peuvent
avoir un effet décourageant sur l’exercice des droits légitimes
.
73. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé dans une
série d’affaires concernant des parlementaires ou d’autres personnalités
qui avaient essuyé un refus d’admission dans un Etat membre que leur
droit à la liberté d’expression était touché par ce refus. Tel est
le cas dans l’affaire
Piermont c. France,
qui concernait une interdiction d’entrée imposée par les autorités
françaises à une députée européenne de nationalité allemande
.
74. Cette députée au Parlement européen avait été expulsée d’un
territoire français (Polynésie), avec interdiction d’y revenir,
suite à sa participation à une manifestation publique de soutien
aux revendications indépendantistes et antinucléaires, puis, elle
s’était vu interdire l’entrée sur un autre territoire français (Nouvelle-Calédonie).
La Cour, relevant toutefois que Mme Piermont «ne se trouvait pas
en mission pour le compte du Parlement européen», constate qu’il
y a eu violation de l’article 10 de la Convention, puisque son intervention
participait du débat démocratique, et que la défense de l’ordre
comme le respect de l’intégrité territoriale ne justifiaient pas
une telle atteinte à sa liberté d’expression. C’est l’affirmation
par la Cour d’un statut particulier de la liberté d’expression politique,
qui fait l’objet d’une protection renforcée et qu’on ne saurait restreindre
sans raisons impérieuses, qui éclaire le débat sur la liberté de
circulation, la Cour jugeant que la mesure d’interdiction d’entrée
sur le territoire constituait «une ingérence dans l'exercice de
la liberté d'expression de la requérante, garanti par l'article
10», «puisque, retenue à l'aéroport, l'intéressée n'a pu entrer en
contact avec les personnalités politiques qui l'avaient invitée
et exprimer ses idées sur place». Par cet arrêt, la Cour ajoute
une dimension nouvelle à la liberté d'expression: celle-ci implique
nécessairement celle d'aller et venir pour exposer et défendre ses
idées.
75. De même, dans l’affaire
Adams et
Benn c. Royaume Uni (où
il avait été interdit au premier requérant, un ex-député, de se
rendre au parlement de Westminster pour s’adresser à un groupe de
parlementaires à l’invitation de l’un d’entre eux), la Commission
européenne des droits de l’homme a jugé que «l’arrêté d’interdiction
d’entrée pris à l’encontre du premier requérant a empêché celui-ci
de participer à une réunion à la Chambre des communes, à laquelle
il avait été invité par le second requérant. Partant, le premier
requérant a subi une restriction à sa liberté d’expression et à
sa liberté de communiquer des informations ou des idées et une restriction
a été apportée au droit du second requérant de recevoir des informations
ou des idées au sens du premier paragraphe de l’article 10».
76. Le fait d’imposer une interdiction d’entrée à des parlementaires
(même quand elle émane d’une juridiction étrangère et même dans
des circonstances où les intéressés n’ont pas le droit indépendant
de se rendre devant la juridiction en question) est susceptible
d’empiéter sur le droit à la liberté d’expression des parlementaires
auxquels cette interdiction a été imposée ainsi que des parlementaires
auxquels les intéressés ont proposé de s’adresser ou avec qui ils
souhaitaient entamer un dialogue.
5.1.2. Vers
davantage de garanties contre l’ingérence dans la liberté d’expression
des parlementaires?
77. Toutefois, un parlementaire
ne serait pas automatiquement protégé par l’article 10 à chaque
fois qu’il souhaitera se rendre, y compris à l’invitation de ses
pairs, dans un Etat tiers, dans une zone de conflit ou sur un territoire
occupé. Car le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu.
Même si une interdiction d’entrée imposée à un parlementaire «empiète»
sur sa liberté d’expression (c’est-à-dire qu’elle relève de la portée
de son droit à la liberté d’expression), cela ne signifie pas en
soi qu’elle soit inacceptable. Cela implique simplement que l’interdiction
d’entrée en question doit être «justifiée» par l’Etat au regard
des exigences énoncées à l’article 10.2 de la Convention européenne
des droits de l'homme. Les plus pertinentes de ces exigences pour
notre propos sont celles 1) de légalité (c’est-à-dire de sécurité
juridique et de refus de tout pouvoir arbitraire); 2) de proportionnalité
(par exemple, l’interdiction d’entrée ne doit pas constituer une ingérence
disproportionnée dans le droit d’une personne à la liberté d’expression).
78. In fine il revient donc
souvent au juge d’exercer son contrôle sur les mesures d’interdiction
ou de restrictions opposées aux parlementaires, et d’apprécier notamment
s’il y a violation de leur droit à la liberté d’expression. Au niveau
national, les inscriptions sur les listes d’interdiction de territoire
sont susceptibles d’un contrôle juridictionnel tout comme au niveau
de l’Union européenne qui dispose d’un contrôle judiciaire étendu sur
les mesures de restrictions (voir chapitre 4.3.1 ci-dessus).
79. Toutefois, le rapporteur n’est pas convaincu que la simple
existence d’un contrôle juridictionnel protégera les parlementaires
contre l’arbitraire. Ainsi, compte tenu des effets néfastes que
la restriction de déplacement peut avoir pour l’accomplissement
des missions des parlementaires, des garanties suffisantes doivent
être fournies aux parlementaires souhaitant exercer leur droit à
la liberté d’expression hors du cadre national, et en particulier:
- les cas dans lesquels les mesures
restrictives, les dispositions régissant les listes d’interdiction
du territoire ou les régimes spécifiques de circulation peuvent
restreindre la liberté de circulation de membres de parlements étrangers
doivent être identifiés, si ce n’est de manière exhaustive, à défaut
de manière précise;
- les membres de parlements étrangers qui ont fait l'objet
de sanctions dans un Etat tiers doivent être informés de l’existence
de telles mesures, ainsi que des raisons qui les ont motivées;
- un lien étroit doit exister entre une mesure de restriction
imposée au membre d’un parlement étranger et le but visé. Par exemple,
les motifs de sécurité nationale ne doivent pas être utilisés pour
restreindre l’accès d’un parlementaire qui exprime certaines positions
politiques de manière pacifique;
- des membres de parlements étrangers doivent pouvoir soumettre,
dans un bref délai, leurs observations auprès de l’organe qui a
imposé ou menace d’imposer une restriction (en particulier si l’autorité
en question a la compétence de lever la restriction);
- avant l’aboutissement d’une contestation dirigée contre
une restriction, celle-ci devrait être suspendue.
5.2. Immunités
des parlementaires
80. Afin de protéger leur indépendance,
de garantir leur liberté de jugement, d’expression et de décision
et de se prémunir contre les abus du pouvoir coercitif de l’Etat,
les parlementaires jouissent au sein de la plupart des Etats membres
du Conseil de l'Europe, d’une immunité spécifique, qui se décline
en deux catégories: la «non-responsabilité» face aux actions en
justice intentées pour les opinions émises et les votes exprimés
dans le cadre de leur activité parlementaire, et «l'inviolabilité»
qui présente un caractère personnel et protège les parlementaires
contre l'arrestation, l'incarcération ou les poursuites pour des
infractions visant des actes accomplis par eux en tant que simples
citoyens. Les garanties offertes par l’immunité parlementaire, en
ses deux aspects, procèdent de la même nécessité, à savoir assurer
l’indépendance du parlementaire dans l’accomplissement de sa mission
et visent à garantir le fonctionnement et l’intégrité de l’institution parlementaire.
81. L’existence d’un régime d’immunité dérogatoire au droit commun,
la culture du libre exercice du mandat et le pouvoir du contrôle
sur l’exécutif confèrent aux parlementaires le sentiment qu’ils
continuent de bénéficier des mêmes privilèges au-delà des frontières.
Ce sentiment est d’autant plus fort en Europe où les Etats sont liés
depuis longtemps par des engagements de garantir la liberté de circulation,
que ce soit de par leur adhésion à des conventions, dans le cadre
intra-Union européenne, ou en raison d’obligations générales relevant
des droits fondamentaux de l’homme. Or, la réalité est plus nuancée
et les garanties dont les parlementaires peuvent se prévaloir le
cas échéant dans leurs «missions internationales» ne relèvent pas
de leur statut d’élu national mais bel et bien de régimes spécifiques.
5.2.1. Immunités
des membres des parlements nationaux dans un autre Etat
82. De manière générale, dans aucun
des Etats membres la loi nationale sur l’immunité des parlementaires est
considérée d’application extraterritoriale. Inversement, aucun Etat
membre ne prévoit de dispositions spécifiques pour protéger l’immunité
des parlementaires étrangers sauf celles qui découlent de l’adhésion
de l’Etat aux traités internationaux ou du droit coutumier international.
Par conséquent, les parlementaires nationaux ne peuvent pas, dans
un pays étranger, invoquer leur inviolabilité nationale, la protection
contre l'arrestation, l'incarcération ou les poursuites pour des
infractions hors du cadre de leurs fonctions parlementaires. A la
base, ils ne bénéficient que de la protection qui s’attache aux
citoyens de leur pays.
83. Toutefois, les déplacements des membres de parlements nationaux
dans un pays étranger ne sont pas exempts d’un certain nombre de
droits et de garanties. Ceux-ci diffèrent selon les cas de figure.
5.2.2. Déplacement
en qualité de représentant de l’Etat
84. Si un parlementaire national
se déplace en tant que représentant de l’Etat au sens des conventions pertinentes
ou du droit coutumier international, il bénéficie d’une protection
d’envergure qui inclut l’inviolabilité de la personne, de juridiction
(pénale et, dans certains cas, civile et administrative), des locaux
ou encore, la liberté de circulation. Dans une telle situation,
le statut de représentant de l’Etat se superpose au statut de parlementaire.
En d’autres termes, c’est le statut de représentant de l’Etat et
non pas le statut de parlementaire qui conditionne l’octroi des
immunités et privilèges diplomatiques. Dans ce cas, les personnes,
qui se trouvent être parlementaires, agissent, en exerçant une mission
de diplomatie ad hoc, au nom d’un sujet de droit international.
85. Par exemple, un parlementaire peut être un envoyé spécial,
un observateur ou délégué aux conférences internationales, être
en mission protocolaire ou de cérémonie ou toute autre mission.
Toutefois, tous les voyages à l’étranger auxquels participent les
parlementaires ne bénéficieront pas automatiquement d’une telle protection.
86. La Convention sur les missions spéciales de l’Organisation
des Nations Unies de 1969 fournit des critères stricts d’attribution
du qualificatif de «spéciale» à une mission: la mission doit être
envoyée par un Etat auprès d’un autre Etat avec le consentement
de ce dernier, pour traiter avec lui de questions déterminées ou accomplir
une tâche déterminée; elle doit être temporaire; avoir un caractère
représentatif de l’Etat (article 1). La mission spéciale doit être
qualifiée comme telle par l’Etat de réception et par l’Etat d’envoi.
Même si la convention n’a pas reçu un grand nombre d’adhésions,
elle repose sur les principes du droit coutumier international,
qui continuent de régir les questions qui n’ont pas été réglées
par la convention
.
87. Par ailleurs, les parlementaires qui siègent de manière permanente
ou continue au sein d’une délégation dans un Etat étranger ou une
institution internationale ne peuvent pas être considérés comme
étant en mission spéciale
.
88. L’on pourrait également citer, dans un autre registre, la
Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées
de l’ONU qui couvre neuf institutions spécialisées onusiennes et
se réfère aux «représentants des membres aux réunions convoquées
par une institution». Ainsi, si un parlementaire national est envoyé
par un gouvernement pour participer à une réunion de l’institution,
à titre d’expert, il se verra attribuer un statut calqué sur le
statut diplomatique, comme garantie d’indépendance dans l'exercice
de sa fonction dans le cadre de l'institution. Ces personnes bénéficieront
de l'immunité d'arrestation et de détention, de l'inviolabilité
de tous papiers et documents, de l'immunité de juridiction et de
l'exemption fiscale pour leur intervention pour l'institution.
89. Les droits diplomatiques dont bénéficieront les parlementaires
ne pourront pas être visés par des contre-mesures prises à l’encontre
d’un Etat (et visant les parlementaires)
. Notons
toutefois qu’un Etat de réception peut déclarer, et sans avoir à
motiver sa décision,
persona non grata tout
représentant de l’Etat d’envoi au sens de la mission ou tout membre
du personnel de la mission non acceptable et ce, avant ou après
l’arrivée de la mission sur place
.
90. Pour revenir à des cas pratiques, notons que les missions
des parlementaires à l’invitation d’entités privées, y compris les
partis ou groupes politiques, tout comme les missions d’enquête,
ne bénéficieraient pas du statut de mission spéciale.
91. La qualité de représentant de l’Etat d’un parlementaire conditionne
l’applicabilité et l’étendue de l’immunité de la juridiction pénale
étrangère. A ce jour, il serait trop tôt de se prononcer sur ce
sujet car la Commission du droit international a entrepris une vaste
étude
dont l’objectif est de répondre à
tous les points controversés et d’identifier l’étendue de cette
immunité et le cercle des personnes qui pourraient en bénéficier. Toutefois,
il est vraisemblable que les parlementaires en visite privée ne
bénéficieront pas de l’immunité de la juridiction pénale étrangère.
5.2.3. Déplacement
à l’invitation d’une organisation ayant conclu un accord de siège
92. Il s’agit également d’une situation
où la qualité d’invité officiel prime sur le statut de parlementaire. Nombre
d’organisations internationales disposent d’un accord de siège qui
exige de l’Etat d’accueil de ne pas mettre d’obstacle à l’accès
au siège de l’organisation par ses agents ou les experts invités.
93. Le Conseil de l’Europe et l’Organisation des Nations Unies
pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) disposent d’un
tel accord
. Les débats
sont en cours si une telle clause garantit également l’immunité
contre les poursuites et la détention de personnes recherchées ou
sous le coup d’un mandat d’arrêt. Toutefois, elle permet certainement
d’écarter l’interdiction d’entrée imposée par un Etat
.
5.2.4. Quelques
précisions concernant le passeport diplomatique
94. Il est courant qu’un amalgame
soit fait entre la possession d’un passeport diplomatique et le
bénéficie de diverses immunités dont l’immunité de juridiction.
Or, le fondement de l’immunité se trouve dans la fonction exercée
par son titulaire. Le passeport diplomatique, quant à lui, représente
un document de voyage qui facilite les conditions de déplacement
de son titulaire. Le fait de ne pas attacher le bénéfice de certains
privilèges à la délivrance de ce document est dû à la large variété
des régimes de délivrance et au périmètre variable des personnes
qui peuvent en bénéficier qui, à ce jour, relèvent entièrement du
pouvoir discrétionnaire de l’Etat.
95. Concernant le cas des parlementaires, certains pays possèdent
un régime strict, comme les Etats-Unis, où les passeports diplomatiques
sont délivrés aux élus nationaux uniquement s’ils participent aux
conférences internationales comme représentants officiels du gouvernement.
Dans d’autres pays, la délivrance de droit est conditionnée par
le fait d’occuper des postes spéciaux au sein du parlement tels
que la présidence ou la vice-présidence du parlement, la présidence
de la commission des affaires étrangères (Autriche, Belgique, Chypre, Danemark,
France, Espagne, Suède), d’être membre de délégations auprès des
institutions internationales (Suisse) ou membre du gouvernement
(Finlande). Souvent, les autres parlementaires peuvent demander
la délivrance d’un passeport diplomatique à condition de justifier
d’une mission officielle. Enfin, dans un grand nombre de pays européens,
le droit au passeport diplomatique est accordé à l’ensemble des
élus nationaux (Allemagne, Andorre, Géorgie, Grèce, Hongrie, Lettonie,
«l’ex-République yougoslave de Macédoine», Lituanie, Luxembourg,
République de Moldova, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Fédération
de Russie, République slovaque, Slovénie, République tchèque, Turquie,
Ukraine).
96. Notons que c’est la qualité en vertu de laquelle voyage le
parlementaire et non pas son document de voyage qui va être examinée
afin de déterminer le périmètre des garanties.
5.2.5. Déplacement
en qualité de parlementaire à l’invitation du pays d’accueil sans
mission représentative
97. Dans certaines situations,
les parlementaires sont amenés à se déplacer dans un pays étranger
sans pour autant que leur voyage soit considéré comme officiel ou
représentatif d’une institution ou de l’Etat par leur pays d’origine.
Toutefois, en remettant une invitation officielle ou en acceptant
une visite, les autorités conviennent implicitement de garantir
la protection juridique et physique d’un parlementaire. Dans de
tels cas, le statut du parlementaire ne reposera pas sur un texte
particulier mais sur les pratiques adoptées par chaque pays. Souvent,
le parlementaire bénéficiera au moins de l’inviolabilité, voire
du même traitement que celui appliqué aux députés nationaux.
5.2.6. Déclarations
unilatérales
98. En droit international, un
Etat dispose d’un outil, la «déclaration unilatérale», qui lui permet
d’accepter ou de créer des droits et obligations ou, inversement,
de les limiter ou les exclure. Un tel acte unilatéral, quel que
soit son libellé ou sa désignation, créé pour l’Etat qui accepte
volontairement un engagement des obligations juridiques sur le plan
international vis-à-vis d’un ou plusieurs Etats ou d’autres entités internationales.
Cet outil permet donc de pallier l’absence de cadre statutaire ou
l’impossibilité d’en élaborer un en temps voulu. Par exemple, dans
le cadre de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne,
des déclarations unilatérales sont utilisées pour garantir les immunités
et privilèges au personnel des missions dans l’Etat d’accueil, le
temps de la négociation et de la conclusion de l’accord sur le statut
de ces missions. Appliquée aux cas des élus étrangers, y compris
aux délégations bénéficiant auprès de l’Assemblée parlementaire
du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie, cette
pratique permettrait à la fois de renforcer le statut protecteur
des parlementaires en mission sans recourir à la négociation de
nouveaux traités ou la révision des traités existants, et de tenir
compte du contexte interne particulier au Conseil de l'Europe
.
5.2.7. Déplacement
en tant que membre d’une assemblée internationale
99. En 1939, on comptait uniquement
trois organisations parlementaires à vocation internationale: l’Union interparlementaire,
l’Union interparlementaire nordique et l’Association parlementaire
du Commonwealth. Aujourd’hui plus de cent forums parlementaires,
formels ou informels, sont en place
. Leurs formes juridiques, structures et
leurs compétences varient. Certaines relèvent du droit privé national,
d’autres ont été créés par les traités internationaux conclus par
les Etats. Plus un organe est intégré dans le contexte intergouvernemental
international, plus il bénéficiera des immunités et privilèges diplomatiques
qui lui seront reconnus par un accord de siège
,
un traité
ou
son protocole
.
100. Les privilèges et immunités, dont la libre circulation des
membres des assemblées dans l’exercice de leur fonction, ne peuvent
pas être garantis sans le consentement explicite de l’Etat ou du
groupe d’Etats concernés. Le privilège de libre circulation découle
du pouvoir de contrôle discrétionnaire des Etats sur leurs frontières,
consacré par le droit international public
,
même si ce droit discrétionnaire pourrait être atténué par les impératifs
du droit humanitaire et des droits fondamentaux
.
101. L’examen du Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union
européenne serait peut-être moins pertinent pour ce rapport compte
tenu du régime spécifique de circulation qui existe entre les Etats
membres de l’Union européenne. En revanche, l’Accord général sur
les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe est intéressant
car il offre des garanties étendues de la part des Etats signataires
visant le libre déplacement des membres de l’Assemblée et leur protection
contre les poursuites judiciaires et la détention qui permet de déjouer
à la fois l’interdiction d’entrée ou de visas ou les poursuites
pour le non-respect des régimes d’entrée ou de circulation, comme
par exemple la législation sur les territoires occupés.
102. La commission du Règlement a déjà été amenée à examiner des
cas de restriction aux déplacements de membres de l’Assemblée parlementaire
et a rappelé à ces occasions l’existence d’une obligation des Etats membres
de reconnaître et de protéger à la fois la liberté de circulation
et l’immunité des membres de l’Assemblée
:
s’agissant de membres dument missionnés par l’Assemblée, en vertu
du Statut du Conseil de l'Europe et de l’Accord général sur les
privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et de son Protocole,
tous les Etats membres du Conseil de l'Europe se sont engagés à
garantir le libre déplacement des membres de l’Assemblée; ainsi,
dès lors qu’un Etat membre accueille une réunion ou une manifestation
officielle organisée par l’Assemblée, celui-ci doit faciliter la
participation des membres de l’Assemblée, et délivrer les visas nécessaires
à l’entrée sur son territoire; il doit également garantir l’immunité
des membres de l’Assemblée contre toute poursuite judiciaire ou
mesure d’arrestation ou de détention conformément à ses obligations
de droit international public.
103. Ainsi, par le jeu de l’Accord du Conseil de l'Europe, les
membres de la délégation russe inscrits sur la liste des sanctions
de l’Union européenne peuvent néanmoins participer aux travaux de
l’Assemblée: M. Narychkine et M. Slutsky ont pu se rendre à Paris
en septembre 2014 pour assister à une réunion de la commission de
suivi et à Strasbourg pour l’ouverture de la session 2015 de l’Assemblée.
104. Toutefois, même si le régime dérogatoire prévu par ce type
d’accord permet aux parlementaires sous le coup d’interdictions
de participer aux événements internationaux et de maintenir ainsi
le dialogue avec leurs interlocuteurs, le rapporteur déplore que
les mesures de restriction de l’Union européenne, les listes des interdictions
de territoire ou les menaces de poursuites pour avoir exercé la
liberté de circulation, restreignent inévitablement et de façon
regrettable une partie des contacts interparlementaires, ce qui
peut compromettre l’efficacité de la diplomatie parlementaire, favoriser
les clivages et faire obstacle à la recherche d’une solution au
problème à l’origine desdites sanctions. De surcroît, il convient
de rappeler que d’autres tribunes parlementaires ne disposent pas
d’instrument conventionnel de ce type et tout dialogue parlementaire multilatéral
ou bilatéral y est gelé.
105. En conclusion, le rapporteur considère que la réflexion doit
se poursuivre, sur les bases susmentionnées, tant au niveau du Conseil
de l'Europe que dans d’autres sphères internationales, afin que soit
pris en compte la spécificité de l’action parlementaire internationale
et que ceux qui l’exercent se voient doter de droits et de garanties
suffisantes.
6. Compléter
le code de conduite des membres de l’Assemblée parlementaire?
106. Le rapporteur observe l’accroissement
du nombre de différends impliquant des membres de l’Assemblée parlementaire
revendiquant leur liberté de mouvement, mais exposés à des procédures
pénales ou administratives nationales, que ces membres aient été
ou non missionnés par elle pour leur déplacement (ou leur tentative
de déplacement) dans un des Etats membres du Conseil de l’Europe.
Il est incontestable que ces affaires sont directement liées aux
déplacements effectués par ces parlementaires dans des zones de conflits
«gelés», à savoir des territoires sécessionnistes ou occupés, non
reconnus par la communauté internationale.
107. Sans doute attend-on d’une organisation internationale, telle
que le Conseil de l'Europe, et d’un forum interparlementaire comme
son Assemblée d’offrir un cadre de réflexion plus approprié que
les parlements nationaux eux-mêmes, pour déterminer ce que doivent
être les droits, les obligations et la conduite des parlementaires
– et ce que doivent être les obligations des Etats – dans ce contexte
bien spécifique qui voit s’opposer les arguments de bonne foi revendiquant,
de part et d’autre, le respect du droit international. Parallèlement,
c’est l’engagement de coopération des Etats membres vis-à-vis de
l’Assemblée qui est aussi en cause, lorsque ceux-ci imposent à des
membres de l’Assemblée en mission des restrictions à l’entrée sur leur
territoire.
108. Le rapporteur s’interroge également sur le rôle et les limites
du code de conduite des membres de l’Assemblée parlementaire dans
le traitement des affaires récentes impliquant des membres de l’Assemblée ayant
enfreint des législations nationales dans le cadre de leur activité
parlementaire, sans lien avec leur mandat à l’Assemblée.
109. Aussi y a-t-il lieu de poursuivre la réflexion, sans doute
en dehors du cadre du présent rapport, d’une part, s’agissant des
obligations des membres de l’Assemblée, afin d’examiner l’opportunité
de compléter leur code de conduite, et, d’autre part, s’agissant
de l’engagement de coopération des Etats membres, afin d’examiner
l’opportunité d’élaborer des lignes directrices relatives aux missions
des membres de l’Assemblée dans les Etats du Conseil de l'Europe.
Tel est le mandat que le Bureau de l’Assemblée a donné à la commission,
le 31 août 2015, en lui demandant de préparer un avis sur les défis
à la coopération des Etats membres avec l’Assemblée s’agissant de
la libre circulation des membres de l’Assemblée.
7. Propositions
110. En droit international, l’Etat
est et reste le seul détenteur de la souveraineté ce qui a une incidence
sur la capacité des membres du parlement à agir hors du cadre national.
Pourtant, l’internationalisation des activités parlementaires au
cours de ces dernières décennies a poussé les Etats à abandonner progressivement
une conception traditionnelle de la diplomatie. Ce constat, développé
dans l’analyse exposée précédemment, met en évidence l’inadéquation
du cadre juridique international dans lequel s’exercent les missions
des parlementaires nationaux due, notamment, à l’absence de statut
international du parlementaire et à la fragmentation de ses droits
et libertés hors cadre national. Cela nuit au principe de sécurité
juridique et entretient l’incertitude quant à l’existence et à l’étendue
des droits et privilèges des parlementaires vis-à-vis d’un Etat
tiers.
111. Alors que pèse désormais une responsabilité accrue des parlementaires
du fait de leurs actions et décisions, avec la mise en cause éventuelle
de leur responsabilité individuelle en droit international, le moment est
propice à la réflexion quant à la promotion en droit international
public d’un statut international du parlementaire. Les travaux en
cours de la commission du droit international (Nations Unies) sur
l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de
l’Etat, par exemple, vont indéniablement dans ce sens.
112. Le rapporteur admet que cette réflexion pourrait se heurter
à une objection fondamentale visant le caractère dérogatoire d’un
tel statut spécial, notamment au regard du principe de non-discrimination
et d’égalité devant la loi. Pourquoi introduire une protection spéciale
pour les parlementaires? D’une part, parce que l’attribution d’un
statut international protecteur se fonde sur la nécessité de garantir
l’indépendance de tout parlement national dans l'accomplissement
de sa mission. De surcroît, si les actes d’un parlement peuvent déclencher
une responsabilité de l’Etat, ne doit-il pas bénéficier, à son tour,
de l’immunité de l’Etat pour protéger ses membres de manière plus
pérenne?
113. Au vu des considérations qui précèdent, le rapporteur propose
que, dans un
projet de résolution, l’Assemblée
:
- recommande aux Etats membres:
a. d’examiner la question
des droits et obligations des élus nationaux d’un pays étranger
en déplacement sur leur territoire, afin de leur reconnaître des
garanties suffisantes leur permettant d’exercer librement et efficacement
leurs fonctions en dehors du cadre national, y compris leur liberté
de mouvement et liberté d’expression, et l’inviolabilité de leur
personne, conformément aux prescriptions de la Convention européenne
des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour;
b. de garantir aux membres de parlements étrangers visés
par des mesures restrictives, telles que l’inscription sur la liste
d’interdiction d’entrée ou de visa, la protection juridictionnelle
effective, en prévoyant une procédure transparente d’inscription
et de recours;
- encourage l’Union interparlementaire
à développer et à promouvoir un corps de règles applicables aux parlementaires
qui se rendent à titre professionnel à l’étranger afin de stimuler
la coopération internationale interparlementaire et d’appuyer l’engagement
des élus nationaux envers la diplomatie parlementaire;
- invite les parlements nationaux:
a. à renforcer le conseil
et le soutien à la conduite des missions des parlementaires hors
du cadre national en mettant en place des lignes directrices, et,
le cas échéant, les formations appropriées pour les membres du parlement
et des services concernés;
b. à poursuivre les réflexions internes sur les moyens de
renforcer la cohérence de la politique institutionnelle et la mise
en place de la stratégie dans le domaine du développement de la
diplomatie parlementaire.
114. Par ailleurs, le rapporteur
estime nécessaire d’inviter, par un
projet
de recommandation, le Comité des Ministres:
a. à rappeler aux Etats membres du
Conseil de l’Europe leurs engagements au titre de l’Accord général sur
les privilèges et immunités (STE no 2)
et son Protocole (STE no 10), ainsi que
leur rôle actif dans la facilitation des déplacements des membres
de l’Assemblée parlementaire;
b. à lancer une étude de faisabilité sur l’opportunité d’élaborer
un statut international du parlementaire, dont il pourrait charger
le Comité des conseillers juridiques sur le droit international
public du Conseil de l'Europe (CAHDI);
c. à inviter les Etats membres, afin de pallier les lacunes
du cadre réglementaire international, à faire usage des déclarations
unilatérales pour élargir les immunités et privilèges des élus étrangers
en mission sur leurs territoires.
115. Enfin, la commission du Règlement pourrait s’interroger sur
l’opportunité de compléter le code de conduite des membres de l’Assemblée
parlementaire, et également examiner l’opportunité d’élaborer des lignes
directrices relatives aux missions des membres de l’Assemblée dans
les Etats du Conseil de l'Europe. Le rapporteur considère que ces
questions très spécifiques ne devraient pas être développées dans
le cadre du présent rapport, mais faire l’objet, au moins dans un
premier temps, d’un avis au Bureau de l’Assemblée, en liaison avec
la demande de celui-ci d’examiner les défis à la coopération des
Etats membres avec l’Assemblée s’agissant de la libre circulation
des membres de l’Assemblée.