Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 14341 | 12 juin 2017

Répercussions sur les droits de l’homme de la réponse européenne aux migrations de transit en Méditerranée

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Miltiadis VARVITSIOTIS, Grèce, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14168, Renvoi 4252 du 25 novembre 2016. 2017 - Troisième partie de session

Résumé

Plus d’un an après son adoption, le 18 mars 2016, force est de reconnaître que l’Accord UE-Turquie a donné quelques résultats positifs, tels que la diminution considérable des traversées et des décès en Méditerranée, entre la Turquie et les îles grecques. Par conséquent, la situation en Grèce s’est largement améliorée en termes d'accueil, d'enregistrement et de traitement des demandes d'asile, bien que la Grèce soit devenue un pays de destination. Toutefois, certains aspects restent préoccupants et requièrent des améliorations et des efforts supplémentaires.

En Italie, l’aggravation de la situation, qui n’a rien à voir avec la mise en œuvre de l’Accord UE-Turquie, est la conséquence de l’augmentation du nombre des arrivées en provenance d’Afrique, mais aussi de la lenteur des procédures d’asile et de la quasi-absence de politiques organisant le retour des demandeurs d'asile déboutés.

Dans ces deux pays qui sont en première ligne, la situation des mineurs non accompagnés est particulièrement préoccupante. Le traitement de ce problème devrait être considéré comme une priorité absolue.

Le projet de résolution répertorie toute une série de mesures que les pays concernés sont invités à prendre pour améliorer la situation à court et à plus long terme.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 2 juin 2017.

(open)
1. Plus d’un an après l’adoption de l’Accord UE-Turquie du 18 mars 2016, l’Assemblée parlementaire reconnaît que les mesures déployées ont produit des effets tangibles sur les défis engendrés par la crise des réfugiés et des migrations. Si, dans les semaines précédant la mise en œuvre de l’Accord, près de 2 000 personnes par jour en moyenne arrivaient sur les îles grecques, ce nombre est tombé à moins de 100 par jour depuis lors. Quant au nombre de morts, qui atteignait 376 de début janvier au 20 mars 2016, il a diminué de façon significative durant la période 2017 correspondante – 13 personnes ont perdu la vie.
2. En conséquence, la situation en Grèce s’est améliorée malgré le fait que ce pays soit devenu un lieu de destination où près de 100 % des personnes qui arrivent demandent l’asile. À l’heure actuelle, 63 000 demandeurs d’asile attendent le résultat de la procédure de détermination de leur statut. 14 000 d’entre eux sont confinés sur les îles. Grâce à la création de «hotspots», l’accueil, l’enregistrement et le traitement des demandes d’asile ont énormément gagné en efficacité et, grâce aux efforts constants déployés par les autorités grecques et d’autres acteurs pour les améliorer, ces démarches suscitent moins de préoccupations qu’auparavant. Toutefois, dans l’ensemble, les conditions d’accueil restent médiocres et la situation des mineurs non accompagnés est des plus inquiétante. Sur 2 000 mineurs enregistrés en Grèce, seuls 1 352 vivent dans des foyers adaptés à leurs besoins spécifiques.
3. L’Assemblée note que les craintes concernant les possibles renvois de réfugiés syriens en Turquie en tant que «premier pays d’asile» ou «pays tiers sûr» dans le cadre de l’Accord UE-Turquie, se sont avérées sans fondement: aucun demandeur d’asile syrien (ou d’une autre nationalité) n’est renvoyé sans que sa demande d’asile ne soit dûment examinée sur le fond en Grèce. Depuis l’Accord UE-Turquie et jusqu’en avril 2017, le nombre total des personnes renvoyées s’élève à 1 487. L’examen sur le fond de toutes les demandes est le résultat de la position cohérente de la commission d’appel grec à cet égard.
4. En outre, l’Assemblée note que les craintes concernant la rétention des demandeurs d’asile dans les «hotspots» ne se sont pas davantage confirmées: une fois enregistrés, les demandeurs d’asile peuvent entrer et sortir librement des centres de crise, bien que les conditions de vie soient loin d’être satisfaisantes.
5. Une conséquence directe de la mise en application de l’Accord UE-Turquie et de la fermeture des frontières a été une baisse générale (de 83 %) du nombre des nouvelles arrivées dans les pays des Balkans occidentaux et en Hongrie. S’agissant des migrants bloqués dans ces pays à la fin de 2016, presque tous le sont en Serbie (5 633) et en Bulgarie (5 560).
6. La mise en œuvre de l’Accord UE-Turquie et la fermeture des frontières sur la route des Balkans occidentaux n’ont eu vraisemblablement aucun impact sur le nombre de personnes utilisant la route de la Méditerranée centrale entre l’Afrique du Nord et l’Italie. Certes, le nombre des arrivées en Italie a augmenté de plus de 30 % au cours des cinq premiers mois de 2017, mais ce phénomène est lié à la situation instable en Libye et à l’afflux grandissant de migrants venus de différents pays africains.
7. En Italie, même si les conditions d’accueil et les procédures d’asile s’améliorent aussi, elles requièrent une action urgente. À l’instar de la Grèce, l’Italie est devenue un pays de destination et le flux ininterrompu des arrivées massives risque de saturer les capacités d’accueil. La question du renvoi des demandeurs d’asile déboutés doit être immédiatement prise en compte; le grand nombre de migrants en situation irrégulière constitue une menace pour tout le système d’asile et pour la stabilité sociale.
8. Dans une large mesure, l’arrivée de migrants en Italie est due à l’incapacité des autorités libyennes à contrôler leurs frontières. Tout en maintenant le niveau des opérations de recherche et de sauvetage, il faut que l’Union européenne multiplie ses efforts pour lutter efficacement contre les réseaux de passeurs en Méditerranée et pour renforcer la coopération avec les garde-côtes libyens.
9. L’Assemblée souligne que l’absence de voies accessibles et sûres oblige les réfugiés et les migrants à prendre des risques énormes en tentant de traverser la mer. L’utilisation des moyens légaux existants d’entrer en Europe – regroupement familial ou réinstallation, par exemple – contribuerait considérablement à réduire les migrations irrégulières en Méditerranée.
10. Par ailleurs, l’Assemblée fait référence à ses récentes résolutions concernant divers aspects des arrivées massives de réfugiés et de migrants par la Méditerranée, notamment la Résolution 2109 (2016) sur la situation des réfugiés et des migrants dans le cadre de l’Accord UE-Turquie du 18 mars 2016, la Résolution 2147 (2017) sur la nécessité de réformer les politiques migratoires européennes, la Résolution 2118 (2016) «Les réfugiés en Grèce: défis et risques – Une responsabilité européenne», la Résolution 2107 (2016) sur une réponse renforcée de l’Europe à la crise des réfugiés syriens, la Résolution 2108 (2016) «Les droits de l’homme des réfugiés et des migrants – la situation dans les Balkans occidentaux», la Résolution 2088 (2016) «La Méditerranée: une porte d’entrée pour les migrations irrégulières», la Résolution 2072 (2015) «Après Dublin: le besoin urgent d’un véritable système européen d’asile», la Résolution 2089 (2016) sur le crime organisé et les migrants et la Résolution 2136 (2016) «Harmoniser la protection des mineurs non accompagnés en Europe».
11. L’Assemblée appelle l’Union européenne:
11.1. s’agissant de réduire le nombre des traversées et de sauver des vies:
11.1.1. à maintenir au moins le niveau actuel d’opérations de recherche et de sauvetage;
11.1.2. à renforcer la lutte contre les passeurs et les trafiquants;
11.1.3. à intensifier sa coopération avec les garde-côtes libyens et, en particulier, assurer le financement de programmes de formation, aider à mettre en place un centre de coordination du sauvetage maritime, favoriser la fourniture de navires patrouilleurs supplémentaires et assurer leur maintenance;
11.1.4. à s’entendre avec les autorités libyennes pour assurer l’amélioration des conditions d’accueil dans les centres pour migrants, en portant une attention particulière aux personnes vulnérables et aux mineurs; intensifier la coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à cet égard; aider les autorités libyennes à renforcer leurs capacités en matière de gestion migratoire; et lancer des programmes de coopération avec les collectivités libyennes chargées de l’accueil de migrants;
11.1.5. à mobiliser des financements pour des projets liés aux migrations en Afrique du Nord dans le cadre du Fonds d’affectation spéciale de l’Union européenne pour l’Afrique;
11.1.6. à entamer une réflexion sérieuse sur la possibilité d’établir des «hotspots» hors d’Europe dans le plein respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme;
11.2. s’agissant des conditions d’accueil et de vie dans les pays de première arrivée et de transit:
11.2.1. à accroître l’assistance financière, humaine et administrative en vue d’améliorer les conditions d’accueil et de vie;
11.2.2. à assurer la transparence, le suivi et le caractère responsable des procédures de financement et, à cette fin, privilégier les autorités publiques comme premiers bénéficiaires;
11.3. s’agissant des procédures d’asile:
11.3.1. à continuer à apporter l’aide nécessaire, via les agences de l’Union européenne concernées, aux services d’asile nationaux des États membres en première ligne et, en particulier, pallier l’actuel manque d’experts du Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEEA) en appelant d’autres États membres à s’engager et en prolongeant la durée du mandat des experts;
11.3.2. à revoir, et redéfinir, s’il y a lieu, les mandats des agences fournissant aux services d’asile grecs et italiens des ressources et des conseils d’experts en matière financière et technique, ainsi que des moyens de coordination, et ce en vue d’éliminer les lacunes existantes et d’accroître l’efficacité de leurs actions;
11.3.3. à s’attaquer d’urgence à la question de l’hébergement et du traitement des demandes des mineurs non accompagnés;
11.3.4. à désigner un agent responsable de la protection des enfants dans chaque «hotspot» et chaque camp de réfugiés;
11.3.5. à envisager de prolonger le mécanisme de relocalisation au-delà de septembre 2017 et redéfinir les critères d’éligibilité, notamment pour inclure les Irakiens et les Afghans;
11.3.6. à intensifier le rythme de réinstallation en provenance de Turquie;
11.3.7. à accélérer les travaux portant sur la réforme du régime d’asile européen commun, notamment en révisant le Règlement de Dublin et, dans l’avenir, les modalités d’application des principes de responsabilité et de solidarité;
11.3.8. à veiller à ce que les personnes ne nécessitant pas de protection internationale soient renvoyées dans leur pays d’origine en toute dignité pour autant que cela soit possible;
11.3.9. à faciliter les retours de Grèce et d’Italie par le moyen d’accords bilatéraux avec les pays d’origine des migrants;
11.3.10. à augmenter le financement des retours volontaires, notamment pour pouvoir créer des centres spéciaux à l’intention des personnes en attente de retour.
12. L’Assemblée appelle les autorités grecques:
12.1. s’agissant des conditions d’accueil:
12.1.1. à continuer d’accroître les capacités d’accueil sur les îles et sur le continent, et veiller à la fermeture immédiate de tous les sites inadaptés;
12.1.2. à intensifier les efforts visant à prévenir et à combattre la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre ainsi que toutes les formes d’exploitation dans les camps de réfugiés;
12.1.3. à porter davantage d’attention aux besoins spécifiques des enfants séparés et non accompagnés, notamment en assurant une aide et des soins spécialisés et des conditions de vie adéquates, et en favorisant le retour à la normalité et l’intégration au sein de la société d’accueil;
12.2. s’agissant des procédures d’asile:
12.2.1. à accélérer le traitement des demandes d’asile – depuis l’enregistrement jusqu’à l’appel – conformément aux normes du droit international et communautaire;
12.2.2. à adopter sans attendre des procédures opérationnelles standard, élément essentiel pour clarifier les responsabilités et pour harmoniser les procédures dans les «hotspots» et autres lieux de débarquement;
12.2.3. à désigner des coordinateurs permanents dans les «hotspots» en vue d’améliorer la coordination, d’assurer une communication et un partage d’informations efficaces entre les différents acteurs, et d’assumer la pleine responsabilité de la gestion globale de ces centres;
12.2.4. à adopter la législation en matière de tutelle en conformité avec les bonnes pratiques européennes, et la mettre en œuvre dans les plus brefs délais dès son entrée en vigueur;
12.2.5. à veiller à ce que toutes les organisations non gouvernementales (ONG) impliquées dans le processus d’accueil et de soutien soient en conformité avec la réglementation de l’Union européenne et celle des Etats;
12.3. s’agissant de l’absorption du financement de l’Union européenne:
12.3.1. à accélérer la procédure de l’utilisation du financement à long terme de l’Union européenne pour l’accueil et les structures d’hébergement;
12.3.2. à activer les programmes destinés au suivi de la situation en Mer Egée en utilisant le financement à long terme de l’Union européenne.
13. L’Assemblée appelle les autorités italiennes:
13.1. s’agissant des conditions d’accueil:
13.1.1. à augmenter le nombre des structures offrant des conditions adéquates d’hébergement et de traitement des demandes pour les mineurs non accompagnés et les autres demandeurs d’asile vulnérables;
13.1.2. à établir des normes nationales applicables aux camps et centres de réfugiés, et en renforcer le suivi et la responsabilité;
13.1.3. à intensifier les efforts visant à prévenir et à combattre la violence sexuelle et la violence fondée sur le genre ainsi que toutes les formes d’exploitation dans les camps de réfugiés;
13.2. s’agissant des procédures d’asile:
13.2.1. à revoir les procédures d’asile afin d’en renforcer l’efficacité, compte tenu du nombre considérablement accru des demandes d’asile;
13.2.2. à s’attaquer d’urgence à la question du traitement des demandes émanant de mineurs non accompagnés et, en particulier, clarifier les procédures permettant la relocalisation de ces jeunes;
13.2.3. à assurer la pleine et rapide mise en application de la Loi no 47 sur les mineurs non accompagnés (dite «Legge Zampa»).
14. L’Assemblée réitère les demandes adressées de longue date aux autorités turques: à
14.1. lever ses restrictions géographiques à l’application de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés;
14.2. à veiller à ce que tous les migrants renvoyés en Turquie dans le cadre de l’Accord UE-Turquie soient traités dans le respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme, notamment en matière de rétention;
14.3. à s’abstenir de menacer de renoncer au respect des obligations décrites dans l’Accord UE-Turquie.

B. Exposé des motifs, par M. Miltiadis Varvitsiotis, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’Assemblée suit depuis le début la crise des migrations et des réfugiés en cours et les divers problèmes qu’elle pose. Les rapports établis par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées et les résolutions qui en découlent ont mis en lumière des préoccupations d’ordre humanitaire et souligné la nécessité de respecter pleinement les droits fondamentaux des migrants et des réfugiés tout en cherchant à recenser les mesures qui contribueraient à une meilleure gestion de la crise et à une coopération accrue entre les États membres du Conseil de l’Europe.
2. Plusieurs rapports déjà soumis à l’Assemblée ou encore en préparation portent sur des questions en lien direct avec le présent rapport. En ma qualité de rapporteur, j’ai dû m’atteler à la tâche difficile d’élaborer un rapport approfondi sur le sujet tout en essayant d’éviter, dans toute la mesure du possible, la répétition, le double emploi et l’interférence avec les mandats d’autres rapporteurs.
3. Pour atteindre cet objectif, j’ai décidé d’inviter le lecteur à consulter les textes les plus pertinents établis par la commission au cours de l’année écoulée afin qu’il se fasse une idée précise de la position de l’Assemblée sur différents aspects de la crise actuelle des migrations et des réfugiés: « La nécessité de réformer les politiques migratoires européennes », Doc. 14248, Résolution 2147 (2017); « Les réfugiés en Grèce: défis et risques – Une responsabilité européenne », Doc. 14082, Résolution 2118 (2016); « Une réponse renforcée de l’Europe à la crise des réfugiés syriens », Doc. 14014, Résolution 2107 (2016); « Les droits de l’homme des réfugiés et des migrants – la situation dans les Balkans occidentaux », Doc. 14013, Résolution 2108 (2016); « La Méditerranée: une porte d’entrée pour les migrations irrégulières », Doc. 13942, Résolution 2088 (2016); « Après Dublin, le besoin urgent d’un véritable système européen d’asile », Doc 13866, Résolution 2072 (2015), « Le crime organisé et les migrants », Doc. 13941, Résolution 2089 (2016); et « Harmoniser la protection des mineurs non accompagnés en Europe », Doc. 14142, Résolution 2136 (2016).
4. À l’heure actuelle, la commission travaille sur plusieurs rapports qui abordent le sujet de celui-ci et concernent des questions sur lesquelles il n’est guère possible de faire l’impasse dans ce texte. J’attire tout particulièrement l’attention du lecteur sur le rapport intitulé « Une réponse humanitaire et politique globale à la crise des migrations et des réfugiés en Europe » 
			(2) 
			Doc. 14342. qui sera examiné avec le présent rapport lors du débat de juin 2017 sur les migrations.
5. Toutefois, il ne fait aucun doute que c’est le rapport sur « La situation des réfugiés et des migrants dans le cadre de l’Accord UE-Turquie du 18 mars 2016 » (Doc. 14028, Résolution 2109 (2016)), qui est le texte le plus pertinent dans l’optique du présent rapport. Cet accord qu’il serait, compte tenu de son statut juridique, plus approprié de qualifier de « déclaration » ou de « marché », ainsi que plusieurs autres instruments, dont les programmes en matière de relocalisation et de réinstallation, la création de centres de crise (« hotspots »), l’aide financière et la coopération accrue avec les pays d’origine et de transit ont eu une incidence considérable sur la situation des réfugiés en Grèce et, en conséquence, dans de nombreux autres pays d’Europe.
6. La position de l’Assemblée contenue dans la Résolution 2109 (2016), qui a été adoptée suite au débat sur le rapport précité, est sceptique, pour ne pas dire critique, vis-à-vis de la Déclaration et plusieurs inquiétudes liées aux droits de l’homme ont été exprimées. Je recommande vivement au lecteur de consulter ce texte avant de prendre connaissance du présent rapport.
7. Maintenant, plus d’un an après le Sommet du 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie, j’entends faire le bilan des résultats de l’application des mesures prises d’un commun accord ce jour-là. J’examinerai et évaluerai donc dans quelle mesure les préoccupations exprimées par l’Assemblée en juin 2016 ont été prises en considération ainsi que les progrès accomplis dans la mise en œuvre d’autres recommandations pertinentes figurant dans les textes mentionnés ci-dessus et adoptés par l’Assemblée.
8. Je me pencherai de plus près sur la situation en Grèce et en Italie et plus précisément sur les conditions d’accueil et de vie dans les centres de crise, l’efficacité du traitement des demandes d’asile et les mécanismes de relocalisation et de réinstallation. J’étudierai également la question des mouvements migratoires en Europe et la situation des migrants qui sont confinés dans les Balkans.
9. Afin de recueillir des informations de première main, j’ai effectué une visite d’information en Grèce (à Athènes et Lesbos) les 29 et 30 mars et en Italie (Trapani) les 10 et 11 mai 2017; j’entends, en outre, me rendre en Turquie en juin 2017 (les dates exactes restent à déterminer et les conclusions tirées de ma visite seront reprises dans un addendum au présent rapport) pour rencontrer différentes parties prenantes et me rendre compte de la réalité sur le terrain, du degré d’efficacité des procédures, de la situation matérielle et des conditions de vie dans les centres de crise et d’accueil.
10. Afin de compléter ces données, mais aussi de permettre aux membres de la commission de prendre connaissance d’informations de première main et de tenir un échange de vues, j’ai organisé une audition au cours de la partie de session d’avril 2017 avec la participation d’un représentant de la Commission européenne.
11. En conclusion, j’essaierai de recenser les mesures qui pourraient être recommandées aux États membres et à l’Union européenne pour s’attaquer aux problèmes non encore résolus.

2. Informations générales

12. La forte augmentation, ces dernières années, du nombre de personnes traversant la Méditerranée a provoqué une crise des migrations et des réfugiés sans précédent en Europe. À son paroxysme, en 2015, plus d’un million de personnes ont débarqué sur les côtes européennes contre 204 500 en 2014, 60 000 en 2013 et, selon les estimations, 40 000 en moyenne chaque année entre 1998 et 2012.
13. Deux des principaux premiers pays d’arrivée, à savoir la Grèce et l’Italie, ont été touchés différemment selon les années. En 2014, pas moins de 34 500 réfugiés et migrants sont entrés sur le sol européen en passant par la Grèce et 170 000 par l’Italie. En 2015, 853 600 sont arrivés en passant par la Grèce et 183 600 par l’Italie 
			(3) 
			Le nombre d’arrivées
dans les autres pays méditerranéens a beaucoup baissé en 2016 et
s’est élevé à 189 pour Chypre et 8 162 pour l’Espagne.. En 2016, les chiffres étaient respectivement de 176 000 et de 181 000.
14. La traversée périlleuse de la Méditerranée a eu inévitablement un coût énorme en vies humaines: plus de 5 000 migrants ont péri en 2016 contre 3 800 en 2015. 1 309 personnes se sont noyées au cours des seuls cinq premiers mois de cette année 
			(4) 
			Au 10 mai 2017. Source:
site web de l’OIM.. Comme de précédents rapports de l’Assemblée l’ont souligné 
			(5) 
			« La
Méditerranée: une porte d’entrée pour les migrations irrégulières», Doc. 13942, Résolution <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=22464&lang=FR'>2088
(2016)</a>; «Le crime organisé et les migrants», Doc. 13941, Résolution <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=22465&lang=FR'>2089
(2016).</a>, aucune opération de recherche et de sauvetage ne peut garantir une protection absolue des vies humaines et prévenir toutes les noyades en mer. Tant que des personnes prendront le risque de traverser la mer, il y aura des pertes de vies humaines.
15. Les capacités d’accueil des premiers pays d’arrivée se sont révélées totalement insuffisantes et les procédures d’asile n’ont pas fonctionné correctement face au nombre considérable de demandes. Les personnes arrivées sur les îles grecques en 2015 n’ont même pas été enregistrées correctement; elles se sont dirigées immédiatement vers les pays du nord en passant par la Route des Balkans occidentaux, ce qui a mis une pression énorme sur les pays de transit et de destination finale et engendré de graves problèmes de droits de l’homme. Les mesures prises ultérieurement par certains de ces pays, dont la clôture des frontières, ont conduit à la concentration, dans des conditions dramatiques, de personnes installées dans des camps de fortune.
16. Ces arrivées massives et sans précédent de réfugiés et de migrants en Europe occidentale ont engendré des tensions politiques dans de nombreux États et une crise institutionnelle au sein de l’Union européenne. La réaction chaotique de l’Europe a mis en lumière les lacunes des instruments juridiques existants, dont le Règlement de Dublin et les politiques migratoires. L’échec de l’approche européenne commune est devenu encore plus manifeste au vu des politiques nationales individuelles allant des plus restrictives aux plus généreuses et se contredisant souvent. Les débats suscités au niveau de l’Union européenne sur le partage des responsabilités et la répartition des migrants sur la base de quotas volontaires ou obligatoires ont démontré l’incapacité des dirigeants européens à traiter le problème.
17. Dans ce contexte, le Sommet du 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie a donné lieu à une Déclaration conçue comme une réponse partielle à l’afflux de réfugiés et de migrants vers les îles grecques en provenance du territoire turc. Cette Déclaration avait pour but de « démanteler le modèle économique des passeurs et d’offrir aux migrants une perspective autre que celle de risquer leur vie » en prévoyant le renvoi en Turquie de tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partiraient de la Turquie pour gagner les îles grecques à compter du 20 mars 2016. Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien serait réinstallé directement de la Turquie vers l’Union européenne. D’autres réfugiés syriens devaient aussi être réinstallés dans le cadre d’un programme d’admission humanitaire volontaire. La Turquie s’est engagée à prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière, maritimes ou terrestres, ne s’ouvrent au départ de son territoire en direction de l’Union européenne. D’autres dispositions de la Déclaration concernaient l’aide financière allouée à la Turquie (6 milliards d’euros d’ici la fin de 2018), les perspectives de libéralisation du régime des visas pour la Turquie, la relance du processus d’adhésion et la modernisation de l’union douanière.
18. Les premières réactions à la Déclaration n’ont guère été enthousiastes. Les organisations de défense des droits de l’homme ont fait état de plusieurs sujets de préoccupation 
			(6) 
			Voir: Médecins sans
frontières: «Why the EU’s deal with Turkey is no solution to the
“crisis” affecting Europe», 18 mars 2016, site web de MSF; lettre
adressée par Human Rights Watch aux dirigeants de l’Union européenne
le 15 mars 2016, site web de Human Rights Watch; Amnesty International:
«EU-Turkey refugee deal: a historic blow to rights», 18 mars 2016,
site web d’AI; Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR): «Legal considerations on the return of asylum seekers and
refugees from Greece to Turkey as part of EU-Turkey co-operation», 23 mars
2016, site web du HCR.. L’Assemblée aussi s’est montrée critique et son rapport sur « La situation des réfugiés et des migrants dans le cadre de l’Accord UE-Turquie du 18 mars 2016 », examiné en juin 2016, mentionne plusieurs violations potentielles des droits de l’homme; il remet en question le principe de la rétention systématique des nouveaux arrivants dans des conditions inadéquates et sur une base juridique incertaine; il exprime également la crainte que les renvois vers la Turquie ne répondent pas aux exigences du droit communautaire et international, car la Turquie ne peut pas être considérée, dans les circonstances actuelles, comme un pays tiers sûr; il souligne également que le système d’asile grec n’a pas la capacité de traiter autant de demandes et que l’accès à un recours effectif contre le retour vers la Turquie est insuffisant; enfin, il précise que la réinstallation de réfugiés syriens ne devrait pas être subordonnée au nombre de renvois.
19. Plus d’un an après la mise en œuvre de la Déclaration et d’autres mesures complémentaires, j’essaierai d’évaluer, dans les prochains chapitres, dans quelle mesure les préoccupations exprimées par l’Assemblée ont été prises en compte et quelle a été l’incidence de la réaction européenne sur la situation des réfugiés et des migrants en matière de droits de l’homme en Grèce et en Italie.

3. Incidence de la réaction européenne sur la situation des droits de l’homme dans les premiers pays d’arrivée

3.1. Grèce

20. La mise en œuvre de la Déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016 a provoqué une baisse sensible du nombre d’arrivées en Grèce au second semestre de l’année. Sur un total de 176 000 réfugiés et migrants arrivés dans ce pays en 2016, 125 000 – soit la vaste majorité – ont débarqué au cours du premier trimestre, c’est-à-dire avant l’adoption de cet instrument. Dans le même temps, les arrivées en Italie se sont poursuivies à un rythme annuel soutenu d’environ 180 000. Au total, 387 000 réfugiés et migrants sont arrivés en Italie et en Grèce en 2016 contre un million l’année précédente.
21. Cette tendance s’est poursuivie au cours des quatre premiers mois de 2017. Entre le 1er janvier et le 10 mai, 5 601 personnes au total sont arrivées en Grèce. En Italie, le nombre d’arrivées durant la même période s’est élevé à 45 086. Au cours de ce laps de temps, on a enregistré 37 décès par noyade en Grèce contre 1 222 en Italie.
22. En conséquence, la Route de la Méditerranée centrale (Libye-Italie) est redevenue le principal itinéraire emprunté par les réfugiés et les migrants pour gagner l’Europe, comme c’était le cas avant la vague d’arrivées par la Route de la Méditerranée orientale fin 2015 et début 2016. Toutefois, au cours de ma visite en Italie, j’ai été informé par différents interlocuteurs que la Déclaration UE-Turquie n’a eu aucun impact sur le nombre de personnes empruntant ladite Route, une question que je reprendrai plus en détail ci-dessous.
23. La situation générale des réfugiés et des migrants en Grèce a considérablement évolué. À l’heure actuelle, plus de 63 000 demandeurs d’asile attendent dans ce pays la fin de la procédure de détermination de leur statut. Parmi eux, plus de 14 000 sont toujours confinés sur les îles, 14 000 autres personnes sont logées dans des appartements financés par l’Union européenne, et plus de 33 000 subsistent dans des conditions d’accueil déplorables en Grèce continentale.
24. Cinq centres de crise ont été ouverts en Grèce (Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kos); ils ont une capacité totale de 5 450 places pour l’accueil des personnes restant sur ces îles le temps que leur demande soit examinée ainsi que des nouveaux arrivants. Parmi cette population, quelque 7 000 personnes bénéficient d’autres types d’hébergement.
25. Cinquante personnes en moyenne traversent chaque semaine la mer Égée à partir de la Turquie.
26. L’approche des « hotspots » a été adoptée pour faire face aux arrivées de manière plus structurée. Ces centres de crise sont devenus indispensables suite à la Déclaration UE-Turquie, quand près de 100 % des nouveaux arrivants demandaient l’asile. En effet, avant la clôture de la frontière entre la Grèce et l’« ex-République yougoslave de Macédoine », un très faible pourcentage de migrants (2,7 %) déposait une demande en Grèce et la majorité se dirigeait vers les pays du nord. Nombre d’entre eux quittaient les îles sans être enregistrés, posant ainsi de graves problèmes de sécurité.
27. Tant en Grèce qu’en Italie, les «hotspots» ont une fonction d’identification, d’enregistrement, de prise d’empreintes digitales, de recueil de témoignages des demandeurs d’asile et de traitement de leurs demandes, ainsi que de mise en œuvre des opérations de retour. Les autorités nationales chargées de l’asile sont aidées par le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEEA), l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) et Europol. Le travail de chacune de ces organisations est complémentaire de celui des autres. Les personnes réclamant l’asile sont canalisées vers une procédure nationale adéquate avec l’appui d’équipes du BEAA afin d’accélérer le processus autant que faire se peut. Frontex aide les services nationaux en coordonnant le retour des personnes considérées comme ne méritant pas une protection internationale. Europol et Eurojust aident les autorités nationales à mener des enquêtes visant à démanteler les réseaux de contrebandiers et de passeurs. Les équipes de soutien travaillent en étroite collaboration et sous le contrôle intégral des autorités du pays hôte, lesquelles sont les seules compétentes pour définir les modalités de la coordination et fixer des procédures opérationnelles standards. Plusieurs organisations nationales et internationales (HCR, Organisation internationale pour les migrations (OIM)) et organisations non gouvernementales (ONG) contribuent à apporter une aide juridique et psychologique aux nouveaux venus ainsi qu’à contrôler le respect des normes en matière de droits de l’homme.
28. Mes interlocuteurs en Grèce m’ont fait part notamment de leurs préoccupations concernant le retard pris par le gouvernement pour adopter des procédures opérationnelles standards concernant la gestion des «hotspots» et la nomination de coordinateurs, toutes initiatives de nature à accroître l’efficacité de ces structures.
29. Au cours de ma visite d’information, j’ai visité l’un des «hotspots» les plus surchargés appelé « Moria » et situé dans la partie est de l’île de Lesbos. Depuis le 1er janvier 2007, il a reçu 708 demandeurs d’asile. À titre de comparaison, en 2016, 91 506 personnes (soit 56 % du total des personnes arrivées dans le pays) sont arrivées à Lesbos par la mer. Les principaux pays d’origine des personnes échouant sur cette île sont: la République démocratique du Congo, l’Érythrée, le Congo et l’Irak. La majorité des demandeurs d’asile qui arrivent (65 %) est composée de jeunes hommes seuls. La proportion des enfants (accompagnés ou pas) s’élève à 10 %.
30. Selon les autorités grecques, pendant ma visite, 3 020 demandeurs d’emploi et migrants étaient hébergés à Moria dans 51 unités d’habitation et 198 préfabriqués composés de containers modifiés. Mes interlocuteurs m’ont assuré que toutes les personnes vulnérables, y compris les mineurs non accompagnés (342 individus au total) sont hébergées hors des centres de crise dans des hôtels, des familles d’accueil ou des hôtels gérés par Iliaktida (le partenaire local du HCR). Le HCR apporte son soutien aux autorités grecques et coordonne avec les ONG la gestion des sites situés sur l’île de Lesbos.
31. J’ai visité Moria en vertu de mon statut national à plusieurs reprises au cours des deux dernières années et je dois reconnaître que les conditions d’accueil se sont nettement améliorées au cours des douze derniers mois. Le site reste surpeuplé et les conditions de vie difficiles, mais les progrès sont visibles. Au cours de ma dernière visite, j’ai pu constater que des travaux d’infrastructure sont en cours: qu’il s’agisse de construire des fondations et des murs de soutènement ou des excavations ou bien de niveler le sol, de poser du gravier, de couler du béton ou d’ériger des clôtures.
32. Parallèlement, le HCR, en étroite collaboration avec les autorités locales, cherche des solutions de relogement hors du «hotspot».
33. Le problème des mauvaises conditions résulte directement de la durée de la procédure de traitement des demandes d’asile, comme les demandeurs d’asile ne sont pas transférés sur le continent avant leur acceptation. Permettez-moi de rappeler que l’une des principales inquiétudes exprimées par les organisations de défense des droits de l’homme au lendemain du Sommet UE-Turquie concernait l’insuffisante capacité des îles à évaluer les demandes d’asile. Ces inquiétudes semblent s’être révélées exactes puisque malgré une amélioration, les conditions de vie sur la plupart des îles sont encore loin de satisfaire aux normes internationales.
34. L’Union européenne, par l’intermédiaire de ses agences (BEAA, Frontex, Europol) appuie les efforts déployés par les organismes grecs chargés de gérer les demandes d’asile en leur procurant l’aide d’experts, ainsi que des moyens logistiques et du matériel. Au 1er avril 2017, le BEAA avait déployé 59 experts et 87 interprètes. Pourtant certaines lacunes subsistent et 41 experts supplémentaires devraient être prochainement envoyés sur place. Cependant, la durée de la mission des intéressés étant généralement limitée à six semaines, les agences doivent continuellement renouveler leur demande auprès des États membres afin que les spécialistes arrivés au bout de leur mandat soient remplacés. Inutile de préciser qu’une rotation aussi rapide influe nécessairement sur l’efficacité du travail. Bon nombre de mes interlocuteurs ont souligné la nécessité d’accroître à la fois le nombre d’experts et la durée de leur déploiement.
35. Dans le centre de Moria, j’ai eu la possibilité d’observer toutes les phases de la procédure d’accueil. Le jour même de ma visite, 46 migrants ont débarqué sur l’île. Ils ont été transférés dans le «hotspot». Tous ont exprimé le souhait de soumettre une demande d’asile. L’enregistrement est effectué dans un délai de 24 heures excepté pour les personnes vulnérables (mineurs non accompagnés, femmes enceintes, familles avec enfants en bas âge) qui sont identifiées avec le concours de défenseurs des droits de l’homme et auxquelles la priorité est accordée. L’enregistrement comprend l’identification ainsi qu’un contrôle en matière de sécurité et de santé. Des experts spécialement formés vérifient l’exactitude de certaines déclarations, dont la langue maternelle ou le dialecte parlé par le demandeur, sa connaissance de la situation concrète du lieu où il est censé avoir vécu, etc. À ce stade, les victimes de différents types de mauvais traitements (abus sexuels, torture) sont également identifiées. Une fois l’enregistrement terminé, les demandeurs peuvent se déplacer librement sur l’île, mais ils ne peuvent pas se rendre sur le continent.
36. Il se passe généralement deux mois avant que le premier entretien n’ait lieu et, pendant ce temps, le dossier de demande d’asile est établi. Chaque entretien, m’a-t-on dit, peut durer jusqu’à neuf heures et chaque préposé à cette tâche reçoit une personne par jour. Chaque demande est examinée au fond, mais la durée de la procédure de détermination du statut est différente en fonction de la nationalité. Si l’asile est accordé, alors l’intéressé(e) est transféré(e) sur le continent. Si la demande est rejetée, alors presque tous les demandeurs font appel. Si l’appel est rejeté, la personne, si elle est trouvée, est maintenue en rétention (pas plus d’une semaine généralement) puis renvoyée en Turquie.
37. L’OIM gère un programme d’aide au retour volontaire et à l’intégration prévoyant un soutien administratif, financier et logistique aux migrants en situation irrégulière qui choisissent de rentrer dignement dans leur pays d’origine en ayant des perspectives concrètes de réinsertion. Ces deux dernières années, en Grèce, plus de 6 000 personnes ont bénéficié d’une aide au retour.
38. Mes interlocuteurs intervenant dans la procédure d’asile sont convenus qu’une fois l’arriéré de demandes en souffrance résorbé, les nouvelles demandes seront traitées sans accroc. Lorsque les centres de crise ont été créés à la fin de 2015, ils ont dû faire face à un nombre considérable de demandes déposées par les demandeurs d’asile qui étaient bloqués sur les îles suite à la clôture de la frontière entre la Grèce et l’« ex-République yougoslave de Macédoine ». J’ai reçu l’assurance que tous les dossiers en souffrance seront traités d’ici quelques mois. Par la suite, la durée des procédures de détermination du statut sur les îles devrait être considérablement réduite. Cette assurance reste encore à vérifier.
39. Il convient de noter qu’un autre sujet d’inquiétude exprimé notamment par l’Assemblée dans sa résolution sur la situation des réfugiés et des migrants dans le cadre de la Déclaration UE-Turquie portait sur le fait que le renvoi des réfugiés syriens en Turquie en tant que « premier pays d’asile » ou « pays tiers sûr » pouvait être contraire au droit communautaire et/ou international, car la protection assurée par la Turquie risquait de ne pas être « suffisante »; toutefois, les cas de refoulement indirect de Syriens ont été traités puisqu’aucun réfugié syrien (ou même d’une autre nationalité) n’est renvoyé sans que sa demande d’asile ait été examinée en Grèce.
40. On a craint, en outre, que les recours formés contre les décisions de renvoi des demandeurs d’asile déboutés vers la Turquie n’aient pas toujours l’effet suspensif prévu par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Cependant, comme je l’ai indiqué plus haut, les intéressés ne sont pas renvoyés avant que la décision en appel n’ait été rendue.
41. En avril 2016, la Grèce a adopté une nouvelle loi sur l’asile (Loi no 4375/2016) qui prévoit une évaluation de la recevabilité de la demande avant de se prononcer au fond. Jusqu’à une période récente, seuls les Syriens faisaient l’objet d’une telle procédure (dans la mesure où, en vertu de la Déclaration, ils sont censés être renvoyés en Turquie), tandis que les ressortissants de tous les autres pays voyaient leur demande examinée au fond.
42. Selon les derniers chiffres communiqués par la Commission européenne, les arrivées dépassent toujours largement les renvois des îles grecques vers la Turquie. Au 1er avril 2017, le nombre total de migrants renvoyés depuis l’adoption de la Déclaration UE-Turquie s’élevait à 1 487. Ces retours sont volontaires ou involontaires selon que la personne intéressée n’a pas demandé l’asile, a retiré sa demande d’asile après la première audition ou a vu sa demande rejetée à l’issue d’un examen au fond. Ces chiffres sont insuffisants pour réduire le nombre de demandeurs d’asiles séjournant dans les «hotspots» surpeuplés de l’Est de l’Egée.
43. Une autre inquiétude a été levée liée au risque que la rétention des demandeurs d’asile dans les centres de crise puisse être incompatible avec les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme en raison, notamment, de vices de procédure entachant le fondement juridique de la rétention et de conditions de rétention inadéquates: la durée de rétention ne dépasse pas 25 jours comme le prévoit la Loi grecque no 4375/2016 adoptée le 2 avril 2016. En effet, les centres de crise ne sont pas, comme les qualifient certaines organisations de défense des droits de l’homme, des centres de détention au sens propre du terme. Une fois enregistrés, les intéressés peuvent aller et venir facilement grâce à des badges qui sont établis pour des raisons de sécurité. Ils sont toutefois maintenus en rétention dans l’attente de leur renvoi si l’appel a été rejeté, mais la durée de rétention n’excède pas une semaine.
44. En outre, contrairement aux craintes exprimées dans le rapport de l’Assemblée, les enfants et les personnes vulnérables sont identifiés à un stade très précoce de la procédure de détermination du statut et ne sont pas maintenus en rétention. Ils ne restent pas non plus dans les centres de crise, car d’autres types d’hébergement leur sont systématiquement proposés. L’année dernière, le HCR a créé, grâce à des fonds versés par l’Union européenne, plus de 20 000 places d’hébergement pour les candidats à la relocalisation et les demandeurs d’asile ayant des besoins spéciaux, sous la forme principalement d’appartements, de bâtiments rénovés, d’hôtels et de familles d’accueil. D’autres projets sont en cours. Cependant, la situation des mineurs non accompagnés reste préoccupante, notamment en Italie où leur nombre est largement plus élevé qu’en Grèce (un point sur lequel je reviendrai dans le chapitre 5).
45. D’autres sujets d’inquiétude concernent les conditions de vie dans les «hotspots». Ceux-ci sont extrêmement surpeuplés et des problèmes persistent notamment à Chios et Samos. Il faudrait remédier d’urgence à la situation. Les capacités pour un accueil satisfaisant sur les îles sont limitées à 7 450 personnes, alors que dans la pratique le nombre de réfugiés et de migrants est deux fois plus élevé. De nombreux demandeurs d’asile ont été transférés des îles vers le continent.
46. Les conditions de vie se sont aussi considérablement améliorées sur le continent mais des préoccupations demeurent. À Idomeni, plus personne ne campe sur un site improvisé près de la frontière, mais il existe d’autres camps ne répondant pas aux normes et qui devraient être d’urgence mis à niveau et améliorés. Les efforts des autorités grecques, conjointement avec le HCR, pour trouver d’autres types d’hébergement doivent être salués. Il conviendra de privilégier des solutions à long terme, dans la perspective d’intégrer les réfugiés qui resteront en Grèce.
47. Il existe des ressources financières substantielles sous la forme de financement d’urgence et à long terme de l’Union européenne alloué à la Grèce. Cependant, les autorités grecques n’ont pas utilisé le financement d’urgence à un niveau satisfaisant, en particulier pour le suivi de la mer Egée.

3.2. Italie

48. En Italie, en revanche, la situation semble plus complexe. 181 436 personnes, aussi bien des réfugiés que des migrants, sont arrivées par la mer en 2016; 90 % venaient de Libye par bateau. Les Nigérians (21 %) et les Érythréens (11 %) étaient les deux nationalités les plus représentées. Un élément saillant est le changement de profil de ces demandeurs d’asile qui comprennent un nombre croissant d’enfants non accompagnés, plus de 25 000 en 2016 (14 %), soit le double par rapport à 2015. Cette évolution suscite des inquiétudes justifiées concernant l’exploitation probable de ces jeunes par des réseaux criminels organisés.
49. Le nombre de personnes arrivées au cours des quatre premiers mois de 2017 s’élève à 45 000 soit une augmentation de 36 % par rapport à la même période de 2016 (31 000). Tous mes interlocuteurs s’accordent cependant à dire que cette augmentation n’est pas la conséquence de la mise en œuvre de la Déclaration UE-Turquie. Les personnes empruntant la Route de la Méditerranée centrale (c’est-à-dire les Nigérians, les Érythréens, les Guinéens et les ressortissants d’autres pays d’Afrique) n’ont pas la même nationalité que celles qui traversent la mer Égée.
50. Au cours des derniers mois, on a observé une augmentation du nombre de Bangladais arrivant en Italie via la Libye. On m’a rapporté que ces personnes se sont souvent rendues dans un premier temps en Libye –un pays qui dans le passé offrait du travail aux migrants – à la recherche d’un emploi sur les conseils de passeurs. Une fois arrivés sur place, ils réalisent que la réalité sur le terrain ne correspond pas à ce qu’on leur a raconté et ils se lancent dans une traversée maritime périlleuse avec la complicité de passeurs. Cette analyse vaut également pour d’autres migrants arrivant en Libye depuis le sud.
51. Les bateaux et autres embarcations de fortune appareillent depuis une bande de 20 km de large située sur la côte libyenne. L’immense majorité d’entre eux sont totalement impropres à la navigation et surchargés, de sorte que – malgré l’accroissement des efforts visant à sauver des personnes en mer – force est de déplorer des victimes. Pour les seuls quatre premiers mois de 2017, quelque 1 200 individus auraient ainsi péri en mer.
52. Il existe cinq centres de crise en Italie (Lampedusa, Pozzallo, Porto Empedocle, Tarente et Trapani) qui ont une capacité totale de 1 600 places, ce qui semble totalement insuffisant compte tenu du nombre d’arrivées journalières, lequel dépasse parfois 2 000. Les autorités nationales et plus particulièrement une équipe spéciale établie au sein du ministère de l’Intérieur soutiennent depuis le tout début les centres de crise et la gestion de la migration qui en découle. Cette dernière a sans délai adopté des procédures standards qui sont devenues opérationnelles en mai 2016 après que l’ensemble des principales parties prenantes ont été consultées: les autorités italiennes, la Commission européenne, Frontex, Europol, le BEAA, le HCR et l’OIM. L’adoption et la mise en œuvre rapide de ces procédures ont grandement contribué à la révision de l’approche italienne concernant les centres de crise. Par ailleurs, la coordination au niveau opérationnel et local donne toute satisfaction.
53. Pourtant, seul un tiers environ des migrants et des réfugiés qui arrivent sont débarqués dans un «hotspot», la majorité d’entre eux étant acheminée dans un port. Les autorités italiennes mettent actuellement en place une nouvelle stratégie basée sur le recours aux centres de crise et la modernisation des infrastructures portuaires en vue de permettre l’application des procédures opérationnelles standards.
54. Selon les autorités italiennes, cette approche permet l’enregistrement, l’identification et le prélèvement des empreintes digitales d’environ 97 % des migrants et des réfugiés qui arrivent dans de bonnes conditions. Cet enregistrement peut durer jusqu’à 72 heures et, ensuite, les demandeurs d’asile sont répartis selon des quotas définis à l’avance entre les différentes régions d’Italie où ils sont pris en charge par les autorités locales et logés dans des camps ou d’autres structures. Le nombre de places disponibles a fortement augmenté au cours des derniers mois et on compte actuellement 176 000 demandeurs d’asile dans les installations d’accueil.
55. Les conditions de vie varient considérablement d’un endroit à l’autre. Alors qu’elles peuvent être considérées comme satisfaisantes dans certaines d’entre elles, dans d’autres elles accusent des lacunes persistantes. Ces disparités s’expliquent en partie par l’absence de normes nationales et par le fait que les centres d’accueil ne sont pas gérés par des organismes spécialisés.
56. Dans l’un des camps situés en Sicile, du nom de Mineo, abritant quelque 4 000 demandeurs d’asile, une enquête pénale portant sur de graves errements dans la gestion administrative de cette infrastructure est en cours.
57. La capacité d’accueil totale est estimée à 200 000 personnes. Si ce chiffre était dépassé, la crise humanitaire deviendrait une menace très réelle. Le nombre de personnes arrivant en Italie étant en augmentation et celui des personnes quittant ce pays en diminution (notamment en raison de la mise en place de contrôles plus systématiques aux frontières nord), il devient impératif d’examiner d’urgence cette question.
58. Comme en Grèce, presque 100 % des personnes arrivant dans le pays demandent l’asile, ce qui n’était pas le cas les années précédentes lorsque les migrants prenaient la route menant vers des pays situés plus au nord et, partant, ne voulaient pas obérer leur chance d’y obtenir l’asile en faisant une demande dans le premier pays d’arrivée. Par conséquent, l’Italie qui était un pays de transit est devenue un pays de destination.
59. La procédure d’examen des demandes d’asile dure entre 60 et 80 jours, délai au bout duquel une décision est rendue en première instance. Cette procédure n’est pas adaptée à l’afflux massif de demandeurs et devrait par conséquent être révisée. Pendant tout ce temps, chaque requérant reste soumis au régime d’accueil. Le taux moyen d’octroi de l’asile est de 43 % (auxquels il convient d’ajouter 10 % de personnes se voyant reconnaître le droit à une protection complémentaire). Tous les demandeurs dont la demande a été rejetée en première instance ont le droit d’introduire un recours lequel aboutit dans environ 60 % des cas. L’intéressé, une fois son statut définitivement fixé et à supposer qu’il se soit vu reconnaître le statut de réfugié ou de personne ayant droit à une aide humanitaire, perd son droit au logement et à une aide, mais se voit reconnaître celui de travailler.
60. Le système de renvoi des personnes dont la demande d’asile a été rejetée est totalement défaillant. En pratique, les personnes se trouvant en Italie ne sont jamais expulsées ni avec leur accord ni contre leur gré. La raison sous-jacente essentielle tient à l’absence de coopération avec les pays d’origine. Les intéressés deviennent donc des migrants illégaux et la majorité d’entre eux reste en Italie. Inutile de préciser que cette situation est insatisfaisante à la fois pour les migrants et pour les collectivités les ayant accueillis, ainsi que pour l’image des migrants en général.
61. Comme nous l’avons déjà indiqué, l’une des principales préoccupations visant l’Italie tient à l’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés. Force est de constater la pénurie de structures d’accueil destinées à ces personnes dans les régions où elles affluent. Par conséquent, les mineurs séjournent dans des centres de crise qui ne sont pas adaptés à leurs besoins spécifiques.
62. On constate également une augmentation du nombre de femmes, venues principalement du Nigéria, arrivant en Italie. Cette situation est extrêmement préoccupante. Selon les travailleurs sociaux que j’ai pu rencontrer, la quasi-totalité des intéressées a fait l’objet de violences sexuelles pendant son voyage et continue à faire l’objet de violences et d’exploitation sexuelles après son arrivée dans les camps. La plupart d’entre elles ont été abusées par les passeurs et constituent des cibles faciles pour les réseaux criminels en Europe. Dans ce domaine également, les conditions d’accueil ne sont pas systématiquement adaptées aux besoins spécifiques de cette catégorie vulnérable de demandeurs d’asile.

3.3. Turquie

63. Selon les statistiques du HCR, on compterait actuellement 2 900 000 réfugiés en Turquie.
64. Selon les statistiques des garde-côtes turcs pour 2016, quelque 37 060 migrants illégaux auraient été arrêtés alors qu’ils tentaient de traverser la mer Égée.
65. Parallèlement, 2 672 ressortissants syriens ont été réinstallés dans des pays de l’Union européenne au départ de la Turquie.
66. J’ai l’intention de me rendre en Turquie en juin 2017 afin de me familiariser avec la situation des réfugiés résidant dans ce pays, ainsi que des migrants qui y ont été renvoyés. Je compte inclure les conclusions de cette visite dans un addendum au présent rapport.

4. Mécanismes de relocalisation et de réinstallation

4.1. Relocalisation

67. Dans le cadre de la réaction européenne à la crise des migrants et des réfugiés, le Conseil européen a adopté, en septembre 2015, un programme de relocalisation d’urgence selon lequel les demandeurs d’asile ayant de grandes chances de voir leur demande acceptée seraient relocalisés au départ de la Grèce et de l’Italie vers d’autres États membres de l’Union européenne où leur demande d’asile serait traitée.
68. L’engagement concernait à l’origine la relocalisation de près de 160 000 personnes, mais il a été revu à la baisse, soit 98 255 en septembre 2016, lorsque le Conseil européen a adopté un amendement pour rendre disponibles 54 000 places non encore attribuées de manière à admettre légalement dans l’Union européenne des Syriens venant de Turquie.
69. Dans un climat de controverses sur la nature volontaire ou obligatoire des quotas de répartition, au 12 avril 2017, seules 16 340 personnes au total avaient été relocalisées (5 001 au départ de l’Italie et 11 339 de la Grèce 
			(7) 
			Voir 11e rapport
sur la relocalisation et la réinstallation, Bruxelles, 12 avril
2017, COM(2017)212 final.).
70. Au vu de l’avancée peu satisfaisante des relocalisations, en décembre 2016, la Commission européenne a appelé individuellement les États membres à accroître leurs efforts pour atteindre les objectifs de 1 000 relocalisations par mois à partir de l’Italie et de 2 000 à partir de la Grèce. Les États membres et les pays associés (Suisse, Norvège et Liechtenstein) qui participaient déjà activement au programme de relocalisation ont répondu positivement et communiqué leur plan d’engagement mensuel.
71. Depuis le début 2017, le rythme des réinstallations s’accélère. En mars, il a atteint le chiffre record de 2 465. Pourtant, malgré les progrès réalisés, ce chiffre reste largement inférieur à l’objectif qu’il conviendrait d’atteindre pour que toutes les personnes remplissant les conditions d’une réinstallation puissent en bénéficier avant l’expiration du délai imparti (c’est-à-dire avant septembre 2017).
72. Certains pays comme le Luxembourg et le Portugal enregistrent des progrès concernant le respect de leurs obligations. D’autres – comme la Bulgarie, la Croatie et la République slovaque – se montrent extrêmement réticents. L’Autriche a récemment annoncé qu’elle comptait commencer bientôt à appliquer cette procédure, tandis que d’autres (comme la Hongrie et la Pologne) n’ont encore entrepris aucune action en ce sens. Jusqu’à présent, seuls deux États membres (Malte et la Finlande) sont bien partis pour honorer leur obligation de relocaliser à partir de la Grèce et de l’Italie. Pour conclure, les autres États, en particulier ceux qui n’ont encore entrepris aucune relocalisation, doivent s’engager de manière beaucoup plus significative et passer à l’action.
73. Dans mes discussions avec les autorités grecques et d’autres acteurs du programme de relocalisation, j’ai essayé de comprendre les véritables raisons de ces retards injustifiés. La répartition et le contingent ont été décidés entre États; mais il y a un manque de volonté politique d’honorer les engagements. D’autres obstacles empêchent une relocalisation effective et les critères d’éligibilité sont trop difficiles à satisfaire.
74. Ma conclusion est que dans le cas de certains pays (Pologne, Hongrie, République tchèque, République slovaque et Autriche), il n’y a pas suffisamment de volonté politique; toutefois, dans le cas des pays plus actifs, l’engagement pris officiellement doit correspondre à une action résolue des services nationaux compétents. Bien que le nombre de promesses s’accroisse, m’a-t-on dit, les procédures bureaucratiques et sécuritaires sont très longues. Les États de relocalisation ont généralement des exigences concernant le profil des demandeurs d’asile qu’ils sont disposés à recevoir. Ces exigences associées aux stricts critères d’éligibilité (nationalité, pas de soumission de demande d’asile dans un autre pays, aucun refus) compliquent la tâche de recensement des « bonnes » personnes. Ensuite, le contrôle de sûreté effectué par chaque service national sans tenir compte de celui que les autorités grecques ont déjà réalisé prend beaucoup de temps.
75. La situation est plus compliquée en Italie, pays dans lequel peu de gens sont fondés à demander une relocalisation. Tant que les critères ne seront pas assouplis, il est probable que le nombre de candidats demeurera faible. Dans ce contexte, on a du mal à comprendre pourquoi le programme de relocalisation des mineurs non accompagnés demeure un échec total. Jusqu’à présent, pas un seul d’entre eux n’a été relocalisé à partir de l’Italie.

4.2. Réinstallation

76. En juillet 2015, le Conseil européen a adopté un programme de réinstallation conçu pour offrir des voies de migration légales et sûres vers l’Europe aux personnes ayant besoin d’une protection internationale. Il a été décidé de réinstaller 22 504 réfugiés en provenance de Turquie, de Jordanie et du Liban. Au 7 février 2017, 13 968 personnes avaient été réinstallées. Des réinstallations ont eu lieu dans 21 États participant au programme 
			(8) 
			Allemagne, Autriche,
Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Islande,
Irlande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Norvège, Pays-Bas,
Portugal, Royaume-Uni, Suède, Suisse et République tchèque.. Parmi ces pays, la Suède, le Royaume-Uni, la Finlande et les Pays-Bas ainsi que les pays associés, à savoir la Suisse, le Liechtenstein et l’Islande, ont déjà honoré leurs engagements.
77. La Déclaration UE-Turquie énonçait que pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien serait réinstallé de la Turquie vers l’Union européenne. Elle prévoyait un programme d’admission humanitaire volontaire qui a été activé le 4 avril 2016 une fois le nombre de traversées irrégulières entre la Turquie et l’Union européenne notablement et durablement réduit. Le nombre de réinstallations dans le cadre de ce programme a été inclus dans le chiffre global des installations. Dans son neuvième rapport du 7 février 2015 sur l’avancement des programmes de l’Union européenne en matière de relocalisation et de réinstallation, la Commission européenne a constaté que le nombre de réinstallations dans le cadre de la Déclaration UE-Turquie continuait d’augmenter et que les États membres faisaient des progrès en matière de mise au point de nouvelles opérations de réinstallation. Depuis le 4 avril 2016, 3 098 Syriens ont été réinstallés dans l’Union européenne à partir de la Turquie en vertu du mécanisme « un pour un » (une personne réinstallée pour une personne renvoyée). Les autorités turques ont respecté leur engagement d’intensifier les efforts pour fournir de plus longues listes de candidats à la réinstallation.

5. Principales préoccupations en matière de droits de l’homme

78. Bien que, comme je l’ai démontré ci-dessus, des progrès indéniables aient été accomplis s’agissant des conditions d’accueil et du traitement des demandes d’asile dans les deux pays en première ligne que sont la Grèce et l’Italie, depuis 2015 et début 2016, certains problèmes ayant des répercussions sur l’état des droits fondamentaux des réfugiés et des migrants subsistent et devraient être traités d’urgence. L’Union européenne, ainsi que les autorités grecques et italiennes, devrait adopter des mesures concrètes afin d’améliorer la situation dans certaines zones.
79. L’amélioration des conditions d’accueil, notamment sur les îles grecques, est une priorité. Certes, ces conditions se sont incontestablement améliorées depuis 2016, mais elles ne sont pas satisfaisantes pour autant. Certains centres d’accueil sont toujours surpeuplés, inadéquats et peu sûrs. La solution la plus durable à ce problème serait de traiter rapidement les demandes d’asile et d’accroître les transferts vers le continent, réduisant ainsi le nombre de personnes qui ont besoin d’être hébergées sur les îles.
80. Sur le continent, il faudrait fermer immédiatement les sites qui ne conviennent manifestement pas à l’hébergement, notamment des entrepôts dans la région de la Macédoine centrale et à Ellinikó, ainsi que dans le dernier site non officiel de la région de l’Attique, et transférer les migrants vers des lieux où les conditions d’accueil sont sûres et appropriées. Les projets de construction de nouveaux camps pour accueillir des centaines de migrants devraient être abandonnés car les grands camps contribuent à la marginalisation. Il faudrait privilégier des structures d’accueil plus petites et une distribution géographique plus grande sur la base de l’expérience italienne. Des standards nationaux pour les structures d’accueil devraient être adoptés. Il faudrait soutenir des projets qui proposent le recours à des bâtiments rénovés, à des hôtels et à des familles d’accueil, conformément au plan du HCR.
81. Il faudrait augmenter la capacité d’enregistrement et de traitement des demandes d’asile notamment sur le continent où les décisions de première instance concernant les personnes enregistrées à la fin du premier semestre 2016 ne seront rendues qu’en 2018. Le HCR a, en outre, signalé certaines pratiques discriminatoires qui retardent les procédures pour certaines nationalités (les Afghans et les Irakiens par exemple). Avec le concours du BEAA, les responsables du système d’asile grec devraient remédier d’urgence à cette incapacité à traiter pleinement les demandes d’asile dans un délai raisonnable pour toutes les nationalités.
82. Les conditions d’accueil devraient également être améliorées en Italie et des normes nationales fixées de manière à réduire les disparités entre les divers centres d’hébergement. La question du retour des demandeurs d’asile déboutés devrait être examinée d’urgence afin d’éviter la saturation des centres d’accueil existants qui atteindront bientôt leur limite.
83. La question des mineurs non accompagnés reste un grave sujet de préoccupation en Italie et en Grèce. Aussi bien les garçons que les filles sont exposés à un risque accru et sont fréquemment victimes de violences, d’une exploitation, de la traite d’êtres humains ou d’abus physiques, psychologiques et sexuels au cours de leur odyssée et dans les camps. Ils courent un risque accru d’être marginalisés et de verser dans la criminalité. Ce risque est encore plus fort lorsque des enfants partagent un espace de vie avec des adultes étrangers dans des installations surpeuplées qui ne sont pas adaptées à leurs besoins spécifiques.
84. Le recours à des procédures appropriées d’évaluation de l’âge revêt une importance cruciale pour la protection des droits des enfants migrants. Malheureusement, certains pays ne se conforment pas aux normes pertinentes, ce qui pourrait entraîner des inexactitudes préjudiciables aux mineurs. La commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées travaille actuellement à l’élaboration de lignes directrices en la matière et soumettra des recommandations à l’Assemblée parlementaire dans le courant de l’année.
85. La résolution du problème de la réinstallation des mineurs non accompagnés a totalement échoué à la fois en Italie et en Grèce. Le programme devrait être adapté d’urgence afin de permettre aux mineurs de bénéficier de cette option. Il est particulièrement aigu en Italie, pays dans lequel il deviendra très bientôt impossible à quiconque de profiter de cette solution.
86. On compte plus de 21 000 mineurs non accompagnés enregistrés en Italie et le pourcentage des enfants et des jeunes parmi les nouveaux arrivants est en constante augmentation. La plupart d’entre eux sont rapidement identifiés et enregistrés comme mineurs non accompagnés à l’arrivée, mais malheureusement une bonne partie est ensuite transférée dans des centres d’accueil inadaptés en raison de la pénurie de structures spécialisées.
87. La situation pourrait s’améliorer après la mise en œuvre intégrale de la Loi n° 47 relative au mineurs migrants non accompagnés (dite « Leggia Zampa ») entrée en vigueur en mai 2017. Cet instrument prévoit l’établissement de centres dédiés à cette population et la nomination de 26 000 gardiens. Le décret d’application est en cours de rédaction et on espère qu’il sera promulgué sans retard indu.
88. On compte 2 000 mineurs enregistrés en Grèce, dont seulement 1 352 vivent dans des abris. 891 figurent sur une liste d’attente en vue d’être placés, dont 130 d’entre eux sont dans un centre d’accueil et 18 en détention protégée. La capacité du pays à loger ces enfants, malgré des progrès indéniables, accuse encore un sérieux retard par rapport aux besoins. Des efforts accrus s’imposent encore afin de créer d’autres systèmes comme la garde auprès de familles d’accueil composées d’habitants locaux ou de réfugiés ou bien des structures de vie indépendante (mais supervisée) en petits groupes pour les enfants approchant de la majorité. De plus, même au sein des centres d’accueil ordinaires, des zones spéciales devraient être réservées aux mineurs et autres groupes vulnérables.
89. Certains rapports font état de la détention, dans certaines circonstances, de mineurs non accompagnés dans des locaux de police où ils sont parfois enfermés avec des adultes. Cette situation est inacceptable. L’Assemblée parlementaire participe depuis 2015 à la Campagne parlementaire pour mettre fin à la rétention d’enfants migrants qui promeut et encourage les solutions législatives et organisationnelles permettant de trouver des solutions de remplacement à la rétention de ces mineurs.
90. Enfin, une remarque générale s’impose sur la nécessité d’améliorer les structures de coordination avec l’ensemble des organismes humanitaires déployant des activités en Grèce afin d’apporter une réponse cohérente et efficace et de départager clairement les responsabilités. Une telle initiative permettrait de mettre fin à la pratique actuelle du coup par coup – illustrée récemment par les activités visant à préparer l’hiver – et de renforcer la confiance des donneurs dans la capacité de réaction desdits organismes. Bien que la création du ministère de la Migration en 2016 constitue un pas dans la bonne direction, le manque d’une structure et d’un statut ministériel adéquate compromet les bases de progrès. Il conviendrait en outre d’élaborer un programme d’action en cas d’arrivée massive.

6. Conclusions

91. Plus d’un an après l’adoption de la Déclaration UE-Turquie, force est de reconnaître que cet instrument a contribué à alléger ou résoudre bon nombre de problèmes. Son principal objectif était de casser le modèle opérationnel des passeurs qui exploitent la détresse des réfugiés et des migrants et font courir un risque mortel aux intéressés. La diminution sensible du nombre des traversées et des pertes en vies humaines depuis l’entrée en vigueur de la Déclaration prouve que le système mis en place répond en partie à cette préoccupation. Pendant la période record en 2015, 5 000 à 6 000 personnes prenaient la mer tous les jours à destination des îles grecques. Pendant les semaines précédant la mise en œuvre de la Déclaration, la moyenne journalière atteignait presque 2 000. En revanche, cette moyenne est tombée au-dessous de 100 par jour depuis le 1er janvier 2017. Le nombre de morts a lui aussi considérablement diminué puisque l’on compte seulement 37 pertes en vies humaines pour la période allant du 1er janvier au 10 mai 2017.
92. Par conséquent, la situation en Grèce s’est largement améliorée et devient gérable même si presque 100 % des personnes arrivant dans ce pays réclament l’asile. L’accueil, l’enregistrement et le traitement des demandes sont désormais efficaces grâce aux efforts continus des autorités et des autres parties prenantes, de sorte que les préoccupations dans ce domaine sont moins vives. Pourtant, on ne saurait être pleinement satisfait de la situation qu’il conviendrait d’améliorer encore au prix d’efforts supplémentaires.
93. La mise en œuvre de la Déclaration UE-Turquie (et de la fermeture des frontières) a eu pour conséquence directe une diminution (de l’ordre de 83 %) du nombre de nouvelles arrivées dans les pays des Balkans occidentaux et en Hongrie. En ce qui concerne les migrants bloqués dans ces pays fin 2016, leur nombre total s’élevait à 13 533 contre 5 688 fin 2015. La majorité des migrants bloqués se trouve actuellement en Serbie (5 633) et en Bulgarie (5 560) 
			(9) 
			Source: «Compilation
of available data and information on mixed migration flows in the
Mediterranean and Beyond», OIM..
94. La mise en œuvre de la Déclaration UE-Turquie et de la fermeture des frontières sur la Route des Balkans occidentaux n’a pas eu d’incidence sur le nombre de personnes empruntant la Route de la Méditerranée centrale. Même si le nombre d’arrivées en Italie a augmenté d’environ 30 % à 40 % au cours des cinq premiers mois de 2017, ce phénomène est lié à la situation instable prévalant en Libye et au renforcement de l’afflux de migrants en provenance de différents pays d’Afrique.
95. Les conditions d’accueil et les procédures d’examen des demandes d’asile en Italie, bien qu’ayant été également améliorées, exigent une action d’urgence. Comme la Grèce, l’Italie est en effet devenue un pays de destination et l’arrivée continue de masses de migrants risque de provoquer la saturation de ses capacités d’accueil. La question du traitement des migrants dont la demande d’asile a été rejetée devrait être examinée sans délai. Le grand nombre de migrants en situation irrégulière constitue une menace pour tout le système d’asile et pour la stabilité sociale.
96. L’arrivée de migrants en Italie est largement tributaire de la situation en Libye. Même si le niveau des missions de recherche et de sauvetage doit être maintenu, l’Union européenne devrait également accroître ses efforts afin de lutter efficacement contre les réseaux de passeurs en Méditerranée, en ciblant leurs approvisionnements et en mettant en commun les renseignements glanés par les divers États membres et les organismes compétents.
97. Une coopération a déjà été instaurée avec les garde-côtes libyens, mais devrait être renforcée notamment en ce qui concerne le financement des programmes de formation, l’aide à la création d’un centre de coordination du sauvetage maritime et la mise à disposition et l’entretien de navires de patrouille supplémentaires.
98. Des discussions sont en cours avec les autorités libyennes afin de garantir l’amélioration des conditions dans les centres abritant des migrants et plus particulièrement de protéger les personnes vulnérables et les mineurs. Il conviendrait d’ailleurs de renforcer la coopération dans ce domaine avec le HCR et l’OIM.
99. Par ailleurs, cependant, force est d’admettre que des personnes continueront à chercher de nouveaux moyens de traverser la Méditerranée en courant un grave danger et en recourant à des passeurs peu scrupuleux, dans la mesure où il ne leur est pas possible d’entrer légalement en Europe. L’absence de routes maritimes accessibles et sûres contraint les réfugiés et migrants à prendre d’énormes risques en mer.
100. L’Assemblée a déjà exprimé son opinion sur la proposition d’externaliser la gestion des «hotspots» 
			(10) 
			Voir la Résolution <a href='http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMzQ4NCZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIzNDg0'>2147
(2017)</a> sur la nécessité de réformer les politiques migratoires
européennes.. Elle a appelé les États membres et les institutions compétentes à explorer les possibilités de mieux repérer les personnes ayant besoin d’une protection internationale et à organiser le traitement externe des demandes d’asile dans le cadre de procédures sûres établies hors d’Europe dans des pays tiers sûrs, pour autant que les droits fondamentaux des intéressés soient garantis.
101. L’introduction et l’élargissement d’autres routes d’accès légales et sûres au profit des migrants – comme des politiques plus élaborées de réinstallation, le regroupement familial ou l’octroi d’un statut humanitaire – permettraient de sauver la vie de nombreuses personnes prêtent à tenter de forcer le passage de manière illégale.
102. On a beaucoup glosé sur la nécessité de renforcer la coopération et l’aide aux pays d’origine, non seulement sous la forme d’une assistance financière, mais également sous la forme de la promotion de projets économiques de nature à contribuer au développement durable et à inciter les gens à rester dans leur pays. S’attaquer aux causes profondes de la migration illégale en Méditerranée constitue la mesure à long terme la plus importante. Cette politique s’impose de manière incontournable et devrait être adoptée aussi rapidement que possible.