1. Introduction
1. En adoptant, le 26 janvier
2016, la
Résolution 2086
(2016) octroyant le statut de partenaire pour la démocratie
au Parlement de Jordanie, l’Assemblée parlementaire prenait note
des engagements pris par les Présidents des deux chambres du Parlement
de Jordanie; appelait ce parlement à prendre des mesures concrètes
et décidait de faire, au plus tard deux ans après l’adoption de
la résolution, le bilan des progrès réalisés dans la mise en œuvre
des engagements politiques contractés par le Parlement de Jordanie
et des réformes dans les domaines mentionnés dans la résolution.
2. Le 21 avril 2016, la commission des questions politiques et
de la démocratie m’a nommée rapporteure sur «L’évaluation du partenariat
pour la démocratie concernant le Parlement de Jordanie» avec la
tâche de vérifier dans quelle mesure la Jordanie a respecté ses
engagements et tenu compte des recommandations de l’Assemblée.
3. Dans le cadre de la préparation de mon rapport, je me suis
rendue en Jordanie du 2 au 4 mai 2017. J’avais auparavant participé
à l’observation des élections législatives anticipées du 20 septembre
2016 et je me suis rendue à nouveau dans le pays du 10 au 11 septembre
2017 pour vérifier sur place les résultats des élections locales
du 15 août 2017 qui mettent en place la décentralisation. Je présenterai
un addendum à ce rapport avant qu’il soit débattu par l’Assemblée
en octobre 2017.
2. Contexte
4. La situation de la Jordanie
n’a pas beaucoup changé depuis janvier 2016. Il y a toujours quelque 2 millions
de réfugiés en Jordanie, dont 650 000 réfugiés syriens, et leur
situation ne s’est pas améliorée. La guerre continue en Syrie et
la Jordanie continue d’en subir l’impact direct aux plans politique,
économique et social. Les menaces terroristes sont toujours présentes.
5. L'économie de la Jordanie est l’une des plus faibles du Moyen-Orient.
Le pays manque des ressources essentielles: l’eau, le pétrole et
autres ressources naturelles. Cela implique une forte dépendance
du pays à l'égard de l'aide étrangère. La Jordanie doit également
faire face à d’autres défis économiques comme un taux de pauvreté
chronique élevé, le chômage (surtout des jeunes) et le sous-emploi.
Les déficits budgétaires sont lourds et la dette publique croissante.
6. La Jordanie dépend presque totalement de l'énergie importée
– principalement du gaz naturel – ce qui représente entre 25 % et
30 % de ses importations. Pour diversifier son mix énergétique,
la Jordanie a négocié des contrats de gaz naturel liquéfié et développe
actuellement la production d'énergie nucléaire, l'exploitation d'abondantes
réserves de schistes bitumineux, les technologies renouvelables,
ainsi que l'importation de gaz de gisements off-shore israéliens.
En août 2016, la Jordanie et le Fonds monétaire international (FMI)
ont convenu d'un fonds élargi de $US 723 millions dans le but d'aider
la Jordanie à corriger les déséquilibres budgétaires et la balance
des paiements.
7. Concernant la société jordanienne, rappelons qu’elle est conservatrice
et que le système tribal et familial y est encore une référence.
Au demeurant, aujourd’hui, la population urbaine et d’ascendance
palestinienne dépasse de beaucoup la population nomade et rurale.
8. À la suite de l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie
auprès de l’Assemblée, le Parlement de Jordanie a nommé une délégation
pour participer aux activités de l’Assemblée. Cette délégation a
changé après les élections législatives. La nouvelle délégation
jordanienne s’est montrée, tout comme la précédente, très active.
Elle a organisé, très efficacement, ma première visite, au plus
haut niveau institutionnel (notamment avec le Roi, le Premier ministre,
les principaux ministres, les présidents des chambres, les représentants
des blocs parlementaires et des représentants de la Cour constitutionnelle).
3. La
première visite, 2-4 mai 2017
9. Cette visite a été organisée
par le Parlement jordanien et notamment par M. Khaled Al-Bakkar,
président de la délégation jordanienne partenaire pour la démocratie,
que je remercie pour son soutien et son hospitalité. Je tiens aussi
à remercier l’Ambassadeur de France, M. David Bertolotti, et ses
collaborateurs, qui nous ont beaucoup aidés.
10. Au début de chacune des réunions, j’ai précisé l’objet de
ma visite en tant que rapporteure pour le Conseil de l’Europe et
rappelé les engagements pris par la Jordanie. Tous nos interlocuteurs
se sont montrés ouverts et coopératifs afin d’accompagner ce statut
du Parlement jordanien de partenaire pour la démocratie auprès de
notre Assemblée. Ils ont insisté sur le fait que la Jordanie poursuivait
ses réformes, de manière à augmenter les droits et les libertés
des citoyens. Certains d’entre eux ont regretté que les réformes
n’aillent pas plus loin, mais en évoquant la justification légitime
du contexte géopolitique et de guerre dans lequel se trouve le pays.
3.1. L’entrevue
avec le Roi
11. Sa Majesté le Roi Abdallah
II m’a accordé un entretien le 3 mai 2017. Cet entretien qui fut
libre et riche d’informations, s’est déroulé en présence du Chef
de la Cour royale, du Président de la Chambre des représentants
et du Président de la délégation jordanienne auprès de l’Assemblée.
12. Sa Majesté le Roi Abdallah II est un souverain clairvoyant,
réformiste et courageux. Mais il est à la tête d’un pays cerné par
les conflits aux frontières (notamment Syrie et Irak, au-delà du
conflit Israël-Palestine). Et il maintient cet «ilot» de paix et
de stabilité qu’est la Jordanie dans ce contexte de guerre, de terrorisme
et de flux permanents de réfugiés (2 millions). Deux mots sont les
pièces maîtresses de sa gouvernance: «sécurité» et «stabilité».
Notons que le pays compte plus de 1 500 djihadistes. Malgré cette
situation, le Roi a décidé d’avancer dans les réformes, même si
c’est progressivement, notamment par le biais de la mise en place
d’une Commission royale et des recommandations que formule le souverain.
Pendant notre entretien, il s’est référé en particulier:
- à la loi électorale et aux élections
législatives organisées comme prévu en 2016. Il a regretté cependant que
les partis politiques n’aient pas réussi à faire évoluer les blocs;
- à la décentralisation et aux élections municipales d’août
2017, des engagements pris, dans ce domaine de réformes politiques,
ont été honorés;
- aux réformes judiciaires en cours et notamment la suppression
annoncée de l’article 308 relatif aux femmes violées, «un défi et
une grande victoire», a-t-il dit.
13. Mais il précise cependant que si l’État veut être «un État
de droit» respectueux des droits de l’homme, il a aussi une priorité
absolue, c’est la lutte contre Daech. Il faut une réponse politique
à la situation en Syrie. Dans ce contexte, les accords d’Astana
sont une étape militaire, «un cessez le feu», et c’est à Genève
qu’il faudra conclure la paix.
14. Dans l’immédiat, il faut aménager des «zones de sécurité aux
frontières». Entre les initiatives imprévisibles des Présidents
Trump et Poutine, le souverain se veut «prudent et optimiste» y
compris sur l’évolution du conflit Israël-Palestine. À ce propos,
en tant que Président en exercice du Conseil de la Ligue Arabe,
il a l’intention de promouvoir l’initiative arabe de paix de 2002.
Il fait appel au soutien nécessaire de l’Europe, qui devrait jouer
un rôle plus important pour le rétablissement de la paix et de la
sécurité dans la région.
15. Cependant, constatons que toutes les réformes engagées ne
sont pas également abouties et que l’offensive sécuritaire imposée
se fait évidemment au détriment de certaines libertés. C’est vrai
pour la pratique de la détention administrative utilisée à des fins
de prévention et de précaution, c’est vrai aussi, bien sûr, de l’usage
de la peine de mort, sujet sur lequel le Roi a esquivé la question.
3.2. Les
rencontres politiques
16. À Amman, j’ai rencontré M. Faisal
Al Fayez, Président du Sénat jordanien, et M. Atef Tarawneh, Président
de la Chambre des représentants. Celui-ci a noté qu’une évolution
politique était en cours. Une dizaine de partis auraient émergé
lors des élections législatives et les frères Musulmans sont en
recul. Les lois de décentralisation et les élections municipales
d’août 2017 devraient, selon lui, accentuer le mouvement localement.
17. Le nouveau parlement compte 130 députés et 6 blocs. Le peuple
jordanien semble s’ouvrir progressivement au changement (40 députés
ont moins de 40 ans, les femmes élues sont sensiblement plus nombreuses).
Cependant, l’élaboration de programmes est lente à se mettre en
place.
18. J’ai eu des réunions avec les présidents des blocs politiques
au parlement, avec les membres de l’association parlementaire d’amitié
Jordanie-France et la délégation jordanienne auprès de l’Assemblée parlementaire.
J’ai par ailleurs assisté pendant quelques minutes à une session
parlementaire à la Chambre des représentants.
19. Enfin, une rencontre a eu lieu avec des représentants de la
communauté diplomatique à Amman: M. David Bertolotti, Ambassadeur
de France; M. Ralf Schröer, Adjoint de l’Ambassadrice d’Allemagne; M. Hendrik
Van de Velde, Ambassadeur de Belgique; et M. Erik Ullenhag, Ambassadeur
de Suède.
3.3. Les
ministres
20. Rencontres avec:
- Hani Al Mulqi, Premier ministre.
Il a insisté sur le message à faire passer: «Il faut aider la Jordanie.»
Les perspectives économiques très difficiles nécessitent l’aide
du FMI ($US 2 milliards). La Jordanie n’est pas en mesure de respecter
le délai de trois ans fixé par le FMI et demande à l'Europe de faire
pression sur le FMI pour le porter à cinq ans.
- Ghalib Al Zoubi, ministre de l’Intérieur, qui nous a dit
que «la Jordanie cherche à atteindre la démocratie» et que la justice
sociale est une préoccupation majeure.
- Omar Al Razaz, ministre de l’Éducation, qui a fait forte
impression. Il exprime le souhait et formule l’objectif d’un «État
civil» et «citoyen» que l’école doit promouvoir sur la base des
valeurs de tolérance et de pluralisme.
- Awad Al Mashaqbeh, ministre de la Justice. Il a insisté
sur la «suprématie de la loi» et l’élévation du niveau des droits
du citoyen, notamment des jeunes.
3.4. Les
institutions
21. Rencontres avec:
- Khaled Alkalaldeh, Président
de la Commission électorale indépendante. Il note encore la faiblesse
des partis, hormis le Parti communiste et les Frères musulmans,
qui baissent cependant. Il a insisté, aussi, sur le rôle qu’ont
continué à jouer, lors des élections législatives, les forces tribales
et les forces financières. De même, note-t-il, à regret, l’absence
des jeunes sur la scène politique, comme ailleurs dans le monde.
Et il insiste sur le rôle à venir de l’école pour faire évoluer
les mentalités.
- Taher Hikmat, Président de la Cour constitutionnelle.
Nous n’avons pas été convaincus par la force de cette institution,
qui travaille pourtant sur plus de 14 projets de lois importants,
ni par le rôle que pourrait jouer son Président.
- Abdul Karim Khasawneh, Président de la Cour suprême islamique,
et six autres juges qui nous ont expliqué les compétences et le
fonctionnement des «tribunaux de la Sharia». Ceux-ci ont pour objectif l’application
de la loi de la famille: mariages, pensions, parents et proches,
divorce/séparation, règlement de litiges entre conjoints, garde
des enfants, testaments et héritages, rançons, tutelles et en général
tout ce qui touche à la famille.
3.5. Société
civile et organisations internationales et non gouvernementales
22. J’ai eu des réunions avec de
nombreux représentants de la société civile et d’organisations internationales
et non gouvernementales: M. Marwan Muasher, diplomate et homme politique,
ancien ministre des Affaires étrangères, M. Hassan Abu Hanieh, chercheur;
Mme Sara Ferrer Olivella, Programme des
Nations Unies pour le développement (PNUD); Mme Shuma
Ismaïl, IDare (ONG dédiée à la participation des jeunes); et Mme Eva
Abu Halaweh, Directrice générale de Mizan (ONG de défense des droits
de l’homme), qui a insisté sur l’évolution positive liée aux élections
et l’implication des femmes. Les modifications législatives en cours des
articles 308, 98 et 340 du Code pénal en sont l’expression. Le nouveau
parlement est plus favorable à l’évolution des droits des femmes
et accompagne la volonté politique qu’exprime la Commission royale.
J’ai aussi rencontré M. Adam Coogle, Human Rights Watch, et Mme Lina
Eijelat, 7iber (organisation multimédia), qui m’a parlé de problèmes
liés à la liberté d’expression.
23. La liberté d’expression, ainsi que l’indépendance et la pluralité
des médias, ne semblent pas poser de problème majeur, même si on
nous a signalé que l’autocensure continuait d’être pratiquée et
que l’espace de liberté s’était quelque peu rétréci en raison de
contrôles plus étroits menés par les autorités. D’après nos interlocuteurs,
la situation serait cependant «bien meilleure qu’en Turquie ou qu’en
Égypte».
3.6. Le
groupe de jeunes activistes Shaghaf
24. Il s’agit d’un groupe de jeunes
jordaniens dynamiques, passionnés et organisés qui touchent une
société majoritairement jeune. Ils ont bougé avec les élections,
et leur mouvement compte déjà plus de 5 000 membres. Ils veulent
et le répètent «un État civil» et «un État de droit» et sont en
concurrence avec les institutions puissantes et conservatrices que
sont les tribus et les Frères musulmans. Nouvelles idées, premiers
programmes…
25. Ils insistent, à juste titre, sur les réformes de l’éducation
et sur les lois de décentralisation qui vont engager à la prise
de responsabilité locale. Ils dénoncent le rôle «sous la table»
de l’argent en politique et réclament «l’intégrité électorale» et
la formation des citoyens. Oui, ça bouge en Jordanie!
3.7. L’hôpital
Prince Hamzeh
26. Il est toujours important de
pouvoir évaluer la situation de la santé dans une société. Nous
avons donc visité, avec d’ailleurs le ministre de la Santé, et à
ma demande, le service de pédiatrie et le service des urgences de
l’hôpital Prince Hamzeh.
27. On peut noter le bon état des lieux et la forte disponibilité
des jeunes médecins. La présence très importante des familles auprès
des malades était réconfortante. Par ailleurs, le niveau technologique
semblait tout à fait correct.
3.8. L’école
secondaire pour filles Jubaiha
28. Puisque la réforme de l’éducation
est en cours, il était indiqué de visiter une école et de rencontrer
ses enseignants.
29. J’ai été très positivement surprise. Rien n’était arrangé
à l’avance, et la spontanéité des élèves ne se commande pas.
30. Le projet d’établissement de l’équipe gagnante du concours
entre les lycées à Amman sur l’apprentissage de la langue anglaise
nous a été présenté par les élèves.
31. Ancienne enseignante moi-même, j’ai noté la volonté de participation
pédagogique directe de ces jeunes filles et la critique du cours
magistral ennuyeux. Leur vivacité, leur répartie facile, leur assurance
m’ont interpellée très fortement. Il y a de la ressource chez ces
jeunes!
32. Et le «Parlement de l’établissement» qui fait partie de la
réforme voulue par le ministre de l’Éducation était étonnant.
33. L’une des jeunes filles très silencieuse avait attiré mon
attention. Et c’était la Présidente. À ma question sur son effacement,
elle répond: «Je préfère l’action à la parole.» Oui, cette jeunesse
est en marche…
3.9. Le
centre de correction et de réadaptation de Marka
34. Notre souhait était de visiter
un lieu de détention d’individus subissant des «mesures administratives» dites
de prévention ou de précaution. À Marka, nous avons pu en rencontrer
une trentaine.
35. Ce moment fut particulièrement perturbant, voire émouvant.
Certains n’étaient sûrement pas indemnes de fautes antérieures mais
a priori aucun n’était plus en situation de culpabilité avérée.
Et nous touchions, là, l’un des problèmes que nous avons à étudier
et sûrement faire évoluer.
4. La
deuxième visite, 10-11 septembre 2017
36. Comme indiqué dans l’introduction,
le compte rendu de la deuxième visite fera l’objet d’un addendum
à ce rapport
5. Évaluation
de la mise en œuvre des engagements de la Jordanie
37. À l’occasion de l’octroi du
statut de partenaire pour la démocratie, les Présidents des deux
chambres du Parlement de Jordanie ont réaffirmé que le parlement
qu’ils représentent partageait «les mêmes valeurs que nos collègues,
les membres du Conseil de l’Europe: une démocratie pluraliste fondée
sur la parité entre les hommes et les femmes, l’État de droit et
le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales»
(voir la
Résolution 2086
(2016)).
5.1. Élections
38. Comme prévu, et cela, en soi,
est déjà important, la Jordanie a tenu des élections législatives
anticipées le 20 septembre 2016, selon une nouvelle loi électorale
et un système de listes proportionnelles ouvertes dont le but était
aussi d’encourager la constitution de partis politiques et de dépasser
les allégeances tribales. Le nombre de députés a été réduit de 150
à 130. Les élections ont été observées par une commission ad hoc
de l’Assemblée parlementaire sous la présidence de M. René Rouquet
(France, SOC) dont je faisais partie.
39. Les membres de la commission ad hoc ont évalué le déroulement
du scrutin, désormais organisé sous l’autorité d’une commission
électorale indépendante, comme étant très positif et professionnel,
y compris le dépouillement des votes. Cependant le taux de participation
est resté très faible (36 %, contre 56 % en 2013). Notons aussi
que les forces tribales et financières sont restées dominantes et
que la représentation des femmes est encore faible même si leur
nombre a augmenté.
40. La composition de la Chambre des représentants issue de ces
élections n’est pas substantiellement très différente de la précédente:
les chefs de tribu, les hommes d’affaires et les conservateurs continuent
d’avoir un poids prépondérant et l’émergence des partis politiques,
que la nouvelle loi semblait favoriser, ne s’est finalement pas
vérifiée même si elle est amorcée. Il faut du temps. Certains de
nos interlocuteurs ont critiqué le parlement comme étant toujours
lié aux services de sécurité.
41. Soixante-quatorze des élus sont nouveaux et cinq femmes ont
été élues en dehors du quota. Les Frères musulmans, qui avaient
boycotté les deux élections précédentes, sont de retour au parlement
avec 16 élus par les trois listes du Front d’action islamique: Al-Islah,
Al-Aqsa et Zamzam. Les élections ont vu la première émergence d'un
mouvement laïc, la liste Ma'an (ensemble), qui a proposé un État
civil et a réussi à obtenir la plupart des votes dans le troisième
district d'Amman.
5.2. Égalité
hommes-femmes
42. Malgré la réduction du nombre
de députés, le quota pour les femmes a été maintenu à 15. Ainsi
le nombre de femmes élues au parlement est de 20 sur 130 contre
18 sur 150 au parlement précédent, ce qui est un résultat sensiblement
meilleur.
43. Notre première visite est intervenue au lendemain de la décision
gouvernementale qui avait pour objectif de réviser l’article 308
du Code pénal qui stipule qu’un violeur ne sera pas sujet à des
poursuites judiciaires s'il épouse sa victime. Cette réforme demandée
par la société civile et notamment les associations qui luttent
pour les droits des femmes, fait partie d’une liste de 49 recommandations
de la Commission royale chargée d’élaborer un projet de réforme
du système judiciaire jordanien. Parmi les autres recommandations
il y a la révision de l’article 98, qui réduit la peine pour les
crimes d’honneur si le crime était «impulsif», et de l’article 340,
qui exempte de peine les hommes qui ont tué leurs épouses, ou une
femme de leur famille, prises en flagrant délit d'adultère et qui
réduit la peine s’il y a présomption d’adultère concernant la victime.
Le Roi précise que l’abrogation de l’article 308 serait un premier
pas important pour changer ce qui est (encore) considéré comme culturellement
acceptable. Il a même parlé de «défi».
44. Ainsi, malgré le fait que les autorités semblent conscientes
de la nécessité de lutter contre la discrimination basée sur «le
genre», aucun de nos interlocuteurs n’a évoqué la possibilité de
garantir constitutionnellement l’égalité entre les femmes et les
hommes en révisant l’article 6.1 de la Constitution qui établit
une discrimination: «les Jordaniens sont égaux devant la loi sans
discrimination entre eux en ce qui concerne les droits et les devoirs
même s’ils diffèrent par la race, la langue ou la religion», en
ajoutant le mot «genre» à cette énumération.
45. Par ailleurs, personne n’a pu me dire pourquoi la Jordanie
n’avait pas encore signé la Convention du Conseil de l'Europe sur
la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes
et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d'Istanbul»). La Jordanie avait pourtant adopté en 2007
une loi sur la protection contre la violence familiale.
5.3. Détention
administrative
46. Comme je l’avais écrit dans
mon rapport sur «La demande de statut de partenaire pour la démocratie auprès
de l’Assemblée parlementaire soumise par le Parlement de Jordanie»,
la loi sur la prévention de la criminalité (ou «détention de protection»)
de 1954 permet aux autorités administratives que sont les gouverneurs
d'engager des procédures administratives préventives contre les
personnes qui seraient sur le point de commettre un crime ou d'aider
à le perpétrer, comme ceux qui commettent régulièrement des vols, protègent
des voleurs ou recèlent des biens volés. Cette loi permet ainsi
d’emprisonner toute personne qui constituerait un danger pour autrui.
47. Par ailleurs, les autorités administratives peuvent aussi
emprisonner des personnes pour «les protéger personnellement», notamment
dans le cas de menaces d’une vengeance familiale ou tribale. Mais
dans ces cas-là, les gouverneurs violent les principes élémentaires
de la justice en punissant doublement les victimes au lieu de poursuivre
les responsables des menaces en question. Les femmes et les hommes
en détention administrative peuvent rester détenus longtemps, même
si théoriquement ils ont le droit de faire appel. Dans la pratique
beaucoup d’entre eux n'ont aucun moyen réel et notamment d’accès
à un avocat pour contester leur détention.
48. Lors de ma visite du centre de correction et de réadaptation
de Marka, j’ai pu m’entretenir avec des détenus, environ une trentaine,
rencontrés dans leur cellule. Cinq n’étaient pas Jordaniens et avaient
été expulsés par décision de justice mais maintenus là, personne
ne se portant caution de leur libération. D’autres étaient accusés
de trafic de drogue, de viol ou de crimes. Il n’apparaissait pas
clairement ce qu’étaient les différentes situations: certains attendaient
un jugement de leur affaire, d’autres avaient déjà purgé leur peine. À
croire ce qu’il a été dit, le temps de détention dans ces conditions
pouvait varier entre une semaine et 16 mois. M. Albakkar, qui nous
a accompagnés, s’est engagé à enquêter sur ces détenus et à me tenir informée.
Les conditions de détention laissaient à première vue supposer une
surpopulation de l’espace. Le personnel pénitentiaire semblait compétent
et notamment la direction.
49. Notons que parmi les mesures recommandées par la Commission
royale figurent justement la limitation de la détention provisoire
et le respect du droit des prévenus à avoir un avocat dès le début
de la procédure. La grande majorité de nos interlocuteurs institutionnels
s’est exprimée pour l’abolition ou un aménagement de la détention
administrative. Le ministre de l’Intérieur nous a bien dit que la
garde à vue et la détention administrative ne devraient être utilisées
que très rarement. Par contre, le ministre de la Justice considère toujours
que «les gouverneurs ont le droit d’empêcher qu’un crime ait lieu
en emprisonnant le suspect». Cependant et c’est tant mieux, la réforme
judiciaire est vue par le Roi comme une priorité.
5.4. Peine
de mort
50. Lorsqu'elle a adopté la
Résolution 2086 (2016) sur «La demande de statut de partenaire pour la démocratie
auprès de l'Assemblée parlementaire présentée par le Parlement de
Jordanie», l'Assemblée a pris note de l’engagement des Présidents
des deux chambres du Parlement de la Jordanie à poursuivre les «initiatives
visant à sensibiliser les organes publics et la société civile à
la mise en place d’un moratoire sur les exécutions et à l’abolition
de la peine de mort» (paragraphe 3.3). À la même occasion, l'Assemblée
a également appelé le Parlement de Jordanie à «appliquer le moratoire
sur les exécutions instauré en 2006 et à aller au-delà en abolissant
la peine de mort inscrite dans le Code pénal» (paragraphe 9.7).
51. Le Roi Abdullah II avait déclaré, en 2005, que la Jordanie
visait à devenir le premier pays du Moyen-Orient à mettre fin aux
exécutions, comme la plupart des pays européens. Les tribunaux,
cependant, ont continué à prononcer des condamnations à mort même
si elles n'étaient pas exécutées. Néanmoins, l'opinion publique
considère que cette politique est responsable de l'augmentation
de la criminalité. En décembre 2014, la Jordanie a procédé à la
pendaison de 11 hommes reconnus coupables de meurtre. Début 2015,
après l’assassinat barbare d’un pilote de chasse jordanien par Daech,
la Jordanie a exécuté deux prisonniers – un homme et une femme –
liés au réseau terroriste Al-Qaïda.
52. Quand j’ai rencontré le Roi en septembre 2015, il m’avait
assurée que malgré toutes les difficultés intérieures il tenterait
de faire respecter le moratoire sur les exécutions. Cependant, la
Jordanie a encore exécuté 15 personnes le 4 mars 2017, dont 10 condamnées
pour accusations de terrorisme et cinq pour crimes «odieux», y compris
des viols. Tous les condamnés étaient Jordaniens. Ils ont été pendus
à la prison de Suaga, au sud de la capitale Amman.
53. L’Assemblée parlementaire a exprimé son indignation à l’annonce
de ces exécutions. Elle a rappelé que «lorsque le Parlement jordanien
a obtenu le statut de partenaire pour la démocratie en janvier 2016,
celui-ci s’était engagé à poursuivre ses efforts pour sensibiliser
les organes publics et la société civile à l’abolition de la peine
capitale et à appliquer de manière constante le moratoire sur les
exécutions instauré en 2006. Ces exécutions vont dans le sens contraire
des engagements pris par la Jordanie. Le recours, où que ce soit,
à la peine de mort est tout simplement injustifiable»
.
Plusieurs groupes de défense des droits de l'homme ont également
exprimé leur critique et leur préoccupation. La question a aussi
été soulevée au sein du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
54. J’ai souligné auprès de tous nos interlocuteurs, sans exception,
l’importance de cette question pour le Conseil de l’Europe, en rappelant
que la peine de mort était la principale raison pour laquelle le
Bélarus restait le seul pays européen à ne pas avoir de statut auprès
du Conseil de l’Europe. De même, si la Turquie rétablissait la peine
de mort, elle risquerait l’exclusion de l’Organisation. Même si
les critères ne sont pas les mêmes pour un membre à part entière
et un partenaire pour la démocratie comme la Jordanie, les exigences de
l’Assemblée ne peuvent pas passer sous silence cette atteinte au
plus fondamental des droits de l’homme: le droit à la vie. Au cours
de notre entretien avec le Roi, la question a été reposée et elle
est restée sans réponse.
55. Beaucoup de nos interlocuteurs parmi les autorités jordaniennes
nous ont dit qu’ils seraient favorables à l’abolition de la peine
de mort mais que la société jordanienne n’y était pas prête. Aujourd’hui,
dans ce pays, la peine de mort est justifiée par le terrorisme et
l’augmentation de la criminalité. J’ai répondu systématiquement
qu’en Europe les opinions publiques non plus n’étaient pas favorables
à l’abolition de la peine de mort. Il appartient aux autorités responsables
de faire évoluer l’opinion publique au lieu de la suivre.
56. Je relève à ce sujet, après la réunion avec le Président de
la Cour suprême islamique, et six autres juges, quelques contradictions.
Ainsi, ils affirment que l’Islam considère la vie humaine comme
sacrée et qu’elle doit être protégée. Alors pourquoi celui qui tue
délibérément quelqu’un devrait à son tour être exécuté? Je n’ai
pas eu de réponse éclairante. Notons cependant l’importance accordée
au pardon dans cette culture: si la famille d’une victime pardonne,
le coupable peut être libéré.
5.5. Poursuite
des réformes
57. Dans le domaine des réformes
constitutionnelles la Jordanie continue d’avancer. Parallèlement
à la réforme judiciaire déjà mentionnée, et qui doit être discutée
au parlement au mois de juillet 2017, un processus de décentralisation
est en cours, des élections locales ont lieu en août 2017. Il faudra
étudier de plus près l’impact de cette réforme qui est plus une
forme de «déconcentration» que de «décentralisation». Il y aura
des assemblées locales élues mais l’exécutif relèvera toujours de
l’autorité administrative.
58. Une autre Commission royale a été chargée de réfléchir à une
réforme de l’éducation. Beaucoup de nos interlocuteurs nous ont
dit que la qualité de l’éducation se détériorait en Jordanie et
que les Jordaniens aisés envoyaient leurs enfants étudier à l’étranger.
Il faut préciser que l’éducation est perçue comme ayant une forte connotation
islamique. Le ministère de l’Éducation a longtemps été la chasse
gardée des Frères musulmans. Par le passé, quelques timides tentatives
de changement avaient rencontré une forte opposition.
59. Cependant je reste optimiste pour trois raisons: le Roi veut
cette réforme. Le nouveau ministre de l’Éducation est apparu progressiste,
courageux et compétent. La troisième raison m’a été donnée lors
de ma visite de l’école secondaire pour filles Jubaiha. Après un
long entretien avec la Direction et les enseignants j’ai eu droit
à une présentation animée d’un projet pédagogique porté par un groupe
d’élèves de l’établissement. Et le vif débat qui s’est engagé m’a
donné à penser que cette jeunesse est mûre et dynamique.
60. Il n’est pas évident que les réformes aient toutes pour objectif
le renforcement exclusif du rôle du parlement. Le parlement a adopté,
en avril 2016, un amendement à la Constitution, controversé d’ailleurs,
qui permet au Roi de nommer et de renvoyer les hauts fonctionnaires,
sans consulter le gouvernement. Il est évident que le souverain,
qui veut faire évoluer le régime par des réformes poussées, s’assure
en même temps la consolidation du système, en cette période de grande
instabilité politique et régionale.
5.6. Coopération
avec l’Assemblée parlementaire et le Conseil de l’Europe
61. L’Assemblée a exprimé le souhait
que la Jordanie adhère, en temps voulu, aux conventions et accords partiels
pertinents du Conseil de l’Europe (la liste des 162 conventions
du Conseil de l’Europe ouvertes aux États non européens non membres
peut être consultée sur le
site internet
du Bureau des Traités du Conseil de l’Europe), en particulier à ceux traitant des droits de l’homme,
de l’État de droit et de la démocratie, conformément à l’engagement
exprimé dans la lettre conjointe des Présidents des deux chambres
du parlement du 25 juillet 2013.
62. Les conventions les plus pertinentes sont les suivantes: Convention
pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être
humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention
sur les Droits de l'Homme et la biomédecine (STE no 164);
Convention sur la cybercriminalité (STE no 185);
Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme
(STCE no 196); Convention du Conseil
de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE
no 197); Convention du Conseil de l'Europe
relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation
des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198);
Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre
l'exploitation et les abus sexuels (STCE no 201);
Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique;
Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains
(STCE no 216), ainsi que leurs protocoles
additionnels. Parmi les accords partiels pertinents, on peut citer:
la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise), le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) et le
Centre européen pour l'interdépendance et la solidarité (Centre
Nord–Sud).
63. Toutefois, depuis l’octroi du statut de partenaire pour la
démocratie, la Jordanie n’a adhéré à aucune convention indiquée
précédemment ou accord partiel du Conseil de l’Europe pas plus qu’aux
instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme
comme l’Assemblée l’avait demandé, ce qui est regrettable.
64. La coopération avec le Conseil de l’Europe au niveau intergouvernemental,
déjà engagée depuis 2012 dans le cadre du Programme de voisinage,
notamment par le biais de la Commission de Venise et la Commission
européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), ne s’est pas
non plus tellement développée depuis 2016. Il faut la réactiver,
aussi bien du côté jordanien que du côté du Conseil de l’Europe.
6. Conclusion
65. Il semblerait que la Jordanie
ait résisté aux printemps arabes mais, ces deux dernières années notamment,
une évolution plus chaotique et une régression des libertés publiques
et des droits individuels est à noter. Les problèmes de sécurité
sont prioritaires et le régime cherche, à l’évidence, à se consolider.
Les réformes de l’éducation se heurtent encore au conservatisme
social et religieux mais un courant nouveau progresse dit «courant
civil» ou «État civil». La situation économique de la Jordanie,
qui ne s’améliore pas, impose à la fois le réalisme et la prise
en considération de la volonté du souverain d’avancer et de réformer.
66. Depuis l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie
au Parlement de la Jordanie en janvier 2016, j’ai constaté avec
satisfaction des avancées significatives dans certains domaines,
le statu quo sur d’autres points
et le recul regrettable en ce qui concerne l’application de la peine
de mort.
67. Comme je l’ai déjà écrit dans mon précédent rapport sur la
Jordanie, le rôle d’un rapporteur en la circonstance est d’analyser
la situation du pays concerné et d’apprécier, en toute objectivité,
responsabilité, et prudence, si une évolution est en marche et si
les conditions et les moyens mis en œuvre rendent le pays apte à
poursuivre les engagements souscrits. La Jordanie est sur cette
voie.
68. Votre rapporteure souhaite dire à l’Assemblée qu’il ne faudra
surtout pas abandonner la Jordanie en ces moments difficiles mais
continuer à l’accompagner vers cette démocratie à laquelle elle
aspire et cet État de droit qu’elle bâtit patiemment. La démarche
sera progressive et forcément lente, il faut l’admettre. La Jordanie et
l’Europe ont tout à gagner dans ce partenariat.