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Rapport | Doc. 14344 | 16 juin 2017

Promouvoir l’intégrité dans la gouvernance pour lutter contre la corruption politique

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Michele NICOLETTI, Italie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13551, Renvoi 4063 du 29 septembre 2014. 2017 - Troisième partie de session

Résumé

Le rapport analyse les causes profondes et les facteurs de la corruption, ainsi que les mesures de transparence et de responsabilité pour lutter contre elle et pour promouvoir une culture d'intégrité dans la gouvernance. Différentes traditions historiques, politiques, sociales et culturelles de même que diverses politiques anticorruption sont abordées dans quatre études de cas (Royaume-Uni, Ukraine, Pays-Bas et Espagne).

Le rapport analyse également un certain nombre de stratégies de lutte contre la corruption en termes de législation, d'institutions et d'éducation, et accorde une attention particulière au mandat et aux pouvoirs des institutions nationales de lutte contre la corruption. Il propose un certain nombre de recommandations aux États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et aux États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire, ainsi qu'aux parlements nationaux, partis politiques et à l'Assemblée elle-même, pour intensifier la lutte contre la corruption et promouvoir l'intégrité dans la gouvernance. Il recommande également un certain nombre d'actions au Comité des Ministres afin de renforcer l'impact du Conseil de l’Europe dans ce domaine.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 14 juin
2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire réaffirme que la lutte contre la corruption reste non seulement un fondement de l’État de droit, mais est aussi un composant essentiel d’une véritable démocratie.
2. La répétition des scandales de corruption, tant dans les institutions nationales qu’européennes, a permis aux dirigeants populistes d’exploiter le désenchantement du public à l’égard des «élites corrompues». En outre, la perception de la corruption ou des malversations a un impact négatif sur la participation aux élections et conditionne l’avis que les citoyens se font des dirigeants en exercice et des institutions politiques. Aussi l’Assemblée estime-t-elle qu’il est prioritaire d’intensifier la lutte contre la corruption et de restaurer la confiance dans l’efficacité et l’action des institutions démocratiques dans beaucoup de démocraties européennes, y compris les institutions européennes.
3. L’Assemblée rappelle notamment ses résolutions et recommandations sur «La corruption comme menace à la prééminence du droit» (Résolution 1943 (2013) et Recommandation 2019 (2013)), «Le lobbying dans une société démocratique (code européen de bonne conduite en matière de lobbying)» (Recommandation 1908 (2010)), «Améliorer la protection des donneurs d’alerte» (Recommandation 2073 (2015) et Résolution 2060 (2015)), «La corruption judiciaire: nécessité de mettre en œuvre d’urgence les propositions de l’Assemblée» (Résolution 2098 (2016) et Recommandation 2087 (2016)) et «Transparence et ouverture dans les institutions européennes» (Résolution 2125 (2016) et Recommandation 2094 (2016)) et souligne l’importance de continuer à promouvoir l’intégrité de la gouvernance publique.
4. Tout en se félicitant des mesures existantes contre la corruption, pour la transparence et pour obliger les responsables à rendre des comptes au niveau national, européen et international, l’Assemblée souligne également l’importance d’encourager un environnement politique et culturel qui favorise une société résiliente face à la corruption. Elle considère que toute initiative contre la corruption et pour la transparence au niveau national ou européen devrait comprendre les éléments suivants:
4.1. prendre en compte la diversité et la richesse des traditions politiques, sociales, économiques et culturelles des États membres du Conseil de l’Europe;
4.2. recevoir un fort soutien de la base de la part d’une large coalition de groupes de la société qui sont opposés aux pratiques de corruption existantes;
4.3. être suffisamment flexible pour s’adapter et répondre aux nouvelles formes de corruption au fur et à mesure qu’elles apparaissent.
5. L’Assemblée prend note de la variété des fonctions, pouvoirs et mandats des institutions nationales de lutte contre la corruption, notamment les institutions anti-corruption polyvalentes, les organes de maintien de l’ordre, de coordination des politiques et de prévention ainsi que les mécanismes de contrôle interne mis en place par d’autres institutions publiques. Elle enjoint les États membres du Conseil de l’Europe qui ont créé des organes séparés et spécialisés dans la lutte contre la corruption à leur conférer des compétences spécialisées, un mandat clair et des pouvoirs suffisants, qui sont soumis à des mécanismes de contrôle appropriés, conformément à la Résolution 97 (24) du Comité des Ministres portant sur les vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption, ainsi qu’aux lignes directrices de la Convention des Nations Unies contre la corruption. Elle appelle aussi ces organes à développer leurs mécanismes de suivi et d’évaluation pour analyser leur propre performance, et à renforcer l’appui de l’opinion publique en continuant de lui rendre des comptes, avec le soutien éventuel du Conseil de l'Europe.
6. À la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite tous les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et les États dont le parlement bénéficie du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire à intensifier la lutte contre la corruption:
6.1. en promouvant l’intégrité et la transparence dans la vie publique à tous les niveaux, en particulier:
6.1.1. en adoptant des règles rigoureuses relatives à la déclaration de patrimoine, de revenus et d’intérêts financiers ou autres par les membres du gouvernement et du parlement, les dirigeants de partis et de mouvements politiques et les fonctionnaires, juges et procureurs;
6.1.2. en rendant ces déclarations facilement accessibles au public;
6.1.3. en établissant des organes de supervision indépendants et en réglementant les activités de lobbying, conformément à la Recommandation CM/Rec(2017)2 du Comité des Ministres sur la réglementation juridique des activités de lobbying dans le contexte de la prise de décision publique;
6.2. en garantissant une coopération pleine et entière avec le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) et le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) et en mettant en œuvre leurs recommandations;
6.3. en garantissant l’indépendance du pouvoir judiciaire par des procédures de recrutement et de promotion transparentes et, si nécessaire, en recourant à des mesures disciplinaires appropriées, appliquées par des instances qui échappent à toute ingérence politique et autres d’influences indues;
6.4. en reconnaissant le rôle des médias dans la dénonciation de la corruption et en veillant à ce que la réglementation sur les médias respecte la liberté et la responsabilité de la presse;
6.5. en mettant en œuvre la Recommandation sur l’intégrité publique publiée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui constitue un plan pour défendre et privilégier l’intérêt général sur les intérêts privés dans le secteur public;
6.6. en envisageant de créer des unités spécialisées chargées de l’intégrité dans les institutions publiques pour promouvoir l’éthique, la responsabilité et la transparence;
6.7. en étant attentif aux niveaux local et régional et en envisageant de créer des services de conseil confidentiel pour donner aux élus locaux des informations et des conseils sur les questions éthiques, liées à l’intégrité et sur les possibles conflits d’intérêts, ainsi que des formations spécifiques;
6.8. en organisant des campagnes de sensibilisation du public à la lutte contre la corruption qui ciblent différents groupes de citoyens, les médias, les organisations non gouvernementales, les entreprises et le grand public;
6.9. en incorporant des éléments sur l’intégrité dans les programmes scolaires du primaire et du secondaire, centrés sur la responsabilité individuelle et sociale, avec le soutien du Conseil de l’Europe.
7. Outre les approches traditionnelles fondées sur la législation, les institutions spécialisées et une conformité et une application plus strictes, les gouvernements devraient porter une attention particulière, à travers la poursuite de recherches universitaires et en matière de politiques, à la façon dont la corruption était et est intégrée dans les valeurs sociales et culturelles, puisque celles-ci fournissent l’environnement essentiel dans lequel les réformes institutionnelles et les initiatives contre la corruption peuvent réussir.
8. Par ailleurs, l’Assemblée appelle l’ensemble des parlements des États membres et observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi que les parlements qui bénéficient du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire, à continuer à promouvoir des mesures en faveur de la transparence et de la responsabilité, en particulier:
8.1. en développant un code de conduite comprenant des règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts, aux cadeaux reçus et autres avantages, aux activités accessoires et intérêts financiers, aux obligations de déclaration, et en en facilitant l’accès au public;
8.2. en envisageant de créer une institution de conseil confidentiel pour fournir aux élus des informations et des conseils sur les questions liées à l’éthique, à l’intégrité et aux conflits d’intérêts éventuels, ainsi que des formations spécifiques;
8.3. en s’assurant que l’immunité parlementaire n’empêche pas les parlementaires d’être poursuivis pénalement pour des faits de corruption;
8.4. en établissant des procédures spécifiques de surveillance parlementaire, en mettant particulièrement l’accent sur la mise en œuvre des recommandations émanant du Cinquième Cycle d’évaluation du GRECO qui portent sur la prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs.
8.5. en s’assurant que la coopération avec les médias d’investigation soit basée sur des preuves raisonnablement solides et en mettant en œuvre la Résolution … (2017) «Le contrôle parlementaire de la corruption: la coopération des parlements avec les médias d'investigation».
9. Conformément au Code de bonne conduite en matière de partis politiques de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), l’Assemblée invite tous les partis politiques à exclure de leurs listes de candidats ainsi que de leurs rangs toute personne reconnue coupable de corruption.
10. Pour sa part, l’Assemblée décide:
10.1. d’accorder une attention particulière à la révision et à la mise en œuvre effective de son propre Code de conduite;
10.2. de soutenir pleinement le groupe d’enquête externe indépendant chargé d’examiner les allégations de corruption au sein de l’Assemblée;
10.3. de renforcer sa propre Plateforme contre la corruption, afin de promouvoir au sein des parlements nationaux des campagnes en faveur de l’intégrité;
10.4. de fournir une réglementation solide pour les activités de lobbying.
11. Enfin, l’Assemblée réitère son appel à l’Union européenne pour qu’elle progresse vers une adhésion pleine et entière au GRECO dès que possible, et qu’elle respecte le principe d’égalité de traitement entre les membres du GRECO, ce qui implique l’évaluation des institutions de l’Union européenne par les mécanismes du GRECO, en tenant compte de sa spécificité en tant qu’entité non-étatique.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 14 juin 2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2017) «Promouvoir l’intégrité dans la gouvernance pour lutter contre la corruption politique», souligne l’importance d’encourager un environnement politique et culturel favorable à une société résiliente face à la corruption, ce qui est le fondement d’une véritable démocratie.
2. L’Assemblée se félicite de la Recommandation CM/Rec(2017)2 du Comité des Ministres relative à la réglementation juridique des activités de lobbying dans le contexte de la prise de décision publique.
3. Afin de renforcer plus encore la mise en œuvre des normes et des recommandations existantes contre la corruption dans les États membres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée invite le Comité des Ministres à porter une attention particulière, à travers la poursuite de recherches, à la façon dont la corruption était et est intégrée dans les valeurs sociales et culturelles de chaque État membre, puisqu’elles fournissent l’environnement essentiel dans lequel les initiatives contre la corruption peuvent réussir.
4. Comme les stratégies contre la corruption et pour l’intégrité ont plus de chances de réussir quand elles reçoivent un soutien fort de la base de la part de la société civile et d’autres acteurs pertinents dans la lutte contre la corruption, l’Assemblée appelle le Comité des Ministres:
4.1. à renforcer le dialogue entre la société civile et les institutions locales, nationales et européennes, en lançant une campagne sur l’intégrité et la lutte contre la corruption visant à mobiliser un réseau de décideurs politiques, d’experts, d’universitaires, d’intellectuels, de journalistes, d’organisations non gouvernementales et d’étudiants;
4.2. à donner un rôle important à l’éducation à l’intégrité et à la lutte contre la corruption dans le Cadre de référence du Conseil de l’Europe des compétences nécessaires à une culture de la démocratie, en ciblant les établissements du primaire et du secondaire, d’enseignement supérieur et les organismes de formation professionnelle partout en Europe;
4.3. à envisager d’inclure les aspects liés à l’intégrité et la lutte contre la corruption dans une version révisée de la Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme;
4.4. à développer des projets d’éducation à la lutte contre la corruption dans le cadre du programme conjoint Conseil de l’Europe–Union européenne «Les droits de l’homme et la démocratie en action»;
4.5. à porter une attention spécifique à la corruption dans le système éducatif, en ce qui concerne en particulier l’accès aux études supérieures et aux diplômes de l’enseignement supérieur, et entamer une réflexion sur une éventuelle convention sur la fraude dans le domaine de l’éducation;
4.6. à demander aux États membres du Conseil de l'Europe qui ont établi des organes spécialisés séparés de lutte contre la corruption d’assurer leur indépendance et de leur fournir des compétences spécialisées, un mandat clair et des pouvoirs suffisants, soumis à des mécanismes de contrôle appropriés, conformément à la Résolution 97 (24) du Comité des Ministres portant sur les vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption et aux lignes directrices de la Convention des Nations Unies contre la corruption;
4.7. à inviter le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) à constituer une plateforme pour les autorités de lutte contre la corruption dans ses Etats membres afin de rassembler et discuter des bonnes pratiques et des défis actuels dans la lutte contre la corruption et la promotion de l’intégrité dans la vie publique et à envisager la mise en place d’un réseau au niveau européen.

C. Exposé des motifs, par M. Michele Nicoletti, rapporteur

(open)

1. Introduction et portée du rapport

1. Ce rapport a pour objet d’analyser comment la corruption peut nuire à la démocratie dans différents contextes et de mieux comprendre pourquoi, malgré la longue histoire et la diffusion continue de ce phénomène dans les sociétés contemporaines, il est toujours difficile d’appliquer une «recette» unique qui serait efficace à coup sûr partout en Europe.
2. Le titre initial de la proposition de résolution était «La corruption en tant que système de gouvernance: un obstacle à l’efficacité et au progrès des institutions». J’ai proposé de le remplacer par «Promouvoir l’intégrité dans la gouvernance pour lutter contre la corruption politique», de façon à mettre l’accent sur les outils et les stratégies destinés à promouvoir une culture de l’intégrité, de la transparence et de la responsabilité.
3. L’Assemblée parlementaire a adopté une position ferme en reconnaissant que la corruption est une menace à la prééminence du droit, par l’adoption de la Résolution 1943 (2013) et de la Recommandation 2019 (2013), suivies par la Réponse du Comité des Ministres le 21 janvier 2014. L’Assemblée a souligné la nécessité d'ériger en infractions pénales appropriées les faits de corruption, de garantir l'indépendance du système judiciaire et d'assurer un degré élevé de transparence dans la vie politique, administrative et économique. Elle a aussi appelé à la normalisation de la lutte contre la corruption dans divers programmes et activités du Conseil de l’Europe et a souligné la nécessité que les parlements nationaux contribuent activement, dans leurs contextes nationaux respectifs, à la mise en œuvre des recommandations émises par le Groupe d’États du Conseil de l’Europe contre la corruption (GRECO) et d'autres organes de suivi.
4. Dans mon rapport, je traiterai en priorité la corruption politique, c’est-à-dire l’utilisation inappropriée, par l’État ou par les représentants de l’État, des ressources ou pouvoirs gouvernementaux dont ils disposent à des fins de gains personnels illégitimes et habituellement secrets 
			(3) 
			Fonds monétaire international,
Manuel sur la transparence des finances publiques, 2007, Glossaire.. Cette question est au cœur même de ce que le Conseil de l’Europe représente, car la lutte contre la corruption demeure non seulement une pierre angulaire de la prééminence du droit, mais aussi une composante essentielle de toute démocratie véritable.
5. Dans certains pays, la corruption est considérée comme une «pathologie» du système social, tandis que dans d'autres, elle est perçue comme un élément «physiologique» et semble jouer un rôle structurel dans la société. Pour être efficaces, les stratégies de lutte contre la corruption ne peuvent faire l'impasse sur le contexte culturel, c'est-à-dire les différentes traditions et coutumes, ni sur les sensibilités qui existent dans une Europe hétérogène. Ces stratégies devraient aussi prendre en compte l’impact de l’édification de l’État moderne sur la corruption. Ainsi, il n'est pas possible de régler le problème de la corruption en Europe méridionale en se contentant d'appliquer les politiques et structures de lutte contre la corruption qui fonctionnent dans les pays d'Europe du Nord, lesquels sont habituellement en tête des divers classements sur la lutte contre ce fléau. De plus, les anciens pays d'Europe centrale et orientale sont passés assez récemment d'un régime totalitaire à un régime démocratique (en moins de 30 ans), élément dont il faut tenir compte pour comprendre et analyser le phénomène de la corruption dans ces pays et élaborer des stratégies appropriées de lutte contre la corruption. Pour illustrer ce point, je me suis intéressé à quatre cas, dont trois ont fait l'objet d’une visite d'information: l'Ukraine, où je me suis rendu en janvier 2016; les Pays-Bas, où je me suis rendu en novembre 2016; l’Espagne, où j'ai participé à des discussions fructueuses en mars 2017; et le Royaume-Uni, dont la situation m'a été présentée par le professeur Mark Knights, historien à l'université de Warwick.
6. Mon objectif n'est pas de désigner ni de blâmer tel ou tel pays, mais de comprendre les causes profondes de la corruption et de voir ce qui peut être fait au niveau national et européen pour encourager une culture de l'intégrité, en tenant compte de l'environnement national et local. J'entends également, entre autres, exposer un certain nombre de stratégies de lutte contre la corruption en termes de législation, d'institutions et d'éducation, et m'attacher plus particulièrement au mandat et aux compétences des institutions nationales de lutte contre la corruption.
7. Je remercie la commission pour l'organisation de plusieurs auditions, à savoir: le 20 avril 2015, à Strasbourg, avec la participation de M. Raffaele Cantone, président de l'Autorité italienne de lutte contre la corruption, et M. Sergei Guriev, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris; le 1er septembre 2015, à Paris, avec la participation de M. Giovanni Kessler, directeur général de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de la Commission européenne, M. Bálint Magyar, chercheur et consultant stratégique chez Financial Research Plc., Hongrie, et Mme Kathryn Gordon, économiste principale, Division de la lutte contre la corruption de l'OCDE; et le 8 mars 2016, à Paris, avec la participation de M. Drago Kos, président du Groupe de travail de l'OCDE sur la corruption.
8. Par ailleurs, le 4 juin 2015, la Commission a participé à une conférence sur le thème «Vers un code de conduite pour les parlementaires: une comparaison des expériences nationales et internationales», organisée à Rome par la Chambre des députés italienne, sous les auspices de Mme Laura Boldrini, présidente de la Chambre des députés.
9. Le 23 septembre 2015, j'ai participé à un échange de vues avec une délégation de la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen (AFCO) à Bruxelles; et le 2 décembre 2016, j’ai coorganisé, en coopération avec la Direction Générale Droits de l'homme et État de droit du Conseil de l'Europe et la Secrétaire Générale Adjointe Gabriella Battaini-Dragoni, dans les locaux du bureau du Conseil de l'Europe à Venise, une audition d'experts sur le thème «La corruption et ses tendances: un défi politique», dont les échanges de vues ont beaucoup éclairé mon rapport.
10. Le 20 mars 2017, j'ai assisté au lancement du Cinquième Cycle d’Évaluation du GRECO, dont le thème s'intitule «Prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs».
11. Un certain nombre de questions importantes, notamment les groupes d'intérêts, la protection des lanceurs d'alerte, le blanchiment de capitaux, le pantouflage et les conflits d'intérêts, ainsi que les travaux pertinents du Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), ont été exclues du périmètre de mon analyse. Ces questions sont traitées avec succès par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme 
			(4) 
			Résolution 1943 (2013) et Recommandation
2019 (2013) sur la corruption comme menace à la prééminence du droit; Recommandation 1908 (2010) «Le lobbying dans une société démocratique (code européen
de bonne conduite en matière de lobbying)»; Résolution 2060 (2015) et Recommandation
2073 (2015) «Améliorer la protection des donneurs d’alerte», Résolution 2098 (2016) et Recommandation
2087 (2016) «La corruption judiciaire: nécessité de mettre en œuvre
d’urgence les propositions de l’Assemblée», Résolution 2125 (2016) et Recommandation
2094 (2016) «Transparence et ouverture dans les institutions européennes». et je souhaite également mentionner les actes du séminaire de Venise concernant les tendances actuelles en Europe dans la lutte contre la corruption, y compris la restitution des avoirs et les bénéficiaires effectifs 
			(5) 
			Le programme
et les actes du séminaire de Venise le 20 décembre 2016: <a href='https://pace.coe.int/documents/18848/3260386/AS-POL-INF-2017-09-FR.pdf/a84b947a-505e-46ef-ac9e-be2562a19a68'>https://pace.coe.int/documents/18848/3260386/AS-POL-INF-2017-09-FR.pdf/a84b947a-505e-46ef-ac9e-be2562a19a68</a>..
12. Enfin et surtout, la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias a adopté un rapport de Mme Gülsün Bilgehan intitulé «Le contrôle parlementaire de la corruption: la coopération des parlements avec les médias d'investigation» 
			(6) 
			Doc. 14274., qui contribuera à un échange de vues sur les moyens de regagner la confiance dans les médias et dans les institutions démocratiques. Un débat conjoint avec le présent rapport aura lieu pendant la partie de session de juin 2017.

2. Études de cas

13. Les quatre pays suivants, Royaume-Uni, Ukraine, Pays-Bas et Espagne, ont été sélectionnés au vu de leurs différences sur les plans historique, culturel, géographique et politique.

2.1. L'impact de l'édification de l'État moderne sur la corruption: le cas de la Grande-Bretagne

14. La session du matin du séminaire de Venise La corruption et ses tendances: un défi politique a porté sur les facteurs de corruption et sur les réformes destinées à lutter contre ce fléau. Dès l’apparition des premières formes d’État moderne, la corruption a atteint et pénétré les structures publiques. À mesure que les États se développaient, certains ont réussi, progressivement, à prévenir et éradiquer la corruption en prenant des mesures à l’égard des comportements et des secteurs présentant un risque particulier. Dans d’autres, la corruption continue de parasiter les politiques publiques et la société en général.
15. M. Knights s'est intéressé à ce que l'histoire de la Grande-Bretagne nous dit de la corruption, et je m'inspire de son analyse pour montrer l'impact de l'édification de l'État moderne sur ce phénomène.
16. D’après les indices de perception de la corruption, le Royaume-Uni semble aujourd’hui relativement épargné par ce phénomène 
			(7) 
			Classement: 10ème sur
176, selon Transparency International Corruption Perception Index
2016.. Mais il n’en possède pas moins une longue histoire de lutte contre la corruption, les stratégies dans ce domaine ont évolué au fil des siècles, et ne datent pas de quelques années ou décennies 
			(8) 
			L’analyse
de M. Knights s’appuie sur un projet financé par l’Arts and Humanities
Research Council portant sur l’histoire de la corruption et de la
lutte contre la corruption au Royaume-Uni et dans ses colonies depuis
la Réforme anglicane, au xvie siècle,
jusqu’aux mouvements réformistes du xixe siècle.
Cette étude sera publiée aux Presses universitaires d’Oxford. Une
partie de ses résultats préliminaires est résumée dans un rapport
de Transparency International, <a href='http://www.transparency.org.uk/publications/old-corruption-what-british-history-can-tell-us-about-corruption-today/'>www.transparency.org.uk/publications/old-corruption-what-british-history-can-tell-us-about-corruption-today</a>.. Elles ont souvent été façonnées par des facteurs proprement britannique – la réforme protestante au xvie siècle, deux révolutions au xviie siècle, l’expansion de l’État et de l’Empire au xviiie siècle. Ce qui revient à dire que chaque État doit prendre des mesures adaptées à son histoire nationale, à sa culture et à sa mentalité?
17. La perception de ce qu’est la corruption, c’est-à-dire des raisons pour lesquelles elle représente le plus grand danger et de la manière dont elle le fait, a changé au fil du temps; de même, ses traits constitutifs furent également controversés, des versions antagonistes s’opposant dans le temps, depuis l’idée de la corruption de l’Église catholique dans l’Angleterre protestante du xvie siècle jusqu’à la corruption des titulaires de charges publiques ou la corrosion du système politique au début du xixe siècle. De plus, tandis que l’on voyait dans l’«intérêt personnel» la source de la corruption aux xvie et xviie siècles, ce concept est devenu le régulateur invisible du marché libre, capable d’éradiquer la corruption aux xviiie et xixe siècles.
18. De nombreuses conduites corrompues étaient ancrées dans les pratiques, les coutumes et les normes sociales d’une époque et d’un lieu. En Grande-Bretagne, la lutte contre la corruption s’inscrivait dans un contexte plus large, marqué par les notions d’amitié, de parenté, de patronage et de gratification, où les «pots-de-vin» étaient des «cadeaux», des «présents», des «signes de reconnaissance» de la part d’un ami ou d’un obligé.
19. Si la corruption est donc étroitement liée aux caractéristiques socioculturelles d’un pays, nous devons reconnaître que ces mentalités et ces valeurs évoluent lentement et que ce processus est le reflet d’un vaste débat qui va bien au-delà des institutions et de l’administration de la puissance publique. Les progrès n’ont pas été réguliers et ont pu connaître des retours en arrière, et de nombreuses tentatives, étalées sur une longue période, ont parfois été nécessaires pour que la lutte contre la corruption produise les résultats escomptés 
			(9) 
			La vente de certaines
charges a été légalement bannie pour la première fois en Angleterre
en 1389, mais il a fallu d’autres initiatives législatives en 1555
et en 1809 pour en finir avec la vénalité des charges ; du reste,
dans l’armée, la vente des commissions d’officier a été une pratique
courante jusqu’en 1871..
20. Il ne faut donc pas voir la lutte contre la corruption comme un processus déterminé aboutissant à un État dont la corruption aurait été éradiquée, mais plutôt comme un travail de longue haleine où il faut réagir en permanence aux nouvelles formes de corruption, au fur et à mesure qu’elles apparaissent.
21. Malgré les indices aujourd’hui plutôt favorables de perception de la corruption, le Brexit britannique peut aussi s’expliquer en partie par un sentiment de corruption très diffus et répandu dans les couches populaires, qui estiment que le système fonctionne uniquement dans l’intérêt personnel de certains groupes, qui en profitent au détriment de l’ensemble de la population. Tout comme la corruption, la lutte contre la corruption peut prendre de nombreuses formes et peut aussi être extrêmement politique.
22. Certaines solutions qui peuvent nous paraître évidentes aujourd’hui se sont parfois révélées être à double tranchant par le passé. Ainsi, avant que le système représentatif soit remanié, au xixe siècle, les élections et les partis politiques étaient considérés comme d’importants vecteurs de corruption plutôt que comme des mécanismes permettant de la limiter. La presse, capable à l’occasion de révéler des scandales de corruption, s’ingéniait aussi parfois à justifier des systèmes corrompus ou se laissait acheter par le gouvernement. Les lanceurs d’alerte, qui dénonçaient la corruption ou proposaient des solutions, étaient systématiquement dénigrés, menacés ou neutralisés.
23. Le cœur de l’État prémoderne reposait en outre sur un paradoxe: son expansion ouvrait la voie à de nouvelles possibilités de corruption en créant dans le même temps des pouvoirs plus puissants et des cadres réglementaires à même d’entraver cette dernière. La croissance de l’État participait à la fois du problème et de la solution.
24. Il est intéressant de constater que les réformes administratives les plus abouties sont celles qui ont été entreprises par des commissions apolitiques chargées de passer au crible toutes les branches du pouvoir et qui ont bénéficié d’un véritable soutien politique. Il semble que cela ait coïncidé, dans le cas de la Grande-Bretagne, avec des vagues de «réforme morale», dont le but était de purifier à la fois les élites et l’ensemble de la nation. La réforme institutionnelle était donc envisagée parallèlement à un processus plus large d’introspection au niveau individuel et collectif. Ce vaste débat public et ce processus d’introspection ont eu, en partie, lieu à l’occasion de scandales de corruption qui ont suscité un vif intérêt et de nombreuses discussions et généré une pression populaire en faveur de réformes. Mais ces scandales pouvaient aussi, ce qui fut souvent le cas, déclencher des attaques personnelles qui ne se sont accompagnées d’aucune réforme systémique.
25. Pour résumer, la lutte contre la corruption est un difficile numéro d’équilibriste. L’une des plus grandes difficultés est de laisser une marge de manœuvre suffisante aux fonctionnaires pour qu’ils puissent être efficaces, novateurs et souples dans l’exercice de leurs fonctions, tout en encadrant cette marge de manœuvre par des règles et protocoles stricts, qui risquent d’étouffer les initiatives, d’entraver la gouvernance et même de créer de nouveaux moyens d’extorquer des pots-de-vin. Cet équilibre doit être constamment calibré par l’État et par la population.
26. Une grande partie des études spécialisées sur la corruption se concentrent, pour des raisons tout à fait compréhensibles, sur la corruption gouvernementale, administrative et institutionnelle. Cependant, M. Knights conclut qu’il est nécessaire que les universitaires et les instances chargées d’élaborer les politiques publiques portent une plus grande attention à la manière dont la corruption était et reste enracinée dans les valeurs culturelles et sociales. Ces dernières évoluent lentement, mais elles constituent le cadre essentiel dans lequel s’inscrivent les réformes institutionnelles.

2.2. Transition vers la démocratie du système de l'Union soviétique: le cas de l'Ukraine

2.2.1. Contexte général

27. En choisissant l’Ukraine comme étude de cas, j'ai privilégié le riche passé historique qu’elle partage avec ses voisins, ainsi que son contexte actuel, marqué par des efforts importants et radicaux visant à lutter contre la corruption. Parmi les principales revendications de l'Euromaidan et du mouvement qui s'en est suivi figurent des mesures claires et concrètes en la matière, comme cela a été discuté lors de ma visite à Kiev les 19 et 20 janvier 2016.
28. Certaines données préliminaires sur l'Ukraine révèlent que:
  • la mesure du contrôle de la corruption fournie par les indicateurs de gouvernance mondiaux de la Banque mondiale n'a presque pas changé ces cinq dernières années (2010-2014): seuls 17 % des pays du monde font pire que l'Ukraine;
  • Indice de perception de la corruption 2015 de Transparency International: l'Ukraine se situe à la 130e place sur 167 Etats;
  • bien que des sanctions aient été envisagées en cas d'infractions de corruption, un rapport officiel du ministère de la Justice indique qu'en 2013, seuls trois fonctionnaires se sont vus, après enquête, déchus du droit d'occuper un poste dans la fonction publique;
  • malgré les critiques émises à l'égard d'affaires de corruption de haut niveau, on m'a dit que les citoyens corrompaient régulièrement des fonctionnaires pour «accélérer» des services publics inefficaces, et voient rarement l'effet dommageable de la corruption ordinaire, qui nourrit globalement une culture de mauvaise gouvernance et d'impunité;
  • une étude de PACT Uniter 
			(10) 
			<a href='http://uniter.org.ua/upload/files/PDF_files/Anticorr-survey-2015/CorruptionFULL_2015_Eng_for public.pdf'>http://uniter.org.ua/upload/files/PDF_files/Anticorr-survey-2015/CorruptionFULL_2015_Eng_for
public.pdf</a>. signale par ailleurs que plus de la moitié des citoyens ont déjà fait l'expérience de la corruption en 2015; de plus, un tiers de la population estime que la corruption est à présent plus généralisée qu'avant l'Euromaidan.

2.2.2. Contexte historique

2.2.2.1. L'époque de l'Empire russe (XIXe– début du XXe siècle)

29. En 1830, alors que la plupart du territoire actuel de l'Ukraine faisait partie de l'Empire russe, une des maisons d'édition situées à Saint-Pétersbourg publia un livre intitulé «L'art d'accepter des pots-de-vin». Dans ce livre, l'auteur avait établi, de manière satirique, une classification des pots-de-vin – cadeaux ou repas, argent, services réciproques – et prodigué des conseils sur la façon dont un fonctionnaire pouvait extorquer une commission illicite à un usager. Cela montre que la société avait conscience de la manière dont la corruption, notamment par les pots-de-vin, s'était infiltrée dans une puissante administration étatique sur laquelle, outre l'armée, l'autorité publique, représentée par le monarque, était fondée. Des lois visant à une meilleure détection et prévention de la corruption furent adoptées au cours du XIXe siècle 
			(11) 
			A.I. Mizeriy, History
of fight against corruption in Russia, université de Nijni Novgorod,
2001, p. 182.. Une Commission spéciale du Sénat, établie en 1862 pour enquêter sur les causes de la corruption des fonctionnaires, avait conclu que celle-ci découlait d'une législation inappropriée, de l'insuffisance des salaires et de l'effet peu dissuasif des sanctions. Par ailleurs, le manque d'indépendance de la justice, la forte subordination hiérarchique au sein de l'administration de l'État, les qualifications insuffisantes des fonctionnaires et la mauvaise transparence des affaires publiques furent aussi mentionnés 
			(12) 
			Ibid..

2.2.2.2. L’époque soviétique

30. La révolution russe fut suivie de la formation de l'Union des républiques socialistes soviétiques, dont certaines avaient peut-être à l'origine des relations culturellement et historiquement différentes avec les autorités publiques. On procéda à une harmonisation en établissant une nouvelle structure gouvernementale composée de l'appareil d'État (ensemble de postes à responsabilités politiques ou bureaucratiques au sein des organes locaux et centraux) et de la nomenklatura (élite de la direction du parti). Cet appareil structurel constitua le socle de l'État jusqu'à la fin de l'époque soviétique.
31. La première chose à remarquer concernant cette époque est que le terme «corruption» n’était pas employé avant les années 1980. Cette infraction n'existait pas dans les codes pénaux pertinents des Républiques soviétiques, y compris l'Ukraine. A la place étaient employés les termes «commission illicite» et «abus de pouvoir», ce qui excluait les manifestations de favoritisme et de népotisme des comportements sanctionnés. Plus tard, d'autres infractions furent ajoutées aux codes pénaux, visant à s'attaquer au marché «occulte» qui avait commencé à se développer dans les années 1970 pour répondre aux demandes de consommation croissantes des citoyens. Cette approche compromit et restreignit la compréhension de la corruption pendant l'époque soviétique. En outre, la position officielle, consistant à considérer les commissions illicites typiques d'un État exploiteur, ne permettait pas au nouvel appareil d'État de classer certains agissements dans la catégorie de la corruption 
			(13) 
			Lettre du Comité central
du Parti communiste en date du 29 mars 1962 sur «Le renforcement
de la lutte contre la corruption et détournement des biens publics», ibid.. Plusieurs affaires de commissions illicites furent toutefois rapportées, surtout vers la fin de l'époque soviétique 
			(14) 
			En 1981, une note interne
du Comité central du Parti communiste évoque 6 000 affaires de commissions
illicites, soit 50 % de plus qu'en 1975, ainsi que des affaires
de criminalité organisée au sein d'organes de contrôle, de ministères,
de bureaux du procureur et de tribunaux régionaux, idem..
32. L'économie planifiée, les entreprises détenues par l'État aux objectifs de production définis à l'avance, les prix fixes, les possibilités limitées d'acquérir des effets et des biens personnels, ainsi que les avantages accordés aux élites par voie officielle, réduisaient le nombre de transaction corrompues, mais accentuaient des inégalités sociales et économiques qui ne faisaient que s’aggraver.
33. Cependant, même si le système de l'Union soviétique ne laissait que peu de place à la redistribution des biens et des servies au-delà des voies et procédures officielles, il semblerait que l'économie planifiée ait encouragé des pratiques détournées. À l'époque, les objectifs politiques prévalaient sur les réalités économiques. En vue d'atteindre ces objectifs parfois irréalistes, ou de falsifier les données afin de préserver une image de réussite, l'État devait pouvoir compter sur une puissante structure de dirigeants, allant des gestionnaires locaux aux agents présents dans les capitales, qui corrompaient tous leur propre supérieur hiérarchique 
			(15) 
			Pour le Premier ministre
de M. Gorbatchev, Nikolai Ryzhkov, «l’état moral de la société»
en 1985 était sa caractéristique la «plus terrifiante»: «[Nous nous]
volions nous-mêmes, nous donnions et recevions des pots-de-vin, mentions
dans les rapports, dans les journaux, depuis les estrades, nous
nous vautrions dans nos mensonges, nous nous accrochions des médailles
les uns aux autres. Et tout cela, du haut vers le bas et du bas
vers le haut», Nikolai Ryzhkov, Perestroika:
Istoriya predatel’stv (Perestroïka: L'histoire des trahisons),
Moscou : Novosti, 1992, p. 33 et 94.. La célèbre affaire de la «Mafia du coton», qui fit l'objet d'une enquête dans les années 1980, illustre cette organisation. L'affaire avait beau concerner la République d'Ouzbékistan, le même système était plus ou moins présent dans les autres Républiques soviétiques.

2.2.3. Lutte contre la corruption et édification de l'État dans l'Ukraine post-soviétique et moderne

34. Le terme «post-communiste», comme le terme «post-soviétique», n'évoque pas une simple période historique, mais plutôt le fait que les circonstances qui ont précédé la transition démocratique ont joué un rôle décisif dans la formation du système 
			(16) 
			Ottorino Cappelli,
Pre-Modern State-Building in Post-Soviet Russia, Journal of Communist Studies and Transition Politics,
vol. 24, no 4, décembre 2008.. Quelques auteurs ont affirmé que malgré l'apparence monolithique de l'État soviétique, le pouvoir et l'autorité étaient en définitive entre les mains du parti, et non de l'État. Par conséquent, quand le parti s'est effondré, «il n'y avait quasiment pas d'État pour le remplacer» 
			(17) 
			Ibid..
35. À la suite de la chute de l'Union soviétique, des élections en Ukraine ont amené au pouvoir, comme dans d'autres pays post-communistes, d'anciens membres de l'élite du parti, qui étaient habitués à une certaine structure intérieure et à un certain mode opératoire du système 
			(18) 
			Ibid.. En plus d'hériter de cette structure opérationnelle et décisionnelle, l'ancienne élite a réussi à accroître sa puissance économique par le biais d'une privatisation massive. Dans le même temps, la corruption a infiltré, à tous les niveaux, des institutions publiques comme la fonction publique, les services douaniers et l'administration fiscale.
36. C'est à cette époque que la corruption a commencé à apparaître comme un indicateur important de la faiblesse de l'État. Les institutions étatiques fondamentales ont alors commencé à perdre leur autonomie vis-à-vis d’élites concurrentes qui façonnaient l'élaboration des politiques et l'environnement régulateur et juridique, et elles ont aussi vu leur pouvoir de mise en œuvre des politiques réduit 
			(19) 
			Ibid.. Dans le sillage de l'Euromaidan, la distribution des postes dans les institutions publiques est ouvertement devenue une sorte de commerce.
37. Quel a été l'impact de cette nouvelle réalité sur les formes de corruption ? Tout d'abord, de nouvelles formes de corruption sont apparues qui n'étaient pas régies par le droit pénal, comme l'abus de l'autorité publique à des fins personnelles, le détournement des fonds publics, le trafic d'influence et bien d'autres. En conséquence, sous la pression des institutions internationales, l'Ukraine a commencé à élaborer des outils juridiques adéquats visant à lutter contre ces actes. Toutefois, même plusieurs années après, ces outils ne suffisent toujours pas, étant donné qu'il n'existe pas de compréhension claire des diverses formes de corruption, y compris pots-au-vin, usage abusif et détournement du budget de l'État 
			(20) 
			Y.A. Nisnevich, Political
corruption: definition, manifestations, mechanisms and resources,
École des hautes études en sciences économiques, Moscou.. En outre, la corruption continue d'être qualifiée comme telle principalement lorsqu'elle a trait au détournement des fonds de l'État et est perpétrée par une personne physique 
			(21) 
			Depuis
l'instauration, il y a deux ans, de la responsabilité des personnes
morales ayant commis des infractions de corruption, pas une seule
affaire n'a été instruite contre une personne morale.. Le concept de responsabilité pénale des personnes morales ayant commis des infractions de corruption soulève de grandes inquiétudes, car l'instauration de cette responsabilité nécessiterait de remettre à plat tout le système de détection et d'enquête qui ne vise actuellement que les personnes physiques.
38. Deuxièmement, selon des experts «[dans] les économies en transition, la corruption a pris un nouvel aspect – celui des oligarques, ainsi nommés, qui manipulent l’élaboration des politiques» 
			(22) 
			Joel Hellman et Daniel
Kaufmann, La captation de l'État dans les économies en transition:
un défi à relever, Finances et Développement,
Magazine trimestriel du FMI, vol. 38, no 3,
2001.. On appelle ce comportement la «captation de l'État». «Tandis que la plupart des formes de corruption visent à changer la manière dont les lois, règles ou réglementations sont appliquées à celui qui verse le pot-de-vin, la captation de l’État procède d’efforts visant à influer sur la formation de ces lois, règles et réglementations. Les pots-de-vin aux parlementaires pour «acheter» leur vote sur des lois importantes, aux autorités gouvernementales pour qu’elles promulguent des règlements ou décrets favorables, aux juges pour influencer les décisions rendues par les tribunaux sont des exemples classiques de corruption de haut niveau à laquelle les entreprises recourent pour modeler à leur avantage la structure légale et réglementaire de l’économie.» 
			(23) 
			Ibid.

2.2.4. La situation actuelle

39. Parmi les principales revendications de l'Euromaidan figurent des mesures claires et concrètes visant à lutter contre la corruption. Au lendemain de l'Euromaidan, au terme de négociations difficiles qui font suite à chaque introduction d'un projet de loi anticorruption au Parlement, les législateurs (de la précédente législature) ont adopté en octobre 2014 un ensemble complet de lois anticorruption, ainsi que des outils juridiques importants en 2015. Pour des mises à jour plus récentes, je me réfère au rapport des co-rapporteurs de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), M. Jordi Xuclà et M. Axel Fischer, qui a analysé en détail les réformes internes en cours, y compris la lutte contre la corruption. 
			(24) 
			Doc. 14227.
40. Dans la Résolution 2145 (2017) intitulée Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine, adoptée le 25 janvier 2017, l’Assemblée a noté que «la corruption généralisée en Ukraine reste un point de préoccupation majeur. L’absence prolongée de progrès notables et concrets dans ce domaine, notamment en ce qui concerne les poursuites et les condamnations, pourrait réduire les effets de l’ambitieux programme de réformes élaboré par les autorités et, à long terme, ébranler la confiance des citoyens dans le système politique et judiciaire dans son ensemble. Dans ce contexte, l’Assemblée s’inquiète de la lenteur des progrès de la lutte contre la corruption, et du peu de résultats concrets. Elle réitère en outre sa préoccupation face à l’existence de liens trop étroits entre les intérêts politiques et les intérêts économiques dans la sphère politique nationale, ce qui influence la perception de la population et peut entraver la lutte contre la corruption. L’Assemblée se félicite par conséquent du cadre institutionnel général mis en place pour lutter contre la corruption dans le pays, dont elle attend maintenant des résultats tangibles et concrets, notamment en ce qui concerne les poursuites et les condamnations. En particulier, l’Assemblée salue la mise en œuvre du système de déclaration en ligne et appelle les autorités à s’assurer que l’Agence nationale sur la prévention de la corruption dispose des ressources nécessaires pour procéder à l’examen des déclarations des avoirs; demande aux autorités de garantir que le procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption dispose des moyens suffisants pour s’acquitter de sa mission, notamment pour ouvrir des bureaux dans toutes les régions du pays; invite les autorités à créer un tribunal spécialisé dans la lutte contre la corruption et à combattre la corruption généralisée au sein du pouvoir judiciaire, ce qui est essentiel pour le succès de la lutte contre la corruption en général; et salue l’adoption de la loi sur la fonction publique et demande aux autorités de veiller à l’adoption rapide de toutes les lois d’application de ce texte».
41. Ces recommandations montrent que, dans le cas de l’Ukraine, une approche pluridimensionnelle s’impose et que les instances internationales doivent faire pression et fixer des conditions pour persuader les autorités à progresser véritablement dans la lutte contre la corruption. Parallèlement, c’est en comprenant les difficultés que pose à un pays issu de l’ancien système soviétique la transition vers la démocratie et l’État de droit que l’on peut améliorer les diverses formes de soutien à la lutte contre la corruption, notamment le soutien qu’apportent les Plans d’action du Conseil de l’Europe 2015-2017 et tout autre plan à venir.

2.3. Maintenir la confiance dans les institutions démocratiques: le cas des Pays-Bas

2.3.1. Contexte général

42. Le 8 novembre 2016, j’ai effectué une visite à La Haye. Malgré l'excellente coopération et le programme mis en place avec l'aide du Parlement néerlandais, s’entretenir de la corruption aux Pays-Bas est en quelque sorte une tâche plus complexe que lors de ma visite précédente en Ukraine, au sens où les autorités sont moins intéressées par ce qu’elles considèrent «ne pas être un problème» dans leur pays. Mon analyse est donc moins probante et moins développée et se concentre principalement sur les raisons pour lesquelles les Pays-Bas ont été capables de construire une société relativement résiliente en matière de corruption.
43. Au cours de mes discussions avec les interlocuteurs néerlandais, je me suis plus particulièrement intéressé aux liens entre la qualité de la gouvernance et l’État de droit, d’une part, et aux tendances actuelles de la corruption, notamment les lacunes existantes, les défis en matière de gouvernance, les traditions historiques, les aspects culturels, sociétaux et religieux de la société et du paysage politique néerlandais, d’autre part.

2.3.2. La corruption dans l’histoire

44. Les Pays-Bas sont un pays de tradition protestante et puritaine qui est aujourd’hui largement sécularisé. Les communautés catholiques, plus importantes dans le sud du pays, sont parfois perçues comme étant plus corrompues que les communautés protestantes. Cependant, les antécédents religieux et les différences entre catholiques et protestants ne sont pas si significatifs.
45. Le faible niveau de corruption et le haut niveau de confiance sont perçus par les néerlandais non seulement comme une valeur morale, mais aussi comme un avantage économique, et sont souvent activement mis en avant par le gouvernement pour attirer les investissements étrangers. En 2015, les Pays-Bas figuraient au cinquième rang de l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, et il existe une forte demande des citoyens en matière de transparence et de responsabilité et une intelligence collective des effets nuisibles de la corruption.
46. J’ai eu une discussion intéressante avec des chercheurs sur l’histoire de la corruption, qui ont souligné que les sept provinces néerlandaises des XVIIe et XVIIIe siècles étaient considérées comme corrompues et que les élites comptaient sur les «gentlemen’s agreements» pour maintenir la corruption sous contrôle. Dans le sillage des réformes libérales d’après 1848, de l’avènement de la presse libre, des élections au suffrage direct et de l’apparition d’institutions étatiques plus fortes qui collectaient les impôts pour le bien commun, les nouvelles législations ont établi une distinction plus précise entre les intérêts publics et privés.
47. La manière de faire de la politique et de traiter tous les problèmes de société selon les «gentlemen’s agreements» semble toujours être présente dans les mentalités actuelles. Par ailleurs, maintenir la confiance dans les institutions semble également être un trait fondamental de la politique néerlandaise et lorsqu’un scandale de corruption éclate, les informations sont rendues publiques et discutées au parlement, également par le biais d’enquêtes parlementaires, ainsi que par la presse, et aboutissent rarement à des condamnations.

2.3.3. Caractéristiques principales de la stratégie néerlandaise de lutte contre la corruption

48. Il n’y a pas d’agence spécialement consacrée à la prévention et à la lutte contre la corruption. Cependant, les politiques relatives à l’intégrité et à la lutte contre la corruption sont essentielles dans l’administration publique néerlandaise tant au niveau national que local, l’accent étant mis sur la prévention. Cela est ressorti comme une évidence pendant mes entretiens avec divers interlocuteurs, notamment le président de la Cour suprême et le Procureur général, le Médiateur, des membres du Sénat et le conseiller gouvernemental à l’intégrité pour les maires et les élus locaux.
49. Un grand nombre d’entre eux ont reconnu que la corruption existe toujours mais ont également souligné une distinction très nette entre la corruption politique (quelques cas, essentiellement au niveau provincial/local) et la corruption bureaucratique (touchant essentiellement les fonctionnaires et les fonctions liées à l’urbanisme et au secteur du bâtiment). La charge de la preuve est souvent trop lourde pour que l’action publique puisse être exercée, et la plupart des affaires de corruption se concluent par une transaction pénale. Il est généralement admis que moins de cas de corruption donnent lieu à moins de réglementation.
50. Pour lutter contre la corruption, depuis 1996, la police néerlandaise dispose d’un service d’enquête hautement spécialisé (Département d’investigations internes de la police nationale — Rijksrecherche), qui doit rendre des comptes au Conseil des procureurs généraux. Ce service est chargé d’enquêter sur les cas de corruption impliquant des fonctionnaires de police, des membres du pouvoir judiciaire et des agents de la fonction publique de haut rang. Plus récemment, il s’est également vu attribuer la tâche d’enquêter sur la corruption d’agents publics étrangers, car l’OCDE a demandé aux Pays-Bas de déployer davantage d’efforts pour appliquer leur législation relative à la corruption d’agents publics étrangers.
51. Toutes les recommandations adoptées par le GRECO lors de son Troisième cycle d’évaluation concernant les incriminations ont été mises en œuvre en 2010. Lors du Quatrième cycle d’évaluation du GRECO (prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs), lancé en 2012, le GRECO a fait remarquer qu’aux Pays-Bas, la prévention de la corruption chez les parlementaires, les juges et les procureurs reposait dans une large mesure sur la confiance mutuelle, l’ouverture et le contrôle public, mais a également fait état d’un certain nombre de préoccupations. S’agissant des membres du parlement, des évolutions positives ont eu lieu, comme la révision du Règlement intérieur des deux chambres pour inclure des aspects liés à l’intégrité et aux conflits d’intérêts, le développement des obligations de déclaration et de nouvelles mesures de sensibilisation décidées par les deux chambres.
52. Le GRECO a également recommandé l’élaboration de lignes directrices sur les contacts des parlementaires avec des tiers et un récent document sur le lobbying a été rédigé par des membres de la Chambre des représentants (deuxième chambre). D’après les discussions que j’ai pu avoir, il semble y avoir un désaccord pour réglementer cette question, qui est perçue comme «inutile».
53. Ma discussion avec le Médiateur a confirmé que sur les quelque 40 000 plaintes annuelles, rares sont celles qui concernent des cas de corruption. La plupart sont liées à l’intégrité, à la bonne gouvernance et au népotisme, en particulier en relation avec les Caraïbes néerlandaises, qui connaissent un niveau élevé de corruption. Il a souligné l’importance pour chaque institution d’adopter un règlement ou code de conduite interne relatif à l’intégrité, ce qui joue un rôle important pour construire la confiance des citoyens dans les institutions.
54. Une Commission indépendante sur la protection des lanceurs d’alerte est en place depuis juillet 2016; cependant, il existe toujours des inquiétudes quant à l’efficacité de la législation en place, qui ne garantit pas pleinement l’anonymat des lanceurs d’alerte.

2.3.4. L’importance de l’intégrité au niveau local

55. Intégrité, transparence et responsabilité semblent être d’une importance capitale dans le secteur public, en particulier au niveau local. La plupart des municipalités néerlandaises ont mis en œuvre une politique locale d’intégrité, qui inclut des conseils et un accompagnement sur l’intégrité à l’intention des élus et fonctionnaires locaux.
56. J’ai eu une discussion intéressante avec un conseiller du ministère de l’Intérieur, M. Hans Groot, qui est chargé des conseils dispensés aux maires sur les questions d’intégrité en relation avec la gestion de la ville et les élus siégeant dans les conseils municipaux. La grande majorité des questions soulevées par les maires concernait les conflits d’intérêts et l’usage abusif de fonds. Cela permet aussi de sensibiliser les citoyens au comportement qu’ils peuvent attendre de leurs élus et fonctionnaires locaux. J’ai trouvé qu’il s’agissait d’une bonne pratique qui peut être utile pour d’autres États membres du Conseil de l’Europe.
57. Dans toutes mes discussions, j’ai pu avoir confirmation que l’environnement et un certain contrôle social jouent un rôle crucial. Ces dernières années, les affaires de corruption ont abouti à un certain nombre de condamnations et, lorsqu’il s’agissait d’une affaire d’intégrité, les personnes reconnues coupables ont été ostracisées ou ont démissionné de leur poste. Le jour où j’étais à La Haye, par exemple, le Comité central d’entreprise représentant 65 000 policiers a démissionné en masse en raison d’allégations d’utilisation abusive de fonds publics, qui auraient été distribués aux partis ou dépensés pour des dîners ou des biens de luxe.
58. Le même environnement favorable, qui est propice à une société résiliente aux comportements répréhensibles, a été beaucoup plus difficile à mettre en place dans les Caraïbes néerlandaises, anciennes colonies autrefois contrôlées par la Couronne hollandaise et la Compagnie hollandaise des Indes occidentales. Au XIXe siècle, l’administration publique était gérée par les gouverneurs, notamment les élites locales et les fonctionnaires néerlandais, un rôle minime étant accordé à la population locale. Les problèmes de dette élevée et de mauvaise gestion financière globale, d’une bureaucratie en surnombre et de corruption continuent de sévir dans la région. Le népotisme est aussi un problème sur ces petites îles à la population peu nombreuse, où des liens étroits font qu’il est difficile d’obliger les personnes à rendre des comptes. 
			(25) 
			Public
administration and policy in the Caribbean, CPR press, 2016. Le porte-parole pour les affaires caribéennes de la Chambre des représentants, a confirmé que la corruption des fonctionnaires continuait d’être un sujet d’inquiétude majeur, en dépit des nombreux efforts déployés pour la combattre.
59. Cela n’a fait que renforcer mon idée qu’il est absolument essentiel d’étudier l’environnement et de chercher à comprendre la corruption dans un contexte politique et social donné pour aborder efficacement ce phénomène.

2.4. Appeler l’attention sur les questions de gouvernance locale: le cas de l’Espagne

60. L’Espagne, en tant que pays d’Europe méridionale, constitue un cas d’étude intéressant. Il semble que le pays connaisse sans cesse des scandales de corruption politique, souvent amplifiés par les médias 
			(26) 
			Classement: 41 sur
176, selon Transparency International Corruption Perception Index
2016.. De plus, la démocratie est relativement nouvelle en Espagne: elle a été instaurée en 1975 après plus de trente ans d’un régime autoritaire, qui a fait suite à une guerre civile sanglante entre 1936 et 1939.
61. L’Espagne est membre du Conseil de l’Europe depuis 1977. Elle a rejoint l’Union européenne en 1986 et a adopté l’euro en 2002. Pendant cette période, elle a connu une modernisation et une croissance économique rapides, notamment une envolée des dépenses d’infrastructures et de la construction immobilière. La flambée récente de la corruption a aussi été liée au développement des villes et des infrastructures, et aux failles de l’organisation institutionnelle, particulièrement au niveau local et régional. Depuis 2006, les préoccupations se font plus vives et le gouvernement a investi dans de nouvelles équipes et une réglementation plus stricte pour lutter contre la corruption et améliorer le système d’intégrité au niveau local. Les très nombreuses enquêtes qui ont été menées ont donné lieu à des scandales politiques et divers responsables politiques et administrateurs ont été condamnés 
			(27) 
			«Social and political
consequences of administrative corruption: a study of public perceptions
in Spain», Public Administration Review,
janvier-février 2013. .
62. Les 9 et 10 mars 2017, en marge des réunions du Bureau et de la Commission permanente, j'ai pu m'entretenir avec des représentants du Conseil espagnol pour la transparence et la bonne gouvernance, du Centre pour les études constitutionnelles et du Bureau du procureur général. Je remercie le président de la délégation espagnole, qui a organisé ces rencontres.
63. En 2014, le GRECO a produit un rapport sur la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs, dans lequel il appelle l’attention sur la montée de la corruption politique en Espagne. Dans un rapport de conformité adopté le 1er juillet 2016, le GRECO a pris note d’un certain nombre de réformes figurant dans le «Plan sur la revitalisation de la démocratie», qui prévoient notamment le contrôle renforcé de l’activité économique des partis politiques, la mise en place d’un cadre réglementaire spécifique pour les postes de haut rang dans l'administration, et un ensemble substantiel de mesures pénales dans le cadre de la réforme du Code pénal (notamment l'incrimination de l'infraction de financement illégal de parti, l'allongement de la durée de prescription et des sanctions plus sévères pour les infractions de corruption). Le GRECO a également noté que selon les instituts de sondage, la classe politique et les partis politiques affichent la cote de confiance la plus basse.
64. J’ai pu m’entretenir de cette question avec les autorités espagnoles, en mettant l'accent sur un certain nombre de réformes visant à rétablir la confiance, en particulier la loi sur la transparence de 2014, qui a constitué un tournant dans la lutte contre la corruption en Espagne. Cette loi introduit des règles concernant la publication des contrats publics, la bonne gouvernance, l'accès à l'information, la création de portails web pour les administrations, autant de dispositions essentielles pour lutter contre la corruption, assurer la participation au débat public et restaurer la confiance de la population dans la politique. Lorsque l'État n'accède pas à une demande ou ne fournit pas suffisamment d'informations, les citoyens peuvent saisir le Conseil pour la transparence et la bonne gouvernance, qui est l'organe chargé de veiller à la conformité avec la législation. Je me suis également entretenu de la «loi 3/2015» sur les postes de haut rang de l'administration publique générale adoptée en mars 2015, qui définit les règles visant à prévenir les conflits d'intérêts de cette catégorie de fonctionnaires ainsi que le processus de suivi et d’application.
65. Il semble que les scandales de corruption continus aient amené les responsables politiques à considérer la transparence plus sérieusement et les récentes condamnations montrent que les auteurs d’actes de corruption doivent rendre des comptes. Comme le soulignent les organisations de la société civile, il existe manifestement en Espagne, au sein de l’administration et du public en général, une ferme volonté de passer à une nouvelle forme de gouvernance, plus ouverte et plus participative 
			(28) 
			<a href='https://www.access-info.org/frontpage/27733'>https://www.access-info.org/frontpage/27733.</a>. Parallèlement, ces cas de corruption perpétuent les inquiétudes de la population concernant le manque de contrôle des dépenses publiques, creusant ainsi le fossé entre les perceptions et la réalité.
66. Une étude portant sur la perception du public, élaborée à partir d'une enquête menée en Espagne en 2009, semble indiquer que les perceptions de la corruption dans l'administration et dans la classe politique sont liées à une moindre satisfaction concernant la démocratie et l’action du gouvernement, une défiance envers les institutions et les structures sociales, et une plus grande acceptation du non-respect des règles. Les conclusions de cette étude semblent en outre indiquer que les actions de lutte contre la corruption ne devraient pas être limitées à la grande corruption ou à la corruption politique, malgré la médiatisation de ces affaires, et qu’il conviendrait d’accorder une place égale à la prévention de la petite corruption ou de la corruption administrative au quotidien, là où les citoyens sont le plus à même de rencontrer les pouvoirs publics en face à face 
			(29) 
			Ibid..
67. La corruption des pouvoirs locaux est un problème de plus en plus reconnu en Espagne. Un certain nombre de responsables avec lesquels je me suis entretenu à Madrid ont confirmé qu'il subsiste de nombreuses difficultés au niveau local, qu’ils décrivent comme une sorte de «société féodale», où la culture de l’impunité, tout particulièrement dans les partis politiques, reste vivace. Sur les plus de 8 000 villes espagnoles, 5 000 environ sont de petits villages. Depuis les années 1980, l’Espagne est dans un processus de décentralisation, avec trois niveaux de gouvernance: central, régional et local. L’essor économique des années 2000 s’est accompagné d’une recrudescence de la corruption politique au niveau local.
68. Une explication structurelle possible du degré élevé de corruption pourrait être le grand nombre de personnes nommées pour des raisons politiques qui travaillent dans l’administration locale. Dans une ville européenne de taille moyenne type (entre 100 000 et 500 000 habitants), deux ou trois personnes peut-être, y compris le maire, doivent leur emploi à la victoire d’un parti politique. Or, dans une ville espagnole de taille moyenne, le parti qui remporte les élections locales peut attribuer des postes de haut rang à des centaines de personnes. Il faut donc devenir riche rapidement pour anticiper l’éventuelle perte d’emploi aux élections suivantes. De plus, les élus politiques corrompus n’ont pas à craindre d’être dénoncés par des fonctionnaires indépendants et impartiaux 
			(30) 
			Voir aussi Víctor Lapuente
Giné, «¿Por qué hay tanta corrupción en España?», El País, 27 mars 2009. <a href='http://elpais.com/diario/2009/03/27/opinion/1238108412_850215.html'>http://elpais.com/diario/2009/03/27/opinion/1238108412_850215.html.</a>.
69. Si la poursuite des actes de corruption et la responsabilité pour ces actes sont essentielles, il convient de rester méfiant quant au rôle trop important accordé aux magistrats dans la lutte contre la corruption, comme ce fut le cas en Italie dans les années 1990, car cela peut avoir des conséquences inattendues comme un pessimisme profondément ancré concernant l’intégrité des élites politiques et le renforcement de la tolérance généralisée à l'égard des actes illicites 
			(31) 
			Alberto
Vannucci, «The controversial legacy of “Mani Pulite”: a critical
analysis of Italian corruption and anti-corruption policies», Bulletin of Italian Politics, 1(2):
p. 233-264. .
70. En conclusion, je pense que l’expérience espagnole souligne combien il est important d’être très attentif au niveau local et régional et de mettre en place une structure et des procédures institutionnelles qui encouragent la responsabilité et la transparence des pouvoirs publics et qui préviennent la corruption, ces actions contribuant à apaiser le mécontentement et à promouvoir le respect des lois et des normes sociales.

2.5. Considérations générales

71. L’étude du contexte historique, politique, économique et social de ces quatre pays, qui représentent les quatre coins de l’Europe, révèle d’importantes caractéristiques qui doivent être prises en compte dans toute stratégie de lutte contre la corruption.
72. Premièrement, tous ces pays prouvent qu’il est important de tenir compte des effets de l’édification de l’État moderne sur la corruption. Comme le démontre l’histoire de l’Ukraine, un État absent dépourvu d’une administration impartiale, indépendante et non politique produira des résultats différents de ceux de la Grande-Bretagne, où ces conditions se sont mises en place au fil des siècles. Il est dont essentiel de disposer d’organes administratifs et de supervision politiquement indépendants pour assurer le succès de toute stratégie de lutte contre la corruption.
73. Deuxièmement, comme le montrent les cas espagnol et néerlandais, l’impartialité de l’État est cruciale à tous les niveaux, qu’il s’agisse du niveau central, régional ou local, en métropole comme dans les territoires d'outre-mer.
74. Troisièmement, comme le montrent les cas néerlandais et britannique, toute stratégie de lutte contre la corruption doit reposer sur deux piliers fondamentaux, à savoir la croissance économique et l’évolution culturelle.

3. Stratégies de lutte contre la corruption

3.1. Action des institutions internationales et européennes

75. Dans le présent chapitre, je donne une vue d’ensemble des principaux acteurs internationaux qui soutiennent activement les États membres du Conseil de l’Europe dans la lutte contre la corruption. Cette liste, non exhaustive, ne couvre pas tous les outils juridiques disponibles dans la lutte contre la corruption.

3.1.1. OCDE

76. Le 8 mars 2016, la commission a eu un échange de vues avec M. Drago Kos, président du Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption, qui a été créé en 1994 pour suivre la mise en œuvre et le respect de la Convention de l'OCDE contre la corruption, de la Recommandation de 2009 de l’OCDE visant à renforcer la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (Recommandation de 2009 contre la corruption) et des instruments connexes.
77. M. Kos a mis en garde contre le risque d'une Europe à deux vitesses, certains pays disposant d'une réglementation anticorruption évoluée et d'organes de lutte contre la corruption spécialisés, tandis que d'autres, notamment certains pays de la «vieille» Europe, accuseraient un retard. De nombreux nouveaux États membres de l'Union européenne mettent en place des systèmes anticorruption solides, comme le demande l’Union européenne. Cela étant, ces systèmes ne bénéficient pas toujours du soutien de l'État et manquent souvent de ressources et de personnel. M. Kos a fait remarquer que les compétences attribuées aux autorités de lutte contre la corruption, en particulier, varient d'un pays à l'autre en Europe, certaines portant exclusivement sur la prévention, tandis que d'autres concernent la répression, et qu'il convient de trouver un juste équilibre entre ces deux options. La Grèce, par exemple, a même créé un ministère de la lutte contre la corruption, dont l'efficacité reste toutefois à prouver.
78. L'OCDE a également publié des lignes directrices pour la gestion des conflits d'intérêts dans le service public. L'objectif est de promouvoir une culture de service public, dans laquelle les conflits d'intérêts sont détectés et résolus ou gérés, et de soutenir les partenariats entre le secteur public, le secteur privé et le secteur associatif. Une boîte à outils fournit des exemples et des instruments à l'usage des décideurs et des gestionnaires.
79. Comme l'a souligné M. Kos plus récemment, l'un des plus grands défis qui se posent à l'OCDE concerne le respect de ses instruments, et l'accent doit être mis sur la détection, principalement sur la protection des lanceurs d'alerte, la participation des médias et les ressources et les connaissances des organismes de mise en œuvre, mais aussi sur la coopération internationale et la participation des entreprises. Depuis 1999, la moitié des 41 États signataires n’a pas engagé une seule poursuite pour corruption transnationale. «Il ne s’agit pas de manque de clarté ou de dispositions juridiques, mais de manque de volonté de la part des gouvernements, pour des raisons politiques, économiques ou personnelles», a-t-il déclaré 
			(32) 
			OCDE, Fighting the
crime of foreign bribery, 2017..
80. L'OCDE a également élaboré une Recommandation sur l'intégrité publique, qui propose aux décideurs un modèle de stratégie dans ce domaine. Cette recommandation repose sur l'hypothèse selon laquelle les approches traditionnelles fondées sur l’adoption de nouvelles règles, le respect plus scrupuleux des dispositions et le renforcement de la répression ont eu une efficacité limitée. Une réponse stratégique durable à la corruption est l'intégrité publique, qui désigne l'harmonisation et le respect de valeurs, de principes et de normes éthiques partagés qui visent à défendre et à privilégier l'intérêt général contre les intérêts privés dans le secteur public. L'intégrité ne concerne pas seulement le gouvernement national; elle doit être présente jusque dans les communes, là où les individus en ont une expérience directe 
			(33) 
			OCDE, Recommandation
du Conseil sur l'intégrité publique, 2017: <a href='http://www.oecd.org/gov/ethics/Recommendation-Public-Integrity.pdf'>www.oecd.org/gov/ethics/Recommendation-Public-Integrity.pdf</a>..
81. Il est donc important de soutenir les outils mis à disposition par l'OCDE, notamment par des initiatives des parlements nationaux, en synergie avec les organes du Conseil de l'Europe, et d’inciter tous les États à agir. L'introduction de sanctions pour non-respect des recommandations de l'OCDE pourrait également être envisagée.

3.1.2. Conseil de l’Europe

82. Le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC), le GRECO, et la Division de la criminalité et de la coopération économiques font partie du soutien anti-corruption de l'Organisation. Dès les années 1990, le Conseil de l’Europe a adopté les Conventions pénale et civile sur la corruption (STE nos 173 et 174), ainsi qu’un ensemble de recommandations aux États membres portant sur les vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption, sur les codes de conduite pour les agents publics, et sur les règles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales.
83. En 1999, le Conseil de l’Europe a créé le GRECO, une instance de suivi pour évaluer la conformité avec ces normes. Ce mécanisme d’évaluation mutuelle et de pression par les pairs respecte l’égalité des droits et obligations de ses 49 membres 
			(34) 
			États-Unis et Bélarus,
en plus des 47 États membres du Conseil de l’Europe..
84. Le 20 mars 2017, j’ai assisté au lancement du Cinquième cycle d’évaluation du GRECO et j’ai souligné l’importance de la conformité. Les recommandations formulées par des instances internationales et européennes comme le GRECO et l’OCDE doivent être pleinement mises en œuvre, en particulier aux plus hauts niveaux politiques, et les parlements peuvent être associés de façon plus active.
85. Malheureusement, les progrès accomplis par les États membres dans la mise en œuvre des recommandations du Quatrième cycle d’évaluation du GRECO concernant la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs ont, de façon générale, été plus lents que lors des précédents cycles d’évaluation. Il est extrêmement inquiétant de constater que plus nous nous rapprochons des institutions centrales, plus les États membres rechignent à se rendre accessibles et à coopérer avec le GRECO. Cette tendance doit être inversée lors du Cinquième cycle d’évaluation, qui porte sur le cœur même de l’État, les hautes fonctions de l'exécutif et les services répressifs. Les ministres, les vice-ministres, les secrétaires d’État, les membres de Cabinets et les responsables politiques de haut rang doivent donner l’exemple pour le reste de l’administration centrale, régionale et locale, le secteur privé et tous les citoyens, envers lesquels ils sont comptables.
86. Le Conseil de l’Europe soutient aussi des pays dans la mise en œuvre de normes européennes et internationales de lutte contre la corruption et contre le blanchiment de capitaux, sur la base d’interventions bilatérales par pays et de programmes de coopération multilatérale, dans des domaines comme la bonne gouvernance, la corruption, l’éthique, les conflits d’intérêts, le blanchiment de capitaux, la restitution d’avoirs, le financement du terrorisme, la criminalité organisée et l’entraide juridique en matière pénale ainsi que toutes les réformes pénales et judiciaires connexes relevant de ces domaines.
87. Ces deux dernières années passées en qualité de rapporteur m’ont convaincu que nous avons besoin de synergies plus fortes pour intensifier la lutte contre les formes anciennes et nouvelles de la corruption et améliorer la conformité avec les recommandations formulées par les instances du Conseil de l’Europe. Le dialogue entre la société civile et les organisations nationales et internationales peut être approfondi. Une façon de faire serait de créer un réseau anticorruption de décideurs, d’universitaires, d’étudiants, d’intellectuels, d’ONG et de défenseurs des droits de l’homme, de préférence avec le soutien de contributions volontaires d’États membres et de l’Union européenne. De semblables réseaux sont déjà actifs et efficaces à l'échelon du Conseil de l'Europe dans le domaine des droits de l'homme, par exemple en ce qui concerne la lutte contre la violence faite aux femmes et la protection des droits de l’enfant. Il est grand temps d’appeler l’attention sur le domaine de la prééminence du droit, dont la lutte contre la corruption est un pilier essentiel.
88. Notre propre Assemblée surveille le respect des engagements pris par les États membres, y compris dans la lutte contre la corruption, et émet des rapports sur la prééminence du droit. De plus, elle a lancé, le 8 avril 2014, une Plateforme contre la corruption, réunissant des élus des parlements des 47 États membres du Conseil de l’Europe et d’États non membres, ainsi que des experts et d’autres parties prenantes pour mettre en commun des informations, diffuser de bonnes pratiques et débattre des moyens de lutter contre les nouvelles formes de corruption.
89. Le 25 avril 2017, l’Assemblée a décidé de créer un groupe d’enquête externe indépendant pour mener une enquête indépendante approfondie sur les allégations de «corruption et de promotion d’intérêts» portées à l’encontre de certains membres ou anciens membres de l’Assemblée. Le groupe d’enquête a pour mission de vérifier s’il existe des comportements individuels de membres ou d’anciens membres de l’Assemblée n’ayant pas respecté les dispositions du Code de conduite des membres de l’Assemblée parlementaire et autres textes déontologiques pertinents. Il devra également identifier les pratiques contraires auxdites normes déontologiques de l’Assemblée, et en déterminer l’ampleur. Enfin, il lui faudra formuler des recommandations sur les mesures à mettre en œuvre pour remédier aux déficiences et combler les lacunes du cadre déontologique de l’Assemblée 
			(35) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6604&lang=1&cat=8'>http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6604&lang=1&cat=8.</a>.

3.1.3. Union européenne

90. La Commission européenne a publié son dernier rapport sur la corruption en 2014. Dans ce rapport, elle montre la nature et l'ampleur de ce phénomène dans les États membres de l'Union européenne et les différences que présentent les politiques de lutte contre la corruption en termes d'efficacité. L’Union européenne invitait instamment ses États membres à renforcer les contrôles, à mettre en place des «sanctions plus dissuasives» et à améliorer la transparence. Le rapport ne contenait pas d’évaluations internes. Un suivi destiné à faire le bilan des avancées était annoncé pour 2016.
91. Toutefois, en janvier 2017, le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a envoyé un courrier au président de la Commission des libertés civiles du Parlement européen, le député socialiste britannique Claude Moraes, dans lequel il déclare qu’il est inutile de publier de nouveaux rapports, celui de 2014 fournissant une vue d’ensemble et constituant une base de travail pour la suite.
92. En septembre 2015, le Comité des Ministres a estimé que l’adhésion de l’Union européenne aux conventions essentielles du Conseil de l’Europe et aux mécanismes et organes de suivi devait être encouragée et facilitée. L’adhésion de l’Union européenne au GRECO reste la seule réponse crédible témoignant de la détermination de l’Union à lutter contre la corruption. D’après les priorités de l’Union européenne concernant la coopération avec le Conseil de l’Europe en 2016-2017, l’analyse des incidences de la pleine participation de l'Union européenne au GRECO est toujours en cours et aucune avancée significative n'est à noter concernant l'adhésion de l'Union 
			(36) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016807082da'>Draft
report on co-operation between the Council of Europe and the European
Union</a>, 127e session du Comité des Ministres
(Nicosie, 19 mai 2017)..
93. Un rapport sur la Transparence, responsabilité et intégrité au sein des institutions européennes élaboré par le député et rapporteur Sven Giegold, adopté en mars 2017 par la Commission des Affaires constitutionnelles du Parlement européen appelle l’Union européenne à faire avancer sa candidature à l’adhésion au GRECO et demande à la Commission européenne d’inclure, dans le rapport, une présentation générale des problèmes de corruption les plus importants dans les États membres de l’Union européenne, des recommandations de politique publique pour s’attaquer à ces problèmes et des mesures de suivi que devrait prendre la Commission européenne, en tenant compte des effets préjudiciables des activités de corruption sur le fonctionnement du marché interne. Le Parlement demande en outre à la Commission de publier son prochain rapport anticorruption dans l'Union européenne dans les meilleurs délais, d'y inclure un chapitre sur les institutions de l'Union européenne et de poursuivre l'analyse, au niveau des institutions de l’Union européenne et des États membres, de l’environnement dans lequel les politiques sont mises en œuvre, en vue d’identifier des facteurs critiques inhérents, des zones de vulnérabilité et des facteurs de risque qui favorisent la corruption.

3.2. Créer de la transparence dans la gouvernance grâce à des organes anticorruption spécialisés

94. Le cas de l’Italie fournit un exemple intéressant de la façon dont les nouvelles formes de corruption devraient amener à prendre des mesures spéciales pour créer de la transparence dans la gouvernance, en tenant compte du contexte national.
95. Dans une allocution devant notre commission en 2015, M. Raffaele Cantone, président de l’autorité italienne de lutte contre la corruption, soulignait que la corruption avait changé de visage en Italie ces vingt dernières années. Avant les années 1990, la corruption était vue comme un moyen pour les organisations criminelles d’atteindre leurs objectifs en versant des pots-de-vin aux responsables politiques, par exemple, pour l'attribution de marchés publics. Les enquêtes ouvertes au début des années 1990 ont débouché sur la condamnation de responsables politiques de haut rang. Depuis, la corruption est devenue un moyen de pénétrer la vie politique et de s’accrocher au pouvoir. En 2014, des scandales de corruption ont éclaté à Rome et ont révélé une nouvelle pratique: certains responsables politiques recevaient de l'argent pour voir leur carrière «accélérée» et devenaient ainsi des instruments de corruption. Les enquêtes ont mis au jour un réseau de responsables politiques corrompus impliqués dans le bâtiment. Le dispositif habituel d’un corrupteur payant un responsable public pour obtenir un bénéfice indu ne s'appliquait pas. En effet, le corrupteur et le fonctionnaire ou le responsable politique appartenaient à la même organisation et ils n’étaient plus rémunérés pour la commission d’un acte illicite, mais pour leur appartenance à cette organisation. Un système analogue aurait été en place dans d’autres secteurs comme la justice, la passation des marchés publics et les réseaux d’assistance sociale.
96. La loi italienne de 2012 sur la lutte contre la corruption porte essentiellement sur la transparence des activités de tout type menées par les autorités publiques. Ces dernières sont tenues de communiquer les versements effectués et les actions entreprises pour que la société civile puisse assurer une surveillance globale. De plus, chaque institution publique doit produire un rapport d'évaluation des risques et mettre en place des mesures préventives. Par ailleurs, l’Italie a créé une autorité anticorruption afin de vérifier la conformité avec les règles de transparence et de mettre en œuvre l’article 6 de la Convention des Nations Unies contre la corruption (en anglais UNCAC), confiant ainsi la tâche de la prévention de la corruption à une institution unique et indépendante. Son président est proposé par le gouvernement, approuvé par les commissions du parlement à une majorité des deux tiers pour une période de six ans et nommé par le Président de la République. Malheureusement, la loi anticorruption ne cible par les organisations privées qui sont impliquées dans la vie publique, mais ne sont pas soumises à des obligations de transparence. En outre, l'autorité ne peut cibler les parlementaires, les juges et les commissaires extraordinaires, ce qui représente une lacune dans le système de suivi.
97. Mme Nicoletta Parisi, membre de l'autorité italienne de lutte contre la corruption, a souligné, lors du séminaire de Venise, les principaux défis de l'institution, notamment «l’attitude purement bureaucratique qui préside à la mise en œuvre des plans et stratégies de prévention de la corruption et d’amélioration de la transparence, les problèmes que pose la reconnaissance de l’action des donneurs d’alerte dans le système juridique italien, et la taille de l’administration nécessaire pour superviser et contrôler les tâches et obligations des services publics 
			(37) 
			<a href='https://pace.coe.int/documents/18848/3260386/AS-POL-INF-2017-09-FR.pdf/a84b947a-505e-46ef-ac9e-be2562a19a68'>https://pace.coe.int/documents/18848/3260386/AS-POL-INF-2017-09-FR.pdf/a84b947a-505e-46ef-ac9e-be2562a19a68</a>.».
98. Les démocraties en transition et émergentes et les économies en développement créent souvent des organes anticorruption séparés et spécialisés en raison des hauts niveaux de corruption des organes existants et en réaction aux pressions exercées par les donateurs et les organisations internationales. Cette démarche est vue comme une manière de réduire la corruption généralisée, les institutions existantes étant jugées trop faibles pour cette tâche ou ne pouvant contribuer à résoudre un problème dont elles font partie. Ces organes doivent disposer de compétences spécialisées, d'un mandat clair et de pouvoirs suffisants, par exemple des capacités d'enquête et des ressources efficaces pour recueillir des éléments de preuve, et être soumis à des mécanismes de contrôle appropriés. Toute nouvelle institution doit s'adapter au contexte national particulier en tenant compte des aspects culturels, juridiques et administratifs.
99. Selon l’OCDE 
			(38) 
			OCDE,
Specialised anti-corruption institutions – Review of models, 2013., la prévention de la corruption et la lutte contre la corruption par l’action répressive passent par un grand nombre de fonctions multidisciplinaires, notamment:
  • l’élaboration de politiques de lutte contre la corruption, la coordination, le suivi et la recherche (également pour comprendre l’ampleur du problème et quels sont les domaines et les secteurs les plus exposés);
  • la prévention de la corruption;
  • l’éducation et la sensibilisation à la lutte contre la corruption;
  • les enquêtes et les poursuites sur les infractions de corruption.
100. Il existe différents modèles d’institutions spécialisées dans la lutte contre la corruption, notamment:
  • agences anticorruption polyvalentes reposant sur les deux piliers que sont la répression et la prévention de la corruption;
  • organes de maintien de l’ordre, notamment services de police et de poursuite spécialisés, dont l'action peut consister en une combinaison de détection, d'enquête ou de poursuite des actes de corruption;
  • organes de coordination des politiques et de prévention, qui exercent habituellement des fonctions de recherche, d’analyse, de coordination et de prévention, mais qui n'ont pas de pouvoirs de mise en application de la loi;
  • mécanismes de contrôle internes mis en œuvre par d'autres institutions publiques (par exemple, unités de déontologie interne, d’intégrité et de prévention des conflits d’intérêts dans l’administration ou dans des organes élus, conseils de la magistrature ou commissions d'éthique spécialisées pour les juges, ou encore commission électorale centrale aux fins de l’application des règles sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales).
101. Il est important que l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe qui ont établi des organes spécialisés séparés de lutte contre la corruption assurent leur indépendance et leur fournissent des compétences spécialisées, un mandat clair et des pouvoirs suffisants, soumis à des mécanismes de contrôle appropriés, conformément à la Résolution 97 (24) du Comité des Ministres portant sur les vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption, ainsi qu’aux lignes directrices de l’UNCAC. À cet égard, comme le montrent également les travaux de suivi du GRECO, plusieurs Etats membres sont sur la bonne voie (entre autres, l'Italie avec l’Autorité nationale contre la corruption (ANAC) 
			(39) 
			<a href='https://rm.coe.int/16806dce15'>https://rm.coe.int/16806dce15</a>., la Slovénie avec la Commission pour la prévention de la corruption 
			(40) 
			<a href='https://rm.coe.int/16806f333e'>https://rm.coe.int/16806f333e</a>. et la Lettonie avec le Bureau de prévention et de répression de la corruption 
			(41) 
			<a href='https://rm.coe.int/16806c6d36'>https://rm.coe.int/16806c6d36</a>.), tandis que d'autres doivent renforcer le fonctionnement effectif des organismes de lutte contre la corruption ou des autorités de mise en œuvre et leur permettre de s'acquitter de leurs fonctions sans influence indue.
102. Conformément aux recommandations de l’OCDE, il est de la plus haute importance que les institutions de lutte contre la corruption mettent en place leurs propres mécanismes de suivi et d'évaluation pour évaluer et améliorer leurs performances et renforcer l'appui de l'opinion publique et continuer de lui rendre des comptes.
103. L'expérience montre que la seule création d'un organe spécialisé dans la lutte contre la corruption ne contribue pas à réduire la corruption. Les organismes de lutte contre la corruption ont besoin du soutien de toutes les autres institutions publiques, y compris des divers organes spécialisés chargés du contrôle et de l'intégrité, et des services internes de diverses institutions publiques dans un système harmonisé visant à prévenir et à détecter la corruption dans le secteur public. L’Assemblée pourrait encourager les États membres à développer cette idée.

3.3. Mettre l’accent sur l'intégrité, la transparence et la responsabilité

104. Je n'ai pas abordé la question des indices et des classements disponibles au niveau européen et au niveau mondial, par exemple le célèbre indice de perception de la corruption de Transparency International, essentiellement parce que ces indices et classements reposent pour une large part sur la perception des citoyens et des experts. De plus, la plupart des recommandations en matière de lutte contre la corruption ne tiennent pas compte du contexte local et des circonstances et besoins spécifiques.
105. Comme je l'ai mentionné dans l'étude de cas concernant les Pays-Bas ainsi que dans le paragraphe précédent, l’intégrité, la transparence et la responsabilité devraient figurer en bonne place dans toutes les politiques publiques.
106. Malgré des investissements importants, les initiatives actuelles de lutte contre la corruption semblent manquer d'efficacité et certains chercheurs ont mis au point un nouvel indice appelé «indice de l'intégrité publique» (IPI), qui offre une démarche transparente et fondée sur des données factuelles pour contrôler la corruption et mesurer les progrès 
			(42) 
			Alina Mungiu-Pippidi,
«The time has come for evidence-based anticorruption», Natural Human Behaviour, 1, 0011(2017),
10 janvier 2017. Mme Pippidi a assisté
au séminaire de Venise le 2 décembre 2016 et dirige le projet de recherche
ANTICORRP, qui est financé par l’Union européenne. .
107. L’indice IPI porte sur l'indépendance de la justice, la charge administrative, l'ouverture aux échanges commerciaux, la transparence budgétaire, la citoyenneté électronique et la liberté de la presse. Les données montrent que le contrôle efficace de la corruption va au-delà de l'adoption d'outils spécialisés et d'une réglementation stricte, et dépend de la capacité de l'État à réduire les possibilités d'abus (par exemple en allégeant les formalités administratives et le nombre de processus bureaucratiques et en donnant la possibilité à des acteurs externes de participer au processus budgétaire) et dépend aussi de la capacité de la société à rendre son gouvernement comptable de ses actes (par le renforcement de la responsabilité et, en particulier, par l'action de la société civile et de la presse libre).
108. Ces travaux montrent également qu’une bonne stratégie de lutte contre la corruption est dépendante du contexte et qu'elle ne peut pas être transférée d'un pays à l'autre. De plus, malgré la nécessité d'adopter des réformes communes pour améliorer la démocratie et l'État de droit, chaque pays devrait rechercher les causes de ses mauvais résultats et ensuite élaborer sa propre stratégie.
109. Plutôt que se concentrer uniquement sur la lutte contre la corruption, il semble raisonnable d'intensifier aussi les efforts visant à renforcer l'intégrité publique, domaine dans lequel le Conseil de l'Europe dispose d'une vaste expertise, en particulier s'agissant de l'indépendance de la justice, de la liberté de la presse et de l'éducation à la citoyenneté.

3.4. Mesures éducatives

110. Notre collègue Mme Eleonora Cimbro (Italie, SOC) prépare actuellement un rapport sur le thème «la jeunesse contre la corruption» et analyse en détail diverses questions concernant la participation des jeunes aux activités de lutte contre la corruption, la corruption dans le système éducatif, et l'utilisation de l'internet, des médias sociaux et des médias par les jeunes militants anticorruption. Cela étant, je pense qu'il est important de rappeler brièvement deux domaines majeurs liés à l'éducation dans lesquels le Conseil de l'Europe joue un rôle de premier plan.

3.4.1. Éducation pour la citoyenneté démocratique et les droits de l'homme

111. Pour lutter efficacement contre la corruption, il est nécessaire d'adopter une approche ascendante, qui démarre dès les premières années de l'éducation et devrait être intégrée aux programmes scolaires du primaire et du secondaire. Les enfants doivent apprendre, très tôt, à reconnaître les comportements de corruption et la formation des jeunes aux valeurs morales et au devoir civique devrait être le point de départ pour résoudre toute une gamme de problèmes sociaux et politiques.
112. Le Conseil de l’Europe élabore actuellement un Cadre de référence des compétences nécessaires à une culture de la démocratie, qui sera adapté pour être utilisé dans le primaire et le secondaire, l’enseignement supérieur et la formation professionnelle en Europe ainsi que dans les programmes de formation nationaux. Dans ce cadre, je pense qu’une attention toute particulière devrait être portée à l’éducation à la lutte contre la corruption.
113. En 2010, le Conseil de l’Europe a également adopté une Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme 
			(43) 
			Sur
la base de la Recommandation CM/Rec(2010)7 sur l’éducation à la
citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme. , qui constitue une référence pour toutes les personnes qui s'occupent de l'éducation à la citoyenneté et aux droits de l'homme et un moyen de diffuser de bonnes pratiques et d'élever le niveau partout en Europe et au-delà. La Charte porte essentiellement sur la discrimination, les préjugés et l’intolérance et sur la prévention de l’extrémisme violent et de la radicalisation et la lutte contre ces fléaux. Un premier cycle d’évaluation de la mise en œuvre de la Charte s’est tenu en 2012 et un deuxième cycle est en cours. Le rapport sera examiné lors d’une conférence sur l’état de l’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’homme en Europe, à Strasbourg, du 20 au 22 juin 2017.
114. J’ai été surpris de constater que l'expression «lutte contre la corruption» ne soit mentionnée ni dans la charte, ni dans les rapports de mise en œuvre. Je pense que la Charte devrait davantage attirer l’attention sur la composante «prééminence du droit» de l’éducation à la citoyenneté et plus particulièrement à l’éducation à la lutte contre la corruption. Ce point pourrait être examiné dans le cadre de la révision de cet instrument, actuellement en cours.
115. Sur un plan plus pratique, un programme conjoint intitulé «Droits de l’homme et démocratie en action» a été lancé en mai 2013 par le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. Ce programme apporte des fonds permettant à au moins trois États parties à la Convention culturelle européenne (STE no 18) de coopérer sur des projets d’intérêt commun dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté démocratique et de l’éducation aux droits de l’homme. Les projets actuels portent sur la promotion de la gestion des établissements scolaires en faveur de l’inclusion et sur les compétences pour l'action démocratique à l'ère numérique. Là encore, l'Organisation pourrait envisager de concevoir des projets sur l'éducation à la lutte contre la corruption, avec le soutien de fonds de l'Union européenne ou de contributions volontaires nationales.

3.4.2. Lutter contre la corruption dans le secteur de l’éducation

116. La corruption dans l’éducation dans tous les États membres et à tous les niveaux d’enseignement suscite des inquiétudes. Cette forme de corruption est difficile à quantifier. Elle est très largement répandue dans l’enseignement supérieur, en ce qui concerne l’accès ou les qualifications.
117. En 2015, le Conseil de l’Europe a lancé une Plateforme sur l’éthique, la transparence et l’intégrité dans l’éducation (ETINED), réseau de spécialistes désignés par les États membres du Conseil de l’Europe et les États Parties à la Convention culturelle européenne (50 États) 
			(44) 
			Sur
la base de la Recommandation CM/Rec (2012)13 en vue d’assurer une
éducation de qualité. . La mission de cette plateforme est de lutter contre la corruption et la fraude dans l'éducation en mettant en commun de bonnes pratiques en matière de transparence et d'intégrité dans l'éducation, en définissant des lignes directrices et en renforçant les capacités de tous les acteurs. Les activités de la plateforme comprennent la promotion d’un comportement éthique de tous les acteurs du secteur de l’éducation, l’intégrité académique et le plagiat, la reconnaissance des qualifications et la contribution à l’action mondiale contre la corruption.
118. Dans certains pays comme l'Ukraine, la corruption dans l'enseignement supérieur est un grave problème, mais les usines à diplômes, la rédaction par un tiers et la culture de la triche existent partout en Europe. C’est pourquoi une convention sur la fraude dans l’éducation pourrait être une contribution pertinente du Conseil de l’Europe et je nourris l’espoir que la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias examinera dûment ce point dans un prochain rapport.

4. Conclusions et recommandations

119. Des scandales de corruption éclatent quasiment tous les jours dans de nombreux États membres du Conseil de l'Europe et dans des institutions politiques nationales et européennes, y compris dans notre propre Assemblée. Dans de nombreux pays européens, un manque de responsabilité a engendré une impression de quasi-impunité des élites politiques. Si, dans une société démocratique, les grandes institutions comme les partis politiques, le parlement, l’administration publique et l’appareil judiciaire sont systématiquement impliquées dans des affaires de corruption, elles cessent d’être considérées comme attentives aux besoins et aux problèmes des citoyens 
			(45) 
			Transparency International,
Europe and Central Asia: An overall stagnation, 25 janvier 2017.. Cette tendance a amené les dirigeants populistes à exploiter le désenchantement du public à l’égard des «élites corrompues» et à se présenter comme la «seule solution possible», alors qu'en réalité, ils ne s'attaquent pas au problème et peuvent même contribuer sensiblement à son aggravation. La lutte contre la corruption passe donc aussi par la restauration de la confiance dans les institutions démocratiques, et notamment par la participation active de la société civile.
120. En outre, la corruption s’infiltre constamment dans de nouveaux domaines, au-delà des secteurs traditionnels comme celui de la construction. Ainsi, ces dernières années, la mafia italienne s’est implantée dans certains des plus grands centres d’accueil de migrants d’Europe, écrémant les fonds publics destinés à la prise en charge des nouveaux arrivants. Par ailleurs, la corruption prélève un lourd tribut sur l’environnement, allant du détournement de fonds pendant la mise en œuvre de programmes environnementaux à la grande corruption lors de la délivrance de permis et de licences d’exploitation de ressources naturelles.
121. En outre, ce qui est perçu comme une corruption inadmissible évolue rapidement. Par exemple, la campagne électorale présidentielle française de 2017 montre qu’il n’est plus acceptable que les politiciens emploient des membres de leur famille, une pratique répandue et acceptée dans de nombreux parlements, et que l'argument selon lequel cela protégerait l'intégrité du parlementaire de pressions potentielles exercées par des employeurs externes des membres de sa famille s'affaiblit. En 2009, le scandale des dépenses parlementaires du Royaume-Uni, concernant les demandes de remboursement de dépenses faites par des membres du Parlement britannique au cours des années précédentes, montre également que ce qui était accepté comme une pratique répandue n'est plus ainsi. La perception de la corruption change donc dans de nombreux pays membres du Conseil de l'Europe.
122. Ce rapport porte avant tout sur les facteurs de corruption. Il tente de comprendre pourquoi les mesures existantes en matière de transparence et de responsabilité ne parviennent que partiellement à contrôler la corruption et comment favoriser un environnement propice à une société résiliente face à la corruption. Comme le démontrent les études de cas, cette difficulté est liée à la diversité et à la richesse des traditions politiques, sociales, économiques et culturelles des États membres du Conseil de l'Europe et, selon moi, au fait que l'accent ne soit pas suffisamment mis sur le renforcement de l'intégrité dans les institutions publiques et dans la société en général.
123. Lors de la conception de stratégies efficaces de lutte contre la corruption, les institutions nationales et européennes ne peuvent ignorer les antécédents culturels et les perceptions existantes et devraient également tenir compte de l'impact de l’édification de l'État moderne sur la corruption. L'histoire montre qu'il est important de penser à la lutte contre la corruption comme un travail de longue haleine où il faut réagir en permanence aux nouvelles formes de corruption au fur et à mesure qu’elles apparaissent, plutôt que comme un processus déterminé aboutissant à un État dont la corruption aurait été éradiquée. La Grande-Bretagne, par exemple, un pays relativement peu corrompu, a une longue histoire de lutte contre la corruption et les stratégies anticorruption ont évolué au cours des siècles et ne se comptent pas en années ou en décennies. Cela suggère que chaque État doit prendre des mesures adaptées à son histoire, sa culture et sa mentalité nationale.
124. L’expression à la mode souvent répétée dans les milieux anticorruption est le «manque de volonté politique». Comme le dit Francis Fukuyama, «sans une stratégie politique pour surmonter ce problème, toute solution est vouée à l’échec. La corruption sous ses diverses formes – favoritisme, clientélisme, maximisation de la rente et vol proprement dit – profite aux parties prenantes du système politique, qui sont en général des acteurs très puissants 
			(46) 
			Francis
Fukuyama, «What is corruption», document d’orientation, 12 mai 2016.». Selon Fukuyama, souvent, les initiatives en faveur de la transparence tournent court et seuls les mécanismes d’action collective peuvent apporter un changement lorsqu’ils sont associés à une volonté affichée. De plus, les institutions de lutte contre la corruption et les procureurs spéciaux obtiennent de bons résultats lorsqu’ils reçoivent un soutien politique fort de la part des citoyens.
125. Le véritable défi est donc de créer une large coalition de groupes de la société qui sont opposés à un système existant de responsables politiques corrompus. Cela devrait être, à mon sens, l’objectif du Conseil de l’Europe, en plus de l’excellent travail déjà accompli pour suivre et renforcer les mécanismes juridiques et les initiatives en faveur de la transparence dans les institutions démocratiques de nos États membres. Les campagnes publiques et les outils et projets d’éducation axés sur la lutte contre la corruption et la promotion de l’intégrité dans les différentes couches de la société, y compris dans les écoles et les universités, devraient être une priorité de notre Organisation. Les niveaux local et régional ne devraient pas être oubliés et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux pourrait aussi envisager de mettre en place des initiatives analogues visant les conseils régionaux et municipaux.
126. Les institutions nationales de lutte contre la corruption peuvent avoir diverses fonctions, y compris les agences anti-corruption, les organes de maintien de l’ordre, de coordination et de prévention des politiques et les mécanismes de contrôle interne mis en place par d'autres institutions publiques. Le cas échéant, des organes séparés et spécialisés dans la lutte contre la corruption peuvent être nécessaires et les gouvernements doivent leur fournir des compétences spécialisées, un mandat clair et des pouvoirs suffisants, qui sont soumis à des mécanismes de contrôle appropriés. Ces organes devraient développer leurs mécanismes de suivi et d'évaluation pour analyser et d'améliorer leur propre performance et de renforcer l'appui de l'opinion publique en continuant de lui rendre des comptes. Le Conseil de l'Europe pourrait constituer une plateforme pour les autorités anti-corruption dans tous les pays du GRECO pour rassembler et discuter des bonnes pratiques et des défis actuels dans la lutte contre la corruption. Il pourrait même envisager la mise en place d’un réseau au niveau européen.
127. Pour sa part, l'Assemblée devrait accorder une attention particulière à la révision et à la mise en œuvre effective de son propre Code de conduite et un soutien plein et entier doit être apporté au groupe d’enquête externe indépendant chargé de mener à bien une enquête détaillée et indépendante sur les allégations de corruption à l’égard de certains membres ou anciens membres de l’Assemblée.
128. La plateforme contre la corruption de l’Assemblée peut être renforcée et dotée des outils et des ressources nécessaires pour promouvoir des campagnes de défense de l’intégrité dans tous les parlements, avec le soutien de contributions nationales ou un financement de l'Union européenne.
129. Par ailleurs, l’ensemble des parlements des membres et observateurs du Conseil de l’Europe et les parlements bénéficient du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire peuvent promouvoir davantage les mesures de transparence et de responsabilité, en particulier:
  • en développant un code de conduite comprenant des règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts, aux cadeaux reçus et autres avantages, aux activités accessoires et intérêts financiers, aux obligations de déclaration, et en en facilitant l’accès au public;
  • en envisageant de créer une institution de conseil confidentiel pour fournir aux élus des informations et des conseils sur les questions liées à l’éthique, à l’intégrité et aux conflits d’intérêts éventuels, ainsi que des formations spécifiques;
  • en s’assurant que l’immunité parlementaire n’empêche pas les parlementaires d’être poursuivis pour des faits de corruption;
  • en établissant des procédures spécifiques de surveillance parlementaire, en mettant particulièrement l’accent sur la mise en œuvre des recommandations émanant du Cinquième Cycle d’évaluation du GRECO qui portent sur la prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs.
130. Conformément au Code de bonne conduite en matière de partis politiques de la Commission de Venise, le fait que des personnes condamnées pour des faits de corruption ne soient pas exclues de leur parti donne aux citoyens le sentiment que la corruption s’étend à l’ensemble du parti concerné (et même à tous les partis) et cela contribue à jeter le discrédit sur toute la sphère politique. L’Assemblée pourrait donc réitérer la recommandation de la Commission de Venise aux partis politiques d’exclure de leurs listes de candidats ainsi que de leurs rangs toute personne reconnue coupable de corruption.
131. Les États membres du Conseil de l’Europe pourraient aussi être invités à intensifier la lutte contre la corruption:
  • en adoptant des règles rigoureuses relatives à la déclaration de patrimoine, des revenus et des intérêts financiers ou autres par les membres du gouvernement et du parlement, les dirigeants de partis et de mouvements politiques et les fonctionnaires, juges et procureurs et en rendant ces déclarations facilement accessibles au public, ainsi qu’en établissant des organes de supervision indépendants et en réglementant les activités des lobbies;
  • en garantissant une coopération pleine et entière avec le GRECO et le MONEYVAL, et en mettant en œuvre leurs recommandations;
  • en garantissant l’indépendance du pouvoir judiciaire par des procédures de recrutement et de promotion transparentes et, si nécessaire, en recourant à des mesures disciplinaires appropriées, appliquées par des instances qui échappent à toute ingérence politique et autres influences indues;
  • en reconnaissant le rôle des médias dans la dénonciation de la corruption et en veillant à ce que la réglementation sur les médias respecte la liberté et la responsabilité de la presse;
  • en mettant en œuvre la Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité publique, qui présente les étapes à suivre pour protéger l’intérêt général et le privilégier sur les intérêts privés dans le secteur public;
  • en envisageant de créer des unités spécialisées chargées de l’intégrité dans les institutions publiques pour promouvoir l'éthique, la responsabilité et la transparence;
  • en étant attentif aux niveaux local et régional et en envisageant de créer des services de conseil confidentiels, pour donner aux élus locaux des informations et des conseils sur les questions éthiques, liées à l’intégrité et sur les possibles conflits d’intérêts, ainsi que des formations spécifiques;
  • en organisant des campagnes de sensibilisation du public à la lutte contre la corruption qui ciblent différents groupes de citoyens, les médias, les ONG, les entreprises et le public en général;
  • en incorporant des éléments sur l’intégrité dans les programmes scolaires du primaire et du secondaire, avec le soutien du Conseil de l’Europe.
132. L'adhésion de l'Union européenne au GRECO reste la seule réponse crédible pour confirmer l'engagement de l'Union européenne en matière de lutte contre la corruption.
133. Outre les approches traditionnelles reposant sur l’adoption de plus de règles, d'institutions spécialisées, une conformité plus stricte et une application plus sévère, les gouvernements devraient, en poursuivant les recherches universitaires et en matière de politiques, accorder l’attention nécessaire à la façon dont la corruption était et est ancrée dans les valeurs sociales et culturelles, car elles fournissent l’environnement essentiel dans lequel les réformes institutionnelles peuvent aboutir.
134. Pour conclure, la démocratie reste un puissant instrument de contrôle de la corruption, si tant est que les institutions démocratiques accroissent la transparence, promeuvent l’intégrité et renforcent les systèmes de responsabilité. Certains des éléments permettant de renforcer la démocratie sont bien connus: un appareil judiciaire indépendant et impartial; une bureaucratie fondée sur le mérite, correctement rémunérée et compétente; des mécanismes de transparence comme un système de déclaration obligatoire de patrimoine; des médias libres et responsables; le développement d’une culture démocratique et civique à l’école et l’université.
135. Dans le même temps, la volonté politique demeure un ingrédient clé pour des stratégies réussies de lutte contre la corruption, et les partis politiques doivent se montrer plus résolus à s’attaquer à la corruption dans leurs propres rangs et à promouvoir l’intégrité dans la vie publique.