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Rapport | Doc. 14337 | 09 juin 2017

Mettre fin aux violences sexuelles et au harcèlement des femmes dans l’espace public

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Françoise HETTO-GAASCH, Luxembourg, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4183 du 29 janvier 2016. 2017 - Troisième partie de session

Résumé

Fermement condamnés par la Convention d’Istanbul, les violences sexuelles et le harcèlement des femmes dans l’espace public sont un phénomène universel qui est largement ignoré. Les événements de Cologne lors de la Saint-Sylvestre 2015 ont montré la nécessité de faire entrer ce sujet dans le débat public.

Le rapport vise à faire prendre conscience de l’ampleur de ce phénomène et de la nécessité de lutter contre ces violences. Les éventuels témoins ont un rôle important à jouer dans ce contexte, or ils réagissent rarement. Cette absence de réaction aggrave l’impact psychologique des violences sur les victimes, à savoir un sentiment d’insécurité, de culpabilité et de honte, et contribuent à perpétuer la violence. Le rapport souligne le rôle positif que les hommes ont à jouer dans la lutte contre les violences dans l’espace public au même titre que les médias, qui ont une responsabilité à communiquer objectivement sur ces violences.

Les Etats membres et observateurs sont appelés, entre autres, à ratifier la Convention d’Istanbul, mettre fin à l’impunité en poursuivant les auteurs des violences, sensibiliser l’opinion publique grâce à des campagnes dédiées et lutter contre les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 18 mai 2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire condamne sans réserve toutes les formes de violence faites aux femmes et rappelle que ces violences sont une manifestation des rapports de force historiquement inégaux  entre les femmes et les hommes et ne peuvent être résolues sans un changement fondamental des mentalités.
2. Dans sa résolution 2093 (2016) «Attaques récentes contre des femmes: nécessité d'une communication objective et d'une réponse globale», l’Assemblée a reconnu que la violence exercée au sein d’une foule représente une autre dimension des violences faites aux femmes. A cet égard, l’Assemblée note avec inquiétude l’ampleur du phénomène des violences sexuelles et de harcèlement des femmes dans l’espace public. Ce phénomène est universel et peut toucher toutes les femmes, tandis que les auteurs de ces violences sont issus de toutes catégories sociales, de toutes cultures et de tous âges.
3. Alors que ces violences ont lieu dans l’espace public, parfois devant des dizaines de personnes, les femmes se trouvent souvent seules face à leurs agresseurs, en l’absence de réaction des témoins. Cette indifférence généralisée ne fait qu’aggraver le sentiment d’insécurité et d’impuissance des victimes. En effet, la plupart n’ose pas porter plainte par peur de ne pas être comprises ou de se heurter à une banalisation des faits. L’Assemblée déplore cette approbation silencieuse des violences sexuelles et de harcèlement des femmes dans l’espace public qui contribue à perpétuer l’impunité des agresseurs.
4. Le sentiment de crainte et d’insécurité dans l’espace public de même que dans les transports en commun ont un impact psychologique sur les victimes et affecte le quotidien des femmes. Elles finissent par adapter leur comportement, y compris en adoptant des stratégies d’évitement voire en se retirant de l’espace public. Par ailleurs, l’aménagement de cet espace public favorise les hommes, soit parce qu’il privilégie des structures et des équipements qui sont réservés à leur usage, soit parce qu’il n’est pas suffisamment sûr pour les femmes.
5. L’Assemblée salue les différentes campagnes de sensibilisation qui visent à prévenir et à lutter contre les violences sexuelles et le harcèlement des femmes dans l’espace public. Elles jouent un rôle essentiel pour sensibiliser l’opinion publique et pourraient mettre fin à la passivité des témoins de ces violences. Les médias ont également une responsabilité importante pour couvrir objectivement les faits, en se focalisant sur les violences et leur impact sur les victimes et non pas sur les comportements des femmes qui subissent ces violences ou sur les origines réelles ou supposées de leurs agresseurs. Les médias peuvent aussi être des relais efficaces des campagnes de sensibilisation.
6. L’Assemblée est convaincue que les hommes ont un rôle positif à jouer dans la prévention et la lutte contre les violences sexuelles et le harcèlement des femmes dans l’espace public. En tant que pères, amis, décideurs, journalistes, agents publics, dirigeants politiques et religieux, ils peuvent dénoncer publiquement la violence d’autres hommes, remettre en question les valeurs et les normes sociales qui perpétuent les discriminations et promouvoir les idées qui favorisent la non-violence et l’égalité de genre.
7. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe:
7.1. à signer et à ratifier sans plus attendre, pour les États qui ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), et à assurer sa pleine mise en œuvre, ce qui suppose l’inscription dans les codes pénaux nationaux des violences sexuelles et du harcèlement dans l’espace public;
7.2. à mettre fin à l’impunité en poursuivant les auteurs des violences sexuelles et de harcèlement dans l’espace public;
7.3. à mener des enquêtes sur le harcèlement et les violences sexuelles à l’égard des femmes dans l’espace public afin de mieux comprendre l’ampleur du phénomène et à lancer des actions pouvant contribuer à lever les tabous sur cette question;
7.4. à lancer et à soutenir des campagnes de sensibilisation sur la nécessité de prévenir et combattre les violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public, y compris des campagnes appelant les témoins de violences à réagir et à intervenir, et des campagnes s’adressant spécifiquement aux hommes;
7.5. à mener des actions spécifiques de prévention, notamment en développant des programmes scolaires d'éducation sexuelle et relationnelle, ainsi qu'un soutien au personnel éducatif chargé de les dispenser, dans le but d'informer les enfants sur l’égalité entre les femmes et les hommes, les stéréotypes de genre, l’impact des violences sexuelles sur les victimes et la notion de consentement;
7.6. à mener des actions de prévention dans les structures accueillant des réfugiés et des demandeurs d’asile, permettant ainsi de discuter des valeurs d’égalité et des codes sociaux de leur nouvel environnement;
7.7. à engager un dialogue avec les médias sur leur responsabilité à communiquer objectivement sur les violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public et les inciter à donner de la visibilité aux campagnes de sensibilisation et aux associations œuvrant contre les violences faites aux femmes;
7.8. à adopter et à mettre résolument en œuvre une politique de tolérance zéro à l’égard des violences contre les femmes dans l’espace public, en assurant, lors de grands événements, la présence, de manière visible et en nombre suffisant, de forces de police sensibilisées et formées à l’assistance aux victimes de violence, ainsi qu’en réglementant et en contrôlant la consommation de stupéfiants et d’alcool lors des événements qui présentent un fort risque de débordements et de violences;
7.9. à concevoir des villes dites bienveillantes en prenant en compte la dimension de genre dans l’aménagement urbain et dans les transports en commun, de manière à assurer la sécurité et le bien-être de toutes et tous.
8. L’Assemblée exhorte les parlementaires, y compris les parlementaires des parlements ayant le statut de partenaire pour la démocratie, à condamner toutes les formes de violence faites aux femmes, notamment les violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public, et à soutenir et contribuer activement aux efforts de sensibilisation.

B. Exposé des motifs, par Mme Françoise Hetto-Gaasch, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Les attaques de Cologne et dans d’autres villes européennes la nuit du 31 décembre 2015 au1er janvier 2016 ont durablement marqué les esprits. Selon la police, 1 200 femmes auraient été victimes de harcèlement et de violences sexuelles en Allemagne cette nuit-là 
			(2) 
			Allemagne:
1 200 femmes auraient été agressées le 31 décembre 2015, certaines
par plusieurs hommes, Le Monde, 11
juillet 2016.. De nombreuses victimes ont porté plainte afin non seulement de poursuivre les auteurs de ces violences mais aussi de briser le silence qui les entourent.
2. Si leur ampleur est inégalée à ce jour en Europe, ces attaques ne sont pas un événement isolé. Trop souvent encore, nous pouvons lire dans les journaux des histoires de harcèlement et de violences sexuelles ou en être témoin dans la rue ou en prenant les transports en commun. Les réactions des passants et autres passagers sont rares, que ce soit dans les cas de harcèlement ou de violences sexuelles. Ces violences quotidiennes dans l’espace public seraient devenues «banales et invisibles», selon Marylène Lieber, docteur en sociologie et professeure associée en études sur le genre à l’université de Genève 
			(3) 
			Lieber Marylène, Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité
des femmes en question, Paris, Les Presses de Sciences
Po, 2008..
3. Les témoignages recueillis en ligne sur diverses plateformes sont édifiants et appuient cette thèse. Le harcèlement en particulier est devenu un fait commun, que ce soit dans la rue, sur le lieu de travail ou à l’université. Il est minimisé lorsqu’il est dénoncé, les femmes étant accusées de ne pas savoir accepter un compliment et de ne plus faire de différence entre tentative de séduction peut-être peu élégante et harcèlement. Les commentaires à la suite de la publication d’articles sur le harcèlement reflètent bien cette volonté de minimiser le phénomène.
4. Afin d’éviter de recevoir des remarques désobligeantes ou pire, se faire agresser, des femmes et des jeunes filles choisissent de s’habiller de façon à cacher leurs formes avant d’emprunter les transports publics. Ces violences créent donc un sentiment de crainte qui non seulement exaspère mais peut aussi modifier les habitudes, les comportements ou un mode de vie, remettant en cause la place des femmes dans l’espace public et leur liberté d’y circuler sans contraintes.
5. Le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public ne sont pas propres à quelques pays. En effet, les résultats de l’enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne indiquent que depuis l’âge de 15 ans entre 45 % et 55 % des femmes dans l’Union européenne ont été victimes de harcèlement sexuel et une femme sur trois a été victime de violence physique ou sexuelle 
			(4) 
			L’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne a réalisé des entretiens avec
42 000 femmes issues des 28 États membres de l’Union européenne:
Violence à l’égard des femmes: une enquête à l’échelle de l’UE,
Les résultats en bref, mars 2014.. Le phénomène est donc universel et peut toucher toutes les femmes.
6. Le présent rapport touche aux questions fondamentales d’égalité entre les femmes et les hommes, de vivre-ensemble et de respect mutuel. Il fait suite à celui de M. Jonas Gunnarsson sur les «Attaques récentes contre des femmes: nécessité d'une communication objective et d'une réponse globale», débattu en séance plénière de l’Assemblée parlementaire lors d’un débat d’urgence en janvier 2016 
			(5) 
			Doc. 13961, Résolution
2093 (2016).. La commission sur l’égalité et la non-discrimination a été saisie pour rapport par l’Assemblée dans le cadre du suivi à apporter à ce rapport 
			(6) 
			Renvoi 4183 du 29 janvier
2016..

2. Objectifs et portée du rapport

7. Ce rapport traite de la question des violences sexuelles et du harcèlement de rue, dans les transports, lors d’événements publics et dans l’espace public en général 
			(7) 
			Concernant les autres
travaux pertinents de la commission, voir Résolution 2144 (2017) et Recommandation
2098 (2017) «Mettre fin à la cyberdiscrimination et aux propos haineux
en ligne», Résolution
1962 (2013) sur le harcèlement et Résolution 2084 (2015) «Promouvoir les meilleures pratiques dans la lutte contre
la violence à l’égard des femmes».. Il se concentre sur les moyens de lutte contre ces violences, leur impact sur les victimes et la nécessité de réfléchir à l’occupation de l’espace public. Est-ce que femmes et hommes occupent l’espace public de la même façon? Sinon, quelle est la place des femmes dans cet espace? Est-ce un endroit pour tous ou est-il réservé à quelques hommes qui méprisent des dizaines d’années d’émancipation et d’autonomisation? L’occupation de l’espace urbain est-elle genrée?
8. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, j’ai tenu des rencontres bilatérales lors des parties de session à Strasbourg, notamment avec Mme Sophie-Anne Dirringer, Déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité (Bas-Rhin), M. Thomas Foerhlé, Directeur de l’organisation SOS Femmes Solidarité, et Mme Françoise Bey, Adjointe au maire de Strasbourg en charge des droits des femmes. Ces rencontres m'ont fait découvrir les dispositifs mis en place en Alsace afin de lutter contre les violences sexuelles et le harcèlement dans l'espace public. 
9. J’ai également effectué une visite d’information à Cologne le 14 février 2017 où j’ai rencontré le procureur de la ville, le chef de la police et son équipe travaillant sur la lutte contre les violences sexuelles, le président de la Commission d’enquête spéciale du Parlement régional de Nordrhein-Westfalen sur les violences de la Saint Sylvestre 2015-2016, une représentante de la mairie et plusieurs organisations non gouvernementales (ONG). Cette visite m’a permis de faire le point sur les résultats de l’enquête susmentionnée et de voir quelles actions ont été entreprises depuis afin de prévenir le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public.
10. Enfin, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a tenu une audition le 20 mars 2017 à Paris avec la participation de Mme Chris Blache, consultante en ethno-sociologie, co-fondatrice de Genre et Ville (Paris) et de Mme Jo-Ann Enright, Responsable de communication, coordinatrice de campagne au sein de l’organisation ActionAid Irlande.
11. Je tiens à remercier toutes ces personnes qui ont accepté de me rencontrer et de partager leur expérience, ainsi que les membres de la commission pour leurs contributions. Je tiens également à remercier le secrétariat de la délégation allemande auprès de l’Assemblée parlementaire pour son précieux soutien dans la préparation de la visite d’information à Cologne. Le sujet reste sensible en Allemagne, cette nuit ayant même été qualifiée de nuit ayant profondément changé le pays, mais j’ai pu discuter ouvertement des événements, des éventuels manquements des autorités dans leur gestion et des réactions qui ont suivi.
12. J’espère que ce rapport contribuera à faire prendre conscience de la nécessité d’agir face au harcèlement et aux violences sexuelles dans l’espace public, non seulement aux autorités publiques, mais aussi aux ONG et à toute personne pouvant se trouver à un moment donné témoin de faits de violence.

3. Harcèlement de rue et violences sexuelles

3.1. Définitions

13. Le harcèlement est une forme de violence à l’égard des femmes souvent ignorée ou considérée comme étant moins grave que les violences physiques. Pourtant, l’article 34 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul») le condamne fermement. En vertu de cet article, les Etats Parties sont tenus de prendre les «mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, d’adopter, à plusieurs reprises, un comportement menaçant dirigé envers une autre personne, conduisant celle-ci à craindre pour sa sécurité». Le harcèlement, qui est la manifestation d’une volonté de domination, se caractérise par des insultes, des commentaires sur l’apparence physique, des menaces et des propos injurieux qui visent à créer un sentiment d’insécurité.
14. Dans son avis 
			(8) 
			Publié
le 16 avril 2015. sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (France) propose une définition relativement complète du harcèlement sexiste: «Le fait d’imposer tout propos ou comportement, à raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle supposée ou réelle d’une personne, qui a pour objet ou pour effet de créer une situation intimidante, humiliante, dégradante ou offensante portant ainsi atteinte à la dignité de la personne. Il peut prendre des formes diverses comme par exemple des sifflements ou des commentaires sur le physique, non punis par la loi, ou des injures, punies par la loi.» D’après le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, «les violences sexuelles recouvrent l’exhibition et le harcèlement sexuel ainsi que les agressions sexuelles (mains aux fesses, frottements) dont le viol».
15. La Convention d’Istanbul condamne également les violences sexuelles. Son article 36 demande aux Parties d’ériger en infraction pénale la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, les autres actes à caractère sexuel non consentis et le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers. Cet article met aussi l’accent sur la question du consentement, qui doit être donné volontairement.
16. Afin de prévenir et de lutter efficacement contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public, il est essentiel de ratifier et de mettre en œuvre sans plus attendre la Convention d’Istanbul. Les législations nationales devraient ériger ces violences en infraction pénale, indépendamment de l’identité de l’auteur ou de l’endroit où les violences se sont produites, et mentionner explicitement l’importance du consentement.

3.2. Illustration du problème

17. Pour illustrer le problème, je voudrais me pencher sur l’étude de quelques faits marquants ces dernières années, y compris des reportages et études, ayant contribué à lancer un débat public sur le harcèlement de rue et les violences sexuelles, et à faire évoluer les mentalités sur ces questions.
18. Les attaques contre les femmes la nuit du 31 décembre 2015 au 1er janvier 2016 à Cologne ont suscité de nombreuses discussions et fait indéniablement entrer la question des violences faites aux femmes dans l’espace public dans le débat politique. M. Jürgen Mathies, Chef de la police de Cologne, a confirmé lors de notre rencontre le 14 février 2017 que les forces de police ont été surprises par ces attaques et par leur ampleur. Elles n’ont plus eu la situation sous leur contrôle et ont été dépassées par les événements. M. Jakob Klaas, procureur de la ville de Cologne, a affirmé que 1 222 plaintes ont été déposées, dont 513 concernant des agressions sexuelles (28 viols ou tentatives de viol). Ses services ont utilisé tous les moyens possibles dans le cadre de cette enquête (267 enquêtes menées en parallèle). Au total, 348 suspects ont été identifiés, dont 87 en relation avec des agressions sexuelles. A ce jour, deux suspects ont été reconnus coupables d’agressions sexuelles (un an d’emprisonnement) et un d’insultes à caractère sexuel.
19. M. Peter Biesenbach, Président de la Commission d’enquête spéciale du Parlement régional de Nordrhein-Westfalen m’a dit que la commission d’enquête n’a pas trouvé d’éléments permettant d’affirmer qu’il s’agissait d’attaques organisées à l’avance. Par ailleurs, il y aurait eu une répartition inefficace des rôles entre les différentes forces de police. Entre 1 500 et 2 000 jeunes hommes étaient présents sur la place de la gare et dans la gare cette nuit-là, contre une quarantaine de policiers. D’après M. Biesenbach, les renforts de police n’auraient pas été appelés à temps par le responsable de la police sur place. Il dénonce un problème de planification et de coordination des actions. Il regrette le fait que les forces de police n’ont pas parlé des attaques avant le 4 janvier 2016 alors qu’elles avaient reçu 200 plaintes dès le 1er janvier. Dans ce contexte, je tiens à souligner que la police de Cologne était très bien préparée pour les festivités du Nouvel an 2016-2017 avec une présence de 1 500 policiers et la démonstration d’une politique de tolérance zéro à l’égard du moindre délit.
20. Ces attaques ont profondément choqué l’opinion publique, contribué à faire changer les mentalités et indéniablement accéléré le processus de ratification de la Convention d’Istanbul et l’introduction du principe «Non veut dire non» dans le Code pénal, qui était en préparation depuis une dizaine d’années en Allemagne. Il y a eu une véritable libération de la parole sur les questions de harcèlement et de violences sexuelles dans l’espace public. Récemment, cette fois à Berlin, une jeune femme a été bousculée et grièvement blessée dans une station de métro. Cette agression a fait la une de la presse et a relancé le débat sur la sécurité des femmes dans l’espace public.
21. En Turquie, le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public font aussi l’objet de discussions houleuses. En septembre dernier, une femme a été agressée dans un bus municipal à Istanbul parce qu’elle portait un short. Cet événement a suscité une vague d'indignation et a conduit à des manifestations dénonçant les violences contre les femmes. Par ailleurs, de nombreuses internautes ont manifesté leur soutien à la victime, partageant des photos d'elles en short.
22. Toutefois, l’événement le plus marquant fut sans aucun doute le meurtre, en février 2015, d’Özgecan Aslan, une jeune étudiante, par le chauffeur du minibus la ramenant chez elle, qui avait tenté de la violer. Cet assassinat violent a créé une onde de choc en Turquie. Dans les jours qui ont suivi, des milliers de personnes, femmes et hommes confondus, ont manifesté leur indignation dans plusieurs grandes villes du pays. Deux cent cinquante mille femmes victimes de viols et de harcèlement ont brisé la loi du silence et témoigné au sujet des agressions qu’elles ont subies en utilisant le mot-dièse #sendeanlat («#toiaussiraconte»).
23. En 2015, le Portugal a fait le choix d’ériger le harcèlement de rue (notamment la formulation de propositions à caractère sexuel) en infraction pénale afin de lutter contre cette forme de violence (amendements faits à l’article 170 du Code pénal), la peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement. Les propos doivent avoir un caractère sexuel et un simple compliment ne peut pas être considéré comme du harcèlement. Ce changement législatif a été largement commenté et a fait l’objet de débats sur la différence entre harcèlement et drague.
24. Le reportage de Sophie Peters «Femmes de la rue», diffusé à la télévision le 26 juillet 2012, a choqué la société belge en mettant en lumière un sexisme quotidien. Selon l’enquête «mon expérience du sexisme» 
			(9) 
			Mon
expérience du sexisme, JUMP, enquête réalisée pendant l’été 2016., 98 % des femmes belges ont déjà été victimes de harcèlement de rue une fois dans leur vie 
			(10) 
			98%
des femmes victimes de harcèlement de rue, Louise Vanderkelen, La Libre Belgique, 6 mars 2017.. Trop souvent, les victimes ne savent pas qu’elles peuvent déposer plainte et pensent que rien ne peut être fait face au harcèlement. Pourtant, la loi contre le sexisme dans l’espace public est entrée en vigueur le 3 août 2014 en Belgique. Elle définit le sexisme comme «tout geste ou comportement qui, dans les circonstances visées à l’article 444 du Code pénal, a manifestement pour objet d’exprimer un mépris à l’égard d’une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle et qui entraîne une atteinte grave à sa dignité». La sanction prévue est «un emprisonnement d’un mois à un an et une amende de cinquante euros à mille euros», ou une de ces peines. La victime peut déposer plainte et/ou se constituer partie civile, et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes peut faire de même. La victime et l’institut peuvent aussi citer directement l’auteur des faits devant un tribunal. Un officier de police judiciaire peut également constater une infraction sur flagrant délit. A ce jour, il n’y a eu que peu de plaintes pour sexisme déposées.
25. Le harcèlement dans les transports a également fait l’objet d’études spécifiques. En France, selon l’avis déjà cité du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, 100 % des utilisatrices des transports en commun auraient subi une forme de harcèlement dans les transports au moins une fois 
			(11) 
			Avis sur le harcèlement
sexiste et les violences sexuelles les dans les transports en commun,
Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, avril 2015.. Dans le cadre de l’enquête «femmes et déplacements» 
			(12) 
			Trois sociologues ont
étudié le harcèlement de rue à Bordeaux, leurs conclusions sont
inquiétantes, Marine Le Breton, Huffington
Post, 25 novembre 2016., les témoignages de 5 218 femmes vivant à Bordeaux ont été recueillis en 2016. Cette enquête nous démontre qu’il existe un harcèlement massif de nature sexuelle, raciale, religieuse, homophobe ou lié à une situation de handicap. Plus de la moitié des femmes interrogées racontent avoir subi entre deux et cinq faits de harcèlement au cours des douze derniers mois. L’enquête démontre aussi que les différents modes de transports posent différents risques. Les femmes à vélo seraient les plus exposées au risque de harcèlement, notamment lorsqu’elles s’arrêtent aux feux. Dans les bus, elles se regroupent à proximité du chauffeur pour se sentir davantage en sécurité. Les étudiantes sont les principales victimes de harcèlement dans les transports, étant donné qu’elles utilisent le plus les transports en commun et qu’elles sortent plus souvent le soir. Un plan d’action de lutte contre le harcèlement dans les transports en France a été lancé en juillet 2015, comprenant des campagnes de sensibilisation.

3.3. Impact psychologique sur les victimes

26. Le harcèlement de rue et le sentiment d’insécurité qui en résulte représentent indéniablement une source de stress. Selon l’enquête menée par «Osez le féminisme» en 2014 
			(13) 
			<a href='http://osezlefeminisme.fr/take-back-the-metro/'>http://osezlefeminisme.fr/take-back-the-metro/.</a>, trois quarts des femmes disent adapter leur comportement: elles baissent le regard, adaptent leur tenue vestimentaire (i.e. portent une tenue qui n’attirera pas l’attention), mettent des chaussures de sport pour rentrer le soir afin de ne pas se faire entendre et de pouvoir courir plus vite. Certaines décident de mettre des écouteurs sans musique, faisant semblant de pas entendre les propos injurieux, tout en restant très attentives à ce qui se passe autour d’elles 
			(14) 
			Colloque sur les violences
faites aux femmes, Mon corps m’appartient, Strasbourg, 17 novembre
2015.. Par ailleurs, elles mettent en place, consciemment ou inconsciemment, des stratégies d’évitement qui limitent leur mobilité. Elles choisissent un itinéraire particulier, évitent certains lieux à certaines heures, limitent les sorties nocturnes, sortent accompagnées ou évitent d’utiliser les transports en commun. Elles s’auto-excluent en quelque sorte de l’espace public.
27. Les femmes prennent aussi des mesures afin de se protéger en cas d’agression. On constate par exemple une popularité grandissante du krav-maga, une méthode d’auto-défense, dont le but est de mettre l’ennemi hors d’état de nuire le plus rapidement et le plus efficacement possible, à mains nues.
28. Le sentiment d’insécurité perçu dans l’espace public peut aussi avoir pour conséquence un repli sur soi et un sentiment d’isolement. Les victimes peuvent développer un sentiment de culpabilité car elles ne se sont pas défendues face à leur agresseur et ressentir une forte colère, ou encore un sentiment de honte. Elles ne vont pas forcément en parler ou porter plainte, et vont garder en elles les émotions ressenties. Les victimes ont aussi une estime de soi particulièrement altérée et courent le risque de développer des troubles anxieux, paranoïaques, voire dépressifs. Elles peuvent souffrir du «syndrome de stress post traumatique» qui se manifeste par un sentiment permanent de détresse ainsi que des épisodes réguliers de «flashback» faisant revivre à la victime son traumatisme. Il est alors nécessaire de travailler avec un thérapeute afin de s’en remettre.
29. Avec le «male gaze» ou regard masculin qui inspecte, certains hommes observent et jugent le corps des femmes, ce qui revient à un phénomène d’objectivation, les femmes étant regardées comme des objets. Subir le «male gaze» peut aussi avoir une auto-objectivation pour conséquence. Les femmes développent alors un regard extérieur sur elles-mêmes 
			(15) 
			L’objectivation
sexuelle des femmes: un puissant outil du patriarcat – le regard
masculin. et peuvent se déprécier et ressentir de la honte vis-à-vis de leur corps. L’objectivation sexuelle peut générer un sentiment d’anxiété et d’insécurité et contribuer à l’émergence de troubles divers.
30. L’absence de réaction ou l’indifférence des témoins aggrave l’impact des violences sur les victimes, en renforçant leur sentiment d’insécurité, de culpabilité et de honte. Par ailleurs, elle fait renforcer la conviction des auteurs de violences que l’espace public leur appartient et que tout leur est permis.
31. De prime abord difficile à comprendre, l’absence de réaction des témoins – qui revient à accepter indirectement les comportements en question – s’explique par le phénomène du «by-stander effect» (ou «l’effet du témoin») en psychologie sociale. Ce phénomène met en évidence l’absence de réaction de la part d’un individu face à une situation de détresse et ce, uniquement en présence d’une ou plusieurs personnes. Ainsi, la probabilité qu’un individu porte secours à une personne en détresse sera plus importante si cet individu est seul plutôt qu’en présence d’un groupe. La présence d’autres personnes décourage en quelque sorte la personne qui souhaite intervenir. Ce phénomène s’explique principalement par le processus de «dilution de la responsabilité» qui fait référence à une diffusion de la responsabilité personnelle entre les témoins. Ainsi, face à une personne en danger, chacun des témoins imagine que son voisin lui portera secours. Il en résulte qu’aucun des témoins n’agit en conséquence. Un témoin peut aussi avoir peur d’être victime de violence à son tour.

3.4. Profil des auteurs

32. Il peut être difficile d’établir un profil type des harceleurs de rue. Selon l’enquête nationale menée en 2014 par l’organisme américain «Stop Street Harassment», 70 % des femmes et 48 % des hommes victimes du harcèlement de rue identifieraient un agresseur de sexe masculin. Marylène Lieber, déjà citée, affirme que les harceleurs sont issus de «toutes catégories sociales, de toutes cultures et de tous âges» 
			(16) 
			Halte au harcèlement
de rue, Tribune de Genève,
1er septembre 2016.. Ils ont des profils hétérogènes et ne sont pas systématiquement, contrairement à ce que pourrait croire la majorité, issus de milieux défavorisés ou de l’immigration 
			(17) 
			Marianne Blidon et
Lieber Marylène, Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité
des femmes en question, Genre, sexualité
& société [en ligne], 4 | Automne 2010, <a href='http://gss.revues.org/1694'>http://gss.revues.org/1694</a>..
33. Les harceleurs de rue perçoivent la femme comme un objet de désir qu’ils pourront utiliser à des fins de satisfaction sexuelle. De nombreux chercheurs font le lien entre les processus d’objectivation et le phénomène de déshumanisation, qui revient à faire perdre à un individu son caractère humain. La déshumanisation se manifeste par le manque d’empathie chez les agresseurs envers leurs victimes, qu’ils considèrent non plus comme une personne mais comme un objet. Les auteurs de violence ont souvent peu d’estime envers les femmes et les considèrent comme une proie facile dans l’espace public. Ils souhaitent intimider et humilier les femmes afin d’affirmer leur domination. D’une certaine façon, ils veulent contrôler non seulement le corps mais aussi la sexualité des femmes.
34. Le harcèlement de rue peut se faire individuellement ou en groupe. Dans ce dernier cas, nous pouvons parler du phénomène de «déindividuation», qui correspond à une perte d’identité de l’individu au sein du groupe. Ce phénomène renforce le statut d’anonymat et permet aux agresseurs d’accomplir des actes qu’ils n’accompliraient pas seuls. Par ailleurs, l’effet de groupe aurait tendance à désinhiber les individus et à diminuer le sentiment de responsabilité individuelle en cas d’agression, de manière à entraîner un abandon des valeurs personnelles.
35. En ce qui concerne les auteurs des violences de Cologne, les victimes et les agents de police présents sur les lieux ont signalé que la plupart de ces hommes – dont une grande majorité était des nord-africains 
			(18) 
			Rapport
de la Commission d’enquête spéciale du Parlement régional de Nordrhein-Westphalen,
p. 364-365, Drucksache 16/14450, 23 mars 2017. – étaient sous l’emprise de l’alcool. L’effet de groupe et le seuil de self-control apparemment très bas de ces individus, probablement à la suite d’excès de consommation d’alcool et de drogues, ont certainement été des facteurs qui ont amplifié leur manque d’empathie vis-à-vis de leurs victimes.
36. Comme pour les harceleurs de rue, il est également difficile d’établir un profil type des auteurs de viols. Toutefois, il est possible de dégager quelques caractéristiques et traits de personnalité communs. Souvent, mais pas systématiquement, ces individus ont subi des abus sexuels ou physiques durant l’enfance. La plupart du temps, ils manquent d’empathie, sont impulsifs et intolérants à la frustration, souffrent d’une forme de colère sous-jacente, de difficultés dans la gestion des émotions et ont une tendance à la domination, à l’agressivité et au contrôle des femmes 
			(19) 
			Existe-t-il
une psychopathologie des auteurs d’agressions sexuelles à type de
viol sur adultes? Dr Arnaud Martorell.. Le viol serait pour eux un moyen de prendre du pouvoir et d’affirmer leur puissance sur la victime. Toutefois, la présence d’un trouble de la personnalité n’est pas systématique chez les auteurs de viols. Dans les cas de viol collectif, les dimensions relatives à l’effet de groupe sont primordiales.
37. Une catégorie spécifique de harceleurs dans l’espace public a attiré mon attention lors de mes recherches. Il s’agit des «frotteurs». En effet, le frotteurisme est un phénomène actuellement observé dans les transports publics dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe. Il se définit comme l’acte de toucher ou de se frotter contre une personne non-consentante, dans le but d’en tirer une forme de satisfaction sexuelle. La majorité des frotteurs sont des hommes 
			(20) 
			100 % des
femmes ont déjà été harcelées dans les transports, L’Express, 16 avril 2015. qui présentent de grandes difficultés à maintenir sur le long-terme des relations interpersonnelles matures avec les femmes 
			(21) 
			Les paraphilies, Bais
Céline, CRIAVS LR-CHRU de Montpellier. . Le frotteurisme est une forme de passage à l’acte et exprime des fantasmes de puissance sexuelle (être avec plusieurs femmes) à travers une composante agressive. La femme est non consentante et n’a pas le choix de s’enfuir, bloquée par la foule dans les transports en commun. Les conséquences de tels actes sur les femmes sont encore sous-estimées, sachant que peu de femmes victimes de frotteurisme osent porter plainte. En réaction à ce phénomène, la ville de Paris a mis en place des brigades «anti-frotteurs» dans les transports 
			(22) 
			Dans le métro parisien,
avec la brigade chargée de débusquer les «frotteurs», Feriel Alouti, Le Monde, 3 mars 2017. . Ces policiers observent les comportements dans les métros et sur les quais. Un frotteur peut être condamné à deux ans d’emprisonnement ferme.

4. Lutte contre le harcèlement de rue et les violences sexuelles dans l’espace public

4.1. Les leçons de Cologne

38. Je tiens à présenter dans ce rapport ce qui a été fait à Cologne depuis l’an dernier afin de prévenir de nouvelles violences. Une coordination des actions de prévention des violences sexuelles a notamment été mise en place. Depuis janvier 2016, un représentant du bureau chargé de l’égalité de genre participe aux réunions de sécurité et à la coordination des actions de prévention avec les forces de police. A la suite des attaques, plusieurs ONG et la ville de Cologne ont formé «l’initiative de Cologne contre les violences sexuelles». Les organisations y participant essayent de coordonner leurs actions et d’en multiplier les effets. Elles reçoivent le soutien de la mairie et de la police.
39. En matière de prévention, M. Peter Biesenbach, Président de la Commission d’enquête spéciale du Parlement régional, est d’avis qu’il faut savoir anticiper une situation à risque pour être à même de planifier et d'agir en conséquence. Une station de conseil (Beratungsmobil) est désormais installée lors de grands événements dans la ville, avec la présence de deux conseillères et d’agents de sécurité. Une femme se sentant en insécurité peut appeler ou se réfugier dans cette station. Elle a été installée à l’occasion de la Saint Sylvestre 2016-2017 et pendant le carnaval 
			(23) 
			Une initiative similaire
a été mise en place à l’Oktoberfest de Munich.. Une station de police mobile a également été installée sur la place de la gare depuis les attaques.
40. Par ailleurs, le projet «sichere Kneipen» qui est en phase préparatoire, prévoit l’utilisation par des restaurants et des bistrots d’un logo qui indiquerait que les femmes peuvent y être en sécurité. Le personnel de ces restaurants sera sensibilisé et les femmes qui chercheront à se mettre à l’abri pourront y passer un coup de fil et demander de l’aide. Ce projet fait suite à celui déjà mis en œuvre à Münster.
41. D’une manière générale, la présence de personnel de sécurité a été renforcée dans les transports. Il existe également un bouton d’appel d’urgence dans chaque station de métro et le nombre de minutes d’attente avant le prochain métro est systématiquement indiqué. Enfin une application pour téléphone portable permet d’indiquer le chemin que l’on prend pour rentrer chez soi et de se faire accompagner virtuellement afin de se sentir plus en sécurité.

4.2. Les nouvelles technologies

42. Les nouvelles technologies permettent le développement de nouveaux moyens de lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public. L’application «HandsAway» est une initiative intéressante dans ce contexte. Il s’agit d’une application mobile d’alerte pour lutter contre les agressions sexistes dans la rue et les transports. La géolocalisation étant gratuite, elle permet d’aider (grâce au «street angel», ange de la rue), de témoigner (décrire l’agression dont on est témoin) et d’alerter en cas d’agression (en créant une alerte géolocalisée). Ainsi, lorsqu’une femme est victime d’une agression ou d’un harcèlement de rue, elle peut le signaler via cette application. Une alerte est immédiatement envoyée à tous les «street angels» qui sont les utilisateurs de l’application se trouvant à proximité. Ils peuvent venir réconforter ou simplement écouter la victime de l’agression, ou bien servir de témoins. La municipalité de Paris est partenaire de cette application, qui donne aussi des informations sur les associations travaillant sur cette question, les numéros d’écoute, et les moyens de porter plainte.
43. L’application de copiétonnage «Mon chaperon» a également été lancée récemment en France. Elle permet aux femmes de donner des renseignements sur leur déplacement et de se faire accompagner. Une autre application «App-Elles» permet quant à elle de signaler une agression. L’application mobile de sécurité personnelle «bSafe»  (en place à Paris, Londres et New York) prévoit des options similaires: système de surveillance GPS accessible à un groupe restreint de personnes, possibilité d’alerter ses contacts bSafe en cas de problème, message de SOS automatique si à la fin du temps prévu pour rentrer chez soi, c’est-à-dire à la fin du temps imparti objectivement pour faire un tel trajet, l’utilisateur/-trice ne la désactive pas.
44. En Allemagne, l’application mobile «WayGuard» lancée récemment par AXA Germany permet de transmettre en continu la position géographique de l’utilisatrice à un centre de contrôle agréé par AXA. En cas d’urgence, ce dernier pourra alerter les services de secours. Des membres de la famille ou certains amis peuvent aussi suivre le trajet et être informés de son arrivée par une notification. L’utilisatrice doit simplement les désigner comme «accompagnateurs» sur son trajet et ils pourront dès lors voir sa position en temps réel sur une carte. Des conseils préventifs sont également à la disposition de l’utilisatrice sur l’application notamment concernant les comportements à adopter en cas d’avances déplacées.

4.3. Le rôle des médias

45. Un rôle important incombe aux médias dans la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public. Tout d’abord, les médias devraient assurer un traitement journalistique le plus juste possible des violences faites aux femmes. Le collectif de femmes journalistes «Prenons la une» – qui s’engage pour une juste représentation dans les médias et l’égalité professionnelle dans les rédactions françaises – a préparé quelques recommandations à cet égard. Le collectif préconise notamment d’intégrer le numéro de téléphone national de référence pour l’écoute et l’orientation des femmes victimes de toutes violences [3919] dans la mesure du possible dans les reportages traitant des violences faites aux femmes. Il demande aussi à ce que les médias ne donnent pas de conseils ou leçons tels que «ne pas sortir le soir» ou «faire preuve de discrétion», les femmes n’étant pas responsables des violences qu’elles subissent.
46. Par ailleurs, les mesures d’aide en place, les campagnes de sensibilisation et, de manière générale, les associations œuvrant contre les violences sexuelles et le harcèlement de rue devraient recevoir suffisamment de visibilité dans les médias afin de pouvoir informer le plus grand nombre.

4.4. La place des femmes dans l’espace public 

47. Le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public nous interrogent sur la place des femmes dans notre société. En effet, ces violences sont étroitement liées à l’image de la femme et à sa perception par la population. Les femmes sont réduites à des corps, considérés comme disponibles, à qui on demande de faire attention à leur comportement. Il en résulte que le simple fait de s’asseoir sur un banc dans la rue peut faire d’une femme une proie ou sembler un appel à certains hommes. Par ailleurs, les stéréotypes de genre, intériorisés dès le plus jeune âge, donnent aux hommes une certaine assurance qui leur permet de s’accaparer l’espace public. Ils pensent qu’ils peuvent proférer des insultes, siffler ou lancer des invitations à un rapport sexuel sans être inquiétés. 
			(24) 
			Why loiter – Women and Risk on Mumbai Streets,
Padkhe S., Khan S. et Ranade S, Penguin Books, 2011. L’objectif de ces faits de harcèlement est de manifester un sentiment de domination masculine et de contraindre les femmes à l’espace privé 
			(25) 
			<a href='http://alter1fo.com/femmes-hommes-quels-usages-de-la-ville-98117'>http://alter1fo.com/femmes-hommes-quels-usages-de-la-ville-98117</a>. En conséquence, les femmes investissent instinctivement l’espace public avec plus de retenue que les hommes, par peur d’une agression 
			(26) 
			Garance
ASBL, Rapport intermédiaire des marches exploratoires autour du
quartier de la gare de Namur, septembre 2016.. Elles ont intériorisé leur vulnérabilité dans l’espace public.
48. Compte tenu du fait que les attitudes, les convictions et les types de conduite se façonnent dès le plus jeune âge, il importe de promouvoir le plus tôt possible l'égalité entre les femmes et les hommes, le respect mutuel dans les relations interpersonnelles et la non-violence. Dans ce contexte, un travail avec les acteurs du secteur éducatif est nécessaire afin de lutter contre les stéréotypes de genre et les discriminations. A cet égard, l’article 14 de la Convention d’Istanbul souligne la nécessité d'élaborer un matériel pédagogique pour tous les niveaux de l'enseignement, qui promeuve les principes d'égalité entre les femmes et les hommes, des rôles des genres non stéréotypés, du respect mutuel, et de la résolution non violente des conflits dans les relations interpersonnelles. La Convention prévoit aussi que de telles valeurs soient promues dans toutes les structures éducatives informelles (par exemple les services d’éducation communautaire ou religieuse, les colonies de vacances), dans les structures du sport, de la culture et des loisirs ainsi que dans les médias. Ces actions éducatives peuvent aussi permettre d’expliquer l’impact du harcèlement et des violences sexuelles.
49. L’occupation genrée de l’espace public serait également due à une organisation spatiale qui favoriserait les hommes, où ils se trouvent en confiance et sont souvent en plus grand nombre 
			(27) 
			Halte au harcèlement
de rue, Tribune de Genève,
1er septembre 2016.. Ces dernières années, des équipements visant à «canaliser» la présumée violence des garçons ont été construits, tels que des «skate parks» ou divers terrains multisports. Ces équipements sont principalement utilisés par des garçons ou de jeunes hommes. Les hommes s’y retrouvent en position de force et les femmes ou jeunes filles n’y sont pas les bienvenues. Nous pouvons donc affirmer que l’espace public est aménagé de sorte à favoriser une forme de domination masculine 
			(28) 
			La place des femmes
dans l’espace public, Recherche Appliquée en Sciences Sociales –
RECAPSS, 2014-2015.. Une étude a d’ailleurs démontré qu’en France, 85% du budget de l’aménagement des équipements programmés dans les zones prioritaires sont alloués aux garçons 
			(29) 
			La rue, fief des mâles,
Fanny Arlandis, Le Monde,
4 octobre 2012.. Des investissements publics massifs pour des terrains de rugby ou de football vont rarement profiter aux femmes.
50. Selon Chris Blache, co-fondatrice de Genre et Ville, l’espace public n’est pas neutre. Il faudrait créer de nouvelles narrations urbaines avec une organisation de l’espace moins genrée et où les femmes occupent aussi l’espace public. Elle fait la promotion du concept de ville égalitaire accueillante pour tous. Il s'agit d'aménager les villes de façon à ce que tout le monde s'y sente à l'aise et à ce qu’il n’y ait plus de zones exclusivement pour les hommes. Elle encourage la création d’espaces à usage polyvalent, tels qu’un parc, où tout le monde pourrait se rencontrer pour jouer, flâner ou faire un pique-nique. Les filles devraient être invitées à participer à des activités au sein des structures existantes et des divertissements mixtes devraient être proposés à terme.
51. Il est également important de souligner le rôle des gestionnaires et urbanistes de l’espace public qui peuvent contribuer à créer des espaces plus sécurisés pour les femmes. Dans ce contexte, je souhaite mentionner les marches exploratoires, qui permettent d’analyser et d’évaluer le degré d’insécurité de certains espaces publics. Les premières marches exploratoires ont été organisées au Canada dans les années 1990 et sont à présent aussi organisées en Europe. Il s’agit d’enquêtes de terrain menées par des groupes de femmes. Elles choisissent un quartier – une rue – un espace et essayent d’identifier les éléments pouvant créer un sentiment d’insécurité, tels que des dispositifs d’éclairage insuffisants, un mauvais entretien des lieux ou des panneaux de signalisation défectueux. Les marches exploratoires sont une façon pour les femmes de se réapproprier l’espace public et de prendre conscience des mesures à prendre afin de réduire le sentiment d’insécurité 
			(30) 
			Guide méthodologique
des marches exploratoires, Cahiers pratiques,
Hors-série (2012).. L’organisation de ces marches devrait se généraliser autant que possible, sachant que tout le monde profitera d’un espace public non seulement sécurisé mais aussi bienveillant.
52. Lors de notre audition du 20 mars 2017, Chris Blache a émis des réserves quant aux marches exploratoires qui pourraient mener à une stérilisation de l’espace public et à le rendre anxiogène. Elle est d’avis qu’il ne faut pas penser l’espace public uniquement en termes sécuritaires. Il est davantage nécessaire d’agir afin d’éviter que les femmes ne s’interdisent l’espace public. Elle a aussi revendiqué le droit des femmes à la flânerie dans l’espace public et regretté que «les hommes occupent pendant que les femmes s’occupent dans l’espace public et dans l’espace privé». A cet égard, les actions du collectif «place aux femmes» à Aubervilliers (France) visent à mettre de la mixité dans les cafés de la ville, vus comme réservés aux hommes.

4.5. Campagnes de sensibilisation inspirantes

53. Je souhaite mentionner plusieurs campagnes mises en place ces dernières années afin de prévenir et de lutter contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public. Ces campagnes jouent un rôle essentiel pour sensibiliser l’opinion publique à ces questions et peuvent aussi appeler efficacement à la réaction et contribuer à mettre fin à la passivité des témoins de faits de violence.
54. L’initiative mondiale «Des villes sûres et des espaces publics sûrs» a été lancée en 2010 par l’ONU Femmes en vue de prévenir et réagir face au harcèlement sexuel et aux autres formes de violence sexuelle dont les femmes et filles sont victimes dans les lieux publics 
			(31) 
			Créer
des espaces publics plus sûrs, ONU Femmes.. L’ONG ActionAid a lancé le projet Safe Cities en 2010 au Brésil, en Ethiopie, au Népal, au Cambodge, au Libéria et au Kenya, en organisant des marches visant à identifier les problèmes de sécurité dans les villes. Cette campagne est devenue mondiale en 2014. En Irlande, ActionAid a soutenu des représentations de théâtre de rue sur le harcèlement dans le cadre de cette campagne.
55. L’association Womenability a mené un tour du monde de la Suède au Japon pendant sept mois afin de voir quelle était la place des femmes dans l’espace public 
			(32) 
			Les
femmes et leur place en ville, de Baltimore à Bombay, Feriel Alouti, Le Monde, 21 janvier 2017.. Les membres de l’association sont allés à Prague, Sofia, Malmö, Rosario, Houston, Baltimore, Montevideo, Kawasaki, Bombay, Kaifeng, Capetown, Francistown et Wellington. 59 % des femmes interrogées par les équipes de Womenability ont dit être victimes de harcèlement au moins une fois par mois.
56. La campagne «Take back the metro» a été lancée par le collectif «Osez le féminisme» en France et encourage les femmes à utiliser les transports en commun. Elle fait référence aux marches nocturnes «Take back the night» initiées aux Etats-Unis dans les années 70, qui étaient composées uniquement de femmes et qui visaient à affirmer le droit des femmes de faire usage des espaces publics sans crainte de harcèlement ou d’agression sexuels. Le collectif «Stop harcèlement de rue» quant à lui mène des actions d’éducation populaire et de sensibilisation dans les métros et RER. Le 16 avril 2015, ce collectif a invité les usagers à participer à un happening visant à dénoncer le harcèlement sexiste et les agressions sexuelles dans les transports, en jouant des scènes de harcèlement dans une gare afin de faire réagir les passants à des insultes et en distribuant des tracts.

4.6. Le rôle des hommes

57. Comme indiqué plus haut, les violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public sont commis principalement par les hommes. Par ailleurs, si la plupart des hommes ne font pas usage ou ne tolèrent pas cette violence, en restant silencieux face à celle de leurs pairs, ils contribuent à la perpétuer. Il est donc nécessaire d’associer les hommes à la lutte contre les violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public en les sensibilisant et les informant sur ce problème.
58. En effet, je suis convaincue que les hommes ont un rôle positif à jouer dans ce contexte. En tant que pères, amis, décideurs, journalistes, agents publics, dirigeants politiques et religieux, ils peuvent dénoncer publiquement la violence d’autres hommes, remettre en question les croyances, les valeurs et les normes sociales qui tolèrent l’inégalité entre les sexes, confronter les remarques sexistes, et encourager l’adoption d’idées alternatives sur la masculinité au sein de la société, qui favorisent la non-violence et l’égalité de genre.
59. A cet égard, il convient de souligner certaines initiatives encourageantes, signe d’une plus importante implication des hommes dans la lutte contre les violences faites aux femmes. On peut citer notamment la Campagne «Tous unis pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes», lancée par le Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-moon, en 2009. La caractéristique clé de cette campagne est la reconnaissance du devoir des hommes dans la prévention de la violence et de leur rôle comme agents de changement. Dans le cadre de cette campagne, M. Ban Ki-moon a institué le Réseau des dirigeants masculins afin d’amener les hommes à participer à la recherche de solutions pour éliminer la violence faite aux femmes. Plus récemment, en 2014, l’ONU Femmes a lancé la campagne HeForShe («Lui pour Elle») afin de faire participer les hommes et les garçons aux combat pour l'égalité des sexes et les droits des femmes, et a eu le soutien d’hommes politiques comme Barack Obama, Justin Trudeau ou encore Stefan Löfven.
60. Par ailleurs, l’alliance internationale MenEngage – lancée en 2004 – regroupe plus de 400 organisations de par le monde qui œuvrent avec les hommes et les garçons pour promouvoir l’égalité de genre et pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des filles. Enfin, il faut citer la Campagne du Ruban Blanc mise sur pied en 1991, et qui a été pionnière de la mobilisation des hommes contre les violences faites aux femmes dans le monde.

5. Conclusions

61. Les violences sexuelles et le harcèlement des femmes dans l’espace public se produisent dans tous les pays. Ils sont le reflet d’une société sexiste et patriarcale qui favorise une occupation de l’espace public par les hommes et crée des obstacles à la mobilité et à l’expression des droits des femmes. Nous devons être vigilants face à ces violences et ne plus tolérer un manque de réaction. Les femmes ne devraient pas avoir à changer leur mode de vie en raison du risque de harcèlement et de violences sexuelles ni être accusées de porter une tenue provocante ou de se trouver au mauvais endroit à une heure tardive. Les femmes ne sont jamais responsables de la violence dont elles sont victimes, quel que soit l’auteur, le type de violence ou l’endroit où les faits se produisent.
62. La Convention d’Istanbul est à ce jour l’instrument juridique international le plus avancé en matière de lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes. Sa mise en œuvre effective apporte des changements législatifs qui peuvent contribuer à lutter contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public.
63. Par ailleurs, je suis convaincue qu’il est impossible de lutter efficacement contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public si nous n’investissons pas dans des campagnes de sensibilisation et des actions spécifiques de prévention, et ce dès le plus jeune âge. Les actions éducatives auprès des jeunes, notamment sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes et afin de lutter contre les stéréotypes de genre, mais aussi sur l’impact des violences sur les victimes et la notion de consentement, sont particulièrement importantes. Les campagnes de sensibilisation permettront de lutter contre le «by-stander effect» et de pousser les éventuels témoins de violences à réagir. Les hommes peuvent jouer un rôle fondamental dans la prévention et la lutte contre le harcèlement de rue et les violences sexuelles.
64. Ainsi que les attaques de Cologne l’ont montré, les médias et leur façon de communiquer sur le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public ont un fort impact sur l’opinion publique et tendent trop souvent à parler plus de l’origine des auteurs de violence que des violences elles-mêmes et de leur impact sur les victimes. Nous devons soutenir l’approche de la Convention d’Istanbul qui consiste à mettre la victime de violence au centre de toute politique ou discours traitant de la violence fondée sur le genre. Les médias peuvent jouer un rôle de premier plan dans la prévention et la lutte contre ces phénomènes et être des relais efficaces de campagnes de sensibilisation.
65. Les violences sexuelles et le harcèlement dans l’espace public ne sont pas un phénomène inévitable ou une fatalité. Les femmes devraient pouvoir aller partout où elles le souhaitent, sans crainte. Nous ne devrions pas nous résigner à une occupation genrée de l’espace public et à l’adoption de stratégies d’évitement par les femmes. Il est de notre responsabilité de porter des politiques volontaristes à cette fin.