1. Introduction
1. Bien que les femmes représentent
plus de la moitié de la population européenne
et
malgré les obligations juridiques et engagements politiques des
Etats membres du Conseil de l’Europe et de leurs dirigeants, les
institutions qui forment nos systèmes politiques se composent de
longue date d’une très grande majorité d’hommes. Comme l’indique
la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de
Venise) dans ses Lignes directrices sur la réglementation des partis
politiques, «le faible nombre de femmes dans la sphère politique
demeure un problème crucial affectant le bon fonctionnement des
processus démocratiques
». Je ne peux
que souscrire à cela. En effet, le niveau actuel de représentation
politique des femmes est incompatible avec le principe de l’égalité
entre les sexes qui devrait constituer l’un des piliers de nos démocraties.
La démocratie représentative, en dépit de ses lacunes, est le système
de gouvernement des sociétés complexes le plus juste et le plus
efficace. Or, si la partie la plus importante de la population n’est
pas correctement représentée, on peut se demander s’il est possible
de considérer ce système comme représentatif et même démocratique.
2. Pour que la situation évolue, ce sont les hommes qui sont
au pouvoir, et qui l’occupent parfois depuis longtemps, qui doivent
le céder. Or il ne suffit pas de demander pour parvenir à un tel
résultat. Il faut parfois prendre des mesures volontaristes, telles
que l’introduction d’obligations juridiques, voire modifier radicalement
l’approche de la société sur ces questions
, ou les deux.
3. Un rapport récent relève que, au rythme actuel des progrès,
une enfant née aujourd’hui touchera sa retraite avant d’avoir une
chance quelconque d’être représentée de manière équitable au parlement
de son pays
. Pourtant les femmes ont le droit d’être
impliquées, et les Etats ont le devoir de les impliquer, dans la prise
de décisions politiques. Il n’y a en effet aucune raison crédible
pour que la politique soit traitée différemment des autres domaines
de la vie en ce qui concerne l’objectif d’égalité entre les sexes.
Au contraire, le manque de représentation des femmes en politique
affaiblit la légitimité démocratique des organes concernés.
4. L’Assemblée parlementaire a régulièrement pris position en
faveur de mesures destinées à remédier à la sous-représentation
des femmes dans les institutions démocratiques
.
Au cours des dernières décennies, toute une série de mesures ont
en outre été prises en Europe et au-delà pour accroître la représentation
des femmes en politique. Des travaux de recherches ont été menés
sur l’état actuel de la représentation politique des femmes, et
diverses sources fournissent des renseignements à ce sujet. Ces
travaux sont essentiels pour comprendre la situation actuelle et
les mécanismes qui l’ont créée.
5. Il semble, cependant, que peu d’attention ait été accordée
jusqu’à présent à l’évaluation de l’impact des mesures déjà adoptées
pour améliorer la représentation politique des femmes. Il conviendrait
également d’examiner si les mesures déjà prises, et qui ont eu une
incidence positive à court terme, ont des effets durables. C’est
pourquoi je pense qu’il est nécessaire, avant de recommander l’adoption
de nouveaux textes législatifs et politiques, d’analyser les mesures
mises en place jusqu’à présent et d’en évaluer les effets. Il est également
important de comprendre les contextes spécifiques dans lesquels
différentes mesures peuvent être les plus efficaces. La finalité
du présent rapport est de recenser les politiques couronnées de
succès, d’en décrire le fonctionnement et d’en recommander l’adoption
dans les contextes dans lesquels elles sont susceptibles de donner
des résultats positifs.
2. Méthodologie
6. J’ai examiné dans ce rapport
à la fois le niveau actuel de la représentation politique des femmes
en Europe et l’incidence des mesures adoptées jusqu’à présent pour
promouvoir leur participation. Je me suis principalement concentrée
sur la représentation des femmes dans les organes élus, et surtout
dans les parlements nationaux.
7. J’ai tenu à mettre en avant les progrès obtenus dans les différents
Etats membres du Conseil de l’Europe, mais aussi à recenser les
obstacles qui entravent la participation des femmes à la vie politique.
Il est tenu compte, autant que possible, des études comparatives
qui peuvent éclairer les raisons pour lesquelles différentes pratiques
peuvent être plus ou moins efficaces dans différents contextes politiques.
Au sein du Conseil de l’Europe, par exemple, la Commission de Venise
a adopté un rapport sur «La méthode de désignation des candidats
au sein des partis politiques» portant sur les critères, y compris
le genre, qui sont appliqués par les partis politiques dans la sélection
des candidats. Mme Maria del Carmen Alanis
Figueroa, qui figure parmi les rapporteurs, a participé à une audition
organisée par notre commission le 10 septembre 2015, ce qui a constitué
une excellente occasion de débattre des différents aspects de cette
question.
8. J’ai estimé important de compléter ces recherches grâce à
des contributions d’experts et d’orateurs invités aux auditions
de la commission. Par exemple, j’ai trouvé pertinent que la commission
soit informée de l’expérience du réseau informel entre membres de
différents partis politiques établi en Serbie en 2013, le Réseau
parlementaire des femmes, que Mme Obradović
a présenté lors de la réunion du 25 juin 2014 de la sous-commission
sur l’égalité de genre, à Strasbourg. Il était tout aussi intéressant
d’en apprendre plus sur la représentation politique des femmes en
France en s’appuyant sur l’exposé présenté par Mme Réjane
Sénac, présidente de la commission «Parité en matière politique,
administrative et dans la vie économique et sociale», Haut Conseil
à l’égalité entre les femmes et les hommes (France), lors de la
réunion de la Commission le 20 mars 2015 à Paris. Lors de la réunion
du 10 septembre 2015, outre l’intervention de Mme Alanis
Figueroa, de la Commission de Venise, Mme Zeina
Hilal, de l’Union interparlementaire, a fourni à notre commission
des informations intéressantes sur les tendances en matière de représentation
politique des femmes. Les exposés de ces deux spécialistes présentaient
également l’intérêt de ne pas se limiter géographiquement à l’Europe. Alors
que les textes de l’Assemblée sont essentiellement axés sur les
Etats membres du Conseil de l’Europe, il est souvent utile de prendre
en compte les expériences acquises dans d’autres parties du monde,
comme en Amérique latine et en Afrique. J’ai également reçu de précieux
renseignements de Mme Marilisa D’Amico, professeure
de droit constitutionnel à l’Université de Milan, spécialiste de
l’égalité des sexes en démocratie et coordinatrice du cursus «Femmes,
politique et institutions» au sein de cette université, et j’ai
bénéficié d’échanges intéressants avec Mme Maria
Elena Boschi, ministre italienne des Réformes constitutionnelles
et des Relations avec le parlement.
9. J’ai également fait appel à l’aide du Centre européen de recherche
et de documentation parlementaires (CERDP), auquel j’ai adressé
un questionnaire destiné à rassembler des informations sur la représentation politique
des femmes dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et
au-delà. Trente-quatre services de recherche de parlements membres
du CERDP, situés dans 32 Etats membres du Conseil de l’Europe et deux
Etats observateurs, le Canada et Israël, ont répondu à ce questionnaire.
Les informations ainsi recueillies ont alimenté, en particulier,
mes conclusions concernant les «mesures d’accompagnement» (celles
adoptées en plus des mesures positives pour renforcer leur impact
et veiller à ce qu’il s’inscrive dans la durée).
10. De plus, j’ai participé à la mission d’observation de l’Assemblée
des élections législatives en Turquie, le 1er novembre
2015. Je présente dans ce rapport mes réflexions sur ces élections
sous l’angle spécifique de la représentation politique des femmes.
En outre, les 10 et 11 novembre 2015, je me suis rendue en mission d’information
en Suède, pays que j’ai choisi pour ses réalisations remarquables
en matière d’égalité des sexes. La Suède affiche le meilleur indice
d’égalité hommes-femmes selon les derniers calculs réalisés par
l’EIGE (Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les
femmes, Union européenne), avec un score de 74,3 sur 100 (contre
54 pour la moyenne de l’Union européenne), et la représentation
politique contribue à ce score. J’ai aussi tenu compte des précieuses
informations partagées avec les participants à la 3e Conférence internationale
du Processus Nord-Sud pour le renforcement du rôle des femmes, qui
s’est tenue à Rabat (Maroc) les 17 et 18 juin 2014 sur le thème
«La participation des femmes à la vie politique dans les pays du Sud
et de l’Est de la Méditerranée: défis et opportunités». Cette conférence,
co-organisée par le Centre européen pour l’interdépendance et la
solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) du Conseil de l’Europe et
le ministère marocain des Affaires étrangères et de la Coopération,
en partenariat avec l’Assemblée parlementaire et la Division pour
l’Egalité entre les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe,
a porté en particulier sur l’égalité des sexes en démocratie en
Algérie, en Egypte, au Liban, en Libye et au Maroc.
11. Je considère comme entrant dans la préparation de ce rapport
ma participation à la Conférence régionale sur l’égalité de genre
dans les processus électoraux, organisée par la Commission de Venise
en coopération avec la Commission électorale centrale de Géorgie
à Tbilissi les 25 et 26 novembre 2015. En plus de partager avec
d’autres participants certaines des informations et recommandations
présentées dans mon rapport, j’ai pu avoir des échanges fructueux,
notamment avec Mme Khatuna Totladze,
vice-ministre des Affaires étrangères de Géorgie, et avec plusieurs
experts d’organisations intergouvernementales, échanges qui sont
reflétés dans ces pages.
12. Enfin, je souhaite remercier les autres membres de la commission
sur l’égalité et la non-discrimination pour avoir enrichi la préparation
de ce rapport de leurs idées. Au sein de notre commission, le soutien
à une meilleure représentation politique des femmes dépasse les
clivages politiques. J’espère qu’il en ira de plus en plus de même
au sein des parlements nationaux.
3. Faits
et chiffres
13. Les résultats des dernières
élections au Parlement européen illustrent aussi bien l’ensemble
des progrès accomplis que le fait que ces progrès ne devraient jamais
être tenus pour acquis. En 1979, le pourcentage des femmes élues
était de 16 %. Depuis, le pourcentage global de femmes occupant
des sièges au Parlement européen a augmenté à chaque élection
. Des élections précédentes en 2009
aux dernières élections en 2014, le pourcentage de femmes élues
est ainsi passé de 35,05 % à 36,88 %. Cette augmentation globale
masque cependant des écarts importants d’un pays à l’autre: par
exemple, le pourcentage de femmes parmi les députés d’Irlande et
de Lituanie, qui était dans les deux cas de 25 % (trois députés
sur douze) en 2009, est passé à 55 % (six députés sur onze) en 2014
pour l’Irlande tout en tombant à 9 % (une femme sur onze députés)
pour la Lituanie
.
14. Au niveau national, seuls quatre parlements nationaux dans
les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe comptent actuellement
plus de 40 % de femmes
.
Lors des élections de décembre 2015 à la chambre basse du Parlement
espagnol, une proportion record de femmes a été élue: 39 %, contre
35 % auparavant. Au total, seuls 13 parlements (y compris les quatre
parlements susmentionnés) sont composés d’un tiers ou plus de femmes
,et
seuls sept autres parlements nationaux comprennent une proportion
se situant entre un quart et un tiers de femmes
.
En d’autres termes, dans les 27 autres des 47 Etats membres du Conseil
de l’Europe, le nombre de femmes représentées dans les chambres
basses des parlements ou dans les parlements à chambre unique se
situe à moins de 25 %
. Dans mon pays, l’Italie, les femmes représentent
31 % des membres de la Chambre des députés (chambre basse du parlement)
depuis les élections de 2013, et 28 % au Sénat, l’augmentation s’expliquant
principalement par le choix des candidats par les partis politiques.
Des progrès encourageants ont été accomplis à l’extrémité inférieure
du spectre: à l’heure actuelle, aucun Etat membre ne compte moins
de 10 % de femmes dans son parlement national
. Ils étaient cinq
Etats membres en 2005 et trois en 2008
. Dans l’ensemble,
cependant, il est évident qu’il reste une marge de progrès considérable
en matière de représentation politique des femmes dans les parlements nationaux.
15. Ces données montrent que l’égalité des sexes et la participation
politique des femmes dépendent de divers facteurs ainsi que des
contextes politiques, économiques, sociaux et culturels propres
à chaque pays. Par exemple, c’est seulement au siècle dernier que
les femmes ont obtenu le droit le plus fondamental à cet égard,
à savoir le droit de vote: la date va de 1906 en Finlande à beaucoup
plus tard, dans les années 70, dans d’autres pays.
16. Parmi les facteurs politiques déterminants pour la participation
des femmes à la vie publique figurent sans aucun doute le système
électoral, les partis politiques et leurs statuts, les critères
de sélection des candidats, les mesures positives telles que les
quotas (imposés par la loi ou volontaires), les dispositions juridiques
et l’action des organisations non gouvernementales (ONG) et autres
associations. Le facteur le plus général est l’inscription dans
la constitution du principe de l’égalité entre les hommes et les
femmes, reflété ensuite dans la législation et dans l’action des
institutions et des pouvoirs publics.
17. Les facteurs sociaux pertinents sont le système de protection
sociale, les possibilités de congé parental, le partage des tâches
ménagères et familiales, les mesures de conciliation entre vie professionnelle
et privée et les régimes d’assurance-vieillesse.
18. Parmi les facteurs économiques, les écarts de salaire entre
hommes et femmes et l’accès aux professions et aux carrières sont
particulièrement importants, ainsi que le financement des petites
entreprises.
19. Des facteurs culturels jouent sur les possibilités, pour les
femmes, de participer effectivement à la vie politique et au développement
économique et social d’un pays. L’éducation et la formation sont
cruciales, puisqu’elles constituent un préalable à l’acquisition
des compétences nécessaires et à l’éradication des stéréotypes qui
empêchent toujours d’atteindre une véritable parité. Les stéréotypes
en question consistent souvent à ne voir dans les femmes que des
mères, chargées de s’occuper du foyer.
20. Pour les femmes actives en politique, l’accès aux médias,
la représentation et l’espace médiatique dont elles bénéficient
lors des campagnes électorales constituent des sujets cruciaux,
avec celui du financement de leur campagne.
21. Les nombreuses recherches que j’ai conduites dans le cadre
de la préparation de ce rapport m’amènent à conclure que les éléments
ci-dessus ne doivent pas être considérés séparément, car ils sont
en fait étroitement liés et interagissent différemment selon le
contexte social et culturel de chaque pays. La bonne approche à
adopter pour parvenir à l’égalité des sexes dans la vie politique
est donc une approche globale, incluant des mesures quantitatives
et qualitatives.
4. Constitutions
et droits constitutionnels
22. La représentation politique
des femmes a progressé lorsque les législateurs ont adopté des règles
visant à remédier à la sous-représentation des femmes dans les organes
élus, en particulier via des réformes instaurant des droits constitutionnels
égaux tels que le droit de vote et d’éligibilité, le droit d’accès
aux charges publiques et d’autres droits et libertés fondamentaux,
tels que le droit à la propriété, à la succession, au mariage, à
la citoyenneté, etc., des droits constitutionnels visent à supprimer
les discriminations, fondées sur le sexe ou sur d’autres considérations,
qui restreignent l’égalité des citoyens devant la loi.
23. Dans les différentes constitutions, les dispositions relatives
aux droits civils et politiques des femmes ouvrent la voie à l’égalité
des sexes et à l’égalité dans la citoyenneté et offrent une assise
à des actions plus spécifiques en faveur de l’égalité.
24. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée
en 1948, mentionne «l’égalité des droits des hommes et des femmes».
La notion d’égalité entre les hommes et les femmes a été renforcée
par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes (CEDAW), à laquelle 189 Etats membres des Nations
Unies sont Parties. Toutes les constitutions ou lois fondamentales
des Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) affirment la pleine citoyenneté et l’égalité
des femmes, ainsi que la pleine jouissance des droits électoraux.
Cependant, il convient de noter que beaucoup de réformes ayant abouti
à l’égalité formelle sont récentes: les droits électoraux n’ont été
accordés aux femmes qu’en 1971 en Suisse, en 1976 (abolition de
toutes les restrictions restantes) au Portugal et en 1978 en République
de Moldova.
5. Systèmes
électoraux
25. Le système électoral retenu
dans un pays a un impact direct sur la participation des femmes
en politique, puisqu’il détermine la manière dont les voix se traduisent
en sièges. On peut distinguer trois grandes familles de systèmes
électoraux, selon la formule de répartition des sièges: majoritaire,
proportionnel et mixte, plus une quatrième famille regroupant les
systèmes qui n’entrent dans aucune des trois catégories précédentes.
Même en l’absence de quotas, les systèmes électoraux ont en eux-mêmes
des conséquences différentes sur la représentation des femmes
.
26. Je ne compte pas examiner en détail l’incidence des systèmes
électoraux sur la parité dans la représentation politique; il est
bien établi cependant que dans l’ensemble, les systèmes électoraux
entièrement fondés sur la représentation proportionnelle, ou qui
comprennent un élément de représentation proportionnelle, semblent
contribuer plus efficacement à l’élection de candidates que les
systèmes de scrutin majoritaire entièrement basés sur des circonscriptions
uninominales
.
27. Toutefois, pour comprendre les mécanismes en jeu, il est important
d’en examiner les composantes, et notamment leurs trois éléments
principaux: l’étendue des circonscriptions et des partis, la formule
de calcul (majoritaire ou proportionnelle) et la structure du scrutin.
28. Concernant la représentation des femmes au parlement, il est
crucial de distinguer entre les systèmes prévoyant des circonscriptions
uninominales, dans lesquels chaque circonscription élit un seul
parlementaire, et les systèmes prévoyant des circonscriptions plurinominales,
dans lesquels chaque circonscription élit plusieurs parlementaires.
Dans les circonscriptions uninominales, chaque parti ne peut désigner
qu’une personne par circonscription et seul est élu le candidat
ayant obtenu la majorité relative ou absolue des suffrages (en fonction
du système). Le défi pour les candidates potentielles tient d’abord
à se faire désigner par leur parti (voir plus loin, chapitre 8.1),
puis à recueillir les suffrages des électeurs. Cela peut s’avérer difficile.
La désignation d’une candidate se heurte souvent aux aspirations
d’hommes influents au sein du même parti et à leurs «réseaux de
copinage masculins». Les circonscriptions uninominales sont généralement considérées
comme moins favorables à la désignation et à l’élection de candidates
que les circonscriptions plurinominales.
29. Comme l’explique le Dr Michael Krennerich, chercheur à l’Université
d’Erlangen-Nuremberg, des études empiriques récentes tendent à montrer
que l’importance électorale des partis compte encore plus que l’étendue
des circonscriptions. L’équilibrage des candidatures entre les sexes
ne produit d’effets dans une circonscription que si le parti concerné
prévoit d’y gagner plusieurs sièges. Il existe clairement un lien
entre l’importance électorale des partis et la taille des circonscriptions.
Dans les circonscriptions moyennes ou grandes, les grands partis
peuvent s’attendre à remporter plusieurs sièges, ce qui rend leur
stratégie d’équilibrage des candidatures plus efficace. De grandes
circonscriptions et des partis importants ne suffisent pas à eux
seuls à garantir une forte représentation des femmes, mais ont,
au moins, l’avantage de permettre l’application effective d’une
stratégie d’équilibrage des candidatures lorsqu’il existe une volonté
politique en ce sens
.
30. Le type de scrutin définit la manière dont les électeurs peuvent
exprimer leurs choix. Un système électoral peut être centré sur
les candidats ou sur les partis. L’application de quotas est plus
facile dans ceux qui sont centrés sur les partis.
31. Ce n’est que dans les pays disposant de quotas par sexe bien
conçus et assortis d’obligations de placement strictes (c’est-à-dire
de règles portant sur la place des candidates sur les listes) que
les différences entre l’ampleur des partis et des circonscriptions
ne sont pas nécessairement significatives, du moment que le parti
remporte plusieurs sièges.
32. En raison de l’effet de l’importance électorale des partis,
tout système combinant un nombre moyen de sièges important par circonscription
et un seuil légal élevé est théoriquement favorable aux femmes.
En raison de la dynamique inhérente à l’équilibrage des candidatures
entre les sexes, la combinaison entre une représentation proportionnelle
dans des circonscriptions de grande ampleur ou même d’ampleur nationale d’une
part et d’un seuil légal d’autre part semble favoriser la désignation
et l’élection de candidates.
33. Cependant, les systèmes électoraux en vigueur dans chaque
pays sont conçus en tenant compte d’un certain nombre d’objectifs
concurrents. Il s’agit généralement d’assurer la représentation
équitable des partis politiques, d’éviter la fragmentation de ceux-ci
dans la mesure où elle peut déboucher sur des niveaux contre-productifs
d’instabilité politique, de donner aux électeurs une possibilité
de voter pour des candidats spécifiques et de veiller à ce que le
système électoral soit suffisamment clair pour les électeurs sans
générer des coûts excessifs pour les autorités de l’Etat. Aucun
système n’est en mesure de concilier parfaitement tous ces objectifs,
et c’est pourquoi les Etats font des choix différents en fonction
des objectifs qu’ils considèrent comme les plus importants dans
leur contexte socioculturel et politique
.
34. Parmi les facteurs institutionnels à l’œuvre en politique,
la représentation des femmes au parlement peut être fortement influencée
non seulement par le système électoral, tel que décrit ci-dessus,
mais aussi par les quotas, et les partis politiques jouent aussi
un rôle crucial pour déterminer quelles personnes – et, ce qui nous intéresse,
combien de femmes – entreront finalement au parlement. Nous allons
donc examiner de plus près ces éléments.
6. Systèmes
de quotas
35. Les quotas électoraux sont
le principal type de mesures positives utilisé pour accroître la
représentation politique des femmes. Ils constituent une forme d’action
volontariste pour aider les femmes à surmonter les obstacles qui
les empêchent d’entrer en politique de la même manière que leurs
collègues masculins. Le Quota Project, base de données mondiale
en ligne sur les systèmes de quotas issue des efforts conjoints d’International
IDEA, de l’Union interparlementaire et de l’université de Stockholm,
montre que le recours aux quotas électoraux de femmes est bien plus
répandu qu’on ne le croit généralement et que de plus en plus de pays
mettent actuellement en place de tels quotas, sous différentes formes.
Environ la moitié des pays du monde appliquent aujourd’hui un système
de type quotas électoraux lors de leurs élections législatives.
36. Il existe différents types de quotas, avec pour principale
distinction les quotas volontairement appliqués par les partis,
d’une part, et ceux inscrits dans la législation ou la constitution,
d’autre part. Les quotas légaux sont inscrits dans la législation
relative aux élections, aux partis politiques, ou dans d’autres
textes de loi comparables du pays, et s’imposent donc à toutes les
entités politiques. Le non-respect des quotas légaux ou constitutionnels
peut entraîner des sanctions allant de la disqualification de candidats
à l’imposition d’amendes et jusqu’à la disqualification de tout
le parti. Les quotas volontaires sont adoptés par les partis eux-mêmes
afin de garantir la désignation d’un certain nombre ou d’une certaine
proportion de candidates. Ils ne sont pas juridiquement contraignants
et aucune sanction n’est donc prévue pour les faire appliquer.
37. Les quotas peuvent s’appliquer pendant le processus de désignation
ou être tournés vers les résultats. Dans le premier cas, ils visent
à aider les femmes à se trouver inscrites sur la liste de candidats
d’un parti ou à se présenter dans une circonscription. Les modalités
varient, allant de règles souples à très strictes prescrivant une
alternance spécifique hommes-femmes. Cependant, lorsqu’on demande
simplement la désignation d’un certain pourcentage de femmes comme
candidates sans préciser leur place sur la liste, elles peuvent
se retrouver en fin de liste, avec très peu de chances d’être élues
.
38. Les quotas axés sur les résultats consistent à réserver aux
femmes un pourcentage ou un certain nombre de sièges au parlement.
On peut, par exemple, prévoir une liste exclusivement féminine dans
une circonscription, ou un niveau électoral exclusivement féminin,
avec l’élection de femmes à un nombre prédéterminé de sièges. Autre
forme de quotas axés sur les résultats: le système du «meilleur
perdant». Parmi les candidates, celles qui ont remporté le plus
de voix, jusqu’au nombre fixé par le quota, sont élues même si des
candidats masculins en ont remporté davantage.
39. Quelle que soit leur forme, les quotas doivent être inscrits
dans la constitution, dans la loi électorale ou dans la législation
sur les partis politiques pour que leur application soit garantie.
40. Les quotas sont loin de faire l’unanimité et soulèvent des
critiques, pour plusieurs raisons. Le principal argument contre
les systèmes de quotas est l’idée qu’ils iraient à l’encontre du
principe d’égalité, puisqu’ils favoriseraient certains candidats
en raison de leur sexe. Ils sont aussi souvent considérés comme
réduisant la liberté de choix des électeurs. Beaucoup de femmes
politiques s’opposent même aux quotas car elles ne veulent pas être
élues «juste parce qu’elles sont des femmes». Cependant, le soutien
aux systèmes de quotas augmente, à mesure qu’une nouvelle idée de
l’égalité des sexes gagne du terrain: l’égalité des résultats est en
train de remplacer la notion, plus ancienne et plus abstraite, d’égalité
des chances.
41. J’ai moi-même changé d’avis et je suis à présent en faveur
des quotas, après avoir eu l’occasion de suivre un cursus universitaire
sur les femmes en politique, qui m’a permis de beaucoup mieux comprendre
la diversité des obstacles que les femmes rencontrent à la fois
pour entrer en politique et lors de toutes les étapes ultérieures
(se présenter à des élections et faire campagne est bien sûr important,
mais ne constitue qu’un aspect de la vie politique parmi beaucoup
d’autres). J’en suis arrivée à la conclusion que la compétition
était si inégale, et la nécessité de renverser la situation si urgente,
que le recours à des mesures apparemment radicales – comme les quotas
– était en fait nécessaire.
42. Un examen attentif de la situation en Europe montre que, ces
dernières années, des quotas juridiquement contraignants (imposés
par la loi) ont été instaurés pour les élections législatives dans
plusieurs pays, dont l’Albanie, l’Arménie, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine,
l’Espagne, l’«ex-République yougoslave de Macédoine», la France,
l’Irlande, la Pologne, le Portugal, la Serbie et la Slovénie. Dans
ces pays, la représentation des femmes se situe actuellement dans
une fourchette allant de 41,1 % à la chambre basse espagnole à 10,7 %
au Parlement arménien.
43. Dans d’autres pays, tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Norvège,
la République tchèque, le Royaume-Uni ou la Suède, certains partis
politiques ont décidé d’appliquer des quotas volontaires lorsqu’ils
établissent leurs listes ou désignent des candidats pour des circonscriptions
uninominales. Dans ces pays, la représentation des femmes varie
de 39,6 % en Norvège à 19 % en République tchèque.
44. D’autres pays encore, comme la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie,
la Finlande, la Lettonie et le Liechtenstein, n’appliquent aucun
quota, et la proportion de femmes représentées dans leurs parlements nationaux
varie de 42,5 % en Finlande à 20 % au Liechtenstein
.
45. Prenons l’exemple de deux pays spécifiques, la Pologne et
le Danemark. En Pologne, des quotas obligatoires sont imposés aux
partis politiques: au moins 35 % des candidats inscrits sur les
listes électorales doivent être des femmes. Or la proportion de
femmes élues lors des dernières élections législatives en 2011 n’a
été que de 24 %. Au Danemark, où il n’existe ni quotas juridiquement
contraignants ni quotas volontaires, les femmes représentent 39 %
des députés.
46. Les faits et chiffres présentés ci-dessus montrent clairement
qu’il n’y a pas de corrélation directe entre l’existence d’un système
de quotas (qu’ils soient prescrits par la loi ou volontairement
appliqués par les partis) et la représentation des femmes dans les
parlements nationaux. Quelques pays ont même atteint une représentation
plus équilibrée des deux sexes sans aucun quota. Les pays qui ont
adopté des quotas obligatoires n’enregistrent pas nécessairement
de meilleurs résultats que ceux qui ont privilégié des quotas volontaires
ou qui n’en appliquent pas. J’aimerais examiner les facteurs qui
pourraient expliquer des résultats aussi divergents.
47. Le niveau de représentation imposé par les règles sur les
quotas constitue un facteur important. Même dans les systèmes de
quotas juridiquement contraignants, le pourcentage minimum de candidats
de chaque sexe peut varier. Il peut aller d’une proportion égale
de femmes et d’hommes sur les listes des partis en Belgique et sur
l’ensemble des candidats des partis en France à une part minimale
de femmes située entre 30 % et 40 % dans la plupart des cas, pour
tomber à 15 % seulement dans le système de représentation proportionnelle
de l’Arménie. Sur la base des expériences dans plusieurs pays, en
particulier en Amérique latine, on constate qu’afin d’être efficaces
les quotas doivent être ambitieux. Alors qu’une proportion minimale, fixée
sur le papier, ne se concrétise pas nécessairement dans la réalité,
il apparaît qu’un objectif plus élevé conduit à des résultats plus
élevés. J’estime donc que les Etats membres du Conseil de l’Europe
devraient envisager l’introduction du principe de la parité dans
leur législation. Ceci nécessite une forte volonté politique et
un large consensus, dans la mesure où cela peut avoir des conséquences
importantes (en particulier, un système prévoyant une parité à 50-50
peut être considéré comme permanent, tandis qu’on voit généralement dans
les quotas une mesure temporaire). On assiérait ainsi sur des bases
solides une véritable égalité des sexes en démocratie.
48. En outre, les systèmes de quotas, imposés par la loi ou volontaires,
ne devraient pas spécifier uniquement que les partis doivent présenter
une certaine proportion de candidates. Dans le cas de la Pologne, l’introduction
de quotas juridiquement contraignants n’a pas produit les résultats
attendus, car les partis politiques ont souvent relégué les candidates
en bas des listes. Ainsi, sauf si les systèmes de quotas prévoient une
disposition indiquant qu’un nombre défini de candidates doivent
être placées sur les listes en position éligible, ou des règles
concernant l’ordre de classement des candidats sur une liste, l’augmentation
de la proportion de femmes candidates ne se traduira pas nécessairement
par une plus forte proportion de femmes élues au parlement.
49. Même une réglementation sur les quotas bien conçue peut ne
pas avoir l’incidence escomptée, en raison de divers facteurs externes
liés à la situation politique dans son ensemble. Le cas des élections
de 2011 en Tunisie l’illustre bien. L’«égalité des chances entre
la femme et l’homme pour assurer les différentes responsabilités
et dans tous les domaines» est inscrite dans la Constitution tunisienne
et la loi électorale s’en inspire. Cette loi impose la parité entre
les sexes sur les listes avec un système d’alternance (un homme,
une femme). Mais, à la suite du soulèvement du «Printemps arabe»
et après la mise en place d’institutions démocratiques, il y a eu
un tel éclatement du paysage politique que plus de 80 partis et
mouvements ont participé aux élections d’octobre 2011 en constituant
des listes séparées. La plupart des mouvements n’ont réussi qu’à
faire élire leur tête de liste, qui était un homme dans la grande
majorité des cas. Ceci incite à penser qu’en fonction du système
électoral, il pourrait être nécessaire de compléter les quotas «verticaux»
par des quotas «horizontaux» (portant sur les têtes de liste dans
l’ensemble des circonscriptions) pour garantir l’efficacité du système
.
50. Les études montrent aussi que même lorsqu’il existe des systèmes
de quotas imposés par la loi, leur impact dépend dans une large
mesure de la question de savoir si – et avec quelle efficacité –
ils sont appliqués. Par exemple, malgré l’imposition de sanctions
financières aux partis politiques ne respectant pas les quotas juridiquement
contraignants pour les élections législatives en France (50 % de
candidats de chaque sexe), tous les partis ne respectent pas cette
obligation. Dans certains cas, les partis choisissent délibérément d’essuyer
des sanctions plutôt que de respecter leurs obligations légales,
jugeant qu’une forte proportion de candidates risquerait de nuire
à leur score électoral
.
Il semble que la sanction la plus efficace pour non-respect des
dispositions sur les quotas soit le rejet des listes. Cette sanction,
qui pour des questions de proportionnalité pourrait être limitée
aux cas de non-respect les plus graves, ne peut être ignorée par
les partis politiques. Elle s’est par exemple révélée très efficace
au Sénégal, où plus de 42 % des membres de l’actuel parlement sont
des femmes.
51. L’expérience des élections européennes de 2009 et 2014 confirme
que si les quotas constituent un outil efficace pour accroître la
présence des femmes dans les organes politiques, ils n’entraînent
pas automatiquement une représentation égale des hommes et des femmes.
D’après une étude de 2013 du Parlement européen, les quotas doivent
s’accompagner de règles sur le placement des candidates sur les listes
et, dans les systèmes majoritaires, il est nécessaire de prévoir
des règles concernant la répartition entre les sexes des sièges
«sûrs» ou «gagnables»
.
52. Les quotas doivent comprendre des règles relatives à l’ordre
des candidats et des sanctions en cas de non-respect. Leur efficacité
dépend aussi de l’existence d’organes institutionnels qui supervisent
l’application des quotas et imposent des sanctions en cas de manquement.
7. Participation
des femmes à la vie politique aux niveaux local et régional
53. Il est ressorti des débats
au sein de la commission qu’une meilleure représentation politique
des femmes devrait commencer aux niveaux local et régional. Cela
garantirait une meilleure représentation de la diversité de la population
tout en donnant aux femmes et aux hommes des chances égales de progrès
dans une carrière politique. Alors que la proportion des femmes
dans les parlements nationaux et dans les cabinets ministériels est
souvent utilisée comme indicateur de la représentation politique
des femmes, il ne faudrait pas oublier que, pour beaucoup de femmes
et d’hommes politiques, l’expérience aux niveaux local et régional
constitue une étape nécessaire sur la voie des responsabilités politiques
au niveau national. Tous les grands aspects de l’action politique,
dont la participation aux élections, les discussions avec les acteurs
sociaux et économiques et la prise de décisions affectant la vie
d’une communauté, peuvent être vécus aux niveaux local et régional.
54. Dès 1999, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil
de l’Europe a adopté la Résolution 85 (1999) et la Recommandation
68 (1999) sur la participation des femmes à la vie politique dans
les régions européennes. Le Congrès appelait alors les Etats membres,
parmi d’autres mesures, à modifier leur législation nationale dans
le but de surmonter les obstacles à la mise en œuvre d’une véritable
égalité des chances dans la vie politique pour les hommes et les
femmes et à introduire des mesures positives visant à faciliter
l’accès des femmes aux charges publiques et aux postes politiques.
55. Plus de dix ans après, en 2010, la situation n’avait pas radicalement
changé, puisque le Congrès devait rappeler dans sa Résolution 303
(2010) «Pour une égalité durable des genres dans la vie politique
locale et régionale» que «dans la vie politique locale et régionale
européenne, les élus ne sont pas toujours représentatifs de la diversité
de toute la population». Dans cette résolution, le Congrès invite
les collectivités locales et régionales, parmi d’autres mesures,
à encourager les femmes à être candidates aux élections, à assurer
le renouvellement des personnes ayant un mandat politique, à amener
les élus à encourager et solliciter les femmes pour qu’elles se
portent candidates et à concevoir et adopter des plans d’action
en faveur de l’égalité en y associant les organisations de femmes.
56. En Italie, une loi adoptée en 2012 vise à rééquilibrer la
représentation des sexes dans les organes élus aux niveaux local
et régional via la double voix paritaire et l’obligation de présenter
au moins un tiers de candidatures féminines aux élections locales.
Au niveau régional, ces dispositions sont rarement appliquées, puisque
chaque région décide comment «promouvoir l’égalité d’accès des hommes
et des femmes aux mandats électifs au moyen de mesures favorisant
les candidatures de personnes du sexe sous-représenté». Le nombre
croissant de femmes élues dans les conseils municipaux montre que
des mesures positives inscrites dans la loi sont efficaces, et devraient
être également appliquées au niveau régional.
57. J’estime important de toujours tenir compte de la dimension
locale et régionale. C’est un défi permanent que de réaliser l’égalité
entre les sexes dans la représentation politique. Cela nécessite
l’unité d’action de toutes les parties prenantes. Il faut donc non
seulement que les femmes et les hommes, et les femmes et hommes
politiques sur tout l’éventail politique, coopèrent afin d’atteindre
cet objectif, mais aussi que tous les niveaux de représentation
politique soient sensibilisés à cette problématique.
8. Mesures
prises et parties prenantes
8.1. Partis
politiques
58. «Contrairement à l’opinion
communément répandue, d’une manière générale, ce ne sont pas les électeurs
mais les partis politiques qui décident qui va être élu», comme
l’indique Drude Dahlerup, spécialiste de la disparité entre les
sexes
. Trois stades
principaux peuvent être identifiés dans le processus de recrutement
des candidats: l’auto-sélection pratiquée par des individus qui
expriment le souhait de se présenter aux élections, la sélection
par les partis politiques et enfin, l’élection par scrutin. Des
travaux de recherche ont montré qu’au troisième stade du processus,
le choix des électeurs est influencé principalement par les partis
– leurs antécédents, leurs prises de position politique – plutôt
que par la question de savoir si les candidats sont des femmes ou
des hommes
.
Ainsi, les partis politiques déterminent largement la composition des
parlements (et celle des organes élus aux niveaux local et régional).
Ils peuvent donc jouer un rôle crucial dans l’amélioration de la
représentation politique des femmes. Les mesures prises pour accroître
le nombre de femmes dans nos parlements devraient donc consister,
d’une part, à encourager davantage de femmes à poser leur candidature
et, d’autre part, à inciter les partis politiques à choisir un plus
grand nombre de femmes candidates et à les placer sur les listes
de telle sorte qu’elles puissent raisonnablement espérer être élues.
59. Les partis politiques appliquent des règles internes et des
procédures prédéfinies au recrutement et à la sélection de leurs
candidats. Parmi les stratégies efficaces mises en œuvre par des
partis pour recruter davantage de femmes figurent l’adoption et
l’application de quotas spécifiques au parti, des objectifs informels et
d’autres mécanismes positifs à tous les niveaux, y compris pour
les fonctions internes au parti
.
60. Les quotas volontaires supposent un certain engagement des
partis politiques, visant à ce qu’une proportion spécifique de femmes
figure parmi leurs candidats à des fonctions électives. Le plus
souvent, ils sont inscrits dans les constitutions, statuts ou règlements
intérieurs des partis. En Europe, la première adoption de telles
mesures remonte au début des années 1970, dans quelques partis socialistes
et sociaux-démocrates. Dans le courant des années 1980, elles ont
commencé à apparaître dans un éventail diversifié de partis dans
de nombreuses régions du monde. Aujourd’hui, presque tous les Etats
participants de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE) comptent au moins quelques partis appliquant des
quotas de genre à leur processus de sélection des candidats
.
61. Concernant les résultats électoraux, comme nous l’avons vu
plus haut, les partis politiques n’ont pas grand-chose à perdre
en choisissant de présenter une part plus importante de candidates,
et les possibilités d’adopter des mesures proactives dans ce domaine
sont considérables. L’Assemblée parlementaire a mis l’accent sur
le rôle important que les partis sont susceptibles de jouer dans
sa
Résolution 1898 (2012) sur les partis politiques et la représentation politique
des femmes. Cette résolution indique un large éventail de mesures
que pourraient adopter les partis politiques, basées sur des bonnes
pratiques identifiées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
Ces recommandations prévoient notamment l’engagement officiel, figurant
dans les statuts, de respecter l’égalité entre hommes et femmes
ainsi que l’égalité des chances, l’organisation de campagnes et
d’activités destinées à encourager l’adhésion des femmes, la création
de structures exclusivement féminines dotées de financements adéquats,
ou l’assurance que les structures des partis choisissant les candidats
aux élections soient pleinement représentatives de la société et
incluent un pourcentage proportionnel de femmes. Cette résolution
recommande en outre de garantir la plus grande transparence dans
la procédure de sélection des candidats aux élections et d’instaurer
un quota minimal de 40 % pour le sexe sous-représenté dans les organes
exécutifs des partis à tous les niveaux. Une autre série de mesures
recommandées concernent des programmes de mentorat et de formation
pour le renforcement de la capacité à occuper des positions de responsabilité
en matière politique, ainsi que des programmes de formation aux
techniques des médias et à la communication médiatique durant les
campagnes.
62. Les quotas des partis fixent habituellement un objectif situé
entre 25 % et 50 % de candidates. Ils s’appliquent à la composition
des listes des partis dans les pays au système électoral proportionnel,
et à des groupes de circonscriptions uninominales dans les pays
à scrutins majoritaires. Les quotas des partis ont un impact sur
le nombre de femmes élues lorsque:
- cette politique est adoptée par de nombreux partis, et
notamment par plusieurs grands partis;
- les quotas retenus appellent à la désignation d’une proportion
relativement élevée de candidates et comprennent des dispositions
sur le placement des candidates sur les listes du parti, dans les
systèmes de représentation proportionnelle;
- la forme de quota retenue est compatible avec des traditions
et pratiques culturelles bien comprises et largement acceptées;
- les partis disposent de structures d’organisation et de
procédures de désignation formelles, permettant aux organes internes
du parti de faire appliquer les règles. Lorsque les procédures de
désignation sont plus informelles, par exemple dans les partis clientélistes,
dont les dirigeants choisissent personnellement comme candidats
un petit groupe de partisans loyaux, les mécanismes de mise en œuvre
ont beaucoup de mal à garantir la présence de femmes .
63. Les quotas des partis ont été particulièrement efficaces en
Suède, où les femmes se sont mobilisées au sein des partis politiques
et en dehors, depuis les années 1920, pour promouvoir la sélection
de candidates et où les réformes socio-économiques ont nettement
modifié des facteurs structurels et culturels tels que l’éducation,
la participation à l’activité économique, la prise en charge des
enfants et les congés parentaux.
64. Là où les quotas en eux-mêmes sont particulièrement controversés,
comme dans certains partis conservateurs, mais aussi dans plusieurs
contextes nationaux, les partis politiques peuvent rejeter les quotas formels
mais établir néanmoins des buts ou objectifs informels en matière
de sélection de femmes. On parle alors de «quotas informels». Il
y en a deux grands types: d’une part les objectifs informels, d’autre
part les recommandations et quotas destinés aux organes internes,
censés influencer indirectement le nombre de femmes qui, à terme,
se présenteront à des élections.
65. Comme évoqué plus haut, la Commission de Venise a adopté en
juin 2015 un rapport sur «La méthode de désignation des candidats
au sein des partis politiques». L’étude repose sur les réponses
fournies par 27 pays et par plusieurs partis politiques à un questionnaire
qui comprenait deux séries de questions, ainsi que sur des recherches
sur les règles en vigueur dans 23 autres pays. Les informations
recueillies portent sur la représentation des femmes, des jeunes,
des minorités et des populations vulnérables. Je me concentrerai
sur les aspects en lien avec le sujet traité ici. J’ai pris en compte
ses recommandations dans la préparation du projet de résolution
66. Le rapport analyse la relation entre la liberté des partis
politiques de réglementer leur fonctionnement de façon autonome,
y compris pour le choix de leurs candidats, et l’ambition que peut
avoir l’Etat de promouvoir des valeurs démocratiques, notamment
en réglementant les activités des partis politiques.
67. La Commission de Venise précise clairement que l’adoption
de mesures légales visant à favoriser le respect des principes démocratiques
dans le choix des candidats est cohérente avec les normes internationales
relatives aux droits de l’homme et avec les recommandations de la
Commission de Venise elle-même. Toutefois, l’ingérence de l’Etat
pourrait mettre le pluralisme en danger, en particulier dans les
pays dont le passage à la démocratie est récent. C’est donc à chaque
pays de choisir entre une démarche libérale, favorisant la liberté
des partis politiques et l’absence de réglementation de leur fonctionnement
interne, et une démarche allant à l’opposé, visant au renforcement
par la loi de la démocratie interne dans le choix des candidats.
Le rapport recommande également que les exigences imposées aux partis
politiques en matière de sélection des candidats soient:
- en cohérence avec le système
électoral;
- soumises à une supervision effective de la part d’organes
indépendants, tels que des tribunaux avec compétence électorale
ou des commissions électorales;
- proportionnées, c’est-à-dire pesant le moins possible
sur la liberté des partis politiques.
68. Lors de l’audition du 10 septembre 2015 et au cours d’échanges
après la réunion, Mme Alanis Figueroa a
fourni d’intéressantes informations sur le rôle crucial joué par
des organes indépendants dans le suivi de la mise en œuvre de ces
réglementations. Au Mexique, la Cour fédérale électorale dispose
de larges compétences qui couvrent les litiges relatifs à la protection
des droits politiques des citoyens, en particulier le droit de vote,
le droit d’éligibilité, le droit de réunion ou le droit d’adhérer
à un parti. Mme Alanis a expliqué que les
partis politiques commençaient à respecter la réglementation sur
la désignation des candidats grâce aux décisions de la Cour électorale.
8.2. Organisations
internationales, ONG, défenseurs de l’égalité des chances, collectifs
de femmes, réseaux de la société civile, syndicats et autres acteurs
69. Parallèlement aux partis politiques,
diverses entités et organisations peuvent aussi adopter des politiques
pertinentes. Ainsi, les pouvoirs publics peuvent procéder à un réexamen
de la législation pour assurer que l’égalité des droits entre les
femmes et les hommes est garantie, notamment en ce qui concerne les
droits politiques. Comme indiqué précédemment, les parlements eux-mêmes
peuvent modifier la législation électorale, par exemple pour introduire
des quotas de femmes sur les listes générales, des listes entièrement composées
de femmes, des listes alternant les candidats masculins et féminins,
ou pour instaurer un système électoral proportionnel avec de grandes
circonscriptions, reconnu comme plus propice à l’égalité des chances entre
candidats hommes et femmes
. Ils peuvent aussi réexaminer
leurs règlements et procédures internes, y compris les services
et conditions de travail, les règles de recrutement des dirigeants,
les horaires des séances et la mise à disposition de structures
de garde d’enfants.
70. D’autres acteurs jouent également un rôle dans la promotion
de la représentation des femmes en politique, dont les organisations
internationales, les ONG, les commissions gouvernementales pour
l’égalité des sexes, les défenseurs de l’égalité des chances, les
collectifs de femmes, les réseaux de la société civile et les syndicats.
A travers leurs propres programmes de formation et politiques d’égalité,
ils peuvent jouer un rôle important, y compris en menant des campagnes
de sensibilisation et d’information pour encourager les femmes à
se présenter aux élections et en organisant des programmes de renforcement
des capacités pour les aider dans ce processus.
71. Ces acteurs peuvent contribuer à développer les compétences,
l’expérience, les connaissances et les ressources des femmes en
lice pour une élection et une fois qu’elles sont élues. Des initiatives
nombreuses et variées visent à renforcer les savoir-faire et les
aptitudes des femmes actives en politique et à promouvoir la représentation
des femmes et leur participation à la vie politique. Il en existe
trois grandes sortes, qui se recoupent: promotion de l’égalité des
chances (formation des candidats, campagnes de recrutement et mise en
commun des savoirs), lutte contre les stéréotypes, et mesures de
sensibilisation (campagnes médiatiques et éducation à la citoyenneté
).
72. Les organisations internationales, comme les Nations Unies,
l’OSCE, l’Union interparlementaire et naturellement le Conseil de
l’Europe, n’adoptent pas directement de politiques pertinentes autres
que celles concernant leur fonctionnement interne. Elles peuvent
néanmoins adresser à leurs membres des textes à prendre en considération
(résolutions, recommandations, documents de politique). A titre
d’exemple, on peut citer la Décision 7/2009 du Conseil ministériel
de l’OSCE sur la participation des femmes à la vie politique et publique,
la Résolution 66/130 de 2011 de l’Assemblée générale des Nations
Unies sur la participation des femmes à la vie politique et un certain
nombre de textes adoptés par l’Assemblée parlementaire dont le plus récent
est la
Résolution 1898
(2012), déjà mentionnée.
73. Pour parvenir à une meilleure représentation des femmes en
politique et préserver cet acquis, il faut que les femmes intéressées
possèdent déjà ou puissent acquérir rapidement les compétences requises.
Des réseaux d’échange de connaissances, des programmes de mentorat
et des formations dûment financés peuvent contribuer à renforcer
les compétences et les ressources des candidates. Il est important
que les partis politiques, les médias et les organisations non gouvernementales
participent activement à ce genre d’initiatives.
8.3. Médias
74. En 1995, la Plate-forme de
Beijing a défini comme but stratégique la promotion dans les médias
d’une image équilibrée et non stéréotypée des femmes. Depuis lors,
les organisations internationales ont adressé de nombreuses résolutions
et recommandations à leurs Etats membres – sans grands résultats.
75. Les femmes sont moins présentes que les hommes dans les médias
et ne disposent que d’un espace limité dans les émissions d’actualité
et d’information politique. Les commentaires concernant les femmes politiques
continuent de porter sur leur tenue vestimentaire, sur des ragots
ou sur leur vie privée plutôt que sur leurs actions et résultats
politiques. Dans les médias, les femmes sont encore présentées sous
les angles traditionnels de l’éducation, des affaires sociales et
des violences ou du harcèlement dont elles sont victimes. A la télévision
italienne, les femmes politiques ne sont présentes que sur 20 %
du temps d’antenne consacré à la politique. Cela vaut en particulier
lors des campagnes électorales.
76. Les médias montrent souvent les femmes politiques sous un
jour négatif et stéréotypé, avec une tendance à les rabaisser et
à ne pas se concentrer sur leurs résultats politiques. Dans le questionnaire
adressé au CERDP, à la question de savoir si les femmes politiques
se voyaient réserver un espace médiatique, 100 % des 34 entités
ayant rempli le questionnaire ont tout simplement répondu «non».
Les journaux décrivent souvent les désaccords entre femmes parlementaires
comme des «crêpages de chignon», et les femmes qui discutent de
questions politiques en ligne reçoivent des torrents d’insultes
sexistes en réponse
.
9. Obstacles
à la participation des femmes en politique et «mesures d’accompagnement»
77. Les mesures évoquées ci-dessus
montrent que la promotion de la représentation des femmes tient
à de multiples facteurs, et que des stratégies diversifiées sont
nécessaires pour sensibiliser à la nécessité de l’équilibre entre
les sexes. Au-delà de la possible réticence à mettre en place des
mesures telles que des quotas légaux ou volontaires, il est important
de tenir compte des autres obstacles qui entravent ou ralentissent les
efforts déployés pour augmenter la représentation politique des
femmes.
78. Il n’est, par exemple, pas suffisant de tenir compte des questions
d’égalité des sexes lors des campagnes si les femmes, une fois élues,
ne parviennent pas à se faire entendre. Les instances législatives s’organisent
autour d’une série de règles, de procédures de fonctionnement et
de structures institutionnelles qui peuvent gêner la participation
égale des femmes à toutes les activités parlementaires, prises de
décisions et fonctions de direction. Au cours de la discussion au
sein de notre commission, un grand nombre de membres ont indiqué
que les horaires inadaptés des travaux parlementaires, les obligations
de mobilité (nécessité d’être présentes dans la capitale du pays
pendant les sessions parlementaires) et l’accès à la garde d’enfants
étaient des problèmes importants à résoudre dans ce domaine.
79. L’étude commandée par l’OSCE «Gender Equality in Elected Office:
a Six-Step Action Plan» («Egalité des sexes dans les mandats électifs:
un plan d’action en six étapes»), que j’ai déjà mentionnée, montre
que la sensibilisation à cette problématique dans un parlement passe
par deux grands axes. Le premier consiste, pour un parlement, à
se montrer capable d’intégrer l’égalité des sexes à ses travaux
de définition des politiques, à ses priorités législatives et à
ses débats en mettant cet aspect en valeur dans toutes les politiques publiques.
Le second concerne la culture et les conditions de travail du parlement
en question (par exemple, des séances se prolongeant tard le soir
ou l’absence de structures de garde d’enfants peuvent poser problème).
80. Pour faciliter la participation des femmes, il conviendrait
que les organes parlementaires revoient leurs procédures internes
pour que leurs structures et conditions de travail soient adaptées
aux hommes comme aux femmes
,
à ce que les fonctions de direction soient réparties de manière
équilibrée entre les hommes et les femmes et à ce qu’il existe une
égalité d’accès aux programmes d’intégration, aux formations et
aux activités de développement des aptitudes.
81. La représentation des femmes dans les médias et en ligne constitue,
comme je l’ai déjà souligné, un autre obstacle à surmonter. Les
recherches sur la présence et l’image des femmes politiques dans
les médias montrent l’importance des activités de formation pour
améliorer les compétences médiatiques des femmes et les faire davantage
remarquer. Dans le même temps, elles soulignent que les journalistes
doivent transmettre une image positive des femmes et accroître leur
visibilité, en particulier s’agissant des femmes qui sont spécialistes
de leur domaine.
82. Pour les candidates, l’un des principaux défis à relever consiste
à financer leur désignation et leur campagne électorale, aussi bien
dans les démocraties émergentes que dans celles déjà établies. Décider
de se présenter, réussir à se faire désigner par un parti et mener
une campagne électorale, tout cela coûte cher, et le manque de moyens
est l’un des plus grands obstacles pour les femmes, plus encore
que pour les hommes. Les femmes ont de fait moins accès aux ressources
financières et aux grands réseaux de financement, ou les maîtrisent
moins. L’expérience montre que plusieurs de ces difficultés pourraient
être surmontées par la mise en œuvre de stratégies complètes conçues
pour renforcer la position des femmes candidates
.
83. S’agissant du financement public des partis politiques, comme
le montrent les réponses au questionnaire du CERDP, dans quelques
cas, une «clause de genre» s’applique à l’octroi des fonds: en Bosnie-Herzégovine
par exemple, 10 % du montant total des financements publics sont
attribués en fonction du nombre de sièges remportés par le sexe
le moins représenté; en Croatie, le montant attribué pour chaque député
élu est augmenté d’un bonus de 10 % pour chaque député du sexe sous-représenté;
en Géorgie, un parti dont la liste comporte au moins 30 % de femmes
reçoit 30 % de financement en plus. En Italie, la loi de 2014 abolissant
le financement public des partis politiques prévoit des amendes
pour les partis qui n’affectent pas au moins 10 % des contributions
volontaires qu’ils reçoivent des électeurs à des activités visant
à renforcer la participation active des femmes en politique. En
revanche, les partis politiques qui désignent des candidats des
deux sexes sont récompensés. Cependant, les réponses ne signalent
aucun cas dans lequel les partis politiques perçoivent des fonds
pour financer des activités en faveur de la représentation politique
des femmes. Cela serait pourtant souhaitable, en particulier pour
promouvoir des activités de formation, qui bénéficieraient autant
aux femmes politiques qu’à leurs homologues masculins.
84. Les participants à la première Conférence régionale sur l’égalité
de genre dans les processus électoraux, tenue à Tbilissi en novembre
2015, ont souligné l’importance d’encourager les partis politiques
à améliorer leurs mécanismes de soutien au financement des campagnes
des candidates, via des financements publics et la promotion d’incitations
financières à une meilleure représentation des femmes dans les partis politiques,
assortis de la promotion des candidates et de la transparence quant
à l’usage des fonds publics destinés à améliorer l’égalité des sexes.
85. Les actions visant à surmonter ces obstacles sont souvent
nommées «mesures d’accompagnement», puisqu’elles accompagnent les
principales mesures (en particulier les quotas) et en renforcent
l’impact. Il peut s’agir d’activités de formation et autre renforcement
des capacités pour les candidates ou candidates potentielles, du
fait de réserver un espace médiatique aux femmes politiques ou de
mesures de conciliation entre activité politique et vie privée,
telles que des dispositions de congé parental applicables aux deux
sexes, mais aussi des services concrets comme des structures de
garde d’enfants. Les mesures visant à réduire les inégalités structurelles
sur le marché du travail et à modifier l’équilibre actuel entre
travail rémunéré et non rémunéré (travaux ménagers, soins aux enfants
au sein de la famille par exemple) jouent également un rôle important.
Comme le confirment les réponses au questionnaire transmis au CERDP,
les mesures d’accompagnement que je viens d’énumérer sont hélas
rarement appliquées.
86. Pendant la quatrième partie de session 2015 de l’Assemblée,
j’ai eu le plaisir de rencontrer Mme Marija Obradović,
membre de la délégation serbe, pour parler plus en détail du Réseau
parlementaire des femmes qu’elle avait déjà présenté à la sous-commission
sur l’égalité de genre en juin 2014. J’ai été une fois de plus impressionnée
par l’enthousiasme et par l’engagement de notre collègue et par
la pertinence des activités de ce Réseau pluripartite. J’y vois
un bon exemple des possibilités de mise en place de mesures d’accompagnement
par divers acteurs: pouvoirs publics, mais aussi partis politiques,
organisations non gouvernementales, organisations internationales
et même agences de coopération internationales.
87. Certaines des membres fondatrices du Réseau ont bénéficié
de formations à la prise de parole en public et à d’autres savoir-faire
nécessaires en politique, menées par une organisation non gouvernementale
et financées par USAID, l’agence de coopération des Etats-Unis.
Le Réseau lui-même organise régulièrement des activités de formation
destinées aux femmes politiques, mais aussi aux entrepreneures.
Les activités de formation sont d’une grande importance: je ne peux
que saluer cette initiative et recommander de la reproduire dans
d’autres contextes.
88. Par ailleurs, le Réseau réagit en publiant un communiqué chaque
fois qu’une femme politique est la cible de propos haineux ou misogynes.
De fait, il ne faut surtout pas sous-estimer de telles attaques
personnelles, car, outre qu’elles ternissent l’image de la femme
politique visée, elles perpétuent des stéréotypes négatifs et peuvent
nuire à toutes les femmes. L’usage d’un «contre-discours», qu’il
s’agisse de fournir des informations exactes face à de fausses rumeurs
ou simplement de souligner que les propos tenus sont inacceptables, représente
une pratique à recommander.
89. Les mesures d’accompagnement sont cruciales. Pour accroître
la représentation politique des femmes, le seul recours aux mesures
positives, sans s’attaquer aux racines du déséquilibre actuel entre
les sexes, risque de devenir une pratique artificielle aux résultats
incertains. Notre but à terme ne devrait pas être d’obliger les
organes élus à accueillir davantage de femmes, mais d’atteindre
une représentation équilibrée des sexes au sein des partis et institutions
politiques à tous les niveaux. Cela suppose, entre autres, que les femmes
et les hommes aient un niveau équivalent d’expérience et d’engagement
politique et de relations personnelles. Les mesures d’accompagnement
devraient viser à créer ces conditions préalables.
90. Le choix des mesures visant à accroître la participation politique
des femmes et l’ordre de priorité de ces mesures devraient dépendre
de la situation réelle et des obstacles auxquels les femmes sont
confrontées dans tel ou tel contexte et non être dictés par des
préférences abstraites, presque idéologiques. Selon le paysage économique,
social et culturel de chaque pays, le principal obstacle peut tenir
à une absence de mesures de conciliation entre travail et vie privée,
rendant l’activité politique incompatible avec une vie de famille,
à une forte résistance culturelle, ou encore à une réglementation
sur les partis politiques particulièrement vague, sans incidence
sur les pratiques traditionnelles qui ne se soucient pas de l’inégalité
entre les sexes et rendant plus difficile pour les femmes d’obtenir
une représentation à tous les niveaux des partis. Il est d’une importance cruciale
d’analyser en profondeur la situation des femmes dans la vie publique
et politique avant d’adopter de nouvelles législations et politiques.
Seule une telle analyse peut garantir que les mesures adoptées soient
à même de changer la situation.
91. De toute évidence, il existe aussi toute une série de facteurs
socio-économiques, culturels et politiques qui peuvent gêner ou
faciliter l’accès des femmes au parlement et à un mandat électif.
La participation des femmes en politique dépend de facteurs tels
que le statut socio-économique des femmes, leur niveau d’instruction
ou leur part dans la population active. Les approches culturelles
mentionnent des différences entre les sexes dans la socialisation
politique et le rôle assigné à chacun des sexes dans la vie adulte,
ainsi que l’importance dévolue à la religion ou aux traditions culturelles
.
92. Il faut aussi compter avec les facteurs véritablement politiques,
tels que les caractéristiques institutionnelles des démocraties
et des systèmes de partis, le soutien prodigué par les partis ou
la vigueur du mouvement féministe. Pour les femmes, deux des principaux
obstacles sur la voie d’un mandat électif sont, comme nous l’avons
vu au chapitre 8.1, la procédure de sélection des candidats par
les partis et la nécessité de remporter les suffrages des électeurs,
déterminés entre autres par la place des femmes dans la société
et en politique.
93. La question cruciale est celle de savoir si et comment les
quotas légaux, les quotas volontaires établis par les partis politiques,
le système électoral et les autres mesures peuvent influencer et
améliorer la représentation politique des femmes et leur participation
à la vie politique.
10. Evaluation
des mesures
94. L’analyse des politiques existantes
est nécessaire, car ces politiques se révèlent parfois moins efficaces que
prévu. Il convient de noter que l’évaluation des mesures doit être
non seulement quantitative, c’est-à-dire axée sur la proportion
de femmes dans les divers organes politiques décisionnels et représentatifs,
mais aussi qualitative, pour savoir dans quelle mesure les femmes
occupent des positions clés au sein de ces organes. Il faut donc
tenir compte non seulement du pourcentage de femmes parlementaires
mais aussi de la part de femmes parmi les présidents et vice-présidents
de parlements, les chefs de groupes politiques, les présidents de
commissions et autres personnes occupant des postes de pouvoir aux
yeux du public.
95. L’évaluation de l’impact des mesures prises pour accroître
la représentation politique des femmes passe donc par la définition
d’indicateurs, qui peuvent être:
- le
nombre de femmes inscrites sur les listes électorales;
- le nombre de femmes réellement élues au sein d’organes
décisionnels;
- les textes législatifs adoptés pour accroître la participation
politique des femmes;
- le nombre de femmes inscrites à des programmes de formation
visant à encourager la participation à la politique (tels que les
programmes de mentorat ou les programmes de formation aux médias);
- le nombre de femmes occupant des postes clés.
96. La «représentation
descriptive»
des femmes, qui peut être quantifiée grâce aux indicateurs susmentionnés,
n’indique pas automatiquement une volonté de faire progresser les
droits des femmes
.
La «représentation
substantielle» des
femmes reflète mieux la réalité de l’égalité des sexes en politique.
11. Les
femmes dans les parlements nationaux d’Europe: comparaison 2005-2015
97. L’idée de comparer la représentation
des femmes dans les parlements des Etats membres du Conseil de l’Europe
aujourd’hui et à une date antérieure, issue des discussions au sein
de la commission, m’a paru constituer une bonne base pour repérer
les législations et politiques efficaces. Nous avons choisi de comparer la
part de femmes dans les parlements des Etats membres du Conseil
de l’Europe en 2005 et en 2015.
98. Le niveau global de représentation politique des femmes est
en progression. Dans la très grande majorité des Etats membres du
Conseil de l’Europe, la proportion des femmes au parlement a augmenté
sur les dix dernières années. Quatre pays seulement enregistrent
un recul et on ne constate que deux cas, ceux de Chypre et de la
Lettonie, où ce recul est très marqué. Dans le cas du Danemark et
de la Suède, il ne s’agit que d’une légère variation de chiffres
qui restent élevés. Cependant, la moyenne européenne n’a augmenté que
d’un peu plus de 7 points au cours de la dernière décennie, passant
de 18,4 % à 25,5 %.
99. Dans quelques pays, la progression est considérable. Andorre,
par exemple, a vu sa part de femmes députées bondir de 14,3 % à
39,3 %; la Slovénie est passée de 12,2 % à 36,7 % et la Serbie de
7,9 % à 34 %. Ces pays méritent qu’on les examine de plus près pour
comprendre ce qui a rendu une telle évolution possible.
100. En Serbie, la législation électorale a été modifiée en 2011
et des mesures positives ont été adoptées afin d’accroître la représentation
des femmes. Il doit y avoir au moins un candidat du sexe sous-représenté pour
chaque tranche de trois candidats sur une liste. Ce principe, qui
concerne à la fois les élections nationales et locales, s’applique
par tranches de trois noms consécutifs, pour que les candidats du
sexe sous-représenté figurent sur toute la liste et non uniquement
vers la fin. Si une liste ne remplit pas cette condition, la personne qui
l’a présentée est invitée à y remédier et si elle ne le fait pas,
la commission électorale nationale ne valide pas la liste.
101. En Slovénie, un système de quotas pour les élections législatives
a été mis en place en 2006. En vertu des règles actuelles, il ne
doit pas y avoir moins de 35 % de candidats d’un des deux sexes
sur le nombre total de candidats d’une liste. Les sanctions sont
sévères: si la liste ne respecte pas la loi, la commission électorale la
rejette.
102. Les systèmes de quotas et l’application de sanctions effectives
en cas de non-respect expliquent la forte montée de la représentation
politique des femmes en Serbie et en Slovénie, fait intéressant
puisqu’il pointe la manière d’obtenir des progrès substantiels et
rapides. En revanche, l’augmentation encore plus importante observée
en Andorre ne résulte pas de modifications radicales de la législation
électorale. Elle s’explique plutôt, comme me l’ont appris le questionnaire
du CERDP et des contacts avec des collègues et experts andorrans,
par une évolution progressive de la culture et des mentalités, soutenue
par des lois et des politiques appropriées. La loi de 2014 sur les
partis politiques et le financement électoral, par exemple, énonce
à l’article 13 («Fonctionnement démocratique») que les partis doivent
prévoir dans leurs statuts la promotion de la parité des sexes.
L’équilibre hommes-femmes dans la représentation politique fait
partie des priorités des législateurs andorrans, mais ils semblent
privilégier une approche «en douceur», via des dispositions générales
et sans sanctions, qui porte manifestement ses fruits. Je ne peux
que saluer l’évolution culturelle de ce pays et féliciter mes collègues
pour la forte proportion de femmes parmi les membres du Conseil
général d’Andorre.
103. Je reste néanmoins favorable à l’instauration de quotas, non
seulement pour atteindre une représentation équilibrée des deux
sexes mais aussi pour la maintenir à plus long terme. Les droits fondamentaux,
comme nous le savons tous, ne sont jamais acquis une fois pour toutes,
et le niveau de représentation politique des femmes peut facilement
fluctuer. Le cas de la Turquie, que je vais maintenant présenter,
illustre clairement ce risque.
12. Les
élections législatives turques de novembre 2015: une leçon à retenir
104. Le 1er novembre
2015, j’ai participé à la mission d’observation des élections législatives
turques par l’Assemblée parlementaire. J’y voyais une occasion d’en
savoir plus sur la place des femmes en politique en Turquie, puisque
les élections constituent un moment particulièrement fort de la
vie d’une démocratie et peuvent aider à en comprendre le fonctionnement,
y compris sous cet angle spécifique. Lors de la réunion préparatoire
avec les représentants de tous les partis politiques, j’ai pu m’enquérir
de leurs pratiques de sélection des candidats et du rôle des femmes
dans leurs structures.
105. Des élections législatives anticipées ont été annoncées par
le Conseil électoral supérieur le 25 août 2015. La campagne s’est
déroulée dans un climat tendu, à la suite d’une forte recrudescence
du conflit entre les forces de sécurité et les groupes d’insurgés
kurdes après un processus de paix de deux ans et demi, et a été
marquée par l’explosion de bombes lors d’une manifestation pour
la paix à Ankara, le 10 octobre. Plus de cent personnes ont été
tuées dans cet attentat terroriste, le plus meurtrier de l’histoire
de la Turquie moderne.
106. Bien que la Constitution turque garantisse l’égalité des sexes,
la nomination de candidates et la présence de femmes dans le fonctionnement
des partis ne font l’objet d’aucune obligation légale spécifique. Certains
partis politiques ont décidé d’eux-mêmes d’appliquer des quotas
de femmes et autres mesures positives pour accroître la participation
des femmes. L’exemple du HDP (Parti démocratique des peuples) est particulièrement
intéressant. Il applique un quota de 50 % de femmes (plus un quota
de 10 % de personnes LGBT) et un système de coprésidence: il est
dirigé par deux personnes, une femme et un homme.
107. Une baisse de la proportion de candidates a pu être observée
dans la plupart des partis politiques. Au total, 24 % des candidats
figurant sur les listes de partis étaient des femmes, dont peu étaient
bien placées sur la liste. Ces élections ont abouti à une forte
baisse du nombre de femmes députées au Parlement turc. Les élections
précédentes, en juin 2015, avaient vu 97 femmes entrer au parlement,
soit 17 % des députés. Le nombre est passé à 82, soit 14,9 % des
députés.
108. Comment expliquer des résultats aussi décevants? Comme l’écrit
une observatrice politique dans le quotidien
Hurriyet
Daily News, «Dans les moments extrêmement tendus qui
ont suivi les élections de juin, les partis politiques ont oublié
les femmes dans leurs campagnes électorales. (…) Aucun des partis
n’a fait figurer l’égalité des sexes dans ses documents de campagne,
et ils n’ont vu aucun problème à diminuer le nombre de candidates
sur leurs listes
». Même KaDer, groupe qui milite
en faveur des femmes en politique quel que soit leur parti, a décidé
de ne pas lancer de campagne pour les élections du 1er novembre
comme il l’avait fait pour d’autres scrutins, «en raison des attentats
sanglants de Suruç et d’Ankara et parce qu’il ne semblait pas judicieux
de se centrer sur les femmes candidates dans la spirale de violence
que le pays traversait», selon sa présidente Gönül Karahanoğlu.
109. L’importance de ces élections a aussi eu un impact sur le
choix des candidats. Les enjeux étaient si élevés pour les différents
partis politiques, non seulement l’AKP, qui avait perdu sa majorité
absolue lors des élections de juin et cherchait à la retrouver,
mais aussi ses principaux concurrents, que la plupart n’ont pas voulu
«prendre le risque» de perdre des voix en désignant des femmes.
110. L’observation des élections en Turquie, que je voyais comme
un moyen d’en savoir plus sur la représentation politique des femmes
dans ce pays, m’a finalement appris une leçon plus générale, qui s’applique
selon moi à la majorité des pays. Pour diverses raisons que je me
suis déjà efforcée de présenter, comme le manque de relations personnelles
et de financement, des obstacles au sein des partis politiques et des
facteurs culturels à l’œuvre dans l’ensemble de la société, dont
les stéréotypes sur chaque sexe, les femmes sont toujours le maillon
faible du système politique. Leur place dans le scénario politique
ressemble souvent à une faveur, concédée par les hommes qui contrôlent
les structures, et reste précaire. A tout moment, une situation
particulièrement critique peut remettre en question la représentation
des femmes. En période difficile, les hommes politiques sont tentés
de reprendre l’espace que les femmes avaient réussi à conquérir et
d’élargir leur propre influence. Les quotas sont probablement la
meilleure réponse à ce défi. Non seulement ils garantissent aux
femmes une place adéquate dans les organes élus, mais ils les mettent
à l’abri des changements de contexte qui menacent de remettre en
question l’équilibre des pouvoirs.
13. Suède:
l’ambition de s’améliorer sans cesse
111. J’ai mené les 10 et 11 novembre
2015 une mission d’information en Suède. J’ai choisi ce pays pour
son engagement de longue date à promouvoir l’égalité des sexes,
y compris dans la représentation politique. Comme déjà mentionné,
la Suède affiche le meilleur indice d’égalité hommes-femmes selon
les derniers calculs réalisés par l’EIGE (Institut européen pour
l’égalité entre les hommes et les femmes, Union européenne), avec
un score de 74,3 sur 100 (contre 54 pour la moyenne de l’Union européenne).
La représentation politique des femmes relève du «pouvoir», l’un
des six domaines clés entrant dans le calcul de l’indice (avec le
travail, l’argent, le savoir, le temps et la santé).
112. Ces résultats ne sont pas arrivés du jour au lendemain, et
ne tiennent pas non plus à une formule magique. Les responsables
politiques et autres interlocuteurs que j’ai rencontrés à Stockholm
soulignent les liens étroits qui existent entre la représentation
politique des femmes et leur situation dans la société suédoise. Selon
eux, l’augmentation constante de la représentation des femmes au
parlement depuis les années 1920 (sauf lors d’un scrutin au début
des années 1990) s’explique aussi par leur importance croissante
sur le marché du travail et dans la sphère publique en général.
Comme me l’a expliqué la politologue Lenita Freidenvall, de l’université
de Stockholm, le niveau relativement élevé de représentation des
femmes dans les pays nordiques résulte de la combinaison de multiples
facteurs: institutionnels (système électoral, système des partis, règlements
internes et procédures de sélection des candidats des partis politiques),
socio-économiques (niveaux d’instruction élevés, fort taux d’activité
professionnelle, Etat providence) et culturels (culture de l’égalité
entre les sexes, égalitarisme, laïcité), ainsi que de l’engagement
des acteurs concernés, tels que les partis politiques et leurs sections
féminines et les organisations de la société civile.
113. Une succession de réformes visant à améliorer l’égalité des
sexes, aussi bien dans le cadre familial qu’en dehors, a contribué
à faire une place aux femmes dans la sphère publique. Parmi ces
réformes, il faut citer notamment l’instauration de l’imposition
individuelle (par opposition à l’imposition commune, pour les couples
mariés), en 1971; le congé parental, en 1974 (suivi de mesures pour
encourager les pères à prendre un tel congé); la loi sur l’égalité
des sexes, en 1979; la loi contre la discrimination fondée sur le
sexe en milieu professionnel, en 1980; la loi sur la violence envers
les femmes, en 1998; la mise en place d’un Médiateur pour l’égalité
des sexes, en 1980 (depuis remplacé par le Médiateur anti-discrimination)
et l’interdiction de l’achat de services sexuels, en 1999. En 2011,
la Suède a signé la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STE no 210), qu’elle a ratifiée
en 2014. En 2014, le gouvernement a aussi proposé un système amélioré
de suivi des objectifs d’égalité entre les sexes.
114. Les partis politiques ont activement contribué à ce processus
en prenant l’initiative d’appliquer des quotas ou des «recommandations»
(qui invitent les instances chargées du choix des candidats à respecter certaines
proportions de candidats hommes et femmes).
115. Pour parvenir à l’égalité entre les sexes en politique, la
Suède a intégré la prise en compte de l’égalité des sexes à tous
les domaines de la société: hommes et femmes ont la même capacité
à influer sur la société et sur leur propre vie
.
116. Un groupe de travail sur les questions d’égalité des sexes,
la Commission du président du parlement pour les questions d’égalité
des sexes, a été créé au Parlement suédois en 2003. Le Bureau du
Riksdag, principal organe décisionnel du parlement, a adopté un
Plan pour l’égalité des sexes. Parmi ses résultats les plus importants,
on peut citer la mise à disposition de services de garde d’enfants
au parlement, des horaires de vote fixes, une semaine sans séance
plénière par mois, le droit au congé parental et des séminaires
et réunions sur les questions d’égalité des sexes. Un nouveau Plan
pour l’égalité des sexes couvre actuellement la période 2014-2018
.
117. Tous mes interlocuteurs au cours de la visite considèrent
que, malgré les remarquables progrès accomplis à ce jour, il reste
encore des points à améliorer. Il y a toujours des distorsions sur
le marché du travail, où règnent des inégalités horizontales et
verticales, et hommes et femmes n’ont toujours pas le même salaire
à travail égal. Parvenir à l’égalité des sexes reste une grande
priorité, devenue un pilier de l’action de l’administration actuelle:
le gouvernement dirigé par le Premier ministre Stefan Löfven se
définit comme un «gouvernement féministe». Les mesures en faveur
de l’égalité des sexes sont généralement soutenues par tout l’éventail
des partis, à la seule exception du parti d’extrême-droite Démocrates
de Suède.
118. Chaque membre du Gouvernement suédois est responsable de l’égalité
des sexes dans son principal domaine, et les politiques en la matière
sont coordonnées par le ministère de l’Egalité des sexes. La division de
l’Egalité des sexes est chargée de coordonner les travaux du gouvernement
en ce sens, les initiatives spécifiques en faveur de l’égalité des
sexes et l’élaboration de méthodes de mise en œuvre des politiques gouvernementales
dans ce domaine. Des experts des questions d’égalité des sexes sont
présents dans chaque organe administratif du pays. Le Bureau du
Médiateur anti-discrimination veille au respect de la législation
anti-discrimination et de la loi sur le congé parental. Il existe
un Conseil contre la discrimination, qui peut imposer des amendes
aux employeurs et éducateurs qui ne prennent pas de mesures actives
pour empêcher les discriminations
.
119. Un parti nommé Initiative féministe a été créé en 2005. Il
n’est actuellement pas représenté au Parlement suédois mais siège
dans plusieurs conseils municipaux et a même remporté un siège au
Parlement européen. Mme Gita Nabavi,
membre Initiative féministe du conseil municipal de Stockholm, m’a
expliqué que son parti voyait dans le féminisme une doctrine politique
à part entière, comme le libéralisme ou le socialisme. Pour elle,
ce mouvement a été lancé pour combler un vide dans le paysage politique
suédois, qui n’avait pas de parti «d’essence féministe». Les responsables
politiques que j’ai rencontrés ne semblaient ni effrayés ni gênés
par la présence d’Initiative féministe. J’ai le sentiment que ce
parti relativement nouveau, avec ses membres peu nombreux mais très
motivés et ses méthodes peu conventionnelles (présence constante
sur les réseaux sociaux, réunion de style «Tupperware» chez des
particuliers où les militantes sont prêtes à présenter leur programme
à un public réduit), a contribué à attirer encore davantage l’attention
sur l’égalité des sexes.
120. Les réflexions culturelles et politiques sur la façon d’améliorer
la représentation politique des femmes se poursuivent. Certains
soulèvent même parfois la question de savoir pourquoi les femmes
et les hommes devraient être représentés de manière égale dans les
organes élus, avec des réponses diverses. Experts et parlementaires
notent que les motivations traditionnelles, comme l’idée qu’une
représentation plus diverse aurait un impact positif sur la qualité
de la législation ou que la présence de davantage de femmes politiques réduirait
la corruption, ne sont pas nécessairement les mieux fondées. Des
attentes trop grandes peuvent même s’avérer contre-productives.
Mes interlocuteurs ont souligné qu’en fait, la meilleure raison
d’appeler à une plus forte présence des femmes en politique était
l’équité de la représentation démocratique: hommes et femmes devraient
tout simplement être représentés de façon proportionnelle en politique.
121. J’ai été également très intéressée par l’analyse d’une autre
politologue, Elin Bjarnegård, de l’université d’Uppsala. D’après
elle, les politiques adoptées ne devraient pas seulement tenir compte
des aspects formels, comme la législation ou les règles inscrites
dans les statuts des partis. Des facteurs informels, comme les réseaux
personnels et les pratiques traditionnelles, ont aussi un impact
crucial sur la réalité de la représentation politique. La promotion
de l’égalité des sexes est même devenue partie intégrante de la politique
étrangère suédoise, puisqu’elle figure dans le mandat de l’Ambassadeur
pour l’égalité et Coordinateur de la politique étrangère féministe
au sein du ministère des Affaires étrangères. Même avant de mettre
officiellement en place sa diplomatie de l’égalité des sexes, la
Suède avait intégré cet aspect à ses activités internationales dans
le cadre de sa coopération au développement.
122. Je suis repartie de Suède avec des idées nouvelles et la confirmation
de ce en quoi je croyais déjà. L’engagement de tous les acteurs,
au niveau du gouvernement, du parlement et de la société civile,
m’a clairement paru la meilleure façon de garantir des progrès pérennes.
La généralisation de l’égalité des sexes semble constituer l’un
des piliers de l’action du gouvernement, qui repose depuis des décennies
sur une approche réellement globale. Les politiques et la législation
tiennent compte des liens étroits qui existent entre vie privé,
professionnelle et publique. Mon expérience suédoise m’a appris
que même lorsque des progrès substantiels ont été réalisés, il est
possible d’aller plus loin, et les réalisations doivent être consolidées.
14. Après
les quotas: place à la parité?
123. L’Assemblée parlementaire a
constamment soutenu l’adoption de mesures positives, en particulier
les quotas, pour accroître la représentation politique des femmes.
La
Résolution 1825 (2011) «Davantage de femmes dans les instances de décision
économiques et sociales» résume cette position comme suit: «L’Assemblée
est d’avis que les quotas constituent une exception transitoire
mais nécessaire pour permettre une discrimination positive, en vue
de favoriser un changement de mentalité et de réaliser l’égalité
de droit et de fait entre les femmes et les hommes.» Trois mots
sont essentiels ici: «nécessaire», «exception» et «transitoire».
J’ai donné suffisamment d’éléments dans ce rapport pour justifier
la nécessité des mesures positives.
124. Je partage l’opinion selon laquelle les quotas devraient être
provisoires, car tous les seuils fixés pour un sexe (20 %, 30 %,
40 %…) sont arbitraires et vont à l’encontre de l’égalité des sexes
sur le long terme. Puisqu’il y a à peu près autant d’hommes que
de femmes dans la population, la représentation politique de chaque
sexe n’est proportionnelle que si les instances élues se composent
pour moitié de chaque sexe. Je me demande par conséquent si, après
une phase transitoire de quotas, nous ne devrions pas envisager
le passage à la parité des sexes et demander à ce que les gouvernements
et les organes élus, en particulier les parlements, se composent
autant que possible d’une moitié de femmes et d’une moitié d’hommes.
Personnellement, j’observe avec grand intérêt les évolutions récentes
du droit constitutionnel en Amérique latine.
125. Le 10 février 2014, le Mexique a adopté un amendement à l’article
41 de la Constitution fédérale prévoyant que les partis politiques
mettent en place «des règles pour assurer la parité des sexes dans
la nomination des candidats aux élections législatives fédérales
et locales». Deux éléments attirent notre attention ici: premièrement
la référence à la «parité», et deuxièmement le fait que l’obligation
d’assurer la parité des sexes revienne aux partis politiques. Ils
sont reconnus comme des acteurs clés dans ce domaine. Outre le Mexique,
six pays d’Amérique latine – la Bolivie, le Costa Rica, l’Equateur,
le Honduras, le Nicaragua et Panama – sont récemment passés de quotas
légaux à des régimes de parité, en inscrivant le principe de la parité
de genre dans leur Constitution ou dans leur législation électorale.
126. En France, la loi de 2013 sur l’élection des membres des assemblées
départementales a créé les «binômes»: les candidats se présentent
par deux, un homme et une femme. Cette réforme innovante et ambitieuse
constitue un exemple intéressant d’application du principe de parité
en Europe. La vive opposition qu’elle a suscitée dans certains secteurs
de l’arène politique française semble montrer que les nouvelles
règles pourraient avoir un impact réel sur l’équilibre des pouvoirs
installés de longue date entre hommes et femmes politiques, au moins
au niveau local. J’espère que le «binôme», testé pour la première
fois lors des élections départementales de 2015, s’avérera un succès
et sera utilisé pour l’élection d’autres instances françaises. Je juge
également souhaitable que les Etats membres du Conseil de l’Europe
s’inspirent de cet exemple.
15. Conclusions
127. Parvenir à l’égalité des sexes,
y compris dans le domaine de la représentation politique, est un
objectif qui recueille un consensus de plus en plus large. L’article
14 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)
oblige les Etats membres du Conseil de l’Europe à assurer la jouissance
des droits fondamentaux sans discrimination, fondée notamment sur
le sexe. Cet engagement à promouvoir l’égalité des sexes et à améliorer
la représentation politique des femmes est souvent réitéré par des
dirigeants politiques, des parlementaires et des membres de gouvernements.
Aujourd’hui, la question est de savoir comment accélérer les progrès
concrets, qui sont à présent d’une lenteur intolérable. Le 30 août
2015, la Dixième réunion des présidentes de parlement a appelé à
la réalisation complète de l’égalité des sexes en une génération
et à l’«unité de pensée et d’action», en tant que puissant agent
de changement.
128. Je voudrais lancer cet appel moi-même: l’unité d’action signifie
l’unité de tous les acteurs, en particulier les législateurs et
les décideurs, sans distinction de sexe et d’affiliation politique.
Je crois que l’égalité des sexes est de plus en plus soutenue dans
la plupart des pays à travers tout l’éventail politique. Toutefois,
il est nécessaire de trouver les meilleurs moyens de parvenir à
cet objectif. Cela requiert une bonne évaluation des mesures déjà
mises en place. Il convient également de procéder à une analyse
en profondeur de la situation afin d’identifier les causes d’inégalité.
129. L’unité d’action implique également que la question de la
représentation politique des femmes, souvent considérée sous l’angle
de la proportion de femmes dans les parlements et les gouvernements
nationaux, se pose dans tous les contextes, y compris aux niveaux
local et régional et dans toute la société.
130. Les études que j’ai effectuées, les discussions au sein de
la commission et plusieurs auditions fructueuses ont indiqué clairement
que, lorsque diverses mesures positives sont mises en place afin d’accroître
la représentation politique des femmes, il est nécessaire d’assurer
un suivi constant de l’application de ces mesures et d’infliger
des sanctions réelles en cas de non-respect. Il est en outre nécessaire
d’éviter les échappatoires qui pourraient exister dans les lois
concernées. Comme les progrès dans la représentation des femmes
déclenchent souvent des résistances, les partis politiques et autres
parties prenantes se servent des failles existant dans les mesures
de discrimination positive pour contourner les obligations prévues
et perpétuer les pratiques traditionnelles de discrimination.
131. Par ailleurs, des mesures d’accompagnement sont nécessaires,
d’une part pour que les mesures positives fonctionnent et, d’autre
part, pour qu’elles aient un effet à long terme. Il s’agit d’activités
de formation et de sensibilisation pour développer les compétences
et les aptitudes des femmes, de l’affectation de ressources et de
financements à la promotion des travaux et des activités de campagne
des femmes politiques et de mesures favorisant la conciliation de
l’action politique avec la vie de famille, en particulier dans les organes
décisionnels majeurs.
132. Je voudrais insister sur le fait que les obstacles auxquels
se heurtent les femmes politiques pour accéder et pour mener des
activités politiques varient selon les pays. Ils sont étroitement
liés aux différents contextes culturels, économiques et politiques
ainsi qu’aux systèmes électoraux. Si les défis auxquels les femmes
sont confrontées sont divers, la réponse devrait varier en conséquence.
En d’autres termes, il n’existe pas une seule approche à la promotion
de la représentation politique des femmes. Une combinaison de mesures positives,
en particulier des quotas, et de mesures d’accompagnement, est nécessaire.
En même temps, afin de parvenir à l’égalité de genre en politique,
il faut adopter une approche globale et une perspective d’égalité de
genre dans tous les autres domaines de la société.