1. Introduction
1.1. Procédure
1. Depuis 2000, l’Assemblée parlementaire
s’intéresse de près à la question de la mise en œuvre des arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»)
. Dans sa dernière résolution sur
ce sujet –
Résolution
2075 (2015), elle a décidé de «rester saisie de la question et de
continuer de lui donner la priorité»
. En
conséquence, le 2 novembre 2015, la commission des questions juridiques
et des droit de l’homme m’a nommé quatrième rapporteur successif
sur cette question, après MM. Erik Jurgens (Pays-Bas, SOC), Christos Pourgourides
(Chypre, PPE/DC) et Klaas de Vries (Pays-Bas, SOC). Mon rapport
est donc le neuvième sur ce sujet. Lors de sa réunion à Strasbourg
le 23 juin 2016, la commission a tenu une audition avec la participation de
M. Giorgio Malinverni, ancien juge à la Cour, professeur honoraire
à l'Université de Genève, M. Guido Bellatti Ceccoli, Ambassadeur,
Représentant permanent de Saint-Marin auprès du Conseil de l'Europe, rapporteur
du groupe des rapporteurs Droits de l’Homme du Comité des Ministres,
et Mme Betsy Apple, directrice chargée
de la défense des droits et du plaidoyer, Open Society Justice Initiative,
New York. En outre, lors de sa réunion à Paris le 13 décembre 2016,
la commission m’a autorisé à effectuer des visites d’information
en Bosnie-Herzégovine, Hongrie et Ukraine, et, lors de sa réunion
à Strasbourg le 24 janvier 2017, elle m’a aussi autorisé à me rendre
en Pologne. En raison des contraintes de temps, je n’ai malheureusement
pas pu effectuer toutes ces visites. Néanmoins, les 20 et 21 mars
2017, je me suis rendu à Varsovie (Pologne) et, les 22 et 23 mars
à Budapest (Hongrie)
.
1.2. Travaux
récents de l’Assemblée parlementaire
2. Dans sa
Résolution 2075 (2015), l’Assemblée a exprimé sa préoccupation quant au nombre considérable
d’arrêts non exécutés pendants devant le Comité des Ministres: près
de 11 000 affaires au 31 décembre 2014, dont un bon nombre d’affaires
concernant des problèmes structurels. Parmi les États Parties à
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»), elle a relevé que neuf concentrent le nombre le
plus élevé d’arrêts non exécutés, dont certains, particulièrement
importants, ne le sont pas depuis plus de cinq ans – la Bulgarie,
la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, la Roumanie, la Fédération
de Russie, la Turquie et l’Ukraine. L’Assemblée a aussi noté que,
dans un certain nombre d’autres États (notamment en Albanie, Arménie,
Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, République de Moldova, Serbie
et au Royaume-Uni), les arrêts qui révèlent l’existence de problèmes
structurels et d’autres problèmes complexes n’ont pas été exécutés
depuis l’adoption de sa
Résolution
1787 (2011) en janvier 2011.
3. Dans sa
Résolution
2075 (2015), l’Assemblée a émis un nombre de recommandations aux
États membres du Conseil de l’Europe, et notamment aux parlements
nationaux. En outre, dans sa
Recommandation
2079 (2015), elle s’est adressée au Comité des Ministres en proposant
un certain nombre de mesures à prendre pour améliorer l’efficacité
du processus de surveillance de la mise en œuvre des arrêts de la
Cour. Dans sa récente réponse à la
Recommandation 2079 (2015), le Comité des Ministres a réaffirmé l’importance d’une
exécution complète et rapide des arrêts de la Cour. Dans cette optique,
il a invité ses Délégués à explorer les possibilités d’accroître
davantage l’efficacité de ce processus et notamment de ses réunions
Droits de l’Homme (DH); ce travail se basera sur les contributions
du Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH). Le Comité
des Ministres a aussi décidé de renforcer les ressources du Service
de l’exécution des arrêts de la Cour, comme préconisé dans la
Recommandation 2079 (2015). Malheureusement, aucune réponse n’a été donnée aux
propositions de l’Assemblée concernant l’application des paragraphes
3 à 5 de l’article 46 de la Convention européenne des droits de
l’homme (et notamment du «recours en manquement»), une meilleure
transparence du processus de surveillance de l’exécution des arrêts
de la Cour ainsi qu’une meilleure implication de la société civile
dans ce dernier.
1.3. Questions
en suspens
4. Le contexte politique dans
lequel on examine aujourd’hui la problématique de la mise en œuvre
des arrêts de la Cour est plus complexe qu’à l’époque de mes prédécesseurs
et j’en tiens compte. Quant aux paramètres des rapports précédents,
mes prédécesseurs, MM. Jurgens et Pourgourides, mettaient l’accent sur
différents critères comme les «arrêts (et décisions) qui soulèvent
des problèmes d’exécution essentiels», «arrêts dont la mise en œuvre
complète n’est toujours pas acquise plus de cinq ans après leur
prononcé», et/ou les «arrêts concernant des violations d’une nature
particulièrement grave»
. Mon prédécesseur immédiat, M. Klaas
de Vries, s’est focalisé sur les neuf États Parties à la Convention
comptant le plus d’arrêts pendants devant le Comité des Ministres.
Dans ce rapport, je tiendrai compte de ces critères, mais je souhaiterais
aussi mettre l’accent sur quelques exemples d’arrêts dont l’exécution
soulève des problèmes complexes et n’avance pas pour des raisons
politiques. Malgré cela, je tiens à souligner qu’il n’y a pas que
des États récalcitrants à une pleine et rapide mise en œuvre des
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Comme indiqué dans
le document «
Impact
de la Convention européenne des droits de l’homme dans les États
Parties: exemples choisis», établi par le Secrétariat en 2015 à ma demande (avec
la collaboration du Centre des droits de l’homme de l’Université
d’Essex, Royaume-Uni) et publié cette année aux Éditions du Conseil
de l’Europe, un bon nombre d’États membres exécutent, pleinement
et sans délai majeur, les arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme.
5. Dans ce rapport, je voudrais approfondir davantage les questions
suivantes: quels sont les défis actuels auxquels le Comité des Ministres
et les États Parties se heurtent dans le processus de la mise en
œuvre des arrêts de la Cour? Quelles sont les bonnes et les mauvaises
pratiques des États dans ce domaine? Quelles initiatives sont en
cours au sein du Conseil de l’Europe sur ce sujet? Comment renforcer
d'une part l’interaction entre la Cour et le Comité des Ministres
et les autres organes/instances du Conseil de l’Europe, et d'autre
part le rôle de la société civile et des parlements nationaux? Je
vais, bien évidemment, me référer aux travaux de mon prédécesseur
M. Klaas de Vries, et notamment aux pays comptant le plus grand
nombre d’arrêts non exécutés depuis plus de 5 ans et soulevant des
problèmes majeurs (structurels) comme la durée excessive des procédures
judiciaires, le caractère illégal et/ou la durée excessive de la
détention provisoire, l’inexécution de décisions de justice internes,
les décès et mauvais traitements causés par des membres des forces
de l’ordre et l’absence d’enquête effective à cet égard, ainsi que
les mauvaises conditions de détention. Tout d’abord, je vais examiner
les progrès qui ont été accomplis dans ces domaines, mais sans entrer
dans les détails des affaires concernées, étant donné que le document
produit par mon prédécesseur (et notamment l’annexe 1 à son rapport)
contient déjà des données exhaustives à ce sujet. Ensuite, je voudrais
me pencher davantage sur une sélection d’affaires dans lesquelles
il n’y a pas eu d’avancées en matière d’exécution, pour des raisons
politiques ou pour d’autres raisons. Ensuite, je ferai le bilan
des réformes/mesures qui ont été prises depuis l’adoption du rapport
de M. de Vries au sein du Conseil de l’Europe et dans certains de
ses États membres pour accélérer et améliorer le processus d’exécution
des arrêts de la Cour. Par la suite, je présenterai mes conclusions
et mes propositions.
2. États membres concernés par le plus
grand nombre d’arrêts pendants devant le Comité des Ministres
6. Suite à la publication en avril
2017 du (dixième)
Rapport
2016 du Comité des Ministres sur la surveillance de l’exécution
des arrêts et des décisions de la Cour européenne des droits de
l’homme, («Rapport annuel 2016»), je souhaiterais mettre à jour
certaines données contenues dans le rapport de mon prédécesseur
M. de Vries. Selon ce premier document, au 31 décembre 2016, 9 941
affaires étaient pendantes devant le Comité des Ministres, alors
qu’au 31 décembre 2015 ce chiffre s’élevait à 10 652. Les 10 pays
suivants comptaient le plus d’affaires pendantes (par ordre décroissant):
Italie (2 350), Fédération de Russie (1 573), Turquie (1 430), Ukraine
(1 147), Roumanie (588), Hongrie (440), Grèce (311), Bulgarie (290), République
de Moldova (286
)
et Pologne (225); ils sont suivis par la Croatie (180), la Serbie
(162) et l’Azerbaïdjan (168), le nombre d’affaires concernant les
autres États membres du Conseil de l’Europe ne dépassant pas une
centaine. En 2014, comme souligné par M. de Vries, les pays suivants
avaient le plus grand nombre d’affaires pendantes devant le Comité
des Ministres: Italie (2 622 affaires), Turquie (1 500 affaires), Fédération
de Russie (1 474 affaires), Ukraine (1.009 affaires), Roumanie (639
affaires), Grèce (558 affaires), Pologne (503 affaires), Hongrie
(331 affaires), Bulgarie (325 affaires) et Slovénie (302 affaires).
Il y a donc eu quelques variations dans ce classement: le nombre
d’affaires contre l’Italie, la Turquie, l’Ukraine, la Roumanie, la
Grèce et la Bulgarie a baissé, alors que le nombre d’affaires contre
la Fédération de Russie, la Hongrie et la République de Moldova
a augmenté. En 2016, seulement 49 affaires étaient toujours pendantes
contre la Slovénie devant le Comité des Ministres, grâce à la clôture
de 264 affaires du groupe
Lukenda;
ces affaires concernent la durée excessive des procédures civiles,
pénales, administratives ou en exécution, et l’absence de recours
effectif à cet égard (violations des articles 6.1 et 13 de la Convention)
. Notons aussi que ces affaires
sont à des stades différents d’exécution, mais qu’elles n’ont pas
été closes par une résolution finale du Comité des Ministres, ce
qui veut dire que toutes les mesures d’exécution – individuelles
et/ou générales – n’ont pas encore été adoptées.
7. A l’instar de M. de Vries, je voudrais aussi me référer au
nombre de requêtes pendantes devant la Cour, dont les statistiques
représentent des proportions légèrement différentes de celles du
Comité des Ministres. Parmi les dix États susmentionnés, sept figurent
aussi dans le «top ten» de la Cour: Ukraine, Turquie, Hongrie, Fédération
de Russie, Roumanie, Italie et Pologne. Au 31 décembre 2016, sur
79 750 requêtes pendantes devant la Cour, presque la moitié provenaient
des trois États membres suivants: l’Ukraine (22,8 %), la Turquie (15,8 %)
et la Hongrie (11,2 %). Ils étaient suivis par la Fédération de
Russie (9,8 %), la Roumanie (9,3 %), l’Italie (7,8 %), la Géorgie
(2,6 %), la Pologne (2,3 %), l’Azerbaïdjan (2,1 %) et l’Arménie
(2,0 %)
. A la fin de 2014,
ce classement se présentait d’une manière légèrement différente
(sur 69 900 requêtes pendantes): Ukraine (19,5 %), Italie (14,4 %),
Fédération de Russie (14,3 %), Turquie (13,6 %), Roumanie (4.9 %),
Serbie (3,6 %), Géorgie (3,3 %), Hongrie (2,6 %), Pologne (2,6 %)
et Slovénie (2,4 %)
. On peut donc constater
que depuis fin 2014 le pourcentage de requêtes pendantes contre
la Hongrie a augmenté de 2,6 % à 11,2 %, que la Serbie et la Slovénie
ont disparu de cette liste et que les requêtes contre l’Azerbaïdjan
et l’Arménie y figurent désormais. Alors que le nombre de requêtes
pendantes devant la Cour a augmenté de plus de 10.000, le pourcentage
de requêtes contre l’Ukraine, la Fédération de Russie et l’Italie
a diminué, celui des requêtes contre la Turquie et le Roumanie a
augmenté. Le pourcentage de requêtes contre la Pologne reste quasiment stable.
Même si ces statistiques représentent une autre «réalité» que celles
du Comité des Ministres, elles montrent souvent l’ampleur des problèmes
structurels au niveau national, et donc des problèmes qui auraient dû
être résolus dans le cadre du processus de l’exécution des arrêts
de la Cour.
8. Les principaux arrêts et problèmes concernant les dix États
membres ci-dessus et ceux ayant le plus grand nombre d’arrêts pendants
devant le Comité des Ministres sont mentionnés dans l’Annexe 1 à
ce rapport. Cette annexe prend aussi en compte les progrès qui ont
été accomplis entre temps, à savoir les résolutions finales du Comité
des Ministres clôturant l’examen de certaines affaires, ainsi que
les nouveaux problèmes (déjà relevés dans le rapport de mon prédécesseur)
que le Comité des Ministres est en train d’examiner. Une brève analyse
des principales affaires mentionnées permet de constater ce qui
suit
.
9. En
Italie, le problème
de la durée excessive des procédures judiciaires demeure toujours
chronique (voir groupes
Ceteroni, Leddone
n° 1, Abenavoli et
Luordo),
mais des avancées significatives ont été notées par le Comité des
Ministres, ce qui a permis la clôture d’un certain nombre d’affaires
concernant cette problématique
. Des progrès
réels ont été accomplis quant à la question du surpeuplement des établissements
pénitentiaires et l’absence de recours effectif contre les mauvaises
conditions de détention (
Torreggiani
et autres c. Italie), ce qui a permis au Comité des Ministres
de clore ce groupe d’affaires
.
En outre, le Comité des Ministres a jugé que l’Italie avait pris
toutes les mesures nécessaires pour exécuter les arrêts concernant
l’expulsion des étrangers contraire à l’article 3 de la Convention
(voir notamment
Ben Khemais c. Italie ).
Alors qu’aucun progrès n’a été constaté par le Comité des Ministres
depuis le rapport de M. de Vries dans les affaires du groupe
Belvedere Alberghiera S.R.L. concernant
les «expropriations indirectes» ou l’arrêt
Cirillo concernant
l’absence de soins médicaux appropriés dans les prisons
, les autorités italiennes font
des efforts concrets afin de mettre en œuvre l’arrêt
M.C. et autres, concernant l’annulation rétroactive
d’une réévaluation annuelle d’une indemnité pour les familles des
victimes des contaminations virales accidentelles.
10. La
Fédération de Russie a
pris toutes les mesures nécessaires permettant au Comité des Ministres
de clore le groupe d’affaires concernant l’inexécution des décisions
de justice internes (
Timofeyev c. Fédération de
Russie ) ainsi
que les affaires concernant «la procédure de contrôle en vue de
révision» (
nadzor) violant le
principe de la sécurité juridique (
Ryabykh
c. Fédération de Russie ). Néanmoins, les autres
problèmes restent en suspens et le Comité des Ministres est toujours
en attente de mesures d’exécution dans les affaires concernant les
mauvaises conditions de détention provisoire, en particulier dans
les maisons d’arrêt (groupe d’affaires
Kalashnikov et
l’arrêt pilote
Ananyev et autres ), la
durée excessive de détention provisoire et les violations de l’article
5 de la Convention européenne des droits de l’homme (groupe d’affaires
Klyakhin ), les actes
de torture et de mauvais traitements pendant la garde à vue (groupe
d’affaires
Mikheyev ) et les extraditions
secrètes vers les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale
(groupe d’affaires
Garabayev)
. Par ailleurs, il y
a eu trop peu d’avancées quant à la mise en œuvre de l’arrêt
Alekseyev sur l’interdiction des
rassemblements des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres
(LGBT)
ainsi que le groupe
d’affaires concernant les diverses violations des droits de l’homme
dues aux agissements de forces de sécurité dans le Caucase du Nord
(groupe d’affaires
Khashiyev et Akayeva ); ce dernier problème a
aussi été soulevé par l’Assemblée dans ses
Résolution 2157 (2017) et
Recommandation
2099 (2017) «Les droits de l’homme dans le Caucase du Nord: quelles
suites donner à la
Résolution
1738 (2010)?», adoptées le 25 avril 2017
. Dans cette résolution, l’Assemblée
a observé que l’exécution de 247 arrêts de ce groupe demeure «extrêmement
insatisfaisante» et «que la situation de la protection des droits
de l’homme et du respect de l’État de droit au Caucase du Nord demeure
l’une des plus graves de l’ensemble de l’espace géographique du
Conseil de l’Europe». Dans sa
Recommandation
2099 (2017), l’Assemblée a invité le Comité des Ministres à «continuer
à accorder la plus grande attention à l’évolution de la situation
des droits de l’homme» dans cette région et, concernant l’exécution
des arrêts susvisés, l’a encouragé à «continuer de mettre l’accent
sur les mesures individuelles et générales destinées à mettre un
terme au climat d’impunité, et en particulier à continuer de résister
aux tentatives des autorités russes, qui cherchent à profiter de
la prescription et des lois d’amnistie pour assurer une impunité
complète aux auteurs des violations des droits de l’homme même les
plus flagrantes».
11. Quant à la
Turquie,
en novembre 2016, le Comité des Ministres a décidé de clore l’examen
de 196 affaires concernant en particulier la durée excessive de
détention provisoire (voir groupe
Halise
Demirel ). Depuis le rapport de mon prédécesseur,
le Comité des Ministres n’a pas examiné les groupes d’affaires
Hulki Güneş (concernant l’iniquité
des procédures pénales et l’impossibilité de les rouvrir) et l’affaire
Űlke (concernant l’emprisonnement
à répétition des objecteurs de conscience). Malgré quelques progrès,
le Comité des Ministres attend toujours des informations complémentaires
sur les mesures prises ou envisagées dans les groupes d’affaires
concernant les violations à la liberté d’expression suite à des
condamnations pénales (groupe
Inçal),
l’inefficacité des enquêtes sur les agissements des forces de sécurité
en violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne des
droits de l’homme (groupe
Bati)
et l’usage excessif de la force pour disperser des manifestations
pacifiques (groupe
Oya Ataman).
En outre, quant aux arrêts concernant les diverses violations des
droits de l’homme dans la partie nord de Chypre suite à l’intervention
militaire de la Turquie à Chypre en 1974, le Comité des Ministres
a pris note, en décembre 2016, des avancées concernant les enquêtes
sur la disparition des Chypriotes grecs et des membres de leurs
familles
. Néanmoins, les autorités
turques refusent toujours de payer la satisfaction équitable octroyée
aux requérants par la Cour dans les arrêts
Varnava
et autres et les 33 affaires du groupe
Xenides-Arestis, malgré plusieurs
appels du Comité des Ministres (voir notamment la Résolution intérimaire
du Comité des Ministres
CM/ResDH(2014)185, dans laquelle le Comité des Ministres a dit que ce
refus continu était «en contradiction flagrante» avec les obligations internationales
de la Turquie). Il en est de même pour l’affaire
Chypre c. Turquie. Lors de sa réunion
du 7 au 10 mars 2017, le Comité des Ministres a insisté «une fois
de plus sur l’obligation inconditionnelle de payer la satisfaction
équitable allouée par la Cour» et a réitéré son appel aux autorités
turques à payer sans plus tarder les sommes allouées par cette dernière.
En
outre, deux autres problèmes structurels et/ou complexes, déjà mentionnés
dans le rapport de mon prédécesseur, sont en cours d’examen par
le Comité des Ministres (arrêts
Söyler et
Opuz).
12. Quant à l
’Ukraine,
le problème de l’inexécution des décisions de justice internes ou
de retard dans leur exécution (groupe
Zhovner)
persiste depuis plus de dix ans et, selon le Comité des Ministres,
«aucun progrès tangible n’a été accompli à ce jour»
,
malgré la volonté des autorités ukrainiennes de coopérer avec le
Conseil de l’Europe. Le Comité des Ministres est préoccupé par le
fait que, nonobstant ses décisions antérieures, les autorités ukrainiennes
n'ont ni commencé à mettre en œuvre la «stratégie en trois étapes»
(déjà approuvée par les autorités), ni conçu une approche ou une
stratégie globale pour le règlement des affaires pendantes devant
la Cour (et dont le nombre ne cesse de croître). Selon un rapport
d’experts, en vue de réaliser la «stratégie en trois étapes», les
autorités devraient se pencher sur les questions suivantes: les
modalités du calcul du montant total de la dette existante; l’élimination
des obstacles juridiques et institutionnels à l’exécution des décisions
judiciaires internes, les options de paiement des dettes découlant
de ces décisions, les mesures législatives susceptibles de résoudre
le problème existant et la question de savoir comment les modifications récemment
apportées à la Constitution sur les pouvoirs de contrôle des tribunaux
sur le processus d'exécution pourraient aider à résoudre le problème.
Quant aux autres arrêts de la Cour, le Comité des Ministres a noté quelques
progrès dans la mise en œuvre des arrêts concernant les mauvais
traitements infligés par les fonctionnaires de police (groupes
Afanasiyev et
Kaverzin),
la réglementation concernant l’usage de la détention provisoire
(arrêt
Kharchenko), le manque
d’impartialité et d’indépendance des juges (groupe d’affaires
Salov et arrêt
Volkov) ainsi que les violations
de la liberté de réunion
(groupe
d’affaires
Vyerentsov) . Depuis le rapport de M. de Vries,
les affaires concernant la durée excessive des procédures judiciaires
(groupes d’affaires
Svetlana Naumenko et
Merit), les mauvaises conditions
de détention (groupes d’affaires
Nevmerzhitsky et
Kuznetsov) ainsi que l’enquête interne
dans l’affaire
Gongadze (qui
a été examinée par l’Assemblée en 2009)
n’ont pas été examinées par le Comité
des Ministres
.
13. Concernant la
Roumanie,
des progrès ont été constatés quant aux problèmes de durée excessive
des procédures judiciaires et d’absence de recours effectif à cet
égard (ce qui a permis la clôture d’un certain nombre d’affaires
concernant cette problématique, à savoir les groupes d’affaires
Nicolau et
Stoianova
et Nedelcu) ainsi que relativement
aux mauvais traitements infligés par les fonctionnaires de police
(groupe
Barbu Anghelescu, qui
a aussi été clos par le Comité des Ministres
). Néanmoins, il y a eu
très peu d’avancées dans les autres groupes d’affaires mentionnés
dans le rapport de M. de Vries (concernant le surpeuplement et les
mauvaises conditions de détention
ou l’inexécution
des décisions de justice internes). D’autres problèmes structurels
et/ou complexes, déjà mentionnés dans le rapport de mon prédécesseur,
sont en cours d’examen du Comité des Ministres (groupes
Strain et Maria Atanasiu,
Association ‘21 décembre 1989’ et Ţicu et
arrêts
Centre de ressources juridiques
au nom de Valentin Câmpeanu et
Bucur
et Toma).
14. Depuis le rapport de mon prédécesseur, le nombre d’affaires
contre
la Hongrie pendantes
devant le Comité des Ministres a augmenté. Les principaux arrêts
contre ce pays concernent la durée excessive des procédures judiciaires
– civiles et pénales – (groupe d’affaires
Timár)
et les mauvaises conditions dans les établissements pénitentiaires,
dues notamment à leur surpeuplement (groupe d’affaires
Istvan Gabor Kovacs et arrêt pilote
Varga et autres). J’ai longuement
discuté de ces problèmes avec les autorités hongroises lors de ma
visite à Budapest. Concernant le premier problème, le 16 juillet
2015, la Cour a rendu un arrêt pilote dans l’affaire
Gazsó , dans lequel elle a
conclu qu’il s’agissait d’un problème structurel et a demandé aux autorités
de mettre en place sans retard et au plus tard le 16 octobre 2016
un recours interne effectif ou une combinaison de tels recours permettant
de régler de manière adéquate la question de la durée excessive
des procédures judiciaires. En décembre 2016, le Comité des Ministres
a noté avec regret le fait que ce délai n’avait pas été respecté
et a demandé aux autorités de fournir des informations, avant le
1er février 2017, sur le contenu du projet
de loi mettant en place un recours compensatoire au titre de la
durée excessive des procédures devant les juridictions civiles,
pénales et administratives. Le 1er février
2017, les autorités hongroises ont fourni un plan d’action au Comité
des Ministres
. Lors de ma visite à Budapest, les
autorités m’ont confirmé que le gouvernement réfléchissait à une
amélioration des recours contre la durée excessive des procédures
judiciaires. Concernant les mauvaises conditions de détention, les
autorités m’ont confirmé qu’un nouveau recours visant à indemniser
les détenus dont les droits ont été violés a été mis en place au 1er janvier
2017, et précisé qu’elles avaient élaboré un plan d’action visant
à construire de nouvelles prisons et à établir en parallèle un système
de mesures non privatives de liberté. J’ai aussi soulevé la question
de l’exécution de l’arrêt
Horváth et
Kiss concernant le placement discriminatoire d’enfants
d’origine rom dans des écoles pour enfants handicapés mentaux pendant
le cycle d’enseignement primaire; à cet égard, les autorités m’ont
informé qu’elles travaillaient activement sur la question de l’intégration
de ces enfants dans la société hongroise sur la base d’une stratégie
à long terme et qu’elles disposaient de suffisamment de ressources
à cette fin.
15. Concernant la
Grèce,
qui est confrontée au problème de la durée excessive des procédures
depuis au moins une décennie, des avancées ont été constatées en
la matière depuis le rapport de M. de Vries, ce qui a permis la
clôture de 206 affaires devant les juridictions administratives
, de plus
de 80 affaires dans le cadre de procédures pénales et de plus d’une
cinquantaine d’affaires dans le cadre de procédures civiles
. Quant aux affaires concernant les forces
de l’ordre et mettant en cause des recours à la force ayant entraîné
la mort ou qualifiables de mauvais traitements (groupe d’affaires
Makaratzis), un bilan d’action est
en cours d’examen au Comité des Ministres
. Cependant, des progrès sont toujours
attendus dans les groupes d’affaires concernant les conditions de
rétention des étrangers et les procédures de demande d’asile (groupe
M.S.S. c. Belgique et Grèce ) ainsi que les violations du droit
à la liberté d’association dues au refus des autorités grecques
d’enregistrer des associations promouvant l’idée de l’existence
d’une minorité ethnique à distinguer de la minorité religieuse reconnue
par le Traité de Lausanne de 1923 (groupe
Bekir-Ousta);
concernant ce dernier groupe d’arrêts en date de 2008, le Comité
des Ministres envisage d’adopter une résolution intérimaire lors
de sa 1294ème réunion en septembre 2017,
si aucun résultat tangible n’est obtenu entre temps. Le Comité des
Ministres examine aussi toujours deux autres groupes d’affaires
indiqués dans le rapport de mon prédécesseur –
Nisiotis (concernant les mauvaises
conditions dans les prisons) et
Beka-Koulocheri (concernant
l’inexécution des décisions judiciaires internes).
16. Par rapport à la
Bulgarie,
des progrès ont été constatés quant au problème de durée excessive
des procédures judiciaires et d’absence de recours effectif à cet
égard, en septembre 2015 et en février 2017, le Comité des Ministres
a clos respectivement 56 et 34 affaires concernant ce problème,
au vu de l’introduction des recours compensatoires effectifs et
des mesures prises pour accélérer les procédures, et notamment pour éliminer
les principales causes de certaines catégories de retard
.
Les questions en suspens – à savoir la durée excessive des procédures
devant les tribunaux surchargés et l’absence de recours accélératoire
effectif en matière pénale – sont toujours en cours d’examen devant
le Comité des Ministres dans le cadre du groupe d’affaires
Kitov et
Djangozov.
Concernant les autres problèmes relevés dans le rapport de M. de
Vries, certains progrès ont été accomplis dans le cadre de la mise
en œuvre des groupes d’affaires portant sur les mauvaises conditions
de détention (groupe d’affaires
Kehayov et
arrêt pilote
Neshkov et autres)
et les mauvais traitements par les agents des forces de l’ordre
(groupe
Velikova ),
mais davantage de mesures générales sont toujours attendues dans
ces affaires ainsi que dans les affaires concernant les expulsions
d’étrangers en violation de leurs droits au respect de la vie familiale
(groupe
C.G. et autres). En
outre, le Comité des Ministres examine la mise en œuvre d’autres
problèmes complexes – dans les affaires
Stanev,
UMO Illinden et autres et
Yordanova et
autres – soulevés par mon prédécesseur. Enfin, le Comité
des Ministres examine les mesures prises pour remédier à l’existence
d’un problème systémique d’inefficacité des enquêtes pénales dans
le cadre du groupe
S.Z.
17. La
République de Moldova ne
figurait pas parmi les neuf pays analysés dans le rapport de M. de
Vries. Néanmoins, le rapport précédent de M. Pourgourides mentionnait
déjà en détail les problèmes auxquels cet État était confronté quant
à l’exécution des arrêts: inexécution de décisions de justice internes
(groupe
Luntre), détention
provisoire illégale (groupe
Sarban)
ainsi que mauvais traitements infligés par la police (groupe
Corsacov) et mauvaises conditions
de détention en maison d‘arrêt et en prison (groupe
Sarban)
. Selon le dernier rapport annuel
du Comité des Ministres (2016), ces problèmes restent toujours d’actualité
, malgré plusieurs
avancées. Le rapport annuel du Comité des Ministres mentionne aussi
d’autres problèmes complexes liés à l’exécution de certains autres
arrêts (voir annexe 1).
18. S’agissant des affaires concernant la
Pologne, plusieurs
progrès ont été accomplis depuis le rapport de mon prédécesseur
et le nombre d’affaires pendantes devant le Comité des Ministres
a considérablement diminué. Le Comité des Ministres a clôturé l’examen
des affaires concernant les mauvaises conditions de détention
, l’absence de soins médicaux
appropriés dans les centres de détention
, le régime des détenus dangereux
et les mauvais traitements par
les agents des forces de l’ordre
, l’affaire
Bączkowski concernant un
refus discriminatoire d’autoriser une manifestation
ainsi
qu’un certain nombre d’anciennes affaires concernant les durées
de procédures judiciaires (pénales et civiles)
et administratives
. Les problèmes soulevés dans
ces affaires anciennes demeurent importants; le Comité des Ministres
examine ainsi d'autres affaires de ce type (dans le cadre des groupes
Majewski, Bąk et
Beller) et suit toujours la mise
en œuvre de l’arrêt pilote
Rutkowski
et autres (du 7 juillet 2015)
, dans
lequel la Cour a souligné qu’il s’agissait d’un problème structurel
et que le recours interne mis en place en 2004 n’était pas effectif.
Lors de ma visite à Varsovie, les autorités m’ont informé qu’une
nouvelle loi avait été adoptée le 30 novembre 2016 afin d’aligner
le recours existant aux exigences découlant de la jurisprudence
de la Cour. Plusieurs de mes interlocuteurs, notamment à la Cour
suprême et au ministère de la Justice, ont confirmé que la durée
excessive des procédures judiciaires (notamment civiles et pénales)
demeurait un problème structurel; en recevant chaque année environ 15 millions
de nouvelles affaires, les juridictions polonaises ont du mal à
éliminer l’arriéré judiciaire et depuis 2013, tous les ans, le nombre
de nouvelles affaires dépasse toujours le nombre d’affaires terminées
dans l’année. Selon les juges de la Cour suprême, certaines procédures
judiciaires devraient être simplifiées.
3. Données
générales concernant l’exécution des arrêts de la Cour entre 2015
et 2017
19. De manière générale, le rapport
du Comité des Ministres se montre optimiste à l’égard de la mise
en œuvre des arrêts de la Cour et salue certaines avancées réalisées
dans ce domaine. La première concerne le nombre «record» d’affaires
closes en 2016 – soit 2 066 (dont 282 affaires de référence) contre
1 537 (dont 153 affaires de référence) en 2015 et 1 502 en 2014
(dont 208 affaires de référence); plusieurs de ces affaires closes
concernent des problèmes structurels et étaient pendantes devant
le Comité des Ministres depuis plus de cinq ans (dont 30 affaires
de référence sous «surveillance soutenue»). La deuxième avancée
est liée à une nouvelle diminution du nombre d’affaires pendantes:
9.944 contre 10.652 fin 2015 et 10.904 fin 2014; ce chiffre reste
inférieur à celui de 2011 – 10.689 – et à celui des années 2012-2013
où il dépassait 11.000, lorsque la charge du travail du Comité des
Ministres avait connu un pic. On note également à cette occasion
une diminution d’affaires de référence: 1.493 fin 2016 contre 1.555
fin 2015 et, d’affaires sous «surveillance soutenue»: 5.950 fin
2016 contre 6.390 fin 2015 et 6.718 fin 2014; ce chiffre reste aussi
inférieur à celui des années 2011-2013. Comme constaté dans
le
rapport annuel du Comité des Ministres de 2015, ces tendances prometteuses peuvent être dues à une
efficacité accrue des processus nationaux d’exécution et à une meilleure
gestion des nouvelles affaires au sein du Comité des Ministres grâce
aux nouvelles méthodes de travail
. Le rapport de
2016 salue la réalité de l’engagement politique des États membres
vis-à-vis de la Convention et du respect des arrêts de la Cour,
entériné par le
Déclaration
de Bruxelles adoptée lors de la conférence de haut niveau les 26
et 27 mars 2015 «sur la mise en œuvre de la Convention européenne
des droits de l’homme, notre responsabilité partagée».
20. Il convient de noter que le nombre de nouvelles affaires en
2016 était de 1.352 (contre 1.285 en 2015), ce qui signifie qu’il
a été considérablement dépassé par le nombre d’affaires closes en
cette même année (2.066) et confirme les dernières tendances positives
(depuis 2012). En 2016, le nombre de nouvelles affaires de référence
était de 206 (contre 186 en 2015).
21. Néanmoins, le rapport annuel du Comité des Ministres de 2016
met en exergue un certain nombre de problèmes. Premièrement, on
constate toujours une augmentation des affaires de référence pendantes
depuis plus de cinq ans: 549 fin 2016 contre 514 fin 2015. Cette
tendance touche surtout les affaires examinées sous «surveillance
standard» (237 fin 2016 contre 135 fin 2015), mais le nombre d’affaires
de référence sous «surveillance soutenue» (donc les plus complexes
et «sensibles» politiquement) depuis plus de cinq ans a aussi augmenté ces
dernières années: de 128 en 2013, à 158 en 2014 et à 171 en 2015
et en 2016. Il en va de même pour toutes les affaires de référence
(sous procédures «standard» et «soutenue»): 453 en 2013, 593 en
2014, 685 en 2015 et 720 en 2016.
Deuxièmement, le rapport constate aussi
un certain nombre de problèmes dans le paiement de la satisfaction
équitable aux requérants, avec une augmentation de paiements hors
délai au cours de 2016 et des paiements en attente de confirmation
depuis plus de six mois (après l’expiration du délai de paiement).
En outre, l’utilisation accrue par la
Cour de la procédure devant les Comités de trois juges pour les
affaires répétitives couvertes par une jurisprudence bien établie
(«JBE») s’avère problématique pour le Comité des Ministres, car
la description très brève des faits dans certaines affaires de ce
type rend difficile l’identification des mesures individuelles et
générales.
22. Quant aux principales questions soumises à la «surveillance
soutenue» du Comité des Ministres (sur la base du nombre d’affaires
de référence), fin 2016, plus de la moitié des affaires concernaient
cinq problèmes majeurs: les actions des forces de sécurité (16 %),
les mauvaises conditions de détention et l’absence de soins médicaux
dans les établissements pénitentiaires (11 %), la légalité de la
détention et les questions connexes (10%), des situations spécifiques
concernant les violations du droit à la vie et les mauvais traitements
(9 %) et la durée excessive des procédures judiciaires (9 %). Viennent
ensuite l’inexécution des décisions de justice internes (6 %), les
autres ingérences dans le droit de propriété (5%), les violations
du droit au respect du domicile et de la vie privée et familiale
(5 %), la légalité de l’expulsion ou de l’extradition (4 %) et les
violations de la liberté de réunion et d’association (3%). Toutes
ces thématiques couvrent 78 % des affaires pendantes devant le Comité
des Ministres. Pour 80% des affaires sous «surveillance soutenue»,
la répartition des affaires par pays se présente de la manière suivante:
Fédération de Russie (17 %), Ukraine (16 %), Turquie (11 %), Bulgarie
(7 %), République de Moldova (7%), Italie (6%), Roumanie (5 %),
Azerbaïdjan (4 %), Grèce (4 %) et Hongrie (3 %).
23. Concernant les statistiques relatives à la durée moyenne de
l’exécution des affaires de référence qui ont été closes, il n’y
a pas eu d’amélioration. En 2014, la moyenne générale était de 4,1
années (4,1 années pour les affaires sous surveillance standard
et 4,8 années pour les affaires sous surveillance soutenue), alors
qu’en 2015 elle était de 4,5 années (4,1 années pour les affaires
sous surveillance standard et 7,2 années pour les affaires sous
surveillance soutenue) et en 2016 de 4,7 (4,2 pour les affaires
sous surveillance standard et 7,2 pour les affaires sous surveillance
soutenue).
4. Défis
particuliers pour l’exécution des arrêts de la Cour: exemples choisis
4.1. Remarques
générales
24. Les statistiques récentes du
Comité des Ministres démontrent donc que, malgré certains progrès,
une pleine et rapide mise en œuvre de certains arrêts de la Cour
européenne des droits de l’homme reste un défi. Le rapport annuel
du Comité des Ministres de 2015 affirmait déjà que le Comité des
Ministres était de plus en plus confronté à des difficultés liées
à des «poches de résistance», lorsqu’il s’agit de problèmes bien
ancrés de nature sociale (par exemple, vis-à-vis des Roms ou de
certaines minorités), politique, liés à la sécurité nationale ou
à des zones/régions de «conflits gelés»
. Le rapport de 2016 mentionne
explicitement quatre catégories de défis majeurs dans l’exécution
des arrêts de la Cour
:
1) des problèmes structurels importants et complexes; 2) l’absence
de compréhension commune des mesures d’exécution exigées des évolutions
de la jurisprudence de la Cour (notamment concernant l’interprétation
du concept de «juridiction»); 3) une exécution lente ou bloquée
en raison des désaccords entre les institutions nationales, ou entre
partis politiques au sujet de la substance des réformes exigées
et/ou de la procédure à suivre; 4) un refus d’adopter, nonobstant
une forte insistance de la part du Comité des Ministres, les mesures
individuelles requises ou de payer la satisfaction équitable. Concernant
la première catégorie, plusieurs problèmes structurels ont été mentionnés
ci-dessus et dans l’annexe 1; toutefois, l’absence de progrès dans
l’exécution du groupe
Zhovner c. Ukraine en est un bon exemple,
l’exécution de ces arrêts posant surtout un problème important de ressources
financières. S’agissant du deuxième type de problèmes, l’arrêt
Catan et autres c. Fédération de Russie l’illustre
très bien. Les arrêts
Sejdić et Finci
c. Bosnie-Herzégovine et
Paksas
c. Lituanie (et, dans une certaine mesure, aussi les
arrêts du groupe
Hirst c. Royaume-Uni
n° 2) représentent le troisième groupe de problèmes,
alors que les arrêts
Ilgar Mammadov c.
Azerbaïdjan, OAO Neftyanaya Kompaniya YUKOS c. Fédération de Russie et
les arrêts contre la Turquie concernant la partie nord de Chypre
(voir ci-dessus) – le quatrième groupe, celle du refus pur et simple
d’exécution. Les arrêts
Al Nashiri et
Husayn c. Pologne se distinguant
des quatre groupes susvisés méritent aussi une attention particulière
dans ce contexte.
25. À part cela, je souhaiterais mettre en exergue un autre défi
important: la réticence de certains États membres à accepter la
juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme. La non-exécution
de certains arrêts examinés ci-dessous en est un bon exemple. Néanmoins,
d’autres exemples peuvent provenir des discours critiques de certains
dirigeants politiques. Cela a été le cas notamment en Hongrie (récemment
suite à l’arrêt
Ilias et Ahmed c. Hongrie concernant
la détention illégale de demandeurs d’asile)
, au Royaume Uni (avec plusieurs
propos de la Première ministre Theresa May sur certains arrêts de
la Cour, notamment l’arrêt
Othman (Abu
Qatada) concernant
la déportation d’un imam jordanien soupçonné d’actes de terrorisme,
ou menaçant de se retirer de la Convention) ou en Suisse avec une
initiative populaire de l’UDC (Union démocratique du centre) «le
droit suisse au lieu de juges étrangers»
, suite à l’arrêt
Tarakhel c. Suisse concernant l’expulsion
d’une famille d’immigrés
. Je suis particulièrement attristé
par le fait que de telles attaques contre l’autorité de la Cour
ont également eu lieu à de nombreuses reprises en France, mon Etat d'origine,
et que cela a été récemment le cas lors de la campagne électorale.
Ce sujet a été débattu lors d’un brainstorming que j’ai organisé
à l’Assemblée nationale le 23 mai 2016. La classe politique française
reproche régulièrement à la Cour de l’empêcher de lutter convenablement
contre le terrorisme, en lui interdisant d’expulser des personnes
soupçonnées d’actes terroristes. Un autre objet d’attaques: les
arrêts
Mennesson et
Labassé concernant
la gestation pour autrui (GPA), pour l’exécution desquels la France
n’a toujours pas adopté les mesures générales requises. Les propos
critiques des hommes politiques démontrent souvent une confusion
entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de Justice
de l’Union européenne, confusion qui n’est pas toujours fortuite
et fait partie intégrante du discours antieuropéen. Ils induisent
le public en erreur et entraînent dans cette dérive les médias qui
sont censés informer le public des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme.
4.2. Arrêts soulevant des questions complexes
politiques quant à leur exécution
4.2.1. Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan
26. Le refus constant de l’Azerbaïdjan
de prendre les mesures individuelles requises par le Comité des Ministres
dans l’affaire
Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan est
un sujet de préoccupation majeure pour le Comité des Ministres
. Dans son arrêt, la Cour a conclu
que la détention du requérant, une figure politique de l’opposition,
était politiquement motivée et contraire aux articles 5.1.
c et 18 de la Convention. Le requérant
a été arrêté et placé en détention provisoire le 4 février 2013
et, le 17 mars 2014, il a été condamné à sept ans de réclusion par
le tribunal de première instance. Lorsque l’arrêt de la Cour est
devenu définitif, sa condamnation pénale n’était pas encore définitive.
Suite aux appels du requérant, l’affaire a été réexaminée par les
juridictions azerbaïdjanaises et, le 18 novembre 2016, la Cour suprême,
agissant en dernière instance, a confirmé la condamnation du requérant.
27. Depuis le premier examen de cette affaire en décembre 2014,
le Comité des Ministres a toujours souligné que les violations constatées
par la Cour mettaient en cause le bien-fondé de la procédure pénale engagée
contre le requérant et que les autorités devraient assurer sa libération
immédiate. Toutefois, malgré trois résolutions intérimaires et plusieurs
décisions adoptées par le Comité des Ministres appelant à la libération
immédiate de M. Mammadov, ce dernier, qui est considéré comme un
«prisonnier de conscience» par Amnesty International, est toujours
détenu et purge sa peine de prison depuis plus de quatre ans (dont près
de deux ans et demi après l’arrêt définitif de la Cour). Depuis
juin 2016, l’affaire est examinée à chaque réunion ordinaire et
DH du Comité des Ministres. Lors de sa 1273e réunion
(DH) (décembre 2016), le Comité des Ministres a déploré profondément
que la Cour suprême azerbaïdjanaise n’avait pas tiré les conséquences qui
s’imposaient des violations constatées par la Cour et a assuré sa
détermination à assurer la mise en œuvre de cet arrêt, en examinant
activement l’utilisation de tous les moyens à la disposition de
l’Organisation, y compris en vertu de l’article 46.4 de la Convention
. En janvier
2017, un représentant du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe,
a effectué une mission à Bakou dans le cadre de l’enquête sur le
respect des droits de l’homme en Azerbaïdjan, lancée par le Secrétaire
Général en décembre 2015 sur la base de l’article 52 de la Convention.
Suite à cette mission les autorités azerbaïdjanaises ont fourni
un nouveau plan d’action en février 2017
, qui mentionne notamment la signature,
le 10 février 2017, d’un décret du Président de l’Azerbaïdjan sur
la libéralisation de la politique pénale. Lors de sa 1280e réunion
(DH) de mars 2017, le Comité des Ministres a pris note «avec intérêt
de l’engagement exprimé par les autorités azerbaïdjanaises d’examiner
toutes les voies discutées lors de la mission du représentant du
Secrétaire Général en vue d’exécuter l’arrêt
Ilgar Mammadov,
ainsi que du Décret présidentiel prévoyant des mesures prometteuses
pour l’exécution de cet arrêt» et a invité les autorités à l’informer
des «mesures concrètes adoptées sur la base de ce Décret et en particulier
de celles permettant d’assurer la libération d’Ilgar Mammadov sans
délai supplémentaire».
28. Rappelons aussi que l’exécution de cet arrêt a été récemment
débattue par notre commission lors de sa réunion du 7 mars 2017
dans le cadre d’une discussion sur le rapport du président de la
commission et rapporteur M. Alain Destexhe (Belgique, ADLE) intitulé
«Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont
les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?»
; M. Destexhe
a effectué une visite d’information à Bakou les 9 et 10 février
2017. En outre, dans sa
Résolution
2062 (2015) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Azerbaïdjan, en se référant explicitement à cet arrêt, l’Assemblée
s’est inquiétée du recours à la détention provisoire comme moyen
de punir des personnes ayant critiqué le gouvernement et a appelé
les autorités à appliquer pleinement les arrêts de la Cour, conformément aux
résolutions du Comité des Ministres.
4.2.2. Groupe d’affaires Sejdić et Finci
c. Bosnie-Herzégovine
29. Dans
Sejdić
et Finci c. Bosnie-Herzégovine ,
la Cour a notamment constaté que la procédure d'élection à la présidence
de cet État était discriminatoire, en ce sens qu'elle empêchait
les requérants de se porter candidats en raison de leur refus de
déclarer leur appartenance à l’un des «peuples constituants» (à
savoir les Bosniaques, les Croates et les Serbes) ou en raison de
leur incapacité à répondre à une combinaison d’exigences relatives
à l’origine ethnique et au lieu de résidence (violations de l’article
1 du Protocole no 12). La Constitution
de la Bosnie‑Herzégovine n'autorise à se présenter que les personnes
déclarant une appartenance à l’un des «peuples constituants». En
2014 et 2016, la Cour a constaté des violations similaires dans
trois autres affaires
. Dans les arrêts
Zornić et
Šlaku, elle a indiqué, au titre
de l’article 46 de la Convention, que les violations résultaient
directement de l’absence de mesures prises pour se conformer à l’arrêt
Sejdić et Finci. Dans l’arrêt
Zornić, la Cour a aussi souligné
que le moment était venu pour que chaque citoyen de Bosnie-Herzégovine
puisse se présenter aux élections à la présidence sans discrimination;
le maintien des dispositions spéciales sur les «peuples constituants»
était nécessaire pour assurer la paix à l’époque où la constitution
a été mise en place (à savoir avec l’accord de paix de Dayton de
1995), mais à l’heure actuelle, il n'est plus justifié
.
30. Le Comité des Ministres suit de près cette affaire depuis
que l’arrêt de la Cour est devenu définitif (décembre 2009) et a
adopté trois résolutions intérimaires appelant les autorités et
les responsables politiques à faire en sorte que le cadre constitutionnel
et législatif soit mis en conformité avec les exigences de la Convention;
ce cadre légal n’a pas changé malgré les élections de 2010 et 2014.
A plusieurs reprises, le Comité des Ministres a souligné que l’exécution
de cet arrêt était une obligation légale pour la Bosnie-Herzégovine.
En 2015, les autorités ont informé le Comité des Ministres qu’un
engagement écrit de consacrer une attention particulière à l’exécution
de ce groupe d’affaires avait été adopté par la Présidence de l’État, signé
par les principaux partis politiques et endossé par le Parlement,
ce que le Comité des Ministres a salué lors de sa réunion 1230e (DH)
en juin 2015. En octobre 2016, les autorités ont informé le Comité
des Ministres que le Conseil des ministres avait adopté un plan
d’action pour l’exécution de ces arrêts, préparé par le ministre de
la Justice, et qu’un groupe de travail de haut niveau serait mis
en place
. Cependant, un tel groupe n’a pas été
constitué, les deux caucus restants de la Chambre des peuples n’ayant
pas désigné leurs représentants à ce jour. Lors sa 1273e réunion
(DH) en décembre 2016, le Comité des Ministres, qui a exprimé sa
profonde préoccupation quant à l’absence de progrès tangible dans
cette affaire depuis juin 2015, a noté que la Cour continuait de
rendre des arrêts constatant des violations similaires et que le
processus d’amendement constitutionnel était bloqué à cause de l’absence
de consensus entre les dirigeants des partis politiques. Etant donné
que le problème de l’inexécution des arrêts est aussi pris en compte
dans le cadre des négociations concernant l’adhésion de la Bosnie-Herzégovine
à l’Union européenne
, le Comité
des Ministres a invité les États membres et l’Union européenne à
soulever dans leurs contacts avec cet État la question de la mise
en œuvre de ces arrêts. Il a décidé de reprendre leur examen en
juin 2017.
31. Cette question est aussi examinée par l’Assemblée, notamment
dans le cadre de la procédure de suivi. A plusieurs reprises, l’Assemblée
a réitéré que la mise en œuvre de l’arrêt
Sejdić
et Finci était une obligation juridique et a appelé la
Bosnie-Herzégovine à amender sa Constitution (voir notamment ses
Résolutions 1701 (2010),
1725 (2010) et
1855 (2012) et
Recommandation
2025 (2013)).
4.2.3. Paksas c. Lituanie
32. Dans l’affaire
Paksas c. Lituanie, la Cour a conclu
à une violation du droit du requérant à des élections libres en
raison de l’inéligibilité définitive et irréversible à un mandat
parlementaire suite à sa destitution de la fonction présidentielle;
le requérant avait été destitué suite à une procédure d’
impeachment, conformément à la règle
énoncée dans la décision de la Cour constitutionnelle du 25 mai
2004 et la loi sur les élections au Seimas du 15 juillet 2004 (violation
de l’article 3 du Protocole no 1). Dans
son arrêt, la Cour a appelé les autorités à définir les mesures
à prendre afin de mettre un terme à la violation constatée et, dans
la mesure du possible, d’en effacer les conséquences, de manière
à rétablir la situation antérieure à la violation.
Le requérant,
qui est actuellement membre du Parlement européen, n’a pas pu se
présenter aux élections au Seimas depuis 2004 – ni aux élections
d’octobre 2012 ni à celles d’octobre 2016. Malgré deux tentatives
de réviser la Constitution – ce qui permettrait d’harmoniser la
situation juridique avec les exigences découlant de l’article 3
du Protocole no 1, l’arrêt n’a toujours
pas été exécuté. En septembre 2013, un premier projet de loi a été
soumis au parlement, mais ce dernier ne lui a pas donné suite, en
raison d’une décision de la Cour constitutionnelle. Un deuxième
projet de loi a été présenté au Seimas en mars 2015; son adoption
prévue pour juin 2015 a été reportée sur demande de membres du parti
du requérant. En décembre 2015, le Seimas l’a rejeté en deuxième
lecture. Pour cette raison, lors de sa 1273e réunion
(DH) en décembre 2016, le Comité des Ministres a exprimé sa profonde
préoccupation, a souligné que les autorités avaient l’obligation inconditionnelle
de prendre des mesures pour se conformer à cet arrêt, a pris note
de l’engagement continu des autorités d’entreprendre tous les efforts
pour exécuter cet arrêt et a décidé de reprendre l’examen de cette affaire
en juin 2017.
4.2.4. Al Nashiri et Husayn c. Pologne
33. Lors de ma visite à Varsovie,
j’ai soulevé la question de l’exécution des arrêts
Al Nashiri et
Husayn
(Abu Zubaydah) concernant la remise et la détention
secrètes en Pologne par la CIA des requérants qui étaient soupçonnés
d’actes terroristes (multiples violations de la Convention, et notamment
de l’article 3 sous le volet procédural et substantiel, de l’article
6.1 et, concernant M. Al Nashiri, aussi de l’article 1 du Protocole
no 6). La Cour a estimé que le transfert
des requérants depuis la Pologne les avait exposés à un risque réel
de déni flagrant de justice en raison du risque d’être jugés devant
des commissions militaires des Etats-Unis, avec utilisation de preuves
obtenues sous la torture. Elle a aussi noté que M. Al Nashiri, qui
avait été accusé de crimes capitaux devant les commissions militaires,
courait un risque réel d'être soumis à la peine de mort. Les requérants
sont actuellement détenus dans le centre d'internement de la base
navale américaine de Guantánamo Bay (Cuba). Depuis mars 2015, le
Comité des Ministres a examiné la question des mesures individuelles
urgentes à chacune de ses réunions DH et a exprimé sa vive préoccupation
quant à la situation des requérants. Le Comité des Ministres a appelé
les autorités polonaises à rechercher d’urgence auprès des autorités
des Etats-Unis l’assurance que M. Al. Nashiri ne sera pas soumis
à la peine de mort et que les requérants ne seront pas exposés à
un déni de justice flagrant. En février 2016, les autorités polonaises
ont indiqué au Comité des Ministres que les autorités des États-Unis
les avaient informées du rejet de leur demande d’assurances diplomatiques,
compte tenu de ce que les arrêts de la Cour ne reflétaient pas leurs obligations
en droit international. Malgré les demandes réitérées des autorités
polonaises et des appels répétés du Comité des Ministres et du Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe aux Etats-Unis (qui est un État observateur
au Conseil de l’Europe), la position des autorités américaines n’a
pas changé. Lors de sa 1280e réunion
(DH) en mars 2017, le Comité des Ministres a de nouveau exprimé
sa préoccupation quant à ces refus, insisté auprès des autorités
polonaises sur la nécessité qu'elles continuent «à faire activement usage
de tous les moyens au plus haut niveau pour rechercher les moyens
d’écarter les risques auxquels sont soumis les requérants»; il a
chargé son Secrétariat de préparer un projet de résolution intérimaire
dans le cas où ces dernières «ne donneraient aucune indication de
mesures prises aux plus hauts niveaux, au-delà de l’envoi de lettres
aux autorités des Etats-Unis»
. Lors des
discussions que j'ai eues avec eux, les fonctionnaires de haut niveau
du ministère des Affaires étrangères et de la chancellerie du Président
de la République – qui, suite à la demande du ministre des Affaires
étrangères, ont aussi envoyé une lettre aux autorités des Etats-Unis
en juillet 2016 – ont exprimé leur désarroi. Selon eux, l’exécution
de ces arrêts dépend de la bonne volonté des autorités des Etats-Unis,
les autorités polonaises ne sont pas en mesure de les forcer à leur
accorder les assurances diplomatiques requises par le Comité des
Ministres, et le Conseil de l’Europe devrait davantage les soutenir
dans leurs demandes adressées aux États-Unis. Concernant la durée excessive
de l’enquête menée auprès du procureur de Cracovie, elle est toujours
pendante et une demande d’entraide judiciaire a été rejetée par
les autorités des États-Unis.
4.2.5. Groupe d’affaires Hirst c. Royaume-Uni
(n° 2)
34. Dans l’affaire
Hirst c. Royaume-Uni (n° 2) (définitif depuis le
6 octobre 2005) et l’arrêt pilote
Greens
et M.T. c. Royaume-Uni , la Cour
a constaté des violations de la Convention en raison de l’interdiction
générale du vote des personnes condamnées purgeant une peine de
prison (violation de l’article 3 du Protocole no 1). Au
vu de l’inexécution de ces deux arrêts, la Cour a, entre 2014 et
2016, rendu trois autres arrêts similaires
et de nombreuses requêtes
concernant ce problème sont pendantes devant elle. Dans l’arrêt
Greens et M.T., la Cour a conclu
que les autorités devaient introduire des propositions législatives
afin de modifier l’interdiction générale du vote des détenus condamnés
(prévue par l’article 3 de la loi de 1983 sur la représentation
du peuple). Le 22 novembre 2012, les autorités du Royaume-Uni ont
soumis au parlement des projets de loi visant à modifier la législation
électorale, comportant trois options qui devaient être examinées
par une commission (mixte) parlementaire
.
Celle-ci a rendu public son
rapport le 18 décembre 2013, dont les conclusions ont été favorablement
accueillies par le Comité des Ministres lors de sa 1193e réunion
(DH) en mars 2014. Mais, depuis lors, en dépit des élections générales
de mai 2015 et des élections à venir 2017, aucun progrès n’a pu être
constaté.
35. Lors de sa 1243e réunion (DH) en
décembre 2015, le Comité des Ministres a adopté la résolution intérimaire
CM/ResDH(2015)251, exprimant sa profonde préoccupation sur le maintien
de l’interdiction générale du droit de vote des détenus condamnés,
rappelant aux autorités britanniques les obligations juridiques
résultant de l’article 46 de la Convention, invitant le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe à soulever la question de l’exécution
de ces arrêts dans ses contacts avec les autorités du Royaume-Uni,
et appelant les autorités britanniques à poursuivre un dialogue
de haut niveau sur ce problème. En 2016, ces dernières ont fourni
au Comité des Ministres des informations à cet égard
. Dans le cadre de ce dialogue, la Commission
parlementaire mixte des droits de l’homme du Parlement (JCHR) et
la Commission de la Justice de la Chambre des communes du Royaume-Uni
ont, entre autres, le 21 avril 2016, eu des discussions avec des
acteurs clés de notre organisation, dont notre commission. Le 25
octobre 2016
, les autorités britanniques ont
informé le Comité des Ministres que le but dudit dialogue était
de trouver des idées et des options qui permettraient de mettre
en œuvre les arrêts susvisés sans amender la loi de 1983 sur la
représentation du peuple et que le parlement s’opposait toujours
à l’adoption d’une nouvelle législation. Compte tenu des résultats
du référendum sur le Brexit et des travaux du gouvernement destinés
à en tirer les conséquences, les autorités britanniques n’ont pas
encore été en mesure de fixer un calendrier pour développer les
options pour la mise en œuvre de ces arrêts (qui nécessiterait entre
neuf et douze mois). Lors de sa réunion 1273e réunion
(DH) en décembre 2016, le Comité des Ministres a tenu un échange
avec le ministre d’État pour les tribunaux et la justice, a pris
note des informations sur le dialogue de haut niveau, a rappelé
aux autorités les obligations découlant de l’article 46 de la Convention
et a souligné qu’elles devraient soumettre des propositions concrètes
pour se conformer à ces arrêts, avec un calendrier indicatif pour
leur mise en œuvre, au plus tard le 1er septembre
2017, avant le prochain examen de ces arrêts (qui aura lieu au plus
tard en décembre 2017).
4.2.6. OAO Neftyanaya Kompaniya YUKOS c.
Fédération de Russie
36. Un autre exemple, plus inquiétant,
vient de la Russie, dont les autorités se sont montrées réticentes envers
les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme rendus dans
l’affaire
OAO Neftyanaya Kompaniya YUKOS
c. Fédération de Russie , dans laquelle la Cour a conclu
à diverses violations de la Convention (principalement de l’article
6 et de l’article 1 du Protocole no 1).
Dans son arrêt sur la satisfaction équitable, la Cour a alloué un
montant total de plus de 1,8 milliard d’euros aux actionnaires de
la société requérante au titre de la satisfaction équitable pour
le dommage matériel et a indiqué que les autorités devaient produire
d’ici le 15 juin 2015, en coopération avec le Comité des Ministres,
un plan exhaustif, assorti d’un calendrier contraignant pour la
répartition de ce montant. Lors de sa 1222e réunion
(DH) en mars 2015, le Comité des Ministres a invité les autorités
russes à se conformer à ce délai et à coopérer activement avec le Secrétariat.
Cependant, aucune mesure n’a été prise dans ce sens.
37. Le 14 juillet 2015, la Cour constitutionnelle russe a publié
une déclaration précisant que «la participation de la Fédération
de Russie à un traité international ne signifie pas son renoncement
à la souveraineté nationale. Ni la Convention européenne des droits
de l’homme, ni les positions judiciaires adoptées par la Cour européenne
des droits de l’homme sur son fondement ne peuvent annuler la primauté
de la Constitution. Leur mise en œuvre concrète dans l’ordre juridique
russe est soumise exclusivement à la reconnaissance de la suprématie
du caractère juridiquement contraignant de la Constitution»
. Par la suite,
un amendement à la loi constitutionnelle fédérale a été adopté par
la Douma d’État le 4 décembre 2015 et approuvé par le Conseil de la
Fédération le 9 décembre 2015
; selon
ce texte, la Cour constitutionnelle est habilitée à déclarer «non exécutables»
les décisions de juridictions internationales (dont la Cour européenne
des droits de l’homme) au motif de leur incompatibilité avec les
«fondements de l’ordre constitutionnel de la Fédération de Russie»
et «avec le régime des droits de l’homme instauré par la Constitution
de la Fédération de Russie».
38. Dans son avis intérimaire adopté lors de sa session des 11
et 12 mars 2016 (et rendu suite à la demande de notre commission),
la Commission européenne pour la démocratie et le droit (Commission
de Venise) a vivement critiqué cet amendement comme contraire au
droit international, notamment la
Convention
de Vienne sur le droit des traités, et émis un nombre de recommandations concernant la
modification de la loi constitutionnelle fédérale
. En dépit
de cela, le 19 avril 2016, la Cour constitutionnelle russe a appliqué
cette nouvelle loi dans le contexte de la mise en œuvre de l’arrêt
Anchugov et Gladkov c. Russie portant sur l’interdiction
générale du vote des détenus; elle a exclu toute modification constitutionnelle
visant à éliminer cette interdiction suite à l’arrêt de la Cour
européenne des droits de l’homme, mais en même temps, elle a admis
qu’une révision législative serait possible afin d’assouplir les
restrictions existantes au droit de vote des détenus purgeant des
peines pour des infractions moins graves
.
Lors de sa session des 10 et 11 juin 2016, la Commission de Venise
a adopté un
avis
final sur les amendements à la loi constitutionnelle fédérale, dans lequel elle confirme ses constats précédents.
39. Lors de sa 1273e réunion (DH) en
décembre 2016, le Comité des Ministres a noté avec préoccupation que
le ministre de la Justice avait saisi la Cour constitutionnelle
d’une demande concernant la possibilité d’exécuter l’arrêt sur la
satisfaction équitable. La Cour constitutionnelle a, dans sa décision
du 19 janvier 2017
, conclu qu’il était impossible d’exécuter
cet arrêt en l'état concernant l’indemnisation du dommage matériel,
mais, qu’en même temps, il fallait chercher un compromis, vu l’importance
fondamentale du système européen de la protection des droits de
l’homme, et que le gouvernement devrait réfléchir à une indemnisation des
associés de YUKOS dans les conditions définies au paragraphe 7 de
sa décision.
40. Lors de sa dernière – 1280e – réunion
(DH) en mars 2017, le Comité des Ministres a exprimé sa «sérieuse
préoccupation du fait de la non-exécution, à ce jour, de l’arrêt
du 31 juillet 2014», a réitéré «fermement l’obligation inconditionnelle
incombant à la Fédération de Russie», en vertu de l’article 46 de
la Convention, de se conformer aux arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme et a invité instamment les autorités à l’informer
«de toutes mesures pertinentes en vue d’une solution appropriée»
ainsi qu’à coopérer avec le Comité des Ministres et son Secrétariat.
Le Comité des Ministres a décidé
de reprendre l’examen de cette affaire en septembre 2017 au plus
tard.
41. Le 21 janvier 2017, dans une
déclaration faite conjointement avec les corapporteurs de la commission de
suivi sur la Fédération de Russie, j’ai exprimé un avis critique
quant à l’impact de la décision de la Cour constitutionnelle sur
la mise en œuvre de l'arrêt
OAO Neftyanaya
Kompaniya YUKOS et des arrêts de la Cour européenne des
droits de l’homme en général. À notre avis, cette décision y fait
obstacle et les autorités russes devraient considérer la possibilité
d’amender les dispositions constitutionnelles qui empêchent l’exécution
de certains arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme,
une exécution sélective des arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme étant inacceptable.
4.2.7. Catan et autres c. Fédération de Russie
42. Un autre arrêt contre la Fédération
de Russie – Catan et autres –
soulève des problèmes complexes d’exécution. Cette affaire concerne
la violation du droit à l’instruction (article 2 du Protocole no 1)
des requérants, 170 élèves ou parents d’élèves d’écoles utilisant
l’alphabet latin situés dans la région transnistrienne de la République
de Moldova, suite à la fermeture forcée de ces écoles en application
d’une «loi» de la «République moldave de Transnistrie (RMT)». Même
s’il n’y avait aucune preuve d’une participation directe d’agents
russes aux mesures prises à l’encontre des requérants et que rien
n’indiquait que la Fédération de Russie soit intervenue dans la
politique linguistique de la «RMT», la Cour a rendu cet arrêt contre
la Fédération de Russie, en jugeant qu’elle exerçait un contrôle
effectif sur la «RMT» à l’époque des faits. Le Comité des Ministres
examine cette affaire depuis décembre 2013 et a déjà adopté trois
résolutions intérimaires en raison de l’absence d’avancées dans
la mise en œuvre de cet arrêt. En juin 2016, la Fédération de Russie
a indiqué son intention de travailler sur une réponse acceptable
à l’arrêt de la Cour, sur la base des conclusions de conférences
à haut niveau et d’autres événements. Rappelant cette intention
des autorités russes, en mars 2017, le Comité des Ministres les
a appelés instamment à achever leurs réflexions dans les meilleurs
délais, à engager un dialogue constructif et à collaborer pleinement
avec le Comité des Ministres et son Secrétariat (lors de la 1280e réunion
DH).
5. Bilan des récentes réformes et autres
mesures prises au sein du Conseil de l’Europe et dans certains États
membres pour améliorer l’exécution des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme
43. Le rapport annuel du Comité
des Ministres de 2016 fait état d’un certain nombre de mesures qui
ont été prises au sein du Conseil de l’Europe en vue d’améliorer
le processus d’exécution des arrêts et la procédure de sa surveillance
par le Comité des Ministres
.
44. Des progrès dans l’exécution de plusieurs affaires ont été
possibles grâce à des activités ciblées (tables rondes, expertises
juridiques, échanges de vues ou programmes de formation) du Comité
des Ministres et du Service de l’exécution des arrêts ainsi qu’à
l’inclusion des questions liées à l’exécution des arrêts dans les grands
programmes de coopération généraux engagés par le Conseil de l’Europe
avec un bon nombre de pays (Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine,
Géorgie, République de Moldova et Ukraine) grâce aux financements
de certains États membres (notamment via le
Fonds
fiduciaire du Conseil de l’Europe), de l’Union européenne ou d’autres organisations.
45. En décembre 2015, le CDDH a envoyé son «
Rapport
sur l’avenir à plus long terme du système de la Convention européenne
des droits de l’homme», qui conclut que les défis qui se posent à long terme
au système de la Convention peuvent trouver des réponses dans le
cadre des structures existantes; en mars 2016, la Cour s’est ralliée
à ce constat. Dans ce contexte, je voudrais souligner que le CDDH
a mentionné parmi ces défis la non-exécution prolongée d’un certain
nombre d’arrêts et les menaces directes pour l’autorité de la Cour.
Le CDDH a aussi créé un comité d’experts sur le système de la Convention
(DH-SYSC), qui examine l’application de la
Recommandation
CM/Res(2008)2 sur des moyens efficaces à mettre en œuvre au niveau
interne pour l’exécution rapide des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme. Le DH-SYSC a élaboré une compilation de bonnes
pratiques nationales en matière d’exécution et travaille actuellement
sur un guide de bonnes pratiques en vue de son adoption par le Comité
des Ministres; selon ce groupe d’experts, une mise à jour de la
Recommandation CM/Res(2008)2 n’est pas nécessaire
.
46. Le rapport annuel du Comité des Ministres de 2016 souligne
aussi que la transparence de son action de surveillance a été améliorée.
Depuis juin 2016, la liste des affaires faisant l’objet d’un examen
détaillé lors d’une réunion donnée du Comité des Ministres est publiée
dès la fin de la réunion. Suite à une modification des
Règles
du Comité des Ministres pour la surveillance de l’exécution des
arrêts et des termes des règlements amiables (le 18 janvier 2017), d’autres organisations internationales
intergouvernementales œuvrant en matière de droits de l’homme peuvent
aussi soumettre des communications sur l’exécution des arrêts (voir
Règle 9.3), mais cette nouvelle possibilité n’a pas encore été beaucoup
utilisée. Les sites Internet du Secrétariat du Comité des Ministres
et du Service de l’exécution des arrêts ont aussi été améliorés;
ainsi, ce dernier comporte un nouveau moteur de recherche,
HUDOC EXEC, ainsi que des «fiches pays». En outre, le nombre de
communications d’ONG et d’institutions nationales de protection
des droits de l’homme ont augmenté, passant à 90 en 2016 à environ
80 dans les années précédentes
. La société civile s’intéresse
de plus en plus à cette problématique et une structure «faîtière»
de plusieurs ONG (notamment Open Society Justice Initiative et Judgment
Watch) – l’
European Implementation Network –
a été récemment créée à Strasbourg. La question de la transparence
des travaux du Comité des Ministres a été aussi abordée par notre experte,
Mme Betsy Apple, lors de l’audition de
juin 2016. Mme Apple a considéré que
les travaux du Comité des Ministres et du Service de l’Exécution
des arrêts demeuraient opaques et que le langage des décisions et d’autres
documents du Comité des Ministres était incompréhensible pour le
grand public, malgré les avancées qui ont eu lieu avec la publication
des rapports annuels du Comité des Ministres depuis 2007. Mme Apple
a rappelé qu’afin de faire entendre la voix des ONG et de faire
parvenir au Comité des Ministres des informations provenant de sources
non-gouvernementales, depuis 2013, son organisation – Open Society
Justice – avait organisé des briefings pour les membres du Comité
des Ministres avant les réunions DH et souligné que cette initiative
avait eu beaucoup de succès. Selon l’experte, les briefings ont
permis, d'une part, que les textes du Comité des Ministres soient
plus exigeants et rédigés en termes plus fermes, et, d'autre part,
qu'ils reflètent mieux la position de la société civile. Néanmoins,
cela n’a pas renforcé durablement le rôle des ONG dans le processus
de la surveillance de la mise en œuvre des arrêts; ces dernières
se heurtent toujours à plusieurs obstacles bureaucratiques.
47. Le rapport annuel du Comité des Ministres de 2016 constate
aussi un renforcement de structures de coordination au niveau national
et un intérêt accru de la part des parlements nationaux, notamment
par le biais de nouvelles structures spécifiques pour suivre l’exécution
des arrêts (en Géorgie en juin 2016; une initiative dans ce sens
a été aussi lancée en République de Moldova) et par le biais de
rapports annuels des gouvernements (par exemple, en Belgique, en
2016, le ministre de la Justice a publié le premier rapport sur
le contentieux de ce pays devant la Cour européenne des droits de
l’homme)
.
En France, malgré trois initiatives récentes (dont une initiée par
moi-même et deux autres – en 2011 et en 2014 – respectivement par
nos collègues M. Jean-Claude Mignon et Mme Marietta
Karamanli), une telle structure n’a malheureusement pas encore été
mise en place. J’ai aussi soulevé ces questions lors de mes visites
en Pologne et en Hongrie. Dans les deux pays, j’ai salué le travail
du gouvernement qui présentait annuellement au parlement ses travaux
sur la mise en œuvre des arrêts. A Varsovie, j’ai aussi salué le
travail du groupe interministériel pour l’exécution des arrêts de
la Cour; néanmoins, j’ai aussi exprimé ma déception quant au fait
que la Sous-commission pour la mise en œuvre des arrêts, créée en
février 2014 sous les auspices de la Commission de la justice et
des droits de l’homme et de la Commission des affaires étrangères
du Sejm n’a pas été reconstituée après les élections législatives
d’octobre 2015. Cela est d’autant plus regrettable que cette sous-commission
avait travaillé en étroite collaboration avec la société civile.
48. Rappelons que, depuis septembre 2013, la Division de soutien
de projets parlementaires de notre Assemblée mène des activités
de sensibilisation dans ce domaine, en organisant notamment des
séminaires pour les parlementaires et les conseillers juridiques
des parlements sur la Convention
. Récemment,
en mars et en avril 2017, des séminaires ont été organisés avec
la participation des parlementaires géorgiens et ukrainiens.
49. Des recommandations et des suggestions précieuses adressées
à différents organes du Conseil de l’Europe sont contenues dans
un rapport de la Direction de l’Audit interne et de l’Evaluation,
publié le 30 janvier 2017. Ce rapport intitulé «
Evaluation
de l’efficacité du soutien apporté par le Conseil de l’Europe à
la mise en œuvre de la Convention des droits de l’homme au niveau
national » préconise notamment que le Secrétariat de l’Assemblée
renforce son soutien «aux parlements nationaux pour la création
de structures chargées de surveiller l’exécution des arrêts et de
garantir la conformité des projets de loi avec la Convention», renforce
la connaissance de la Convention au niveau des parlementaires et
des agents publics. Selon ses recommandations, il serait aussi souhaitable
que les rapporteurs de l’Assemblée incluent les facultés de droit dans
les programmes de leurs visites d’information, qu’ils participent
à des débats publics sur ce sujet et que des auditions avec les
agents des gouvernements soient organisées. Le rapport relève aussi
deux difficultés majeures dans la mise en œuvre des arrêts: l’incompréhension
(de la part de l’État concerné) des mesures qui sont requises et
l’impossibilité d’apporter au Comité des Ministres des preuves de
l’incidence des changements législatifs introduits et d’autres documents
requis pour la clôture des affaires. Dans ce contexte, on a constaté
que l’absence de lois secondaires ou d’affectations budgétaires
correspondantes dans les plans d’action constituaient une entrave
importante à la mise en œuvre effective des lois requises pour exécuter pleinement
un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.
50. Une question importante, qui n’a pas été examinée avec assez
de précision dans le rapport annuel du Comité des Ministres de 2016,
reste encore à aborder dans ce contexte: le rôle de la Cour dans
le processus de la mise en œuvre des arrêts. Comme souligné dans
le rapport de mon prédécesseur, depuis l’entrée en vigueur du Protocole
no 14 à la Convention, la Cour a davantage
pris les devants dans ce processus, en rendant de plus en plus d’arrêts
pilotes ou de «quasi arrêts pilotes»; néanmoins, cette pratique
a aussi été mis en question par certains juges de la Cour, la CDDH
et certains experts juridiques
. Ces arrêts donnent au Comité
des Ministres des indications plus ou moins précises quant aux mesures
(individuelles et/ou générales) pour la mise en œuvre des arrêts.
Selon M. Giorgio Malinverni, ancien juge à la Cour, ils ont permis
aux autorités nationales de répondre de manière satisfaisante aux
exigences de la Cour et du Comité des Ministres et la procédure
d’arrêt pilote permet d’alléger considérablement la charge de travail
de la Cour, en réduisant le nombre de cas répétitifs. Toutefois,
cette pratique ne devrait pas empiéter sur la liberté des États
à choisir les mesures d’exécution. Afin d’améliorer la qualité et
la précision des arrêts, il serait utile que des échanges soient
plus fréquents entre le Service de l’exécution des arrêts, d’une
part, et les juges et/ou les juristes de la Cour, d’autre part.
51. Quant à l’usage, préconisé par mon prédécesseur, de l’article
46.4 de la Convention (qui n'a jusqu’ici jamais été utilisé par
le Comité des Ministres), les avis restent très partagés. Selon
M. Malinverni, l’utilisation de ce recours en manquement pourrait
encore exacerber les choses. Il convient de noter que le déclenchement
d’une telle procédure retarderait davantage la mise en œuvre d’un
arrêt donné, étant donné que l’affaire serait renvoyée du Comité
des Ministres à la Cour et l’examen par cette dernière nécessiterait
au moins quelques années. L’utilisation de cette procédure signifierait
que le Comité des Ministres a échoué dans son rôle de «superviseur»,
car l’arrêt n’a pas été exécuté
.
Il serait peut-être plus utile de «tester» d’abord la procédure
de l’article 46.3 de la Convention permettant au Comité des Ministres
de demander à la Cour l’interprétation d’un arrêt.
6. Conclusions
52. Un survol des affaires examinées
dans le rapport très complet de mon prédécesseur et concernant surtout
des problèmes structurels nécessitant la prise de mesures générales
d’envergure démontre que depuis 2015 plusieurs avancées, dans tous
les pays concernés, ont été réalisées, qui ont permis leur clôture
par le Comité des Ministres, notamment quant aux groupes d’affaires
concernant la durée de procédures judiciaires (Bulgarie, Grèce,
Italie, Pologne et Roumanie), les mauvaises conditions de détention
et l’absence de recours effectif à ce regard (Italie et Pologne),
l’abus de force par les agents des forces de l’ordre (Roumanie),
la durée excessive ou la légalité de la détention provisoire (Fédération
de Russie et Turquie) ainsi que l’inexécution des décisions judiciaires
internes et la procédure de
nadzor en
Fédération de Russie. Dans plusieurs autres affaires ou groupes
d’affaires, des avancées importantes ont eu lieu, mais elles ne
sont peut-être pas encore suffisantes pour permettre la clôture
de ces affaires. Comme le souligne le rapport annuel du Comité des Ministres
de 2016, ces avancées concernaient le plus souvent des réformes
focalisées autour des questions liées à l’État de droit. Elles nécessitaient
parfois une forte volonté politique comme dans le cas des affaires
Kurić ou
Alisić
c. Slovénie (que je n’ai malheureusement pas pu analyser
en détail dans le cadre de ce rapport) représentant des enjeux politiques
et économiques considérables
. Le rapport du Comité des Ministres
de 2016 a aussi souligné une amélioration de l’effectivité des recours
nationaux.
53. Néanmoins, plusieurs problèmes très complexes perdurent (notamment
en Fédération de Russie, en Turquie et en Ukraine) et l’écoulement
du temps montre davantage l’absence de volonté politique pour mettre en
œuvre certains arrêts, comme les arrêts contre la Turquie concernant
la partie nord de Chypre, dans lesquels les autorités turques refusent
de payer la satisfaction équitable, les nombreux arrêts concernant
les violations graves de la Convention en Tchétchénie ou l'arrêt
Bekir-Ousta c. Grèce concernant
la liberté d’association des minorités ethniques en Grèce. Dans
ce contexte, il convient aussi de pointer du doigt la question complexe
de l’(in)exécution de plus de 400 arrêts concernant l’inexécution
des décisions judiciaires internes en Ukraine; depuis 2005, aucune
solution fiable et concrète n’a été mise en place pour remédier
à ce problème et prévenir l’affluence en grand nombre de nouvelles
affaires portées devant la Cour. Force est de constater également
que les rapports de M. Pourgourides et M. de Vries se focalisaient
sur des arrêts qui n’avaient pas été mis en œuvre depuis plus de
cinq ans et que plusieurs de ces arrêts – mentionnés dans le rapport
de ce dernier – étant déjà pendants depuis plus de dix ans lorsque
l’Assemblée a adopté sa
Résolution 2075
(2015). Deux ans après l’adoption de ce texte, un certain nombre
d’arrêts mentionnés dans ce rapport demeurent donc inexécutés depuis
plus de douze ans (voir notamment
Hirst
n° 2). Néanmoins, l’absence de volonté politique pour
mettre en œuvre certains arrêts se manifeste parfois à un stade
beaucoup plus précoce, comme dans les affaires Ilgar Mammadov,
OAO Neftyanaya Kompaniya YUKOS ou
Catan et autres. Les «poches de
résistance» examinées ci-dessus concernent surtout la question des
mesures individuelles (Ilgar
Mammadov ou
Al-Nashiri) ou du paiement de la
satisfaction équitable (
OAO Neftyanaya
Kompaniya YUKOS); souvent la question des mesures individuelles
est directement associée à celles des mesures générales qui doivent
d’abord être prises pour que celles-ci puissent être mises en place
(
Hirst n° 2, Paksas, Sejdić et Finci ou
Catan). Certaines affaires nous
montrent aussi que l’exécution des arrêts requiert un engagement
plein et clair des parlements nationaux et/ou des partis et des
leaders politiques (
Hirst n° 2, Paksas ou
Sejdić et Finci), alors que dans
les affaires comme
Ilgar Mammadov ou
OAO Neftyanaya Kompaniya YUKOS les
obstacles à la mise en œuvre des arrêts proviennent aussi du pouvoir
judiciaire. Ainsi, l’exécutif n’est pas toujours le seul responsable
de retards dans l’exécution des arrêts ou de leur inexécution. Les
entraves au bon déroulement de ce processus ne sont pas toujours
faciles à déterminer et peuvent parfois provenir d'États tiers –
comme dans les affaires du groupe
Al
Nashiri – ou être dues à un manque de clarté de l’arrêt
même (comme dans le cas de l’arrêt
Catan
et autres, dans lequel la Cour a jugé que la Fédération
de Russie était responsable des violations de la Convention, en
admettant cependant qu’il n’y avait aucune preuve d’une implication
directe de ses agents dans les violations constatées).
54. L’exécution des arrêts de la Cour demeure donc un processus
complexe dans certains cas et j’appelle toutes les autorités concernées
à faire preuve d’un grand engagement politique en vue de résoudre
tous les problèmes qui se posent dans le cadre de ce processus et
d’utiliser tous les moyens disponibles afin de trouver des solutions
constructives. Cet engagement doit provenir non seulement de l’exécutif,
mais aussi du législatif. Je réitère les appels de mes prédécesseurs
à ce que les parlements nationaux s’intéressent davantage à cette problématique,
créent des structures pour assurer la compatibilité des projets
de lois avec la Convention telle qu’interprétée par la Cour et encouragent
l’exécutif à les tenir informés régulièrement des progrès accomplis dans
ce domaine. J’en appelle aussi à tous les organes du Conseil de
l’Europe – notamment au Comité des Ministres, au Commissaire aux
droits de l’homme, au Secrétaire Général et à notre Assemblée –
à se concentrer davantage sur ces questions, à appliquer une approche
transversale qui permettrait de prendre en compte la problématique
de la mise en œuvre des arrêts de la Cour dans les projets réalisés
sous les auspices de notre Organisation, à assurer une meilleure
transparence des travaux dans ce domaine (notamment du Comité des
Ministres) et à coopérer davantage avec la société civile. Le Secrétaire
Général a le pouvoir de déclencher des enquêtes sur la base de l’article
52 de la Convention et il pourrait utiliser plus souvent ce pouvoir.
Il pourrait aussi soulever davantage la problématique de la mise
en œuvre des arrêts lors de ses missions spécifiques dans les pays
et lors de ses contacts de haut niveau. Quant au Commissaire aux
droits de l’homme, je l’encourage à faire de même dans le cadre
de ses activités (préparation des rapports périodiques ou autres
et visites dans les pays). Les ressources du Service de l’exécution
des arrêts devraient être renforcées davantage. En outre, le Comité
des Ministres devrait continuer à améliorer la transparence de ses
travaux et réfléchir à la question de savoir comment la société
civile pourrait être impliquée régulièrement dans le processus de
surveillance de l’exécution des arrêts.
55. L’exécution des arrêts de la Cour est une obligation juridique
découlant de l’article 46.1 de la Convention et un refus constant
de se plier à cette obligation soulève des questions sous l’angle
de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1)
quant au respect des droits de l’homme, une des trois valeurs clés
de notre Organisation. J’en appelle aux États les plus récalcitrants
à une exécution pleine et rapide de certains arrêts de la Cour pour
respecter cette obligation et faire tous les efforts possibles dans
ce sens, en coopération avec les organes compétents du Conseil de
l’Europe et en se référant aux bons exemples provenant d’autres
États membres. L’exécution des arrêts dépend surtout de la volonté
politique des Etats. Ainsi, j’exhorte les États concernés à faire
preuve d’une telle volonté et à prévenir ou faire cesser toute atteinte
à l’autorité de la Cour.