1. Introduction
1. La forte augmentation, ces
dernières années, du nombre de réfugiés et migrants arrivant en
Europe par la mer Méditerranée a provoqué une crise des migrations
et des réfugiés sans précédent sur notre continent. Plus d’un million
de personnes ont atteint les côtes européennes en 2015

contre 219 000 en
2014, 60 000 en 2013 et quelque 40 000 chaque année, selon les estimations,
entre 1998 et 2012. La mise en œuvre à compter de mars 2016 de l’accord
conclu entre l’Union européenne et la Turquie et le recul du nombre
de personnes arrivant en Grèce qui en est résulté ont mis un frein
au nombre de migrants et de réfugiés traversant la Méditerranée,
leur effectif s’établissant à 390 000 en 2016.
2. Cette explosion des chiffres est imputable pour l’essentiel
aux conflits armés en Syrie et en Irak ainsi qu’à l’instabilité,
aux violations des droits de l’homme et à la misère économique que
connaissent notamment l’Afghanistan, l’Erythrée, le Nigeria, la
Somalie, la Gambie et le Soudan. Les routes maritimes employées
pour traverser la Méditerranée changent rapidement, au gré de l’évolution
des circonstances extérieures et notamment des mesures et conditions
de contrôle des migrations dans les pays d’origine, de transit et
de destination. La traversée de la Méditerranée est presque entièrement
contrôlée par des réseaux criminels bien organisés, désireux de
maximiser leurs profits et ne se souciant guère des vies humaines.
3. Les périlleux voyages à travers la Méditerranée font de nombreuses
victimes. Malgré les opérations concertées de recherche et de sauvetage
menées par plusieurs pays européens, plus de 4 000 personnes sont
mortes en 2016 contre 3 800 en 2015, 3 500 en 2014, 600 en 2013
et 500 en 2012. Deux cent dix-neuf personnes au moins se sont noyées
rien qu’au cours des deux premières semaines de cette année

.
4. Les arrivées massives de migrants et de réfugiés par la mer
Méditerranée font peser des pressions extrêmes sur les pays d’accueil.
Il est rapidement apparu que les capacités matérielles d’accueil
des premiers pays d’arrivée ne permettaient pas de répondre aux
normes des droits de l’homme et les systèmes d’asile ont révélé
des défaillances structurelles en termes de traitement du nombre
important de demandes soumises. En raison d’une part de ces lacunes
mais également d’ouvertures de frontières non coordonnées, d’opérations visant
à faciliter le transport des migrants et d’autres facteurs comme
les préférences des migrants, les liens familiaux et bien évidemment
les modes opératoires du trafic des migrants, les flux de réfugiés
se répandent dans toute l’Europe, affectant les pays de transit
et de destination.
5. La réponse chaotique de l’Europe face à cette situation a
immédiatement mis en lumière la faiblesse et le manque de pertinence
des instruments juridiques et des politiques migratoires en vigueur.
Ce fut particulièrement flagrant dans le cas dudit Règlement de
Dublin, instrument juridique de l’Union européenne qui établit un
mécanisme pour identifier l’Etat membre auquel il revient d’examiner
une demande d’asile donnée. Ce Règlement a été adopté en 2003 quand
les flux de migrants et de réfugiés étaient de nature qualitative
et quantitative différente. Les migrants arrivés en masse ont ainsi
été en mesure de choisir le pays dans lequel ils souhaitaient au
final demander asile, scénario que le Règlement de Dublin était
justement censé prévenir. Qui plus est, ils ont la possibilité d’introduire
une demande dans plusieurs pays tout en abusant des systèmes locaux
de protection sociale.
6. Une telle situation est devenue possible, parce qu’un autre
instrument juridique de l’Union européenne, en l’occurrence l’Accord
de Schengen, qui est au cœur des politiques de marché unique de
l’Union européenne et qui permet la libre circulation incontrôlée
des personnes entre les pays qui ont, dans une large mesure, aboli leurs
contrôles aux frontières internes. De ce fait, les personnes entrées
illégalement en Europe qui n’ont jamais été identifiées, et à fortiori
enregistrées, peuvent circuler librement dans tout l’espace Schengen.
7. Les diverses approches nationales, des plus restrictives aux
plus généreuses et souvent contradictoires entre elles, n’ont fait
qu’aggraver l’échec de la politique européenne commune confrontée
à des arrivées irrégulières massives. Plusieurs pays ont fermé leurs
frontières même à des fins de transit, certains allant jusqu’à ériger
des clôtures. Cette situation a créé des tensions sans précédent,
donnant lieu notamment à des actes de violence aux frontières. D’autres
Etats ont fait preuve d’une plus grande souplesse et autorisé les personnes
à transiter par leur territoire, proposant même d’accueillir des
réfugiés et appelant à une suspension formelle du Règlement de Dublin.
8. Les débats engagés par la suite au niveau de l’Union européenne
sur le partage des responsabilités et la répartition des migrants
et réfugiés sur une base volontaire ou selon un système de quotas
obligatoires ont clairement montré l’incapacité des dirigeants européens
à traiter le problème des migrations et suscité une perte de confiance
importante des citoyens dans les gouvernements et les institutions
de l’Union européenne. Dans certains pays, les tensions font le
jeu des extrémistes et des populistes qui, à leur tour, s’opposent farouchement
aux migrations allant jusqu’à encourager la violence à l’égard des
migrants.
9. La question de l’intégration de tous les migrants nouvellement
arrivés reste un sujet de préoccupation compte tenu des efforts
infructueux déployés dans le passé à cet effet. Les rapports inquiétants
faisant état du non-respect des valeurs démocratiques et des tentatives
de certains nouveaux arrivants d’imposer des valeurs et modes de
vie contraires aux valeurs européennes doivent être pris au sérieux.
De même, on ne saurait ignorer ceux mettant en lumière une radicalisation
croissante parmi les réfugiés et les migrants.
10. Les récents attentats terroristes commis par des demandeurs
d’asile dans plusieurs pays européens (Allemagne et Turquie par
exemple) ont mis en évidence des failles de sécurité et soulevé
des questions légitimes quant à la gestion des flux migratoires,
et plus généralement, aux politiques migratoires. L’impératif pour
l’Europe de trouver une réponse adaptée à ces nouveaux défis posés
par la crise actuelle des migrations et des réfugiés est devenu
manifeste.
11. L’Assemblée parlementaire a traité la majorité de ces questions
interconnectées à différents stades de la crise actuelle. Il serait
inutile de citer ici la liste exhaustive des rapports pertinents
préparés par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées; ces derniers sont facilement consultables sur le site
internet de l’Assemblée. Je ferai, au besoin, référence à certains
d’entre eux dans le présent texte. Je souhaite par ailleurs attirer
votre attention sur les travaux menés par la commission des questions
politiques et de la démocratie concernant le terrorisme.
12. Le présent rapport, établi selon la procédure d’urgence, fait
suite aux vives inquiétudes face à l’absence de dialogue ouvert
au niveau parlementaire européen sur les risques découlant de l’actuelle
crise des migrations et des réfugiés, ainsi qu’à l’inadéquation
des politiques migratoires. Par le biais du présent rapport, j’espère
lancer un débat sur les réponses immédiates qui s’imposent face
aux menaces qui pèsent sur la sécurité et nos valeurs démocratiques,
mais aussi engager une réflexion sur les conséquences à long terme des
migrations massives. L’Europe doit adopter une approche globale
de la question des migrations de masse et une vision ambitieuse
de nos futures sociétés. La journée des migrations prévue par l’Assemblée parlementaire
au mois de juin 2017 constituera une bonne occasion pour avoir un
tel débat.
2. Lacunes des politiques migratoires
actuelles et principales préoccupations soulevées par les mouvements
migratoires massifs
13. Bien des années avant 2011,
l’Italie et la Grèce ont été critiquées pour la pratique de renvois
de migrants. Les bateaux interceptés étaient renvoyés vers leurs
points de départ et leurs passagers n’avaient aucune chance de déposer
une demande d’asile. Qualifiée de
refoulement, cette
pratique constitue une violation de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5), comme l’a
établi la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt condamnant
l’Italie en 2011

.
14. L’arrêt de la Cour a ouvert la voie à un nouveau mode opératoire
consistant à amener les migrants en situation irrégulière interceptés
en mer jusqu’aux côtes européennes, que ce soit en Italie, à Malte,
à Chypre ou en Grèce. Les passeurs ont rapidement appris à exploiter
cette pratique: dès que les migrants et réfugiés objets du trafic
quittent les eaux territoriales nationales qui s’étendent sur 12
miles marins et atteignent les eaux internationales, ils émettent
un signal de détresse ou appellent les garde-côtes italiens à l’aide
de téléphones portables et ont ainsi de bonnes chances d’être débarqués
sur le territoire italien

. Dans certains cas rapportés, les
signaux ont été envoyés avant même que le bateau ne quitte la côte
libyenne

.
15. Malheureusement, tous les passagers n’ont pas la chance d’être
secourus à temps sur les embarcations impropres à la navigation,
dangereusement surchargées qui prennent souvent la mer dans de mauvaises conditions
météorologiques. Le nombre de naufrages dramatiques causant la mort
de nombreuses personnes illustre les risques pris par ceux qui se
lancent dans cette aventure. Il convient de souligner clairement
qu’il est impossible d’éliminer totalement les risques. Aussi longtemps
que des personnes tenteront de traverser la Méditerranée de manière
irrégulière, les pertes en vies humaines seront inévitables.
16. Au cours des deux dernières années, quelques progrès ont été
enregistrés dans la lutte contre les réseaux criminels impliqués
dans le trafic de migrants via la Méditerranée

, mais la situation
est loin d’être satisfaisante en termes de techniques d’enquête
et compte tenu des lacunes juridiques qui bloquent les poursuites.
Les efforts de lutte contre le trafic de migrants devraient s’attaquer
aux causes profondes des migrations qui poussent les migrants à
s’en remettre à des passeurs: lorsqu’il n’y aura plus de candidats
aux traversées clandestines de la mer, les réseaux criminels de
passeurs se déliteront d’eux-mêmes.
17. La mise en œuvre, depuis mars 2016, de l’accord UE-Turquie
ayant significativement réduit le nombre de personnes arrivant en
Grèce (passé de plus de 800 000 en 2015 à 175 000 en 2016), «l’itinéraire
de la Méditerranée centrale», entre la Libye et l’Italie, est devenu
la principale voie de migration. En 2016, rien que 181 000 personnes
sont arrivées en Italie par voie maritime, contre 150 000 en 2015.
Nous devrions nous inquiéter des informations selon lesquelles 300 000
personnes attendraient sur les côtes libyennes de pouvoir rejoindre
l’Europe. Certaines ont traversé le désert du Sahara avant d’arriver
au point d’embarquement. Fait déplorable, le Sahara et le désert
libyen sont le théâtre de tragédies comparables à celles qui se
déroulent en Méditerranée, mais elles ne suscitent guère l’intérêt
des autorités et de l’opinion publique.
18. L’adoption de mesures de contrôle des frontières et de lutte
contre les migrations irrégulières est une prérogative légitime
des Etats et de l’Union européenne. Sans préjudice du droit d’asile,
ces mesures sont censées permettre une gestion effective des flux
migratoires et constituent une condition nécessaire pour assurer
la sécurité. L’identification et l’enregistrement en bonne et due
forme des arrivants est un aspect important des politiques de sécurité.
19. Jusqu’à une date récente, le défaut d’identification est resté
une grave source de préoccupation. Le fait que beaucoup de personnes
entrent en Europe sans que les autorités européennes n’aient la
moindre trace de leur présence ni d’informations sur leur identité
constitue un vif sujet d’inquiétude.
20. Les exigences du Règlement de Dublin sont claires à cet égard,
l’article 8 disposant que «chaque Etat membre, dans le respect des
dispositions de sauvegarde établies dans la Convention européenne
des droits de l'homme et de la Convention des Nations Unies relative
aux droits de l'enfant, relève sans tarder l'empreinte digitale
de tous les doigts de chaque étranger, âgé de 14 ans au moins, qui,
à l'occasion du franchissement irrégulier de sa frontière terrestre,
maritime ou aérienne en provenance d'un pays tiers, a été appréhendé
par les autorités de contrôle compétentes et qui n'a pas été refoulé».
Le Règlement précise par ailleurs que «l'Etat membre concerné transmet
sans tarder à l'unité centrale les données relatives à tout étranger,
notamment le lieu où l'intéressé a été appréhendé et la date, les
données dactyloscopiques et la date à laquelle les données ont été
transmises à l'unité centrale».
21. L’Italie a été critiquée sur ce point à plusieurs reprises
par d’autres pays européens pour le non-respect systématique de
la législation européenne. Jusqu’à l’ouverture de centres de crise
(
hotspots) à la fin de 2016, les
migrants et réfugiés arrivant sur les côtes italiennes, qui ne souhaitaient
pas coopérer, n’y étaient pas contraints. Par voie de conséquence,
environ 2 % d’entre eux ne sont pas correctement identifiés

. Après leur transfert dans un centre d’accueil,
ils ont pu disparaître sans que leur identité ait pu être établie.
Cependant, il y a toujours plus de 150 000 réfugiés en Italie, alors
que seuls 1 950 d’entre eux ont pu être installés ailleurs.
22. Le refus de coopérer peut s’expliquer par la crainte que le
relevé de leurs empreintes digitales compromette leurs chances de
déposer une demande d’asile dans un autre pays. Cependant, cette
clémence des autorités pourrait permettre éventuellement à des personnes
mal intentionnées de se fondre dans les rangs des migrants et de
passer inaperçues. Les menaces posées par ces filières de migrations
irrégulières aux pays d’accueil européens ont pris encore plus d’ampleur
après les déclarations publiques de chefs de l’organisation terroriste
«Etat islamique» annonçant leur intention de mêler aux flux de réfugiés
certains de leurs membres, chargés de commettre des attentats terroristes
en Europe

.
23. En Grèce, avant la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie et
l’établissement des centres de crise (
«hotspots»)
en 2016, l’identification et l’enregistrement des nouveaux arrivants
laissaient grandement à désirer, car les autorités étant débordées
par leur nombre; les estimations à la mi-septembre 2015 faisaient état
de 5 000 à 8 000 arrivées chaque jour. A la faveur de la mise en
œuvre de l’accord UE-Turquie et de l’ouverture de centres de crise,
la situation s’est considérablement améliorée à cet égard. Jusqu’ici,
l’Union européenne n’a malheureusement pas apporté d’aide appropriée
à la Grèce ni fait en sorte que la responsabilité soit partagée
équitablement entre les Etats membres. Seules un peu plus de 6 000 personnes ont
été installées ailleurs jusqu’ici

. Voilà pourquoi, plus de 14 000 personnes
sont toujours confinées sur les îles. 14 000 de plus sont logées
dans des appartements financés par l’Union européenne et plus de 33 000 subsistent
dans des conditions d’accueil déplorables en Grèce continentale.
Au total plus de 63 000 personnes sont un sujet de préoccupation
en Grèce.
24. Non seulement l’absence d’identification et d’enregistrement
en bonne et due forme à l’arrivée constitue une menace directe pour
la sécurité, mais elle compromet aussi dans une certaine mesure
la procédure de détermination du statut proprement dite. La politique
de «laissez-faire» encourage les abus du système d'asile, elle constitue
un facteur d’attraction pour tous ceux qui ne remplissent pas les
conditions requises pour obtenir le statut de réfugiés et discrédite
le concept de protection internationale aux yeux de l’opinion publique.
25. Ce problème touche un autre point souvent soulevé lorsqu’il
est question de la crise actuelle des migrations et des réfugiés:
celui de la distinction entre d’un côté les réfugiés et les personnes
ayant besoin d'une protection internationale et de l’autre les migrants
économiques, qui cherchent simplement une vie meilleure et ne peuvent
prétendre à aucune forme de statut humanitaire.
26. La longueur et la complexité des procédures de détermination
du statut, les dysfonctionnements des systèmes d’asile et les déficiences
législatives, ainsi que le non-respect du droit communautaire de
la part de certains pays, n’empêchent pas les abus et encouragent
même certains migrants économiques à tirer parti de ces failles.
27. La question cruciale des critères à remplir pour bénéficier
du statut de réfugié et la notion de pays tiers sûr demandent une
réflexion et un débat approfondis à l’échelle européenne. J’espère
que le présent rapport permettra de lancer d’autres discussions.
28. Un autre point important a trait au retour des demandeurs
d’asile déboutés, ou des migrants qui n’ont pas demandé l’asile.
Rares sont ceux qui souhaitent rentrer dans leur pays sur une base
volontaire. Ce constat préoccupant laisse entrevoir la totale inefficacité
des politiques de retour forcé menées dans toute l’Europe. Selon
Eurostat entre 400 000 et 500 000 ressortissants étrangers reçoivent
chaque année une injonction de quitter l’Union européenne. Cependant,
moins de 40 % d’entre eux sont renvoyés dans leur pays d’origine
ou dans le pays tiers sûr à partir duquel ils se sont rendus dans
l’Union européenne. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait:
l’absence d’accords de réadmission avec certains pays d’origine,
les durées de traitement extrêmement longues, l’absence de surveillance
effective des demandeurs déboutés et le coût élevé qu’impliquent
ces procédures. Dans la pratique, il n’est pas difficile pour un
demandeur d’asile débouté ou un migrant en situation irrégulière
d’éviter l’expulsion.
29. Le manque de coordination entre les Etats et d’approche commune
entre les dirigeants européens, ainsi que le défaut de vision globale
pour l’avenir semblent constituer les principaux obstacles au règlement
de la crise actuelle des migrations et des réfugiés. Les politiques
migratoires nationales contradictoires et les discussions à propos
des quotas et de leur nature facultative ou obligatoire semblent
négliger la question essentielle: la crise ne prendra pas fin même
en cas de mise en œuvre de tous les engagements concernant la répartition
des réfugiés. Les migrants de la prochaine vague, réfugiés et migrants
économiques, attendent de pouvoir embarquer; il y aura malheureusement
à coup sûr d’autres pertes en vies humaines, et les problèmes resteront
inchangés, voire s’aggraveront.
3. Préoccupations en matière
de sécurité et d’intégration soulevées par les mouvements migratoires massifs
30. L’attentat au camion perpétré
au mois de décembre sur un marché berlinois très fréquenté, qui
a fait 12 morts et une cinquantaine de blessés, a apporté un éclairage
différent sur les dispositifs de sécurité en liaison avec les mouvements
migratoires de masse. L’auteur s’est avéré être un ressortissant
tunisien, demandeur d’asile débouté qui avait déposé des demandes
dans six pays différents, sous six identités différentes, et qui
était connu sous 14 pseudonymes. Par ailleurs, il avait purgé une
peine d’emprisonnement de quatre ans en Italie, pour violence et
incendie criminel, avant d’être arrêté en Allemagne en possession
de fausses pièces d’identité. Au cours des six derniers mois, on
avait constaté qu’il se radicalisait et on l’avait placé sous surveillance
en Allemagne, dans l’attente de son expulsion, qui avait dû être
reportée à la suite de problèmes bureaucratiques avec les autorités
tunisiennes. Faute d’une collaboration diligente et effective entre les
forces de police, il a réussi à traverser plusieurs frontières avant
d’être appréhendé en Italie.
31. L’attentat terroriste de Berlin a été mené selon un mode opératoire
inquiétant, nécessitant peu de logistique humaine ou de savoir-faire
technologique. C’est un autre exemple préoccupant de djihadiste
qui est parvenu à dissimuler ses liens avec l’organisation terroriste.
Le fait qu’il soit arrivé en Europe en tant que demandeur d’asile
ne peut avoir qu’un effet négatif sur l’image des migrants illégaux
aux yeux de l’opinion publique.
32. Malheureusement, l’auteur de l’attentat de Berlin n’est pas
le seul exemple de radicalisation d’un demandeur d’asile. En juillet
2016, un autre demandeur d’asile débouté s’est fait exploser devant
un restaurant situé à proximité d’un festival de musique dans la
ville allemande d’Ansbach. L’explosion a blessé 12 personnes.
33. Au début de la même semaine, en Allemagne, un réfugié afghan
de 17 ans a grièvement blessé cinq personnes dans un train, à l’aide
d’un couteau et d’une hache, avant d’être abattu par la police.
Dans sa chambre, les enquêteurs ont trouvé un drapeau de l’Etat
islamique imprimé à la main. L’agresseur était arrivé dans le pays
deux ans plus tôt en qualité de mineur non accompagné.
34. Certains des auteurs des trois attentats suicides coordonnés
à la bombe qui se sont produits en Belgique (deux à l’aéroport de
Bruxelles et un dans la station de métro de Maalbeek) sont arrivés
en Europe en tant que réfugiés via la Grèce.
35. Le 1er janvier 2017, un djihadiste
ouzbek a tué 39 personnes et blessé au moins 70 autres lors d’un attentat
terroriste dans une boîte de nuit d’Istanbul. Il avait franchi la
frontière syro-turque avec des réfugiés, accompagné par sa femme
et deux enfants. L’EI a revendiqué officiellement la responsabilité
de l’attentat et déclaré que l’auteur de la tuerie était membre
de ses forces armées. Les experts qui ont examiné des vues de l’attentat
ont affirmé que le tireur avait reçu un entraînement professionnel
à l’usage des armes. La police turque pense que l’attentat a été
mené par le même membre de l’EI qui celui qui avait visé l’aéroport
Atatürk d’Istanbul en juin 2016.
36. Les quelques attentats commis par ces migrants irréguliers,
qui ne représentent qu’un pourcentage minime de ceux qui sont arrivés
en Europe, sont parfois associées à la grande vague de terrorisme international
dont l’Etat islamique revendique la responsabilité. Elles sont par
ailleurs utilisées par les partis radicaux comme argument contre
les migrants illégaux en général, ou contre les migrants de confession musulmane
en particulier. Cette situation est tristement paradoxale car la
plupart des migrants irréguliers sont eux-mêmes victimes du terrorisme
international et plus spécifiquement de l’Etat islamique.
37. Cependant, on s’inquiète de plus en plus d’une radicalisation
éventuelle des migrants et des réfugiés en raison d’une mauvaise
intégration

. Il convient de souligner
que la plupart des attentats terroristes d’Europe sont réalisés
par des descendants de migrants de la deuxième ou de la troisième
génération, nés et élevés en Europe et ayant acquis pleinement la
nationalité de leur pays d’accueil. Un nombre préoccupant de personnes d’origine
immigrée se rendent en Syrie en provenance de plusieurs pays européens.
38. Les inquiétudes en matière de sécurité ont également pris
de l’ampleur après les agressions de femmes par des hommes de type
«nord-africain» ou «arabe» à Cologne, à Hambourg et dans d’autres
villes européennes, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier
2016. La simultanéité de ces agressions en foule dans plusieurs
villes, leur ampleur, la lenteur de la réaction des autorités et
les retards enregistrés dans la diffusion de l’information sont
fort préoccupants

.
39. Des comportements sociaux et religieux contestables sont largement
répandus parmi certains migrants, y compris ceux qui sont installés
depuis longtemps en Europe. Dans certains domaines, les normes sociales et
culturelles prédominantes sont fondamentalement incompatibles avec
la perception qu’ont les communautés hôtes du fonctionnement de
la société. Cette situation est illustrée par les communautés fermées
de «vieux migrants», y compris des deuxième et troisième générations,
leur manque d’insertion dans la société d’accueil, les «zones de
non droit» et les lois qui y sont imposées, les modes de vie culturels différents,
le rigorisme religieux et, parfois, un manque d’empressement à adopter
et respecter les valeurs démocratiques des sociétés d’accueil européennes.
40. Certaines de ces questions, dont la polygamie, les mariages
forcés, les mariages avec des mineurs, les mutilations ou les crimes
d’honneur, sont tout simplement contraires à notre droit. Plus dangereux
encore, certaines valeurs démocratiques sont ouvertement contestées
ou passées sous silence et s’accompagnent d’une augmentation de
l’extrémisme religieux et du terrorisme

.
41. La plupart des pays européens ont sans doute constaté une
recrudescence des attitudes anti-migrants. L’expérience de l’échec
de l’intégration de bon nombre d’anciens migrants est à prendre
en considération dans la formulation des futures politiques migratoires.
Ce fait ne peut être ignoré lors des tentatives d’identification des
solutions et remèdes à la crise actuelle des migrations et des réfugiés.
4. Moyens éventuels d’améliorer
la situation
42. Il convient de reconnaître
que l’on assiste à une faillite collective de l’Europe en matière
de gestion de la crise actuelle des migrations et des réfugiés.
Les politiques migratoires devraient être revues en profondeur sur
la base de l’expérience passée pour ce qui est de l’échec de l’intégration
des migrants et de la prise en considération des menaces pesant
sur l’intégrité des sociétés européennes.
43. Les contrôles aux frontières européennes devraient être effectifs
pour assurer des systèmes de protection plus appropriés en Europe.
Il faut réintroduire des contrôles de sécurité systématiques aux
frontières extérieures parallèlement à une base de données et à
la création d’un nouveau corps européen de gardes-frontières et
de gardes-côtes jouissant de davantage de pouvoirs que l’Agence
européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux
frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex), dont
la mission s’est manifestement soldée par un échec, ainsi que la
Commission européenne l’a proposé dans son train de propositions
destinées à assurer la sécurité des frontières extérieures de l’Europe
qui ont été avalisées par le Parlement européen au mois de juin
dernier. C’est là une mesure indispensable pour mieux gérer la crise
de migrations et des réfugiés.
44. Le nouveau corps dispose d’une unité de réaction rapide de
1 500 gardes-frontières, qui seront nommés par les Etats membres.
Il est chargé de suivre et de superviser les flux migratoires vers
l’Union européenne et au sein de celle-ci et de réaliser une analyse
des risques et des évaluations obligatoires de vulnérabilité pour recenser
et corriger les points faibles. Le Corps des gardes-frontières pourra
demander aux Etats membres de prendre des mesures pour remédier
à la situation dans un certain délai lorsque de tels points faibles
sont constatés. Il aura aussi le droit d’intervenir en déployant
une unité de réaction rapide pour veiller à ce que des mesures soit
prises sur le terrain même si un Etat membre ne peut pas ou ne veut
pas faire le nécessaire.
45. Les contrôles seront considérablement améliorés par le recours
aux nouvelles technologies, y compris la vérification des composants
biométriques des passeports de ressortissants de l’Union européenne
en cas de doute sur l’authenticité du passeport ou sur l’identité
de son détenteur.
46. Le corps de gardes-frontières jouera aussi un rôle de premier
plan pour le renvoi des demandeurs d’asile ou des migrants irréguliers
dans leur pays d’origine. Un bureau pour les opérations de retour
sera créé au sein du corps pour permettre le déploiement d’équipes
européennes d’intervention pour les opérations de retour, composées
de convoyeurs, de contrôleurs et de spécialistes des retours, qui
coopèreront pour assurer le retour effectif des ressortissants de
pays tiers en séjour irrégulier. Un document de voyage standard
européen assurera une large acceptation des rapatriés dans leur
pays. Ces mesures assureront des mécanismes efficaces de retour
immédiat de ceux qui ne réunissent pas les conditions de la protection
internationale. Toutefois, le coût de l’expulsion devrait aussi
faire l’objet d’une responsabilité partagée.
47. Il est trop tôt pour évaluer l’efficacité de ces mesures étant
donné que le règlement vient d’entrer en vigueur au mois d’octobre
dernier; la mise en œuvre reste une question essentielle pour leur
succès.
48. Je crois aussi que l’Union européenne devrait étudier la possibilité
de collaborer plus étroitement y compris par l’échange d’informations
et la collecte de données avec les autres Etats membres du Conseil
de l’Europe. Un partage d’expérience et des formations pourraient
aussi être envisagés.
49. La gestion effective des frontières extérieures de l’Union
européenne est fondamentale pour le bon fonctionnement de la libre
circulation au sein de l’Espace économique européen. C’est là une
question d’une extrême urgence.
50. En outre, il faudrait renforcer le cadre juridique et politique
dans l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe afin de
rendre plus efficace la procédure de détermination du statut. Il
faudrait entamer un dialogue sur l’interprétation des dispositions
juridiques de la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, y
compris les conditions de reconnaissance du statut. Il est aussi
capital de définir ce que sont des pays tiers sûrs.
51. En mai 2015, l’Union européenne a mis en place un mécanisme
qualifié de hotspots (centres
de crise) afin de contribuer au traitement des demandes d’asile
et au retour des migrants irréguliers. Dans le cadre de ce dispositif,
des équipes ont été déployées en Italie et en Grèce, comprenant
des experts d’Europol, du Bureau européen d’appui en matière d’asile
(EASO) et de Frontex, envoyées sur le terrain pour enregistrer, prendre
les empreintes digitales et interroger les migrants afin de vérifier
le bien-fondé de l’ensemble des demandes d’asile. Malheureusement,
jusqu’ici le nombre d’experts déployés est resté insuffisant et
le traitement des demandes a souffert de retards importants.
52. Cependant, les centres de crise d’Italie et de Grèce ne peuvent
être considérés comme des solutions en elles-mêmes à la crise massive
des migrations. Ils peuvent au mieux permettre de gérer une situation
qui a échappé à tout contrôle. Ils ne remédient pas aux morts tragiques
qui se produisent lors de la traversée de la Méditerranée. Les responsables
européens devraient envisager sérieusement de créer des centres
de crise hors d’Europe afin de repérer les personnes qui ont besoin
d’une protection internationale avant qu’elles n’entreprennent des
voyages en mer périlleux. J’espère que l’ensemble des responsables
européens participeront à un dialogue sérieux sur cette question.
53. L’Assemblée a répété à maintes reprises qu’elle soutenait
l’idée de repérer ceux qui ont besoin d’une protection internationale
et d’organiser le traitement externe des demandes d’asile par des
institutions spécialisées et des experts européens déployés dans
des centres de crise situés hors d’Europe pour autant que les droits
fondamentaux des réfugiés et des migrants soient garantis

.
54. Pour éviter que les personnes déplacées ayant besoin d’une
protection internationale aient recours à des réseaux criminels
de passeurs et de trafiquants et risquent leur vie en faisant des
voyages périlleux vers les points de départ, puis traversent la
Méditerranée, des programmes de réinstallation devraient être réalisés dans
les pays où les centres de crise seraient ouverts. Ils assureraient
une filière légale et sûre pour entrer dans l’Union européenne à
ceux qui ont droit à une protection internationale conformément
aux orientations du cadre européen de réinstallation adopté par
le Conseil européen en juillet 2015 et fonctionnant dans le prolongement
de l’accord UE-Turquie

.
55. Malheureusement, rien n’a été fait depuis dans cette direction.
L’idée mérite certainement qu’on s’y arrête et j’espère que l’Assemblée
contribuera à lancer le débat sur le sujet. A cette fin, il est
essentiel d’entamer un dialogue digne de ce nom avec les pays africains
de transit afin de gérer conjointement les flux de migration.
56. Il faudrait aussi encourager les initiatives destinées à soutenir
le renforcement des capacités institutionnelles et normatives des
pays tiers. L’EASO devrait collaborer avec les pays tiers pour renforcer
les capacités d’asile et d’accueil et les programmes de protection
régionale. L’Union européenne finance également le nouveau Fonds
de l’asile et des migrations (2014-2020) pour développer les capacités
de réinstallation et d’admission humanitaire.
57. Il faudrait poursuivre la coopération entre l’Europe et les
pays de transit non seulement pour leur offrir une aide financière,
mais aussi pour réaliser des projets économiques contribuant au
développement durable.
58. Il est capital de s’attaquer à long terme aux causes premières
de la crise en Méditerranée afin de mettre fin à la crise actuelle.
Le règlement des hostilités en Syrie, en Libye, en Irak et en Afghanistan
est une condition sine qua non pour
mettre fin à l’exode humain provenant de ces pays ou transitant
par ceux-ci.
59. Dans le même temps, un certain nombre de mesures visant à
améliorer les garanties de sécurité et à empêcher la radicalisation
ont été adoptées. L’Assemblée a déjà pris position à cet égard.
Je renvoie à la Résolution
2113 (2016) «Après les attaques de Bruxelles, un besoin urgent
de répondre aux défaillances de sécurité et de renforcer la coopération
contre le terrorisme» et à la
Résolution
2090 (2016) «Combattre le terrorisme international tout en protégeant
les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe».
60. La Banque de développement du Conseil de l’Europe, qui a notamment
pour mission d’assurer le financement et l’évaluation technique
des projets sociaux, notamment pour faire face aux situations d’urgence, devrait
aider davantage les pays européens à relever les défis liés à l’accueil
d’un grand nombre de réfugiés. L’une des lignes sectorielles de
son plan d’action est l’intégration des réfugiés, des personnes
déplacées et des migrants.
61. Le facteur le plus important reste la volonté politique de
mener une action coordonnée comprenant l’élaboration d’une approche
cohérente fondée sur une vision à long terme et sur la mise en œuvre
de politiques migratoires réformées. J’espère véritablement que
le présent rapport et le débat contribueront à alimenter la discussion
et l’action nécessaires dans ce domaine.