1. Introduction
1. Lors de la séance d’ouverture
de la session 2016 de l’Assemblée parlementaire, le 25 janvier 2016, M. Xuclà
(Espagne, ADLE), soutenu par au moins dix autres membres appartenant
à cinq délégations nationales, a contesté les pouvoirs non encore
ratifiés de la délégation parlementaire de la République de Moldova
pour des raisons formelles, conformément à l’article 7.1.b du Règlement de l’Assemblée, au
motif que, pour la deuxième année consécutive, le Parlement moldave
présentait une délégation incomplète, qui ne permettait pas une
représentation équitable des partis ou groupes politiques présents
au Parlement moldave. En effet, la délégation ne comprend que sept
membres au lieu de dix, ce qui ne permet pas une représentation complète
de l’ensemble des courants politiques du Parlement moldave, tout
particulièrement du parti libéral. Conformément à l’article 7.2,
l’Assemblée a renvoyé les pouvoirs à la commission du Règlement,
des immunités et des affaires institutionnelles pour rapport.
2. La commission doit donc examiner si la composition de la délégation
moldave et la procédure de désignation elle-même de la délégation:
- ont été conformes aux principes
énoncés à l’article 25 du Statut du Conseil de l'Europe considéré
en liaison avec l’article 6 du Règlement de l’Assemblée; et
- n’ont pas méconnu les principes établis par l’article
6.2.a du Règlement de l’Assemblée.
3. L’article 7.1.b. du Règlement de l’Assemblée dispose que « Les pouvoirs peuvent être contestés par au moins
dix membres de l’Assemblée présents dans la salle des séances, appartenant
à cinq délégations nationales au moins, se fondant sur des raisons
formelles basées sur (...) les principes énoncés dans l’article 6.2
du Règlement selon lesquels les délégations parlementaires nationales
doivent être composées de façon à assurer une représentation équitable
des partis ou groupes politiques existant dans leurs parlements
(…) ».
4. Aux termes de l’article 7.2 du Règlement, « si la commission conclut à la ratification
des pouvoirs, elle peut transmettre au Président de l’Assemblée
un simple avis dont il donnera lecture en Assemblée plénière ou en
Commission permanente, sans que celles-ci en débattent. Si la commission
conclut à la non-ratification des pouvoirs ou à leur ratification
assortie de la privation ou de la suspension de certains des droits
de participation ou de représentation, le rapport de la commission
est inscrit à l’ordre du jour pour débat dans les délais prescrits ».
2. Conformité de la composition de la délégation
parlementaire moldave avec l’article 6 du Règlement de l’Assemblée
5. En application des articles
25 et 26 du Statut du Conseil de l'Europe, la délégation parlementaire moldave
se compose de cinq représentants et cinq suppléants. La composition
de la délégation parlementaire moldave figure dans le rapport du
Président de l’Assemblée sur la vérification des pouvoirs des représentants et
des suppléants présentés pour la première partie de la session ordinaire
de 2016 de l'Assemblée (
Doc. 13953). Elle s’établit de la manière suivante :
Représentants
Mr Valeriu GHILETCHI (Parti libéral-démocrate)
M. Andrei NEGUTA (Parti socialiste)
Ms Liliana PALIHOVICI (Parti libéral-démocrate)
Mr Vladimir VORONIN (Parti communiste)
ZZ...
Suppléants
Mme Valentina BULIGA (Parti démocrate)
Mr Igor DODON (Parti socialiste)
Ms Violeta IVANOV (Parti communiste)
ZZ...
ZZ...
2.1. Les
dispositions statutaires et réglementaires applicables
6. Conformément à l’article 25
du Statut du Conseil de l’Europe, les membres (représentants et suppléants)
des délégations parlementaires sont « élus
par [leur] parlement en son sein ou désignés parmi les membres du
parlement selon une procédure fixée par celui-ci”.
7. L’article 6.1 du Règlement de l’Assemblée dispose pour sa
part que « Les pouvoirs des représentants et
suppléants, élus aux sein du parlement national ou fédéral ou désignés
parmi les membres du parlement national ou fédéral, sont remis au
Président de l’Assemblée par le Président du parlement national,
par le Président d’une chambre parlementaire nationale ou par toute
personne à laquelle ils auraient donné délégation (…) ».
8. La présente contestation des pouvoirs de la délégation parlementaire
moldave se fonde sur le fait que sa composition ne respecterait
pas le critère de la représentation équitable des partis ou groupes
politiques posé par le Règlement. A cet égard, la commission du
Règlement ne manquera pas de se référer également aux « principes
visant à apprécier la notion de représentation équitable des partis
ou groupes politiques dans les délégations nationales à l’Assemblée
parlementaire », que l’Assemblée a édictés en 2011
.
2.2. Les
pouvoirs de la délégation moldave transmis le 21 janvier 2016
9. Les pouvoirs de la délégation
moldave ont été adressés à la Présidente de l’Assemblée parlementaire le
21 janvier 2016. Aucun courrier d’accompagnement du Président du
Parlement moldave n’y était joint pour fournir des éléments d’explication
de la situation. Toutefois, il a été indiqué au Service de la Séance
de l’Assemblée que les propositions de nomination de certains partis
politiques n’étaient pas parvenues, et que le parlement n’étant
plus en session une fois ces propositions adressées au Bureau du
parlement, il n’a pas été possible de les ratifier en temps utile
en assemblée plénière.
10. Il ressort du formulaire de transmission de la composition
de la délégation moldave, signé par le Président du parlement, M.
Andrian Candu, en date du 21 janvier 2016, que la représentation
des groupes politiques au Parlement moldave (qui comprend 101 sièges)
s’établit comme suit :
- la faction
du parti des socialistes de la République de Moldova, composée de
24 députés (appartenant à l’opposition) ;
- la faction du parti démocrate de Moldova, composée de
19 députés (appartenant à la majorité) ;
- la faction du parti libéral-démocrate de Moldova, composée
de 11 députés (appartenant à l’opposition, le site internet du Parlement
moldave mentionne une représentation de 19 députés) ;
- la fraction du parti libéral, composée de 13 députés (appartenant
à la majorité) ;
- la fraction du parti des communistes de la République
de Moldova, composée de 7 députés (appartenant à l’opposition) ;
ainsi que 27 députés non affiliés (le site internet indique
19 députés non affiliés).
11. Rappelons que ces cinq factions
parlementaires ont été constituées à l’issue des élections législatives du
30 novembre 2014 et que, depuis, le panorama politique et parlementaire
moldave a singulièrement évolué. Les informations qui figurent sur
le site internet officiel du Parlement moldave font état d’une représentativité pour
l’une des cinq factions un peu différente, et elles ne semblent
donc pas à jour.
12. Certes, il n’appartient pas à la commission, dans le cadre
du présent rapport, d’examiner en détail le contexte politique complexe
qui prévaut à l’heure actuelle en Moldova, et qui peut apparaître
quelque peu confus. Néanmoins, il semblerait que les informations
fournies par le parlement dans la transmission des pouvoirs ne soient
pas pleinement actualisées, à la faveur des derniers soubresauts
politiques intervenus lors de la mise en place du nouveau gouvernement
de Pavel Filip.
13. En effet, lors des élections de 2014, l’Alliance pour l'intégration
européenne formée par le parti libéral-démocrate de Moldova (PLDM,
23 sièges), le parti démocrate (PD, 19 sièges), et le parti libéral
(LP, 13 sièges) avait remporté 55 sièges sur 101, l’opposition regroupant
deux formations: le Parti socialiste (25 sièges) et le Parti des
communistes de la République de Moldova (PCRM, 21 sièges). Toutefois,
les lignes majorité/opposition n’ont cessé de bouger, d’abord avec
la sortie du parti libéral de la coalition gouvernementale, puis l’alliance
du parti libéral et du parti démocrate. En décembre 2015, 14 députés
du PCRM, dont Mme Violeta Ivanov, ont quitté celui-ci et sont devenus
des membres non-affiliés au parlement ; ils ont apporté leur soutien au
nouveau gouvernement libéral de Pavel Filip. En janvier 2016, ce
sont 7 membres du parti libéral-démocrate qui ont fait scission.
14. C’est une coalition quelque peu hétéroclite de 57 députés
qui a voté la confiance au gouvernement Filip le 21 janvier dernier ;
elle est notamment composée de 19 démocrates, 13 libéraux, 14 ex-communistes,
7 ex-libéraux-démocrates, et un libéral-démocrate (M. Ghiletchi).
15. C’est donc une composition pour le moins singulière qu’offre
la délégation parlementaire moldave, puisque trois des quatre sièges
de représentants pourvus sont occupés par des membres de l’opposition…
et qu’aucun membre du parti libéral au pouvoir n’y figure !
16. Il ressort des informations communiquées par la présidente
de la délégation parlementaire que 2 des 3 sièges vacants sont affectés
au Parti libéral et que ce dernier a tardé à transmettre les noms
de ses candidats. Le Bureau du parlement les aurait confirmés, mais
le parlement n’étant en session qu’à compter du 1er février 2016,
il est techniquement impossible de valider dans l’immédiat ces nominations
en plénière.
17. Enfin, on relèvera que l’an passé, deux sièges de suppléants,
déjà dévolus au Parti libéral, sont restés vacants au sein de la
délégation et n’ont pas du tout été pourvus au cours de la session
2015, sans pour autant que les pouvoirs soumis lors de la partie
de session d’avril 2015, complétant la délégation suite aux élections législatives
de novembre 2014, fassent alors l’objet d’une contestation à l’Assemblée.
3. Les
précédents à l’Assemblée concernant les contestations de pouvoirs
sur la base de l’article 7 du Règlement et la position de la commission
18. Il existe peu de précédents
où l’Assemblée a eu à se prononcer sur une contestation de pouvoirs
mettant en cause l’absence de représentation politique équitable
des partis et groupes politiques, et auquel la commission peut ici
se référer, dans le contexte qui nous occupe:
- En janvier 2012, les pouvoirs
non encore ratifiés de la délégation parlementaire ukrainienne avaient
été contestés. La liste des membres de la délégation ukrainienne
comportait des informations erronées puisque trois membres figuraient
comme membres du Bloc Yuliya Tymoshenko, alors qu’ils siégeaient en
réalité sous d'autres étiquettes politiques. Considérant que la
composition de la délégation ne remettait pas en cause la représentation
équitable des groupes et partis politiques, la commission a conclu
à la ratification des pouvoirs de la délégation parlementaire .
- En janvier 2010, la commission a eu à se prononcer sur
la contestation des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation
parlementaire arménienne, relative à la sous-représentation alléguée
de partis ou groupes politiques de l’opposition. La contestation
relevait que le parlement arménien avait «manipulé ses règles internes
pour écarter un membre du groupe PPE». La commission a conclu à
la ratification des pouvoirs, dans la mesure où la liste des membres
de la délégation assurait une représentation équitable des groupes
politiques de l’Assemblée nationale arménienne et comprenait un
représentant et un suppléant appartenant à l’opposition parlementaire .
- La commission du Règlement s’est prononcée, en 1998 et
en 1999, sur la composition de la délégation d’invité spécial de
l’Arménie, s’agissant d’un cas dans lequel le principal parti d’opposition
au parlement, représentant 50 sièges sur 149, ne s’était vu accorder
aucun des quatre sièges de la délégation .
La commission du Règlement avait alors conclu qu’« on ne peut pas considérer qu'une délégation
ne comportant aucun représentant du principal parti d'opposition
reflète les divers courants d'opinion représentés au sein du parlement ».
Elle avait recommandé à l’Assemblée de ratifier les pouvoirs de
la délégation d’invité spécial de l’Arménie « sous
réserve qu’un des sièges de la délégation reste vacant pour un représentant [de
l’opposition] ».
19. A l’occasion de l’examen de précédentes contestations de pouvoirs,
il a été rappelé que l’Assemblée devait éviter toute ingérence dans
les affaires politiques internes d’un Etat membre. L’Assemblée doit
en principe simplement vérifier que les grands courants politiques
présents dans un parlement donné sont représentés et que la délégation
comprend notamment des représentants de partis se trouvant dans l’opposition
. C’est cette position qui transparaît dans
les décisions susmentionnées de l’Assemblée et qui a été consacrée
au nombre des principes visant à apprécier la notion de représentation
équitable des partis ou groupes politiques des parlements nationaux
au sein de leurs délégations à l’Assemblée parlementaire figurant dans
la
Résolution 1798 (2011).
20. Quant à l’objection soulevée de la composition incomplète
de la délégation moldave, il n’appartient pas à la commission du
Règlement d’analyser les raisons politiques ou partisanes de cet
état de fait, qui relève des affaires internes du Parlement moldave,
dès lors qu’il n’existe aucune indication que la désignation de
la délégation n’aurait pas respecté la procédure réglementaire.
C’est précisément parce que les formalités ont été respectées que
trois sièges sont restés vacants.
4. Evaluation
et conclusions
21. En l’absence de données fiables
quant au nombre exact de parlementaires qui appartiennent actuellement
aux formations de la majorité et à celles de l’opposition, il est
difficile pour la commission du Règlement de vérifier dans quelle
mesure les exigences posées par le Règlement de l’Assemblée en ce
qui concerne la représentation politique équitable ont été respectées.
Compte tenu de la complexité de la situation politique moldave,
rien n’indique que les principes garantis par l’article 6.2 du Règlement
de l’Assemblée n’aient pas été respectés par le Parlement moldave.
22. En effet, les étiquettes politiques des membres de la délégation
parlementaire moldave ne garantissent pas, au-delà des apparences,
leur appartenance effective et surtout pérenne à la majorité ou
à l’opposition. La majorité semble détenir actuellement 1 siège
de représentant sur les 4 pourvus et 2 sièges de suppléants sur les
3 pourvus. Le Parlement moldave n’a donc pas méconnu les exigences
posées par le Règlement de l’Assemblée en son article 6.2 dans la
mesure où 3 sièges restent vacants, notamment au profit du Parti
libéral non représenté. En revanche, la composition de la délégation
parlementaire moldave devra être complétée dès que possible, en
garantissant le respect du principe de représentation équitable
figurant à l’article 6.2.
23. Ainsi qu’elle l’avait énoncé à l’occasion d’une contestation
des pouvoirs similaire, il n’appartient pas à la commission du Règlement,
à l’occasion de la vérification des pouvoirs des délégations, d’entrer
dans le jeu des partis. C’est la raison pour laquelle la commission
n’a pas à se prononcer sur le bienfondé de la décision du Parti
libéral – parti au pouvoir – de n’avoir pas soumis dans les délais
ses candidatures aux sièges qu’il lui revenait de pourvoir. Une
telle décision, bien qu’emportant des conséquences sur l’équilibre
de la représentation politique au sein de la délégation – mais au
bénéfice de l’opposition politique –, relevait d’un choix politique
propre à ce parti, et sans doute délibéré.
24. Lors de sa réunion du 26 janvier 2016, la commission du Règlement
a entendu les observations de Mme Palihovici, présidente de la délégation
moldave et membre de la commission du Règlement.
26. Au vu de la situation politique actuelle en Moldova, et compte
tenu des assurances fournies par le Parlement moldave, la commission
propose à l’Assemblée de ratifier les pouvoirs de la délégation parlementaire
moldave, mais de prévoir la suspension automatique du droit de vote
de ses membres à l’Assemblée et dans ses organes, conformément à
l’article 10.1.
c du Règlement,
à compter de la partie de session d’avril 2016 si la composition
de la délégation n’a pas été mise en conformité avec l’article 6.2.
a du Règlement à cette date et de
nouveaux pouvoirs présentés, s’agissant de la désignation de trois
membres sur les sièges vacants
.
27. Plusieurs membres de la commission ont, en outre, considéré
que le fait qu’un parti politique de la majorité n’ait pas soumis
dans les délais les noms des candidats aux sièges qu’il lui appartenait
de pourvoir au sein de la délégation moldave ne devrait pas être
compris comme violant le principe de représentation équitable des
groupes politiques du parlement moldave.
28. Il appartient de rappeler au
parlement moldave son engagement, au même titre que tous les parlements des
Etats membres du Conseil de l'Europe, à promouvoir le pluralisme
politique au sein des délégations parlementaires à l’Assemblée,
en y assurant une représentation politique équilibrée des partis
ou groupes qui le composent. La procédure de vérification annuelle
des pouvoirs des délégations à l’ouverture de chaque session annuelle
permet aux parlements nationaux d’actualiser leur représentation
politique, en tenant compte des évolutions partisanes en leur sein.
Les parlements doivent donc se montrer diligents et procéder aux modifications
qui s’imposent pour préserver la représentativité politique de leur
délégation. Tel est en particulier le cas pour un parlement où les
majorités se font et se défont dans un contexte de grande instabilité gouvernementale.
29. La commission considère qu’il est de l’intérêt des parlements
des Etats membres du Conseil de l'Europe de pourvoir, dès que possible,
tous les sièges de représentants et de suppléants qui leur sont
octroyés en vertu de l’article 25 du Statut. Cela revêt une importance
particulière pour les pays qui font l’objet d’une procédure de suivi,
de sorte à permettre notamment une pleine représentation dans les
délégations parlementaires concernées de l’éventail de la représentation
politique nationale, notamment des partis d’opposition. Les partis politiques
représentés au parlement moldave doivent en conséquence veiller
à ce que le jeu politicien interne n’interfère pas avec le bon fonctionnement
de l’Assemblée.
30. Aussi, la commission considère-t-elle que cette question pourrait
être suivie par la commission de suivi de l’Assemblée, dans le cadre
du dialogue régulier qu’elle conduit avec les autorités moldaves.