1. Introduction
1. Depuis 2011, la commission
des questions politiques et de la démocratie rend compte des activités
de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) à travers un rapport examiné et débattu en séance publique
lors de la session d’automne. À cette occasion, l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe est élargie aux délégations des parlements
nationaux des États membres de l’OCDE non membres du Conseil de
l’Europe et à une délégation du Parlement européen. Le Secrétaire
général de l’OCDE y participe également.
2. En 2014, la commission des questions politiques et de la démocratie
a quelque peu modifié sa pratique en décidant de maintenir le principe
d’un débat élargi annuel fondé, une année sur deux, tantôt sur un
rapport du Secrétaire général de l’OCDE, tantôt sur un rapport qu’elle
établit elle-même. En outre, cette dernière a convenu que la sous-commission
sur les relations avec l’OCDE et la BERD tiendrait annuellement
une réunion au siège de l’OCDE afin de procéder à un échange de
vues avec les dirigeants de l’Organisation. Le Secrétaire général
de l’OCDE ayant donné son accord, tel est, depuis trois ans, le
cadre de nos travaux.
3. Pour mémoire, la commission des questions politiques et de
la démocratie a présenté deux rapports sous l’ancienne procédure,
ceux de M. Jean-Marie Bockel (France, PPE/DC) en octobre 2012 et
de M. Dirk Van der Maelen (Belgique, SOC) en octobre 2013, puis,
un premier rapport, selon la nouvelle procédure, celui de M. Tuur
Elzinga (Pays-Bas, GUE) en octobre 2015. En octobre 2014, le Secrétaire
général de l’OCDE, M. Angel Gurría, a présenté le sien et participé
au débat annuel, ce qu’a de nouveau fait la Secrétaire générale
adjointe de l’OCDE, Mme Mari Kiviniemi,
lors de la quatrième partie de session de 2016.
4. Après avoir participé aux 5èmes Journées Parlementaires de
l’OCDE les 8 et 9 février 2017, à Paris, où de nombreuses craintes
sur l’avenir du multilatéralisme, notamment en matière commerciale,
ont été exprimées, ma conviction, au regard du contexte économique
actuel, est la suivante: la faiblesse et la fragilité de la reprise
économique invitent les décideurs politiques que nous sommes à nous
prononcer clairement en faveur d’une économie ouverte, où la concurrence
est la moins distordue possible et donc la plus juste, et où la
croissance est réellement inclusive et profite au plus grand nombre.
5. J’ai donc concentré mon propos sur une brève présentation
du panorama macro-économique dans les pays de l’OCDE en mettant
en avant les risques actuels et les choix qui peuvent être faits
pour les réduire, puis j’ai voulu donner une série d’exemples de
multilatéralisme réussi dans un domaine éthiquement et économiquement
déterminant, celui de la transparence fiscale, avant de m’attaquer
à la question des inégalités, dont l’OCDE nous démontre qu’elles
doivent être prises en compte, notamment parce qu’elles pèsent sur
la croissance. Enfin, j’ai souhaité prolonger la thématique des
inégalités par une brève présentation de la situation de l’emploi
des jeunes dans la zone OCDE. Par ailleurs, il m’a paru important
que les membres de notre Assemblée élargie soient tenus informés
des activités parlementaires menées par l’OCDE et j’ai donc dressé
un compte rendu des échanges qui se sont tenus lors de la dernière
réunion du Groupe parlementaire en matière fiscale, qui suit la
mise en œuvre du projet sur l’érosion de la base d’imposition et
transfert de bénéfices, dit projet BEPS (Base
Erosion and Profit Shifting), ainsi que ceux du Groupe
dédié à l’Intégrité et la transparence dans la vie politique qui
a tenu sa première réunion en février 2017.
2. Les perspectives macroéconomiques pour
2017-2018
6. Au mois de juin 2017, elles
se caractérisent par une légère amélioration de la situation économique, dans
un contexte où la croissance molle perdure. Pour sortir de cette
dernière, l’OCDE appelle les décideurs publics à faire des choix
politiques clairs, couplant relance de l’investissement public et
réformes structurelles et ce, de manière concertée.
2.1. Des
perspectives de croissance inchangées mais non exemptes de risques
7. En juin 2017, les prévisions
de croissance économique de l’OCDE
s’élevaient,
pour 2017, à 3,5 % pour l’économie mondiale, à 2,1 % pour la zone
OCDE, à 1,8 % pour la zone euro et à 4,6 % pour les pays non membres
de l’OCDE. Une légère augmentation était prévue en 2018: 3,6 % pour
l’économie mondiale, 2,1 % pour la zone OCDE, 1,8 % pour la zone
euro et 4,8 % pour les pays non membres de l’OCDE.
8. Il est à noter que les prévisions du Fonds monétaire international
(FMI) pour 2017 et 2018 vont dans le même sens et s’établissent
aux mêmes niveaux
.
Le constat est donc le même: la croissance mondiale continue son
redressement (elle était de 3 % en 2016), mais le fait lentement
et à un niveau relativement faible. Ainsi, en 2018, elle devrait
rester inférieure à 4 %, c’est-à-dire à la moyenne de la croissance
économique des 20 années qui ont précédé la crise de 2007-2008.
Par ailleurs, la faible amélioration de la conjoncture tient beaucoup
aux politiques de relance attendues aux États-Unis et menées en
Chine.
9. Second constat que partagent ces deux institutions mondiales:
non seulement cette croissance est globalement faible, mais en plus
elle reste fragile et est sujette à des risques réels. Ces derniers,
déjà identifiés par l’OCDE en décembre 2016, sont confirmés par
le rapport d’étape: «Des phénomènes de déconnexion, de volatilité
ou des vulnérabilités financières, ainsi que l’incertitude sur les
politiques pourraient faire dérailler le modeste rétablissement
prévu de la croissance
.»
10. À ce titre, l’OCDE juge sérieux le risque de déconnexion entre
d’une part, les anticipations positives, des marchés financiers
qui se traduisent par la valorisation des actifs à un niveau élevé,
et, d’autre part, la modestie des prévisions de croissance de l’économie
réelle, caractérisées par une augmentation faible de la consommation,
de l’investissement et le ralentissement de la hausse de la productivité
et des salaires.
11. Par ailleurs, la volatilité des marchés financiers pourrait
s’accroître du fait du retournement du cycle des taux d’intérêt
qui s’est opéré au milieu de l’année 2016. La hausse des taux d’intérêt
à long terme est à même d’induire une forte correction de la valeur
des actifs financiers, dont le niveau est aujourd’hui la conséquence d’une
longue période de taux d’intérêt historiquement bas. Tel pourrait
être particulièrement le cas sur le marché obligataire.
12. Concernant les vulnérabilités financières, l’OCDE les fait
découler de la surutilisation de la politique monétaire qui a conduit
à des taux d’intérêt très bas, corrélativement à la hausse de l’endettement
de certains pays, à la forte appréciation du prix des actifs financiers
et à la recherche de rendements élevés. Elle note que des pays comme
l’Australie, le Canada, la Suède et le Royaume-Uni ont récemment
connu une augmentation rapide des prix de l’immobilier, ce qui peut
être un signe avant-coureur d’un retournement de conjoncture.
13. Pour les pays émergents, les vulnérabilités financières, quoique
variant selon les économies, ont trait au développement rapide du
crédit pour le secteur privé et au niveau historiquement élevé de
l’endettement dans certains pays, comme la Chine, qui les expose
à une hausse des taux d’intérêt, bien que la dynamique du crédit
ait ralenti en 2016.
14. Enfin, «l’incertitude des politiques» tiendrait, selon l’OCDE,
à des facteurs électoraux (de nombreux pays ont connu ou vont connaître
des élections en 2017, comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni), sociologiques
(la confiance dans les gouvernements nationaux s’étant affaiblie),
sociaux (la croissance des inégalités de revenus contribuerait à
une montée de la défiance à l’égard des gouvernements) et commerciaux (le
libre-échange étant moins soutenu par une partie de la population
des pays développés). À titre d’exemple, si l’on regarde l’indicateur
de «confiance dans les gouvernements nationaux» de l’OCDE
, l’on note qu’il s’est amélioré depuis 2007
en Allemagne, au Japon ou au Royaume-Uni, mais qu’il a baissé, légèrement
pour les pays de l’OCDE, et notablement pour certains pays comme
les États-Unis, le Mexique ou l’Espagne.
2.2. Une
croissance qui reste molle
15. Cette croissance molle touche
particulièrement les économies avancées, en premier lieu, donc,
celles des pays membres de l’OCDE.
16. Elle se caractérise par une atonie de la consommation et de
l’investissement sur une période à la limite du moyen et du long
terme (sept ans) depuis la crise financière. Or, cette atonie est
en décalage avec le rythme des reprises qu’a connues l’économie
mondiale à la suite des trois grandes récessions (1973, 1980 et
1990). Ainsi, selon l’OCDE, la croissance moyenne de la consommation
observée après ces trois dernières crises sur une période de dix
ans devrait être presque deux fois supérieure à la hausse de la
croissance estimée entre 2008 et 2018. Pour l’investissement, ce
rapport pourrait être de un à trois, ce qui signifie qu’en 2018,
la hausse de l’investissement ne représenterait que 33 % de la hausse
observée en moyenne pendant dix ans après les trois grandes crises.
Autrement dit, le rétablissement des facteurs de la croissance dans
les économies de l’OCDE s’opère à un rythme nettement inférieur
à ce qu’elles ont connu jusqu’à présent.
17. De cette atonie, découle, selon l’OCDE, un phénomène «d’
hystérésis» que résume bien Mme Catherine L. Mann,
chef économiste de l’OCDE:
«Les
entreprises sont peu incitées à investir, du fait de l’insuffisance
de la demande, dans leur pays et au niveau mondial, mais également
de la persistance des incertitudes et du ralentissement des réformes structurelles
(…) L’insuffisance de l’investissement érode le stock de capital
et freine la diffusion de l’innovation. La mauvaise adéquation des
compétences et la tolérance des banques ont pour effet de piéger
la main-d’œuvre et le capital dans des entreprises faiblement productives.
La morosité des perspectives commerciales ralentit les transferts
de technologies. Ces forces pernicieuses ralentissent la croissance
de la productivité, pesant ainsi sur la production potentielle,
l’investissement et les échanges. Le potentiel de croissance par
habitant des économies de l’OCDE a été divisé par deux: alors qu’il
atteignait quasiment 2 % en rythme annuel il y a 20 ans, il est
cette année [2016] inférieur à 1 % par an, et le recul observé dans
les économies de marché émergentes est tout aussi spectaculaire.
La triste réalité est qu’il faudra ainsi 70 ans au lieu de 35 pour
voir doubler les niveaux de vie.»
18. En d’autres termes, une croissance faible pendant un laps
de temps important (7-8 ans) a un effet à la baisse sur la croissance
potentielle.
2.3. La
croisée des chemins pour les décideurs publics
19. «Décideurs publics: agissez
maintenant pour sortir du piège de la croissance molle et honorer
nos promesses». Tel est le titre de l’éditorial rédigé par Mme Mann,
qui ouvre le volume 1 des Perspectives économiques de 2016. L’invite
est claire et formulée de manière impérative. Les propositions d’action
de l’OCDE pour les économies avancées le sont tout autant.
20. La première constatation est que, pour l’immense majorité
de la zone OCDE, la consolidation de la reprise ne passera pas par
un surcroît d’assouplissement de la politique monétaire. Celle-ci
a en effet été très accommodante depuis 2008, ce dont témoignent
les taux d’intérêt réel en 2016, qu’ils soient à court terme (négatifs
pour le Japon et la zone euro et proches de 0 aux États-Unis) ou
à long terme (négatifs pour le Japon et la zone euro et proches
de 1,5 % aux États-Unis). Cet outil qui a, jusqu’à présent, été
privilégié pour favoriser la reprise, a, depuis longtemps, atteint
son niveau d’efficience.
21. Une première préconisation intéressante de l’OCDE porte sur
l’utilisation de la politique budgétaire pour favoriser la croissance.
Elle considère que «malgré la hausse des ratios d’endettement depuis
la crise (…), la conjoncture actuelle de taux d’intérêt exceptionnellement
bas accroît de fait la marge de manœuvre budgétaire de nombreux
pays, et permet aux pouvoirs publics d’emprunter à long terme pour
un coût très réduit. Presque tous les pays sont en mesure de procéder
à un redéploiement des dépenses et de la fiscalité vers des éléments plus
favorables à la croissance»
.
22. Pour 2017, l’OCDE a ainsi recommandé à une dizaine de pays
de mener une politique budgétaire plus expansionniste, parmi lesquels,
l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Suisse ou l’Australie.
Elle insiste évidemment pour que cette relance soit concertée et
donne des exemples de secteurs où l’investissement public serait
bénéfique à la croissance: énergies propres, éducation, compétences,
télécommunications… Elle cite une de ses analyses, selon laquelle
une augmentation durable de l’investissement public de 0,5 % de produit
intérieur brut (PIB) dans chaque économie, neutre sur le plan budgétaire,
avec une hypothèse de taux d’intérêt fixes, aurait un effet sur
la croissance de 0,3-0,4 % la première année dans les grandes économies avancées.
À long terme, cet effet pourrait être, selon les modèles économétriques,
de 0,5 % à 2 %.
23. Cette préconisation appelle trois commentaires. Tout d’abord,
force est de constater qu’elle n’a, pour l’heure, pas encore été
suivie d’effet dans de grandes économies comme l’Allemagne, la France
ou le Royaume-Uni pour des raisons différentes. Ensuite, se pose
la question de savoir si cette préconisation n’entre pas en conflit
avec la doxa budgétaire de la zone euro. Enfin, si cette politique
de relance doit être mise en œuvre, elle ne doit pas tarder parce
que les taux d’intérêt remontent depuis la moitié de l’année 2016
et vont, par conséquent, rendre cette relance plus onéreuse pour
les finances publiques, à terme.
24. Parallèlement, l’OCDE appelle à poursuivre les réformes structurelles
destinées à favoriser, sur le long terme, l’emploi et la productivité,
tout en améliorant le caractère «inclusif» de la croissance, c’est
à dire le fait qu’elle profite au plus grand nombre. À cet égard,
l’Organisation note un net ralentissement en 2015-2016, par rapport
aux années précédentes. S’appuyant sur les recommandations de l’étude
annuelle Objectif croissance 2017, dont le cadre vise à aider les
pays de l’OCDE à prioriser leurs réformes structurelles, le Secrétaire général
de l’OCDE avait, lors des 5èmes Journées parlementaires organisées
à Paris en février 2017, pointé quatre domaines où les réalisations
pouvaient encore progresser: la promotion des infrastructures, l’accroissement
de l’efficience de la dépense publique, l’amélioration de la législation
sur la protection de l’emploi et l’augmentation de l’efficience.
25. À noter qu’en matière de politique de l’emploi, l’OCDE indique
que «les réformes qui exercent d’emblée une pression à la baisse
sur les salaires dans l’ensemble de l’économie sont moins susceptibles
d’offrir des avantages à court terme dans un contexte d’atonie de
la demande»
.
Pour autant, dès que la reprise sera plus solide, une politique
de l’offre axée sur une plus grande libéralisation du marché du
travail pourra favoriser la création d’emplois et, à travers la
hausse des salaires, permettre une augmentation des recettes issues
de l’impôt, le surplus ainsi obtenu étant affecté à des dépenses
d’investissement.
26. En conclusion de cette première partie, l’avertissement de
Mme Catherine L. Mann me paraît assez pertinent
et les décideurs publics doivent l’avoir à l’esprit: «Dans la situation
actuelle, au moindre choc négatif, le monde pourrait replonger dans
une nouvelle récession profonde
.»
3. L’action
de l’OCDE dans le domaine fiscal: des exemples de multilatéralisme
réussis
27. Lux
Leaks,
Panama Papers,
Bahamas Leaks, affaire
Apple en Irlande et, plus récemment,
Malta Files, ces différents scandales
montrent les failles du système fiscal international. L’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe, comme l’Assemblée élargie,
se sont penchées sur ces dernières, qu’il s’agisse du rapport de
notre collègue M. Stefan Schennach sur les enseignements à tirer
de l’affaire des «Panama Papers»
ou de celui de M. Dirk Van der Maelen,
relatif aux activités de l’OCDE en 2012-2013 qui s’est concentré
sur la fraude et l’érosion fiscale, ainsi que sur la lutte contre
les paradis fiscaux
.
28. Comme ces deux rapporteurs l’ont noté, les institutions internationales,
et en particulier l’OCDE, ne sont pas restées inactives. Depuis
2010, beaucoup a été fait, tant en matière de transparence fiscale
que de lutte contre ce que l’on pourrait appeler l’optimisation
fiscale abusive des entreprises multinationales (EMN). Sur ces deux
sujets, 2016 et 2017 ont été marquées par des avancées notables
dans les projets menés par l’Organisation, qu’il s’agisse des échanges
de renseignements entre États ou du projet BEPS.
29. Il m’a paru important de les présenter, car ils constituent,
pour moi, une étape décisive, aussi importante par exemple que l’abandon
du secret bancaire, dans la mise en place d’un système fiscal intégré,
inclusif et équitable.
3.1. La
mise en place des échanges de renseignements, un pas décisif vers
la transparence fiscale
3.1.1. Le
dispositif
30. Il s’insère dans le cadre du
Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements
à des fins fiscales (Forum mondial), créé en 2000 par l’OCDE et
restructuré en 2009. Le Forum mondial compte 142 membres qui participent
à ses travaux sur un pied d’égalité et 15 organisations internationales
qui ont le statut d’observateurs. De par ses dimensions, il regroupe
ainsi tous les centres financiers d’importance. Son rôle est double:
contrôler la mise en œuvre des standards internationaux en matière
de transparence fiscale et offrir une assistance technique à ses
membres. Son secrétariat est assuré par le Centre de politique et d’administration
fiscales de l’OCDE.
31. Les standards élaborés sont au nombre de deux. Ils ont pour
objet, dans le respect d’un certain nombre de principes, parmi lesquels
celui de la confidentialité des données communiquées, de mettre
un terme à l’asymétrie d’information entre les contribuables d’une
part et les administrations fiscales d’autre part, asymétrie qui
profite aux premiers et favorise l’évasion et la fraude fiscale.
32. Le premier à avoir été développé est celui de l’échange de
renseignements à la demande, EOIR, pour Exchange
Of Information on Request. Sa mise en œuvre – à la fois
sa mise en place et son utilisation – est contrôlée par une procédure
dite «d’examen des pairs» (peer review),
menée par le Groupe du même nom, composé de 30 membres du Forum
mondial. Celui-ci présente un rapport pour chaque membre du Forum mondial
à ce dernier qui l’adopte. Les examens des pairs s’effectuent, jusqu’à
ce jour, en deux phases. La première est consacrée à une évaluation
du cadre juridique et réglementaire pour la transparence et l’échange de
renseignements à des fins fiscales. En d’autres termes, les pairs
s’assurent que la «juridiction», c’est-à-dire le membre du Forum,
a effectué le travail de mise à jour de sa législation, conformément
aux recommandations de l’OCDE. La seconde phase porte sur la mise
en œuvre pratique de la norme. De 2010 à 2016, 253 rapports d’examen
par les pairs ont ainsi été adoptés par le Forum.
33. L’une des faiblesses de l’EOIR est de permettre à l’administration
fiscale à laquelle un renseignement est demandé de ne pas aller
au-delà de la seule fourniture de celui-ci, ce qui peut laisser
dans l’ombre des informations importantes pour l’administration
fiscale à l’origine de la demande. Tel ne sera plus le cas avec
la mise en place du second standard, l’échange de renseignements
automatique ou AEOI pour Automatic Exchange
Of Information.
34. L’AEOI repose sur la Norme Commune de Déclaration (NCD), développée
en réponse à la demande des dirigeants du Groupe des 20 (G20) et
approuvée par le Conseil de l’OCDE en juillet 2014. Cette norme «invite
les juridictions à obtenir des informations de leurs institutions
fiscales et à échanger automatiquement ces informations chaque année
avec les autres juridictions. Elle définit les informations de comptes
financiers à échanger, les institutions financières qui sont en
demeure de les déclarer, les différents types de comptes et les
contribuables concernés, ainsi que les procédures communes de diligence
raisonnable qui doivent être suivies par les institutions financières
».
35. Les informations financières communiquées sont censées couvrir
un champ suffisamment large pour éviter que les contribuables ne
dissimulent leurs actifs dans des institutions ou n’investissent
dans des produits
a priori non
couverts par l’échange. Ainsi, la NCD englobe-t-elle des revenus
d’investissement comme les intérêts ou les dividendes. De même,
le champ des titulaires de compte soumis à l’obligation déclarative
ne se limite pas aux personnes physiques, mais vise aussi les entités
ou constructions juridiques qui peuvent permettre à un contribuable
de retrancher une part de ses actifs de son revenu. D’où la possibilité
pour les administrations fiscales de «regarder au travers des sociétés-écrans,
des fiducies et structures analogues, y compris les entités imposables»
. Enfin, le régime déclaratif ne s’impose
pas seulement aux banques, mais à plusieurs institutions financières
tels les courtiers, certains organismes de placement collectif et
certaines sociétés de placement.
36. La base juridique recommandée pour mettre rapidement en place
cet échange de renseignements automatique est la Convention multilatérale
concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE
no 127), établie conjointement par l’OCDE
et le Conseil de l’Europe, qui compte, à ce jour, 112 juridictions,
et présente notamment l’avantage d’encadrer ce type d’échanges au
regard des droits fondamentaux du contribuable
.
37. Le déploiement de l’AEOI sera contrôlé selon cinq phases:
un contrôle de la mise en œuvre, qui porte sur l’adoption par chaque
juridiction intéressée, d’un cadre adapté à l’AEOI (mise à jour
de la législation, conventions internationales comprises, mise en
place des systèmes de technologie d’information et adaptation de
la structure administrative); un contrôle du respect de la confidentialité
et de la sécurité des données, préalable à l’utilisation de l’AEOI
par deux juridictions, effectué par un panel d’experts; un processus
d’analyse des vides législatifs; la mise en place d’un réseau de
partenaires, chaque juridiction devant échanger des renseignements
avec toutes les autres juridictions qui respectent les obligations
de confidentialité et de sauvegarde des données; enfin, une vérification
du respect des exigences techniques liées à l’échange automatique.
À cet effet, le Forum sur l’administration fiscale de l’OCDE a créé
un Système commun de transmission à même de faciliter les échanges
entre administrations fiscales.
38. La phase de mise en œuvre fera l’objet d’un examen par les
pairs au sein du Forum mondial, comme pour l’EOIR, une fois le mandat
et la méthodologie adoptés.
39. En juillet 2017, 101 juridictions se sont engagées à débuter
l’échange automatique de renseignements, 49 dès septembre 2017 et
52 en 2018.
3.1.2. Une
première évaluation: des résultats encourageants et deux interrogations
40. Dans son rapport de 2013, M. Dirk
Van der Maelen soulignait la différence cruciale entre l’EOIR et l’AEOI.
Prenant l’exemple des services fiscaux français, il constatait qu’en
activant l’ensemble des conventions multi et bilatérales signées
par la France et assimilables à l’EOIR, ceux-ci recevaient chaque
année des informations sur une cinquantaine de comptes bancaires
étrangers détenus par des résidents français, alors que l’évaluation
de ces comptes oscillait entre 100 000 et 300 000. Et de conclure:
«Il reste simplement 99,98 % du travail à faire
.»
41. J’ai tendance à partager son avis, car, lorsque l’on regarde
l’augmentation des demandes d’échanges de renseignements EOIR entre
2011 et 2016, l’on s’aperçoit qu’elle reste limitée (28 % pour 21
pays disposant de chiffres comparatifs
).
Mais je ne minore pas pour autant son intérêt.
42. En effet, le bilan que l’on peut dresser de l’EOIR, dont le
premier cycle d’examen par les pairs s’est achevé en 2016, comporte
de réelles avancées. Sur 116 juridictions évaluées, 112 ont été
jugées «conformes» ou «conformes pour l’essentiel», 7 «partiellement
conformes»
et
une «non conforme». Parmi les 112 précitées, on trouve des juridictions
autrefois peu soucieuses de transparence comme Andorre, Antigua-et-Barbuda,
les Bahamas, le Costa Rica, les îles Caïman, La Dominique, la République
dominicaine, le Guatemala, Guernesey, l’île de Man, le Liban, le
Liechtenstein, le Luxembourg, les États fédérés de Micronésie, la
République de Nauru, le Panama, les Samoa, les Émirats arabes unis
et le Vanuatu. À l’issue de la procédure additionnelle d’examen
par les pairs, dite «procédure fast-track», qui s’est achevée en
juin 2017, la seule juridiction jugée «non conforme» est Trinidad-et-Tobago.
43. En outre, le rapport de progrès sur la Transparence fiscale
2016 de l’OCDE note que l’examen par les pairs de la mise en œuvre
de l’EOIR a induit une disparition progressive du secret bancaire
pur et conduit 33 juridictions soit à supprimer, soit à immobiliser
les actions au porteur, qui permettent à leur propriétaire de ne
pas voir leur identité communiquée à la société dont ils sont actionnaires.
44. Surtout, l’EOIR aura été le premier modèle pratique d’échanges
de renseignement, à taille mondiale, et au fonctionnement effectif.
Ce sont ses principes (adoption d’une norme commune, examen par
les pairs, adoption des termes de référence et de méthodologie)
qui ont guidé la mise en place de l’AEOI et de l’échange de renseignements
dans le cadre de l’action 5 et de l’action 13 du BEPS (voir ci-après).
À cet égard, l’augmentation du nombre de relations EOIR entre les
membres du Forum mondial, c’est-à-dire les accords entre administrations
fiscales sur l’EOIR, que leur base juridique soit bilatérale ou
multilatérale, d’environ 2 500 en 2009 à plus de 7 000 en 2016,
est de bon augure, car elle signifie que ces administrations se
familiarisent de plus en plus avec la pratique de l’échange de renseignements.
Le traitement des données recueillies dans le cadre de l’AEOI devrait
en bénéficier.
45. C’est bien avec ce dernier que la lutte contre la fraude et
l’évasion fiscale va prendre une autre dimension, compte tenu de
la masse d’informations à laquelle les administrations fiscales
vont désormais avoir accès. L’OCDE estime que l’AEOI, avant même
sa mise en œuvre, a déjà eu un effet dissuasif: les programmes de
déclaration volontaire et autres mesures analogues encourageant
les contribuables à déclarer des revenus et des avoirs qu’ils dissimulaient
auparavant au fisc auraient permis aux administrations fiscales de
recouvrer près de 85 milliards d’euros
.
46. Comme pour l’EOIR, nombre d’anciens ou actuels paradis fiscaux
se sont engagés à débuter l’échange automatique en 2017 ou 2018,
tels les îles Caïman, Guernesey, Jersey, le Liechtenstein, le Luxembourg, Panama…,
ce qui devrait rendre la fraude fiscale plus difficile, à condition
que les engagements pris soient effectifs et que la procédure d’examen
par les pairs ait de réels effets sur les juridictions récalcitrantes.
47. L’effectivité des recommandations de l’OCDE constitue en effet
une interrogation à laquelle j’essaie de répondre ci-dessous (voir
section 3.3).
48. L’autre interrogation porte sur la capacité des administrations
fiscales à gérer et traiter la masse d’informations qu’elles vont
recevoir, en particulier dans les pays en développement.
49. Pour clore ce premier bilan, je souhaiterais saluer les efforts
faits en direction de ces derniers qui constituent plus de la moitié
des membres du Forum mondial. L’OCDE a su adapter son assistance
technique à leurs besoins, en passant de la formation à la mise
au point de programmes à long terme et elle a contribué au développement
de programmes régionaux, comme l’Initiative africaine, née de la
collaboration avec le Forum africain sur l’administration, au sein
de laquelle huit pays pionniers se sont engagés à faire respecter certaines
échéances précises pour assurer l’application pratique et effective
de l’échange de renseignements. Elle soutient également, en partenariat
avec le Programme des Nations Unies pour le Développement, les administrations
fiscales des pays en développement qui sont en première ligne dans
la lutte contre l’évitement fiscal à travers son initiative Inspecteurs
du fisc sans frontières (TIWB pour Tax
Inspectors Without Borders), en envoyant des experts
fiscaux travailler directement avec les agents du fisc locaux et
en leur fournissant une aide ciblée et en temps-réel «d’apprentissage
par la pratique» afin qu’ils se dotent d’une capacité de contrôle.
3.2. Le
projet BEPS: une redéfinition majeure des règles fiscales internationales
50. Autant l’EOIR et l’AEOI concernaient
les personnes physiques, autant le projet BEPS vise les entreprises
multinationales (EMN). Il part d’un constat simple: «Les décalages
et les discordances dans les règles fiscales internationales en
vigueur peuvent favoriser la “disparition” de bénéfices pour des
raisons fiscales ou le transfert de bénéfices vers des lieux où
il sont peu ou pas imposés bien que les entreprises concernées n’y
exercent aucune activité, ou quasiment aucune
.»
3.2.1. Fondements
et éléments de la redéfinition
51. D’où proviennent ces décalages
et discordances? Prosaïquement, de ce que les principes qui ont
régi le système fiscal international avaient pour objet de favoriser
les échanges et les investissements à une époque où les économies
nationales n’étaient pas aussi intégrées qu’aujourd’hui. Comme l’indiquait
le rapport de M. Van der Maelen et celui, fondateur, de l’OCDE sur
le BEPS
, le système fiscal international
qui prévalait jusqu’à présent reposait sur des réflexions développées
dans les années 1920 par la Chambre de commerce internationale et
la Ligue des Nations, principes mis en œuvre dans les Modèles de
Convention fiscale de l’OCDE et des Nations Unies, dont s’inspirent
encore la plupart des conventions fiscales. L’idée principale était que
le commerce transnational devait être favorisé et que, pour ce faire,
il fallait porter une attention particulière au risque de double
imposition des entreprises réalisant ces échanges hors de leurs
frontières.
52. Ce cadre fonctionnait dans une économie où la globalisation
des échanges était limitée et où la révolution digitale ne permettait
pas la vente dématérialisée d’un bien en deux clics. Dans cette
nouvelle économie, autant les EMN peuvent avoir une vision globale
des différents régimes fiscaux nationaux et agir en conséquence,
c’est-à-dire optimiser leurs investissements et leurs déclarations
fiscales, autant les administrations fiscales nationales disposent
rarement de la globalité des informations leur permettant d’imposer
les bénéfices des EMN selon leurs activités réelles. Promouvant
le commerce, les principes des années 20 ont fini par entériner
les asymétries d’information au détriment des États. Comme l’écrivait
très justement M. Van der Maelen citant le rapport de 58 organisations
non gouvernementales (ONG) intitulé «No More Shiffty Business»,
cette asymétrie structurelle provient de ce que le système fiscal
international ne traite pas les entreprises transnationales selon
la réalité économique de leurs activités mais comme des entreprises distinctes
dans chaque pays, indépendantes les unes des autres.
53. Le résultat est que, selon l’OCDE
, le préjudice
total représenté par les pratiques de BEPS serait compris entre
4 et 10 % des recettes totales de l’impôt sur les bénéfices des
sociétés, soit entre 100 et 240 milliards de dollars, chaque année
à l’échelle mondiale. Ce préjudice serait proportionnellement accru pour
les pays en développement dont les budgets dépendent en général
plus de ce type de recettes que pour les pays développés. L’OCDE
note également que les filiales des EMN situées dans des juridictions
à fiscalité faible déclarent un taux de bénéfices (par rapport à
leurs actifs) presque deux fois supérieur à celui de leur groupe.
54. Au-delà du «manque à gagner» pour les États, qui constitue
une atteinte à leur souveraineté, l’ampleur de ces pratiques emporte
des conséquences économiques et sociologiques. Elles portent en
effet atteinte au principe d’équité fiscale entre les EMN et les
entreprises qui ne le sont pas et acquittent leurs impôts dans un cadre
national. Ce faisant, non seulement elles introduisent des distorsions
de concurrence entre entreprises mais elles contribuent en outre
à miner la confiance des acteurs dans la capacité des États à faire
respecter leurs propres règles.
55. Afin d’y remédier, l’OCDE, après avoir présenté les différentes
pratiques BEPS en 2013, a proposé 15 actions qui redéfinissent l’architecture
du système fiscal international. Elles ont été adoptées par le G20
lors de sa réunion à Antalya en novembre 2015. Elles visent à faire
en sorte que les EMN déclarent leurs bénéfices là où les activités
économiques sont réalisées et où la valeur est créée.
56. La première réforme de fond concerne la fixation de quatre
standards minimums, qui viennent pallier les conséquences négatives
de l’absence d’actions d’un ou plusieurs États pour les autres.
57. Le premier standard subordonne l’existence d’une activité
substantielle à l’application d’un régime préférentiel (action 5).
Ainsi, par exemple, seul le contribuable qui a lui-même engagé des
dépenses de recherches et développement ayant généré des revenus
liés à la propriété intellectuelle pourrait bénéficier d’un régime
préférentiel en matière de propriété intellectuelle. En la matière
un cadre d’échange automatique entre administrations fiscales est
prévu.
58. Le deuxième standard vise à empêcher l’utilisation abusive
des conventions fiscales en réclamant l’octroi d’un avantage prévu
par ces conventions alors qu’il est inapproprié (action 6). Il s’attaque
par exemple au chalandage fiscal, pratique qui consiste pour un
non résident d’un État contractant à obtenir un ou des avantages
fiscaux prévus par une convention à laquelle cet État est partie.
59. Le troisième standard (action 13) met en place, pour les EMN
dont le chiffre d’affaires annuel consolidé est égal ou supérieur
à 750 millions d’euros, une norme unique dite «déclaration pays
par pays» («country by country reporting»). Elle oblige les EMN
à fournir une série d’informations aux administrations fiscales permettant
de mieux apprécier les prix de transfert qu’elles ont mis en place,
c’est-à-dire les prix auxquels elles transfèrent des biens corporels,
des actifs incorporels, ou rendent des services à des entreprises
associées (leurs filiales).
60. Le dernier standard (action 14) consiste en la mise en œuvre
d’un règlement des différends liés aux conventions fiscales, afin
de limiter les risques de double imposition.
61. Ces quatre standards font l’objet d’une procédure d’examen
et de suivi inspirée de celle pratiquée par le Forum mondial sur
la transparence et l’échange de renseignements et effectuée, selon
la formule de l’OCDE, «sur un pied d’égalité», par les pairs, au
sein du Cadre inclusif qui regroupe, en juillet 2017, plus de 100
États et juridictions.
62. Le deuxième élément de la réforme est la révision, parfois
en profondeur, de règles fiscales internationales. Tel est par exemple
le cas des actions 8 à 10 (aligner les prix de transfert calculés
sur la création de la valeur) qui visent à modifier les Principes
applicables en matière de prix de transfert afin de «limiter les
incitations des EMN à transférer des revenus vers des structures
ad hoc (appelées cash boxes) qui sont des sociétés écrans présentant
des effectifs limités voire nuls, qui exercent des activités économiques limitées
voire inexistantes, et qui cherchent à obtenir des avantages dans
les juridictions à fiscalité faible ou nulle»
.
63. On pourrait également citer la redéfinition de l’établissement
stable (action 7), qui est généralement un critère utilisé pour
prévoir une imposition et que certaines EMN contournent, par exemple
en ayant recours à des «accords de commissionnaires», soit des accords
par lesquels «une personne vend des produits dans un État sous son
propre nom, mais pour le compte d’une entreprise étrangère qui est
la propriétaire de ces produits. Ce type d’accord permet à une entreprise
étrangère de vendre ses produits dans un État sans techniquement
y posséder un établissement stable auquel ces ventes peuvent être
attribués à des fins fiscales et, dès lors, sans que soient imposables
dans cet État les bénéfices tirés de ces ventes»
.
Plusieurs autres révisions sont prévues et, chose notable, elles
prennent en compte les risques de pratiques BEPS que l’économie
numérique peut représenter, par exemple en facilitant la collecte
de la taxe sur la valeur ajoutée à partir du pays où se situe le
client.
64. Enfin, élément fondamental pour rendre effective cette nouvelle
architecture, la procédure recommandée (action 15) afin de mettre
à jour les 3 500 conventions bilatérales dans le domaine fiscal
est celle de l’adhésion à une convention multilatérale, qui évite
la renégociation de l’ensemble de celles-ci. Appelée Convention
multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions
fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert
de bénéfices (Instrument multilatéral BEPS), elle a été établie
par un groupe ad hoc de plus de 100 pays et juridictions, ouverte
à la signature en 2016. Il compte à ce jour plus de 70 signataires.
En outre, sept autres juridictions se sont engagées à signer l’Instrument multilatéral
du BEPS d’ici la fin 2017.
3.2.2. Première
évaluation du BEPS
65. Selon le rapport du Secrétaire
Général de l’OCDE au G20 des chefs d’État et de gouvernement de
juillet dernier, «2017 est l’année de la mise en œuvre des mesures
prévues par le projet BEPS du G20/OCDE
.
66. Cette mise en œuvre est bien en cours. Ainsi, par exemple,
pour les quatre standards minimum qui vont faire l’objet d’une procédure
d’examen par les pairs, le mandat et la méthodologie qui vont permettre
leur mise en œuvre ont été publiés en février 2017. En outre, la
déclaration pays par pays devrait faire l’objet, dès 2018, d’un
échange automatique de renseignements entre les juridictions qui
auront adhéré à l’Accord multilatéral entre autorités compétentes
portant sur l'échange des déclarations pays par pays.
67. Il est donc d’ores et déjà possible de dresser un premier
bilan, tant sur la méthode que sur le fond.
68. Premier constat: la rapidité du processus. L’OCDE a été capable
en seulement deux ans (2013-2015) de proposer 15 actions détaillées
qui refondent le système fiscal international et de négocier en
une année l’Instrument multilatéral BEPS (2015-2016).
69. Cette rapidité est d’autant plus remarquable que l’ensemble
du processus a été négocié dans le respect de la souveraineté des
États, à une échelle économiquement et fiscalement pertinente, et
qu’il peut réellement être vu comme inclusif. 100 juridictions ont
participé à la négociation de la convention BEPS, 102 participent au
Cadre inclusif du BEPS, parmi lesquels plusieurs pays en développement,
des paradis fiscaux, des organisations internationales et régionales,
et 64 à l’Accord multilatéral entre autorités compétentes portant
sur l'échange des déclarations pays par pays. Le caractère inclusif
est partie intégrante du fonctionnement de l’examen par les pairs,
puisque celui-ci fonctionne selon la règle du consensus.
70. Cet exercice de multilatéralisme n’empêche pas mais produit
de la standardisation. L’exemple le plus flagrant est celui de la
déclaration pays par pays (action 13): les informations que les
EMN doivent fournir sont précises, complètes et uniformisées
et transmises
selon une norme commune de déclaration. C’est cette standardisation
qui, d’une part, permettra leur échange automatique et leur utilisation
par les autorités fiscales de manière simple, et d’autre part, simplifiera
le travail de déclaration des EMN.
71. Sur le fond, si l’on regarde les préconisations de notre Assemblée
élargie formulées dans ses
Résolutions
1951 (2013) (paragraphes 16 à 17) et
Résolution 2074 (2015) (paragraphes 23 à 24), force est de constater que la
majorité d’entre elles ont été suivies d’effet. La seule réserve
concerne peut-être le souhait de notre collègue Van der Maelen de
voir mettre en place un système de taxation uniforme des EMN, qui transparaissait
au paragraphe 17.2 de la
Résolution
1951 (2013). Autant la déclaration pays par pays se rapproche bien
de l’obligation visée par ce paragraphe de «produire un rapport
financier mondial complet», autant le désir de notre collègue de
voir advenir «un accord multilatéral relatif à un système de taxation uniforme
des sociétés transnationales» paraît aussi irréalisable aujourd’hui
que dans les années 1920, où la question s’était posée et avait
été tranchée par la négative, faute de consensus politique. Il serait
pourtant souhaitable.
72. Certes, l’on peut s’interroger sur l’absence de mécanisme
coercitif concernant la mise en œuvre des mesures qui ne relèvent
pas des quatre standards minimums, mais prennent la forme d’engagements recommandés
par l’OCDE ou souhaiter une procédure plus contraignante que celle
de l’examen de pairs. Cela étant, je pense que le succès du BEPS
repose avant tout sur le fait que l’immense majorité des États ont
un intérêt financier commun et conséquent à mettre en place les
nouvelles règles du jeu fiscal et que ceux qui se satisfont de leur
statut de passager clandestin ne disposent pas forcément du poids
politique pour maintenir leur position.
73. Le nombre de «paradis fiscaux» ayant rejoint le Cadre inclusif
me conforte en ce sens. De même que la décision de la Commission
européenne condamnant l’Irlande, le 30 août 2016, à exiger le remboursement de
13 milliards d’euros à Apple, le régime fiscal octroyé par les autorités
irlandaises à cette dernière étant analysé comme une aide d’État
illégale. Pour mémoire, je rappellerai, que selon l’enquête menée
par la Commission européenne, «le traitement fiscal accordé par
l'Irlande a permis à Apple d'éviter l'impôt sur pratiquement l'intégralité
des bénéfices générés par les ventes de produits Apple sur l'ensemble
du marché unique de l’Union européenne. Cela est dû à la décision
d'Apple d'enregistrer toutes ses ventes en Irlande plutôt que dans
les pays où les produits étaient vendus» et, par ailleurs, que «seul
un faible pourcentage des bénéfices d'Apple Sales International
étaient imposés en Irlande, le reste n'étant imposé nulle part»
. Apple ayant fait appel de la décision
de la Commission, la prudence est de rigueur. Il n’empêche que ce
type de comportement fiscal agressif ne respecte ni l’esprit, ni
la lettre du projet BEPS.
74. Pour conclure, je dirais que le projet BEPS est un bon exemple
de multilatéralisme au service de la souveraineté des États, initié
par l’OCDE avec le G20 et mis en œuvre par plus de la moitié des
États des Nations Unies.
3.3. Propositions
pour améliorer l’effectivité des recommandations de l’OCDE en matière
fiscale
75. L’une des clés de la réussite
est bien là: dans quelle mesure les recommandations faites par les
pairs seront-elles prises en compte? À l’heure actuelle, non seulement
l’examen par les pairs n’empêche pas la prise de mesures qui constituent
des retours en arrière, mais en outre, il n’a pas pour objet de
sanctionner de manière dissuasive les juridictions non coopératives.
Si une juridiction ne souhaite pas donner suite aux recommandations
du Forum mondial, que risque-t-elle? Au-delà d’un possible durcissement
des conditions d’accès à l’investissement lorsque celui-ci dépend
de structures, comme l’International Finance Corporation (IFC) ou
la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(BERD) et de ce que l’on appelle risque «de réputation», la sanction
est simplement de ne pas bénéficier des informations fiscales des
autres juridictions. Si elle estime que la fraude fiscale lui coûte
cher, certes, elle y réfléchira à deux fois avant de refuser d’appliquer
les recommandations. Mais, si cette fraude ne lui coûte rien ou
si les recommandations portent sur un élément essentiel de son «attractivité
fiscale», la sanction de l’absence d’échange de renseignements sera
de peu de poids pour l’inciter à mettre œuvre les recommandations
du Forum mondial.
76. C’est la raison pour laquelle, je pense que l’un des axes
de réflexion à venir porte sur les moyens de faire respecter ces
dernières par des mécanismes plus contraignants qu’ils ne le sont
aujourd’hui.
77. À la demande du G20 lui-même, l’OCDE a avancé cinq types d’actions
allant dans ce sens
, qui, s’ils visent seulement
l’EOIR, pourraient être étendus à l’AEOI ou au BEPS. Ceux qui suggèrent
d’accroître la publicité des évaluations du Forum mondial afin d’amplifier
leur effet en matière de réputation me paraissent de bon sens. L’Assemblée
élargie pourrait aller plus loin, par exemple en rendant compte
des évaluations du Forum mondial et du Cadre inclusif dans un rapport
parlementaire, un peu à l’instar de ce que l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe fait en matière d’exécution des décisions
de la Cour européenne des droits de l’homme.
78. Une autre proposition recueille mon plein accord: la prise
en compte, par les organisations internationales et les agences
de développement, telles la Banque de développement du Conseil de
l’Europe, la BERD, la Banque européenne d’investissement ou l’IFC
des évaluations du Forum mondial ou du Cadre inclusif pour déterminer
leur politique d’investissement.
79. Les autres mesures préconisées par l’OCDE sont également utiles,
mais elles témoignent toutes de l’attachement de l’Organisation
à ses procédures actuelles et de sa réticence à promouvoir des mécanismes plus
conflictuels. Je pense à l’inverse que si l’on veut éviter que les
États ne recourent à des représailles bilatérales, qui seraient
la négation des pratiques multilatérales promues par l’OCDE, comme
par exemple le fait de conditionner la mise en œuvre de certaines
recommandations au respect du principe de réciprocité, il faut aller
plus loin. En matière d’échange automatique de renseignements, c’est
d’ailleurs ce qui s’est produit à l’égard des États-Unis. Ceux-ci
sont membres du Forum mondial et ont ratifié la Convention concernant l’assistance
administrative mutuelle, mais non le Protocole additionnel de 2010.
Pour autant, ils ont décidé de ne pas l’utiliser dans le domaine
des données bancaires, préférant appliquer leur propre système d’échange de
renseignement, appelé FATCA (Foreign
Account Tax Compliance Act), qui oblige les banques étrangères à
fournir des informations au Département du Trésor américain, sans
qu’il y ait un retour équivalent d’informations de la part des banques
américaines en direction des États dont les banques ont transmis
lesdits renseignements. Répondant à ce passager clandestin américain,
la plupart des places financières ont rayé les États-Unis de la
liste de leurs juridictions partenaires!
80. Une solution consisterait à créer un mécanisme plus juridictionnel
permettant l’imposition de sanctions, comme l’a proposé l’Assemblée
dans sa
Résolution 2130
(2016) sur les Panama Papers en encourageant l’OCDE «à réexaminer
avec le Conseil de l’Europe, leur Convention conjointe concernant
l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE no 127),
dans le but de faciliter la création d’un organisme international
de coordination fiscale sous les auspices de l’OCDE, qui serait
en mesure d’imposer des sanctions» (para 5.11). La pratique des
panels d’experts suivie devant l’Organisation Mondiale du Commerce pourrait
aussi être une source d’inspiration.
81. L’OCDE a, à juste titre, fait remarquer que la Convention
conjointe prévoit déjà un «organe de coordination», qui peut, sous
l’égide de l’OCDE, recommander «toute mesure susceptible de contribuer
à la réalisation des objectifs généraux de la Convention» (article
24.3 de la convention). La question de savoir si cet organe, qui
est composé de représentants des autorités compétentes des Parties
à la Convention, pourrait être cet organisme à même d’imposer des
sanctions ou s’il convient d’en créer un autre reste ouverte, mais
la juridictionnalisation de la procédure me paraît essentielle.
Juridictionnaliser des sanctions, qui sinon, seraient appliquées
de manière bilatérale, c’est aussi civiliser les relations internationales.
Cela me paraît autant raisonnable que de parier sur le dialogue.
4. Comment
les inégalités pèsent sur la croissance économique
82. Depuis la crise de 2007-08,
la question des inégalités occupe une place de choix sur l’agenda
politique des pays développés. Elle rejoint aujourd’hui une préoccupation
largement partagée: celle de l’inclusivité du développement économique.
La croissance doit profiter non à un petit nombre mais au plus grand
nombre. Cette prise de conscience est désormais bien ancrée dans
la communauté internationale: la réduction des inégalités constitue
l’objectif no 10 des Objectifs de développement durable fixés
par les Nations Unies en 2015; en outre, l’Assemblée de l’Union
Interparlementaire, qui regroupe les parlementaires de 132 pays,
a appelé, lors de sa réunion de Dhaka en avril 2017, à «corriger
les inégalités pour assurer à tous dignité et bien-être»; enfin,
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a débattu en avril
2017 du rapport de notre collègue, M. Andrej Hunko (Allemagne, GUE),
«La lutte contre les inégalités de revenus: un moyen de favoriser
la cohésion sociale et le développement économique».
83. Pour sa part, l’OCDE a souligné dès 2008
les effets potentiellement
néfastes de l’accroissement des inégalités de revenus et documenté
ce dernier de manière continue depuis lors. En novembre 2016, elle
a publié un point sur les inégalités, dont le titre en résume le
contenu: «Les inégalités restent élevées dans un contexte de reprise
modérée». En mai 2017, le Secrétaire général de l'OCDE a également
présenté le rapport intitulé «Une approche budgétaire pour une croissance
inclusive» aux ministres des finances du G7 et aux gouverneurs des
banques centrales.
84. Les effets négatifs des inégalités en matière de cohésion
sociale et de contestation des fondements démocratiques ont été
largement traités par M. Hunko. Je me concentrerai donc sur ce qui
fait, à mon sens, l’intérêt des travaux de l’OCDE, c’est-à-dire
leur perspective économique: au-delà de la question de la justice sociale,
les inégalités sont-elles un moteur de la croissance ou un frein?
Et si elles sont un frein, quelles décisions les pouvoirs publics
doivent-ils prendre?
4.1. La
hausse des inégalités de revenus et de patrimoine: une tendance
lourde
85. Dans son étude «Tous concernés, pourquoi moins d’inégalité
profite à tous» (2015), l’OCDE a constaté que les inégalités
de revenus n’ont cessé de se creuser depuis les années 80, mais
selon deux processus différents.
86. Dans un premier temps, des années 1980 à la Grande Récession
(2007), les revenus réels disponibles des ménages ont augmenté dans
tous les pays de l’OCDE, qu’il s’agisse des revenus des 10 % les
plus riches ou de celui des 10 % les plus pauvres, à l’exception
du Japon. Dans les trois-quarts des pays, cependant, l’augmentation
a été plus forte pour les 10 % les plus riches que pour les 10 %
les plus pauvres, ce qui explique que, alors que toute la population
s’est enrichie en termes absolus, les inégalités ont cru.
87. Avec la crise, les inégalités de revenu ont été amplifiées
par la détérioration des revenus des ménages modestes. Comme l’indique
le point sur les inégalités de novembre 2016, «en 2013/2014, les
revenus du bas de la distribution sont encore en-dessous de leurs
niveaux d’avant-crise alors que les revenus du haut et du milieu
de la distribution avaient regagné l’essentiel du terrain perdu
pendant la crise.» Or, «les revenus du bas de la distribution» représentent
40 % de la population et non 10 %. Cela signifie qu’en termes réels,
les revenus de 40 % des ménages ont baissé.
88. Le résultat est qu’à quelques exceptions près, comme la Turquie,
la Hongrie ou le Chili, qui ont vu leurs inégalités de revenus se
réduire entre 2010 et 2016 grâce à l’amélioration des revenus du
travail des ménages modestes, les pays de l’OCDE sont nettement
plus inégalitaires aujourd’hui qu’ils ne l’étaient dans les années 80.
Que l’on se réfère à l’indice Gini, habituellement utilisé pour
mesurer les inégalités entre pays ou dans un pays, ou au ratio entre
les revenus des 10 % les plus riches et ceux des 10 % les plus pauvres,
la réalité reste la même: l’indice Gini de la zone OCDE était de
0,29 en 1980, il est de 0,315 en 2015; en 1980, les 10 % les plus
riches avaient un revenu sept fois supérieur aux 10 % les plus pauvres;
en 2015, leur revenu est presque dix fois supérieur à celui des
10 % des plus pauvres.
89. Moins généralisable parce que s’appuyant sur des données concernant
un nombre réduit de pays, mais tout aussi intéressante est la conclusion
de l’étude «Tous concernés» sur les inégalités de patrimoine des ménages,
c’est-à-dire celles relatives aux actifs financiers (comme les actions)
et non financiers (en général propriété foncière, c’est-à-dire logement).
Les inégalités y sont beaucoup plus fortes qu’en matière de revenus, puisque
les 10 % des ménages les plus riches possèdent plus de la moitié
du patrimoine total, les 50 % suivants possèdent la quasi-totalité
de la seconde moitié et les 40 % les moins riches, seulement 3 %.
Comme pour les revenus, la crise financière semble avoir renforcé
les inégalités de patrimoine tant au sommet de la distribution qu’à
son extrémité inférieure.
4.2. La
hausse des inégalités: un frein à la croissance, probable conséquence
d’une moindre mobilité sociale
90. La théorie économique voit
depuis longtemps l’existence d’inégalités comme pouvant soit entraver
la croissance, soit au contraire lui être favorable. Du côté des
théories «anti-croissance», on peut citer celle de «l’accumulation
du capital humain»: l’imperfection sur les marchés financiers conduirait
les individus à faire des choix d’investissement en fonction de
leurs revenus ou de leur patrimoine et non en fonction des rendements qu’ils
devraient pouvoir obtenir du fait de leur investissement. Ainsi,
un ménage modeste pourrait décider d’interrompre les études de son
enfant parce qu’il n’a pas les moyens de s’acquitter des frais de
scolarité, alors que s’il les acquittait, «le retour sur investissement»
de la poursuite des études serait important. Ce faisant, le ménage
n’augmente pas le capital humain de son enfant.
91. A l’inverse, est souvent citée comme une théorie «pro-croissance»,
celle de «l’incitation». Les inégalités inciteraient «à travailler
davantage, à investir et à prendre des risques afin de tirer parti
de taux de rentabilité élevés (...) Par exemple, si les personnes
très instruites sont nettement plus productives, le fort écart observé entre
les taux de rentabilité peut inciter un plus grand nombre de personnes
à faire des études»
.
92. L’étude conduite par l’OCDE en 2015, et dont M. Hunko cite
à juste titre une des conclusions, tend à prouver qu’il semble bien
exister un lien négatif entre la hausse des inégalités de revenu
et la croissance: ainsi, le creusement des inégalités entre 1985
et 2005 de deux points de Gini (0,02) dans 19 pays de l’OCDE aurait eu
pour effet de réduire de 4,7 points de pourcentage la croissance
cumulée sur la période 1990-2010.
93. En outre, ce lien est pertinent à la base de la distribution,
mais non à son sommet. En d’autres termes, une baisse des inégalités
concernant les 40 % de la population aux revenus faibles ou modestes
aurait un impact positif sur la croissance, mais nul si elle visait
les autres 60 % des ménages.
94. Utilisant ses nombreuses données dans le domaine de l’éducation,
l’OCDE montre que plus les inégalités de revenu croissent et moins
les individus dont les parents ont un faible niveau d’instruction
parviennent à augmenter leur capital
humain. Pour ce faire, l’étude se fonde sur le fait que le niveau d’instruction
moyen des individus – qui est une mesure du capital humain – dépend
largement du niveau d’instruction des parents. Elle constate en
premier lieu que plus l’indice Gini augmente, plus la probabilité
pour que les enfants dont les parents ont un niveau d’instruction
faible accèdent à l’enseignement supérieur est faible
. Tel n’est pas le cas
pour les enfants dont les parents ont un niveau d’instruction moyen
ou élevé.
95. Ce lien négatif entre hausse des inégalités et quantité de
capital humain pour les individus dont les parents ont un niveau
d’instruction faible se retrouve également au niveau qualitatif,
en matière de compétences. Ainsi, plus l’indice Gini augmente et
plus les scores en numératie
ou en littératie
de
ces individus baissent. Il en va de même sur le marché du travail
où les individus dont les parents ont un niveau d’instruction faible
voient leur probabilité d’être au chômage au cours de leur vie active
nettement augmenter lorsque l’indice Gini croît.
96. Ces résultats tendent à prouver que l’augmentation des inégalités,
parce qu’elle réduit la propension des ménages les moins riches
à accumuler du capital humain pèse sur la croissance. Autrement
dit, si ces ménages, qui représentent 40 % de la population, avaient
la possibilité d’arbitrer différemment en faveur de l’amélioration
de leur capital humain, ils contribueraient plus fortement à la
croissance du PIB.
4.3. Comment
desserrer le frein de la croissance?
97. L’intérêt de cette étude est
triple. Tout d’abord, elle met l’accent sur le fait que des mesures
correctrices ne doivent pas seulement porter sur les seuls 10 %
les moins riches, mais sur les 40 % les moins fortunés. Ensuite,
elle offre un argument purement économique en faveur de la réduction
des inégalités. Enfin, et c’est là pour moi une réelle satisfaction,
rejoignant une perspective plutôt libérale, elle déplace le débat
de la justice sociale vers celui de la mobilité sociale; l’important
est moins, dans les pays développés, d’avoir une partie de la population
aux revenus faibles, que de s’assurer que celle-ci ne le reste pas.
En d’autres termes, on en revient à un principe ancien: une société
économiquement saine est celle où la mobilité des individus est
réelle et non celle où l’on n’échappe pas à sa classe socio-économique
de naissance qui détermine votre capital humain et, par voie de
conséquence, votre niveau de revenu. L’égalité des chances est donc
un excellent antidote économique autant que politique puisqu’elle
est, je me permets de le rappeler, à l’opposé d’un système égalitariste.
98. Deux autres enseignements importants sont à tirer de cette
étude. D’une part, comme l’indique l’OCDE, les politiques publiques
ne doivent pas se focaliser exclusivement sur la croissance en pensant
que les fruits de celle-ci vont automatiquement profiter à tous
les segments de la société, car ce faisant, si les inégalités augmentaient,
elles pourraient compromettre la croissance à long terme. D’autre
part, les mécanismes de redistribution par le biais des prestations
sociales et de l’impôt, qui sont importants dans la zone OCDE puisqu’ils
réduisent en moyenne les inégalités de revenu au sein de la population
d’âge actif de 26 %
,
doivent être maintenus dans la mesure où ils sont neutres pour la
croissance.
99. À cet égard et afin de tirer les conséquences des résultats
de son étude sur l’accumulation du capital, l’OCDE préconise une
série de mesures axées sur les compétences et l’éducation et qui
concernent tant la formation initiale que la formation continue.
Elles se concentrent sur l’éducation et l’accueil des jeunes enfants, l’aide
aux parents d’enfants d’âge scolaire, la réduction des inégalités
au niveau des résultats scolaires, la modernisation des compétences
pour éviter leur obsolescence et la compréhension de la demande
de compétences afin d’assurer l’alignement sur l’offre.
100. En conclusion, je pense qu’il serait utile aux décideurs politiques
que nous sommes que l’OCDE poursuive ses travaux dans deux directions,
en examinant de manière plus approfondie le lien entre les inégalités
de patrimoine et la croissance et en précisant le niveau d’alerte
à partir duquel un pays peut craindre que les inégalités de revenu
nuisent à cette dernière. Nous savons en effet qu’il n’existe pas
un seuil pertinent pour tous les pays, les sociétés américaine (indice
Gini en 2014: 0,394), turque (0,393) ou chilienne (0,465) s’accommodent
par exemple d’inégalités beaucoup plus fortes que celles de pays
comme la Slovénie (0,255), la Norvège (0,252) ou l’Islande (0,244).
Mais peut-être existe-t-il différents seuils pertinents par groupe
de pays partageant certaines caractéristiques communes?
5. L’emploi
des jeunes au sein de l’OCDE: l’investissement dans l’éducation
et les compétences d’aujourd’hui créera les emplois de demain, la
croissance d’après-demain
101. L’emploi des jeunes au sein
de l’OCDE, définis, selon les études, ayant 15-24 ans ou 15-29 ans, prolonge
la réflexion menée sur les inégalités à bien des égards.
5.1. La
situation contrastée des jeunes
102. Les perspectives de l’emploi
publiées en 2016
rappellent
deux réalités: d’une part, le chômage des jeunes est très conjoncturel
par rapport à d’autres catégories d’actifs, ce qui pourrait laisser
penser que la reprise économique se chargera de les faire sortir
du chômage, d’autre part, les jeunes qui présentent une réelle vulnérabilité
économique sont de plus en plus nombreux.
103. Les jeunes ont ainsi été touchés par la Grande récession de
manière disproportionnée: leur taux de chômage dans la zone OCDE
est passé de 12,1 % en 2007 à 17,3 % durant la crise, soit une hausse
deux fois supérieure à celle enregistrée pour les salariés plus
âgés. A contrario, leur taux
de chômage a reculé plus rapidement que le taux de chômage global
et s’établissait à 13,4 % fin 2015. Pour autant, il demeure, à cette date,
supérieur à celui observé avant la crise dans 26 des pays de l’OCDE.
104. Le marché du travail des jeunes a été très dynamique après
la crise dans les pays où le marché global de l’emploi s’est le
plus rétabli. Ainsi, le taux de chômage des jeunes reste supérieur
de 10 points à ce qu’il était avant la crise en Espagne, en Grèce,
en Irlande et en Italie et inférieur à son niveau d’avant crise
en Allemagne et en Israël, pays où le chômage global est également
plus faible qu’en 2007.
105. Parallèlement, le nombre de jeunes déscolarisés, sans emploi
et ne suivant aucune formation (NEET pour Not in employment, education
or training) parmi les personnes âgées de 15 à 29 ans s’élevait
à 14,6 % en 2015, contre 13,5 % en 2007. Cela représente 40 millions
de jeunes dans la zone OCDE, parmi lesquels 27 millions ne recherchent
pas activement un emploi
. Depuis 2007, le nombre de NEET a crû dans
24 pays de l’Organisation, en particulier en Espagne, en Grèce,
en Irlande, en Italie et en Slovénie.
106. Or cette catégorie, qui reste hétérogène, présente néanmoins
une vulnérabilité économique de court terme du fait de sa situation
familiale: dans les pays de l’Union européenne, un NEET sur quatre
vit dans un ménage où personne n’a d’emploi, alors que ce rapport
est de 1 pour 10 pour les autres jeunes. En outre, la probabilité
de vivre dans un ménage sans emploi est de 44 % pour un NEET peu
qualifié qui n’a pas achevé le second cycle d’études secondaires,
ce qui expose ce dernier à un risque accru de pauvreté.
107. La crainte est évidemment que ces NEET peu qualifiés aient
de grandes difficultés à retrouver un emploi, y compris lorsque
le taux de chômage des jeunes sera redevenu celui qu’il était avant
la crise.
5.2. Favoriser
l’emploi des jeunes
108. Lors du Sommet d’Antalya de
novembre 2015, les dirigeants du G20 se sont donné pour objectif
de réduire à 15 % la part des jeunes les plus exposés au risque
d’exclusion définitive du marché du travail d’ici 2025. L’annexe
III de la déclaration adoptée à l’issue du Sommet se réfère explicitement
aux NEET et fixe neuf principes
devant guider les politiques en
faveur d’une amélioration de l’emploi des jeunes pour lesquels le G20
demande à l’OCDE et à l’Organisation internationale du travail d’assurer
un suivi.
109. Ces neuf principes ont ceci d’intéressant qu’ils recoupent
largement les neuf piliers du Plan d’action de l’OCDE pour les jeunes
adopté en 2013 tout en priorisant différemment les actions à entreprendre:
les effets de la crise se résorbant, l’effort doit moins porter
sur la lutte à court terme contre le chômage des jeunes, même s’il
faut la poursuivre activement, que sur l’amélioration de leurs perspectives
professionnelles à long terme, ce qui passe par des politiques renforçant
l’éducation et les compétences des jeunes.
110. Celles-ci apparaissent d’autant plus nécessaires dans la zone
OCDE que cette dernière estime qu’en 2025, 23 de ses membres atteindront
l’objectif du G20 et 11 n’y parviendront pas, si les tendances en
matière de réduction de chômage actuellement observées se poursuivent.
111. Améliorer les perspectives d’emploi à long terme des NEET
revient bien évidemment à lutter contre les inégalités en attendant,
au-delà de l’objectif de justice sociale, des effets bénéfiques
pour la croissance économique. Pour les NEET, encore plus que pour
la catégorie des jeunes dans son ensemble, la théorie de l’accumulation
du capital humain joue à plein. Il s’agit d’augmenter les opportunités
d’investissement – en fait, tout simplement de choix économiques
rationnels – d’une catégorie de personnes économiquement vulnérables.
112. Dans son étude «Tous concernés», l’OCDE propose une série
de mesures en ce sens. Par exemple, elle suggère que l’investissement
dans le capital humain débute dès la petite enfance en notant que
les résultats de son enquête PISA, qui mesure notamment les niveaux
d’éducation, montrent que la participation à une éducation de qualité
(telle que mesurée par le ratio enfants/personnel, la durée du programme
et les dépenses par enfant) est associée à de meilleurs résultats
en compréhension de l’écrit à l’âge de 15 ans, en particulier pour
les enfants issus de familles désavantagées sur le plan socio-économique.
113. Elle plaide également pour éviter les sorties prématurées
du système éducatif et cite l’exemple de la Nouvelle-Zélande où
les établissements scolaires envoient régulièrement des rapports
au Département de l’éducation sur tous les jeunes qui quittent le
système scolaire avec ou sans diplôme, le Département adressant
ceux qui ont besoin d’une formation complémentaire ou d’un soutien
personnalisé à des prestataires de services spécialisés.
114. Elle met aussi en avant l’importance de réduire les inégalités
au niveau des résultats scolaires: ainsi, des pays comme le Canada,
la Finlande, le Japon et la Corée auraient tous des systèmes pédagogiques attachés
à ce que les élèves désavantagés bénéficient des mêmes chances que
les élèves favorisés d’obtenir de bons résultats scolaires, ce qui
se traduit par de bons résultats en compréhension de l’écrit (enquête
PISA 2012) pour l’ensemble des élèves et meilleurs que ceux anticipés
pour les élèves désavantagés.
115. D’autres exemples sont donnés. Ils vont tous dans le même
sens: l’éducation et les compétences sont la clé pour accroître
la mobilité sociale des individus et bâtir une société plus riche
et plus juste, car plus inclusive. Investir dans notre jeunesse,
surtout quand elle est en difficulté, c’est préparer, selon la formule
de M. Helmut Schmidt, leurs emplois de demain et la croissance d’après-demain.
6. Suivi
des groupes parlementaires de l’OCDE
116. L’OCDE a à cœur d’associer
les parlementaires sur certaines de ses thématiques. Il importe
donc d’en donner un aperçu. En 2016 et 2017, deux groupes se sont
réunis, celui en matière fiscale et celui sur l’intégrité et la
transparence.
6.1. Le
Groupe parlementaire en matière fiscale
117. Selon le compte rendu de sa
cinquième réunion qui s’est tenue le 2 mai 2016, une partie des
échanges a porté sur les enjeux et les avancées du projet BEPS,
largement décrits dans ce rapport avec des données mises à jour.
118. Pour autant, trois thèmes qui ont été abordés méritent d’être
retenus. Tout d’abord, si tous les participants ont unanimement
salué les progrès du BEPS, certains parlementaires ont manifesté
leur souhait d’aller plus loin. Ainsi, le Président de la commission
spéciale sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par
leur nature ou par leur effet (TAXE) du Parlement européen, M. Alain
Lamassoure, a plaidé pour une liste commune OCDE–Union européenne
des paradis fiscaux, proposition qui n’a pas rencontré l’assentiment
du Secrétaire général de l’Organisation, M. Angel Gurría, qui semble
privilégier un dialogue ouvert et l’examen par les pairs pour convaincre
les pays non conformes de le devenir. Par ailleurs, certains parlementaires
ont appelé de leurs vœux un projet BEPS 2 qui augmenterait la transparence
dans le domaine fiscal et, surtout, qui lutterait contre l’évasion
fiscale agressive. Je pense qu’effectivement, à terme, il faudra s’attaquer
frontalement aux politiques fiscales agressives et pas seulement
aux paradis fiscaux ou aux lacunes du système fiscal international.
119. Le deuxième thème intéressant a trait au rôle des parlements
nationaux dans l’amélioration de ce système. Mme Michèle
André, présidente de la commission des Finances du Sénat français
a ainsi indiqué que ce dernier n’avait pas hésité à rejeter en 2011
une convention fiscale avec le Panama qui n’offrait pas de garde-fous
suffisants. De même, Mme Meg Hiller,
Présidente de la commission des comptes publics de la Chambre des
Communes du Royaume-Uni, a relaté les enquêtes lancées par sa commission
en 2012, 2013 et 2015 au cours desquelles elle s’est aperçue que
les EMN se soustrayaient à l’impôt au Royaume-Uni. Elle a également mentionné
les vives critiques suscitées par l’accord de £130 millions conclu
entre Google et le Service des impôts et des douanes britannique
(HMRC), certains parlementaires estimant que ce montant ne correspondait
pas à la taille de ses activités dans le pays.
120. Enfin, des échanges intéressants ont porté sur l’action de
l’Union européenne, la Commission lançant son paquet sur la lutte
contre l’évasion fiscale, essayant de faire en sorte que la mise
en œuvre du projet BEPS soit harmonisée dans les États membres et
se préparant à proposer des actions supplémentaires, comme la réactivation
de l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS).
À noter également que la proposition de création d’une commission
d’enquête sur les Panama Papers au sein du Parlement européen évoquée
lors cette réunion a bien été suivie d’effet: la commission d'enquête
chargée d'examiner les allégations d'infraction et de mauvaise administration
dans l'application du droit de l'Union en matière de blanchiment
de capitaux, d'évasion fiscale et de fraude fiscale, dite commission
PANA, a commencé ses travaux à partir de juillet 2016 et les poursuit
à ce jour.
6.2. Le
Groupe sur l’intégrité et la transparence
121. On peut retenir trois choses
de la première réunion de ce groupe (février 2017) centré sur les
moyens d’assurer l’intégrité et la transparence dans la vie politique.
122. La première est que le fossé entre les électeurs et leurs
représentants est grand: comme l’a indiqué Mme Stav
Shaffir, membre de la Knesset, 40 % seulement des citoyens font
confiance à leur gouvernement et la situation se détériore dans
plusieurs pays de l’OCDE.
123. La deuxième est que l’OCDE s’intéresse à la question, parce
qu’elle estime qu’intégrité et transparence dans la vie publique
font partie intégrante de la bonne gouvernance, qui a des répercussions
directes sur la création de richesses. À cet égard, l’OCDE a adopté
en janvier 2017 une recommandation sur l’Intégrité publique qu’elle
souhaiterait voir devenir une référence et qui présente la particularité
d’adopter une approche transversale en créant un cadre commun aux
responsables publics, aux entreprises, à la société civile et aux individus
pour bâtir un «système d’intégrité» cohérent. Son représentant a
insisté sur le fait que la responsabilité est la clé de ce système
et que les parlementaires sont en première ligne pour le faire respecter. Il
a indiqué, à titre d’exemple, que récemment encore, la grande majorité
des pays de l’OCDE ne disposaient pas de cadre légal pour les groupes
d’intérêt.
124. Enfin, l’OCDE est prête à aider les pays qui le souhaitent
dans la mise en œuvre de cette recommandation, y compris par la
création d’un examen par les pairs. Elle a d’ailleurs été sollicitée
par des pays membres, tels le Mexique ou la République slovaque,
de même que par des pays non membres, comme l’Argentine, la Colombie
ou le Pérou, pour conduire un examen d’intégrité, qui a débouché
sur plusieurs propositions concrètes.
7. Conclusion
125. Ce rapport a été rédigé dans
un contexte international en apparence peu favorable à une mondialisation ouverte,
au multilatéralisme et au libre-échange. 2016 et 2017 ont en effet
été les années du Brexit avec la volonté du Royaume-Uni de quitter
le marché unique européen, de la remise en cause du Partenariat
Trans-Pacifique entre les États-Unis et l’Asie, de la sortie américaine
de l’Accord de Paris sur le climat, du refus du gouvernement américain
de condamner le protectionnisme dans la déclaration du G20 Finances
réuni à Baden-Baden en mars 2017, des divergences de vues assumées
au sein du G7 en mai 2017 entre le Président Trump et ses partenaires
sur les questions du commerce international et de l’environnement.
126. Pour autant, ce rapport le prouve, le multilatéralisme est
une nécessité si nous souhaitons une mondialisation plus juste.
Sans multilatéralisme, point de lutte efficace contre la fraude
fiscale, contre l’érosion des bases d’imposition, contre les pratiques
de concurrence fiscale agressive. Non seulement, le multilatéralisme
est nécessaire, mais il fonctionne, comme en attestent les retours
des exilés fiscaux avant la mise en place de l’AEOI. Et, en l’espèce,
il est bien mis au service d’une mondialisation pour tous et non
pour quelques-uns.