1. Introduction
1. Sans les fonds d’urgence ou
pour les catastrophes versés par les pays individuellement, les organisations
internationales ou non gouvernementales et beaucoup de donateurs
privés, l’actuelle situation d’urgence liée aux migrations s’apparenterait
encore davantage à un cataclysme mondial. Malgré les lacunes, les
désaccords politiques, les réticences à procéder à un plein partage
du fardeau ou encore les problèmes administratifs et structurels,
la plupart des acteurs mobilisent des ressources substantielles
en faveur de l’action humanitaire pour atténuer la crise. L’aide
humanitaire globale augmente chaque année; elle s’élevait en 2015
à 28 milliards de dollars, toutes sources confondues.
2. Le présent rapport a été inspiré au départ, comme exprimé
dans la proposition de résolution déposée en juin 2015 par la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, par le
dialogue permanent qu’entretient la commission avec le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui a soulevé à plusieurs
occasions les problèmes – révélés par l’ampleur de la crise – du
système ancien de mobilisation des ressources de l’organisation,
qui de l’avis même de cette dernière, devrait être réexaminé afin de
mieux résister aux pressions accrues exercées sur les mécanismes
d’aide humanitaire dans les situations d’urgence.
3. J’ai été nommé rapporteur le 9 septembre 2015 et j’ai procédé
depuis lors à des échanges réguliers avec le HCR, dans le cadre
de la préparation du présent rapport. Le 11 octobre 2016, j’ai proposé
à la commission d’inviter le Haut-Commissaire des Nations Unies
pour les réfugiés à participer au débat consacré à ce rapport. L’Assemblée
a par la suite décidé de convier ce dernier à la journée de débat
sur les migrations prévue le 28 juin 2017, dans le cadre de la partie
de session de l’Assemblée. La conférence «Une réponse humanitaire et
politique globale à la crise des migrations et des réfugiés en Europe»,
organisée par la commission à l’invitation de l’Assemblée nationale
française en décembre 2015, et les auditions ultérieures (en liaison notamment
avec la préparation du rapport sur l’accord conclu entre l’Union
européenne et la Turquie le 18 mars 2016) ont apporté des éléments
d’information pertinents sur les implications financières de la
crise. Par ailleurs, la commission a tenu un échange de vues avec
le gouverneur de la Banque de Développement du Conseil de l’Europe
le 11 octobre 2016.
4. Ces échanges et discussions m’ont permis de conclure qu’il
serait utile, lors de l’examen du système des Nations Unies et de
ses implications pour le HCR, de profiter de l’occasion pour comparer
le HCR et l’Union européenne dans ce domaine. Il conviendrait de
décrire par ailleurs très succinctement les autres sources principales
de financement humanitaire d’urgence, les processus décisionnels
intervenant dans leur mise en œuvre, leur viabilité et leurs avantages
comparatifs permettant de réagir rapidement et d'une façon coordonnée
aux situations d'urgence humanitaire. L’Assemblée ne s’est pas penchée
pour l’heure sur la question importante du financement humanitaire
d’urgence et l’examen des chiffres permettra également de mettre
en perspective un certain nombre d’attitudes à l’égard de la crise
migratoire et de prises de position politiques nationales.
2. Portée du financement des situations
d’urgence
2.1. Qu’entend-on
par financement «pour faire face aux situations d’urgence impliquant
des réfugiés?»
5. Selon la définition du HCR,
on entend par situation d’urgence impliquant des réfugiés «toute
situation dans laquelle la vie ou le bien-être des réfugiés seront
menacés si l’on ne prend pas sur-le-champ des dispositions adaptées,
et qui exige une réaction extraordinaire, associée à des mesures
exceptionnelles». La plupart des organisations d’aide humanitaire
établissent une distinction entre l’aide d’urgence et les formes plus
régulières d’aide financière ou au développement. Cependant, les
notions antérieurement bien définies comme par exemple «l’aide d’urgence»,
«l’aide humanitaire» et «l’aide au développement» se chevauchent désormais
dans les «situations d’urgence prolongées», dans la mesure où les
demandeurs d’asile et les réfugiés vivent pendant des périodes plus
longues dans des conditions précaires censées à l’origine leur assurer
un abri immédiat et provisoire. Les allocations à l’aide au développement,
considérées dans le passé comme un moyen de mettre en place des
capacités durables au sein des pays en développement afin d’échapper
à la fatalité des migrations forcées, servent ainsi de plus en plus
souvent à répondre aux crises humanitaires d’urgence. L’aide au
développement pourrait fort utilement constituer le thème d’un futur
rapport s’appuyant sur certaines conclusions de la présente étude.
6. Dans le contexte actuel il n’y a pas non plus une distinction
très nette entre l’aide humanitaire et l’aide allouée spécifiquement
aux situations impliquant des réfugiés, puisque les flux migratoires
à grande échelle auxquels l’Europe est confrontée sont la conséquence
de toutes les catastrophes présentes, qu’elles soient dues au conflit,
aux tensions politiques et la persécution de minorités, le changement
climatique ou les catastrophes naturelles. Et malgré à la fois le
désaccord sur les niveaux de contribution et le problème des «urgences
oubliées», l’attribution de l’assistance humanitaire aux situations
d’urgence liées aux réfugiés est rarement critiquée
. Pour
illustrer cet état de fait, l’augmentation de 12 % de l’aide humanitaire
globale entre 2014 et 2015 a été presque entièrement le résultat
du besoin de faire face aux «méga-urgences» les plus sévères, surtout
le conflit au Moyen-Orient et le déplacement des populations qui
s’en suit. En 2015, presqu’un tiers de l’assistance totale a été
dépensé pour la crise en Syrie, et les cinq situations d’urgence
les plus graves (la Syrie, le Yémen, le Soudan du sud, l’Irak et
le Soudan) ont comptabilisé plus de la moitié de toute l’assistance
humanitaire internationale. Pour les besoins de ce rapport, il ne
sera pas fait de distinction entre l’aide humanitaire en général
et la réponse financière à la crise des réfugiés, sauf indication
contraire.
7. En ce qui concerne les pays européens eux-mêmes, l’aide humanitaire
va aussi majoritairement à la crise des réfugiés et des migrants,
et la responsabilité est en général séparée de celle des programmes généraux
d’assistance sociale. Les donations de pays tiers à la crise des
réfugiés sont examinées ci-après. Le cas de la Turquie est intéressant;
le budget alloué à la réception des réfugiés syriens sur le territoire
national est déclaré comme «assistance humanitaire» de la même façon
que les dons aux pays tiers, et d’autres coûts liés à l’accueil
des réfugiés sont identifiées comme «assistance officielle au développement»
(AOD).
2.2. Structures
de la réponse aux situations d’urgence
8. Dans le système des Nations
Unies, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH)
est responsable pour le Fonds central d’intervention pour les urgences
humanitaires (CERF), établi en 2005 pour répondre rapidement aux
urgences nouvelles et en voie de détérioration, et pour maintenir
l’assistance à la survie dans les cas de crises prolongées mais
négligées. Reconnaissant le rôle essentiel du CERF dans l’assistance
humanitaire, en décembre 2016 l’Assemblée générale a appelé à une
augmentation dans le budget total du CERF de $ 450 millions à $ 1
milliard par année. Les Fonds communs par pays (CBPF) sont établis
par le Coordonnateur des secours d'urgence des Nations Unies (CER)
lorsqu'une nouvelle situation d'urgence survient ou lorsqu'une situation
humanitaire se détériore. Ils permettent aux bailleurs de fonds
de mettre en commun leurs contributions dans des fonds uniques et
non affectés par pays pour soutenir les efforts humanitaires, gérés
localement par des organisations non gouvernementales (ONG) internationales
et nationales, des agences des Nations Unies et des organisations
du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. En 2016, les
CBPF constituaient la principale source de financement direct des
ONG nationales. Dix-huit CBPF ont reçu un total de 706 millions
de dollars en contributions de donateurs en 2016.
9. Dans l'Union européenne, le financement d'urgence est partagé
entre le Fonds pour l'Asile, la Migration et l'Intégration (AMIF),
le Fonds de Sécurité Intérieure (ISF) et l'Instrument d'Aide d'Urgence
(ESI). Par exemple, en Grèce, € 191,92 million été engagés en janvier
2016 pour des secours d'urgence, dans le cadre de l'ESI (soins de
santé, abris, alimentation, protection et soutien psychologique)
et € 174,7 million
accordés au
titre des budgets AMIF et ISF pour les mêmes types d’aide d'urgence,
ainsi que d'autres services liés à la sécurité et à la capacité
de traitement des demandes d’asile.
3. Qui
paye la facture humanitaire des crises des réfugiés?
3.1. Les
pays d’accueil prennent à leur charge la part la plus importante
de l’aide humanitaire
10. En 2015, l’aide humanitaire
internationale a augmenté pour la troisième année consécutive, atteignant le
niveau record de 28 milliards de dollars
(comparativement
à 20,1 milliards en 2013 et 25,8 milliards en 2014). L’augmentation
du financement total enregistrée en 2014 et 2015 provenait principalement
de gouvernements et de donateurs privés, qui ont revu leurs contributions
à la hausse d’environ 11 % et 13 % par rapport à l’année précédente.
En 2015, 20 gouvernements donateurs ont apporté 97 % de l’ensemble
des contributions gouvernementales internationales. L’augmentation
la plus conséquente, de près de 500 % depuis 2011, provenait de
gouvernements au Moyen-Orient et dans le nord du Sahara, et principalement
des contributions apportées par les pays du Golfe en réponse aux
crises au Moyen-Orient.
11. Alors que pris dans leur globalité ces montants paraissent
considérables, dans les 20 pays qui en ont le plus besoin, l’aide
internationale ne représente dans les faits que 4,8 % en moyenne
des dépenses consacrées à l’aide humanitaire. C’est aux gouvernements
nationaux qu’incombe au premier chef la responsabilité de se préparer
aux crises qui touchent leurs propres territoires et d’y répondre.
C’est pourquoi ils investissent souvent des sommes considérables
dans les mesures de préparation et de réaction. En moyenne, les gouvernements
de ces pays assument à eux seuls 61 % des frais engendrés par l’aide
humanitaire, le reste provenant de créances à court et long terme,
d’investissements étrangers et d’autres sources de revenus secondaires.
Cependant, les pays les plus touchés par les crises restent davantage
tributaires des flux internationaux que les autres pays en développement.
Dans les pays moins impactés, 78 % en moyenne des dépenses totales
sont couverts par les ressources nationales.
12. Au Liban par exemple, la dépense intérieure nette a augmenté
de 65 % en termes réels entre 2010 et 2015 – période durant laquelle
le nombre de réfugiés dans le pays est passé de 464 853 à 1 535 662.
La hausse tient compte de toutes les dépenses intérieures et ne
peut ainsi pas être exclusivement attribuée à l’augmentation du
nombre de réfugiés bien qu’une forte corrélation soit indéniable.
Les évaluations de l’impact et des besoins menées par le ministère
jordanien de la Planification et de la Coopération internationale
ont mis en lumière un déficit de financement interne estimé à 1,1
milliard de dollars dans le plan d’intervention jordanien contre
la crise en Syrie 2016-2018, soit environ 8,6 % des dépenses publiques
totales en 2016.
3.2. Les
pays tiers donateurs
13. Un examen plus attentif des
contributions versées par les pays tiers au secours humanitaire
donne une image passablement différente de ce que laissent entendre
les points de vues politiques dominants. Alors que l’on peut s’attendre
à ce que l’Allemagne figure parmi les principaux donateurs, il peut
paraître étonnant que les Etats-Unis consacrent de loin les montants
les plus importants. Les Etats-Unis, la Turquie et le Royaume-Uni
ont tous donné davantage, au titre de l’aide humanitaire, aux pays
les plus dans le besoin que l’Union européenne en 2015 (à titre
d’exemple, le Royaume-Uni a alloué rien qu’à la Grèce une somme
de 32 millions de dollars, et les Etats-Unis ont versé 29 millions
de dollars au Fonds des Nations Unies pour l’enfance). En 2015,
la Turquie a dépensé la plupart de 3.2 milliards de dollars sur
l’accueil des 2.75 millions de réfugiés (pour la plupart syriens)
dans le pays, qu’elle déclare à l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) en tant qu’assistance humanitaire
et non comme dépenses nationales.
14. Le rapport 2016 de Global Humanitarian Assistance synthétise
le classement des pays, les totaux et les principales sources d’aide.
Des pays européens autres que ceux mentionnés ci-dessus (en particulier
la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse, la France, le Danemark,
l’Italie, la Belgique et l’Espagne) allouent des sommes importantes
proportionnellement à leurs ressources nationales. Ramenée au pourcentage
de leur revenu national brut (RNB), la contribution de l’Allemagne
au financement de l’aide représente 0,04 % du RNB, tandis que celle
des Pays-Bas et du Royaume-Uni s’élève à 0,10 % (Suède 0,19 %, Luxembourg
0,16 % et Danemark 0,15 %).
3.3. Organisations
internationales
3.3.1. Le
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
15. Depuis sa création en 1951,
le HCR, principal organisme s’occupant des réfugiés dans le monde,
est très majoritairement financé par des contributions volontaires
directes des Etats (à hauteur de 86 % en 2015), mais aussi par des
ONG (6 %), par le secteur privé (entreprises, fonds et fondations)
et par des particuliers (6 %). Seule une petite subvention annuelle
de 2 % provient du budget ordinaire des Nations Unies. Chaque année,
le HCR lance un Appel global demandant aux gouvernements et aux
autres donateurs de contribuer à son budget. Dans des situations
complexes et de grande ampleur impliquant des réfugiés, le HCR conduit
et coordonne une réponse humanitaire entre les agences et les ONG.
Lorsque des crises nouvelles surviennent, comme dans le cas de la
Syrie ou de l’Ukraine, le HCR est contraint de lancer un appel d’urgence
en espérant que des donateurs lui procureront des ressources supplémentaires
et il se trouve ainsi en concurrence avec d’autres organismes humanitaires,
y compris des organisations sœurs du système des Nations Unies,
pour l’obtention de financements humanitaires limités.
16. En 2015, le montant total demandé par les Nations Unies au
travers de ses appels s’élevait à 19,8 milliards de dollars, mais
les contributions réelles ont accusé un déficit de financement de
45 % (8,9 milliards de dollars). Les besoins financiers annoncés
pour 2017 par le HCR se montent à 7,310 milliards de dollars. Les
trois principales situations d’urgence, l’Irak, le Liban et la Turquie,
obèreront à elles seules 23 % du budget alloué pour les activités
programmées. La situation de crise et les pressions financières
se traduisent par la négligence constante de certaines situations
humanitaires: la liste des «situations d’urgence négligées» ou sans
cesse sous-financées contient souvent d’année en année les mêmes
pays
.
17. Le HCR élabore un budget-programme biennal, ventilé en budgets
annuels fondés sur une estimation des besoins mondiaux. Le budget-programme
original est présenté à la principale instance dirigeante du HCR, le
Comité exécutif, avant le début de l’exercice biennal. Les besoins
sont ensuite réévalués au cours de l’exercice et un budget révisé
est présenté pour approbation au Comité exécutif en octobre de chaque
année. Lorsque des besoins imprévus apparaissent en cours d’année,
il est procédé à un ajustement du budget au moyen d’une enveloppe
supplémentaire. Le budget final de l’année antérieure est présenté
au Comité permanent du Comité exécutif lors de sa réunion annuelle
du mois de juin/juillet.
18. Le HCR a recours à des interventions en espèces (espèces ou
bons d’échange) pour apporter protection, assistance et services
aux plus vulnérables, y compris l’accès à la nourriture, à l’eau,
aux soins de santé et à un abri, afin de leur permettre d’assurer
leur subsistance et de faciliter leurs rapatriements volontaires.
Les interventions en espèces visent à protéger les réfugiés en réduisant
les risques qu’ils encourent et en maintenant leur capacité d’achat.
Elles peuvent être utilisées dans de nombreuses situations et représentent
une forme d’assistance plus digne, en donnant aux réfugiés la possibilité
d’établir immédiatement leurs propres priorités et de choisir ce
dont ils ont besoin. Selon le HCR, les interventions en espèces
rendent les personnes déplacées moins susceptibles d’avoir recours
à des stratégies risquées (prostitution de survie, travail des enfants,
séparation des familles, mariages forcés, etc.). Elles profitent
aussi à l’économie locale et contribuent à une cohabitation paisible
avec les communautés d’accueil.
3.3.2. L’Union
européenne
19. Le financement consacré par
l’Union européenne aux migrations est intégré pour l’essentiel dans
le chapitre 3 «Sécurité et Citoyenneté» (moins de 1% du budget global
de l’Union européenne), au budget des Affaires intérieures qui représente
9,26 milliards d’euros alloué au début du cadre financier pluriannuel
pour la période 2014-2020, répartis entre le Fonds Asile, Migration
et Intégration (FAMI, 3.1 milliards), le Fonds de sécurité intérieure
(FSI, volet Frontières et volet police, 3.8 milliards) et les agences
(Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, EASO et
Europol, 2.36 milliards) et, pour les pays hors de l’Europe, à l’Instrument
de coopération au développement (ICD) (132 millions d’euros entre
2014 et 2016). D’autres financements secondaires sont assurés par
l’intermédiaire de l’aide au développement, de fonds fiduciaires
et de quelques chapitres comme la Politique de cohésion et l’Agriculture.
20. Les budgets sont définis au titre d’un cadre financier pluriannuel
(CFP) couvrant une période de sept ans et soumis à des ajustements
réguliers. En 2015, pas moins de huit «budgets rectificatifs» ont
été adoptés afin de faire face à l’amplification de la crise migratoire.
Par ailleurs, l’Agenda européen en matière de migration a été développé
dans le but d’améliorer la gestion des migrations irrégulières et
des frontières ainsi que la mise en œuvre du régime d’asile européen
commun et d’introduire le concept de «hotspots».
21. Le programme de réinstallation de l’Union européenne a été
intégré en 2015 au programme FAMI, au moyen de plusieurs accords
conclus entre juillet et septembre 2015 (relocalisation de 22 504
personnes ayant besoin d’une protection internationale, programme
temporaire de relocalisation d’urgence depuis l’Italie et la Grèce
de personnes ayant besoin d’une protection internationale, mise
à disposition de 54 000 places non encore attribuées, aux fins de
l'admission légale de Syriens dans l'Union européenne à partir de
la Turquie). Le 13 juillet 2016, la Commission a proposé à titre
permanent un cadre de l'Union européenne en matière de réinstallation
afin d'établir un ensemble commun de procédures types pour sélectionner
les candidats à la réinstallation et un statut de protection commun
pour les personnes réinstallées dans l'Union européenne, afin de
rationaliser et de mieux cibler à l'avenir les efforts européens
dans ce domaine.
22. Selon la législation, la décision concernant l'activation
de l'aide d'urgence au sein de l’Union européenne est prise par
le Conseil, sur proposition de la Commission. La première activation
a eu lieu le 16 mars 2016, pour faire face à l’afflux actuel de
réfugiés et de migrants dans l’Union européenne, et proposait de
distribuer à la Grèce une enveloppe de 700 millions d’euros, en
plusieurs tranches entre 2016 et 2018. Le projet financé avec cet
argent vise à couvrir les besoins essentiels et urgents des réfugiés
et des migrants (nourriture, santé, approvisionnement en eau et
assainissement, abri et protection). Cette aide viendra compléter
celle déjà fournie par les autorités grecques.
23. Les mécanismes de flexibilité permettent à l’Union européenne
de mobiliser les fonds nécessaires pour faire face à des imprévus
tels que des crises et des situations d’urgence. Dans le contexte
actuel de limitations des dépenses, ces instruments garantissent
également que les ressources budgétaires peuvent suivre l'évolution
des priorités, de sorte que chaque euro est dépensé là où il est
le plus utile. La plupart des instruments de flexibilité sont donc
maintenus en dehors du CFP, de manière à ce que les fonds mobilisés puissent
dépasser les plafonds de dépenses.
3.4. Autres
organisations
24. Ce rapport ne saurait présenter
une image complète du financement de l’aide humanitaire d’urgence, mais
certains des autres grands contributeurs sont évoqués dans ce chapitre.
Les initiatives privées ne sont pas abordées dans le présent document,
bien qu’elles constituent une source importante de financement pour les
Nations Unies, les ONG et les pays bénéficiaires directement
.
3.4.1. La
Banque de développement du Conseil de l’Europe
25. En dépit des montants relativement
faibles des prêts consentis par la Banque de développement du Conseil
de l’Europe (CEB) comparativement aux financements des Nations Unies
et de l’Union européenne, ces prêts constituent des moyens flexibles
et efficaces de concrétiser des projets sociaux de petite échelle
au bénéfice des migrants. La CEB est la plus ancienne banque multilatérale
de développement européenne, créée en 1956 pour contribuer à la
résolution des problèmes spécifiques de la réinstallation des réfugiés
après la seconde guerre mondiale
. Par
conséquent, malgré l’élargissement de la portée des activités de
prêt de la banque, parallèlement à sa composition et ses ressources,
à tous les types de projets sociaux et de situation d’urgence en
Europe, l’assistance aux migrants, aux réfugiés et aux pays qui
les accueillent reste pleinement conforme à sa vocation initiale.
26. Créé en octobre 2015, le Fonds pour les migrants et les réfugiés
a depuis lors apporté une aide d’urgence à «l’ex-République yougoslave
de Macédoine», la Serbie, la Slovénie et la République slovaque, pour
assurer aux réfugiés et aux migrants transitant par ces pays un
hébergement sûr et des soins de base, en transformant et en rénovant
les installations existantes afin de les adapter aux conditions
hivernales. La subvention de 1,5 million d’euros accordée à la Slovénie
a permis de financer l’achat de 100 unités modulaires chauffées,
plus adaptées que les tentes par temps froid, ainsi que de 10 véhicules
destinés à faciliter le transport des migrants et des réfugiés entre
les divers centres d’accueil, en fonction des besoins et des disponibilités
d’hébergement. A l’époque, le nombre de réfugiés demandant une protection
internationale en Slovénie était négligeable.
27. La CEB a également permis le financement de diverses actions,
notamment des formations à la médiation culturelle et aux compétences
interculturelles pour des prestataires de service public. En «ex-République
yougoslave de Macédoine», une bonne partie des 2,2 millions d’euros
de subvention du Fonds pour les migrants et les réfugiés finance
l’installation d’une cuisine industrielle tout équipée et de plusieurs cuisines
de campagne dans les centres d’accueil, conformément aux recommandations
du HCR. Ces installations faciliteront la préparation des plats
et assureront aux réfugiés l’accès à des repas chauds. Les prêts
de la Banque sont souvent combinés à d’autres programmes de financement,
en particulier ceux de la Commission européenne.
3.4.2. La
Banque mondiale
28. Au total, 86 % des réfugiés
relevant en 2015 du mandat du HCR se trouvaient dans des pays à
revenu faible et intermédiaire situés à proximité des situations
de conflit. Beaucoup de ces pays se démènent pour trouver des moyens
durables permettant de faire face aux coûts supplémentaires liés
à l’accueil des réfugiés (Egypte, Irak, Jordanie, Liban et Turquie).
Le mécanisme mondial de financement concessionnel de la Banque mondiale
(GCFF), annoncé lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire
en 2016, les aidera à obtenir des financements essentiels pour le
développement tout en comblant l’écart avec les organisations qui
fournissent une aide humanitaire directe sur le terrain. Le mécanisme
a démarré par une contribution de 50 millions de dollars des Etats-Unis
lors du Sommet des dirigeants sur la crise mondiale des réfugiés
du 20 septembre 2016. Ce GCFF étend à l’échelle mondiale l’initiative
de financement concessionnel pour le Moyen-Orient et l’Afrique du
Nord également lancée en 2016 pour soutenir la Jordanie et le Liban,
les deux pays à revenu intermédiaire dont la démographie a été la
plus impactée par l’accueil d’un grand nombre de réfugiés.
3.4.3. Le
mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
29. Le Comité international de
la Croix-Rouge (CICR) travaille principalement dans des situations
de conflit. Pour sa part, la Fédération internationale des sociétés
de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FISCR), coordonne et apporte
une assistance internationale à la suite de catastrophes causées
par des aléas naturels dans des situations généralement autres que
des conflits. Enfin, les sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge,
composées de bénévoles et de personnel en place dans 190 pays, fournissent
des services aux personnes vulnérables dans leur propre pays et
contribuent aux actions internationales de levée de fonds. En 2015,
le CICR a réclamé 1,7 milliard de dollars au travers de ses appels
à l’aide humanitaire d’urgence, une augmentation de 15 % par rapport
à 2014. Les donateurs y ont répondu par des contributions à hauteur
de 1,4 milliard de dollars, d’où un déficit de quelques 259 millions
de dollars (16 % des financements requis). Les besoins en financement
sont dominés par les impératifs humanitaires constants liés à la
crise en Syrie (10,3 % des appels dans ce domaine).
3.4.4. Médecins
sans Frontières
30. Médecins sans Frontières (MSF)
est une organisation indépendante à but non lucratif, déterminée
à agir dans le respect des principes de l’éthique médicale et en
toute impartialité. En 2015, les dons privés volontaires ont représenté
92 % du financement global de 1,44 milliards d’euros de MSF. Fort
de la réputation et de l’expérience grandissantes de l’organisation
et des déductions fiscales encourageant les donateurs, ces dons augmentent
d’année en année.
4. Défis
posés à une aide humanitaire d’urgence efficace pour les réfugiés
31. Les principales difficultés
rencontrées par l’aide humanitaire d’urgence internationale sont
d’ordre politique et structurel, avec des problèmes particuliers
liés à la mise en œuvre rapide et la responsabilité.
4.1. Problèmes
politiques et de politiques
32. La grande proximité du financement
de l’assistance humanitaire nationale avec les situations auxquelles il
s’efforce de remédier constitue à la fois son principal avantage
et son problème majeur. Si des organismes d’assistance extérieurs
peuvent rencontrer des difficultés à appréhender la complexité des
besoins du pays et ceux des «personnes relevant de leur mandat»
sur le territoire concerné, les gouvernements et les autorités régionales,
ainsi que les ONG nationales, ont pour leur part une connaissance
et expérience directes des défis soulevés. Il a déjà été démontré
que tous les pays prennent à leur charge la part la plus importante
de l’aide humanitaire intérieure. D’un autre côté, la gestion interne
des crises des réfugiés et des migrants ravive l’identité historique
et les problèmes de sécurité ressentis, alimentant les tendances
protectionnistes et nationalistes. Le refus de certains Etats membres
de l’Union européenne (la Hongrie, par exemple) d’accepter les propositions
de «quota de relocalisation» de l’Union européenne, se fonde sur
des arguments de souveraineté nationale, mais est symptomatique
de la réticence politique du pays à accueillir davantage de migrants.
33. S’agissant de l’Union européenne elle-même, l’assistance humanitaire
plaçant au premier plan les droits de l’homme et les valeurs humaines
risque d’être supplantée par une politique déclarée de sécurité
axée sur le contrôle des frontières (laissant beaucoup des personnes
les plus nécessiteuses de l’autre côté de la frontière) et un traitement
des «problèmes» liés aux réfugiés en dehors des pays de l’Union
européenne. L’accord de 3 milliards d’euros conclu entre l’Union
européenne et la Turquie
a
marqué un premier pas dans cette voie, confirmé depuis lors par
la déclaration de La Valette en février 2017, qui précise que le
renforcement des capacités en Lybie devrait permettre au pays d’accueillir
des réfugiés et de traiter les procédures d’asile et de retour.
Cette «externalisation» d’une partie de l’action humanitaire d’urgence
européenne au-delà des frontières de l’Union européenne pourrait
compromettre la protection des droits de l’homme des personnes concernées
au titre des conventions internationales.
34. Un article publié sur le site d’information en ligne
EurActiv en avril 2016
a mis en exergue la grande part des fonds d’aide européens désormais
consacrée à la gestion des flux migratoires, parfois au détriment direct
des projets de développement. Il renvoie à un rapport de la Cour
des comptes européenne dans lequel il est fait état de la «dimension
prédominante de sécurité et de protection des frontières, qui caractérisait
les dépenses de l’Union européenne en matière de migration». L’influence
grandissante des intérêts sécuritaires de l’Union européenne sur
l’aide européenne au développement est une source de préoccupation,
et le renforcement de la sécurité aux frontières afin de contenir
les migrations n’améliore pas le sort des réfugiés eux-mêmes ou
des populations en situation de pauvreté dans les pays en développement
et ne combat pas l’inégalité extrême. L’accord intervenu entre les
ministres du développement des 29 pays du Comité d’aide au développement
de l’OCDE d’étendre leur définition de l’aide au développement,
pour y inclure davantage de dépenses liées aux opérations de paix
et de sécurité, est un autre signe de cette tendance.
4.2. Problèmes
structurels
35. Les grandes organisations sont
inévitablement dotées de systèmes et procédures administratives complexes.
Les mécanismes du HCR et de l’Union européenne diffèrent grandement
mais présentent dans une certaine mesure les mêmes symptômes en
termes de décalage entre la prise de décisions et l’action et d’écart
entre les sommes allouées et celles véritablement dépensées sur
le terrain.
36. L’évaluation des actions à engager par le HCR est réalisée
de manière très courageuse sur la base d’une estimation des besoins
de l’ensemble des personnes relevant de sa compétence au plan mondial,
sans aucune certitude quant à la disponibilité des financements.
Comme noté précédemment, des situations d’urgence imprévues renforcent
encore les pressions exercées sur les budgets existants et l’impératif
de lever davantage de fonds, et le déficit de financement grandit
d’année en année (8,9 milliards de dollars en 2015). Le souci de
garantir un niveau d’aide constant aux millions de personnes relevant
du mandat du HCR et à ses partenaires de travail intensifie lui
aussi les tensions d’ordre organisationnel ou financier, en l’absence
d’un appui financier additionnel. Compte tenu de l’écart grandissant
entre les besoins et les financements, il est impératif que le HCR
adopte des approches plus innovantes et à long terme pour planifier
les besoins des personnes relevant de sa compétence et y répondre,
mais aussi pour déterminer comment mobiliser des fonds et auprès
de qui.
37. Les programmes septennaux de l’Union européenne couvrent une
période tellement longue que des ajustements permanents s’imposent,
engendrant des décalages entre la prise des décisions et leur application.
A titre d’exemple, le 7 mars 2016, le Conseil européen a appelé
à accélérer la mise en œuvre des relocalisations, afin d'améliorer
la situation humanitaire en Grèce. Il a par ailleurs approuvé, le
15 décembre, le plan d'action conjoint relatif à la mise en œuvre
de la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016
, qui englobe l'objectif
de relocalisation de 2 000 transferts mensuels pour la Grèce. En
janvier 2017, seules 13 968 réinstallations sur les 22 504 convenues
avaient été réalisées.
4.3. Responsabilité
et mise en œuvre
38. Le HCR publie des données financières
sur la plateforme Global Focus et le système de suivi financier, parallèlement
aux rapports établis régulièrement pour les organes directeurs et
les mécanismes de supervision. Cependant, la norme des données n’est
pas encore pleinement harmonisée avec celle des autres organismes.
Les Nations Unies s’efforcent désormais de régler les problèmes
de transparence et de responsabilité, pour faire suite aux engagements
du «Grand compromis» convenu lors du Sommet mondial sur l’action
humanitaire (voir ci-dessous). Le but est de publier des données
transparentes et harmonisées et de permettre la traçabilité des
contributions des donateurs d’ici 2018 (des donateurs au HCR, puis
du HCR aux partenaires locaux et internationaux). Le système de
suivi financier est géré par le Bureau de la coordination des affaires
humanitaires (OCHA) des Nations Unies et collecte des rapports sur
les flux d’aide humanitaire soumis par les gouvernements donateurs,
les fonds gérés par les Nations Unies, les organismes des Nations Unies,
les ONG et d’autres acteurs et partenaires humanitaires, y compris
le secteur privé. Il assure la visibilité des contributions financières
aux activités humanitaires, une image actualisée des flux de financement
entre les donateurs (gouvernements et secteur privé) et les organisations
bénéficiaires et un suivi des progrès en termes de financement des
plans d’intervention humanitaires et des appels pour répondre aux
besoins humanitaires.
39. En mars 2016, un rapport de la Cour des comptes européenne
sur le financement accordé par l’Union européenne à l’aide humanitaire
jusqu’en 2014
a vivement critiqué les programmes
de l’Union européenne, soulignant le défaut d’indicateurs fiables
pour les statistiques concernant les migrations irrégulières dans l’Union
qui rend difficile toute évaluation de ces programmes. Il relève
également une trop forte dilution des financements, des petites
sommes étant allouées à un grand nombre de petits projets. Dans
d’autres cas, seulement certains volets des programmes ont été mis
en œuvre en raison de problèmes de capacité et de gestion sur le
terrain. Ce rapport cite comme exemple de projet partiellement efficace
le projet de réseau méditerranéen «Seahorse», qui vise à permettre
aux gouvernements d’Afrique du Nord de renforcer la surveillance
de leurs frontières et de mieux combattre ainsi l’immigration irrégulière
et le trafic illicite. Un an après son démarrage, seule la Libye
a adhéré au réseau et la mise en œuvre du projet y a été sérieusement compromise
par le climat d’insécurité et d’instabilité qui prévaut dans la
région. Selon le rapport, cinq projets ont été réalisés avec un
retard inférieur à 12 mois, et cinq autres ont connu un retard de
plus de 12 mois.
40. Les bénéficiaires finaux de l’aide ont généralement peu de
choix ou d’influence quant aux services qui leur sont offerts, et
les mécanismes de retour d’information ont eu pour l’heure peu d'impact
sur la manière d'exécuter les programmes. Le HCR est désormais déterminé
à fournir des informations plus accessibles afin de garantir la
mise en place d’un processus efficace de participation et de retour
d’informations et la prise en compte, dans les décisions liées à
la conception et la gestion, des avis des communautés et personnes touchées.
Par ailleurs, les donateurs devront dorénavant accepter que les
programmes puissent être adaptés en fonction des commentaires des
communautés.
5. Conclusions
et recommandations
41. Le «Grand compromis» convenu
lors du Sommet mondial sur l’action humanitaire en mai 2016 entre
les 15 principaux donateurs des Nations Unies et les 15 principaux
fournisseurs d’aide, vise à réduire le déficit de financement humanitaire
et établit une feuille de route pour améliorer les réponses globales
au problème du financement humanitaire d’urgence. Ses dix principaux
engagements incluent une augmentation des financements prévisibles
et flexibles et une amélioration de la fourniture de l’aide humanitaire,
avec pour objectif au cours des cinq prochaines années d’économiser
un milliard de dollars par des gains d’efficacité et de le consacrer
à l’action humanitaire directe. L’accord a fait suite au rapport
du Groupe de haut niveau sur le financement de l'action humanitaire
au Secrétaire général des Nations Unies, publié en janvier 2016
.
42. Les engagements sont les suivants:
- une transparence accrue;
- davantage de soutien et de financement pour les organismes
locaux et nationaux d’intervention (avec pour objectif de leur transférer
au moins 25 % des dépenses de programme et d’alléger les obstacles administratifs
posés aux partenariats);
- un renforcement de l’utilisation et de la coordination
des programmes de transferts monétaires;
- une réduction des redondances et des frais de gestion;
- une rationalisation des données, accompagnée de la réalisation
d’évaluations conjointes et impartiales des besoins par des spécialistes;
- une «révolution de la participation» afin d’associer les
personnes qui reçoivent l’aide aux prises de décisions qui influent
sur leurs vies;
- un recours accru aux financements et à la programmation
pluriannuels de l’action humanitaire s’appuyant sur des mécanismes
collaboratifs;
- une réduction de la préaffectation des contributions des
donneurs (afin de répondre aux urgences de manière plus flexible);
- une harmonisation et simplification des exigences de notification
d’ici la fin 2018;
- une multiplication des contacts entre les acteurs de l’humanitaire
et ceux du développement.
43. Combiné à la nécessité de maintenir les besoins et droits
fondamentaux des migrants arrivant en Europe au premier plan des
politiques de financement de l’action humanitaire, et d’encourager
les Etats membres à renforcer le partage du fardeau et la solidarité,
ces engagements, s’ils sont mis en œuvre, devraient faciliter le règlement
de la crise des migrations et contribuer à des solutions durables
permettant à l’avenir de faire face aux flux migratoires.