1. Introduction
1. Lorsqu’en décembre 2014, la
commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
m’a confié la préparation d’un rapport issu de la fusion de deux
propositions de résolution sur l’afflux massif de réfugiés, de demandeurs
d’asile et de migrants en Grèce et en Italie, l’idée était d’adopter
une approche globale pour traiter ce qui apparaissait alors comme
le plus grand défi jamais posé aux Etats membres du Conseil de l’Europe
dans le domaine des migrations et des réfugiés.
2. Les années précédentes avaient été marquées par une progression
constante du nombre de migrants traversant la Méditerranée, une
augmentation du nombre d’arrivées et une multiplication des épisodes tragiques;
par ailleurs, la situation dans les pays d’accueil devenait de plus
en plus préoccupante. Les débats sur la répartition des responsabilités,
la solidarité, les droits de l’homme des réfugiés et des migrants,
l’impératif de sauver des vies en mer et de lutter contre les réseaux
de passeurs venaient à peine de s’ouvrir dans nombre de pays européens
qui jusqu’alors, ne s’étaient pas sentis directement concernés par
ce phénomène.
3. A partir du premier semestre de 2015, cependant, les développements
dans le domaine des migrations relevant de mon mandat ont reçu une
attention sans précédent de la part des responsables politiques
et de l’opinion publique. Le principal facteur déclenchant de ce
changement a été l’incident tragique survenu en mer le 18 avril 2015,
qui a battu tous les tristes records précédents en termes de pertes
de vies humaines puisque plus de 700 hommes, femmes et enfants ont
péri en un seul naufrage.
4. Depuis, la crise des migrations et des réfugiés reste en tête
des priorités politiques dans toute l’Europe. Malheureusement, malgré
les efforts réitérés des responsables politiques, aucun consensus
clair et global n’a encore été atteint concernant la gestion des
conséquences à court terme, l’élaboration de solutions à moyen et
long terme et la façon de remédier aux causes de l’intensification
des flux migratoires.
5. L’Assemblée parlementaire, pour sa part, suit la question
des migrations irrégulières en Méditerranée et ses divers aspects
depuis longtemps, comme le montrent un certain nombre de ses résolutions
, telles que la
Résolution 2050 (2015) «La tragédie humaine en Méditerranée: une action immédiate
est nécessaire», adoptée selon la procédure d’urgence en réaction
aux décès tragiques survenus en mer. Elle a également tenu deux
débats d’actualité sur la nécessité d’une réponse européenne commune
aux défis en matière de migration au cours de la troisième partie
de la session de 2015 et sur une réponse humanitaire et politique globale
à la crise des migrations et des réfugiés en Europe lors de la quatrième
partie de la session de 2015.
6. Les travaux passés et actuels de la commission directement
liés au sujet du présent rapport ont rendu ma tâche particulièrement
difficile, m’obligeant à trouver un moyen de faire le tour de la
question sans redondance avec le travail de mes collègues rapporteurs.
Je me suis efforcée de réaliser cette tâche au mieux, en m’efforçant
de me concentrer sur des priorités bien définies. Mon travail a
pour objet d’analyser l’évolution de la situation en matière de
migrations en Méditerranée dans le contexte plus vaste des enjeux
liés aux migrations et aux réfugiés en Europe, de définir les problèmes
auxquels sont confrontés les pays d’entrée, d’identifier les faiblesses
dans la protection des droits de l’homme de ceux qui entreprennent
un tel voyage, puis de formuler des recommandations visant à améliorer
la situation vue de manière plus large.
7. Je mentionnerai systématiquement les travaux de mes collègues
dès qu’il y aura lieu, notamment pour tout ce qui concerne la répartition
des responsabilités, les difficultés rencontrées par les pays de
transit et les mesures prises par la communauté internationale pour
combattre les réseaux criminels qui transportent illicitement des
migrants et faire face à la situation humanitaire dramatique des
réfugiés syriens dans les pays voisins de la Syrie, dont la Turquie.
J’invite tous ceux qui souhaitent une analyse plus approfondie de
ces questions à consulter les rapports correspondants.
8. Au cours de la préparation du présent rapport, j’ai effectué
deux visites d’information, l’une en Italie (Catane et Rome, 6-7 juillet 2015)
et l’autre au siège de l’Agence européenne pour la gestion de la
coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats
membres de l’Union européenne (Frontex) à Varsovie (28 août 2015).
A Catane, l’un des principaux points d’entrée en Europe des migrants
et réfugiés arrivant par la mer, j’ai rencontré tous les principaux
intervenants dans le processus d’accueil, et notamment la préfète Maria
Guia Federico, les représentants des pouvoirs et services locaux,
dont le chef des services de police, le commandant en chef du corps
de garde-côtes, le commissaire spécial des autorités portuaires,
le procureur de l’Etat, le procureur public, le chef des services
d’intervention sanitaire d’urgence, l’Office sanitaire maritime transfrontalier
et le responsable de l’action sociale de la commune de Catane, ainsi
que des organisations internationales parmi lesquelles le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM), Save the Children et le Comité international
de la Croix-Rouge. J’ai visité le «Cara Mineo», plus grand centre
d’accueil en Europe, qui héberge près de 4 000 personnes. A Rome,
j’ai eu une série d’entretiens au ministère de l’Intérieur avec
le sous-secrétaire d’Etat Domenico Manzione, le préfet Mario Morcone
du département de l’immigration et de la police des frontières et
la préfète Sandra Sarti du département de l’immigration et des libertés
civiles. Je tiens à remercier la délégation italienne et son président
M. Michele Nicoletti pour l’excellente organisation de la visite.
9. Au siège de Frontex, j’ai rencontré le directeur exécutif
de l’Agence M. Fabrice Leggeri et ses collaborateurs, notamment
le directeur de la division des opérations et l’officier en charge
des droits fondamentaux. A nouveau, je tiens à remercier tous mes
interlocuteurs pour nos échanges très instructifs et utiles.
10. Je me suis également appuyée sur les conclusions de la sous-commission
ad hoc de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées qui, sur l’invitation des autorités locales de Kos (Grèce) et
avec le soutien du Parlement grec, a visité les structures d’accueil
de l’île les 24 et 25 octobre 2015.
2. Vue d’ensemble des migrations
irrégulières dans le bassin méditerranéen
11. Le phénomène des traversées
clandestines de la Méditerranée s’observe depuis de nombreuses années
mais le nombre de migrants concernés est longtemps resté relativement
faible. Il est estimé que sur quinze ans, entre 1998 et 2013, environ
623 000 réfugiés et migrants ont atteint les rivages de l’Union européenne,
soit en moyenne moins de 40 000 personnes par an
.
12. Ce dernier chiffre pourrait toutefois se révéler quelque peu
trompeur car le nombre de réfugiés et de migrants a été en augmentation
constante. En 2013, il s’élevait à 60 000.
13. C’est au cours du second semestre 2014 que les chiffres ont
explosé. Fin avril 2014, le ministère de l’Intérieur italien avait
à lui seul déjà enregistré 26 644 arrivées. A la fin de cette même
année, il y avait eu 170 000 arrivées en Italie, auxquelles il convient
d’y ajouter celles enregistrées au sud de l’Europe (principalement
en Grèce et à Malte), au nombre de 30 000.
14. L’augmentation du nombre d’arrivées s’est confirmée et accélérée
durant les premiers mois de l’année 2015 et au cours de l’année,
un total estimé d’un million de personnes ont atteint les diverses
rives européennes de la Méditerranée.
15. Ces trois derniers mois, nous avons assisté à une hausse sans
précédent du nombre de traversées irrégulières, en particulier vers
la Grèce. Les changements de routes migratoires ont entraîné plus
de 368 000 arrivées par mer sur les îles grecques, en particulier
Lesbos, Kos, Chios, Samos et Leros, de janvier à fin août 2015.
Le nombre moyen d’arrivées journalières a presque doublé, passant
de 1 600 en juillet à 2 900 en août. Durant le seul mois d’août,
il y a eu près de 81 000 arrivées, soit près de deux fois le total
de l’année 2014. En septembre, le nombre d’arrivées a été estimé
à un minimum de 5 000 à 6 000 par jour.
16. La situation est fluctuante et il est difficile, à l’heure
où nous rédigeons le présent rapport, de prédire son évolution.
Malheureusement, et on l’a vu encore récemment, le nombre de morts
en mer a affiché une augmentation proportionnelle. D’après les chiffres
du HCR, il y en a eu 1 500 en 2011, 500 en 2012 lorsque les opérations
de recherche et de sauvetage se sont intensifiées, augmentant à
600 en 2013. La hausse a été impressionnante en 2014, où l’on a
compté 3 500 décès.
17. En 2015, 1 892 personnes ont péri en mer entre le 1er janvier
et le 8 juillet. Le nombre de victimes a atteint un niveau record
en avril 2015 avant de connaître une baisse spectaculaire à partir
de mai 2015: ainsi, entre janvier et mars, 479 personnes se sont
noyées ou ont été portées disparues (contre 15 sur les trois premiers
mois de l’année précédente). Dans le seul mois d’avril, plusieurs
naufrages ont fait 1 380 morts au total (contre 42 en avril 2014),
nombre sans précédent. En mai 2015, ce chiffre est passé à 68, soit
un quart du chiffre de l’année précédente (226 en mai 2014). Cette
tendance à la baisse s’est poursuivie en juin 2015 (12 morts contre
305 au cours du même mois un an plus tôt) et les mois suivants.
Quoi qu’il en soit, selon les chiffres largement admis, le nombre
total de décès au 31 décembre 2015 était de 3 771.
18. La baisse des incidents mortels s’explique par l’intensification
des opérations de recherche et de sauvetage après la tragédie du
18 avril 2015. Les victimes ne peuvent malheureusement pas être
totalement évitées, comme on a pu le voir avec la photo tristement
célèbre d’un petit garçon de trois ans mort noyé entre la Turquie
et la Grèce. Je reviendrai sur ce point dans le prochain chapitre.
19. D’après les informations communiquées dans un rapport du HCR,
un tiers des personnes arrivées par la mer en Italie et en Grèce
sur la période considérée venaient de Syrie, un pays dont il est
établi quasi unanimement que les ressortissants peuvent prétendre
au statut de réfugié ou à une autre forme de protection humanitaire.
En deuxième et troisième position des pays d’origine viennent l’Afghanistan
et l’Erythrée, dont les ressortissants sont eux aussi le plus souvent
considérés comme admissibles au bénéfice du statut de réfugié.
20. Il y a aussi, parmi les migrants qui quittent les côtes de
la Libye, des Nigérians (3 300 en 2014 et 7 900 entre janvier et
juin 2015), des Somaliens (2 300 et 6 300 respectivement), des Gambiens
(3 500 et 3 500), des Soudanais (730 et 3 500) et des Sénégalais
(1 800 et 2 800).
21. D’une manière générale, d’après les déclarations publiques
des responsables du HCR, la majorité de ceux qui arrivent (jusqu’à
70 % selon les estimations) peuvent être considérés comme des réfugiés
et non des migrants économiques, et devraient à ce titre bénéficier
d’une protection humanitaire. Et d’après le rapport du HCR publié
en juillet 2015, la grande majorité des migrants qui ont traversé
la Méditerranée au cours des six premiers mois de l’année 2015 fuyaient
la guerre, les conflits ou la persécution et remplissaient les conditions requises
pour bénéficier d’une protection internationale en vertu de la Convention
de 1951 relative au statut des réfugiés. Cela signifie que la crise
méditerranéenne est donc avant tout une crise des réfugiés.
22. Il existe plusieurs routes maritimes pour rejoindre l’Europe,
et elles changent très rapidement au gré de l’évolution des circonstances
extérieures et notamment des mesures et conditions de contrôle des
migrations dans les pays d’origine, de transit et de destination.
23. En 2014, l’itinéraire le plus emprunté était celui qui traverse
la Méditerranée en son centre avec pour principaux points de départ
la Libye (90 %) et l’Egypte, et pour principaux points d’arrivée
l’Italie et Malte. En 2014, l’Italie a accueilli 170 100 migrants
venus par cette voie et Malte et la Grèce 30 000 sur un total de 210 000 arrivées
en Europe par la mer. La route de la Méditerranée centrale était
même empruntée par des Syriens et d’autres réfugiés et migrants
venus d’Asie.
24. En 2015, la situation a changé et la route de l’est méditerranéen
passant par la Turquie pour rejoindre la Grèce est devenue l’itinéraire
privilégié. D’après l’OIM, au 1er juillet 2015,
69 000 personnes avaient gagné l’Italie par la mer depuis le début
de l’année. Comme nous l’avons vu, la Grèce a dans le même temps enregistré
plus de 205 000 arrivées.
25. La majorité de ceux qui arrivent en Grèce aujourd’hui sont
des réfugiés de Syrie. Ils ont dans un premier temps fui vers la
Turquie, le Liban ou d’autres pays voisins où ils sont, dans bien
des cas, restés plusieurs années. La Turquie en a accueilli à elle
seule 2 millions. Toutefois, après des années de pressions migratoires croissantes
et faute de soutien international adéquat, les économies des pays
d’accueil voisins sont à bout de souffle; il est donc de plus en
plus difficile pour les réfugiés de trouver un toit ou du travail
et d’avoir accès à des soins de santé et à l’éducation. C’est ce
qui décide certains d’entre eux à prendre la mer avec les dangers que
cela comporte.
26. La plupart des migrants qui arrivent souhaitent se rendre
en Europe du Nord, principalement en Allemagne, en Autriche et en
Suède, en passant par les Balkans occidentaux selon des itinéraires
qui changent en fonction des circonstances. Cette situation est
due en partie à une saturation des capacités d’accueil des pays
d’arrivée, la Grèce et l’Italie. D’autres éléments entrent également
en jeu, notamment une plus grande attractivité de certains pays
sur le plan des prestations sociales, des perspectives d’emploi
et de l’existence de communautés de réfugiés déjà installées. La
rapporteure sur les «Pays de transit: relever les nouveaux défis
de la migration et de l’asile», Mme Tineke Strik, a préparé un addendum
à son rapport dans lequel elle présente en détail ces nouvelles
évolutions; j’invite toutes les personnes intéressées à s’y reporter
.
27. La traversée de la Méditerranée est presque entièrement contrôlée
par des réseaux criminels bien organisés. Le trafic illicite de
migrants est devenu une activité très lucrative. On sait que les
migrants et les réfugiés versent entre € 1 000 et € 2 000 par personne
pour un voyage vers l’Europe. Les représentants de Frontex m’ont
informée que les bateaux pneumatiques dont se servent actuellement
les passeurs sont importés de Chine. Leur prix, avec un moteur,
ne dépasse pas les € 1 000, ce qui montre bien le niveau des profits
réalisés.
28. Dans son rapport sur «Le crime organisé et les migrants»,
mon collègue, M. Irakli Chikovani, analyse ce phénomène et essaie
de trouver des solutions pour l’enrayer. Ne voulant pas interférer
avec son travail, j’invite tous ceux qui s’intéressent à ces questions
à consulter son rapport.
3. Accidents mortels – mesures
prises pour sauver des vies
3.1. Mesures prises par les pays
individuellement
29. Les pertes humaines en Méditerranée
sont dues en grande partie aux méthodes cruelles employées par les
passeurs qui organisent le transport maritime. Pour réduire les
coûts au minimum et engranger un maximum de profits, ils utilisent
systématiquement des embarcations impropres à la navigation qu’ils surchargent
dangereusement. La traversée s’effectue souvent dans des conditions
météorologiques dangereuses. Les équipements de sécurité sont insuffisants,
inadaptés ou totalement absents. Les passagers n’ont pas assez de
nourriture ni d’eau. Mes interlocuteurs au sein de l’agence Frontex
et les garde-côtes italiens en Sicile m’ont décrit des personnes
à bout de force et la terrible découverte, à la suite d’une opération de
sauvetage, des corps sans vie de ceux qui s’étaient asphyxiés dans
des cales bondées.
30. Les méthodes des passeurs sont diverses et ont évolué avec
le temps. Par le passé, ils abandonnaient les bateaux en haute mer
après avoir envoyé un signal de détresse. Avant la mise en place
de l’opération Mare Nostrum, il arrivait que ces bateaux dérivent
longtemps sans personne à même de les diriger: c’est pourquoi on
les appelait les «vaisseaux fantômes». A un certain moment, les
passeurs, qui manquaient de bateaux, essayaient de les récupérer
une fois les migrants débarqués; des cas de violence contre les
passagers et les sauveteurs ont été rapportés dans ce contexte.
Les embarcations étaient souvent de simples bateaux de pêche achetés
quelques jours avant le voyage et amarrés dans des ports civils
jusqu’au départ.
31. Le 23 avril 2015, plusieurs jours après le tragique naufrage
du 18 avril au cours duquel plus de 700 personnes ont perdu la vie,
le Conseil européen a annoncé que l’Union européenne intensifierait
ses efforts pour empêcher d’autres décès en mer en multipliant les
opérations de sauvetage, et qu’elle s’attacherait à lutter contre
les passeurs et les trafiquants de migrants.
32. Il convient de noter que l’opération Mare Nostrum, lancée
en octobre 2013 par les autorités italiennes après le naufrage de
Lampedusa qui avait fait 366 morts, n’était plus en vigueur lorsque
la tragédie d’avril s’est produite. Dans le cadre de cette opération,
la marine italienne avait déployé une importante partie de ses forces
maritimes avec pour mission de secourir les migrants dans les eaux
internationales. Entre octobre 2013 et septembre 2014, la marine
italienne a ainsi secouru plus de 100 000 personnes qu’elle a ramenées
vers les côtes italiennes, en Sicile.
33. Durant des mois, les autorités italiennes ont fait pression
auprès de l’Union européenne pour qu’elle prenne la direction de
l’opération ou au moins pour qu’elle lui alloue l’importante contribution
financière dont elle avait besoin. En l’absence de suite positive
à leur demande, les autorités italiennes ont décidé de mettre un
terme à l’opération en novembre 2014.
34. En août 2014, la Commission européenne a lancé en Méditerranée
sa propre opération nommée «Triton», dont la mise en œuvre a été
confiée à Frontex. Cependant, à ce moment-là, la capacité de Frontex à
répondre aux besoins en matière de recherche et de sauvetage en
Méditerranée n’était pas d’un niveau comparable à celle de Mare
Nostrum sur le plan des ressources matérielles, humaines et financières.
Son champ d’action était également beaucoup plus restreint.
35. Force est de constater que l’augmentation du nombre de victimes
durant les premiers mois de l’année 2015 découle en partie de la
baisse d’intensité des opérations de recherche et de sauvetage.
36. Comme cela a déjà été évoqué au chapitre précédent, la décision
de l’Union européenne de renforcer les opérations de sauvetage à
compter de mai 2015 a eu des retombées positives immédiates. Plusieurs marines
européennes ont fourni des navires aux missions de recherche et
de sauvetage en Méditerranée sous la coordination des gardes-côtes
italiens. Le budget de Frontex a été triplé avec effet immédiat.
Des organisations humanitaires, comme Moas qui affrète des navires
ou Médecins sans Frontières, participent également aux opérations.
37. Mes interlocuteurs au sein de l’agence Frontex et des garde-côtes
italiens m’ont décrit le mode opératoire des passeurs sur la route
méditerranéenne centrale. Des signaux de détresse sont émis dès
que l’embarcation quitte les eaux territoriales de la Libye, qui
s’étendent sur 11 milles marins au large des côtes. De plus en plus,
des signaux sont envoyés lorsque le bateau se trouve encore dans
les eaux territoriales et, dans deux cas au moins, ils l’ont été
avant même que le bateau ne quitte la côte libyenne.
38. Une fois le signal émis, il est reçu par le Centre de contrôle
des interventions d’urgence au quartier général des garde-côtes
italiens à Rome, qui est responsable en dernier ressort de la gestion
des opérations de sauvetage et de la coordination de l’action des
garde-côtes, de la marine et des navires marchands de toutes nationalités.
De nombreux signaux étant quelquefois reçus simultanément, l’opération
de s auvetage peut ne pas être immédiate et les épisodes tragiques
ne peuvent être totalement évités. Il convient de noter que la zone
couverte par les opérations de sauvetage est immense et que malgré
le nombre important de bateaux de sauvetage en action, il peut parfois
s’écouler plusieurs heures jusqu’à ce que l’un d’entre eux atteigne
un bateau en détresse. La recherche est particulièrement dangereuse
lorsque les conditions météorologiques sont mauvaises.
39. Pour illustrer la complexité de la tâche des sauveteurs, j’évoquerai
ici les chiffres communiqués par les gardes-côtes italiens le 29 juin 2015.
Ils ont annoncé avoir, dans les 48 heures précédentes seulement, secouru
et acheminé en Sicile 4 400 migrants qui se trouvaient au large
des côtes libyennes: plus précisément, ils ont coordonné le sauvetage
de 21 embarcations en difficulté le 28 juin et porté assistance
à 1 500 migrants sur huit embarcations le lendemain. Ces chiffres
ne sont qu’un exemple du travail considérable mené au quotidien.
40. J’ai également été informée que l’inexpérience des équipages
des navires de commerce en matière de sauvetage constitue un autre
facteur de risque important. Certaines tragédies auraient en effet
pu être évitées si l’approche avait été différente face à un bateau
bondé de migrants. En particulier, l’incident survenu le 18 avril 2015,
qui a fait plus de 700 morts, a eu lieu alors que le bateau qui
transportait les migrants était rejoint par un cargo qui avait répondu
au signal SOS: les migrants se sont alors rués vers un côté de leur
embarcation, et c’est ce qui l’a fait chavirer. Si l’on ne peut
rejeter la faute sur les équipages peu expérimentés des navires de
commerce, contraints de procéder à des opérations de sauvetage,
il convient de reconnaître qu’eu égard à l’immense zone maritime
à surveiller, on ne peut totalement exclure la nécessité de s’appuyer
sur leur aide.
41. Le message clair qui est ressorti de mes discussions avec
les gardes-côtes italiens et les représentants de Frontex est qu’il
n’existe aucun moyen de garantir la pleine protection des vies humaines
et d’empêcher tous les décès en mer. Tant que les passeurs poursuivront
leurs activités, des personnes mourront en Méditerranée.
42. Il apparaît également que les passeurs n’ont aucun scrupule
à profiter des opérations de sauvetage en ayant de plus en plus
recours à des embarcations impropres à la navigation, vétustes et
surchargées, qui dépendent pleinement de ces opérations. Ni les
navires de la marine ni les garde-côtes italiens ne sont autorisés
à pénétrer dans les eaux territoriales de la Libye. J’ai été informée
d’un cas dans lequel un bateau de sauvetage affrété par une organisation
humanitaire est entré dans les eaux territoriales libyennes et a
pris à son bord des migrants avec l’aide de personnes qui affirmaient
être des garde-côtes libyens. Mes interlocuteurs considèrent que
cet événement a créé un fâcheux précédent.
43. Il va sans dire que mettre fin au trafic de migrants ne résoudra
pas le problème de la migration, mais pourrait tout de même épargner
de nombreuses vies. La priorité doit donc être donnée à la lutte
contre les passeurs, en complément d’autres mesures, dans une réponse
européenne commune à la crise des migrations et des réfugiés. Pour
être efficace, cette lutte devrait être menée en coopération avec
les pays de départ. Je renvoie une nouvelle fois au rapport de mon
collègue M. Chikovani et attire l’attention sur les recommandations
qui y sont formulées Cependant, je tiens à souligner qu’en l’état
actuel des choses, les opérations de sauvetage sont nécessaires
et doivent être maintenues.
44. Lors des échanges de vues tenus en Italie, j’ai soulevé la
question délicate des personnes décédées et portées disparues. Tout
en saluant les efforts déployés par les autorités italiennes pour
récupérer et inhumer les corps des personnes décédées en mer, j’insiste
sur le fait qu’il est urgent de créer une base de données centralisée
qui permettrait de retrouver la trace des personnes disparues, et
ce dans l’ensemble des pays européens. De mon point de vue, l’Assemblée
devrait lancer une initiative visant à créer un tel registre; c’est une
recommandation qui figure dans le projet de résolution.
4. Arrivées dans les pays européens
– aperçu général
45. L’année dernière, avec 170 000 arrivées
– soit 90 % du total des entrées –, l’Italie était de loin la principale
destination des réfugiés et des migrants qui traversaient la Méditerranée.
Au cours des neuf premiers mois de 2015, elle en a enregistré 131
000. Si Lampedusa a longtemps été un triste symbole des migrations,
aujourd’hui, presque tous les réfugiés et migrants empruntent la
route méditerranéenne centrale pour arriver en Sicile.
46. Au cours de ma visite à Catane, j’ai pu découvrir différentes
étapes du processus d’accueil dans l’un des quatre ports de débarquement.
Avec trois autres ports siciliens – Pozzalo, Augusta et Syracuse
–, Catane reçoit la quasi-totalité des réfugiés et migrants qui
arrivent en Italie. Tous mes interlocuteurs ont insisté sur la lourde
charge que représentent au plan économique ces arrivées massives
pour une population locale de 5 millions de personnes.
47. Catane, comme les trois autres ports concernés, a dû réduire
le niveau de ses activités commerciales habituelles. L’Officier
de port a expliqué que la ville traitait auparavant 40 millions
de tonnes de produits chaque année. Elle reçoit également des milliers
de touristes car des croisières y font escale. L’accueil de grands nombres
de réfugiés et de migrants provoque inévitablement un ralentissement
de ces activités. La collectivité participe donc à l’effort d’accueil
des migrants au détriment de ses intérêts économiques.
48. Cet accueil représente un défi majeur sur le plan organisationnel
lorsqu’un bateau de sauvetage transportant des réfugiés et migrants
entre au port. Tous les passagers doivent subir un premier examen
de santé avant leur débarquement afin d’éviter la propagation d’éventuelles
maladies infectieuses qui pourraient constituer une menace pour
la santé publique. Une fois à terre, on leur apporte de quoi manger
et boire et des vêtements; ils font également l’objet d’un examen
médical plus poussé. A ce stade, ceux qui ont besoin d’une prise
en charge médicale sont directement conduits à l’hôpital. Entre
janvier et juin 2015, 61 personnes ont été transférées vers un hôpital
à leur arrivée.
49. La procédure d’enregistrement qui suit inclut la prise d’une
photo et le relevé des empreintes digitales. Elle se déroule conformément
aux directives humanitaires et sous contrôle judiciaire. Ceux qui
refusent la prise d’empreintes digitales (environ 2 % du total des
personnes) ne sont pas contraints de le faire. Sur ce point, l’Italie
a été critiquée à plusieurs reprises par d’autres pays européens,
ainsi que par l’Assemblée parlementaire, pour non-respect des dispositions
du Règlement de Dublin. Je renvoie ici au rapport de M. Christopher
Chope sur «L’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur les
côtes italiennes». Tous mes interlocuteurs italiens ont souligné
qu’une révision du Règlement de Dublin était inévitable compte tenu
des arrivées massives, et que cela ne pourrait que renforcer la
sécurité. Si les réfugiés et migrants n’avaient pas peur que la
prise d’empreintes digitales ne compromette leurs chances de présenter
une demande dans un autre pays, ils ne s’y opposeraient pas. La
question de la révision du Règlement de Dublin est le sujet du rapport
préparé par mon collègue M. Nicoletti; je ne m’y attarderai donc
pas.
50. Les mineurs, qui représentent environ 15 % du total des arrivées,
et les personnes vulnérables (jeunes femmes exposées au risque d’exploitation,
personnes âgées) sont orientées vers des services spécialisés.
51. Tous ont accès à la procédure d’asile. Le HCR est présent
lors des arrivées. Il propose des consultations juridiques aux réfugiés
et aux migrants. D’autres organisations intergouvernementales et
non gouvernementales (OIM, Save the Children, Comité international
de la Croix-Rouge) sont également présentes.
52. La procédure décrite ci-dessus devient encore plus complexe
lorsque plusieurs bateaux de sauvetage arrivent en même temps. Il
n’est pas rare que plus de 1 000 personnes débarquent simultanément.
53. Le taux d’admission est élevé. Les demandeurs d’asile déboutés
peuvent faire appel. Selon les informations qui m’ont été communiquées,
près de 40 % des recours sont acceptés. Les reconduites à la frontière
sont très rares. En général, les demandeurs d’asile déboutés sont
admissibles au bénéfice d’une protection subsidiaire à titre humanitaire.
54. Il y a actuellement 20 000 demandeurs d’asile dans les centres
d’accueil en Sicile. Les autres ont été envoyés vers d’autres régions
de l’Italie ou transférés vers le nord de l’Europe. Jusqu’à présent,
la population sicilienne s’est montrée accueillante envers les migrants
et les réfugiés. Aucun cas de violence ou de discrimination n’a
été signalé.
55. Au cours de mon séjour en Sicile, j’ai visité le plus grand
centre d’accueil en Europe. Le «Caro Minea» est situé dans une ancienne
base militaire américaine composée de 404 bâtiments de 160 mètres
carrés chacun. Jusqu’à 12 personnes sont logées dans chaque bâtiment,
dont l’équipement se compose de lits et d’armoires. Des maisons
sous protection spéciale sont attribuées aux personnes vulnérables
(familles, femmes). Une cantine fournit les repas aux résidents.
Le centre accueille aujourd’hui 3 400 personnes, principalement
des Nigérians et des Gambiens. La durée moyenne du séjour est de
12 mois. En cas de rejet de la demande d’asile, un titre de séjour
de six mois est délivré.
56. Les résidents ne peuvent pas travailler mais peuvent participer
à diverses activités, notamment sportives, et bénéficier de cours
d’italien. Ils reçoivent un peu d’argent chaque jour pour pouvoir
s’acheter des cartes de téléphone et des cigarettes. Ils sont libres
d’aller et venir mais les villages voisins sont distants de plusieurs
kilomètres.
57. Les centres d’accueil en général, et celui-ci en particulier,
ont beaucoup été critiqués en Italie. Il est dit que les communautés
sont coupées du reste du monde et régies par la loi du plus fort.
Elles seraient le théâtre de violences, d’actes d’intimidation et
de harcèlement, d’activités de prostitution, de trafic de drogues
et d’un marché noir. En outre, selon certaines organisations non
gouvernementales (ONG), les procédures d’adjudication de services
que l’Etat est supposé financer seraient truquées. Les résidents
n’en bénéficient donc guère. Une enquête de police est en cours
sur la corruption dans la gestion des centres de migrants. Dans
un enregistrement d’écoutes téléphoniques rendu public par les médias
italiens, on entend le président d’un groupement coopératif chargé
de la gestion d’un centre d’accueil près de Rome dire: «Savez-vous combien
nous rapportent les migrants? Même la drogue est moins rentable.»
58. En Grèce, les conditions d’accueil des nouveaux arrivants
sont totalement inadaptées du fait de l’infrastructure limitée;
le nombre de places est inférieur à 2 000. Le récent changement
des itinéraires de migration et les plus de 821 000 nouvelles arrivées
sur les îles grecques en 2015 ont fait peser une charge énorme sur
les capacités d’accueil du pays. Il suffit de comparer les deux
chiffres pour saisir l’ampleur du problème.
59. Le système d’asile grec, qui avait par le passé déjà fait
l’objet de critiques pour ses défaillances, a été sursaturé. Compte
tenu des difficultés économiques du pays, il n’est pas surprenant
que les autorités et la population aient été complètement dépassées
par la situation.
60. Il n’y a pratiquement aucun enregistrement des nouvelles arrivées.
Les migrants sont logés dans des bâtiments vides et inadaptés –
hôtels ou écoles –, reçoivent des denrées de base et sont rapatriés
sur le continent par des liaisons en ferry supplémentaires pour
alléger les contraintes subies par la population locale. Ces conditions
d’accueil déplorables et les fréquents retards dans les transports
vers le continent ont provoqué des heurts entre les réfugiés et
migrants et certaines franges de la population locale, mais aussi
au sein même des communautés de réfugiés et de migrants.
61. La grande majorité des réfugiés et des migrants poursuivent
leur route en traversant «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
et la Serbie pour rejoindre la Hongrie et d’autres pays plus au
nord. Selon les estimations, près de 30 000 personnes transitaient
par la Grèce début septembre 2015. Ce phénomène nouveau a fait l’objet
d’un rapport sur les pays de transit qui a été débattu à l’Assemblée
au cours de la quatrième partie de la session de 2015; je ne m’étendrai
donc pas dessus dans le présent rapport.
62. Cependant, les difficultés sont encore loin d’être réglées.
De nouveaux migrants et réfugiés continuent d’arriver depuis la
Turquie et il n’y a aucune perspective d’amélioration de la situation
dans un avenir prévisible.
63. Cette vue d’ensemble des arrivées doit être complétée par
deux chiffres supplémentaires: en 2015, 3 845 nouvelles arrivées
ont été rapportées en Espagne et 106 à Malte.
64. Dans ces conditions, il apparaît clairement que ni la Grèce
ni l’Italie ne peuvent à elles seules faire face au problème et
que la Convention de Dublin doit être révisée.
65. Sans vouloir interférer avec le rapport de M. Nicoletti, je
tiens à saluer ici les efforts entrepris à ce jour par les dirigeants
européens pour répondre à l’immense défi qui se pose aux pays européens.
En mai 2015, l’Agenda européen en matière de migration a défini
les mesures immédiates nécessaires pour prévenir les tragédies humaines
et renforcer les dispositifs d’intervention d’urgence. Il prévoit
un mécanisme appelé «hotspots» visant à apporter une aide dans le
traitement des demandes d’asile et la gestion des retours des migrants
en situation irrégulière. Dans le cadre des «hotspots» mis en place
en Italie et en Grèce, des experts d’Europol, du Bureau européen
d’appui en matière d’asile (EASO) et de Frontex sont déployés sur
le terrain pour enregistrer les migrants, relever leurs empreintes
digitales et les interroger pour s’assurer que leurs demandes d’asile
sont légitimes.
66. Depuis peu, les premiers «hotspots» sont opérationnels en
Italie et en Grèce. Cependant, un «hotspot» ne peut être considéré
comme une solution à l’actuelle crise de migrations massives. Au
mieux, elle peut aider à gérer une situation de plus en plus incontrôlable.
67. A la réunion du Conseil européen du 26 juin 2015, la relocalisation
d’urgence de 40 000 demandeurs d’asile a été décidée. Le mécanisme
de répartition ne devait entrer en vigueur qu’à l’automne. La proposition de
la Commission d’imposer des quotas obligatoires aux Etats membres
a été rejetée et remplacée par un accueil sur la base d’engagements
volontaires des Etats. Les dirigeants européens ont également décidé
de procéder à la réinstallation de 20 000 personnes actuellement
hébergées dans des camps des Nations Unies dans des pays tiers,
essentiellement des pays voisins de la Syrie.
68. Bien que la réunion du Conseil européen du 14 septembre 2015
ait vu la large majorité des Etats membres marquer un accord de
principe sur une proposition de relocalisation de 120 000 personnes,
aucun consensus n’a pu être dégagé. Des pourparlers sont en cours
sur le système de répartition des migrants, l’éventuelle mise en
place de quotas, et leur nature facultative ou obligatoire.
69. Le 15 octobre 2015, la Commission européenne est parvenue
à un accord avec la Turquie sur un plan d’action commun visant à
intensifier la coopération en matière de gestion des migrations,
dans un effort coordonné pour faire face à la crise des réfugiés.
Ce plan définit une batterie de mesures d’urgence pour soutenir
la Turquie face au nombre important de personnes ayant besoin d’une
protection sur son territoire. Plus tard dans la journée, le Sommet
européen, parallèlement à son approbation du plan d’action, s’est
engagé à accroître son engagement politique à l’égard de la Turquie
en lui octroyant un soutien financier substantiel, en accélérant
l’application de la feuille de route sur la libéralisation du régime
des visas et en relançant le processus d’adhésion de la Turquie.
70. Je souhaiterais partager quelques réflexions sur les perspectives
d’avenir et les solutions possibles.
5. Conclusions
et recommandations
71. Il est clair que seule une
réponse européenne commune pourra remédier à l’actuelle crise des
réfugiés et des migrations. Les mesures prises individuellement
par les Etats membres, y compris les gestes de générosité, ne suffiront
pas à résoudre le problème; elles risquent même d’aggraver le chaos,
d’augmenter les souffrances des réfugiés et des migrants déçus par
de faux espoirs et de créer des tensions entre les Etats. De même,
des mesures individuelles restrictives sur le plan de l’accès au
territoire ne régleront pas la question à long terme et pourraient
avoir des effets désastreux pour l’avenir de l’intégration européenne.
72. Des limites structurelles et institutionnelles à la coopération
entre Etats membres font échec à une politique migratoire européenne.
Face à un défi aussi sérieux, et pour lequel une approche globale
s’impose, cette réalité est particulièrement lourde de conséquences.
73. En effet, le problème va bien au-delà de l’objectif de relocalisation
de quelques centaines de milliers de personnes auquel semblent s’arrêter
pour l’heure de nombreux responsables politiques. Les chiffres proposés se
révèlent totalement inadaptés au regard du rythme actuel des arrivées,
estimé à 6 000 par jour à la mi-septembre (5 000 par l’est méditerranéen
et 1 000 par la route centrale). Le débat ne devrait donc pas se focaliser
sur les quotas et leur caractère obligatoire ou facultatif. Il faut
répondre sans attendre à l’urgence humanitaire immédiate, mais également
trouver des mesures et solutions à long terme et les mettre en œuvre dans
les meilleurs délais.
74. Nous devrions appeler les responsables européens à adopter
une approche globale et multidimensionnelle. Sauver la vie des réfugiés
et des migrants en mer doit rester une priorité.
75. Cette approche devrait comprendre la création immédiate de
vastes infrastructures d’urgence en Grèce et en Italie pour accueillir,
aider et enregistrer les arrivants et étudier leur situation afin
d’identifier ceux qui ont besoin d’une protection. Pour atteindre
cet objectif, il faudra envisager non seulement une augmentation
de grande ampleur de l’aide spécifique, tant en moyens financiers
qu’en ressources humaines, apportée aux autorités grecques et italiennes,
mais également des solutions institutionnelles qui permettront la
mise en œuvre de cette procédure exceptionnelle. La participation
de toutes les agences européennes compétentes, notamment l’EASO
et Frontex, ainsi que des autorités nationales, des organisations
internationales (HCR, OIM) et de la société civile sera essentielle.
76. Les mesures ci-dessus devraient s’accompagner d’une politique
de découragement de la migration irrégulière consistant en particulier
à enquêter sur les réseaux de passeurs, à les démanteler, à poursuivre
les passeurs en justice et à protéger les frontières extérieures.
Au besoin, il convient d’établir des pratiques de retour efficaces
pour les personnes ne pouvant prétendre à une protection internationale;
renforcer le rôle de Frontex pourrait à cet égard se révéler judicieux.
77. Le processus de relocalisation de 120 000 réfugiés de Grèce
et d’Italie, qui a fait l’objet d’un accord entre les pays participants
de l’Union européenne, devrait être renforcé. Il devrait être rapidement
suivi d’autres relocalisations.
78. Il est aussi urgent d’augmenter sensiblement les possibilités
offertes aux réfugiés syriens dans les pays voisins de la Syrie.
Cela passera par un nouveau soutien financier important à la Turquie,
mais aussi à la Jordanie et au Liban. Au terme de cinq années de
dégradation des conditions de vie, c’est le seul moyen d’éviter
que des personnes risquent leur vie pour arriver en Europe.
79. Il est impératif de renforcer l’accès aux voies d’immigration
légale vers l’Europe, y compris en augmentant le nombre de réinstallations
et d’admissions pour motifs humanitaires et en mettant en œuvre
la législation existante relative à l’accès au regroupement familial,
aux visas humanitaires et aux visas d’étudiant pour les réfugiés
des pays voisins de la Syrie.
80. L’identification des personnes remplissant les conditions
requises pour entrer légalement en Europe permettrait d’épargner
les vies de nombreux candidats potentiels à la traversée maritime
clandestine. Elle pourrait être considérée comme une première étape
vers le traitement extérieur des demandes de protection. Je suis
bien consciente que la mise en place d’une procédure unique de détermination
du statut en dehors des frontières européennes nécessitera d’importants
changements institutionnels et politiques tant dans les Etats membres
qu’au niveau européen, et que cette décision ne peut être prise
dans la précipitation. Un net renforcement de la sélection des personnes
ayant vocation à entrer légalement en Europe sur la base de critères
humanitaires permettrait néanmoins de faire un grand pas dans cette
direction.
81. Dans ce contexte, il convient d’envisager sérieusement l’établissement
de «hotspots» en dehors de l’Europe.
82. Le traitement des causes profondes de la crise en Méditerranée
est un impératif à long terme auquel nous ne pouvons nous soustraire.
Les mesures allant dans ce sens doivent être mises en œuvre aussi
vite que possible. En particulier, il faudra assurer une coopération
adéquate en matière de développement entre l’Europe et les pays
d’origine, ce qui implique un soutien financier mais aussi la mise
en place de projets économiques qui contribueront à un développement
durable. Le règlement pacifique des hostilités en Syrie, en Irak
et en Afghanistan est essentiel si l’on veut mettre un terme à l’exode
humain de ces pays.
83. Il importe d’engager un dialogue constructif et approfondi
avec les pays africains d’origine et de transit afin de mettre en
place une gestion conjointe des flux de migrants et de demandeurs
d’asile dans un esprit de responsabilité partagée. La récente décision
de l’Union européenne d’établir un Fonds d’affectation d’urgence pour
la stabilité et de s’attaquer aux causes profondes des migrations
irrégulières et au problème des personnes déplacées en Afrique constitue
sans aucun doute un pas dans la bonne direction.
84. Je tiens également à saluer ici la récente décision de la
Banque de développement du Conseil de l’Europe de créer un nouveau
«Fonds pour les migrants et les réfugiés» destiné à financer la
création de centres d’accueil de transit dans les pays concernés,
et félicite le Gouvernement chypriote qui a été le premier pays
à contribuer au fonds avec un versement de € 100 000.
85. La recherche d’une réponse globale à la situation des réfugiés
exigera de la diplomatie, une volonté politique et une action concertée
pour la prévention, ainsi que pour la résolution des conflits qui
contraignent les populations à fuir. Désormais, nous ne pouvons
nous permettre d’échouer.