1. Introduction
1. Les droits de l’enfant et la
protection des enfants contre la violence sexuelle sous ses diverses
formes comptent depuis de nombreuses années au rang des priorités
de l’Assemblée parlementaire et plus précisément de la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable. «L’hypersexualisation»
croissante des enfants dans la société moderne, en particulier dans
les médias (télévision, internet, médias sociaux), les campagnes
de marketing et les industries connexes, constitue l’un des principaux
domaines d’inquiétude. Elle se traduit notamment par l’exposition
des enfants à des contenus inappropriés.
2. S’appuyant sur la précieuse contribution d’une experte européenne,
Mme Nadine Schirtz du Service national
de la jeunesse du Luxembourg, le présent rapport donne une vue d’ensemble
de la question. En ma qualité de rapporteur, je tiens tout particulièrement
à souligner les différentes formes, facettes, causes et conséquences
de l’hypersexualisation ou de la sexualisation inappropriée des
enfants, avant de proposer un certain nombre de mesures à prendre
par divers acteurs. Ce faisant, je m’inspire de la note d’information
de l’experte sans citer toutes les sources individuelles utilisées;
je ne mentionnerai explicitement que les nouvelles sources

.
3. Quelles sont les principales préoccupations soulevées par
l’hypersexualisation des enfants? Ce qui semble, au premier abord,
un sujet très spécifique s’avère en fait un phénomène complexe qui
nous concerne tous: la présentation sexualisée d’hommes, de femmes
et même d’enfants dans les médias influence notre perception des
filles et des femmes, et peut à terme avoir une influence sur leur
statut social et leur bien-être. Les images sexualisées d’enfants
et en particulier de filles peuvent également être étroitement liées
à diverses formes de violence sexuelle, comme les images d’abus
commis sur les enfants, et peuvent dans certains cas être un facteur
conduisant à des abus sexuels. Il est par conséquent urgent d’apporter
des réponses politiques à plusieurs niveaux.
4. Si les institutions européennes doivent adresser des messages
politiques adaptés et élaborer des normes, il appartient aux parlements
nationaux de renforcer la législation pertinente fixant les limites
de la production, de l’utilisation et de la diffusion d’images sexualisées
et aux gouvernements de rappeler aux parents le rôle qui est le
leur dans la protection des enfants face à l’hypersexualisation,
et de développer des politiques ciblées pour soutenir les parents
et pour sauvegarder l’innocence et la dignité des enfants. Parallèlement
à l’action entreprise par les autorités centrales, je souhaite également
promouvoir le rôle des institutions intervenant dans l’éducation
et la prise en charge des enfants, ainsi que celui de la famille
et des pairs des enfants et des jeunes.
5. Toutes les personnes en contact avec des enfants, chargées
de produire et de véhiculer des images d’enfants ou de superviser
de telles activités, devraient être sensibilisées au contenu dangereux
véhiculé par les médias, aux moyens de le prévenir, aux alternatives
à la sexualisation, à des représentations plus saines des enfants,
et aux mesures rendant ces derniers résilients à la séduction d’images
sexualisées qui leur donnent l’illusion de se comporter en adulte.
2. Les
éléments moteurs derrière la sexualisation: expressions, causes
et conséquences
6. La façon dont nous nous percevons
nous-mêmes en tant qu’hommes et femmes est définie par des caractéristiques
propres à la biologie et au genre véhiculées par les valeurs familiales,
l’éducation et l’environnement social. Dans cet environnement social,
les différents médias sont des acteurs majeurs pour chacun d’entre
nous, y compris pour nos enfants. La sexualisation des enfants,
et notamment des filles, intervient dans la vie quotidienne que
ce soit dans les médias et les campagnes publicitaires ou les produits industriels
et biens de consommation, et souvent d’une manière inadaptée à l’âge,
se transformant ainsi en une «hypersexualisation». Au vu de ce constat,
les notions de sexualisation et d’hypersexualisation peuvent parfois
être utilisées de manière synonyme dans le présent rapport.
2.1. Expressions
et causes de la sexualisation des enfants
7. Les enfants, et tout particulièrement
les jeunes filles, joliment vêtues et maquillées et les adolescents s’habillant
comme des adultes, sont quelques-unes des expressions visibles de
la sexualisation précoce des enfants. Ces derniers cherchent à ressembler
à leurs idoles, celles qu’ils voient à la télévision, dans les magazines
ou dans les publicités. Cependant, la sexualisation, en l’occurrence
la réduction des enfants à leurs caractéristiques sexuelles ou liées
au genre, ou la valorisation excessive de ces caractéristiques,
ne doit pas être confondue avec un comportement sexuel précoce.
La sexualisation, ou même «l’objectification», des enfants est mue
par l’imagination des adultes et imposée aux enfants avant même
qu’ils soient en mesure de la comprendre pleinement ou de la gérer.
8. Pourquoi dépeindre les enfants de manière sexualisée? De nombreux
concepts de marketing reposent sur l’hypothèse que «le sexe fait
vendre» et que les consommateurs sont plus réceptifs aux messages lorsqu’ils
sont dans un état d’excitation émotionnelle. Le fait de jouer avec
des images «sexy» permet tout simplement
de renforcer l’attention que des acheteurs potentiels portent à
un produit. Les adolescents et adolescentes sont un groupe cible
important pour les produits liés à la mode, à la beauté et au mode
de vie, généralement soutenu par le pouvoir d’achat des parents.
Même dans la tranche d’âge des 8 à 12 ans, les enfants sont des
consommateurs importants car ils s’intéressent aussi bien encore
aux jouets qu’aux produits destinés aux adolescents et aux adultes.
9. La sexualisation affecte essentiellement les filles, davantage
représentées de manière sexualisée que les garçons dans les médias
et les campagnes publicitaires. Cependant, les garçons sont tout
autant concernés, ne serait-ce que parce qu’ils sont également réduits
à leur apparence et leurs qualités liées à leur genre. Toute représentation
de personnes sur la base de caractéristiques sexuelles est inévitablement
un sujet de genre qui affecte donc les deux sexes. La sexualisation
des filles influence donc aussi la façon dont les garçons perçoivent
les filles.
10. Pourquoi les enfants sont-ils si sensibles aux modèles? D’après
l’étude allemande «KIM-study»,
deux tiers des 6-13 ans se passionnent pour une personne ou un groupe,
issus dans 38 % des cas du cinéma ou de la télévision. Un enfant
sur cinq affirme admirer une personnalité du monde de la musique.
Les filles (73 %), cependant, sont davantage susceptibles d’avoir
une idole provenant de la scène culturelle populaire que les garçons
(41 %), dont les idoles viennent le plus souvent du milieu sportif
(44 % contre 5 % des filles).
11. Au cours de la phase de construction identitaire, les enfants
projettent souvent leurs rêves et projets d’avenir sur les personnes
très présentes sur la scène publique. «L’adoration» qu’éprouvent
les enfants vis-à-vis des stars du cinéma et de la chanson pourrait
avoir une influence sur la façon dont ils se voient eux-mêmes et
sur celle dont ils souhaitent être vus par les autres. Ce fantasme
devient encore plus réalisable avec les nouveaux formats proposés
par la télévision, tels que les émissions de casting pour adolescents
mannequins, chanteurs ou acteurs. Ces émissions envoient à nos enfants
un message séduisant mais trompeur: «Tu peux être l’un(e) d’entre
nous».
12. En quoi le rôle des médias et de l’industrie des médias est-il
si important lorsqu’il s’agit de prévenir l’hypersexualisation des
enfants? Dès leur plus jeune âge, les enfants sont les principaux
utilisateurs des médias: en 2014, 92 % des ménages avec des enfants
dépendants des pays de l’Union européenne ont accès à un ordinateur,
et 80 % des jeunes (16-29 ans) utilisent quotidiennement un ordinateur

. Même les plus jeunes disposent
de leur propre profil sur les médias sociaux (20 % des 8 à 11 ans
et 70 % des 12 à 15 ans) – alors que le temps passé en ligne par
les enfants a plus que doublé, passant de 4,4 heures par semaine
en 2005 à 11,1 heures en 2015 pour les 8 à 11 ans et de 8 heures
à 18,9 heures pour les 12 à 15 ans

.
13. Les Etats membres devraient contrôler cette situation en interdisant
la publication de messages sexuels dans tous les médias accessibles
aux enfants et, au contraire, en promouvant des messages positifs
en faveur d’un auto-développement holistique, adressés aux enfants
et respectueux de leur dignité humaine et de chaque tradition philosophique
et religieuse.
2.2. Mécanismes
et conséquences de la sexualisation
14. La sexualisation grandissante
des enfants et leur définition en tant qu’êtres sexués dans les
médias, les campagnes de marketing et les produits de consommation
tendent à nous amener à accepter inconsciemment ces concepts et
images en tant que normes sociales. Les enfants eux-mêmes, imitant
les comportements des adultes de manière non réfléchie, adhèrent
souvent à ces normes et s’efforcent d’être à la hauteur des attentes qu’on
leur impose.
15. Les messages sexualisés, notamment les publicités sexistes
et les rôles d’adultes imposé aux enfants, sont souvent reçus de
manière inconsciente. Les consommateurs s’y habituent et n’y prêtent
plus guère attention, et dans certains cas cèdent à ces modèles,
par exemple en habillant les filles comme de petites princesses.
Une jeune fille de 18 ans qui regarde depuis des années des émissions
de casting, pourrait estimer que ce qui apparaît à l’écran correspond
à la vie normale et à la façon d’être.
16. Finalement, nous sommes tous inconsciemment influencés par
des stéréotypes, par exemple en jugeant les jeunes femmes sur leur
attrait plutôt que sur les contributions intellectuelles ou sociales
qu’elles apportent à la société. Les chercheurs ont constaté qu’un
contact même bref avec des représentations sexualisées de femmes
et d’hommes suffisait aux observateurs pour penser que les personnes
représentées étaient moins compétentes, donc moins susceptibles
d’avoir de bonnes compétences professionnelles. Appliqués à la vie
réelle, de tels mécanismes peuvent avoir un effet dramatique sur
le développement futur des enfants et des jeunes, de par la perception
qu’en ont les autres.
17. La sexualisation permanente des enfants a également une incidence
sur la perception et l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. Les adolescents
sont bombardés d’images provenant de l’industrie de la beauté et
de la mode, mais aussi des médias généralistes, et le fait d’être
attirant sexuellement devient une priorité pour nombre d’entre eux.
Ceci permet à l’industrie et aux campagnes de marketing de toucher
les enfants au niveau de la piètre image de leur corps. Selon une
campagne menée au Royaume-Uni («Be real») visant
à promouvoir la confiance en son corps, un tiers des enfants disent
s’inquiéter souvent de leur apparence, qui est aussi la plus grande
cause de brimades à l’école.
18. A titre individuel, le cercle vicieux et la «prophétie auto-réalisatrice»
se traduisent pour les enfants par une baisse de plus en plus marquée
de leur estime de soi s’ils ne respectent pas la norme prônée par
leurs médias préférés. Les efforts déployés pour se conformer aux
critères de beauté, un intérêt exagéré pour la mode et les produits
de beauté ou même des problèmes ou troubles alimentaires (par exemple
l’anorexie ou la boulimie) ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
Beaucoup d’autres enfants ont une faible estime et doutent d’eux-mêmes
ou perçoivent leur corps de façon négative – phénomène courant à
l’adolescence ou durant les phases de construction identitaire –
mais ne le montrent pas. Enfin, l’ancrage des images sexualisées
en tant que norme sociale peut avoir des conséquences catastrophiques
dans la vie des enfants: nombre de filles confrontées aux problèmes
susmentionnés ont fait des tentatives de suicide.
19. Indépendamment des tendances observées dans l’environnement
médiatique, le comportement (sexuel) des jeunes filles a changé
au cours des dernières décennies, de même que l’âge auquel elles atteignent
la puberté, ce qui est certainement un autre facteur expliquant
les changements de la perception qu’elles ont d’elles-mêmes et de
leur sensibilité aux images sexualisées. Différentes études montrent
qu’aux Etats-Unis et en Europe, la puberté des filles commençait
plus tôt de nos jours qu’au cours des générations précédentes. Parmi
les raisons expliquant cette évolution, les chercheurs avancent
une modification des schémas hormonaux (due à l’obésité, aux hormones
contenues dans la nourriture, aux toxines chimiques, etc.) et une
exposition plus forte à des figures masculines sans lien de parenté
telles que les beaux-pères et les petits amis.
20. Les experts font bien souvent le constat que, de nos jours,
beaucoup d’adolescents voient la sexualité comme une condition préalable
à l’intimité, plutôt que comme une conséquence de l’intimité. Pour
eux, la sexualité est sans danger, un peu comme le fait de se donner
la main, et ils n’y voient plus un acte intime. Les adolescents
évoquent le sujet en public et se moquent de savoir qui les écoute.
Le «sexting», c’est-à-dire
le partage de messages et d’images intimes par internet et smartphones,
illustre bien cette attitude. Dans toute l’Europe, des enfants s’adonnent
à ce type d’activités avec une grande naïveté, et de nombreuses
photos dénudées se retrouvent dans la sphère publique, très souvent
contre la volonté des intéressés. Certains pays signalent même une
recrudescence d’adolescent(e)s cherchant à se prostituer, que ce
soit pour financer leur consommation de cigarettes, d’alcool ou
de drogue ou acheter des produits de beauté ou de mode, voire pour financer
leurs études lorsque leurs familles ne sont pas en mesure de le
faire.
21. Enfin, le manque de cohérence des messages adressés aux enfants
présente un autre risque. Alors que dans toute l’Europe les parents
en charge enseignent aux enfants le droit à l’égalité des sexes,
les droits de la femme, la conscience et l’estime de soi et le droit
à à une vie sans violence, et les médias transmettent aux enfants
des messages dans lesquels abondent des héros masculins, des femmes
soumises et, très souvent, des relations violentes. Il en ressort
que les enfants, tout en comprenant pleinement qu’on ne doit pas
juger les gens selon les apparences, ressentent des pressions les
incitant à se conformer à certain stéréotypes.
22. Des chercheurs américains ont constaté dernièrement l’existence
d’une double échelle de critères et conclu que les médias sociaux
amplifient la conscience que les jeunes filles ont d’elles-mêmes.
Bien que l’adolescence n’ait jamais été un âge facile, le charme,
l’apparence et la popularité sont désormais aisément quantifiables
et les erreurs plus faciles à repérer qu’auparavant. La recherche
constante de «
like» et d’attention sur
les médias sociaux, donne à beaucoup de jeunes le sentiment d’être
candidates à un concours de beauté sans fin, exagérément axé sur
l’apparence et suscitant compétition et brimades. Si d’aucuns prétendent
que «l’objectification» volontaire des filles est le signe de leur
autonomisation sexuelle, d’autres critiquent à juste titre la pornographie
en ce qu’elle tente généralement de présenter la sexualité féminine
comme un élément qui existe essentiellement au bénéfice des hommes

. Ces incohérences doivent être
corrigées de toute urgence par des mesures prises à divers échelons.
Nos sociétés doivent créer un environnement quotidien, y compris
médiatique, qui facilite le développement des enfants.
3. Des
réponses multiples pour lutter contre l’hypersexualisation des enfants
23. Comme mentionné ci-dessus,
la sexualisation des enfants par nos sociétés n’est pas seulement
liée aux médias ou à la publicité. Il s’agit d’une tendance sociétale
plus générale qui nous concerne tous. Des réponses doivent alors
être fournies par les parents d’abord, les législateurs et décideurs
politiques, les acteurs industriels, les annonceurs publicitaires,
les médias en général, les fournisseurs de services internet et
les éditeurs mais aussi toutes les personnes chargées d’éduquer
ou de prendre soin des enfants, y compris les enseignants et les
familles. Enfin, les enfants eux-mêmes doivent être sensibilisés
aux risques de l’hypersexualisation et il convient de leur donner
les moyens d’évoluer indépendamment de ces tendances et de résister
à ces menaces. Ceci doit se faire sans culpabiliser les enfants
et sans leur déléguer les responsabilités fondamentales propres
aux parents et aux éducateurs.
3.1. Normes
européennes et recommandations
24. Le Conseil de l’Europe s’emploie
activement depuis de nombreuses années à définir et mettre en œuvre
des normes relatives à la protection des enfants aux droits de
l’enfant, notamment au travers de son programme «Construire une
Europe pour et avec les enfants» et de ses «Stratégies pour les
droits de l’enfant» dont la dernière en date, couvrant la période
2016-2021, a été lancée à Sofia en avril 2016. Bien qu’il soit certainement
possible d’aborder la lutte contre l’hypersexualisation des enfants
de manière plus explicite, le Conseil de l’Europe a mis au point
diverses activités intéressantes liées plus ou moins directement
à ce domaine.
25. Certains textes du Conseil de l’Europe contiennent des éléments
utiles en matière d’éducation aux médias et de mécanismes de contrôle
des médias, en particulier la Recommandation
CM/Rec(2013)1 du Comité
des Ministres sur l’égalité entre les femmes et les hommes et les
médias adoptée en juillet 2013. Certaines des mesures les plus utiles
qui y sont proposées semblent s’appliquer également à l’hypersexualisation
des enfants, par exemple:
- Encourager
les organismes de médias à adopter des systèmes d’autorégulation,
des codes de conduite, de déontologie et de supervision internes,
et à élaborer des normes pour une couverture médiatique qui fasse
la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, afin de
promouvoir des politiques internes cohérentes visant à une image,
un rôle et une visibilité des femmes et des hommes sans stéréotypes,
en évitant les publicités sexistes ainsi qu’un langage et des contenus
susceptibles de favoriser les discriminations sexistes, l’incitation
à la haine et à une violence fondée sur le genre;
- Encourager les médias à informer le public de façon simple
et claire (par exemple en ligne) sur la procédure de recours à suivre
relative à des contenus médiatiques, appuyer et promouvoir des bonnes pratiques
par la mise en place de réseaux et de partenariats et encourager
les organisations non gouvernementales, les associations de médias,
les particuliers et toute autre partie prenante à saisir les organismes
d’autorégulation ou autres organismes spécialisés;
- Promouvoir une éducation aux médias intégrant les questions
liées au genre à l’intention des jeunes générations et préparer
les jeunes à aborder avec responsabilité différentes formes de contenus médiatiques,
afin de leur permettre de porter un regard critique sur les représentations
des femmes et des hommes dans les médias et de décoder les stéréotypes
sexistes; renforcer la dimension de l’égalité entre les femmes et
les hommes dans les programmes d’éducation aux médias pour les jeunes
de différents âges en tant que vecteur d’une solide éducation aux
droits de l’homme et d’une participation active aux processus démocratiques.
26. L’Assemblée parlementaire avait, pour sa part, assurément
préparé le terrain pour cette recommandation, avec notamment sa
Résolution 1557 (2007) et sa
Recommandation
1799 (2007) sur l’image des femmes dans la publicité. En particulier
dans cette dernière, l’Assemblée a invité le Comité des Ministres à
«élaborer un code européen de bonne conduite encourageant les professionnels
de la publicité à présenter des images non discriminatoires et respectueuses
de la dignité des femmes et des hommes». Des axes similaires pourraient
être suivis pour appeler à s’élever contre l’hypersexualisation
des enfants. D’autres éléments pertinents se trouvent également
dans la
Résolution 2001
(2014) et la
Recommandation
2048 (2014) sur la violence véhiculée dans et par les médias.
27. Les organes normatifs compétents du Conseil de l’Europe pourraient
élaborer des normes de ce type relatives à la protection des enfants
contre l’hypersexualisation, par exemple la Commission pour l’égalité
de genre (GEC), qui a rédigé la Recommandation CM/Rec(2013)1 susmentionnée

.
3.2. Mesures
législatives envisageables au plan national
28. La mise en œuvre des normes
européennes au niveau national nous amène toujours à examiner en premier
lieu les mesures législatives qui pourraient être envisagées. Une
analyse détaillée de tout l’éventail d’actions juridiques susceptibles
d’être engagées pour lutter contre l’hypersexualisation dépasserait
le cadre du présent rapport. On peut cependant dire que, d’un point
de vue juridique, la question peut être abordée sous différents
angles, dont l’interdiction des images illégales d’abus commis sur
enfants (souvent appelés «pornographie enfantine» antérieurement)
et l’interdiction de la sollicitation d’enfants en ligne à des fins sexuelles («grooming»), considérée comme un
acte illégal dans le cadre de la Convention du Conseil de l’Europe
sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus
sexuels (STCE no 201, «Convention de Lanzarote»)
(même si elle n’est pas suivie d’un véritable abus sexuel physique).
29. Des mesures législatives pourraient également faire référence
aux différents contextes sociaux dans lesquels des images sexualisées
d’enfants sont véhiculées, comme par exemple les concours de beauté
pour enfants. Il convient de citer l’exemple positif de la législation
française adoptée en janvier 2014 qui interdit les concours de beauté
aux filles de moins de 13 ans («mini-miss») et prévoit l’obligation
d’une autorisation préalable pour les concours ouverts aux jeunes
filles âgées de 13 à 16 ans

.
30. L’adoption de mesures juridiques contre les images hypersexualisées
d’enfants n’est pas une tâche aisée, étant donné que la majorité
des images dont nous parlons ici sont produites avec le consentement
des enfants voire par les enfants eux-mêmes. Les images que s’échangent
les enfants et leurs pairs sur les réseaux sociaux et les smartphones
passent souvent inaperçues aux yeux des adultes. Il faudra pour l’essentiel
s’attaquer au problème en redéfinissant les normes éthiques et en
s’accordant à nouveau sur ce qui est préjudiciable pour les enfants.
Ce qui est en soit un immense défi culturel. Rappelons en outre
que toutes les mesures juridiques prises doivent respecter le droit
à la liberté d’expression.
3.3. Conseils
aux familles, aux enseignants et aux proches
31. Pour empêcher que les enfants
ne soient victimes d’hypersexualisation, nous devons les former
sur le sujet. Dans le monde numérique dans lequel nous vivons, l’éducation
doit englober une éducation aux médias et une communication ouverte
sur les problèmes et risques susceptibles d’être engendrés par les
médias ou d’exister dans un environnement médiatique

. Selon moi, en ma qualité de rapporteur
mais aussi de responsable politique et de père de famille, cette
approche doit associer le développement de compétences médiatiques
positives pour permettre aux enfants et aux jeunes de réaliser leur
plein potentiel, mais aussi la promotion d’un esprit critique à
l’égard des formats et contenus médiatiques problématiques.
32. Comme décrit précédemment, dans le monde moderne, les médias
influencent dans une large mesure ce qui est perçu et accepté comme
une norme; ils définissent les images corporelles et comportements
sociaux idéaux. Plus un enfant est jeune, plus il peut être influencé
par les messages médiatiques. Les enfants sexualisés, c’est-à-dire
les enfants représentés d’une manière sexualisée, jouent des rôles
qu’ils ne peuvent pas encore réellement comprendre.
33. L’approche de l’éducation sexuelle et relationnelle diffère
grandement d’un pays européen à l’autre, voire au sein même d’un
pays, en fonction des directives d’éducation scolaire et du poids
de la religion, des courants de pensée et traditions. Alors que
certaines familles éduquent leurs enfants sur la sexualité d’une manière
appropriée et sensible, nombreuses sont celles qui, malheureusement,
omettent de le faire, considérant l’éducation sexuelle comme une
mission à remplir par les écoles, obligeant ainsi leurs enfants
à s’auto-éduquer via internet, ce qui génère une interprétation
faussée et confuse de la sexualité.
34. Lorsque les parents ne peuvent ou ne veulent pas fournir de
réponses, les enfants se tournent vers d’autres sources, essentiellement
sur internet, qui proposent un éventail complet de vidéos et de photographies,
allant des sites web éducatifs les mieux conçus aux films pornographiques
les plus crus. Tenir les enfants à distance des ordinateurs ou bloquer
l’accès aux contenus médiatiques ne peut être qu’une solution temporaire
dans la mesure où les enfants curieux trouveront d’autres moyens
d’accéder aux contenus problématiques, par exemple depuis l’ordinateur
d’un ami. Les enfants doivent être éduqués sur leur dignité et leur
propre valeur pour se sentir moins sous pression de se conformer
à des stéréotypes sexualisés.
35. Les parents sont les mieux placés pour aider les enfants à
comprendre leur propre sexualité. Le simple fait de dire que «la
pornographie n’est pas une représentation réelle de la sexualité
mais de la pure fiction jouée par des acteurs» peut faire une grande
différence!
3.4. Autonomiser
et soutenir les enfants
36. L’essor des technologies de
l’information et de la communication a accéléré la sexualisation
des enfants et changé la façon dont ces derniers perçoivent leur
corps et abordent la sexualité. Le principal outil permettant de
donner aux enfants et aux jeunes les moyens de résister aux pressions
et à l’influence des images sexualisées est une forte éducation
qui commence à la maison, aidant ainsi les enfants à comprendre
la pression à laquelle ils sont soumis dans la société d’aujourd’hui.
37. Quels que soient l’origine et le contexte de la prestation
de tels programmes, ces derniers devraient contenir des éléments
sexuels et non-sexuels («compétences de la vie / life-skills»), encourager l’estime
et la conscience de soi des enfants, promouvoir une image positive
du corps (plutôt que des critères de beauté discutables) et aider
les enfants à développer un sens critique à l’égard des médias en
tant que tels et des contenus véhiculés.
38. Grâce à une éducation abordant le problème de manière transversale,
menée par les parents, les messages négatifs peuvent être transformés
en images positives et aider ainsi les enfants à devenir des personnalités
solides et conscientes de leur propre valeur. Le comportement des
enfants est fortement influencé par ce qu’ils observent dans leur
entourage et particulièrement chez les personnes qu’ils considèrent comme
leurs semblables. C’est pourquoi les pairs constituent un facteur
important dans tout type d’éducation.
39. La promotion d’une conscience, d’images et attitudes corporelles
positives peut également protéger les enfants contre des conséquences
plus sévères de l’hypersexualisation. Les programmes positifs peuvent contribuer
à prévenir la dépression, les troubles alimentaires, ainsi que les
idées suicidaires ou tentatives de suicide, en incitant notamment
les enfants à faire du sport, de la danse et de la musique ou à
pratiquer des activités extérieures en contact avec la nature; autant
d’activités qui peuvent sembler moins spectaculaires pour les enfants
modernes, qui grandissent dans un environnement numérique, mais
qui sont beaucoup plus précieuses que le fait de paraître belle
ou «sexy» de manière passive. Les enfants et les jeunes qui sont habitués
à partager des images et messages intimes via les réseaux sociaux
et les technologies mobiles doivent (ré)apprendre que leur corps
est précieux et privé, que le partage de photos intimes avec un
partenaire («sexting») n’est
pas une preuve d’amour et de confiance et qu’ils ont le droit de
dire non aux sollicitations à caractère sexuel.
40. Des outils concrets et utiles permettant de faire passer ce
message aux enfants et de les protéger ont été développés et testés
dans différents pays. Entre autres exemples intéressants, citons:
- les centres pour un internet
plus sûr et lignes d’assistance téléphonique déjà en place dans
beaucoup de pays européens et regroupés au sein du réseau paneuropéen
INSAFE; ils sont considérés comme des centres de connaissances et
d’excellence mais aussi comme des partenaires des actions engagées par
les pouvoirs publics
;
- les campagnes ou journées de sensibilisation et de prévention;
à titre d’exemple, la campagne «Zip it, Block
it, Flag it» mise en place au Royaume-Uni dès 2011
, ou la Journée pour un internet
plus sûr célébrée chaque année (dernièrement le 9 février 2016)
;
- les projets (campagnes, brochures, etc.) à la conception
desquels des enfants ont participé
grâce
à un partage d’opinions et d’expériences quant à leur comportement
dans l’environnement numérique;
- les outils d’assistance permettant de limiter les dégâts
(lorsqu’il est trop tard pour la prévention), par exemple la brochure «damage control leaflet» («brochure
sur la limitation des dégâts») produite par le Centre pour un internet
plus sûr du Royaume-Uni, qui offrent aux enfants, aux jeunes et
à leurs parents des conseils et stratégies pour les aider à faire
face aux conséquences du «sexting»
(sans toutefois porter de jugement)
.
3.5. Engager
les producteurs
41. Les sociétés de médias, de
publicité et autres acteurs industriels doivent aussi prendre leurs responsabilités
dans les messages et produits transmis aux enfants et aux jeunes.
Tant que l’on persiste à croire que les produits se vendront mieux
grâce à des campagnes et programmes ayant recours à des images sexualisées,
la situation n’est pas prête de changer. Dans un monde idéal, les
médias s’autoréguleraient d’une manière respectueuse des valeurs
morales et éthiques communes à une majorité; en pratique, cependant
ce n’est pas toujours le cas, bien que certains pays, comme l’Allemagne,
disposent d’organes «pour l’autoréglementation volontaire» des productions
cinématographiques ou télévisées (au-delà des institutions publiques
de supervision)

.
42. En attendant, dans un monde où les médias et les agences de
publicité ne respectent pas toujours les principes éthiques, les
comités d’éthique des médias et de la publicité ou les services
de supervisions audiovisuels ont pour rôle de garder un œil attentif
sur le paysage médiatique et d’intervenir chaque fois que des droits
humains, y compris les droits de l’enfant, sont bafoués. Dans ce
contexte, les droits de l’enfant doivent inclure le droit de ne
pas être représenté de manière sexualisée et de ne pas être exposé
par négligence à des représentations de la sexualité inappropriées
en l’absence de la maturité requise.
43. Parmi les exemples d’organes de supervision, citons le Conseil
Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en France, ou le régulateur indépendant
et autorité de la concurrence pour le secteur des télécommunications
au Royaume-Uni (Ofcom)

. Les mécanismes de contrôle devraient
également faire en sorte que les acteurs des médias et de la publicité
soient obligés de rendre des comptes. Cela signifie que les mécanismes
de supervision de l’audiovisuel doivent inclure un dispositif permettant
le dépôt de plaintes qui devront être prises au sérieux.
44. Afin d’encourager la responsabilité sociale des producteurs
du secteur des médias ou de la publicité en particulier et la création
de contenus médiatiques positifs, certaines mesures incitatives
pourraient leur être proposées, par exemple l’organisation de concours
par les pouvoirs publics. Des lignes directrices et critères de
sélection pertinents pourraient porter sur la promotion d’images
positives du corps et l’autonomisation des enfants et des jeunes
afin qu’ils soient en mesure de prendre leurs propres décisions.
De telles approches pourraient devenir de véritables modèles d’éducation
non formelle à condition d’associer les enfants et les jeunes au
processus de production et de conception.
45. Exemple positif de ce genre de compétitions, jugé important
par l’Assemblée: le Prix
«Care» de l’Association
Européenne des Agences de Communication (AEAC) décerné en 2015 à
la vidéo de sensibilisation «Le lac» produite par l’Assemblée parlementaire
(même si l’accent est davantage mis sur les abus sexuels que l’hypersexualisation)

. Et je tiens à attirer l’attention,
une fois de plus, au caractère exemplaire de l’une des activités
du Conseil de l’Europe, à savoir la collection de documents sur
la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à
l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention
d’Istanbul») «Encourager la participation du secteur privé et des
médias à la prévention de la violence à l'égard des femmes et de
la violence domestique: article 17 de la Convention d'Istanbul»

.
4. Conclusions
et recommandations
46. L’hypersexualisation d’enfants,
c’est-à-dire leur sexualisation d’une manière qui n’est pas appropriée
à leur âge, est un phénomène à plusieurs facettes qui trouve des
expressions variées dans les médias, la publicité et les produits
industriels. En suivant les exemples comportementaux des adultes
et de leurs pairs, les enfants ont tendance à considérer les images
et messages sexualisés comme étant la norme et à s’efforcer de s’y
conformer. De manière subtile, cette attitude peut avoir pour eux
un vaste éventail de conséquences, et éventuellement affecter la
conscience et l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes, leur bien-être, l’égalité
des chances, leur statut social et leur épanouissement, voire leur
santé et leur sécurité.
47. L’Assemblée devrait faire état de ses préoccupations face
à ces tendances, qui nuisent gravement aux droits humains des enfants
de diverses façons, pour garantir en particulier que la question
soit prise au sérieux par toutes les parties concernées, et que
les messages envoyés aux enfants et aux jeunes soient cohérents. Dans
ce contexte, les enfants et les jeunes s’entendent dire régulièrement
que la beauté et l’apparence ne font pas tout, alors qu’ils sont
quotidiennement confrontés à des images stéréotypées dans les médias.
48. Dans de nombreux contextes culturels, les enfants restent
confrontés à des attitudes familiales et communautaires où l’éducation
sexuelle et relationnelle est un sujet tabou, alors même qu’ils
sont submergés d’images sexualisées voire explicitement sexuelles
dans l’environnement médiatique qui les entoure. Nos sociétés, dans
toute leur complexité, doivent relever le défi consistant à rétablir
la cohérence des valeurs transmises à la jeune génération, et reconnaître
que l’éducation aux médias et l’éducation sexuelle et relationnelle
sont des éléments essentiels de l’éducation aux droits humains dans
les sociétés modernes.
49. L’Assemblée devrait, par le biais de sa résolution et de sa
recommandation, transmettre des recommandations clés concernant
des mesures à prendre par les gouvernements nationaux et les autres parties
prenantes dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi que
par ce dernier, en vue d’établir des cadres et lignes directrices
assurant une action cohérente. Ceci devrait notamment englober:
- l’adoption de mesures visant
à développer les capacités des familles à communiquer ouvertement
avec leurs enfants sur les thématiques de la sexualité et des relations
avec leurs enfants;
- l’adoption de mesures législatives pour fixer les limites
de la représentation sexualisée des enfants, et en particulier des
filles, dans les médias, le secteur de la publicité et lors d’événements
auxquels participent des enfants, tout en respectant le droit fondamental
à la liberté d’expression;
- la mise en place d‘institutions et de procédures de contrôle,
l’incitation à un comportement éthique des médias, et la mise à
disposition de mécanismes de plainte efficaces;
- la mise en place de politiques publiques et outils visant
à sensibiliser les enfants et les jeunes à la thématique et soutenant
les approches favorisant la participation des enfants à la conception
des outils et des messages;
- le lancement de programmes d’éducation aux médias transmis
d’une façon adaptée à leur âge, visant à renforcer l’image positive
de leur corps et leur autonomie;
- la mise en œuvre de mesures destinées à donner aux enfants
les moyens de dire non à tout comportement inapproprié et dangereux
(par exemple le partage d’images intimes via les médias sociaux).