1. Introduction
1. Lors de la seizième session
de la Conférence des Parties (COP 16) à la Convention-cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques, qui s’est tenue à
Cancun (Mexique) le 9 décembre 2010, le Directeur général de l’Organisation
internationale pour les migrations (OIM), M. William Lacy Swing,
a déclaré ce qui suit: «le changement climatique entraîne déjà des
déplacements de populations et des migrations, en conséquence d’événements
météorologiques de plus en plus intenses, de la montée du niveau
de la mer et de la dégradation accélérée de l’environnement. Nous
pourrions connaître à l’avenir une intensification des flux migratoires,
à laquelle le monde n’est actuellement pas en mesure d’apporter
une réponse efficace. Si le changement climatique n’est pas la seule
cause de ces flux, il en deviendra probablement l’une des causes
principales dans les prochaines décennies».
2. Les récents événements ont confirmé ces propos et montré qu’il
nous reste encore beaucoup à faire pour faire face à ce nouveau
défi.
3. Selon les estimations du Haut-Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR), quelque 50 millions de personnes dans le
monde ont été déplacées. Même si la majorité d’entre elles ont dû
quitter leur foyer en raison de conflits, de persécutions et de
violences ou pour des raisons économiques, ces migrations forcées
sont de plus en plus imputées à d’autres facteurs, tels que les
catastrophes naturelles, environnementales et chimiques, les conséquences
du changement climatique, l’insécurité alimentaire et les politiques
en matière de développement. L’incapacité croissante des Etats à
satisfaire les besoins et les droits fondamentaux de ceux qui vivent
sur leur territoire contribuent à aggraver cet état de fait, si
bien que la seule solution pour ces personnes est celle de migrer.
4. Un autre facteur vient compliquer la situation. En effet,
certaines formes de migrations peuvent servir de stratégies d’adaptation
aux pressions susceptibles de forcer des personnes à émigrer à l’avenir.
Ainsi, la migration anticipée peut réduire la vulnérabilité et accroître
la résilience des communautés d’origine, grâce à la diversification
des revenus et à l’accumulation de transferts à caractère financier
et social.
5. Ces nouveaux facteurs qui obligent des personnes à changer
d’environnement gagnent en intensité, mais ne sont cependant pas
reconnus par les législations régissant les migrations. Il convient,
par conséquent, que le système mondial de gouvernance reconnaisse
la vulnérabilité de ces groupes d’individus, afin de protéger correctement
leurs droits, en établissant par exemple une nouvelle catégorie,
celle des migrants forcés, et d’identifier les lacunes quant à leur
protection. Il apparaît donc nécessaire de procéder à une révision de
la réglementation internationale et notamment à une révision de
la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés.
6. Se pose ainsi la question de ce qu’on entend par «migration
forcée» et par «protection». L’un des buts du présent rapport est
de répondre à cette question: la protection doit-elle s’étendre
au-delà des réfugiés couverts par la Convention relative au statut
des réfugiés et par le Protocole de 1967 et, dans l’affirmative,
quel serait le cadre législatif européen et international permettant
de répondre aux attentes des victimes de migrations forcées.
2. Etablir une distinction
entre migrants forcés et migrants économiques
7. Avant d’étudier de nouvelles
causes de migrations forcées, j’aimerais rappeler le contexte des
flux migratoires. Ces cinquante dernières années, les trois types
de migrations les plus fréquents ont été les suivants: les réinstallations
définitives (fondées essentiellement sur des raisons économiques),
les migrations temporaires de travail et les migrations forcées
(dues à la violence ou aux conflits armés). Toutes ont ensuite souvent
donné lieu à des migrations aux fins de regroupement familial, qui
sont devenues le flux le plus important dans plusieurs pays d’accueil.
De plus, avec l’évolution des tendances migratoires, les trois catégories
susmentionnées se recoupent et les migrants citent plusieurs raisons
pour quitter leur pays d’origine.
8. Après la seconde guerre mondiale, les flux de migrants économiques
approuvés par les autorités dans le cadre de programmes de main-d’œuvre
étrangère ont permis de jeter des ponts entre les communautés dans
les pays d’origine et dans les pays d’accueil et facilité l’adaptation
des nouveaux arrivants. Une grande partie du débat actuel sur la
politique migratoire européenne est centrée sur la réglementation
des migrations économiques. Les politiques ont notamment pour but
de privilégier les travailleurs très qualifiés par rapport aux travailleurs
peu qualifiés.
9. Le débat est également axé sur la distinction entre les réfugiés
et les migrants économiques, même s’il est souvent impossible de
faire une telle distinction. La pression qui pousse à migrer résulte
souvent du désir d’échapper à la paupérisation comme de fuir les
conflits et les violations des droits de l’homme; en général, les économies
fragiles sont aussi des Etats qui sont dans l’incapacité de protéger
les droits de l’homme de leurs citoyens. Les causes des migrations
englobent aussi plusieurs causes, parmi lesquelles figure souvent
le souhait d’améliorer les conditions aussi bien pour le migrant
lui-même que pour sa famille.
10. Les études sur les migrations en Afrique montrent que la décision
d’envoyer un membre de la famille à l’étranger est une stratégie
de survie collective, qui concerne toute la communauté. Une famille
investit ses maigres ressources dans un membre de la famille, généralement
le fils aîné, en pensant que les bénéfices de cet investissement
seront peut-être meilleurs dans une économie plus sûre et plus stable.
Ce type de stratégie constitue un mécanisme d’adaptation pour les
personnes qui vivent dans des conditions de crise. Cela ne signifie
pas que le migrant est systématiquement envoyé dans un autre pays:
il peut aussi migrer de la campagne vers la ville. Par conséquent,
lorsqu’on analyse les nouvelles formes de migration forcée, il apparaît que
l’économie joue clairement un rôle dans la décision rationnelle
de partir, ce qui estompe la distinction entre migrants forcés et
migrants économiques. Par exemple, le changement climatique progressif
se traduira notamment par une désertification, une réduction des
terres fertiles et une hausse du niveau de la mer, ce qui rendra
les conditions de vie insupportables dans certaines zones.
3. Formes émergentes de déplacements
forcés
11. Bien qu’il soit difficile d’isoler
les différents facteurs qui forcent des personnes, des familles
ou des communautés à migrer, on voit clairement que des facteurs
de migration nouveaux et interdépendants, découlant de phénomènes
échappant au contrôle des intéressés, se multiplieront probablement
à l’avenir. Le changement climatique et le stress environnemental
sont un facteur de plus en plus déterminant de la mobilité et des
déplacements forcés.
12. Je souhaite toutefois souligner que, concernant le changement
climatique et le stress environnemental, les Principes directeurs
de 1998 relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur
propre pays et la Convention de 2009 de l’Union africaine sur la
protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique pourraient
constituer une base solide pour protéger les droits des personnes
susceptibles de migrer à l’intérieur de leur pays en raison du changement
climatique, d’une catastrophe naturelle ou du stress environnemental.
3.1. Catastrophes naturelles,
environnementales et chimiques ou nucléaires
13. Un parallèle entre la catastrophe
de Fukushima et l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl
en 1986 a été fait au niveau de la réaction gouvernementale à ces
deux catastrophes. Le gouvernement japonais comme le gouvernement
de l’URSS ont adopté une approche ferme et directive pour communiquer
avec leur population. Si cette méthode s’est révélée efficace à
court terme pour évacuer les zones immédiatement touchées, elle
s’est également traduite par un manque d’informations claires sur
la contamination et les dégâts environnementaux à moyen et long
terme. Aux alentours de Tchernobyl, l’annonce officielle a été très
brève et il n’y a pas eu de consignes claires d’évacuation. A la
suite de la catastrophe de Tchernobyl, un système informatique a
été développé au Japon pour prédire la dissémination des particules
radioactives afin de mieux guider les évacuations, mais la plupart
des systèmes de contrôle des radiations ont été endommagés par le tsunami
ou étaient hors service en raison de la panne d’électricité. La
mauvaise communication avec les personnes concernées et la mauvaise
planification des efforts de réinstallation ont continué à créer
des problèmes pour ces communautés, laissant des millions de personnes
dans les zones contaminées. De plus, les accidents de cette nature
ne sont pas circonscrits à un espace clos. La contamination produit
encore sur les océans des effets peu évoqués, créant le plus important
dépôt de matières radioactives de l’histoire.
3.2. Conséquences du changement
climatique
14. Compte tenu de l’impact potentiel
du changement climatique sur les migrations et la nécessaire distinction
entre processus climatiques et événements climatiques, il apparaît
opportun d’élaborer une définition applicable aux populations affectées
par ce phénomène. On constate que ces effets commencent déjà à se
faire sentir, par exemple en Asie et dans le Pacifique. Dans ce
contexte, la Banque mondiale a identifié le Bangladesh, l’Inde,
les Maldives, le Myanmar et le Pakistan comme les pays présentant
le risque le plus élevé de déplacements massifs liés à l’environnement.
15. Une autre évolution inquiétante dans la région Asie-Pacifique
est la submersion des îles, qui constitue un défi sans précédent
pour la communauté internationale. Avec l’élévation du niveau de
la mer, les nations insulaires telles les Maldives, Tuvalu, Vanuatu
et Kiribati comptent parmi les plus exposées aux déplacements de
population. La communauté internationale a la responsabilité de
protéger les droits de ces populations vulnérables et doit s’attacher
à préserver leurs droits collectifs dans l’hypothèse où il faudrait
réinstaller des nations entières en raison de la disparition de
leur territoire.
16. Une large majorité des personnes déplacées pour des raisons
climatiques essaient de rester dans leur pays. La question qu’il
convient de se poser concerne la protection spécifique des migrants
déplacés en raison du changement climatique: à qui incombe la responsabilité
de protéger ces personnes ? Il est en effet de la responsabilité
des Etats de prendre en charge les conditions de vulnérabilité auxquelles
des personnes et des communautés sont exposées, car tous les migrants
forcés doivent bénéficier d’une forme de protection.
17. Comme on peut le voir, les migrants environnementaux ne sont
pas protégés par la Convention de 1951 ni par le Protocole de 1967,
et même les propositions d’élaborer une nouvelle convention internationale
sur les réfugiés environnementaux n’ont réuni aucun soutien.
18. Cependant, la Suède et la Finlande ont des dispositions de
protection temporaire moins restrictives, qui permettent les demandes
résultant d’un déplacement environnemental. La loi finlandaise relative
aux étrangers dispose que «les étrangers résidant dans le pays se
verront délivrer une autorisation de résidence motivée par un besoin
de protection s’ils ne peuvent pas retourner dans leur pays en raison
d’un conflit armé ou d’une catastrophe environnementale».
19. Une autre initiative en lien avec les événements dus au changement
climatique ou environnemental est l’Initiative Nansen, menée par
les gouvernements de la Norvège et de la Suisse et destinée à remédier
au vide juridique en matière de protection des personnes déplacées
par-delà des frontières nationales du fait de catastrophes naturelles,
en particulier dans le contexte du changement climatique.
3.3. Insécurité alimentaire
20. L’insécurité alimentaire est
un problème qui touche déjà les populations les plus vulnérables
du monde, mais c’est aussi un symptôme fréquent de l’inadéquation
des politiques de réinstallation et une conséquence du changement
climatique progressif. Après avoir été déracinée de son lieu de
résidence habituel, une communauté court plus de risques de souffrir
de sous-alimentation temporaire ou chronique, qui est définie comme
un niveau d’apport calorique ou protéinique inférieur au minimum
requis pour la croissance normale et le travail.
21. Un projet de recherche de deux ans mené par la Commission
européenne et intitulé Environmental Change
and Forced Scenarios (EACH-FOR) a montré qu’avec l’évolution
des précipitations et l’augmentation de la population, des pénuries
d’eau et de nourriture risquent de se produire en l’absence de politiques d’adaptation
strictes. Dans les plaines agricoles de faible altitude, l’élévation
du niveau de la mer pourrait également entraîner une intrusion d’eau
de mer, ce qui pourrait faire chuter de 40 % la production alimentaire et
céréalière du Bangladesh et forcerait la population à se réfugier
dans des bidonvilles. Ces prévisions servent à insister sur le fait
que les populations les plus vulnérables subiront les conséquences
d’une série de facteurs les incitant à quitter leurs lieux de résidence
actuels, ce qui rendra les migrations inévitables dans certains
cas.
22. Dans ce contexte, je citerai une étude sur les migrations
au Bangladesh financée par le Département britannique du développement
international et le ministère néerlandais des Affaires étrangères,
qui ont soutenu le Réseau pour la connaissance du climat et du développement
au nom du Gouvernement bangladais. Dans cette étude, il est suggéré
de créer des centres de formation spécialisée dans les lieux exposés
aux impacts du changement climatique, afin que les personnes et
les communautés vulnérables tirent un meilleur bénéfice de leur
migration, parce qu’il s’agira d’une migration de main-d’œuvre qualifiée
plutôt que non qualifiée.
23. Il faudra évaluer la portée potentielle des déplacements forcés
qui auront lieu dans les prochaines décennies afin de mettre en
œuvre un véritable cadre politique pour y remédier. Les estimations
du nombre de personnes qui sont ou seront déplacées au XXIe siècle
varient énormément selon les organisations de recherche internationales
qui ont travaillé sur ces prévisions. D’après la Fédération internationale
des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, les migrants
environnementaux ont d’ores et déjà dépassé en nombre les réfugiés
déplacés par la guerre. Le Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC) estime que le flux de migrants
environnementaux atteindra 150 millions d’ici 2050, tandis que le
rapport Stern sur l’économie du changement climatique avance un
chiffre plus proche de 200 millions.
3.4. Politiques et projets de
développement
24. Les politiques et projets de
développement sont souvent une cause importante de déplacements
forcés, surtout dans les régions à forte croissance. Ces types de
projets d’infrastructures à grande échelle, qui concernent notamment
des routes, des barrages et des réservoirs, des réseaux publics,
des aéroports et le développement urbain et industriel, s’accompagnent
souvent du déracinement de personnes déplacées en raison du développement.
25. Les gouvernements ont la responsabilité de protéger les populations
déplacées à l’intérieur du pays, au lieu de considérer les effets
secondaires négatifs comme un simple facteur externe qu’il faut
tolérer. La non-réinstallation de populations s’explique par le
fait que le bien-être des personnes touchées n’est pas prioritaire dans
la phase de planification et que les intéressés sont rarement consultés
directement. A la place des échanges de terres et du versement d’indemnités,
les projets de développement devraient associer autant que possible
les populations touchées et l’indemnisation devrait inclure un «filet
de sécurité généralisé». En outre, la mise en œuvre de la réinstallation
a souvent été confiée à l’organisme qui gère le projet d’infrastructures;
or, les cabinets d’ingénierie et de génie civil n’ont pas forcément
les connaissances et compétences nécessaires pour réinstaller des
populations vulnérables. Cette opération devrait relever d’un organisme
plus approprié ayant une expérience en matière de réinstallation
de migrants. La planification politique pourrait ainsi mieux refléter
les besoins sociaux et culturels des personnes déplacées en raison
du développement, ce qui permettrait un plus large partage des retombées
issues de ces mutations.
3.5. Importance de la réponse
des Etats
26. Les Etats fragiles et défaillants
sont incapables de protéger les droits fondamentaux et de satisfaire
les besoins de la population sur leur territoire. Dans ce contexte
de mauvaise gouvernance, le déplacement de vastes groupes peut raviver
les dissensions entre groupes ethniques auparavant divisés, avec
pour conséquences un rapprochement géographique et une mise en concurrence
pour les ressources. Au Nigéria par exemple, 3 500 km² de terres
se transforment en désert chaque année, ce qui diminue la superficie
des terres arables et exacerbe la concurrence. La crise au Darfour
trouverait au moins en partie son origine dans une longue sécheresse;
un élément déclencheur similaire est facilement imaginable ailleurs.
27. Afin d’aider les Etats, et en particulier les plus vulnérables
d’entre eux, à répondre à ce problème, il serait utile de préparer
des rapports nationaux/régionaux visant à réunir des informations
et évaluer les données relatives aux migrations environnementales
à une échelle qui pourrait être utile pour les décideurs politiques.
3.6. Réactions et conséquences
résultant des différentes catégories sociales
28. Outre tous les problèmes généraux
liés aux migrations forcées, je veux aussi souligner celui des différentes
catégories sociales et de leurs conséquences. D’une manière générale,
j’ai noté que les membres des classes supérieures rencontraient
moins de problèmes en cas de déplacement à l’intérieur de leur pays, et
même en cas d’émigration.
29. En effet, pour migrer dans un autre pays, il faut généralement
de l’argent et des contacts familiaux dans le pays de destination.
De ce fait, les formes émergentes de migrations forcées se traduiront
probablement par une augmentation des déplacements internes plutôt
que par des migrations internationales. Les migrants chercheront
plutôt refuge dans des endroits présentant des similitudes culturelles
ou ethniques, ou dans lesquels il existe des précédents ou des relations
postcoloniales. Des stratégies nationales d’adaptation devront être
mise en place pour atténuer la vulnérabilité des personnes déplacées
dans leur pays.
30. De même, les femmes et les personnes vulnérables sont confrontées
à davantage de difficultés lorsqu’elles émigrent et préfèrent donc
y renoncer même si leurs conditions de vie sont déplorables.
4. Définitions et cadre juridique
actuel
31. Dès 1990, le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat a avancé que les mouvements
de population pourraient être l’impact le plus important du changement
climatique. Il a prévenu que des personnes seraient déplacées par
les inondations des zones côtières, l’érosion du littoral et toute
une série de conditions météorologiques extrêmes. Le terme «réfugiés
environnementaux» était apparu encore plus tôt, dans les années
1980, mais il est source d’une grande controverse. A ce jour, il
n’existe toujours pas de terme universellement admis. De plus, le
cadre juridique international actuel n’accorde pas une pleine protection
à ces nouveaux groupes vulnérables.
4.1. Lacunes du cadre juridique
international
32. Le cadre juridique international
prévoit une certaine protection pour les migrations forcées qui
résultent de causes ou de «facteurs incitant au départ» autres que
les violations des droits de l’homme. Cependant, il n’y a toujours
pas de consensus sur le positionnement de nombre de ces migrants
au sein des structures existantes.
33. La Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés,
dans son article 1A, définit le réfugié comme toute personne qui,
craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques, se trouve
hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut, en raison de
ladite crainte, y retourner. Cette définition exclut un nombre croissant
de cas dans lesquels des personnes sont contraintes de se déplacer
à cause d’événements indépendants de leur volonté.
34. Il existe d’autres lignes directrices ou normes internationales
qui s’appliquent également aux migrants forcés. On peut citer les
Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur
de leur propre pays du Conseil économique et social des Nations
Unies (ECOSOC), les Directives opérationnelles sur les droits de
l’homme et les catastrophes naturelles du Comité permanent interorganisations
des Nations Unies (IASC), ou encore l’Initiative Nansen, un processus
lancé par des Etats en dehors du cadre des Nations Unies. Les Principes
directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de
leur propre pays prévoient que toute personne a le droit de ne pas
être déplacée arbitrairement de son lieu de résidence et que les
personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ont le droit
de rechercher la sécurité dans une autre partie du pays et de quitter
le pays. Les Directives opérationnelles sur les droits de l’homme
et les catastrophes naturelles visent à garantir que les personnes
déplacées conservent leurs droits, et reconnaissent qu’elles ont
besoin d’une protection et d’une assistance accrues. Enfin, l’Initiative
Nansen, lancée par les Gouvernements suisse et norvégien en octobre
2012, vise à établir un consensus sur un programme de protection
répondant aux besoins des personnes déplacées par des catastrophes
naturelles, y compris celles qui résultent du changement climatique.
35. On trouve dans les législations nationales des exemples (comme
le Statut de protection temporaire (TPS) aux Etats-Unis ou la Directive
sur une protection temporaire au niveau de l’Union européenne) de dispositifs
destinés à protéger des groupes de personnes déplacées par des catastrophes
naturelles; cependant, la législation ne s’applique qu’à ces cas
extraordinaires et pour une durée limitée, en partant du principe
que les migrants rentreront après le retour au calme. Par ailleurs,
la Suède et la Finlande ont inclus des mesures de protection pour
les migrants environnementaux dans leur politique nationale en matière d’immigration.
36. Le point commun à toutes ces mesures de protection est qu’elles
sont parcellaires et s’appliquent souvent au cas par cas. En outre,
elles ne concernent généralement que des catastrophes naturelles,
et non les conséquences progressives du changement climatique.
4.2. Définir les nouvelles vulnérabilités
37. Un autre problème persistant
concernant la difficulté d’instaurer une protection internationale
pour les nouvelles causes de migrations forcées est l’absence de
définition consacrée pour ces migrants. Des termes tels que réfugiés
environnementaux ou climatiques ont été proposés, mais l’utilisation
du terme «réfugié» est controversée car les facteurs environnementaux
sont non discriminants et aucune forme de «persécution» ne caractérise
ces situations. Le HCR fait par ailleurs valoir qu’inclure les «réfugiés
environnementaux» dans le champ d’application de la convention de
1951 pourrait affaiblir la protection des réfugiés qui relèvent
déjà de la convention.
38. Pour remédier à l’absence de terme désignant ces personnes
déplacées, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)
a proposé en 2007 une définition de travail de ce qu’elle appelle
«migrants environnementaux». Selon l’OIM, ces derniers sont définis
comme «les personnes ou groupes de personnes qui, pour des raisons
liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant
négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes
de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative,
temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent
à l’intérieur de leur pays ou en sortent».
4.3. Définir la nature de l’impact
du changement climatique sur la mobilité
39. Les conséquences du changement
climatique peuvent être divisées en deux catégories: les processus climatiques
et les événements climatiques. Les changements progressifs se déroulent
graduellement et sont moins spectaculaires; les migrants qui les
subissent bénéficient rarement d’une protection internationale formelle
et seront probablement confrontés à d’autres problèmes, comme l’insécurité
alimentaire et des menaces similaires.
4.3.1. Processus climatiques
40. Les processus climatiques sont
les impacts progressifs du changement climatique comme l’élévation
du niveau de la mer, la salinisation des terres agricoles, la désertification
et la raréfaction de l’eau. Pour ces processus lents, l’urgence
de migrer peut sembler moins pressante et les migrants potentiels
pourraient trouver d’autres mécanismes d’adaptation pendant quelque
temps. En Afrique par exemple, les populations indigènes sont capables
d’introduire des changements progressifs dans leurs itinéraires
de migration pour réagir à une diminution des précipitations, en
intégrant de nouveaux circuits dans leurs mouvements migratoires
cycliques. Les stratégies d’adaptation, en particulier celles qui
sont liées aux politiques de développement, sont un élément essentiel
pour atténuer la vulnérabilité des personnes qui seront touchées par
les processus climatiques.
4.3.2. Evénements climatiques
41. Les événements climatiques
comprennent les périls et catastrophes qui contraignent les personnes
à quitter leur foyer soudainement et brutalement. Ils incluent les
ouragans, les typhons, les inondations et les raz-de-marée. L’impact
de ces catastrophes naturelles dépend en grande partie de la vulnérabilité
des populations affectées. Le niveau d’exposition, comme le fait
de vivre sur le delta d’un fleuve, et la capacité d’adaptation de
la communauté, doivent être pris en compte pour déterminer quelles
tempêtes ou quels événements climatiques deviennent des catastrophes.
5. Un exemple de migrations
et de déplacements forcés: la situation en Asie centrale
42. Depuis la fin des années 80,
la région d’Asie centrale qui comprend le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan,
le Turkménistan et le Tadjikistan se trouve confrontée à de nombreuses
tensions d’ordre ethnique et politique qui ont abouti à un afflux
de migrations et de déplacement forcés qui se sont poursuivis jusque
dans les années 90. Ceci découle du fait que ces Etats nouvellement
créés ont pris des mesures privilégiant les populations autochtones,
ce qui a entraîné des déplacements forcés, compte tenu également de
la hausse du chômage et des faibles perspectives en matière d’emploi.
43. En ce qui concerne plus particulièrement le présent rapport,
l’Asie centrale a été confrontée à des défis environnementaux qui
ont forcé les populations à se déplacer. Ces déplacements ont été
causés notamment par une activité industrielle très intense entraînant
une contamination de l’environnement et la pollution des sols et
des rivières.
44. L’Asie centrale est également sujette aux catastrophes naturelles
comme les tremblements de terre ou les glissements de terrain et
les scientifiques ont prédit que la fonte des glaciers aura des
conséquences sur la fréquence des inondations et des glissements
de terrain.
45. A l’heure actuelle le manque d’eau et la désertification rendent
impossible la survie, surtout pour ceux qui travaillent dans le
domaine de l’agriculture. A titre d’exemple, le désert d’Aralkum
a pris la place d’un lac. Selon les experts, ce désastre écologique
a entraîné le déplacement de plus de 100 000 personnes.
6. Conclusions
et recommandations
46. Si les lacunes du cadre de
gouvernance international persistent, des millions de migrants forcés
risquent de voir bafouer leurs droits fondamentaux. Les nouvelles
causes de migrations forcées évoluent si rapidement qu’à ce jour
ni les recherches ni la mise en œuvre des politiques ne parviennent
à suivre le rythme.
47. Les gouvernements devraient accorder une plus grande priorité
à la conception de politiques et de normes de protection et à leur
intégration dans les plans et les stratégies portant sur le changement
climatique et les migrations. Ils devraient par ailleurs s’employer
à renforcer les compétences professionnelles en matière de protection
des droits de l’homme et de droit environnemental, en lien avec
les déplacements de populations liés au changement climatique.
48. Les Etats membres devraient envisager l’adoption de nouvelles
mesures de protection pour les personnes contraintes à la migration
du fait principalement de changements environnementaux sur lesquels elles
ne peuvent pas agir, de manière à protéger les personnes touchées
par de graves catastrophes naturelles, chimiques ou nucléaires.
En outre, les politiques de développement devraient éviter la surexploitation
des ressources naturelles et rechercher des solutions durables aptes
à freiner le déclin de la capacité des environnements à répondre
aux besoins de base des personnes qui y vivent, et même à garantir leurs
droits fondamentaux. Et lorsque des populations doivent être déplacées,
les Etats membres devraient aider les pays les moins avancés à planifier
les programmes d’action nationaux aux fins de l’adaptation (PANA) destinés
à protéger les droits fondamentaux et à répondre rapidement aux
besoins des populations touchées.