1. Introduction
1. Des femmes, des hommes et des
enfants fuyant des pays déchirés par la guerre et les persécutions
et recherchant un lieu sûr sont arrivés en Europe en grand nombre
ces dernières années. Ils ont voyagé dans des conditions difficiles
et ont incontestablement dû surmonter des difficultés avant et pendant
leur trajet vers l’Europe, puis une fois sur place. Au début de
ce que l’on appelle désormais la crise des réfugiés, la plupart d’entre
eux étaient des hommes. Le 8 mars 2016, le Haut-Commissaire des
Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a déclaré que la situation
avait changé et que les femmes et les enfants commençaient à représenter la
majorité des nouveaux arrivants
.
2. Rappelons que des tragédies personnelles se cachent derrière
les chiffres. Des récits de violence, de séparation, de guerre et
de menaces que je vais tenter de transmettre, grâce aux demandeurs
d’asile et aux réfugiés qui ont accepté de me rencontrer dans le
cadre de la préparation de ce rapport. Ceux-ci sont trop souvent
ignorés et ne peuvent pas exprimer leurs craintes et leurs préoccupations.
Nous avons le devoir et la responsabilité de les écouter et de nous
efforcer de leur offrir le meilleur soutien possible. Je considère
que c’est notre devoir en tant que parlementaires et notre responsabilité
en tant que citoyens.
3. J’ai décidé d’étudier la situation spécifique des femmes et
des filles, qui sont particulièrement vulnérables et exposées à
un risque élevé de mauvais traitements, de discrimination et de
violences avant, pendant et après leur voyage. Certaines femmes
étaient déjà victimes de violences fondées sur le genre dans leur
pays d’origine, les violences sexuelles étant utilisées comme arme
de guerre. D’autres ont fui la menace d’un mariage forcé. Je tiens
à souligner que dans ce rapport, toutes les références aux femmes
englobent aussi les filles. La vulnérabilité et l’exposition des
femmes à la violence sont accrues par l’absence de voies sûres et
légales vers l’Europe. Elles sont donc plus dépendantes des trafiquants
et des passeurs
.
4. En transit ou à leur arrivée, elles risquent d’être victimes
de violences qui peuvent prendre la forme de la coercition, du sexe
comme moyen de survie, de l’esclavage sexuel, de la prostitution
forcée, du harcèlement ou de diverses formes d’extorsion. Elles
se heurtent à des problèmes communs, comme l’insécurité, l’absence d’installations
sanitaires séparées, l’absence d’interprètes de sexe féminin, le
peu d’information sur les services d’assistance disponibles et,
d’une manière générale, l’absence de soins médicaux généraux et
post-traumatiques. Cependant, aborder ces problèmes peut poser des
difficultés particulières suivant la situation.
5. La nécessité de protéger les femmes demandeuses d’asile et
réfugiées de la violence fondée sur le genre n’est pas un sujet
largement couvert par les médias. Ce n’est pas considéré comme une
priorité politique et ce problème est parfois même ignoré dans le
traitement actuel de la crise des réfugiés. Pour les pays ayant accepté
de recevoir des demandeurs d’asile pendant cette crise des réfugiés,
la priorité a été donnée à une réponse humanitaire: trouver un hébergement
pour les familles, scolariser les enfants et traiter les demandes d’asile.
6. Les femmes demandeuses d’asile tendent à être invisibles.
Ce n’est pas elles à qui l’on s’adresse en premier lieu ou avec
qui l’on va s’entretenir, elles ne parlent pas au nom des leurs,
et elles font passer par-dessus tout l’intérêt et le bien-être de
leur famille. Trop souvent, les femmes réfugiées et demandeuses
d’asile victimes de violence fondée sur le genre n’osent pas demander
de l’aide, de peur d’être montrées du doigt et parce qu’elles ne
savent pas comment leurs révélations vont être accueillies. Parler
de la violence sexuelle reste tabou. Il peut être difficile pour
les victimes d’en parler à des personnes qu’elles ne connaissent
pas et à qui elles ne vont pas nécessairement faire confiance immédiatement.
7. Des mesures peuvent être prises pour garantir un soutien adéquat
aux femmes réfugiées et demandeuses d’asile. Ces mesures ne requièrent
pas nécessairement d’importants moyens financiers; l’important est
la volonté politique. Les gouvernements devraient veiller à ce que
la dimension de genre soit prise en compte et appliquer une approche
intégrée de l’égalité femmes-hommes à la crise des réfugiés, tout en
garantissant aide et protection à toutes les femmes victimes de
violence.
8. J’aimerais dédier ce rapport à toutes les réfugiées et demandeuses
d’asile qui ont le courage de partager leurs histoires afin de sensibiliser
et d’appeler à l’action, bien que cela ne soit pas une pratique habituelle
pour des rapports présentés à l’Assemblée.
2. Buts du rapport et méthodologie
9. Ce rapport vise à sensibiliser
à la situation de vulnérabilité des femmes réfugiées et demandeuses d’asile
et à la discrimination très répandue à leur encontre.
10. Tout au long de la préparation de mon rapport, j’ai eu l’occasion
de rencontrer, à Strasbourg et pendant les visites d’information,
des interlocuteurs clés qui travaillent à la protection des femmes
réfugiées et demandeuses d’asile contre la violence fondée sur le
genre. J’ai participé à la réunion interparlementaire sur les femmes
réfugiées organisée par le Parlement européen le 3 mars 2016 à Bruxelles,
et coprésidé un événement parallèle consacré à la prévention de
la violence contre les femmes réfugiées et demandeuses d’asile.
La commission sur l’égalité et la non-discrimination a tenu une
audition conjointe avec la commission sur les migrations, les réfugiés
et les personnes déplacées consacrée à la discrimination et à la
violence à l’encontre des femmes réfugiées le 22 juin 2016 à Strasbourg,
avec la participation de Mme Mina Jaf,
militante pour les droits des femmes réfugiées, de M. Arne Treves,
administrateur chargé de la protection au Bureau du HCR à Genève,
et du Dr Richard Matis, vice-président de «Gynécologie sans frontières»
(France). Nous avons également entendu le témoignage de Mme Baldé,
réfugiée victime d’un mariage forcé, de violence domestique et de
mutilations génitales féminines dans son pays natal.
11. J’ai effectué une visite d’information les 19 et 20 septembre
2016 à Berlin, au cours de laquelle j’ai rencontré des femmes réfugiées,
des parlementaires, des représentants gouvernementaux, des représentants d’organisations
non gouvernementales (ONG) et des travailleurs sociaux. J’ai pu
ressentir l’engagement de toutes les personnes que j’ai rencontrées,
qui s’investissent dans des actions de prévention ou visant à protéger
les réfugiées contre la violence et à faciliter leur intégration
dans la société allemande. J’ai aussi rencontré des réfugiées qui
m’ont dit être soulagées de vivre en Allemagne, dans un environnement
sûr, et reconnaissantes des efforts entrepris par le Gouvernement
allemand ainsi que de l’aide reçue depuis leur arrivée. J’ai effectué
une autre visite d’information les 8 et 9 décembre 2016 à Stockholm,
au cours de laquelle j’ai rencontré la ministre pour l’Égalité entre
les femmes et les hommes, le secrétaire d’État chargé des migrations,
des parlementaires, des représentants d’ONG et de l’Agence suédoise
de l’immigration, et des demandeuses d’asile victimes de la violence
fondée sur le genre. Nous avons parlé de l’aide reçue par les réfugiées
et des mesures prises pour accueillir un grand nombre de demandeurs
d’asile en 2015. Ces visites m’ont donné une idée des défis auxquels
sont confrontés ces deux pays, qui ont accueilli le plus grand nombre de
demandeurs d’asile ces deux dernières années. Je tiens à profiter
de cette occasion pour remercier toutes les personnes qui ont pris
le temps de me rencontrer et saluer les initiatives prises jusqu’à
présent pour assurer la protection des femmes contre la violence
fondée sur le genre.
12. La commission a également organisé une audition sur les femmes
yézidies et la réhabilitation des victimes de violences le 25 janvier
2017 à Strasbourg, avec la participation de Mme Farida
Abbas, survivante yézidie de la violence perpétrée par Daech, et
de M. Michael Blume, à la tête du projet de quotas spéciaux dans
le Land du Bade-Wurtemberg. Ils ont appelé à la mise en place, dans
d’autres États, de programmes d’assistance semblables pour les réfugiées
et pour les femmes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui sont
victimes de violence fondée sur le genre.
13. J’ai reçu des informations de plusieurs bureaux du HCR opérant
sur le terrain et de la représentation du HCR auprès du Conseil
de l’Europe. Je tiens à les remercier pour les informations fournies
et pour notre excellente coopération.
14. Grâce à ces visites d’information, aux réunions bilatérales,
à mes recherches documentaires et aux auditions, j’ai rassemblé
une grande quantité d’informations dont je vais essayer de rendre
compte dans la mesure du possible dans ce rapport. La crise des
réfugiés ne fait plus autant les gros titres que l’an dernier, mais
la situation des femmes réfugiées et demandeuses d’asile mérite
toujours que nous lui accordions la plus grande attention. J’espère
sincèrement que ce rapport contribuera à faire ressortir la nécessité
d’intensifier les efforts pour mieux protéger les femmes demandeuses
d’asile et réfugiées de la violence fondée sur le genre, leur fournir
toute l’assistance dont elles ont besoin dans les pays de transit
et de destination et défendre des procédures d’asile et des services
d’assistance respectueux de l’égalité de genre. Protéger les femmes réfugiées
et demandeuses d’asile contre la violence fondée sur le genre revient
à protéger l’une des parties les plus vulnérables de la population
en Europe. Assurer leur protection contre la violence représente
une première étape pour assurer leur réelle intégration.
15. Je tiens à préciser que ce rapport ne traitera pas des cas
spécifiques de violence contre les réfugiés et demandeurs d’asile
lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes (LGBTI).
Toutefois, j’aimerais encourager l’Assemblée parlementaire à travailler
sur cette question et recommander à la Commission sur l’égalité
et la non-discrimination de tenir une audition préliminaire, ce
qui pourrait conduire à l’élaboration d’une proposition de résolution.
Il s’agit d’un autre aspect important de la crise des réfugiés et
il serait fort souhaitable que l’Assemblée prenne ce sujet sérieusement
en compte à l’avenir.
3. Femmes
victimes de la violence fondée sur le genre lorsqu’elles sont en
transit
16. Sur la route, à bord d’un bateau,
dans les camps ou centres de transit ou bien encore lorsqu’elles travaillent
dans un pays de transit pour gagner de quoi payer le reste de leur
voyage, les femmes réfugiées et demandeuses d’asile sont particulièrement
vulnérables à la violence fondée sur le genre. Elles vivent dans
des conditions effroyables et ont rarement accès à des soins de
santé et à des conseils. «Après avoir connu l’horreur de la guerre
en Irak et en Syrie, ces femmes ont tout risqué pour se mettre en
sécurité avec leurs enfants. Mais à compter du moment où leur trajet
commence, elles sont de nouveau exposées à la violence et à l’exploitation,
sans grand soutien ni protection», a souligné Tirana Hassan, responsable
de la réaction aux crises à Amnesty International
.
17. Les femmes réfugiées en transit ne sont pas toujours considérées
comme une priorité dans les politiques globales en faveur des réfugiés,
qui mettent principalement l’accent sur les centres d’accueil. Les femmes
réfugiées et demandeuses d’asile en transit ont elles-mêmes tendance
à faire passer le bien-être de leur famille avant le leur. Elles
font fi des difficultés qu’elles rencontrent et des violences dont
elles sont victimes, poussées par un seul objectif: atteindre rapidement
un pays de destination sûr. Au cours de l’audition que nous avons
tenue en juin 2016, Arne Treves, administrateur du HCR chargé de
la protection, a souligné que les personnes migrantes éprouvaient
un sentiment d’urgence et souhaitaient poursuivre leur chemin ou faire
avancer leur dossier de demande d’asile plutôt que de solliciter
de l’aide lorsqu’elles étaient victimes de violences. Il est essentiel,
à mon sens, de garantir la protection et le bien-être de ces femmes
tout au long de leur voyage. Aucune protection efficace contre des
violences ne peut leur être apportée si nous méconnaissons les dangers
auxquels elles se heurtent en chemin.
18. Pour les femmes réfugiées et demandeuses d’asile, se rendre
en Europe peut signifier devenir, pour la première fois ou de nouveau,
une victime de la violence fondée sur le genre. Comme l’a fait remarquer «Médecins
sans frontières» (MSF), le prix du voyage vers l’Europe peut ne
pas se limiter à une somme d’argent mais être beaucoup plus élevé.
Les passeurs peuvent violer des femmes candidates au départ en échange
d’une place sur une embarcation en plus de la somme qu’elles ont
déjà versée
.
MSF a, en outre, été informée de violences sexuelles et de prostitution
forcée en Libye, pays par lequel de nombreuses femmes transitent.
L’organisation signale des enlèvements et des demandes de rançon
dont le montant peut aller jusqu’à la somme déjà versée pour traverser
la Méditerranée. Dans les cas où leur famille ne peut pas payer la
rançon, les femmes sont vendues à des fins de prostitution ou de
mariage. De son côté, le HCR a rendu compte de la violence subie
par des femmes en Libye et en chemin de la Libye vers l’Italie
.
19. Comme l’a souligné l’«Initiative des femmes Nobel», la route
des réfugiés vers l’Europe présente de nombreux risques pour les
femmes. Les violences et l’exploitation tout au long du parcours,
le voyage avec des conjoints brutaux et l’insécurité dans les centres
de transit sont malheureusement monnaie courante
. Les auteurs de
violences ont des profils divers: passeurs, autres réfugiés ou demandeurs
d’asile, parfois gardes ou agents travaillant dans les camps ou
encore membres de la famille. Les femmes peuvent être réprouvées pour
avoir osé quitter leur pays et laisser leur famille derrière elles.
Certaines sont volées pendant leur voyage et contraintes à une prostitution
de survie afin d’obtenir de la nourriture pour leur famille ou elles-mêmes
ou de rembourser les passeurs.
20. Au sein des couples en transit, l’incertitude et la fatigue
peuvent exacerber les tensions. La violence conjugale n’est pas
rare mais est rarement signalée. Les femmes réfugiées en transit
ont tendance à rester avec leur mari jusqu’à l’arrivée dans le pays
de destination, même lorsqu’elles sont victimes de violences, car elles
craignent une nouvelle séparation après le traumatisme du départ
de leur pays d’origine. Elles s’accommodent de la violence dont
elles sont victimes dans l’espoir d’atteindre un lieu sûr.
21. En octobre 2015, le HCR avait déjà exprimé son inquiétude
face à la situation des femmes réfugiées en route vers l’Europe,
déclarant que «les femmes réfugiées et migrantes qui voyagent seules
encourent également un risque accru dans leur déplacement à travers
l’Europe, parfois de nuit, le long de routes dangereuses ou durant
leur séjour dans des lieux où la sécurité n’est pas assurée»
. Les
centres de transit, lorsqu’il en existe, peuvent être rudimentaires
et ne pas être équipés de dortoirs séparés pour les femmes et les
hommes, ce qui peut mettre les femmes en position de vulnérabilité.
Un climat de peur a également été dénoncé dans ces centres, où les
femmes craignent de se déplacer seules la nuit et d’utiliser les
installations sanitaires sans être accompagnées
. Il
peut aussi être dangereux de prendre une douche dans un lieu où
il n’y a pas de d’installations sanitaires distinctes ou d’éclairage.
La «Women’s Refugee Commission» (WRC, Commission des femmes pour
les réfugiés) signale que certaines femmes ne mangent pas ou ne
boivent pas de manière à éviter de se rendre aux toilettes où elles
ne se sentent pas en sécurité.
22. Il ressort en outre de certaines informations que la sécurité
est insuffisante dans les camps où les femmes transitent en Grèce;
il n’y a, en effet, pas de contrôle d’identité à l’entrée et les
clôtures qui les entourent sont trouées, ce qui permet à quiconque
de pénétrer facilement dans l’enceinte
. Dans son évaluation concernant
la Serbie et la Slovénie, la Women’s Refugee Commission a estimé
que le long des itinéraires suivis par les migrants, les violences
fondées sur le genre n’étaient pour ainsi dire pas prises en compte
dans l’optique de garantir des conditions de sécurité, de recenser
les survivantes et de veiller à ce qu’elles bénéficient des services
nécessaires. Elle a, en outre, constaté que le manque d’informations
claires et l’incapacité de trouver des interprètes, notamment de
sexe féminin, empêchaient les femmes et les filles d’accéder aux
services voulus et les laissaient à la merci des passeurs et d’autres
opportunistes
.
23. En outre, Amnesty International a reçu des informations selon
lesquelles des femmes étaient battues ou insultées par des agents
de sécurité en Grèce, en Hongrie et en Slovénie
.
A la suite d’une mission d’évaluation en Grèce et dans «l’ex-République
yougoslave de Macédoine», le HCR, le Fonds des Nations Unies pour
la population (FNUAP) et la Women’s Refugee Commission ont estimé
que les États devaient renforcer les mécanismes de protection et
les services transfrontaliers pour faire correctement face aux menaces
auxquelles sont confrontées les femmes en termes de protection
.
24. J’ai également reçu des informations concernant des cas de
violence fondée sur le genre à Calais (avant et pendant le démantèlement
du camp) et des cas de violences sexuelles perpétrées par des chauffeurs
de camion qui promettaient aux femmes de les emmener de Calais au
Royaume-Uni en échange de relations sexuelles
. Certaines femmes porteraient
des couches pour adulte afin d’éviter d’aller aux toilettes la nuit
où elles ne se sentent pas en sécurité
. Lors de notre audition en juin
2016, le docteur Richard Matis, vice-président de «Gynécologie sans
frontières» (GSF), a présenté la situation des femmes réfugiées
et demandeuses d’asile dans deux camps du nord de la France (Calais
et Grande-Synthe). Après avoir reçu des informations sur les femmes
victimes de violences sexuelles, de violence conjugale et de prostitution
forcée, GSF a décidé d’intervenir et d’apporter une assistance grâce
à un dispensaire mobile installé dans un petit camion. L’aide de
dispensaires mobiles peut être très précieuse pour les femmes réfugiées
victimes de violences dans les camps de transit ou d’accueil et
ce type d’initiatives doit être soutenu par les autorités. Ces dispensaires
permettent de donner aux femmes victimes d’un viol une trousse de
soins et de les conseiller dans un cadre qui préserve une certaine
intimité. Le docteur Matis nous a informés que dans le camp de Norrent
Fontes (dans le nord de la France), des groupes d’entraide avaient
été constitués pour encourager les femmes à s’exprimer, avec le
concours d’interprètes, sur la contraception, l’avortement, la violence
et les relations entre les femmes et les hommes. Les groupes de
ce type peuvent aider à lever les tabous du harcèlement et de la
violence sexuelle; ils peuvent encourager les femmes à parler de
la violence dont elles ont été victimes au cours de leur voyage
ou dans leur pays d’origine.
25. Je tiens aussi à saluer l’initiative prise par MSF pour aménager
un espace sûr à bord du navire «Aquarius» qui porte secours aux
migrants en Méditerranée. Les femmes victimes de violences peuvent
y consulter des médecins et y rencontrer des conseillers et des
avocats sans la présence de leur famille. Cependant, l’Aquarius
manque aujourd’hui de fonds opérationnels.
26. La violence fondée sur le genre n’est pas toujours considérée
comme une priorité par les fonctionnaires chargés d’apporter un
soutien et une assistance aux migrants dans les camps ou infrastructures
de transit; ils n’ont, du reste, pas nécessairement les moyens ou
les outils voulus pour ce faire. Ils n’ont pas toujours reçu une
formation particulière pour déceler les violences ou ne sont tout
simplement pas sensibilisés à cette question. De ce fait, ils ne
proposent pas forcément un soutien approprié aux réfugiées victimes
de violences fondées sur le genre. En outre, les agents de protection
contre les violences sexuelles et fondées sur le genre restent trop
peu nombreux, que ce soit dans les centres de transit ou d’accueil.
Comme l’a souligné le Lobby européen des femmes, il faudrait construire
des centres de transit/d’hébergement et les doter d’un personnel sensible
aux questions de genre et conscient des besoins de sécurité des
femmes et des filles
.
27. Lorsque les femmes réfugiées souhaitent obtenir une aide ou
signaler des violences, elles ont parfois du mal à obtenir des informations
sur les mécanismes de plainte dans une langue qu’elles comprennent
ou à communiquer en l’absence d’interprètes de sexe féminin dans
les centres de transit. Elles décident aussi parfois de ne pas signaler
les violences dans la crainte d’éventuelles représailles et de stigmatisation.
Parler des violences sexuelles peut être très difficile car c’est
largement considéré comme tabou.
28. Des mariages précoces et forcés de filles en transit ont aussi
été signalés. Des jeunes filles syriennes ont été mariées par leurs
parents dans les camps de réfugiés
. Parfois, des familles décident
de marier leurs filles avant le départ ou pendant le voyage, afin
de leur offrir une protection et de leur éviter des violences aux mains
de plusieurs hommes. La question des mariages précoces et forcés,
y compris dans un contexte de migration, sera traitée de manière
approfondie dans le prochain rapport sur les mariages forcés rédigé
par Mme Béatrice Fresko-Rolfo (Monaco,
PPE/DC).
29. Je tiens aussi à mentionner la situation des femmes enceintes
pour lesquelles le voyage présente de nombreux risques compte tenu
du manque de soins médicaux, de l’épuisement et des risques de violence.
30. La prévention des violences fondées sur le genre contre les
femmes réfugiées en transit passe par le renforcement des mécanismes
transfrontaliers de protection. A cette fin, dans leur évaluation,
les Nations Unies ont appelé à l’instauration d’un système de réaction
coordonnée national et transfrontalier visant à protéger les femmes
et les filles ainsi qu’au déploiement de spécialistes de la protection
des victimes de violences sexuelles et fondées sur le genre
.
Je voudrais aussi appuyer la proposition de la Women’s Refugee Commission,
qui recommande d’établir un système de prise en charge coordonnée
par-delà les frontières de manière à partager les informations sur
les victimes de violences et à leur éviter d’avoir à déclarer les
faits et à raconter leur histoire plusieurs fois.
4. L’assistance
aux femmes réfugiées et demandeuses d’asile victimes de violence
fondée sur le genre et de discrimination dans les pays de destination
31. Outre les violences auxquelles
elles sont exposées au cours de leur périple vers l’Europe, les
femmes réfugiées et demandeuses d’asile peuvent aussi éprouver un
sentiment d’insécurité à l’arrivée dans le pays de destination.
La protection contre la violence est un aspect qui a été négligé
dans la réponse internationale à la crise des réfugiés en Europe:
toutes les mesures nécessaires pour empêcher la violence fondée
sur le genre dans les structures d’accueil n’ont pas été prises
d’emblée. Je tiens toutefois à nuancer ce sombre tableau étant donné
que plusieurs mesures concrètes de protection ont été prises ces
derniers mois pour éviter ces menaces pour la sécurité des femmes.
32. Dans cette partie de mon rapport, je vais m’intéresser essentiellement
à l’Allemagne et à la Suède, qui ont accueilli le plus grand nombre
de demandeurs d’asile et de réfugiés dans l’Union européenne en
2015. Je tiens à saluer les efforts extraordinaires consentis par
ces pays pour recevoir autant de personnes, et je voudrais ici lancer
un appel à plus de solidarité de la part des autres pays. Je présenterai
également quelques informations sur la situation en Autriche, en
Italie et en Grèce, pays qui reçoivent à ce jour un nombre important de
demandeurs d’asile et de réfugiés.
33. J’ai eu l’occasion de rencontrer différents interlocuteurs
lors de mes visites d’information à Berlin et Stockholm, ce qui
m’a permis d’avoir un bon aperçu de la situation. En Allemagne comme
en Suède, les autorités ont reconnu que l’on n’avait pas fait assez
pour protéger les femmes demandeuses d’asile et réfugiées de la
violence fondée sur le genre et pour repérer les victimes potentielles
à leur arrivée et durant les premiers mois de leur séjour. Les interlocuteurs
que j’ai rencontrés ont admis qu’au début de la crise des réfugiés,
la priorité avait été donnée à une prise en charge humanitaire globale
sans nécessairement tenir compte de la dimension de genre ni des
besoins spécifiques des femmes. Des violences sexuelles ont récemment
été dénoncées dans plusieurs centres d’accueil des deux pays
.
34. Les demandeurs d’asile arrivant en Europe sont en quête de
sécurité. Toutefois, ils ne se sentent pas encore pleinement protégés
dans leur pays de destination dans la mesure où leur avenir est
incertain. Après des mois passés dans un centre d’accueil (souvent
plus de 10), le manque de perspectives peut affecter le moral. Le
changement et l’incertitude peuvent provoquer des tensions au sein
des familles et, parfois, engendrer une ambiance propice à la violence.
4.1. Situation
en Allemagne
35. Environ un million de demandeurs
d’asile sont arrivés en Allemagne depuis le début 2015, avec un
pic au cours de l’été et au début de l’automne. Les autorités se
sont efforcées de mettre en place des centres d’accueil d’urgence,
de trouver des hébergements et de fournir de la nourriture à tous
les nouveaux arrivants. Les femmes ne disposaient pas toujours d’installations
sanitaires ni de dortoirs séparés. La situation des femmes qui avaient
effectué le voyage seules était particulièrement difficile. L’Allemagne
a été critiquée par des organisations de défense des droits humains
pour n’avoir pas d’emblée veillé à protéger les femmes réfugiées
contre la violence fondée sur le genre. Pourtant, j’ai été informée
que des efforts sont maintenant faits pour assurer la présence de
femmes parmi les agents de sécurité, les travailleurs sociaux et
les interprètes dans les centres d’accueil en Allemagne. Les hébergements
de longue durée sont attribués en priorité aux femmes seules et
aux familles pour leur permettre de quitter les centres d’accueil
d’urgence. Des groupes d’entraide pour femmes ont été créés. La
police intervient lorsque des violences, y compris domestiques,
se produisent dans les centres d’accueil.
36. On m’a expliqué que, malgré la présence d’un personnel de
sécurité en partie féminin, les réfugiées craignent encore de se
déplacer dans les centres d’accueil la nuit. En outre, le nombre
de structures réservées aux femmes est insuffisant en Allemagne
et les femmes seules ont besoin de davantage d’assistance. L’attitude
du personnel de sécurité dans les centres d’accueil est une source
de préoccupation majeure. Plusieurs interlocuteurs ont confirmé
des cas de violences commises par des agents de sécurité contre
des femmes réfugiées; je n’ai toutefois pas reçu d’informations
sur le nombre de plaintes déposées auprès de la police. Les agents
reçoivent une formation aux compétences interculturelles, mais pas
spécifiquement à la prévention de la violence fondée sur le genre.
Les centres d’accueil étant gérés directement par les Länder, les
mesures de protection ne s’inscrivent pas dans une structure organisationnelle
globale. Par exemple, il n’existe pas de procédure systématique
d’identification des victimes de violence lors de l’inscription
dans les centres pour réfugiés.
37. S’agissant des procédures d’asile, j’ai appris qu’il est demandé
à chaque demandeur d’asile sa préférence quant au sexe de l'interprète
et de l’agent en charge du dossier d’asile. En outre, chaque agent
des services d’asile est tenu de suivre une formation de sensibilisation
à la violence fondée sur le genre.
38. À Berlin, j’ai rencontré des femmes réfugiées venues de Syrie
.
L’une, mère de trois enfants, était victime de violence domestique.
Après être arrivée en Allemagne, elle avait décidé de quitter son
mari et vivait avec ses enfants dans un refuge pour femmes victimes
de violence. Elle n’aurait pas pu conserver la garde de ses enfants
si elle avait quitté son mari en Syrie. Elle m’a expliqué qu’elle
était en train de se reconstruire et qu’elle recevait une aide psychologique.
Elle était passée par la Turquie et la Grèce, d’où elle était venue
à pied en Allemagne. Elle-même n’avait pas subi de violences ni
de harcèlement sexuel au cours du trajet, mais elle m’a expliqué
que les femmes ont peur lorsqu’elles font le voyage vers l’Europe.
39. Les témoignages des réfugiées étaient très émouvants. Ces
femmes ont fait preuve d’un immense courage lorsqu’elles ont quitté
leur pays et traversé l’Europe pour mettre leur famille en sécurité.
Elles m’ont raconté le bombardement de leurs maisons en Syrie, comment
elles avaient pris la décision de partir. Toutes m’ont dit être
prêtes à retourner dans leur pays si la paix était garantie, mais
être heureuses d’être en Allemagne pour l’instant. Certaines ont
traversé la frontière avec la Turquie avec l’aide de passeurs qui
ne les ont pas bien traitées. L’une d’entre elles a quitté la Syrie
après qu’un membre de Daech eut tué quelqu’un devant elle et ses
enfants. Une assistante sociale du foyer de Schöneberg m’a raconté
l’histoire d’une femme qui a fui Raqqa parce qu’un membre de Daech
voulait épouser sa fille âgée de 7 ans.
40. Je voudrais aussi profiter de cette occasion pour parler du
calvaire subi par les femmes yézidies, enlevées, victimes de violences
et exploitées comme esclaves sexuelles. Certaines reçoivent aujourd’hui
de l’aide et un soutien en Allemagne. Des fillettes d’à peine 8 ans
ont été violées et vendues par les combattants. Dans les camps de
réfugiés et de personnes déplacées du nord de l’Irak, plusieurs
cas de suicide de femmes yézidies victimes de violences fondées
sur le genre et rejetées par leur communauté ont été signalés.
41. J’ai eu l’honneur de rencontrer Nadia Murad, lauréate du prix
Václav Havel décerné par l’Assemblée le 10 octobre 2016. Elle m’a
raconté son histoire, les violences qu’elle a subies et l’aide qu’elle
a reçue à son arrivée en Allemagne. Elle est devenue la porte-parole
des milliers de femmes yézidies encore aux mains de Daech. Elle
m’a demandé de plaider en faveur de la création de programmes d’aide
et de réadaptation destinés aux femmes demandeuses d’asile et réfugiées
victimes de violences, comme celui qu’elle suit en Allemagne. Des
programmes de ce type sont une condition sine qua non pour garantir
leur sécurité et leur ouvrir les portes d’un avenir possible en
Europe. Nadia Murad a également demandé un soutien concret pour les
femmes qui vivent dans des conditions difficiles dans les camps
de réfugiés, notamment en Grèce.
42. Actuellement, 1 100 femmes yézidies reçoivent un soutien psychologique
et bénéficient de services de réhabilitation dans le Land du Bade-Wurtemberg
en Allemagne, dans le cadre du programme de quotas spéciaux. Les
bénéficiaires, hébergées dans des centres secrets avec leurs enfants,
reçoivent un traitement médical si nécessaire et un soutien psychologique.
Elles suivent des cours d’allemand et des dispositions sont prises
pour que tous les enfants aillent à l’école. Souvent, ces femmes
ont laissé des membres de leur famille derrière elles, qui sont
toujours en captivité. Elles ne cessent de penser à ces proches,
ce qui peut retarder le processus de réhabilitation.
43. Comme l’a rappelé lors de notre audition Dr. Michael Blume,
responsable du projet de quotas spéciaux, toute vie sauvée compte.
Il a expliqué combien il était important d’apporter un soutien psychologique
dans le cadre d’un programme spécifique en dehors du pays d’origine.
Il a insisté sur le fait que, dans un premier temps, les femmes
yézidies victimes de violence fondée sur le genre se trouvaient
ostracisées en tant que victimes de violence sexuelle. Avec son
équipe, il a su convaincre le chef religieux de la communauté yézidie de
bénir les femmes victimes de violence fondée sur le genre et souligner
qu’elles n’avaient pas perdu leur honneur. Il était heureux d’annoncer
que les femmes participant au projet de quotas spéciaux n’étaient
plus considérées comme des victimes mais comme des rescapées et
des héroïnes, des ambassadrices de la communauté yézidie.
44. Mmes Farida Abbas et Nadia Murad,
toutes deux bénéficiaires de ce programme, ont exprimé leur reconnaissance
au Land du Bade-Wurtemberg. Mme Abbas
nous a confié ne pas savoir si elle serait encore en vie si elle
n’avait pas fui vers l’Allemagne. À présent, elle se sentait plus
forte que Daech, capable de raconter son histoire en public afin
de sensibiliser et d’empêcher de nouvelles violences contre la communauté yézidie.
Je ne peux que saluer le courage dont a fait preuve le Land du Bade-Wurtemberg
en lançant ce programme et, avec ce rapport, j’aimerais appeler
à la mise en place de ce type de programmes ailleurs en Europe.
Je salue l’initiative du Canada, qui va bientôt lancer un programme
de réinstallation à l’intention de 1 200 femmes et enfants de la
communauté yézidie.
4.2. Situation
en Suède
45. Le 1er décembre
2016, les centres de l’Agence de l’immigration accueillaient 131 903 personnes,
dont 28 674 avaient déjà obtenu l’asile. 162 877 demandes d’asile
ont été déposées en 2015, et 26 929 ont été enregistrées de janvier
à novembre 2016. Cet afflux massif de demandeurs d’asile a mis la
société suédoise à rude épreuve. M. Lars Westbratt, Secrétaire d'État
auprès du ministre de la Justice et de l’immigration, m’a indiqué
qu’environ 140 000 demandeurs d’asile étaient arrivés en quatre
mois et que tous avaient été logés. L’été dernier, le Gouvernement
suédois a décidé de légèrement modifier la législation pour limiter
le nombre d’arrivées, tout en respectant les standards de l’Union
européenne. La nouvelle législation a rendu le regroupement familial
plus difficile. Actuellement, la Suède accueille 105 demandeurs
d’asile par semaine.
46. Je déplore que l’accès aux centres d’accueil m’ait été refusé
par l’Agence suédoise de l’immigration, qui a expliqué qu’une telle
visite pourrait être mal interprétée par les demandeurs d'asile.
Aussi ne suis-je pas en mesure de présenter des informations de
première main sur la situation dans les centres d’accueil, et dois-je me
fier aux récits de demandeurs d'asile rencontrés ainsi que de représentants
de l’Agence suédoise de l’immigration et d’ONG. Il m’a été rapporté
que, lorsqu’une famille dépose une demande d’asile, le fonctionnaire
compétent écoute généralement la version de l’homme, ce qui ne permet
pas à la femme de parler en privé de son histoire et de son vécu.
Le service compétent propose aux demandeurs d’asile le choix d’être
entendus par un homme ou par une femme.
47. La visite d’information en Suède a fait ressortir des problèmes
liés à l’externalisation et à la privatisation des services fournis
aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Étant donné le nombre d’arrivants,
l’Agence de l’immigration n’a pas pu les héberger tous dans des
installations possédées et gérées par l’État, et a décidé de faire
appel à des acteurs privés, qui ont essentiellement proposé des
appartements. Des contrats ont été conclus avec des sociétés privées
qui se sont engagées à respecter certaines normes. J’ai appris,
cependant, que ces contrats ne comportaient pas d’informations spécifiques
sur le genre pouvant être utiles pour protéger les femmes de la
violence. Des agents de l’Agence suédoise de l’immigration rendent
visite aux demandeurs d’asile dans ces logements environ deux fois
par semaine pour s’enquérir d’éventuelles difficultés. Un demandeur
d’asile m’a signalé que la fréquence et la durée de ces visites
n’étaient pas suffisantes pour permettre de déceler d’éventuels
problèmes. En outre, les interprètes sont souvent des prestataires
extérieurs, les interprètes officiels ne pouvant faire face à la
quantité des entretiens. Or, ils ne possèdent pas toujours l’expérience
et les connaissances nécessaires pour repérer les signes de violence
dans un récit qui peut être émaillé d’images abstraites.
48. Les représentants de l’Agence suédoise de l’immigration ont
admis qu’ils devaient améliorer leurs procédures afin d’identifier
les groupes vulnérables parmi les demandeurs d'asile et d'établir
des normes pour déterminer et protéger les victimes de violence.
Ces deux dernières années, le personnel de l’Agence de l’immigration
est passé de 4 000 à 8 000 agents, souvent recrutés en contrat à
courte durée. Au cours de leur programme de formation initiale,
ces agents reçoivent des informations concernant la violence fondée
sur le genre.
49. En Suède, des employés de l’Agence suédoise de l’immigration
ont reconnu que la protection des femmes réfugiées et demandeuses
d’asile de la violence fondée sur le genre n’est pas encore au niveau
des normes internationales en la matière. Comme en Allemagne, les
structures d’accueil sont gérées au niveau local. Il est donc difficile
d’avoir une vue d’ensemble de la situation au niveau national. Tous
les centres d’accueil ne disposent pas de salles de bains réservées
aux femmes. Quelqu’un m’a expliqué qu’il n’y a pas de salles de
bains séparées pour les femmes et les hommes dans les centres d’accueil
afin d’exposer les demandeurs d’asile à la culture suédoise de non
ségrégation entre les femmes et les hommes et de promouvoir l’égalité
de genre. Je pense que le fait de partager la salle de bains est
difficile pour les femmes demandeuses d’asile, a fortiori si elles
ont été victimes de violence fondée sur le genre. Elles ont besoin
de pouvoir accéder à des salles de bains séparées et bien éclairées
à toute heure du jour et de la nuit, sans craindre pour leur sécurité.
Il s’agit d’un critère de base pour leur protection contre la violence.
50. En Suède, il n’existe pas non plus de centres d’accueil exclusivement
réservés aux demandeuses d’asile, ce qui peut être traumatisant
et difficile pour les femmes isolées qui ont voyagé seules et ont
subi des violences dans leur pays d’origine ou pendant leur voyage.
Là encore, je suis d’avis que des structures réservées aux femmes
devraient être mises à disposition, compte tenu de l’extrême vulnérabilité
des femmes réfugiées et demandeuses d’asile ayant subi des violences.
Les femmes victimes de violences dans leur pays d’origine ou pendant
leur voyage vers la Suède ne bénéficient pas de soutien spécifique.
Des programmes d’assistance doivent être proposés à toutes les victimes
de violence fondée sur le genre, quel que soit le pays où les violences
ont été perpétrées, conformément aux dispositions de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention
d’Istanbul»).
51. Plusieurs cas de violences perpétrées dans des centres d’accueil
à l’encontre de femmes demandeuses d’asile ont fait les gros titres
dans les médias, mais je n’ai pas obtenu de données officielles
de la police quant au nombre de plaintes. Le Bureau du HCR en Suède
a exprimé son inquiétude quant aux risques de violence sexuelle
et de violence fondée sur le genre dans les centres d’accueil
.
À la suite d’une visite de suivi en décembre 2016, le Bureau du
HCR en Suède a constaté que les femmes seules vivaient dans des
logements mixtes avec des hommes seuls, et qu'elles en éprouvaient
un sentiment de malaise. Durant ma visite, il m’a été rapporté que
la lourde bureaucratie et la peur de la stigmatisation pouvaient
empêcher les demandeuses d’asile de déposer plainte. Quand des violences
sont signalées, leur auteur peut être déplacé vers un autre centre
d’accueil.
52. Le mariage des enfants est de plus en plus souvent évoqué
en Suède. Parfois, avant le départ ou pendant le voyage, des familles
décident de marier leurs filles à des hommes plus âgés afin qu’elles
bénéficient d’une protection et qu’elles évitent les violences aux
mains de plusieurs hommes. Il n’empêche que cette stratégie de défense
constitue une violation des droits des femmes et des droits de l’enfant.
D’après une étude réalisée sur le mariage des enfants par l’Agence
suédoise de l’immigration auprès de réfugiés et de demandeurs d'asile,
132 enfants ont été mariés dans des centres d’accueil, presque tous
arrivés en Suède à l’automne 2015.
53. Le nombre de cas de traite des êtres humains est également
en augmentation. L’Agence suédoise de l’immigration a relevé 195 victimes
de traite des êtres humains (dont 66 mineurs) dans les centres d’accueil
en 2015, et plus de 300 en 2016
. J’ai également
appris que la Suède n’accorde pas l’asile à une personne victime
de traite des êtres humains dans un autre pays, ce qui la met en
sérieux danger d’être à nouveau victime de traite.
54. J’ai pu constater l’engagement des autorités suédoises dans
la lutte contre la violence à l’égard des femmes sous toutes ses
formes et tous les efforts déployés pour fournir des informations
en plusieurs langues sur les services d’aide aux femmes réfugiées
et demandeuses d’asile et lancer des programmes visant à faciliter
leur intégration dans la société suédoise (cours de langues, services
de garde d’enfants, scolarisation des enfants).
55. Tout comme lors de ma mission en Allemagne, en rencontrant
les demandeuses d'asile qui ont accepté de me raconter leur histoire,
j’ai compris combien il est nécessaire de les aider. Je n’oublierai
jamais l’histoire d’une jeune fille de 18 ans contrainte par son
père de quitter l’Irak pour l’Europe (ses parents étaient divorcés, et
sa mère n’approuvait pas son départ). Le père a battu sa fille tous
les jours du voyage et après leur arrivée en Suède. Il l’a également
soumise à une énorme pression psychologique, lui interdisant tout
contact avec quiconque. Elle n’a pas été identifiée comme victime
par les services de l’immigration, ni considérée comme une personne
vulnérable puisqu’elle voyageait avec un membre de sa famille. Elle
a réussi à s’enfuir, s’est rendue à l’hôpital, où les violences
ont été constatées et les services sociaux contactés. Elle a été
confiée à une structure d’accueil administrée par l’ONG Somaya.
Elle a encore trop peur pour porter plainte à la police contre son
père, vit sous la menace et tente de se reconstruire une vie. Elle
attend toujours une décision relative à son statut et, en Irak,
sa mère a reçu des menaces de mort de membres de la famille du père.
56. J’ai également quitté la Suède avec l’histoire d’une Afghane
qui, dans son pays, avait épousé un homme contre la volonté de sa
famille. Suite aux menaces de la famille, ils ont fui vers le Pakistan,
l’Iran, la Turquie, la Grèce puis la Suède, où son mari est devenu
violent à son égard. Elle a quitté son foyer avec ses deux enfants,
l’un d’eux étant autiste, et a vu ses demandes d’asile refusées
à trois reprises, soit le maximum de requêtes qu’un demandeur d'asile
peut présenter. Elle ne sait pas encore ce qu’elle deviendra, et
craint de subir de nouvelles violences si elle est contrainte de
rentrer en Afghanistan.
4.3. Situation
en Autriche
57. Dans la réponse du ministère
de l'Intérieur à mes questions, j’ai appris que toutes les mesures
avaient été prises pour tenir compte de la dimension de genre dans
la crise des réfugiés, et que les groupes vulnérables faisaient
l'objet d'une attention spécifique via le processus de détermination
du statut. D’après ce ministère, l’Autriche a reçu 88 340 demandes
d’asile en 2015, dont 24 478 émises par des femmes (27,7 %)
. En 2016, sur
un total de 42 073 demandes, 13 866 provenaient de femmes. Ces dernières
années, l’Office fédéral de l’asile a recruté plus de 400 agents
supplémentaires pour faire face au nombre croissant des demandes.
58. En Autriche, les centres d’accueil sont gérés au niveau fédéral
ainsi que provincial, avec des conditions d’hébergement variables.
Au niveau fédéral, les centres d’accueil sont gérés par la société
privée ORS. Les agents de sécurité travaillant dans ces centres
reçoivent une formation spécifique et peuvent fournir des informations
sur la prévention de la violence fondée sur le genre.
59. Les réfugiées victimes de violence reçoivent une assistance
psychologique et des soins médicaux. Par ailleurs, j’ai appris que
les femmes bénéficiaient de cours d’allemand, durant lesquels sont
abordés des thèmes liés au genre.
60. Les femmes arrivées seules en Autriche sont logées dans une
maison séparée au centre d’accueil de la ville de Traiskirchen.
La surveillance est assurée par des agents de sécurité femmes et
l’accès à la maison est uniquement réservé aux femmes.
61. En Autriche, les fonctionnaires de police reçoivent aussi
des cours concernant la violence fondée sur le genre dans le cadre
de leur programme général de formation. Depuis 2002, ils participent
au programme de formation «un monde de différence» au cours duquel
ils réfléchissent à leur interaction avec les minorités.
4.4. Situation
en Grèce
62. Dans son rapport sur «Les réfugiés
en danger en Europe»
,
Mme Tineke Strik (Pays-Bas, SOC), rapporteure
pour la commission sur les migrations, les réfugiés et les personnes
déplacées, a mis en lumière la situation de 46 000 réfugiés et migrants
bloqués en Grèce continentale et 8 500 sur les îles suite à la fermeture
de la frontière nord avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
et à l’accord Union européenne-Turquie. Elle a souligné que la Grèce
portait une responsabilité disproportionnée pour répondre à la crise
des réfugiés et des migrants du fait de sa situation géographique,
et qu'elle n'était pas en mesure d'assurer les niveaux élémentaires
de protection.
63. La Grèce a d’abord été considérée comme un pays de transit.
Or, selon le HCR
, la plupart des demandeurs
d’asile et des réfugiés arrivés en Grèce en 2016 sont restés dans
le pays en raison de la fermeture de la frontière nord. Ainsi, les
structures prévues à l’origine comme installations de transit ont
dû accueillir des personnes pour une longue durée, ce qui a posé
un certain nombre de difficultés. Dans de nombreux cas, les conditions
d’accueil n’offraient pas les standards minimum d’accueil, essentiellement
en raison du nombre élevé d’arrivées, mais des efforts ont été réalisés
pour améliorer les sites. Le surpeuplement des centres d’accueil
en Grèce a eu une incidence sur la protection des femmes contre
la violence fondée sur le genre.
64. Le HCR signale que le risque de violence sexuelle et de violence
fondée sur le genre n’a pas été systématiquement pris en considération
lors de la conception des centres d’accueil/de transit et, dans l’ensemble,
le manque de sécurité s’y fait sentir. L’éclairage est insuffisant
et il n’y pas systématiquement d’équipements sanitaires ou de dortoirs
séparés pour hommes et femmes. Le HCR a reçu plusieurs rapports signalant
des violences sexuelles et fondées sur le genre perpétrées dans
des centres d’accueil, notamment des cas de violence domestique,
d’agressions sexuelles et de sexe comme moyen de survie. La police
est présente à l’entrée des sites mais ne patrouille pas à l’intérieur.
Le HCR recommande de dispenser une formation sur la prévention de
la violence sexuelle et de la violence fondée sur le genre ainsi
que d’augmenter le nombre des femmes parmi les fonctionnaires de
police.
65. Le HCR s’occupe de l’identification des groupes vulnérables
à leur arrivée et s’emploie à les loger dans des installations adéquates.
Dans de nombreux cas, les femmes identifiées comme étant des victimes potentielles
ou rescapées de violence sont hébergées dans des installations financées
par le HCR. Des services psychosociaux et juridiques sont proposés
aux rescapées de violence fondée sur le genre dans plusieurs centres
d’accueil et d’identification ainsi que dans des sites d’hébergement
ouverts. Des actions de prévention sont menées par des partenaires
du HCR afin de sensibiliser aux risques de violence fondée sur le genre
et aux services d’assistance disponibles. Le HCR coopère avec les
autorités nationales, et quelques rescapées de violence ont reçu
une aide des dispositifs nationaux proposant de l’aide aux victimes.
4.5. Situation
en Italie
66. Dans le cadre de l’élaboration
de ce rapport, j’ai été en contact avec le bureau du HCR pour l’Europe
du sud
et j’ai reçu
des informations sur les nombres inquiétants de femmes victimes
de violence fondée sur le genre parmi celles arrivées récemment
en Italie. La majorité des femmes arrivant par la mer sont des rescapées
de violence sexuelle et de violence fondée sur le genre, y compris
d'agressions sexuelles subies au cours du voyage, principalement
en Libye mais aussi pendant la traversée en bateau. Des hommes et
des garçons ont aussi été identifiés comme rescapés de violence
sexuelle et de violence fondée sur le genre.
67. L’absence d’un environnement sécurisé lors du débarquement,
et souvent de grands centres d’accueil, et une méconnaissance de
la violence sexuelle, de la violence fondée sur le genre et des
groupes en danger, constituent un défi majeur. Selon le HCR, il
faudrait renforcer l’identification et le traitement de la violence sexuelle
et de la violence fondée sur le genre tout au long du processus
d'accueil en Italie, notamment en veillant au renvoi systématique
et standardisé vers des systèmes nationaux s’occupant des victimes
de violence fondée sur le genre, de mutilations génitales féminines
(MGF) et de traite. À cette fin, il est nécessaire de former davantage
le personnel travaillant en première ligne avec des demandeurs d’asile
afin de faire face aux cas de violence fondée sur le genre.
68. Le HCR a également signalé une augmentation du nombre de femmes,
en particulier nigérianes, qui auraient été victimes de traite et
d’exploitation sexuelle au cours des trois dernières années.
69. Néanmoins, l’Italie n’est pas exempte de bonnes pratiques
telles que les programmes nationaux de la lutte contre les MGF,
la traite des êtres humains et la violence fondée sur le genre;
la présence d’organisations humanitaires et de santé dans les lieux
de débarquement; et une plateforme de formation en ligne sur les
MGF (projet mis en œuvre par l’Associazione
Italiana Donne per lo Sviluppo), à l’intention des services
de secteurs d’intervention, qui comprend un module consacré aux
réfugiés et aux migrants.
4.6. Situation
en Turquie
70. La situation des femmes réfugiées
et demandeuses d’asile en Turquie, pays qui accueille aujourd’hui près
de 3 millions de réfugiés, mérite elle aussi toute notre attention,
et je recommande à la commission sur l’égalité et la non-discrimination
de se pencher tout particulièrement sur cette question, notamment
sur les cas de violence sexuelle, de harcèlement, de mariages forcés,
de mariages d’enfants et de traite des êtres humains.
71. Par ailleurs, il convient d’analyser l’impact de l’accord
signé entre l’Union européenne et la Turquie sur les femmes. La
Turquie a conclu avec l’Union européenne un accord stipulant que
le pays reprendrait les réfugiés arrivant en Grèce par des voies
clandestines après le 20 mars 2016. La Women’s Refugee Commission
a manifesté ses craintes quant à la sécurité de celles et ceux qui
sont renvoyés et, en général, aux cas de violence fondée sur le
genre à l’encontre des femmes réfugiées
.
5. La
responsabilité d’assurer la protection des femmes réfugiées et demandeuses
d’asile contre la violence
72. L’assistance aux réfugiées
et demandeuses d’asile victimes de violence fondée sur le genre
nécessite un travail de longue haleine. Il faut parfois attendre
plusieurs mois avant qu’une femme accepte de raconter son histoire
et de demander de l’aide. Il est dès lors essentiel qu’elles établissent
une relation de confiance avec les personnes travaillant dans les
structures d’accueil et avec celles qui leur rendent visite dans
les hébergements situés en dehors de ces centres. Les travailleurs
sociaux, les fonctionnaires des services de l’asile, les surveillants
et les policiers devraient tous être formés pour savoir déceler
les signes de violence fondée sur le genre et comment réagir pour
apporter rapidement une aide. Proposer des formations sur la prévention
des violences fondées sur le genre à tous les personnels des centres
d’accueil s’inscrit dans le cadre de notre devoir de protéger les
femmes réfugiées et demandeuses d’asile contre la violence.
73. La détermination du statut de réfugié doit se faire en prenant
en considération les questions de genre. Chaque demandeur d’asile
devrait avoir la possibilité de demander que son interprète et l’agent
en charge de son dossier soit de sexe féminin ou masculin. Certaines
femmes croient qu’elles ne pourront pas obtenir le statut de réfugiée
si elles quittent leur mari. Sous la pression de leur famille, elles
décident parfois de rester auprès d’un mari violent. Si elle a la
possibilité de s’entretenir seule à seule avec une fonctionnaire
des services de l’asile, une femme pourra se sentir plus à l’aise
pour raconter son histoire, tout particulièrement si elle a subi des
violences sexuelles.
74. L’accès à l’information en plusieurs langues et la présence
d’interprètes de sexe féminin sont également des aspects essentiels,
de même que la création de structures réservées aux femmes réfugiées
et demandeuses d’asile. Arne Treves, administrateur du HCR chargé
de la protection, a également souligné, lors de notre audition de
juin 2016, qu’il fallait redoubler d’efforts pour garantir le recrutement
d’un nombre important d’interprètes de sexe féminin, car celles-ci
jouent un rôle fondamental dans le soutien aux victimes.
75. Des recommandations majeures existent déjà au niveau international
pour la protection des femmes réfugiées et demandeuses d’asile contre
la violence. Je voudrais par conséquent promouvoir la mise en œuvre des
directives du Comité permanent inter-agences pour l’intégration
d’interventions ciblant la violence basée sur le genre dans l’action
humanitaire, adoptées par les Nations Unies en 2015. Il faut affecter
des moyens suffisants à leur mise en œuvre. Ces directives doivent
servir de principe directeur pour l’aménagement des centres de transit
et d’accueil, où que ce soit. Nous devons reconnaître que la crise
des réfugiés en Europe requiert une aide humanitaire d’urgence.
Ces directives peuvent contribuer à réduire les risques et à combler les
lacunes en matière de protection en instituant des garanties
.
76. Un autre instrument clé est incontestablement la Convention
d’Istanbul, qui prévoit la protection des femmes réfugiées contre
la violence et impose aux Parties à la Convention de reconnaître
la violence fondée sur le genre comme une forme de persécution au
sens de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut
des réfugiés
. Il exige
que les motifs d’asile énumérés dans la Convention sur les réfugiés
fassent l’objet d’une interprétation sensible au genre
.
77. J’aimerais souligner que dans son article 4.3, la Convention
d’Istanbul fait obligation aux Parties de mettre en œuvre ses dispositions
sans discrimination aucune, fondée notamment sur le statut de migrant
ou de réfugié, ou toute autre situation. La convention prévoit par
conséquent des mesures préventives, des services de soutien pour
les femmes réfugiées et demandeuses d’asile, ainsi que des mesures
visant à poursuivre les auteurs de violences. Un autre aspect important
est l’obligation de développer des procédures d’accueil sensibles
au genre et des services de soutien pour les demandeurs d’asile
(article 60.3). En outre, l’article 25 fait obligation aux Parties
de faire en sorte que des centres d’aide d’urgence pour les victimes
de viols et de violences sexuelles soient facilement accessibles
et puissent leur dispenser un plein soutien pour tous les aspects
liés au traumatisme et ce, quel que soit l’endroit où les violences
ont été perpétrées. Ce n’est pas encore le cas partout, comme j’ai
pu le constater en Suède.
78. La Convention d’Istanbul est l’instrument international le
plus avancé pour la protection de toutes les femmes, quel que soit
leur statut, contre la violence fondée sur le genre. Elle appelle
également les Parties à respecter le principe du non-refoulement
(article 61), qui garantit que les femmes victimes de violence nécessitant
une protection internationale ne sont pas refoulées vers un pays
où leur vie serait en péril.
79. J’entends appeler les États qui ne l’ont pas encore ratifiée
à le faire et à la mettre en œuvre sans plus tarder. Protéger les
femmes réfugiées de la violence fondée sur le genre ne veut pas
dire une protection moindre pour d’autres femmes. La Convention
d’Istanbul préconise un mécanisme de protection global pour toutes
les personnes concernées.
80. Des femmes réfugiées et demandeuses d’asile ont été ou sont
exposées au risque de devenir victimes de la traite des êtres humains
à des fins d’exploitation sexuelle. Je tiens aussi à lancer un appel
pour qu’une plus grande attention soit accordée à cette question
et à la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur
la lutte contre la traite des êtres humains. Une approche de la
prévention de la traite des êtres humains intégrant la dimension
de genre doit être davantage encouragée.
81. Une personne ne devrait pas risquer sa vie pour trouver une
protection. Ce rapport représente aussi une occasion de préconiser
des modalités de regroupement familial et des programmes de réinstallation
, qui comptent
parmi les voies les plus sûres de permettre aux femmes demandeuses
d’asile d’atteindre leurs pays de destination en toute sécurité.
Il existe peu de programmes de réinstallation dans l’Union européenne –28 540 réfugiés
réinstallés entre 2011 et 2015
.
Les modalités de regroupement familial, les programmes de réinstallation
et les dispositifs de réinstallation d’urgence contribuent à la
protection des femmes demandeuses d’asile contre la violence fondée
sur le genre; ils ne doivent pas être restreints mais, au contraire,
activement promus. En outre, j’aimerais souligner que ces programmes
doivent aussi être mis à la disposition des femmes déplacées à l’intérieur
de leur pays qui sont exposées aux risques de violence
.
6. Le
défi de l’intégration
82. Les femmes demandeuses d’asile
et réfugiées victimes de violence fondée sur le genre se trouvent exposées
à de multiples facteurs de vulnérabilité; nous avons la responsabilité
non seulement de les protéger contre de nouvelles violences, mais
aussi de les aider à se reconstruire et à se trouver une place dans
nos sociétés. En raison des conflits qui s’éternisent dans leurs
pays d’origine, il est peu vraisemblable que ces femmes retournent
chez elles à court terme; il est donc important qu’elles s’intègrent
dans les pays de destination.
83. L’autonomisation économique des femmes réfugiées contribuera
à les protéger de futures violences. C’est pourquoi leur intégration
économique est essentielle. Dans cette perspective, l’accès des
réfugiées aux cours de langue revêt une importance décisive. Cela
permettra la reconnaissance de leur savoir-faire et de leurs compétences
et leur donnera la possibilité de rechercher un emploi. Comme le
fait remarquer Lawen Redar, membre du Parlement suédois, elles ont
besoin d’accéder au marché du travail pour s’intégrer dans la société,
obtenir leur indépendance et se protéger contre la violence. Elles
seront moins susceptibles de continuer à vivre avec un homme violent
si elles ont un travail.
84. Les États qui accueillent des réfugiés ne doivent pas hésiter
à investir dans des programmes d’intégration, tant économique que
sociale, et d’autonomisation. Les premières mesures en ce sens consistent à
proposer des cours de langue, des services de garde d’enfants et
la reconnaissance des compétences professionnelles. Il faut promouvoir
des modèles de réussite parmi les femmes réfugiées afin de montrer
des exemples positifs de femmes réfugiées ayant fait carrière. J’attends
avec intérêt le rapport de Mme Gabriela Heinrich
(Allemagne, SOC) intitulé «Les migrations sous l’angle de l’égalité
entre les femmes et les hommes: donner aux femmes les moyens d’être
des actrices essentielles de l’intégration», qui nous proposera
des recommandations concrètes sur cette question fondamentale.
85. Je me félicite que le Bureau de la secrétaire d’État du Gouvernement
fédéral allemand en charge des migrations, des réfugiés et de l’intégration
ait reçu des crédits d’un montant de 20 millions d’euros pour recenser
les besoins en matière d’intégration, élaborer des recommandations
et lancer des programmes d’intégration. L’un des objectifs de ces
programmes consiste à aider les femmes réfugiées à réaliser leur potentiel.
Les réfugiées suivent des cours d’intégration d’une durée de 600 heures
sur la vie en Allemagne, qui comprennent des informations sur l’égalité
entre les femmes et les hommes. La garde des enfants est assurée pendant
les cours afin de faciliter la participation des femmes. L’organisation
de ces cours représente une première étape positive.
86. Les réfugiés apportent leur savoir-faire et leurs compétences
et sont animés par la volonté de faire du pays de destination leur
nouveau foyer. Je ne peux que mettre en garde contre les déclarations
populistes les présentant comme un fardeau pour l’Europe. Ma conviction
est que l’Europe peut apprendre et a beaucoup à gagner de l’expérience
des réfugiés, et qu’elle ne fait que mettre en pratique et respecter
ses valeurs fondamentales lorsqu’elle les accueille pour les protéger
des atrocités de la guerre. Favoriser l’intégration sociale des
réfugiés est donc essentiel pour vaincre les préjugés et pour assurer
un «vivre ensemble» harmonieux.
87. Nous ne devrions pas oublier que les femmes réfugiées peuvent
être victimes en Europe de discriminations multiples fondées sur
leur sexe, sur leur origine ethnique, sur leur statut ou sur leur
religion. Elles sont encore trop souvent tenues pour insignifiantes
par la majorité de la population, qui ne voit pas l’intérêt de la
diversité pour notre société. Les protéger de la violence fondée
sur le genre n’est qu’une première étape. Combattre et condamner
les discriminations multiples est un élément de plus en plus important
pour favoriser l’intégration à tous les niveaux. J’encourage pour
cette raison les campagnes de sensibilisation à la richesse que
représentent les réfugiés pour la société.
7. Principales
recommandations
88. Des mesures concrètes peuvent
être prises pour renforcer la protection des femmes de la violence fondée
sur le genre. Ces mesures comprennent l’aménagement de dortoirs
séparés et sécurisés ainsi que des installations sanitaires bien
éclairées réservées aux femmes dans les centres de transit et d’accueil.
Il faut encourager et soutenir la création d’espaces sûrs dans tous
les centres de transit et d’accueil et, dans les hébergements collectifs,
favoriser la présence d’effectifs féminins en nombre suffisant parmi
les agents de sécurité. Des structures d’accueil séparées pour les
femmes réfugiées et demandeuses d’asile et pour les femmes non accompagnées
devraient être disponibles et offrir une sécurité suffisante. Ne
pas faire de la sécurité des femmes une priorité est une erreur
lourde de conséquences à long terme pour les victimes.
89. Il est aussi essentiel de donner aux migrantes, dans une langue
qu’elles comprennent, des informations sur leurs droits et sur les
mécanismes de plainte et les services d’assistance auxquels elles
peuvent avoir recours. Il faut, en outre, mettre en place une formation
spécifique sur les moyens de déceler et de prévenir les violences
fondées sur le genre à l’intention du personnel (y compris les surveillants)
qui travaille dans les centres de transit et d’accueil. Les policiers,
les gardiens dans les camps, les gardes-frontières, les fonctionnaires
des services de l’asile et les travailleurs sociaux travaillant
dans les centres de transit et d’accueil doivent avoir un comportement
exemplaire et faire clairement savoir que la violence fondée sur
le genre ne restera pas impunie. Ils doivent recevoir des indications
claires sur la façon de repérer les groupes vulnérables et les victimes
potentielles de violence.
90. Afin de mieux déceler les cas de violence pendant le transit
et de prendre les mesures voulues, des mécanismes transfrontaliers
de protection des victimes de violence doivent être mis en place.
Il convient d’encourager le signalement de toute violence, quel
que soit le statut juridique de la victime.
91. Il faut, en outre, faciliter l’accès gratuit aux soins de
santé sexuelle et reproductive, ainsi qu’à l’aide juridique. Des
soins médicaux généraux et post-traumatiques devraient être disponibles,
de même qu’un soutien psychologique. La création de groupes d’entraide
dans les camps de réfugiés, de structures d’accueil et de foyers
pour femmes victimes de violence est une bonne pratique qui doit
être encouragée.
92. Les fonctionnaires des services de l’immigration devraient
rendre fréquemment visite aux femmes demandeuses d’asile et réfugiées
qui vivent dans des structures autres que les structures d’accueil
gérées par l’État. Le respect des normes en matière de protection
doit être garanti quel que soit le type d’hébergement.
93. Lorsque l’externalisation et la privatisation des services
aux demandeurs d’asile et aux réfugiés s’imposent en raison d’arrivées
massives, il convient de mettre en place un dispositif de contrôle
rigoureux pour assurer le suivi et la détection des cas de violence
– si possible, avec la présence d’un agent de contrôle du HCR. Pour
assurer le respect des normes, il est impératif que les services
privatisés, y compris l’hébergement et la prestation de cours de
langue, soient soumis à des contrôles de la qualité.
94. Dans la mesure du possible, réinstallation et regroupement
familial sont à encourager et soutenir. Ces mesures représentent
des voies sûres vers le pays de destination pour les femmes demandeuses
d’asile victimes de violence fondée sur le genre. Je déplore que,
à ce jour, malgré les appels du HCR, peu de programmes de réinstallation
soient en place. Il faut aussi prévoir des dispositifs de réinstallation
d’urgence – par exemple, des programmes humanitaires spécifiques
pour les femmes victimes de violence fondée sur le genre non accompagnées
ou seulement de leurs enfants – afin de faciliter le voyage vers
un lieu sûr.
95. Il importe de continuer à défendre des procédures d’asile
respectueuses de l’égalité femmes-hommes, étant donné que cela donne
la possibilité d’avoir un entretien séparé sans que des membres
de la famille ne soient présents. À cet égard, je tiens à rappeler
la
Résolution 1765 (2010) et la
Recommandation
1940 (2010) de l’Assemblée sur les demandes d’asile liées au genre.
Il faut demander aux femmes si elles préfèrent parler en présence
de fonctionnaires et d’interprètes des services de l’asile de sexe
féminin plutôt que masculin, et la confidentialité des informations
doit être garantie. Le personnel chargé du traitement des dossiers
devrait suivre une formation systématique sur le repérage de la
violence fondée sur le genre et utiliser des informations tenant
compte des aspects liés au genre émanant du pays d’origine. Les
femmes devraient pouvoir obtenir leur propre titre de séjour, afin
qu’elles ne craignent pas de perdre leur statut si elles quittent un
mari violent.
96. La ratification de la Convention d’Istanbul représente un
engagement concret en faveur de la protection de toutes les femmes
contre la violence fondée sur le genre. Ce rapport est une nouvelle
occasion d’appeler à la ratification et à la mise en œuvre sans
plus tarder de cet instrument qui peut renforcer considérablement la
protection de toutes les femmes contre la violence fondée sur le
genre, y compris lorsqu’elles sont demandeuses d’asile et réfugiées.
La convention exige clairement des États Parties qu’ils reconnaissent
la violence fondée sur le genre comme une forme de persécution au
sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
97. L’offre de cours de langue, la reconnaissance des savoir-faire
et des compétences et l’accès au marché du travail sont les clés
de l’émancipation, de la réadaptation et de la protection des femmes
réfugiées contre la violence. Sur le long terme, j’ai la conviction
que l’intégration des femmes réfugiées sera la réponse la plus efficace
à la violence fondée sur le genre.
8. Conclusions
98. Nous devons reconnaître qu’il
faut faire davantage pour protéger les femmes réfugiées et demandeuses d’asile
de la violence fondée sur le genre. Il nous incombe d’assurer une
vie sans violence dans le havre de paix qu’elles ont choisi. Ces
femmes se heurtent à des difficultés et à des discriminations multiples;
nous devons les aider à se reconstruire et à trouver leur place
dans nos sociétés.
99. Il est urgent d’assurer la protection des femmes réfugiées
et demandeuses d’asile contre la violence fondée sur le genre à
chaque étape de leur voyage. Certes, il peut s’avérer difficile
pour un pays d’être prêt à accueillir un nombre important de demandeurs
d’asile, mais des mesures de protection concrètes peuvent être prises
sans nécessairement entraîner des coûts élevés.
100. Notre gestion de la crise des réfugiés reflète notre disposition
à défendre les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Je
me sens réconfortée par des mouvements populaires tels que les manifestations
de masse organisées le 18 février 2017 à Barcelone pour réclamer
à l’État espagnol d’accueillir plus de réfugiés. J’ai aussi été
rassurée par les manifestations de solidarité envers les réfugiés
dans plusieurs États membres et j’espère sincèrement que ce type
d’actions continuera de se développer au fil des prochaines années. J’aimerais
saluer la générosité de M. Prokópis Pavlópoulos, Président de la
République hellénique, qui a dit aux enfants réfugiés qu’ils seront
chez eux en Grèce aussi longtemps que leur pays d’origine restera dangereux
.
En tant que membres de l’Assemblée parlementaire, nous avons la
responsabilité d’agir. Nous devons non seulement appeler nos gouvernements
à faire preuve de davantage de solidarité envers les réfugiés et
les demandeurs d’asile, mais aussi réagir à chaque fois que des
réfugiés servent de boucs émissaires et de cible aux discours de
haine.