1. Introduction
1. La Grèce se retrouve aujourd’hui
coincée entre deux réalités brutales liées à la réaction paniquée
de l’Europe face à la crise des réfugiés et des migrants dans l’est
de la Méditerranée et les Balkans occidentaux: la fermeture de sa
frontière septentrionale avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
et l’application imposée de l’accord conclu entre l’Union européenne
et la Turquie (accord UE-Turquie) à sa frontière maritime orientale
avec la Turquie. Depuis le mois de mars, c’est sur un pays empêtré
dans la récession économique depuis 2008 et soumis à d’éprouvantes
mesures d’austérité imposées de l’extérieur, que l’Union européenne fait
peser l’immense responsabilité de venir en aide aux dizaines de
milliers de réfugiés, demandeurs d’asile et migrants maintenant
bloqués sur son territoire. Autant de personnes dont le véritable
espoir était de gagner les autres pays d’Europe plus prospères,
comme le montre le fait que dans leur grande majorité, les réfugiés et
migrants arrivés en Grèce par la mer depuis le début de l’année
2015 – dont le nombre s’élevait à plus d’un million – ne sont pas
restés dans le pays.
2. Cependant, du fait de la fermeture coordonnée des frontières
le long de la route des Balkans occidentaux, quelque 46 000 réfugiés
et migrants sont aujourd’hui bloqués en Grèce continentale et 8 500 dans
les îles. Ceux qui se trouvent sur le continent et peuvent prétendre
à une protection internationale seront contraints de rester dans
le pays, dont la capacité d’accueil et d’intégration reste largement
insuffisante, jusqu’à ce qu’ils soient relocalisés dans un autre
pays participant au programme de relocalisation de l’Union européenne
– ou jusqu’à ce qu’ils trouvent un moyen clandestin de poursuivre
leur route vers le nord, très probablement entre les mains de passeurs.
Ceux qui se trouvent sur les îles sont pour la plupart retenus dans des
conditions inadéquates et subissent dans tous les cas les aléas
liés aux dysfonctionnements du régime d’asile grec, lorsqu’il s’agit
de déterminer s’ils seront ou non renvoyés en Turquie. En 2016,
89 % des arrivées se faisaient depuis la Syrie, l’Afghanistan ou
l’Irak.
3. En avril 2016, l’Assemblée parlementaire s’est déclarée préoccupée
par la situation en Grèce lors de l’adoption de résolutions sur
la situation dans les Balkans occidentaux et l’Accord UE-Turquie
.
L’objet du présent rapport est d’exposer la situation générale des
réfugiés et migrants en Grèce, des îles de la mer Egée où les nouveaux
arrivants sont bloqués et voient leurs demandes traitées dans des
structures nouvellement crées, dans le cadre de nouvelles procédures
accélérées; à Athènes et sur le continent, où les autorités grecques
et d’autres peinent à offrir une capacité d’accueil suffisante et
à appliquer le tout nouveau régime d’asile; en passant par la frontière
avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine» où plus de 10 000 réfugiés
et migrants attendent désespérément d’être autorisés à continuer
leur route vers le nord
.
2. Les défaillances du régime
d’asile grec: un problème ancien
4. En 2011, la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») a rendu un arrêt contre la Belgique
et la Grèce concernant le traitement d’un demandeur d’asile afghan
qui était entré sur le territoire de l’Union européenne par la Grèce
et s’était rendu jusqu’en Belgique où il avait introduit une demande
d’asile, et qui en application du Règlement de Dublin avait été
renvoyé en Grèce où il avait renouvelé sa demande
. La
Cour a constaté des violations de la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5, «la Convention»)
dans la manière dont le requérant avait été traité en Grèce:
- dès son arrivée en Grèce, il
avait été placé en détention dans des conditions déplorables, sans
aucune explication, et avait subi des brutalités et insultes de
la part de policiers. La Cour a conclu que prises ensemble, ces
circonstances s’analysaient en un traitement dégradant contraire
à l’article 3 de la Convention, accentué par la vulnérabilité du
requérant inhérente à sa qualité de demandeur d’asile;
- après sa libération, le requérant avait vécu pendant des
mois dans le dénuement le plus total, sans vivres ni endroit pour
se laver et se loger. A cela s’ajoutait l’angoisse permanente d’être
attaqué et volé ainsi que l’absence totale de perspective de voir
sa situation s’améliorer. Ces conditions, dont les autorités grecques
devaient être tenues responsables, étaient suffisamment graves pour
emporter violation de l’article 3;
- la Cour a par ailleurs conclu à une violation du droit
à un recours effectif au titre de l’article 13 de la Convention
en raison d’une série de défaillances dans l’examen par les autorités
grecques de la demande d’asile du requérant, et notamment: les échéances
excessivement courtes, une capacité d’accueil insuffisante, l’impossibilité
de poursuivre la procédure de demande et de maintenir des contacts,
le manque d’informations, l’absence d’aide judiciaire et les retards
de procédure devant la Cour suprême, combinées au risque encouru
par le requérant d’être refoulé directement ou indirectement vers
son pays d’origine, sans un examen sérieux du bien-fondé de sa demande.
5. Dans le même arrêt, la Cour a également conclu à une violation
de l’article 3 de la Convention par la Belgique qui avait renvoyé
le requérant en Grèce alors qu’elle aurait dû savoir que les conditions
de détention et d’accueil dans le pays, et le risque de refoulement
ultérieur vers l’Afghanistan, constitueraient elles-mêmes des violations
de l’article 3. Cela a conduit à la suspension des transferts de
demandeurs d’asile vers la Grèce au titre du Règlement Dublin.
6. La même année, la Cour a rendu un arrêt dans une affaire concernant
le traitement par les autorités grecques d’un demandeur d’asile
mineur non accompagné de nationalité afghane, qui a son arrivée
en Grèce, à Lesbos, avait dans un premier temps été placé en détention
dans l’attente de son expulsion, puis placé sous la tutelle d’une
personne que les autorités considéraient comme son cousin, et enfin
livré à lui-même après sa libération
. La Cour a constaté une
série de violations liées aux décisions des autorités de placer
le requérant en détention sans avoir envisagé d’autres mesures et
de nommer comme tuteur son cousin présumé (avec lequel le requérant
avait presque immédiatement perdu contact), ainsi qu’à de graves
défaillances d’ordre juridique et pratique dans la procédure de
recours contre la détention provisoire préalable au renvoi, toutes exacerbées
par la vulnérabilité du requérant en sa qualité de mineur non accompagné.
7. Le Comité des Ministres continue de surveiller l’exécution
par la Grèce de ces deux arrêts
, ce qui indique
clairement que les autorités n’ont pas encore résolu les problèmes
structurels à l’origine des violations constatées. L’une des causes
persistantes de ces problèmes structurels et du temps mis à les
régler est l’inefficacité administrative de l’Etat grec. En octobre
2015, les autorités grecques ont expliqué qu’elles n’étaient pas
parvenues à créer le nombre attendu de places d’accueil en raison
notamment de la restructuration complète de la politique sur l’immigration
.
L’adoption d’une toute nouvelle loi sur l’asile (no 4375/2016)
début avril (pour permettre la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie)
risque fort d’ajouter à la confusion et d’occasionner de nouveaux
retards dans l’obtention des résultats concrets demandés par les arrêts
de la Cour (voir plus loin).
8. L’Union européenne a évoqué à plusieurs reprises ces derniers
mois la possibilité de reprendre les transferts vers la Grèce en
vertu du Règlement de Dublin
, malgré les
progrès encore clairement insuffisants des autorités grecques pour
régler les problèmes liés en particulier à la capacité d’accueil
et à la protection des mineurs non accompagnés, problèmes qui se
sont aggravés avec la crise actuelle.
3. La fermeture de la frontière
avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine»: l’impasse
9. Le 9 mars 2016, les pays situés
sur la route des Balkans occidentaux de «l’ex-République yougoslave de
Macédoine» vers le nord ont fermé leurs frontières aux réfugiés
qui espéraient transiter par leur territoire
. Bien
que quelques-uns aient déclaré qu’ils continueraient à laisser entrer
certaines personnes, par exemple celles ayant l’intention d’y déposer
une demande d’asile ou celle munies d’un visa Schengen, les autorités
de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» ont pour leur part
adopté une approche catégorique avec l’annonce par la police de
la fermeture «totale» de la frontière. Le ministère de l’Intérieur
n’a effectivement enregistré aucune nouvelle arrivée depuis le 9 mars
.
De ce fait, à quelques exceptions près, tous les réfugiés ou migrants
qui ont depuis lors traversé la mer Egée depuis la Turquie vers
les îles grecques sont restés en Grèce. Il convient de rappeler
que les décisions de fermeture des frontières étaient clairement
coordonnées entre les Etats concernés mais que la Grèce, bien que
directement concernée, n’a été ni consultée ni prévenue.
10. La police macédonienne a imposé le contrôle de la frontière
par la force, notamment début mai en faisant usage de gaz lacrymogènes,
de balles en caoutchouc et de matraques pour éloigner les réfugiés
et migrants de la clôture de barbelés qui y avait été érigée. Le
village d’Idomeni, proche de la frontière, a acquis une triste réputation
mondiale de lieu de misère. A la mi-mai, plus de 9 400 personnes
et 1 000 autres dans la proche station-service EKO, y campaient
sous des tentes dans des conditions sordides et anarchiques, attendant
désespérément la réouverture de la frontière
. Parmi les occupants du lieu, on dénombre 4 000 enfants
, dont beaucoup de mineurs non accompagnés
espérant rejoindre leurs proches dans d’autres pays en Europe, exposés
à la violence, aux abus et à l’exploitation
. Les autorités grecques avaient un
temps exprimé l’intention de fermer ces campements de fortune et
de déplacer leurs occupants vers des abris ailleurs en Grèce, mais
n’en ont rien fait pour l’instant.
11. La fermeture des frontières a également eu pour conséquence
l’augmentation de l’introduction clandestine de migrants. Lorsque
j’ai visité les Balkans occidentaux en novembre 2015, les autorités
elles-mêmes m’ont expliqué que l’un des avantages de la politique
alors en place, autorisant l’entrée et le transit en Grèce, était
de ne pas pousser les réfugiés et les migrants dans les bras des
passeurs. Il n’est donc pas surprenant que ces derniers soient maintenant
très actifs dans les camps de fortune d’Idomeni
.
4. L’Accord UE-Turquie: flou
administratif et incertitude en mer Egée
12. A l’autre bout de la Grèce,
les réfugiés et migrants continuent d’arriver dans les îles de la
mer Egée, bien moins nombreux toutefois qu’avant l’entrée en vigueur
de l’accord UE-Turquie le 20 mars – en moyenne, moins de 170 par
jour (et 32 seulement entre le 10 et le 16 mai), contre plus de
3 250 entre le 1er octobre 2015 et le
19 mars 2016. Bien que tous ceux qui étaient arrivés avant le 20
mars aient été transférés vers le continent, les migrants et réfugiés
sont aujourd’hui plus de 8 500 dans les îles, dont la capacité (dans
les centres de rétention et d’accueil) se limite à 7 450 places.
13. Cinq îles – Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kos – ont des centres
de crise («hotspots»), aussi appelés «centres d’accueil et d’identification»
en droit grec. Ce sont désormais tous des centres fermés, c’est-à-dire
en pratique des centres de rétention pour la majorité des demandeurs
d’asile dans les îles. Malgré les réformes apportées en février 2015
à la politique de la Grèce en matière de rétention administrative
et les dispositions de la Loi 4375/2016 qui excluent les personnes
vulnérables de la procédure de rétention, il semblerait qu’à Lesbos,
par exemple, l’évaluation de la vulnérabilité des nouveaux arrivants
ne soit pas systématique, si bien que «des personnes présentant
des problèmes de santé graves, des parents seuls avec de nombreux
jeunes enfants en bas âge, des hommes et femmes risquant de subir
des violences sexuelles et sexistes, ainsi que d’autres groupes
vulnérables, sont souvent non décelés et ne bénéficient pas de la
prise en charge spécialisée dont ils pourraient avoir besoin (...)
Les agents déployés par Frontex et les policiers grecs n’avaient
à leur disposition ni lignes directrices pour repérer ces personnes
ni modes opératoires standardisés concernant les mesures à prendre
après leur identification»
.
En tout, des centaines d’enfants ont été détenus dans les «hotspots»,
dans des conditions totalement inadaptées, sans défense contre les
abus
.
14. Rien n’indique que les conditions de détention dans les «hotspots»
se soient améliorées depuis l’adoption de la
Résolution 2109 (2016) par l’Assemblée. En effet, le nombre de réfugiés et
de migrants dans les îles a augmenté, passant de 7 900 à 8 500,
sans augmentation de la capacité.
- Il
y a actuellement plus de 4 200 réfugiés et migrants à Lesbos, qui
peut en accueillir 3 500. Plus de 3 000 sont détenus dans le «hotspot»
de Moria. Entre 800 et 1000 personnes sont hébergées dans le camp
ouvert de Kara Tepe, géré par les pouvoirs locaux. D’autres, en
particulier des personnes vulnérables, se trouvent dans le centre
ouvert de Pipka Lesbos, géré par des bénévoles mais qui serait menacé
de fermeture.
- Il y a actuellement plus de 2 270 réfugiés et migrants
à Chios pour 1 100 places. Plus de 1 000 personnes sont détenues
dans le «hotspot» VIAL. 1 000 autres vivent dans le camp ouvert
de Souda. Il existe d’autres hébergements ouverts à Dipethe et Tabakika,
quelque peu improvisés pour décharger le «hotspot» VIAL et le camp
de Souda.
- Il y a actuellement plus de 1 000 réfugiés et migrants
à Samos (pour une capacité de 850 places), 522 à Leros (pour une
capacité de 1 000), et 351 à Kos (pour une capacité de 1 000) .
15. Les conditions de détention ont généré des tensions dans les
«hotspots»: après que des migrants se sont échappés du hotspot VIAL
à Chios le 21 avril, un autre mouvement de protestation violent
a éclaté à Moria, sur l’île de Lesbos le 27 avril, et a nécessité
l’intervention de la police anti-émeute dans le camp pour rétablir
l’ordre; il a été fait usage de gaz lacrymogène et plusieurs détenus
ont été blessés. Des plaintes selon lesquelles un enfant détenu
aurait été frappé par la police auraient été à l’origine de cet
incident
. Des vidéos en ligne donnent une idée des
conditions de vie dans les «hotspots», comme celles montrant de
la nourriture infestée d’asticots, donnée aux détenus
. Le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) s’y est rendu en avril et a annoncé qu’il présenterait prochainement
ses observations préliminaires aux autorités grecques par écrit
. J’attends avec intérêt la publication
de ces observations et exhorte les autorités grecques à mettre en
œuvre pleinement et sans tarder toutes les recommandations techniques
qui pourront y être formulées.
16. Comme cela a été noté dans la
Résolution 2109 (2016) de l’Assemblée sur la situation des réfugiés et des
migrants dans le cadre de l’Accord UE-Turquie du 18 mars 2016, «la
rétention des demandeurs d’asile dans les centres de crise (“hotspots”)
des îles de la mer Egée pourrait être incompatible avec les exigences
de [la Convention], notamment en raison de vices de procédure qui
entachent le fondement juridique de la rétention et de conditions
de rétention inadéquates». Les difficultés juridiques ne font que
s’accentuer avec le temps car les autorités, qu’elles placent une
personne en rétention pendant la durée d’examen de sa demande d’asile
(ce qui est le cas pour la plupart des détenus) ou dans l’attente
de son renvoi, sont tenues d’agir avec la diligence requise faute
de quoi la rétention devient incompatible avec la Convention. Il
convient de noter, cependant, que quelque 1 100 personnes auraient
été libérées après expiration du délai de 25 jours prévu en droit
grec. On ignore si ce chiffre inclut toutes celles pour qui la durée
maximale est dépassée. Les personnes libérées restent confinées
dans les îles en dépit de l’insuffisance des solutions de relogement
et le HCR a reconnu que cela augmentait leur vulnérabilité vis-à-vis
des passeurs
.
17. Malgré l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie il y a maintenant
plus d’un mois, le fait que la grande majorité des détenus ont demandé
l’asile et que nombre d’entre eux sont en détention depuis des semaines, le
système d’asile grec est encore loin d’être opérationnel dans les
«hotspots». Cette situation s’explique au moins en partie par le
fait que l’Union européenne n’a toujours pas apporté le soutien
promis. Le 19 mars, l’EASO avait demandé à d’autres Etats membres
de l’Union européenne de mettre à disposition 400 agents pour le
traitement des demandes d’asile et 400 interprètes, puis 72 agents
supplémentaires le 4 avril. Le 4 mai, seulement 63 agents et 67 interprètes
avaient été déployés, et l’on ne savait pas dans quelle mesure ils
étaient opérationnels dans leur nouvel environnement: la Commission
européenne a estimé que les services d’asile des îles grecques avaient
«la capacité de mener près de 50 entretiens par jour»
. Cela impliquerait que la période de rétention
maximale de 25 jours s’achèverait avant la fin de la procédure d’asile
pour la quasi-totalité des personnes actuellement en rétention,
et qu’elles devraient alors être libérées même en l’absence de solution
de relogement disponible. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de
vue que la capacité ne correspond pas toujours à la productivité
réelle et que la Commission n’indique pas combien de décisions sont
prises à la suite de ces entretiens, combien de recours contre un
refus sont examinés ou si les délais de procédure sont respectés.
Un événement qui semble refléter assez bien la situation est la
tentative d’un groupe de réfugiés de regagner la Turquie à la nage
depuis Chios car ils avaient perdu tout espoir de voir leur dossier
examiné
.
18. Les faiblesses du régime d’asile grec, en particulier dans
les îles, risquent d’être particulièrement mises en exergue lorsque
la disposition de la nouvelle Loi 4375/2016 autorisant le retour
des demandeurs d’asile en Turquie en tant que «pays tiers sûr» ou
«premier pays d’asile» devra être appliquée. Dans sa
Résolution 2109 (2016), l’Assemblée a conclu à partir de motifs juridiques
qui restent valables, que le renvoi de demandeurs d’asile de toute
nationalité vers la Turquie en tant que «pays tiers sûr» est contraire
au droit de l’Union européenne et/ou au droit international, et
que le renvoi de demandeurs d’asile syriens vers la Turquie en tant que
«premier pays d’asile» pourrait être contraire au droit de l’Union
européenne et/ou au droit international. Selon les informations
obtenues depuis, des Syriens renvoyés en Turquie, parmi lesquels
une femme enceinte, auraient été placés en détention pendant des
semaines dans un camp isolé, sans possibilité de consulter un avocat
ni accès à des soins médicaux spécialisés; ceux qui ont été renvoyés
«risquent la détention arbitraire et doivent subir une procédure
d’asile insondable et à de mauvaises conditions de vie»
. Cela
ne fait que renforcer les inquiétudes de l’Assemblée concernant
le sort des demandeurs d’asile renvoyés en Turquie, et mettre en
cause un peu plus la légalité de ces retours. Dans ce contexte,
il faut noter que malgré les efforts de la Commission européenne
pour convaincre les autorités grecques du respect des dispositions législatives
de l’Union sur les retours en Turquie,
une commission grecque d’appel
des demandes d’asile sur Lesbos a trouvé que la protection provisoire
ouverte à un demandeur d’asile syrien en Turquie n’offrait pas des droits
équivalents à ceux garanties par la Convention des Nations Unies
de 1951 relative au statut des réfugiés.
19. Bien que l’accord UE-Turquie ait entraîné une réduction du
nombre d’arrivées en Turquie (mais pas une cessation complète, loin
de là), aucune des 8 600 personnes arrivées après le 20 mars n’a
fait l’objet d’une mesure de renvoi à ce jour
. 386 personnes arrivées avant le
20 mars ont été renvoyées: la Commission européenne affirme que
ce sont «des migrants en situation irrégulière n’ayant pas besoin
d’une protection internationale», mais d’autres sources indiquent
que des Afghans, des Iraniens et des Palestiniens se trouvaient
parmi eux et n’avaient pas eu accès au système d’asile en Grèce
avant d’être renvoyés
.
20. Compte tenu de l’incapacité des autorités grecques et de l’Union
européenne à mettre en place des structures d’accueil et d’hébergement
adéquates ou un système d’asile fonctionnel dans les îles, le fait
que le nombre d’arrivées continue d’être supérieur à celui des départs
ne fera qu’aggraver une situation déjà catastrophique.
5. La situation sur le continent:
gestion de crise par un système déficient
5.1. Le régime d’asile
21. Cela fait longtemps que la
Grèce rencontre des difficultés liées à un régime d’asile défaillant.
De nombreux problèmes fondamentaux persistent, et notamment l’absence
d’information adéquate des demandeurs d’asile, les obstacles persistants
à l’accès à la procédure d’asile, les longs délais et l’accumulation des
dossiers en attente, le manque de moyens des services d’asile et
en particulier la non-ouverture des bureaux régionaux prévus et
les sous-effectifs, les difficultés à liquider l’arriéré des recours
formés dans le cadre des procédures antérieures, et enfin la structure
et le règlement de l’autorité de recours et de sa commission des
recours
.
22. Afin de donner une base en droit interne à la mise en œuvre
de l’accord UE-Turquie, notamment en ce qui concerne les procédures
accélérées pour les demandeurs d’asile placés en rétention et les
renvois vers la Turquie, le Parlement grec a adopté le 1er avril
2016 la Loi 4375/2016, selon la procédure d’urgence. Cette nouvelle
loi, dont la plus grande partie est entrée en vigueur le 4 avril,
contient des dispositions sur les questions institutionnelles et
prévoit notamment la création d’un service de l’asile et d’un service
de l’accueil et de l’identification au sein du ministère de l’Intérieur
et de la reconstruction administrative, ainsi que d’une autorité
de recours autonome au sein du ministère, dépendant directement
du ministre. Parmi les autres réformes importantes, on peut citer
les suivantes:
- l’admission
automatique au séjour pour motifs humanitaires de 7 800 des 18 500 personnes
dont les demandes d’asile sont en instance;
- la poursuite de la transposition des directives pertinentes
de l’Union européenne en droit grec, notamment en ce qui concerne:
-
- la mise à disposition
d’une aide juridictionnelle gratuite pour les audiences devant l’autorité
de recours, comme requis par la Directive sur les procédures d’asile;
- l’harmonisation des motifs de rétention possibles avec
la Directive sur les conditions d’accueil;
- la révision de l’application au niveau national des notions
de «premier pays d’asile» et «pays tiers sûr» dans la procédure
d’irrecevabilité (nécessaire pour les renvois vers la Turquie);
- la révision de la procédure accélérée aux frontières,
pour permettre son application également dans les «hotspots»;
- la légère amélioration des délais de la procédure de recours,
mais une lacune apparente s’agissant de la mise à disposition de
recours avec effet suspensif automatique contre les décisions de
renvoi .
23. Les violations constatées dans l’arrêt M.S.S. étaient
notamment liées à des défaillances dans l’application du droit grec
par le système d’asile grec. Il est à espérer que la nouvelle Loi
4375/2016, qui transpose en droit interne des dispositions complexes
du droit de l’Union européenne, notamment sur des questions fondamentales
comme la rétention, les procédures d’asile et les renvois, sera
dûment appliquée par les différentes instances compétentes. Il faut
également souhaiter que des ressources adéquates, y compris du personnel
formé, seront mises à disposition pour permettre le bon fonctionnement
du nouveau système. Toutes les réformes juridiques et administratives
nécessitent du temps et des ressources pour être effectives: la
nouvelle loi ne résoudra pas à elle seule les problèmes de ressources
et problèmes structurels chroniques en Grèce.
24. Une illustration récente des faiblesses du régime d’asile
est l’annonce faite le 14 mai selon laquelle «un processus de préenregistrement
en vue d’une protection internationale» pour les résidents des centres
ouverts sur le continent arrivés en Grèce avant le 20 mars débuterait
«dans les semaines suivantes» et prendrait «plusieurs semaines».
Il s’agirait de «la première étape d’une demande de protection internationale
en Grèce» qui «pourrait aboutir» à l’examen d’une demande, à un
transfert Dublin ou à une relocalisation dans un autre pays. A l’issue
de ce processus, chaque personne obtiendra une «carte de demandeur
d’asile». Cela laisse entendre qu’une grande partie de ceux qui
sont arrivés avant le 20 mars n’ont même pas encore été «préenregistrés»
et sont sans papiers, mais aussi que ce processus ne sera qu’une
toute première étape de la procédure d’asile. On peut dès lors se
demander pourquoi et comment il aurait été possible de transférer
un nombre potentiellement important de personnes des îles vers le
continent sans qu’il ait été procédé aux formalités les plus élémentaires.
Par ailleurs, la formulation vague sinon réservée de cette annonce
donne à penser que les autorités grecques elles-mêmes n’ont pas
confiance dans leur capacité à mener à bien ce processus
.
5.2. Capacité d’accueil
25. L’armée grecque a déployé des
efforts considérables pour renforcer la capacité d’accueil dans
le pays, en ouvrant de nombreuses nouvelles structures ces trois
derniers mois. Cependant, même sur le plan quantitatif, cette capacité
est insuffisante. Il y aurait 34 650 places pour 45 985 occupants.
Ce chiffre est bien inférieur au total de 50 000 places (30 000
en centres d’accueil et 20 000 dans des logements à loyer subventionné
à mettre à disposition en collaboration avec le HCR) que la Grèce
s’était engagée à créer à la réunion des dirigeants de la route
des Balkans occidentaux le 25 octobre 2015. Le statut juridique
et la nature exacte de nombreuses structures d’accueil supposées
ne sont pas clairs, ni la question de savoir quelle est l’instance
responsable administrativement de leur fonctionnement. D’aucuns
affirment également que de nombreuses places considérées par la
Commission européenne comme des hébergements ouverts sont en fait
des lieux de rétention. Le Conseil européen pour les réfugiés et
les exilés (CERE) conclut que «les personnes qui demandent une protection
internationale en Grèce risquent de se retrouver sans abri, dans
le dénuement le plus complet», ce qui est contraire aux obligations
de la Grèce en vertu de l’article 3 de la Convention européenne
des droits de l’homme et à l’arrêt de la Cour dans l’affaire
M.S.S .
26. La capacité d’accueil n’est pas adaptée non plus en termes
de qualité pour un accueil de longue durée. La plupart des nouvelles
installations étaient censées être temporaires (le HCR les qualifie
de «sites d’accueil d’urgence») et bon nombre de celles qui sont
en place depuis plus longtemps avaient été conçues initialement comme
des centres de transit. Le Représentant spécial du Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe pour les migrations et les réfugiés, Tomas
Bocek, qui s’est rendu en Grèce en mars, a par exemple constaté
qu’à Elliniko, un ancien site des Jeux olympiques au sud d’Athènes,
«1 500 personnes étaient hébergées dans des conditions de surpeuplement,
dans un bâtiment et sous des tentes. (...) Seuls leurs besoins élémentaires étaient
couverts: nourriture, produits d’hygiène, couvertures et sacs de
couchage. (...), [J’]ai vu plusieurs personnes dormant à même le
sol dans des couvertures. Les conséquences du surpeuplement, en
termes d’hygiène, étaient manifestes. Le personnel présent était
très peu nombreux. (...) Il semblerait que ce camp ne soit manifestement
pas adapté aux séjours de longue durée, compte tenu notamment du
nombre de personnes actuellement présentes». De même, il a constaté
que les conditions de vie à Nea Kavala, au nord de Thessalonique,
«ne répondaient pas aux normes et devaient être grandement améliorées».
«Les autorités grecques ont besoin d’aide pour faire en sorte que
ces gens ne dorment plus sous des tentes dans la boue et qu’ils
n’aient plus à brûler des déchets plastiques pour se réchauffer»
.
27. De violents mouvements de protestation ont également éclaté
dans des centres sur le continent. Le 10 mai, par exemple, près
d’un millier d’occupants d’Elliniko ont entamé une grève de la faim
pour protester contre «les conditions inhumaines» dans lesquelles
ils vivaient, dénonçant en particulier la mauvaise qualité de la
nourriture et le traitement préférentiel dont les Syriens faisaient
selon eux l’objet
.
28. En plus des centres d’accueil officiels, plusieurs camps de
fortune ont été établis, notamment au port de Pirée à Athènes: malgré
une diminution considérable du nombre d’arrivées de réfugiés et
de migrants dans le port depuis les îles de la mer Egée à la suite
de l’accord UE-Turquie, plus de 1 400 personnes y campaient toujours
à la mi-mai
. Selon des informations publiées
en mars, «des réfugiés et migrants, et notamment de nombreuses familles
avec des enfants et des bébés, des femmes enceintes, des personnes
handicapées et des personnes âgées, vivaient dans des conditions
sordides. Ils dormaient à même le sol dans les terminaux, avec pour
seule protection une couverture polaire, ou dans de petites tentes
à l’intérieur d’un entrepôt non chauffé ou à l’extérieur, exposés
aux basses températures nocturnes. Les équipements étaient insuffisants, avec
4 à 6 douches sans eau chaude dans l’un des terminaux et seulement
8 à 10 toilettes chimiques par terminal»
. Le gouvernement a prévu de transférer
les occupants à la mi-juin vers un centre d’hébergement à Skaramangas
(créé en avril et défini par le HCR comme un «site d’accueil d’urgence»)
.
La place Victoria, au cœur d’Athènes, n’est plus un lieu important
de campement sauvage mais reste un point de ralliement et Médecins
Sans Frontières a installé l’un de ses centres à proximité. Les
passeurs semblent particulièrement actifs dans ces sites informels
.
5.3. Rétention des demandeurs
d’asile
29. En février 2015, le Gouvernement
grec a engagé une réforme de la politique de rétention administrative pour
favoriser le recours aux solutions de remplacement, créer davantage
de centres d’accueil ouverts, limiter la durée maximale de rétention
à six mois, libérer progressivement ceux qui sont en rétention depuis
de longues périodes et libérer immédiatement les personnes vulnérables
et les demandeurs d’asile
.
Les organisations de la société civile qui suivent l’application
des mesures de rétention continuent néanmoins d’exprimer leurs inquiétudes,
qui transparaissent également dans les Recommandations du HCR. Celles-ci concernent
notamment l’absence d’examen individuel de la nécessité et de la
proportionnalité de la rétention des demandeurs d’asile, ou d’application
systématique de solutions de remplacement; la rétention de personnes
dont il a été établi qu’elles peuvent prétendre à une protection
internationale; la rétention de personnes présentant des problèmes
de santé graves; le recours excessif à certains motifs de rétention; l’absence
apparente de réexamen de la nécessité et du caractère approprié
des décisions de placement en rétention lors des entretiens réguliers;
et l’absence apparente de prise en compte de l’existence de centres
de rétention adaptés et de la situation dans les centres de rétention
existants, lorsque les décisions de placement sont prises et réexaminées
.
30. Les conditions de rétention administrative sur le continent
restent inadéquates, cinq ans après l’arrêt
M.S.S. Bien
qu’il ne se limite pas spécifiquement à la rétention des demandeurs
d’asile, un rapport évoque l’insuffisance des soins médicaux, l’absence
de soutien par du personnel spécialisé (par exemple des psychologues),
le manque de nourriture, de chauffage, d’activités récréatives ou
éducatives, de vêtements, de chaussures et d’articles d’hygiène,
ainsi que l’absence d’information, de services d’interprétation
et d’aide juridique
. Le
CPT a publié un rapport détaillé sur les conditions de vie déplorables
dans plusieurs centres de rétention administrative et conclu que
«les conditions de rétention restent totalement inadaptées pour
accueillir des migrants en situation irrégulière pendant de longues
périodes»
.
5.4. Enfants non accompagnés
et séparés
31. Le 6 avril, l’UNICEF a indiqué
qu’il y avait plus de 22 000 enfants réfugiés et migrants en Grèce,
soit près de 40% de l’ensemble de la population de réfugiés et migrants
.
Environ 2 000 d’entre eux sont des enfants non accompagnés et séparés,
demandeurs d’asile
.
Le régime d’asile grec n’est toujours pas en mesure d’offrir à ces
enfants une protection effective, beaucoup de problèmes mis en évidence
il y a cinq ans dans l’arrêt
Rahimi restant
d’actualité.
32. Des problèmes se posent dès l’étape de la détermination de
l’âge. Le Représentant spécial du Secrétaire Général a noté que
«même si les procédures de détermination de l’âge ne semblent pas
poser problème en soi, la mise en œuvre présente quelques difficultés.
(...) De plus, il ne semble pas exister de recours effectifs contre
les conclusions d’une détermination
».
De même, l’ONG l’AITIMA a signalé que «la procédure de détermination
de l’âge prévue pour les centres de premier accueil n’est pas appliquée
à grande échelle; de ce fait, de nombreux mineurs sont enregistrés
à tort comme adultes, ce qui a un impact direct sur la prise en
charge dont ils bénéficient
».
33. Le régime de tutelle ne remplit pas non plus son rôle. En
principe, ce sont les procureurs qui sont temporairement chargés
de veiller aux intérêts et au bien-être de l’enfant, jusqu’à ce
qu’ils aient désigné un tuteur permanent. Dans la pratique, ils
n’ont pas les moyens d’exercer cette fonction essentielle. Le HCR
a demandé à plusieurs reprises la création d’un mécanisme d’appui
aux procureurs dans ce domaine
.
34. Il y a une pénurie extrême d’hébergements appropriés pour
les mineurs non accompagnés et séparés. Selon les estimations, à
la mi-avril, 75% des 2 000 demandeurs d’asile mineurs non accompagnés
et séparés n’avaient pas de lieu d’hébergement sûr car il n’y avait
que 477 foyers dans le pays, tous occupés depuis des semaines. Les
nouveaux arrivants n’avaient donc nulle part où aller et dormaient
dehors, dans des abris de fortune, ou étaient placés pendant de
longues périodes dans des centres de rétention ou des cellules de
police. «Cette situation expose des enfants vulnérables et souvent
traumatisés à des risques d’abus, d’exploitation par des trafiquants
de personnes, de maladie et de stress psychologique
.»
35. En Grèce, les mineurs non accompagnés et séparés sont souvent
placés en rétention «pour leur propre protection» dans des commissariats
de police, et parfois longtemps «dans des conditions proches de l’isolement
pénitentiaire»
. Amnesty International a décrit
la situation de six mineurs non accompagnés ou séparés placés en
«détention protectrice» au commissariat d’Evzoni à proximité d’Eidomeni,
dans «de très mauvaises conditions (pas de lumière naturelle, pas
de chauffage ni d’eau chaude)», dans des locaux infestés de souris
dont les toilettes étaient hors d’usage, ce qui dégageait une «odeur
insoutenable»; il n’y avait pas de services d’interprétation et
la police s’appuyait sur les ONG pour donner des informations aux
enfants détenus
.
36. Vu leur âge et leur inexpérience, les mineurs non accompagnés
et séparés ont particulièrement besoin d’aide dans les procédures
d’asile. Aux défaillances du régime de tutelle s’ajoute l’absence
d’accès aux informations nécessaires, et ce quel que soit l’endroit
où ils vivent – «hotspots», foyers pour enfants ou camps de fortune.
Comme l’a noté le Représentant spécial du Secrétaire Général, cette
situation est préoccupante car ces mineurs n’ont même pas connaissance
de leurs droits ni des procédures applicables alors qu’ils devraient
être les premiers bénéficiaires des programmes de relocalisation
.
6. Relocalisation des réfugiés:
pas d’allègement de la pression qui pèse sur la Grèce
37. En septembre 2015, l’Union
européenne – sans le Royaume-Uni mais avec le Liechtenstein, la
Norvège et la Suisse, Etats associés de l’espace Schengen – a convenu
de la relocalisation de 50 400 réfugiés à partir de la Grèce d’ici
septembre 2017. La relocalisation effective dépend de divers facteurs,
parmi lesquels l’expression d’un intérêt de la part des réfugiés
et leur disposition à accepter les places qui leur sont proposées, l’efficacité
et la bonne foi des autorités nationales en Grèce et dans les pays
d’accueil lors de la gestion du processus, mais surtout les engagements
pris par les Etats d’accueil.
38. Selon les informations disponibles, de nombreux réfugiés qui
avaient exprimé un intérêt en faveur d’une relocalisation ont finalement
refusé les places qui leur avaient été proposées, apparemment par
crainte d’être définitivement séparés de leurs familles
. La Commission
européenne a recensé des difficultés d’ordre administratif comme
l’usage incorrect des préférences par les Etats, le long temps de
réponse aux demandes de relocalisation, les obstacles liés aux contrôles
de sûreté, les refus non justifiés et l’insuffisance des informations
préalables au départ (ce qui amène les réfugiés à se retirer du
processus)
.
39. Le système présente également des aspects quelque peu irrationnels,
comme le fait qu’à la mi-mars, les personnes du Costa Rica, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines
(un archipel des Caraïbes) et des Maldives (entre autres pays, y
compris la Syrie et l’Irak) pouvaient prétendre à une relocalisation,
mais pas celles originaires du Yémen ou d’Afghanistan. Cela est
dû au fait que la relocalisation s’applique aux nationalités de demandeurs
pour lesquelles le taux de reconnaissance moyen à l’échelle de l’Union
européenne atteint 75 % ou plus. L’imprévisibilité est un autre
problème: les taux de reconnaissance évoluant avec le temps, des
pays peuvent être ajoutés ou retirés de la liste des pays dont les
ressortissants peuvent bénéficier d’une relocalisation, comme cela
a été le cas du Yémen, qui en a été retiré.
40. Néanmoins, le premier motif donné par la Commission européenne
pour expliquer les faiblesses du programme est «le nombre insuffisant
et limité d’engagements formels». Le 16 mars, tout en constatant
une amélioration des réponses début mars, elle a affirmé que «le
niveau peu satisfaisant de mise en œuvre (...) s’explique par toute
une série de facteurs, dont le manque de volonté politique des États
membres de respecter intégralement et dans les délais leurs obligations
juridiques en matière de relocalisation». Le 12 avril, elle a noté
que seules 46 personnes supplémentaires avaient été relocalisées
et que «seuls quelques Etats (...) ont procédé à des relocalisations»
. Au 2 mai, 99 autres réfugiés
seulement avaient été relocalisés. La Commission avait fixé un objectif
intermédiaire de 20 000 à la mi-mai;
au 18 mai, cependant, 909 réfugiés seulement
avaient effectivement été relocalisés, ce qui représente moins de
5% de l’objectif intermédiaire et moins de 2% du total convenu
.
41. En mars, la Commission européenne a rappelé que les accords
de relocalisation étaient «des mesures d’urgence destinées à alléger
la pression considérable qui s’exerce sur les systèmes d’asile grec
et italien», ajoutant que «la nécessité d’une action renforcée s’impose
d’autant plus que la pression se fait très forte, surtout en Grèce».
En avril, elle a invité instamment les Etats à «intensifier considérablement
leurs efforts pour répondre à l’urgence humanitaire que connaît
la Grèce». En mai, elle a dit que la Grèce était «confrontée à une
crise humanitaire qui appelle une mise en œuvre rapide et intégrale
des [décisions de relocalisation]». Selon ses estimations, entre
35 000 et 40 000 personnes se trouvant actuellement en Grèce pourraient prétendre
à une relocalisation
.
Ce chiffre est dérisoire comparé au nombre de personnes arrivées
l’an dernier via la route des Balkans occidentaux. Il est tout à
fait honteux que le nombre de relocalisations effectuées à ce jour
n’ait même pas atteint le millier: cela sous-entend de la part de
nombreux Etats participants une attitude cynique et à courte vue
face au drame des réfugiés et des migrants en Grèce et aux difficultés
de la population et des autorités grecques.
7. Soutien de l’Union européenne
à la Grèce
42. L’Union européenne s’est engagée
à offrir un large soutien à la Grèce, sous la forme d’une aide financière
mais également sur le plan des ressources humaines, pour réformer
son régime d’asile, assurer la gestion des «hotspots» et remédier
aux conséquences internes de la fermeture de la frontière septentrionale. Le
président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a nommé
un responsable chargé de la coordination de cette aide. Comme cela
a été noté précédemment, la réponse aux appels à détachement d’agents
des services d’asile et d’interprètes a jusqu’à présent été bien
inférieure aux besoins. C’est également le cas dans d’autres secteurs:
le 19 mars, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle
aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne
(Frontex) avait demandé 1 500 agents d’escorte et 50 agents pour
les opérations de retour; au 4 mai, respectivement 292 agents d’escorte
et 21 agents pour les opérations de retour avaient été déployés.
De même, les appels à experts lancés par le Bureau européen d’appui
en matière d’asile (EASO), notamment pour la relocalisation, n’ont jamais
rencontré de réponse satisfaisante.
43. L’aide financière, en revanche, a été plus facile à obtenir:
l’Union européenne devrait financier le coût de la mise en œuvre
de l’accord UE-Turquie, estimé à 280 millions d’euro; une aide d’urgence
de 267 millions d’euros a été débloquée en faveur de la Grèce pour
2016 et sera mise à la disposition des autorités et des organisations
internationales; 83 millions d’euros seront consacrés à l’amélioration
des conditions de vie et mis à la disposition du HCR, de la Fédération
internationale de la Croix Rouge et de six ONG internationales,
en plus des 509 millions d’euros octroyés dans le cadre de programmes
nationaux pluriannuels. Cela dit, il est évident que l’argent à
lui seul ne résoudra rien si la Grèce ne dispose pas des moyens
administratifs et de la capacité structurelle nécessaires pour le
dépenser efficacement.
8. Conclusions
et recommandations
44. Du simple fait de sa position
sur la carte, la Grèce doit supporter une charge totalement disproportionnée dans
la réponse à la crise des réfugiés et des migrants à l’est de la
Méditerranée et dans les Balkans occidentaux. Or, à tous les autres
égards, c’est peut-être le pays le moins bien placé de tous les
Etats membres de l’Union européenne pour assumer cette responsabilité,
compte tenu de la récession économique persistante et de l’austérité
budgétaire auxquelles elle est confrontée, ainsi qu’au chaos administratif
et aux tensions sociales qui en résultent, tout cela exacerbant
les défaillances de longue date de son système d’asile. L’Union
européenne, dont les valeurs fondamentales sont supposées être la
solidarité, la coopération et le respect des droits de l’homme et
de l’Etat de droit, a échoué à apporter un soutien adéquat ou à
assurer un partage plus équitable des responsabilités entre tous
ses Etats membres. De nombreux Etats européens, membres de l’Union
européenne ou non, agissant avec un égoïsme cynique, ont alourdi
la charge qui pèse sur la Grèce ou échoué à prendre des mesures
pour l’alléger.
45. Les premières victimes de cette situation honteuse sont les
réfugiés, bloqués dans un pays qui se trouve dans l’incapacité de
leur assurer ne serait-ce qu’un niveau de protection minimal, privant
ainsi de leur dignité humaine fondamentale des milliers de personnes
qui avaient déjà tout perdu par suite du conflit et de la persécution.
Dans les îles de la mer Egée, les réfugiés, qui n’ont commis aucun
crime, sont enfermés dans des conditions pires que dans les prisons,
ne comprenant pas ce qui leur arrive et éprouvés psychologiquement
par une situation de flou administratif qui les plonge dans l’incertitude
quant à leur avenir. Des personnes vulnérables, et notamment des
enfants, sont placés en rétention aux côtés de jeunes adultes en
proie à la colère et à la frustration, ce qui les expose à des risques
de violence, d’exploitation et d’abus. Sur le continent, des centres
d’accueil médiocres sont pleins à craquer de réfugiés qui attendent
le traitement de leurs demandes d’asile par un système qui peine
déjà à assurer ne serait-ce que les formalités préalables les plus
élémentaires. Des milliers d’autres personnes, dont beaucoup d’enfants,
ne bénéficient même pas des structures minimales et de la stabilité
des sites officiels et vivent dans la saleté effrayante et l’horrible
chaos des camps informels. Des enfants sont détenus dans des cellules
de police faute d’hébergements adaptés. En dépit de la générosité
et de l’engagement remarquables des volontaires grecs et des organisations
de la société civile dans tout le pays, la Grèce n’est toujours
pas à même de répondre aux besoins les plus élémentaires des réfugiés
et des migrants.
46. Il y a peu de signes d’amélioration de la situation. Plus
de deux mois après que «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
a fermé ses frontières, il reste 10 000 réfugiés et migrants à Idomeni,
agités par de fausses rumeurs de réouverture de la frontière et
de plus en plus sensibles à l’attrait des passeurs. Deux mois après
l’accord UE-Turquie, les «hotspots» détiennent encore des milliers
de personnes dans des conditions médiocres, des milliers d’autres
se trouvent dans des centres d’accueil inadaptés ou sans abri adéquat,
il n’y a toujours pas de système d’asile pleinement opérationnel
dans les îles et l’incertitude règne quant au sort des demandeurs
d’asile qui y sont confinés. Par ailleurs, plus de cinq ans après
les arrêts rendus par la Cour dans les affaires M.S.S. et Rahimi,
le régime d’asile grec sur le continent ne garantit toujours pas des
procédures fiables de détermination du statut des demandeurs, une
capacité d’accueil suffisante, des conditions de rétention adéquates
ou une protection de base des personnes vulnérables, y compris des enfants.
47. C’est pourquoi je propose, dans le projet de résolution ci-joint,
un ensemble de recommandations aux autorités grecques, à l’Union
européenne et ses Etats membres et aux Etats participant au programme
de relocalisation de l’Union européenne, pour assurer le respect
des droits fondamentaux des réfugiés et des migrants, soutenir les
autorités et la société grecques dans leurs efforts pour résoudre
les problèmes actuels et renforcer la solidarité entre pays européens
en réponse à une crise qu’il nous faut reconnaître comme un problème
européen et non uniquement grec.