1. Introduction
1. La propriété intellectuelle
est un bien incorporel qui appartient généralement au propriétaire
ou au titulaire des droits d’une œuvre de création ou artistique
telle qu’une œuvre musicale ou littéraire, des photos ou des images.
Elle inclut également le design industriel, les logiciels informatiques
et certains secrets commerciaux. Les droits de propriété intellectuelle
sont pour l’essentiel des droits d’auteur, des brevets, des marques
ou des droits de modèles industriels.
2. Dans notre société actuelle fondée sur la connaissance, les
droits de propriété intellectuelle constituent des actifs commerciaux
extrêmement précieux. Le 6 mai 2015, la Commission européenne a
publié sa Communication sur une «Stratégie pour un marché unique
numérique en Europe» accompagnée d’un document de travail des services
de la Commission traitant de l’accès à des contenus protégés par
des droits d’auteur et de leur utilisation. Selon les estimations,
les secteurs à forte intensité de droits d’auteur génèrent 7 millions
d’emplois et contribuent approximativement à hauteur de 509 milliards
d’euros au produit intérieur brut de l’Union européenne.
3. Toutefois, certains éléments nouveaux affectent aujourd’hui
les droits de propriété intellectuelle. Premièrement, ces droits
sont menacés par l’augmentation au niveau mondial du commerce de
produits contrefaits et de la facilité avec laquelle il est techniquement
possible de partager certains types de matériel protégé par un droit
d’auteur sur internet. L’internet est devenu le principal moyen
de vente de produits contrefaits à l’échelon mondial. Entre le lancement
en 2012 de son projet de coopération internationale dans ce domaine
et la fin de l’année 2014, Europol a identifié 1 829 noms de domaine
utilisés pour vendre des contrefaçons en ligne

.
4. Pour les consommateurs, contrairement à ce qu’il en était
dans le monde analogique, il est devenu très facile – et toujours
plus facile, grâce à une plus grande largeur de bande et à l’accessibilité
des œuvres sur les appareils mobiles – non seulement d’accéder aux
œuvres et d’en faire des copies numériques, mais aussi de les rediffuser
sur internet. Bien souvent, cela se fait sans l’autorisation du
titulaire du droit. Dans la mesure où cela se fait en toute illégalité,
les utilisateurs finaux non seulement privent le titulaire du droit
d’auteur ou de droits voisin de leurs revenus d’exploitation, mais
ils peuvent aussi évincer l’auteur ou d’autres titulaires de droits
en se faisant les «distributeurs» de ses œuvres sur internet en
les mettant en ligne sur leurs sites web ou leurs blogs, sur les
réseaux sociaux ou en utilisant des services de partage de fichiers.
Les fournisseurs de services internet, comme les plates-formes en
ligne, tendent à soutenir les consommateurs dans cette démarche
(même s’ils ne le font pas nécessairement de manière directement
visible), étant donné les bénéfices économiques qu’ils tirent du
fonctionnement de ces plates-formes ou autres services sans avoir
à acquérir de licences.
5. Deuxièmement, beaucoup de modèles d’entreprise reposent sur
l’exploitation en ligne d’œuvres protégées par les droits d’auteur
détenus par d’autres. De plus, les contenus générés par les utilisateurs, protégés
en principe par le droit d’auteur, représentent une valeur commerciale
grandissante pour certaines industries en ligne. La Chambre de commerce
internationale à Paris a précisé dans son Panorama 2014 que l’émergence
de nouvelles applications et plateformes internet, l’omniprésence
croissante des appareils mobiles et d’internet, la largeur de bande
en progression constante et les comportements changeants des consommateurs
amènent les titulaires de droits intellectuels à reconsidérer leurs
stratégies et modèles de distribution, de commercialisation et de
contrôle de leurs actifs intellectuels dans l’environnement numérique. L’Observatoire
européen de l’audiovisuel du Conseil de l’Europe a montré, par le
biais de sa base de données MAVISE, que l’accès à des contenus numériques
protégés par des droits d’auteur est l’une des activités en ligne
les plus populaires, 35 % des internautes jouant ou téléchargeant
des jeux, des images, des films ou de la musique.
6. Troisièmement, les droits de propriété intellectuelle sont
protégés durant un certain laps de temps et sur un territoire géographique
donné. Ainsi, tant qu’il n’existera pas de normes internationales
harmonisées sur la propriété intellectuelle, internet permettra
en principe aux utilisateurs d’un pays d’accéder à des contenus
qui seraient légalement inaccessibles dans d’autres pays en raison
d’une protection différente des droits d’auteur. Même s’il y avait
une clarification au niveau international des normes juridiques
sur les droits de propriété intellectuelle en ligne et leur application
territoriale, la mise en œuvre de telles normes resterait un défi
majeur dans un marché mondialisé, où il est facile d’accéder à des
copies illégales de tels contenus et de les acheter en ligne.
7. Comme indiqué dans la note d’information de Mme Silke
von Lewinski (que je remercie en particulier pour son travail) sur
lequel je fonde mon rapport largement, il est difficile pour les
titulaires du droit d’auteur de contrôler l’utilisation de leurs
œuvres sur internet et donc de faire respecter leurs droits afin
d’en recueillir les fruits. Bien qu’ils puissent protéger leurs
contenus par des mesures de protection technique, comme le cryptage
ou des mesures de protection contre la copie, et bien que la loi
les protège juridiquement contre le contournement et autres actes
similaires, le recours aux mesures de protection technique s’est
révélé impopulaire auprès des consommateurs, si bien qu’en particulier
l’industrie musicale ne les applique plus aux utilisateurs finaux.
Les fournisseurs de services internet bénéficient de dispositions
protectrices généreuses dans la Directive de l’Union européenne
sur le commerce électronique de 2001, qui prévoit l’exonération
de leur responsabilité en cas d’utilisation de contenus illicites
via leurs services, sous certaines conditions, en particulier si
leur rôle est «passif».
8. La propriété intellectuelle peut notamment être limitée pour
des raisons liées à l’intérêt public, par exemple à des fins éducatives
ou scientifiques. De plus, le droit à la liberté d’information a
entraîné la limitation des droits d’exclusivité pour la retransmission
audiovisuelle de grands événements d’intérêt public, par exemple
le droit aux extraits télévisés sur les grands événements sportifs.
9. Les utilisateurs finaux, influençant l’opinion publique via
les réseaux sociaux, ont fait pression en faveur d’une liberté d’accès
assez étendue aux contenus créatifs, et les auteurs qui ont cherché
à défendre leurs droits ont été intimidés par des réactions agressives
(voir le raz-de marée d’insultes dont a fait l’objet le musicien
et auteur Sven Regner). Globalement, le débat public a été mené
de façon à placer les auteurs et autres titulaires de droits dans
une position défensive et à prôner des règles assez radicales en
faveur de la liberté d’accès des utilisateurs, via certains intermédiaires
(et leurs modèles commerciaux), au détriment des auteurs et des
autres titulaires de droits.
10. Comme suggéré dans la proposition de résolution dont s’inspire
le présent rapport (
Doc. 13448), il convient de passer en revue les normes juridiques
en vigueur en matière de protection des droits de propriété intellectuelle
(voir la section 2 qui suit) puis d’examiner et de proposer des
stratégies aux parlements de tous les Etats européens concernant
la façon de garantir la protection efficace de ces droits aux niveaux
national, européen et mondial (voir, plus bas, les sections 3 à
6).
2. Protection des droits de propriété
intellectuelle par les traités internationaux
11. Au niveau mondial, les droits
de propriété intellectuelle sont protégés principalement par la
Convention de Berne révisée sur la protection des œuvres littéraires
et artistiques, qui a été signée et ratifiée par presque tous les
pays du monde, et les traités de l’Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle (OMPI). Par ailleurs, l’Organisation mondiale du
commerce (OMC) a défini des normes dans son Accord sur les aspects commerciaux
des droits de propriété intellectuelle (ADPIC).
12. L’article 15.1.
c du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
des Nations Unies reconnaît le droit fondamental de toute personne
«de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels
découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique
dont il est l’auteur». Par conséquent, le rapport du 24 décembre
2014 consacré aux politiques en matière de droits d’auteur et au
droit à la science et à la culture

, tel qu’il a été rédigé par la Rapporteure
spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels,
n’est pas convaincant lorsqu’il prétend que les droits de propriété
intellectuelle ne relèvent pas des droits de l’homme. La diversité
culturelle et la liberté de création individuelle pourraient être
menacées si les Etats réorientaient leur soutien financier aux modèles
de publication fondés sur la propriété vers des modèles de publication
ouverts à tous, comme le suggère la Rapporteure spéciale.
13. L’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 9) protège
la propriété. La Cour européenne des droits de l’homme a souligné
que la propriété intellectuelle bénéficie de la protection accordée
par l’article 1

.
De plus, la Cour a réaffirmé le principe selon lequel l’exercice
réel et efficace du droit garanti par cette disposition ne saurait
dépendre uniquement du devoir de l’Etat de s’abstenir de toute ingérence
et peut exiger que l’Etat prenne des mesures positives de protection,
et notamment ériger en infraction pénale les violations des droits
d’auteur

.
14. L’article 10 de la Convention sur la cybercriminalité (STE
no 185) s’attaque spécifiquement à cette question
en érigeant en infraction pénale les atteintes à la propriété intellectuelle
et aux droits connexes lorsque de tels actes sont commis «au moyen
d’un système informatique», c’est-à-dire en rendant des copies électroniques
accessibles en ligne ou en vendant des copies imprimées ou des contrefaçons
sur internet. L’article 10 énonce l’obligation d’ériger en infraction
pénale les atteintes à la propriété intellectuelle et aux droits connexes,
lorsque de tels actes sont commis délibérément, à une échelle commerciale
et au moyen d’un système informatique.
15. L’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne protège le droit de propriété et inclut expressément
la propriété intellectuelle. La principale législation de l’Union
européenne en matière de droit d’auteur se trouve dans la Directive
2001/29/CE, qui met en œuvre le Traité sur le droit d’auteur et
le Traité sur les interprétations et exécutions, et les phonogrammes
de l’OMPI ainsi que la Directive 2004/48/CE sur l’application des
droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, des questions
de propriété intellectuelle sont traitées dans la Directive 2009/24/CE
concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur,
la Directive 2012/28/UE relative aux œuvres orphelines et la Directive
2014/26/UE concernant la gestion collective du droit d’auteur.
16. Le 9 décembre 2015, la Commission européenne a présenté sa
proposition de règlement sur la portabilité transfrontalière des
services de contenu en ligne sur le marché interne, ainsi que sa
«vision d’un cadre moderne pour un droit d’auteur plus européen
dans l’Union». Dans la mesure où les droits de propriété intellectuelle
constituent des expressions culturelles au sens prêté à ce terme
par la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion
de la diversité des expressions culturelles, telle qu’elle a été
signée par l’Union européenne, l’article 167 du Traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne confirme la subsidiarité dans ce domaine.
3. Problèmes
actuels
3.1. Exceptions
et limites prévues dans le cadre du régime des droits de propriété
intellectuelle
17. Différents groupes d’utilisateurs,
souvent avec l’appui des fournisseurs de services internet qui ont
un intérêt commercial à ce que la circulation des œuvres soit illimitée
sur internet, ont fait savoir qu’ils souhaitaient des exceptions
et des limitations supplémentaires au droit d’auteur, qui soient
obligatoires et formulées dans des termes généraux. Toutefois, les
exceptions et limitations à un droit doivent être justifiées par
des raisons sérieuses, telles que l’éducation, la recherche ou la
communication d’informations sur l’actualité. En revanche, par exemple,
le simple divertissement, la simple possibilité technique d’accéder
à des œuvres ou d’utiliser des œuvres d’une manière donnée, ou la
recherche de nouveaux modes opératoires par les fournisseurs de services
internet ne peuvent en général pas être considérés comme des raisons
suffisantes pour restreindre les droits des auteurs, qui doivent
pouvoir bénéficier des fruits de leurs créations également sur internet.
18. De plus, il faut savoir que les exceptions et les limitations
ne constituent pas le seul moyen de supprimer un obstacle au commerce
causé par l’existence de législations différentes en matière de
droit d’auteur. L’octroi de différents types de licences, qu’elles
soient individuelles ou collectives (et volontaires ou obligatoires)
se révèle souvent une mesure appropriée, qui pourrait être encouragée.
19. En général, les règles relatives aux exceptions et aux limitations
en matière de droit d’auteur varient fortement selon les pays, notamment
parce que ce dernier est étroitement lié à la culture et à la politique culturelle
nationale et qu’il se fonde sur des principes différents. En particulier,
dans le cadre du système de droit d’auteur anglo-saxon, la législation
contient souvent des dispositions très détaillées sur les exceptions
et les limitations, complétées par un certain nombre de dispositions
un peu plus larges dites de «loyauté d’usage», qui s’appliquent
à certaines situations bien définies (à la différence du concept
beaucoup plus large d’«utilisation équitable» appliqué dans le droit
américain). Il n’existe pas de tradition de droit légal à rémunération
en compensation de la perte d’exclusivité découlant des exceptions
et limitations. En revanche, dans le système du droit d’auteur en
vigueur sur le continent européen, les législateurs nationaux ont
préféré prévoir des exceptions et limitations assez spécifiques,
plutôt que de recourir à la notion d’usage loyal ou à d’autres dispositions
souples, et les lois diffèrent sur plusieurs aspects, notamment
sur la portée et le détail des exceptions et limitations et sur
la mesure dans laquelle le droit légal à rémunération est garanti
en relation avec les exceptions et limitations.
20. Certains prétendent que si l’on rendait obligatoires les exceptions
et limitations facultatives, on renforcerait ainsi la sécurité juridique.
Cependant, le caractère obligatoire ou facultatif n’a pas d’incidence
sur la sécurité juridique; dans les deux cas, une disposition particulière
existe, qu’elle soit différente dans chaque Etat membre de l’Union
européenne ou la même pour tous. Cela étant, il est vrai que l’obligation
faciliterait l’exploitation transfrontalière en créant une situation
juridique similaire dans les Etats membres (bien que les interprétations
puissent continuer de diverger pendant un certain temps), tandis
que le caractère facultatif oblige à vérifier chaque législation
nationale plutôt qu’une seule; dans le même temps, les entreprises
ont toujours dû et devront toujours tenir compte des lois des pays
dans lesquels elles souhaitent exporter, y compris sur d’autres
questions que la propriété intellectuelle, et devront également
le faire si elles souhaitent étendre leurs activités au-delà de
l’Union européenne.
21. Dans le cadre de l’OMPI, certains pays ont appelé de leurs
vœux un traité contraignant sur certaines exceptions et limitations.
Si un traité visant à faciliter l’accès des malvoyants à des exemplaires
en formats accessibles (Traité de Marrakech de 2013), qui porte
sur un secteur très étroit et économiquement peu important, un traité
prévoyant des exceptions, notamment dans les domaines de l’éducation
et des bibliothèques publiques, soulève des objections majeures
et justifiées, notamment au niveau gouvernemental. Ces objections
sont dues non seulement aux répercussions économiques négatives
plus conséquentes qu’un tel traité pourrait avoir sur ces deux secteurs
culturellement importants, mais aussi au fait que ces secteurs sont
étroitement liés à la politique culturelle générale, qui relève
et doit continuer de relever de la décision souveraine des Etats,
de façon à garantir un certain niveau de diversité culturelle.
22. Une autre proposition, appuyée notamment par les fournisseurs
de services internet, est d’introduire des clauses d’exception et
de limitation larges et souples, à l’exemple du concept américain
d’«utilisation équitable», ou selon d’autres modèles. Cela permettrait,
d’après ses partisans, une adaptation plus rapide du droit d’auteur
aux défis des nouvelles technologies, dans la mesure où les juges
pourraient réagir plus rapidement que les organes législatifs en
interprétant ces larges dispositions. Cependant, les inconvénients que
pourrait présenter une telle approche pour toutes les parties prenantes
ont toutes les chances de l’emporter. En particulier, des dispositions
souples et formulées de manière large entraîneraient une sécurité juridique
moindre; par ailleurs, les consommateurs auraient des difficultés
à savoir ce qui est permis ou pas, ce qui poserait également des
problèmes au regard de l’application du droit pénal, qui requiert
des dispositions claires concernant les infractions, ainsi qu’au
regard de l’application de tout droit légal à rémunération lié à
ces exceptions et limitations, par exemple le cas des copies privées,
dans la mesure où ceux qui seraient fondés à verser ces rémunérations
prétendraient que tel ou tel usage n’est pas couvert par l’exception
ou limitation et n’ouvre donc aucun droit à rémunération. Des exceptions
ou limitations souples donneraient lieu à des procédures juridiques
interminables pour clarifier leur sens, entraînant des coûts de
transaction élevés, et ceci à chaque fois pour des situations très
particulières, dans le cadre d’affaires individuelles portées devant
les tribunaux. En d’autres termes, des réactions claires et définitives
aux évolutions techniques ou autres pourraient bien être plus rapidement
obtenues par le biais de modifications législatives que par celui
des tribunaux.
23. En fait, le système juridique en vigueur sur le continent
européen (et même dans une large mesure au Royaume-Uni et en Irlande),
qui est fondé sur un langage juridique précisément formulé pour
ce qui concerne le droit d’auteur (bien qu’il puisse être techniquement
neutre), s’est jusqu’à présent révélé bien adapté aux nouvelles
avancées techniques. Par ailleurs, des dispositions trop larges
et trop souples pourraient avoir un effet négatif sur la répartition
des pouvoirs entre, d’une part, les organes législatifs démocratiquement
élus et, d’autre part, le pouvoir judiciaire. Enfin, en cas de procédure
juridique, des dispositions souples risquent d’avantager les utilisateurs
puissants, comme les grandes entreprises d’internet qui ont les
moyens de s’offrir les meilleurs avocats, au détriment des petits
utilisateurs. Elles pourraient également, dans certain cas, donner lieu
à des décisions défavorables aux utilisateurs. Elles ne semblent
donc pas être une option à retenir.
3.2. Fouille
de textes et de données («text mining» et «data mining»)
24. L’exploration de textes et
de données s’effectue généralement à des fins commerciales et de
recherche scientifique ou autre et implique la numérisation (et
par conséquent la reproduction) de grandes quantités de textes afin
de procéder à leur analyse automatique; les résultats de ces processus
peuvent ensuite servir à l’élaboration de nouveaux produits ou services
et souvent générer une énorme valeur économique. Les secteurs d’activité
concernés, comme l’industrie pharmaceutique, essaient d’acquérir
des licences leur permettant de recourir à ces techniques. Il faut
compter également avec certains secteurs liés à internet et intéressés
par la numérisation de masse et l’utilisation massive de textes
numérisés, qui ont été rejoints plus tard par des bibliothèques,
qui font valoir la nécessité d’une nouvelle exception ou limitation
dans ce domaine ou du moins de l’énoncé de règles claires relatives
aux possibilités de procéder à de telles reproductions et de valider
les résultats obtenus par le biais d’une analyse automatique. Le
rapport Reda du Parlement européen sur la mise en œuvre de la Directive
de l’Union européenne relative à la société de l’information propose d’envisager
l’autorisation de l’exploration de textes et de données à des fins
de recherche. Pourtant, à supposer qu’une telle autorisation soit
accordée dans le cadre d’une exception ou d’une limitation, elle
pourrait avoir des conséquences négatives importantes au regard
de l’exploitation du contenu sur les marchés connexes par les titulaires
des droits. Parallèlement, dans le domaine de la recherche commerciale, l’exploration
de textes et de données et d’autres utilisations des résultats s’effectuent
déjà dans le cadre de licences, de sorte qu’il n’apparaît pas nécessaire
de prévoir une exception. En ce qui concerne la recherche non commerciale,
l’application d’un service analogue, alliée à l’engagement des titulaires
des droits d’accorder des licences convenant à ce type d’activité,
pourrait constituer une solution appropriée reposant sur l’autoréglementation

.
3.3. «Blocage
géographique» et accès transfrontalier
25. De façon générale, le «blocage
géographique», au sens conféré à ce terme par la Commission européenne
dans sa communication de mai 2015 relative au marché numérique unique,
désigne la pratique consistant à refuser l’accès transfrontalier
à des œuvres en raison de l’exploitation territoriale du droit d’auteur dans
certains domaines, notamment dans le secteur audiovisuel. Par conséquent,
les consommateurs ne sont pas autorisés à accéder gratuitement au
contenu disponible sur un site web donné (par exemple des émissions de
télévision via internet) ou proposé sur la base d’abonnement (comme
dans le système Netflix) dans un Etat membre depuis un autre Etat
membre. Cette pratique, d’après les responsables de l’industrie cinématographique,
permet le financement adéquat de la production de films européens
et revêt un caractère essentiel de ce point de vue. Avant d’envisager
une quelconque ingérence dans l’exploitation territoriale des œuvres
sur internet, de manière à déboucher sur la disponibilité simultanée
des œuvres dans toute l’Union européenne voire au-delà, il conviendrait
par conséquent de tenir compte de l’impact négatif probable d’une telle
mesure sur la production culturelle (et plus particulièrement cinématographique)
européenne et de s’abstenir de toute décision de nature à porter
atteinte à la culture de ce continent, quitte à ce que chaque œuvre
ne soit pas disponible en même temps au-delà des frontières nationales.
26. En général, il convient de tenir compte aussi du fait que
l’exploitation territoriale correspond souvent aux demandes des
consommateurs. On peut affirmer que, dans une large mesure, il n’existe
pas de marché (analogique ou numérique) «unique» dans la réalité
européenne d’aujourd’hui, dans la mesure où la plupart des œuvres
cinématographiques ou musicales d’un pays donné ne font pas l’objet
d’une demande mesurable dans d’autres pays; dans ce cas, le titulaire
d’une licence ne désire même pas solliciter (et payer) une extension
de licence valable sur tout le territoire de l’Union européenne
tant qu’il ne pense ne pas être en mesure d’attirer des clients
désireux de s’abonner pour obtenir ce contenu dans un autre pays,
notamment en raison de la barrière linguistique inhérente aux films
étrangers (et aux coûts disproportionnés du sous-titrage ou du doublage)
et des paroles associées à une musique, ainsi que de traditions
culturelles différentes. En fait, ce sont les œuvres cinématographiques
et musicales les plus «visibles» (en provenance généralement des Etats-Unis)
qui survivraient le mieux à tout régime contraignant empêchant d’accorder
des licences territoriales (de sorte que les plates-formes internet
et les autres fournisseurs de services ayant amené le débat sur
la question du blocage géographique bénéficieraient d’une telle
mesure). Cet effet serait apparemment antinomique avec le principe
de promotion de la diversité culturelle en Europe auquel l’Union
européenne et ses Etats membres, ainsi que d’autres Etats européens,
ont souscrit en ratifiant la Convention sur la diversité culturelle
de l’UNESCO.
27. C’est pour les mêmes raisons que les réflexions actuelles
– séparées – de la Commission européenne sur un élargissement éventuel
des règles de la Directive sur la radiodiffusion par satellite et
la retransmission par câble aux offres émanant des radiodiffuseurs
soulèvent de sérieux doutes: leur élargissement à internet avait
déjà été rejeté dans le contexte de la Directive de 2001 sur le
commerce électronique, et il conviendrait maintenant aussi de rejeter
de nouveau cet élargissement.
3.4. Portabilité
du contenu
28. Le cas dans lequel des utilisateurs
abonnés à des services en ligne dans leur pays de résidence aimeraient
continuer à y accéder alors qu’ils résident provisoirement dans
un autre Etat membre (par exemple en vacances ou en voyage d’affaires)
est à distinguer de l’accès transfrontalier général, tel qu’il est
décrit plus haut. Les utilisateurs abonnés par exemple à un accès
en ligne à des films ou à de la musique par le biais de fournisseurs
situés dans leur pays se plaignent fréquemment de ne pas pouvoir
accéder à ces œuvres dès lors qu’ils se trouvent dans un pays étranger.
Ils dénoncent le fait que le contenu n’est donc pas «portable».
Les titulaires de droits ou les fournisseurs de services ont pu
restreindre cet accès sur la base de licences exclusives par pays
pour des raisons économiques; dans l’industrie cinématographique,
en particulier, le financement dépend largement de l’exploitation
territoriale. Il devrait être possible de concilier les intérêts
de toutes les parties prenantes dans ce cas très particulier. Deux
solutions seraient envisageables: un protocole d’accord – passé
entre les parties sur une base volontaire – autorisant, malgré l’existence
de licences par ailleurs exclusives, une telle utilisation à des
fins privées par les consommateurs abonnés; ou bien une modification
de la législation. Pourtant, d’aucuns doutent encore qu’une nouvelle
exception aux droits exclusifs, motivée par l’intérêt général, puisse
se justifier en l’occurrence. En tout cas, il faudra tenir compte des
accords de licence exclusive en vigueur.
3.5. Recherche
et éducation
29. Bien que la plupart des pays
prévoient déjà des exceptions et des limitations aux fins de recherche
et d’enseignement et que l’article 5.3.a de
la Directive sur la société de l’information autorise les Etats
membres à agir ainsi dans un cadre spécifique, d’aucuns prétendent
que ces mesures devraient être rendues obligatoires et uniformes
dans l’Union européenne de manière à faciliter les activités transfrontalières
relevant de ces deux domaines. Toutefois, l’article 165 du Traité
sur le fonctionnement de l’Union européenne limite les pouvoirs
de cette dernière dans le domaine de l’éducation.
30. A supposer qu’il existe un besoin réel ou potentiel d’utilisation
d’un matériel pédagogique étranger plutôt que national au niveau
de l’école ou de l’université, il semblerait approprié de se demander
si un nouveau système d’octroi de licences ne serait pas possible
et préférable. En fait, dans certains pays comme les Etats-Unis,
l’octroi de licences se pratique sans problème notable en ce qui
concerne le matériel pédagogique utilisé dans le cadre de l’enseignement
supérieur. De même, il convient de rappeler, à propos des manuels
scolaires et d’une partie du matériel employé à l’université, que
ces utilisations à des fins d’enseignement constituent la substance
même de la possibilité d’exploitation, c’est-à-dire le cœur du marché,
qui ne saurait en aucun cas être affecté négativement. Par conséquent,
on pourrait reconnaître l’utilité d’une exception ou d’une limitation équilibrée
– concernant par exemple l’utilisation de petits extraits d’ouvrages
(n’étant pas spécialement conçus pour l’école ou un autre usage
pédagogique) à des fins d’enseignement en ligne non commercial n’affectant pas
le marché de ces ouvrages –, à moins que ce cas ne soit déjà prévu
ou qu’un mécanisme d’octroi de licence ne puisse être établi à cette
fin.
3.6. Bibliothèques
publiques
31. Les bibliothèques publiques,
les archives et institutions analogues réclament des exceptions
de limitations contraignantes et massives aux droits d’auteur, notamment
afin de tirer tout le parti possible de la technologie numérique
sans qu’il soit nécessaire d’acquérir des licences. Ces organismes
aimeraient notamment numériser leurs collections ou bien rendre
disponibles en ligne des œuvres numérisées à des utilisateurs pouvant
résider non seulement dans leur ville ou leur pays, mais également
au-delà des frontières, que ce soit dans l’Union européenne ou –
dans le contexte de l’OMPI – n’importe où dans le monde. Elles coopèrent
avec les principales sociétés qui ont un intérêt commercial majeur
à numériser les ouvrages conservés dans les bibliothèques, ne serait-ce
que pour élargir le contenu interrogeable sur internet. En fait, des
entreprises américaines bien connues dans ce secteur soutiennent
la numérisation de livres dans de nombreux pays.
32. Les bibliothèques publiques, non seulement parce qu’elles
sont financées par de l’argent public, mais également en raison
de leur rôle culturel dans un pays donné, sont sujettes à une législation
nationale tenant compte de la politique culturelle de ce pays et
de la liberté de ses dirigeants d’adapter dans ce domaine les dispositions
qui leur semblent opportunes. Force est également de constater que
l’infrastructure des bibliothèques publiques, ainsi que leur importance
au niveau local, diffère énormément d’un pays à l’autre, à la fois
au sein de l’Union européenne et au-delà. Une réglementation uniforme
et contraignante ne serait peut-être pas la solution la plus indiquée.
33. A supposer même qu’il existe une demande considérable en faveur
de la disponibilité transfrontalière en ligne des œuvres, il conviendrait
malgré tout d’évaluer l’impact de toute exception ou limitation
éventuelle aux droits d’auteur. En particulier, à supposer que la
disponibilité en ligne, au niveau mondial ou pas, des ouvrages numérisés
par l’intermédiaire de bibliothèques publiques (et par conséquent
sans frais pour les utilisateurs) soit autorisée par la législation
sur la base d’une exception ou d’une limitation, il est probable
que les auteurs n’auraient plus de chances réelles de commercialiser
normalement leurs œuvres et de bénéficier ainsi de leurs droits
de propriété intellectuelle. En réalité, on ne saurait comparer
sur le plan économique le prêt physique (qui fait l’objet dans la
plupart des Etats membres de l’Union européenne d’un droit à rémunération
plutôt que de droits exclusifs) et le fait de rendre disponibles,
grâce à une transmission en ligne, des livres et autres ouvrages
comparables. Les utilisations dans le monde analogique sont beaucoup
moins intensives que dans le monde numérique: les utilisateurs doivent
se rendre à la bibliothèque au lieu de rester chez eux face à leur
ordinateur et un exemplaire papier d’un ouvrage emprunté n’est pas
aussi vulnérable à des utilisations supplémentaires que sa copie
numérique; une bibliothèque acquiert normalement de nouveaux exemplaires
au bout de quelques années d’utilisation, alors que cette pratique
devient superflue en présence d’une copie numérique. Compte tenu
de ces différences, il serait très risqué d’appliquer le même régime
(à savoir un simple droit à rémunération) au prêt électronique,
dans la mesure où ce régime a été conçu pour le prêt analogique;
cela est d’autant plus vrai que, en période de crise économique,
l’argent public (servant à payer la rémunération) est souvent limité,
de sorte que les titulaires de droits risqueraient de voir leurs
revenus amputés, tandis que les bibliothèques pourraient juridiquement
continuer à rendre leurs collections disponibles en ligne, ce qui
ne manquerait pas d’avoir un effet très net sur le marché des ventes.
34. Parallèlement, il existe déjà des licences conçues spécialement
pour permettre aux bibliothèques publiques d’utiliser l’environnement
en ligne; il devient donc possible aux titulaires des droits d’accorder
l’accès tout en essayant de se prémunir, sur la base de clauses
contractuelles soigneusement rédigées, contre les utilisations de
nature à affecter négativement l’exploitation normale. A supposer
que tous les éditeurs n’aient pas encore octroyé des licences de
ce type à des fins d’utilisation en ligne ou que toutes les bibliothèques
ne puissent pas se permettre d’acheter de telles licences, il faudrait
se faire une raison en rappelant que, dans le monde analogique aussi,
chaque bibliothèque publique n’est pas en mesure d’acquérir l’ensemble
des œuvres existantes aux fins de prêt.
35. Globalement, tout projet d’ajout ou d’élargissement d’une
exception ou d’une limitation concernant les utilisations numériques
par des bibliothèques publiques et autres institutions analogues
devrait faire l’objet d’une analyse préalable minutieuse de son
impact éventuel sur le marché pertinent. Il est impératif de veiller
à ce que les mesures de cette sorte ne perturbent pas l’exploitation
normale.
3.7. «Contenu
généré par les utilisateurs» (UGC)
36. Les utilisateurs combinent
souvent leur propre matériel, comme des films vidéo réalisés à la
maison, avec des œuvres protégées auxquelles ils accèdent par internet
(par exemple de la musique), ou bien ils illustrent leur propre
texte par des images trouvées sur un site web et rendent eux-mêmes
ce contenu disponible sur internet. Fréquemment ils n’acquièrent
pas le droit d’utiliser ainsi ces œuvres et, en principe, commettent
donc une infraction. Certains réclament une exception aux droits
exclusifs de l’auteur afin d’autoriser ces pratiques. Pourtant,
une telle approche ne se justifie pas. Le fait que ces pratiques
soient devenues courantes pour la plus grande satisfaction des internautes
ne constitue pas un motif d’intérêt public suffisant pour restreindre
les droits d’auteur. De plus, même à supposer que les utilisateurs
n’agissent pas à des fins mercantiles, les plates-formes sur lesquelles
ils postent leur contenu revêtent le plus souvent un caractère commercial,
d’autant plus qu’elles font apparaître des publicités en relation
avec ce contenu. Alors que certaines plates-formes sont disposées
à acquérir des licences, nombreuses sont celles qui soutiennent qu’elles
sont protégées par la Directive sur le commerce électronique et
qu’elles ne sont pas prêtes à acquitter les droits de licence requis.
Il paraît indiqué de clarifier leur rôle, souvent actif, de manière
à réfuter cette argumentation.
37. ll y a aussi lieu de signaler qu’il existe déjà des possibilités
pour les utilisateurs de recourir à des œuvres juridiquement protégées
au prix d’un moindre effort. Par exemple, nombreux sont les auteurs
qui octroient une licence à tout un chacun (notamment des licences
de type Creative Commons).
Rien n’empêche non plus un auteur d’octroyer une licence par le
biais d’un site web à tout utilisateur en faisant la demande, dans
le cadre d’une procédure simple telle que celle appliquée par la
bibliothèque Bridgeman Art Library.
3.8. Participation
équitable à la rémunération des auteurs et interprètes
38. Le plus souvent, les auteurs
et interprètes ont du mal à toucher une partie des recettes liées
à l’exploitation de leurs œuvres, dans la mesure où ils ne sont
généralement pas en position de force pour négocier avec leurs partenaires
contractuels. Afin d’améliorer la situation, au moins en ce qui
concerne les utilisations sur internet, il conviendrait d’envisager
l’application du modèle fixé dans l’article 4 de la Directive européenne
de 1992 relative aux droits de location (devenu depuis l’article
5 de la Directive consolidée en 2006). Ce modèle s’est en effet
avéré efficace dans le contexte du droit de location. Fondamentalement,
il garantit la conservation par l’auteur ou l’interprète, en cas
de cession de ses droits exclusifs, d’une sorte de «droit légal
résiduel» à une rémunération équitable, droit auquel il ne pourrait
renoncer et qui devrait idéalement être obligatoirement administré
par une société de gestion collective. Cette dernière étant en meilleure
position que n’importe quel auteur ou interprète individuel pour
négocier, collecterait l’argent auprès des entreprises d’exploitation
avant de le remettre aux intéressés.
3.9. Exercice
du droit d’auteur et responsabilité des fournisseurs de services
internet
39. La règle de participation des
auteurs et interprètes, telle que mentionnée plus haut, risque de
n’être qu’indicative si les recettes globales dégagées par l’exploitation
sont minimes. Sur internet, les revenus sont jusqu’à présent souvent
encore modestes, en raison des possibilités restreintes d’application
des droits d’auteur et du fait que les flux de recettes vont aux
plates-formes internet et autres intermédiaires plutôt qu’aux titulaires
des droits. L’exercice de ces droits s’apparente à un défi, dans
la mesure où n’importe qui peut facilement copier des œuvres protégées
sous forme numérique, puis les poster sur son site web ou toute
autre plate-forme afin de les rendre accessibles au public. Malgré
l’existence de procédures visant à faire retirer le contenu illégal
de ces sites, celui-ci peut être facilement posté de nouveau sur
un autre site avec, pour effet, de pérenniser la violation des droits
d’auteur. Des sommes considérables sont affectées à la recherche continue
de nouveaux contenus illégaux et au déclenchement des procédures
susmentionnées, des coûts que les titulaires des droits préféreraient
investir dans un nouveau contenu créatif dans l’intérêt même de
la diversité culturelle. L’existence permanente d’un contenu illégal
considérable, souvent proposé gratuitement sur internet, complique
singulièrement la tâche des titulaires de droits désireux de faire
concurrence à ces offres illégales en proposant eux-mêmes un service
légal (et payant) sur la Toile.
40. De plus, en vertu de la Directive sur le commerce électronique,
les fournisseurs de services internet sont bien protégés contre
l’engagement de leurs responsabilités au titre d’une violation commise
sur leur plate-forme par un consommateur et parviennent régulièrement
à tirer des avantages économiques énormes de la circulation de contenus
protégés, notamment grâce à la publicité. Les titulaires des droits
se voient donc ainsi privés du revenu dégagé par l’exploitation
de leur contenu au profit d’intermédiaires.
41. Il conviendrait de mettre un terme à cette situation déséquilibrée
en renforçant les mesures d’application et en clarifiant les dispositions
protectrices très larges énoncées par la Directive relative au commerce électronique.
En particulier, les mesures de blocage de sites, telles qu’elles
sont couvertes par l’article 8.3 de la Directive relative à la société
de l’information (demande d’une ordonnance sur requête à l’encontre
des intermédiaires) ne sont effectivement disponibles et appliquées
que dans certains Etats membres de l’Union européenne (comme le
Royaume-Uni) où elles donnent d’ailleurs satisfaction. Il faudrait
pourtant que cette situation prévale partout et, de ce point de
vue, l’existence dans certains pays de restrictions sur le droit
à l’information concernant les contrevenants peut constituer un
obstacle majeur à l’exercice des droits sur internet. De plus, les
clauses protectrices de la Directive relative au commerce électronique
sont souvent appliquées à certains fournisseurs de services internet
qui, initialement, ne relevaient pas de la portée de ces dispositions
et qui ne devraient pas logiquement jouir d’une exonération de responsabilité.
En particulier, les plates-formes sur lesquelles des utilisateurs
placent un contenu devraient être contraintes d’assumer de larges responsabilités,
dans la mesure où elles ne se cantonnent généralement pas à un rôle
passif, mais participent activement à la diffusion dudit contenu.
De même, l’approche consistant à se concentrer sur des entreprises gagnant
de l’argent au moyen de sites postant un contenu illégal, notamment
grâce à la publicité ou à l’offre de services de cartes de crédit
(lorsque, par exemple, un paiement est exigé pour télécharger plus
rapidement un film ou le visionner au moyen du procédé de lecture
en transit [streaming]) – souvent qualifiée d’approche du type «suivre
l’argent à la trace» – doit être vivement encouragée, de manière
à éviter que les opérateurs de plates-formes continuent à profiter
gratuitement à l’échelle commerciale d’un contenu, aux dépens des titulaires
des droits, sans l’autorisation des intéressés.
42. Une telle protection serait également justifiée dans le contexte
de la protection des droits de l’homme. Selon la Cour européenne
des droits de l’homme, la protection des droits d’auteur sur internet
peut justifier une ingérence dans le droit à la liberté d’expression
tel qu’il est consacré par l’article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme, notamment sous forme de mesures d’application
et plus spécialement lorsque les informations litigieuses ne revêtent
pas un caractère politique, mais sont diffusées dans le cadre de
l’exploitation commerciale d’un contenu culturel.

4. Droits
d’auteur des journalistes et médias d’information
43. La liberté d’expression et
d’information à travers les médias est une condition essentielle
de toute société démocratique et suppose la transparence, le pluralisme
et l’indépendance des médias. L’apparition de médias numériques
en ligne a profondément bouleversé le marché de la presse et la
situation d’emploi des journalistes. Les journaux voient leurs recettes
décliner, ce qui place plusieurs d’entre eux dans une situation économique
difficile, et le nombre des journalistes professionnels diminue.
Parallèlement, de gros opérateurs internet multinationaux voient
la valeur de leurs actions monter en flèche et engrangent d’immenses
profits sans quasiment produire le moindre contenu informatif. Les
responsables politiques européens ne sauraient rester indifférents
devant une telle détérioration de la situation de la presse dans
un secteur d’une importance vitale pour la démocratie.
44. La European Newspaper Publishers’ Association (ENPA) a rendu
publiques, en mai 2015, 10 recommandations relatives aux droits
d’auteur sur le marché unique numérique de l’Union européenne

. La fouille des textes et des données
(text mining et data mining) – qu’elle soit le fait d’utilisateurs
ayant recours à des moteurs de recherche ou de fournisseurs de services
internet spécialisés – se développe rapidement. L’ENPA déplore par
conséquent que les moteurs de recherche, ainsi que les entreprises
spécialisées dans la fouille, participent commercialement à l’exploitation
d’un contenu composé d’actualités tout en refusant d’acquitter leur
dû au titre des droits d’auteur. L’ENPA craint également que ne
s’instaure un flou juridique au cas où le concept de «
fair use» [utilisation équitable],
en usage aux Etats-Unis, serait introduit dans la législation européenne
relative au droit d’auteur en vue de restreindre ce dernier ainsi
que les droits connexes. Ce concept étant inconnu en Europe, il
faudrait attendre que plusieurs litiges aient été soumis aux juridictions suprêmes
des Etats membres, au prix d’une procédure longue et coûteuse, pour
disposer d’une jurisprudence précisant son contenu et sa portée.
45. Il vaudrait mieux, par conséquent, conclure des accords de
licence qui permettent de fournir des solutions à la fois meilleures,
plus rapides et plus adaptables que l’introduction de nouvelles
exceptions. De tels accords sont utilisés avec succès dans plusieurs
pays dont les Etats-Unis. Pourtant, bon nombre d’entreprises de
presse sont contraintes de les négocier dans une position de faiblesse
avec les gros opérateurs internet multinationaux.
5. Economie
numérique
46. Tous les secteurs de l’économie
bénéficient des progrès des technologies numériques et d’internet.
Le paysage médiatique s’est profondément transformé à la suite de
la convergence entre la presse écrite et audiovisuelle d’une part
et internet et la téléphonie mobile d’autre part. La liberté individuelle
d’expression et d’information s’est renforcée de manière exponentielle
dans le cadre d’un changement irréversible.
47. Néanmoins, force est de reconnaître que les entreprises numériques
prospèrent énormément aujourd’hui et dépassent de loin les pronostics
formulés il y a une dizaine d’années dans le cadre de ce qu’il est
convenu d’appeler «la bulle internet». La mondialisation réelle
de l’économie numérique semble toujours constituer un objectif politique,
en raison de la concentration géographique apparente des gros acteurs
du marché. Du point de vue de l’économie de marché, le soutien global
à l’industrie numérique semble superflu. Par conséquent, il conviendrait
de tenir compte de l’impact économique de toute réforme de la législation relative
aux droits de propriété intellectuelle, dans la mesure où elle pourrait
procurer indistinctement des avantages aux opérateurs internet au
détriment des détenteurs des droits et des médias traditionnels.
6. Initiatives
prises par le secteur en matière d’autorégulation
48. Comme l’a déclaré l’Assemblée
dans le rapport «La protection de la liberté d’expression et d’information sur
internet et les médias en ligne» (
Doc. 12874 Add), le partage de fichiers à grande échelle parmi les utilisateurs
du réseau YouTube a donné un large écho au problème du piratage
sur internet d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Racheté par
Google en 2006 pour $US 1,76 milliard, YouTube a par la suite mis
au point un logiciel du nom de «Content ID» qui examine et compare
les vidéos aux supports fournis par les détenteurs de droits d’auteur,
notamment pour afficher une publicité ciblée sur l’écran des utilisateurs
ayant diffusé ces vidéos. Ce logiciel permet à YouTube de tirer
des revenus de la publicité et d’identifier les atteintes au droit
d’auteur lorsque les vidéos sont mises en ligne par les internautes.
YouTube a aussi mis en place la «YouTube Copyright School» pour
les contrevenants au droit d’auteur à qui il est demandé de visionner
une vidéo de 4,5 minutes sur son site internet et de répondre à
des questions sur le droit d’auteur, à des fins pédagogiques.
49. La Cour de justice de l’Union européenne a décidé, le 16 février
2012, que le propriétaire d’un réseau social en ligne n’est pas
tenu de mettre en place un système de filtrage s’appliquant indistinctement
à l’ensemble de ses utilisateurs en vue de prévenir les violations
des droits de propriété intellectuelle par les intéressés

. Pourtant, les opérateurs internet
qui retirent un avantage commercial de la violation par leurs utilisateurs
de droits de propriété intellectuelle peuvent voir leur responsabilité
pénale engagée, comme cela ressort de l’arrêt rendu par la Cour
européenne des droits de l’homme en l’affaire «Pirate Bay»

.
Il semble donc que contraindre les opérateurs internet à prendre
des initiatives technologiques en faveur de la protection du droit
d’auteur ne constitue pas pour les intéressés une charge indue,
dans la mesure où ils retirent par ailleurs un profit des actes
commis par leurs utilisateurs.
50. Des fournisseurs de services internet hébergeant un contenu
produit par les usagers ont élaboré en 2007 des principes d’autorégulation
«Principles for User-Generated Content Services» (Principes pour
les services qui mettent enligne le contenu généré par les utilisateurs)
visant à lutter contre les contenus illicites générés par l’utilisateur

. Il faudrait qu’ils soient rejoints
par d’autres fournisseurs. Les plates-formes et les réseaux sociaux
diffusant du contenu généré par l’utilisateur devraient responsabiliser
leurs usagers dans ce domaine en mettant automatiquement à leur
disposition, par défaut, des outils d’identification numérique.
7. Conclusions
51. A la suite de l'audition de la
commission à Paris le 3 décembre 2015, je conclus comme le professeur von
Lewinski, qu’internet a amené d'énormes opportunités pour diffuser
des œuvres de création aux utilisateurs au niveau mondial. Cependant,
les puissants opérateurs internet restent toujours les principaux bénéficiaires
de la diffusion des œuvres sur la Toile, tandis que les consommateurs
profitent indirectement du système et que les auteurs, interprètes
et autres titulaires de droits voient leurs revenus chuter de manière dramatique.
Par conséquent, toute initiative législative visant à imposer des
exceptions et des limitations devrait être précédée d’une analyse
approfondie de la situation pertinente et d’une prise en considération
des diverses conséquences prévisibles. Même si des exceptions et
limitations soigneusement définies et parfaitement adaptées à la
situation (plutôt que de vagues dispositions trop souples) pourraient
convenir dans certaines situations, il n’est nul besoin de réviser
celles qui sont déjà en vigueur, de les rendre contraignantes ou
de les étoffer. Les auteurs d’œuvres de création devraient avoir
une possibilité équitable de profiter du potentiel que représente
pour eux la diffusion sur internet. Tel est l’objet des propositions
formulées dans les projets de résolution et de recommandation.