1. Introduction
1.1. Procédure
1. Le 23 juin 2014, l’Assemblée
parlementaire a renvoyé devant la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, pour rapport, la proposition de résolution
«Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont
les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?».
Lors de sa réunion du 25 juin 2014 à Strasbourg, la commission a
nommé comme rapporteur M. Pedro Agramunt (Espagne, PPE/DC). Sur
la base d’une note d’information du rapporteur, la commission a
tenu des discussions sur ce sujet lors de ses réunions des 30 octobre
2014 (à Madrid) et 10 décembre 2014 (à Paris). Suite à l’élection
de M. Agramunt à la présidence de l’Assemblée en janvier 2016, lors
de sa réunion à Paris le 7 mars 2016, la commission m’a nommé rapporteur.
Le 18 mai 2016, la commission m’a autorisé à effectuer une visite d’information
en Azerbaïdjan. Par la suite, je me suis rendu à Bakou les 9 et
10 février 2017 et j’ai présenté un rapport oral de cette visite
à la commission lors de sa réunion du 7 mars 2017 à Paris.
1.2. Questions
en jeu
2. Dans sa proposition de résolution
d’avril 2014, les signataires de ce texte se sont préoccupés du
fait que des arrestations et des détentions de personnes qui participaient
à la vie politique et publique en Azerbaïdjan s’étaient multipliées
depuis l’adoption par l’Assemblée de la
Résolution 1917 (2013) sur le respect des obligations et engagements de l’Azerbaïdjan.
La proposition de résolution indique notamment qu’une peine de sept
ans d’emprisonnement a été infligée à deux responsables politiques
de l’opposition, M. Ilgar Mammadov, chef de file du parti Mouvement
Alternative républicaine (REAL), qui dirigeait également l’École
d’études politiques du Conseil de l’Europe à Bakou, et M. Tofiq
Yagoublou, numéro deux du Parti Musavat, et que M. Anar Mammadli,
directeur du Centre d’observation des élections et d’études démocratiques
(EMDS), a été placé en détention provisoire. Selon ses signataires,
vu que l’Azerbaïdjan allait bientôt assumer la présidence tournante
du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (entre mi-mai et
mi-novembre 2014), il était essentiel d’aborder les préoccupations
relatives à la mise en œuvre des libertés fondamentales, et surtout
aux détentions motivées par des considérations politiques, dans
ce pays.
3. Plus tard en 2014, d’autres militants ont été arrêtés, dont:
l’avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme M. Intigam
Alliyev; le fondateur de l’organisation non gouvernementale «Human
Rights Club» M. Rasul Jafarov; Mme Leyla
Yunus, directrice de l’Institut pour la paix et démocratie et son
mari M. Arif Yunus, historien; la journaliste d’investigation Mme Khadiya
Ismayilova et M. Rauf Mirqadirov, journaliste. M. Emin Huseynov,
journaliste et militant de la liberté d’expression, s’est réfugié
à l’ambassade de Suisse à Bakou en août 2014. En juin 2015, il a
été transféré en Suisse, et les autorités l’ont déchu de sa nationalité azerbaïdjanaise.
4. Les principaux organes du Conseil de l’Europe, d’autres organisations
internationales (dont l’Union européenne, l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et les Nations Unies)
et plusieurs
organisations non-gouvernementales ont condamné ces arrestations.
Dans une déclaration du 7 août 2014, M. Nils Muižnieks, Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a indiqué que, «en réprimant
toute dissidence, l’Azerbaïdjan manque à ses obligations internationales
de protéger la liberté d’expression, de réunion et d’association»
et a réclamé la libération des militants détenus.
5. Depuis, les circonstances ont changé et l’Azerbaïdjan n’assume
plus la présidence du Comité des Ministres depuis mi-novembre 2014.
Suite au décret de grâce présidentiel du 17 mars 2016, 148 personnes, dont
14 «prisonniers d’opinion» (défenseurs des droits de l’homme, journalistes,
militants d’organisations de jeunesse, militants politiques ou membres
d’ONG), ont été libérées, dont Anar Mammadli, Rasul Jafarov et Tofiq
Yagoublou. Plus tard, en 2015, Rauf Mirqadirov, Intigam Aliyev,
Khadiya Ismayilova ainsi que Leyla et Arif Yunus ont été libérés
suite à des décisions des tribunaux nationaux, qui ont commué leurs
peines d’emprisonnement en peines d’emprisonnement avec sursis.
Quant à Leyla et Arif Yunus, en avril 2016, ils ont obtenu la permission
de partir à l’étranger (aux Pays-Bas) pour des raisons de santé.
En outre, suite à un autre décret de grâce de mars 2017 d’autres
prisonniers ont été libérés.
6. Néanmoins, malgré ces développements, de fortes réserves sur
la situation des droits de l’homme dans ce pays ont été émises au
sein du Conseil de l’Europe (notamment par l’Assemblée-même et le
Commissaire aux droits de l’homme), d’autres organisations internationales
– notamment l’Union européenne et les Nations Unies – ainsi que
par plusieurs ONG œuvrant dans ce domaine (comme Amnesty International,
Human Rights Watch ou Human Rights House). Dans sa
Résolution 2062 (2015) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Azerbaïdjan, l’Assemblée a exprimé son inquiétude quant à l’absence
d’indépendance du pouvoir judiciaire, la situation de la société
civile, les poursuites judiciaires lancées contre des journalistes, dirigeants
d’ONG ou des avocats, tous critiques des autorités, ainsi que des
violations du droit à la liberté d’expression et d’association
. La situation est toujours en cours
d’examen par les corapporteurs de la commission pour le respect
des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe («commission
de suivi»). Ainsi, dans mon rapport, je souhaite examiner en détail
certaines questions liées au respect des droits de l’homme: le respect
des libertés politiques (d’expression, d’association et de réunion),
de la liberté de religion, de la prohibition de la torture et des
traitements inhumains ou dégradants, ainsi que du droit à un procès
équitable. J’aborderai aussi la question des différentes listes
de «prisonniers de conscience» ou de «prisonniers politiques», étant
donné le nombre d’interlocuteurs m’ayant signalé le problème de poursuites
pénales qui auraient pu être «politiquement motivées».
7. Je voudrais aussi rappeler que la question du respect du principe
de l’État de droit, et notamment de la séparation des pouvoirs,
soulève des controverses. Suite au référendum qui s’est tenu le
26 septembre 2016, les amendements constitutionnels visant à élargir
les pouvoirs du Président de la République et de l’exécutif et à
diminuer ceux du parlement ont été approuvés, malgré une critique
de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise)
. Selon cette dernière,
ces amendements peuvent aussi mener à limiter certains droits de
l’homme, notamment le droit de propriété.
8. Avant de me rendre en Azerbaïdjan, je me suis entretenu à
plusieurs reprises avec des représentants de certaines ONG azerbaïdjanaises.
Lors de ma visite à Bakou en février dernier, j’ai rencontré un
grand nombre d’interlocuteurs, dont le Président de la République,
le ministre de la Justice, des juges de la Cour suprême, le chef
de l’administration présidentielle, le Procureur général, des ambassadeurs
de l’Union européenne, de ses États membres et des États Unis d’Amérique
et des représentants d’ONG. Chacun de ces interlocuteurs avait des
points de vue et/ou des analyses plus ou moins divergents sur la
situation sur le terrain. Le présent rapport tentera, dans la mesure
du possible, de retranscrire au mieux les points de vue antagonistes exprimés
sur certaines thématiques afin que leur richesse ressorte au mieux.
2. Contexte géopolitique
9. La situation en Azerbaïdjan
doit être analysée par rapport à son contexte géopolitique, qui
est particulièrement difficile. En effet, ce pays a toujours été
au confluent des influences russe, ottomane et perse. Ses voisins
sont:
- l’Iran dont le régime
politique est une théocratie dictatoriale basée sur l’application
de la sharia et qui est un des pays au monde qui exécute le plus
de condamnés;
- le Turkménistan, un des régimes les plus fermés au monde;
- l’Arménie avec laquelle l’Azerbaïdjan a connu une guerre
qui lui a enlevé la province du Haut-Karabakh et sept provinces
adjacentes qui sont occupées par l’Arménie mais que celle-ci reconnaît
comme ne faisant pas partie de son territoire;
- la Géorgie dont une partie du territoire est occupée par
des forces pro-russes;
- la Fédération de Russie, et plus précisément la République
du Daghestan, où ont lieu des violations massives des droits de
l’homme, y compris des meurtres et assassinats politiques en nombre
élevé. Pas loin de l’Azerbaïdjan se situe aussi la République tchétchène
qui connaît une situation sécuritaire similaire à celle de la République
du Daghestan. Dans ces deux provinces, les autorités sont confrontées
à une violente insurrection islamiste qui est durement réprimée.
Lors de sa partie de session d’avril 2017, l’Assemblée a adopté
la Résolution 2157 (2017) «Les droits de l’homme dans le Caucase du Nord: quelles
suites donner à la Résolution
1738 (2010)?», dans laquelle elle s’est montrée extrêmement préoccupée
par la situation des droits de l’homme dans cette région .
10. Selon plusieurs résolutions d’organisations internationales
comme le Conseil de sécurité des Nations-Unies et notre Assemblée,
en Azerbaïdjan, la province du Haut-Karabakh et les autres provinces environnantes
sont illégalement occupées par l’Arménie. Les autorités estiment
que l’Europe et le Conseil de l’Europe font preuve de double standard
en ne s’occupant pas de ce problème qu’elles considèrent pourtant comme
absolument prioritaire. Selon elles, les plus grosses violations
des droits de l’homme en Azerbaïdjan sont issues des violations
du droit de 1,5 millions de personnes à retourner chez elles.
3. Relations
avec le Conseil de l’Europe
11. L’Azerbaïdjan tout comme l’Arménie,
la Géorgie et la Fédération de Russie est membre du Conseil de l’Europe
et Partie à la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5, «la Convention») qu’il a ratifiée
en 2002. L’Azerbaïdjan est devenu le 43ème État
membre du Conseil de l’Europe le 25 janvier 2001. En ce qui concerne
les signatures et ratifications des traités du Conseil de l’Europe,
l’Azerbaïdjan a signé (seulement) huit conventions, 63 traités ont
été à la fois signés et ratifiés et 134 demeurent encore aujourd’hui non
signés
.
12. L’Azerbaïdjan a ratifié la Convention en 2002. Depuis lors,
la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a rendu 128
arrêts constatant des violations des droits de l’homme (notamment
des violations des articles 3, 5, 6, 11 de la Convention ainsi que
des articles 1 et 3 du Protocole no 1
(STE no 9))
; 184 affaires ont été transmises
au Comité des Ministres pour surveillance de l’exécution et trois
affaires ont été closes par des résolutions finales
. Le Comité des Ministres examine
un certain nombre d’affaires azerbaïdjanaises sous la procédure
soutenue. Il s’agit des arrêts portant sur le droit à un procès
équitable
,
l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants
, le droit de propriété,
y compris de personnes déplacées suite au conflit au Nagorno-Karabakh
,
le droit à la liberté et à la sûreté
, la
liberté de réunion et d’association
, le
droit à des élections libres et équitables
,
et la liberté d’expression
.
13. En 2016, la Cour a traité 186 requêtes concernant l’Azerbaïdjan
dont 136 déclarées irrecevables ou dont elle n’a pas poursuivi l’examen
(requêtes rayées du rôle). La Cour a prononcé 16 arrêts (portant
sur 50 requêtes) qui ont conclu à au moins une violation de la Convention
. Selon les dernières
statistiques de la Cour, sur 93 200 requêtes pendantes devant cette
dernière au 31 mai 2017, 2 000 – à savoir 2,1 % de la totalité de
ces requêtes – avaient porté contre l’Azerbaïdjan, ce qui le place
en 7ème position quant aux États ayant
le plus grand nombre de requêtes pendantes devant la Cour
. En décembre 2015, le Secrétaire
général du Conseil de l’Europe a ouvert une enquête sur le respect
des droits de l’homme en Azerbaïdjan, sur la base de l’article 52
de la Convention.
14. De nombreuses recommandations sont formulées de manière à
apporter un soutien du Conseil de l’Europe à l’exécution des arrêts
de la Cour. Selon les autorités, un département serait consacré
à l’application de la Convention et un site internet recenserait
les différents arrêts. De même, lorsque des lois contreviendraient
à la Convention, elles seraient renvoyées au parlement pour les
amender. Selon le ministre de la Justice, le traitement des procédures
dans le cadre de la Convention devrait être accéléré afin d’éviter
des cas comme celui d’Ilgar Mammadov, évoqué plus loin dans ce rapport.
15. Un
Plan
d’action (2014-2016) a été mis en place suite à une initiative conjointe
du Conseil de l’Europe et des autorités azerbaïdjanaises. Dans ce
plan, plusieurs éléments sont mis en évidence, notamment:
- la loi sur la liberté de réunion
de 2008 qui tenait compte des principales recommandations de la Commission
de Venise;
- la publication depuis 2007 d’un bulletin de la Cour européenne
des droits de l’homme où figurent ses derniers arrêts qui fait l’objet
d’une large diffusion auprès des juges, des procureurs, des avocats
et de la société civile.
16. Selon le rapport du Groupe d’États contre la corruption (GRECO)
publié le 17 mars 2017
, l’Azerbaïdjan a mis en œuvre de
façon satisfaisante 11 des 21 recommandations contenues dans le
Rapport d’Évaluation du Quatrième Cycle («Prévention de la corruption
des parlementaires, juges et procureurs»). Quatre d’entre elles,
y compris certaines concernant le Conseil supérieur de la magistrature,
responsable de la nomination des juges et des procédures disciplinaires,
ont été partiellement mises en œuvre et six ne l’ont pas été, y
compris celles concernant la déclaration de patrimoine des juges
et des procureurs. Il convient de noter que le Baromètre global
sur la corruption de Transparency International classe l’Azerbaïdjan
à la 123ème place en 2016 sur 176 pays
.
4. Les
droits de l’homme et libertés fondamentales
17. Les autorités prétendent que
les libertés d’association, de réunion et d’expression sont garanties.
Selon certaines ONG de renom, ce n’est pas le cas. Par exemple,
Freedom
House donne pour l’année 2017 les moins bons scores (7: moins
démocratique) dans presque chacune des catégories évaluant la démocratie
en Azerbaïdjan. Amnesty International dans son
rapport
2016/2017 fait état d’une dégradation du respect des droits de
l’homme en Azerbaïdjan. De plus, on trouve des constats similaires
dans le
rapport
de 2016 du Département d’État américain (
US Department of State)
sur les droits de l’homme dans ce pays.
4.1. Liberté
d’expression et situation des médias
18. Concernant la liberté d’expression,
selon les autorités, le paysage médiatique n’est pas comparable
à celui de démocraties plus anciennes. Il n’existerait pas de chaîne
de télévision réellement indépendante diffusée par les canaux classiques.
En dehors de ceux-ci, il y a Meydan TV basée à Berlin, Azaklink.org
(Radio Free Europe) basée à Prague et d’autres comme Azklik, Turan.tv
et Musavat news. Il existe un journal d’opposition, Yeni Musavat, mais d’après certains
observateurs, l’indépendance de ce journal n’est plus aussi vivante
que ce qu’elle était par le passé depuis 2014. Les principaux médias
d’opposition sont diffusés via internet où il existe des chaînes
de télévision, des radios, des journaux et des blogs qui sont extrêmement critiques
du gouvernement et des institutions.
19. Certains blogs sont très populaires et ont des dizaines de
milliers de lecteurs. C’est notamment l’exemple d’un blog destiné
à exposer des affaires de corruption ayant 300 000 followers sur
Facebook, à savoir celui du blogueur Mehman Huseynov, que j’ai rencontré
en personne lors de ma visite à Bakou en février 2017.
20. Selon le rapport de 2017 de Freedom House sur la liberté dans
le monde (
Freedom
in the world 2017), la presse en Azerbaïdjan n’est «pas libre» et internet
y est «partiellement libre». D’après
Reporters sans frontières, l’Azerbaïdjan occupe le 162ème rang
sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse
. Dans son
rapport
de 2016/2017, Amnesty International s’inquiète des représailles des
journalistes indépendants, rappelant que tous les grands médias
restent contrôlés par le gouvernement. Comme exemples de représailles
en 2016, cette organisation cite notamment l’ouverture en avril
2016 d’une enquête concernant Meydan TV et 15 journalistes y travaillant
et – en novembre – l’arrestation des journalistes Afgan Sadykhov
et Teymur Kerimov inculpés de coups et blessures alors qu’ils avaient
été eux-mêmes victimes d’une agression de la part d’inconnus, et
des menaces adressées par des policiers à Zamin Gadji, travaillant
pour le journal d’opposition
Yeni Musavat. Ces
représailles ont apparemment continué en 2017.
21. Le 3 mars 2017, Mehman Huseynov, le blogueur mentionné ci-dessus,
a été condamné à deux ans de prison pour diffamation des agents
de police, car il prétendait avoir été torturé par la police lors
de son arrestation en janvier 2017. Cette condamnation, qui a été
confirmée en appel, a été largement désavouée notamment par la société
civile
et l’Union européenne
. Suite à une lettre que j’ai adressée
au ministre de la Justice, le directeur du département des droits
de l’homme et des relations publiques M. Faig Gurbanov m’a répondu
le 20 juin dernier en indiquant que les avocats de M. Huseynov ont
déposé un pourvoi en cassation et qu’il recevait les soins médicaux
appropriés lors de sa détention et jouissait de tous les droits
qui sont accordés aux détenus.
22. Je me suis aussi intéressé au cas du blogueur Mehman Galandarov,
qui a été retrouvé pendu dans sa cellule au centre de détention
no 1 de Bakou le 28 avril dernier suite
à son arrestation en février 2017. Selon certaines sources, cette
arrestation était aussi liée aux propos de soutien à un des «prisonniers
de conscience» exprimés par M. Galandarov sur son compte privé Facebook
. Par voie de communiqué de presse
et d’un courrier au ministre de la Justice, j’ai demandé aux autorités
de mener une enquête sur les circonstances de ce décès
. Cet appel a été aussi
réitéré par le Parlement européen dans sa résolution du 15 juin
dernier concernant le cas d’Afghan Mukhtarli, ainsi que par le Département
d’État des États-Unis
. Dans sa lettre du 20 juin dernier,
M. Gurbanov m’a indiqué que M. Galandarov avait été incarcéré pour
avoir eu des drogues en sa possession et qu’une enquête concernant
les circonstances de son décès était en cours auprès du procureur
de Bakou. Selon les autorités, M. Galandarov, qui aurait souffert
de troubles psychologiques, aurait consommé de la drogue et été
dépendant de l’alcool, et se serait suicidé. Il n’a pas été torturé.
Selon elles, M. Galandarov n’aurait été ni blogueur, ni journaliste,
ni membre d’un parti politique.
23. Le 29 mai 2017, Afghan Mukhtarli, un journaliste indépendant
vivant en Géorgie, a été prétendument enlevé devant son domicile
et ramené de force en Azerbaïdjan, où il a été placé en détention
provisoire. Il est accusé de franchissement illégal de la frontière,
de contrebande de € 10 000 et de violences envers la police. Selon
des ONG, il y risque la torture et une peine de prison exceptionnellement
longue
. Des rapporteurs de notre Assemblée
ont exprimé leur préoccupation quant à cet incident
. En outre, dans sa résolution
du 15 juin dernier, le Parlement européen a fermement condamné son
enlèvement et son placement en détention provisoire comme une grave
violation des droits de l’homme. Il considère que les poursuites
visant M. Mukhtarli sont fondées sur de faux chefs d’accusation
et qu’il fait l’objet de persécutions pour son travail en tant que
journaliste indépendant. Ainsi, le Parlement européen demande aux
autorités azerbaïdjanaises d’abandonner toutes les charges retenues
contre lui et de le libérer. Il estime aussi que ce cas «illustre
une nouvelle fois la prise pour cible et la persécution par les
autorités azerbaïdjanaises des opposants vivant en exil ainsi que
de leurs proches restés dans le pays d’origine» et «rappelle les
précédentes affaires dans lesquelles des mandats d’arrêt internationaux
ont été demandés pour des citoyens azerbaïdjanais vivant en exil
et ayant exprimé des critiques à l’égard du pouvoir»
.
24. Amnesty International m’a aussi rapporté d’autres cas de persécutions
de journalistes indépendants, notamment d’Aziz Orudjev et de Nijat
Amiraslanov. Le premier est aussi directeur de la plateforme internet «Internet
TV Kanal-13» qui est un forum de discussion pour les défenseurs
des droits de l’homme et les militants d’opposition. En mai 2017,
il a été placé en détention administrative pour 30 jours pour avoir prétendument
résisté aux ordres de la police. Début juin, une enquête pénale
a été ouverte contre lui pour soupçons d’entreprise illégale et
abus de pouvoir. Il a été placé en détention provisoire et risque
une peine d’emprisonnement allant jusqu’à sept ans. Quant à Nijat
Amiraslanov, il aurait été torturé, alors qu’il avait été placé
en détention administrative pour 30 jours pour avoir résisté aux
ordres de la police. Selon certaines ONG, il aurait subi ces représailles
suite aux commentaires critiques du gouvernement qu’il avait publiés
sur Facebook.
25. Le 12 mai 2017, le tribunal de district de Bakou Sabal a tranché
en faveur de la demande du ministre du Transport, des Communications
et des Hautes Technologies de bloquer l’accès en Azerbaïdjan aux
sites d’informations en ligne de Radio Free Europe/Radio Liberty’s
(RFE/RL) Azerbaijani Service (azadliq.org), Meydan TV (meydan.tv),
Azadliq Daily (azadliq.info), Turan TV (kanalturan.com) et Azerbaijani
Hour (Azerbaycansaati.com et Azerbaycansaati.tv). En même temps,
selon certaines ONG, les autorités ont décidé de restreindre partiellement
les appels vocaux en Azerbaïdjan via WhatsApp, Telegram, Skype,
Facebook messenger et Facetime. J’ai exprimé mon inquiétude quant
à ces démarches dans mon courrier adressé au ministre de la Justice;
ce dernier m’a informé que la décision du 12 mai dernier était en
cours d’examen suite à un appel intenté contre elle et que certains
des sites concernés étaient toujours accessibles, car ils avaient changé
de domaine ou de dénomination. Il n’y a pas de restrictions à l’usage
des messageries instantanées; il se peut qu’il y ait eu des perturbations
dans les communications lors de la quatrième édition des «4ème jeux de
la solidarité islamique».
26. Le Comité des Ministres examine toujours l’exécution des arrêts
Mahmudov et Agazade de 2008 et
Fatullayev de 2010 concernant des
violations du droit des requérants journalistes, à leur liberté
d’expression (violations de l’article 10 de la Convention) suite
à des condamnations pénales pour diffamation (et, plus précisément,
à une peine d’emprisonnement dans la première affaire)
. Même si aucune mesure individuelle n’est
plus requise dans ces affaires, le Comité des Ministres examine
la question des mesures générales, à savoir des mesures visant à
aligner la loi sur la diffamation et son application aux normes
découlant de la Convention et de la jurisprudence de la Cour. Rappelons
que la diffamation est toujours passible d’emprisonnement en droit
pénal azerbaïdjanais, la condamnation du blogueur Mehman Huseynov
en mars 2017 en étant un exemple. Selon les informations fournies
au Comité des Ministres par le gouvernement, les tribunaux n’ont
plus recours aux condamnations pénales depuis 2011
. Le 21 février 2014, la Cour suprême azerbaïdjanaise
réunie en plénière a publié une décision qui rappelle aux juridictions
inférieures les exigences de la Convention en matière de liberté
d’expression et de diffamation et souligne la nécessité d’infliger
une peine d’emprisonnement pour diffamation uniquement dans des
«situations exceptionnelles»
. Un projet de loi relative à la
diffamation a été soumis à la Commission de Venise, qui l’a jugé
incompatible avec les principes fondamentaux énoncés par la jurisprudence
de la Cour
.
À ce jour, il n’y a pas eu d’autres amendements visant à dépénaliser
la diffamation et, en mai 2013, avant le cas du blogueur M. Huseynov
et le décès en détention du blogueur M. Galandarov, la responsabilité
pénale pour diffamation a été étendue aux «sources d’information
publiées sur internet»
.
En novembre 2016, le parlement a voté un amendement qui prévoit
une peine d’emprisonnement pour diffamation du Président de la République
.
27. Vu l’absence de progrès sur ces questions, le Comité des Ministres
a adopté quatre résolutions intérimaires
sur
ce sujet. En décembre 2016, tout en réitérant l’importance d’un
dialogue constructif entre l’Azerbaïdjan et le Comité des Ministres,
il a exprimé sa sérieuse préoccupation à l’égard des récents amendements
législatifs au Code pénal introduisant de nouvelles infractions
pour diffamation passibles de peines d’emprisonnement, sans qu’il
soit tenu compte de la circonstance d’incitation à la violence ou
à la haine. En mars 2017, il a rappelé sa position exprimée dans
ses décisions précédentes et a noté avec intérêt l’adoption du Décret
présidentiel du 10 février 2017 prévoyant un certain nombre de mesures
également pertinentes pour ce groupe d’affaires (voir ci-après).
28. Dans sa
Résolution
2062 (2015), l’Assemblée s’est dite «profondément préoccupée par
le nombre croissant de mesures de représailles visant des médias
indépendants et des défenseurs de la liberté d’expression en Azerbaïdjan»
(paragraphe 9). A cet égard, elle a déploré l’application arbitraire
de la législation pénale visant à limiter la liberté d'expression,
notamment à l’encontre de journalistes et de blogueurs, et a recommandé
de «prendre les mesures nécessaires pour assurer un réexamen véritablement
indépendant et impartial, par le système judiciaire, des affaires
impliquant des journalistes et d’autres personnes ayant exprimé
des opinions critiques». En outre, elle a appelé les autorités à
«créer des conditions adéquates pour permettre aux journalistes
d’effectuer leur travail et à s’abstenir de toute forme de pression
sur eux» (paragraphe 11.6.1). Elle les a aussi appelé à «intensifier
les efforts en vue de la dépénalisation de la diffamation, en coopération
avec la Commission de Venise, afin d’assurer que la diffamation
n’est pas associée à des sanctions pénales excessivement sévères,
y compris des peines d’emprisonnement; et, entre-temps, à appliquer
la législation en vigueur avec prudence afin d’éviter des peines
d’emprisonnement pour ce type d’infraction» (paragraphe 11.6.4).
29. L’état de la liberté d’expression et de la liberté des médias
ainsi que la détention de plusieurs jeunes bloggeurs sont l’objet
des récentes préoccupations des corapporteurs de la commission de
suivi
.
En outre, dans sa
Résolution
2141 (2017) sur les attaques contre les journalistes et la liberté
des médias en Europe, l’Assemblée a émis quelques recommandations
très concrètes concernant la situation de certains médias et journalistes
en Azerbaïdjan (voir paragraphe 11) et a regretté l’absence d’information
sur les mesures prises pour se conformer aux arrêts du groupe
Mahmudov et Agazade. Elle a aussi
exprimé sa préoccupation suite aux récentes modifications du Code
pénal, qui introduisent de nouvelles infractions de diffamation
punissables d’emprisonnement sans distinction selon qu’elles s’accompagnent
ou non d’incitation à la violence ou à la haine (paragraphe 10).
Des préoccupations ont été aussi exprimées en novembre 2016 par
la Commission des droits de l’homme des Nations Unies
.
4.2. Liberté
de réunion
30. La loi relative à la liberté
de réunion a été modifiée en 2008 sur le conseil de la Commission
de Venise
, mais
il semble que la «procédure de notification» ait été davantage interprétée
comme une «procédure d’autorisation». Le droit azerbaïdjanais prévoit
de lourdes sanctions pour l’organisation de rassemblements publics
«non autorisés» ou la participation à ceux-ci, à savoir la détention
administrative ou des amendes élevées. Cette situation a déjà été
critiquée par la Cour européenne des droits de l’homme dans une
dizaine d’arrêts concernant des manifestations pacifiques organisées
entre 2010 et 2014 (voir groupe
Gafgaz Mammadov
c. Azerbaïdjan );
malheureusement, aucun progrès n’a été réalisé quant aux mesures
générales requises par le Comité des Ministres pour la mise en œuvre
de ces arrêts.
31. Aucune manifestation n’a été autorisée au centre de Bakou
depuis 2006
.
Lorsque des manifestations ont lieu, elles sont dans bien des cas
dispersées par les autorités, qui recourent souvent à la force;
c’était notamment le cas des manifestations organisées par le mouvement
NIDA, de la manifestation organisée par le Parti Front Populaire
le 17 septembre 2016 et d’autres manifestations organisées avant
le référendum du 26 septembre 2016
.
Dans sa jurisprudence antérieure, la Cour européenne des droits
de l’homme a estimé que les traitements subis par les manifestants
constituaient des «mauvais traitements» et a conclu que les enquêtes
ouvertes au sujet de ces violences n’avaient pas été menées en bonne
et due forme (violation substantielle et procédurale de l’article
3 de la Convention)
. Selon le rapport 2016/2017 d’Amnesty International,
les modifications de la Constitution adoptées à l’issue du référendum
de septembre 2016 ont accordé au gouvernement des pouvoirs renforcés
quant à la restriction de la liberté de réunion pacifique.
4.3. Liberté
d’association et situation de la société civile et des défenseurs
des droits de l’homme
32. Bien que la Constitution azerbaïdjanaise
protège le droit à la liberté d’association, le respect de cette liberté
fondamentale a été source de grandes préoccupations ces dernières
années. Les difficultés rencontrées par les ONG locales ou internationales
pour obtenir leur enregistrement
ou recevoir des dons provenant de sources
étrangères, notamment suite aux modifications législatives de 2013
et 2014, ainsi que les procédures pénales instituées contre des
dirigeants des ONG ou des militants pour soupçon de non-respect
de la législation très stricte sur les ONG ont déjà été traitées
par la commission de suivi ainsi que par notre commission.
33. Dans sa
Résolution
2062 (2015), l’Assemblée s’est préoccupée de la situation de la
société civile (paragraphe 8) et a appelé les autorités azerbaïdjanaises
à «réviser la loi sur les ONG en vue de répondre aux préoccupations
exprimées par la Commission de Venise
» et à «créer un environnement propice
aux activités légitimes des ONG, y compris celles exprimant des
avis critiques» (paragraphe 11.7). Dans sa
Résolution 2096 (2016) «Comment prévenir la restriction inappropriée des activités
des ONG en Europe?», adoptée le 28 janvier 2016, l’Assemblée s’est
exprimée dans le même sens et s’est encore inquiétée de la détérioration de
la situation de la société civile en Azerbaïdjan
. Dans sa
Résolution 2095 (2016), «Renforcer la protection et le rôle des défenseurs des
droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe»,
adoptée le même jour, l’Assemblée s’est montrée extrêmement préoccupée
par les cas de représailles accrues à l’encontre des défenseurs
des droits de l’homme en Azerbaïdjan
. La situation de la
société civile et des défenseurs des droits de l’homme fait l’objet
de nouveaux rapports au sein de notre commission
.
34. Rappelons aussi que dans l’affaire
Rasul
Jafarov c. Azerbaïdjan , dans
laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à plusieurs
violations de la Convention suite à l’arrestation de ce militant,
elle a observé que le cadre législatif relatif au fonctionnement
des ONG avait contraint certaines d’entre elles à exercer leurs
activités en marge de la législation, et a conclu que la législation
azerbaïdjanaise relative aux ONG était devenue «de plus en plus
dure et restrictive», en raison de la mise en place de procédures supplémentaires
d’enregistrement et de déclaration et de lourdes peines
. Elle a aussi noté que
plusieurs militants des droits de l’homme qui avaient coopéré avec
des organisations internationales, dont le Conseil de l’Europe,
avaient été arrêtés et accusés d’avoir commis de graves infractions.
Selon la Cour, l’arrestation du requérant faisait partie d’une grande
campagne de répressions contre les défenseurs des droits de l’homme, qui
s’était intensifiée au cours de l’été 2014 et elle visait à le faire
taire en raison de ses activités dans le domaine des droits de l’homme;
ainsi, la Cour a conclu à une violation de l’article 18 (abus dans
la restriction des droits) combiné avec l’article 5 de la Convention.
35. En outre, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation
des défenseurs des droits de l'homme, M. Michel Forst
(suite à sa visite de septembre
2016), et la Commission des droits de l’homme des Nations Unies
se sont aussi inquiétés de la détérioration
de la situation de la société civile en Azerbaïdjan.
36. En octobre 2016, l’Initiative pour la transparence dans les
industries extractives (ITIE), un regroupement de gouvernements,
d’entreprises et de groupes non gouvernementaux qui promeuvent une
meilleure gouvernance des pays détenteurs d’importantes ressources,
ce qui suppose que leurs gouvernements créent «un environnement
propice à la société civile», a donné quatre mois à l’Azerbaïdjan
pour supprimer les obstacles juridiques et bureaucratiques aux activités
de la société civile
. Par la
suite, le gouvernement a quitté l’ITIE
.
37. Depuis fin 2015, d’autres modifications ont été apportées
à la législation sur les ONG. Le 28 décembre 2015, le ministre de
la Justice a adopté un nouveau «règlement relatif à l’examen des
activités des ONG antennes ou bureaux de représentation d’ONG étrangères»,
qui confère au ministre des pouvoirs étendus d’enquête «ordinaire»
ou «extraordinaire» sur les ONG
. Le 21
octobre 2016, le Président de la République a pris un décret qui
devrait faciliter le versement aux ONG de subventions provenant
de donateurs étrangers et met en place un «guichet unique» pour
l’application de cette procédure à compter du 1er janvier
2017
. Selon les
informations qu’ont obtenues les corapporteurs de la commission
de suivi, la législation relative aux ONG était en cours de révision.
Dans son commentaire du 4 avril 2017 sur
«La
marge de liberté des organisations de défense des droits de l’homme
s’amenuise», le Commissaire aux droits de l’homme a réitéré son
inquiétude quant aux exigences bureaucratiques très élevées pour
l’enregistrement des ONG, la grande discrétion du ministre de la
Justice à cet égard, ainsi que quant aux autres obstacles administratifs
excessifs imposés aux ONG et à leurs donateurs. Le Commissaire a
estimé également que, malgré la simplification alléguée de la procédure
d’enregistrement des donations, les procédures concernant la réception
de ces dernières sont tellement fastidieuses que plusieurs ONG indépendantes
ont dû réduire ou arrêter leurs travaux ou se sont installées à
l’étranger. Il est devenu très difficile de mener des activités
en matière de protection des droits de l’homme en Azerbaïdjan. En
outre, dans une
déclaration
du 17 mai 2017, le Commissaire a de nouveau réitéré ces constats et
il a appelé les autorités à libérer toutes les personnes détenues
en raison de leurs opinions dissidentes ou de leurs activités civiques.
38. Le
rapport
2016/2017 d’Amnesty International affirme que la plupart des ONG de premier plan en Azerbaïdjan
pour la défense des droits humains n’ont pas été en mesure de reprendre
leurs activités, leurs avoirs ayant été gelés (même si les autorités
ont dégelé les comptes de certaines ONG participant à l’ITIE) et leurs
membres ayant été victimes d’actes d’harcèlement, y compris sous
forme de poursuites pénales. Des constats similaires ont été faits
par Human Rights Watch
.
39. Il convient aussi de rappeler le cas de Leyla Yunus, directrice
de l’Institut pour la paix et la démocratie (IPD), et de son mari
Arif Yunus, qui ont subi un harcèlement judiciaire sans précédent
depuis 2014. Condamnés à une peine de prison, elle et son mari ont
pu être libérés pour cause d’urgence médicale et se sont réfugiés
au Pays-Bas. Néanmoins, le 17 mai dernier, la cour d’appel de Bakou
a ordonné leur retour forcé dans leur pays au motif que leur présence
à une audience devant cette dernière juridiction était indispensable
.
40. Lors de ma visite à Bakou, j’ai rencontré plusieurs ONG. J’ai
constaté la forte division des ONG azéries, en particulier par rapport
aux personnes arrêtées pour leurs convictions religieuses selon
certains, pour leurs activités de radicalisme et de terrorisme selon
d’autres. Selon qu’on parle avec les autorités ou avec des activistes
des droits de l’homme qui ont des contacts avec l’étranger, la situation
est radicalement différente. Selon les autorités, la liberté d’association
est totalement garantie. Il y a 3 156 ONG enregistrées en Azerbaïdjan
et certaines fonctionnent sans autorisation. L’année dernière, 100
ONG ont été enregistrées. Les autorités reconnaissent que l’enregistrement
était compliqué avant, impliquant plusieurs ministères et la loi
a été changée afin de simplifier la procédure qui implique désormais
uniquement le ministère de la Justice (celui-ci contactant lui-même
les autres ministères concernés là où avant les démarches devaient
être faites par les intéressés). Il faut 140 jours en moyenne pour
être enregistré. Le nombre de documents a été réduit et le «Single
Stop» («guichet unique») a simplifié les procédures. Les ONG peuvent
recevoir des donations de l’étranger. En 2016, celles-ci ont été
multipliées par 2,5 et 40 % à 45% des ressources viendraient de l’étranger.
Les autorités cherchent à contrôler les donations qui viennent de
l’étranger à la fois pour s’assurer qu’elles ne sont pas utilisées
par des groupes islamistes et pour que les membres d’ONG qui sont
financés à partir de l’étranger payent des impôts comme les autres
citoyens azéris. Les autorités prétendent que certains créeraient
des ONG en Pologne, Géorgie et ailleurs pour obtenir des fonds plus
facilement.
41. Selon certaines ONG et des activistes des droits de l’homme,
il n’y a pas de liberté pour les ONG en Azerbaïdjan. En effet, celles-ci
seraient soumises à des autorisations et à des contrôles tatillons.
Il y aurait eu pas moins de 18 changements dans la législation relative
aux ONG au cours de ces deux dernières années. Pour ces ONG, les
changements de législation récents ou annoncés ne seraient que des
améliorations techniques mais qui ne changent rien au fait qu’au
plan politique les autorités chercheraient à contrôler les activistes
opposants au régime. Le contrôle des fonds de l’étranger serait
destiné à limiter leurs activités. Les ONG seraient fréquemment
confrontées à des problèmes de paiement de taxes et à des abus des
autorités. Certains militants prétendent être en permanence sous
la surveillance de la police. Ceux qui ont fait l’objet de poursuites
pénales ou ont été définitivement condamnés sont sous l’interdiction
de quitter le pays; apparemment, 20 personnes auraient fait l’objet
d’une telle interdiction en 2014 et 90 en 2017.
42. D’autres ONG estimaient qu’elles pouvaient fonctionner correctement
dans le cadre légal actuel. Certains représentants de ces ONG ont
violemment critiqué celles qui opèrent à partir de l’étranger et
qui «ne vivent que grâce au soutien de fonds étrangers»; celles-ci
n’ont selon elles aucune crédibilité ni légitimité et ont développé
«un véritable business des droits de l’homme» qui entraînerait une
vision fausse et déformée des réalités du pays. Le véritable but
de leurs militants serait de renverser le régime selon un processus comparable
à celui des «Printemps arabes» ou de la révolution en Ukraine. Ils
ne seraient donc pas intéressés par de véritables améliorations
des droits de l’homme dans le pays et réclameraient l’exclusion
de l’Azerbaïdjan du Conseil de l’Europe, ce qui n’est pas une critique
constructive et ne peut viser qu’à refermer un régime qui ne serait
dès lors plus Partie à la Convention et donc soumis à l’influence
positive du Conseil de l’Europe, qui a inspiré la plupart des grandes
réformes législatives dans ce pays. Je n’ai pas d’informations concernant
la source de financement de ces autres ONG.
4.4. Liberté
de religion
43. Il faut également souligner
que l’Azerbaïdjan est un pays où la majorité chiite coexiste avec
une très forte minorité sunnite en parfaite harmonie, ainsi qu’avec
d’autres religions plus minoritaires. La Constitution de l’Azerbaïdjan
garantit la laïcité et la liberté de religion et les autorités attachent
une grande importance à ce point.
44. L’État reconnaît les cultes. Il n’est pas rare que chiites
et sunnites fréquentent les mêmes mosquées, ce qui est assez rare
dans le monde musulman. Lors de ma visite à Bakou, j’ai eu l’occasion
de rencontrer le représentant de la communauté juive, M. Melix Yevdayev.
Il a souligné que la situation des Juifs en Azerbaïdjan était excellente
et que le Président de l’Azerbaïdjan avait contribué à financer
la synagogue de Bakou. Pour lui, les valeurs de tolérance religieuse
sont une réalité en Azerbaïdjan et c’est de loin la meilleure situation
pour les Juifs et les minorités religieuses au Proche-Orient et
dans les pays musulmans. Il portait une kippa et il me dit que ça
ne posait pas de problème en Azerbaïdjan. M. Yevdayev a également
signalé que le cheikh des musulmans a contribué financièrement à
la construction d’un cimetière spécifique pour les Juifs en Azerbaïdjan
qui réclamaient depuis longtemps un cimetière séparé.
45. On a signalé un problème avec un petit groupe de baptistes
fort de 35 personnes qui avait des difficultés avec les autorités,
essentiellement semble-t-il parce que ce culte est largement minoritaire
et n’est pas reconnu en Azerbaïdjan.
46. En outre, je me suis entretenu à plusieurs reprises avec des
représentants des Témoins de Jéhovah (à Strasbourg). Ils se sont
plaints du fait que les autorités azerbaïdjanaises refusent de reconnaître
et d’enregistrer leur communauté religieuse, présente en Azerbaïdjan
depuis presque vingt ans. Par conséquent, les témoins de Jehova
font l’objet d’harcèlement, qui peut prendre la forme d’amendes
administratives très élevées ou des perquisitions des endroits où
ils pratiquent leur culte. Plus d’une vingtaine de requêtes a été déposée
à ce sujet auprès de la Cour européenne des droits de l’homme depuis
2007.
47. Le problème du non-enregistrement de certaines communautés
religieuses a été récemment critiqué par la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI)
et le Conseil des
droits de l’homme des Nations Unies
. Ce dernier s’est aussi inquiété de la censure
des publications religieuses et des restrictions dans leur commercialisation
et distribution ainsi que de la définition vague d’ «activité religieuse», qui
permet une application arbitraire de la loi.
4.5. Torture
et autres mauvais traitements
48. La torture sous forme de tabassage
par la police serait encore très répandue et il y a peu de poursuites contre
la police. Cependant, les commissariats de police seraient à peu
près tous équipés de caméras. Les autorités assurent en effet que
certains policiers sont condamnés, ce que les ONG contestent.
49. En novembre 2016, la Commission des droits de l’homme des
Nations Unies s’est inquiétée du fait que des cas de torture et
de mauvais traitements, notamment de journalistes, défenseurs des
droits de l’homme et de jeunes militants, lui ont été régulièrement
rapportés et que dans certains cas les victimes sont même décédées.
Elle était aussi préoccupée par une efficacité réduite du mécanisme
national de prévention, instauré en 2011, dans ce genre de situation
. Le groupe de travail sur la détention
arbitraire des Nations Unies s’est aussi avéré très critique suite
à sa visite en Azerbaïdjan en mai 2016
. Selon
ce groupe, les actes de torture et les autres mauvais traitements
visent à forcer les détenus à signer des «procès-verbaux» établis
par la police afin d’obtenir leurs aveux surtout pour des faits
tombant sous le champ des infractions administratives. Le groupe
a entendu un certain nombre de victimes qui prétendaient avoir été
torturées dans le bâtiment de centre de détention temporaire (
Temporary Detention Centre) et dans
le centre de détention provisoire relevant de la compétence du Service
de la Sécurité d’État. Les victimes entendues ont mentionné plusieurs
méthodes de torture/mauvais traitement: que l’on avait placé une
arme à feu sur la tête, qu’elles avaient été battues pendant plusieurs
heures, soumises à des menaces de violence physique ou sexuelle,
des insultes ou à une pression psychologique, qu’elles devaient
rester debout pendant des heures ou que l’on les menaçait d’arrestation
de leur famille.
50. Similairement, selon Amnesty International
,
les forces de l’ordre continuent de commettre des actes de torture
ou d’autres mauvais traitements en toute impunité afin de forcer
les détenus à «avouer» les faits dont ils sont accusés. Cela a été
notamment le cas de 18 membres du Mouvement de l’Unité musulmane
shiite arrêtés lors des événements de Nardaran en 2015
ou des jeunes
militants Bayram Mammadov, Giyas Ibrahimov (qui estiment avoir été
traduits en justice pour avoir écrit des slogans sur le monument
à la gloire de Heydar Aliyev) et Elgiz Gahraman
.
51. De nombreuses institutions, dont les Nations Unies et le Conseil
de l’Europe par le biais de son Comité européen pour la prévention
de la torture (CPT), vérifient régulièrement les conditions de vie
des prisonniers. Le CPT s’est rendu en Azerbaïdjan dans les jours
suivants ma visite à Bakou, à savoir les 16 et 17 février 2017. L’objectif
de cette réunion était de faire le point sur la coopération entre
le CPT et les autorités azerbaïdjanaises, notamment au regard des
différentes recommandations faites par le passé. Selon le communiqué
du CPT «les entretiens ont également permis de prendre connaissance
de certains progrès réalisés depuis la dernière visite par le CPT
en mars-avril 2016 en Azerbaïdjan. Ainsi, les autorités azerbaïdjanaises
ont informé le CPT de la signature par le Président de la République
d’Azerbaïdjan d’un décret daté du 10 février 2017 sur le fait ‘d’améliorer
le fonctionnement du système pénitentiaire, de ré-humaniser les
politiques pénales et de développer l’application de peines alternatives
et de mesures préventives non privatives de liberté’»
. Rappelons, néanmoins, que la plupart
des rapports du CPT sur l’Azerbaïdjan – de ses visites périodiques
de 2011 et 2016 et de ses visites ad hoc de 2004, 2012, 2013 et 2015
– n’ont pas été publiés jusqu’ici, faute de demandes des autorités
en ce sens
.
52. Selon la Commission des droits de l’homme des Nations Unies,
malgré certains progrès (comme notamment la construction de nouvelles
prisons), le surpeuplement et la corruption dans les établissements pénitentiaires
demeurent toujours un problème et les conditions de vie dans certaines
prisons sont toujours inadéquates
.
53. Ce problème a déjà été examiné par la Cour européenne des
droits de l’homme dans l’arrêt
Insanov
c. Azerbaïdjan (violation,
entre autres, de l’article 3 de la Convention)
, dont
la mise en œuvre est toujours examinée par le Comité des Ministres
. En outre, le Comité des Ministres
surveille toujours la mise en œuvre d’un groupe d’arrêts de la Cour
concernant des mauvais traitements et/ou la torture infligés au
cours d’arrestations et de gardes à vue ainsi que l’inefficacité
des enquêtes sur ces allégations
; il semble qu’il n’y ait pas eu de
progrès dans ce domaine depuis décembre 2009
(voir aussi l’arrêt
Yunusova et Yunus sur l’absence
de soins médicaux appropriés dans les prisons
).
5. Fonctionnement
de la justice
54. Dans sa
résolution 2062 (2015), l’Assemblée a rappelé que «l’indépendance de l’appareil
judiciaire est l’une des conditions fondamentales de la séparation
des pouvoirs et de l’équilibre entre ceux-ci». Elle a encouragé
les autorités à empêcher toute influence de l’exécutif, notamment
en modifiant la législation sur la composition et les compétences
du Conseil judiciaire et juridique (la plupart de ses membres étant
nommés par le gouvernement) et la nomination des juges (en raison
d’une période probatoire pour les juges jugée trop longue par la
Commission de Venise
)
. Elle a aussi appelé les autorités
à prendre des mesures pour éviter que des procédures pénales soient
engagées sans motif légitime, pour garantir la régularité de la
procédure et l’impartialité des tribunaux conformément à l’article
6 de la Convention, assurer que la détention provisoire soit imposée
seulement quand elle est nécessaire et proportionnée (paragraphe
11.5. 3-5) ainsi qu’«à utiliser tous les outils juridiques disponibles
pour libérer les détenus dont l’incarcération soulève des doutes
et des préoccupations justifiées». Les corapporteurs de la commission
de suivi continuent d’examiner les questions liées au fonctionnement
de la justice, et notamment de la justice pénale
.
En outre, en novembre 2016, la Commission des droits de l’homme
des Nations Unies, ayant pris note des dernières réformes, a de
nouveau exprimé sa préoccupation quant à l’absence d’indépendance
du système judiciaire de l’exécutif, notamment à cause de la composition
non changée du Conseil judiciaire et juridique et des allégations
de corruption au sein du pouvoir judiciaire. Elle s’est aussi inquiétée
de plusieurs procédures disciplinaires intentées contre les juges ces
dernières années et de l’absence d’information sur les garanties
visant à prévenir des juges d’être punis pour des infractions de
moindre importance ou pour une interprétation controversée de la
loi
.
55. En 25 ans d’indépendance, les autorités ont dû totalement
réorganiser un système judiciaire hérité de l’Union soviétique.
Selon les autorités, l’indépendance du pouvoir judiciaire est garantie;
toutefois, j’ai constaté que le Procureur général gardait un rôle
prépondérant en ce qui concerne la détention provisoire. Dans la majorité
des cas, les juges suivent l’avis du Procureur général quant à l’utilisation
de la détention provisoire, malgré une décision du 3 novembre 2009
du plénum de la Cour suprême. Il est indispensable que soit garantie l’indépendance
de la magistrature par rapport au ministère public. Les recommandations
du GRECO et de la Commission européenne pour l’efficacité de la
justice (CEPEJ)
allant
en ce sens doivent être dûment appliquées. Le rapport du GRECO publié
le 17 mars 2017 relatif à l’Azerbaïdjan souligne les pistes d’action afin
de prévenir la corruption des juges et procureurs
. Dans ce rapport, le GRECO a de nouveau
exprimé sa préoccupation quant à l’absence «de toute mesure visant
à supprimer la fonction de contrôle présidentiel direct du ministère
public» et a réclamé des progrès pour la «mise en place d’un système
plus transparent et impartial pour la nomination de hautes fonctions»
.
56. Un autre problème est la facilité avec laquelle les personnes
arrêtées sont privées de liberté et l’échelle des infractions, souvent
très lourdes. Beaucoup d’infractions qui dans des pays d’Europe
de l’ouest seraient punissables d’une amende ou d’une peine alternative
(bracelet électronique ou travaux d’intérêt général) envoient encore
l’auteur en prison en Azerbaïdjan, parfois pour de longues années.
Les autorités m’ont assuré travailler sur une réforme du Code pénal
qui devrait aboutir à décriminaliser un grand nombre d’infractions.
La Cour suprême a la possibilité d’initier des lois dans son domaine
de compétence et le processus de réforme a commencé et devrait aboutir
à la fin de cette année ou l’année prochaine. Il convient de noter
dans ce contexte le décret signé par le Président de la République
le 10 février 2017; cet instrument juridique vise notamment à la
dépénalisation d’un certain nombre d’infractions et à l’extension
de l’application des peines non-privatives de liberté. Toutefois,
comme le soulignent certaines ONG, ce décret rompt avec le principe
de la séparation des pouvoirs, car il contient un certain nombre
d’ «instructions» (provenant du Président de la République) adressées
aux juges, dont ceux de la Cour suprême, et au Procureur général.
En outre, il ne se réfère pas à la question des détentions qui pourraient
être «politiquement motivées» et ne s’appliquerait pas à la réduction de
peines dans des cas d’infractions plus graves, comme celles invoquées
dans les poursuites pénales contre certaines ONG. Rappelons aussi
que les corapporteurs de la commission de suivi se sont inquiétés
en raison de l’absence de système distinct pour les mineurs
.
57. Un autre problème serait la difficulté pour les individus
qui ont commis ce qu’ils considèrent comme des délits d’opinion,
de disposer d’avocat pour les défendre. Certaines ONG ont affirmé
que des témoins seraient parfois réduits au silence, que de la drogue
serait mise afin d’accuser certains, des documents légaux ne seraient
pas acceptés, en somme que les droits de la défense ne seraient
pas respectés. Les corapporteurs de la commission de suivi ont aussi
entendu des propos, selon lesquels de fortes pressions étaient exercées sur
des avocats défendant les militants des droits de l’homme, les journalistes
et les représentants d’ONG. Ces pressions pouvaient prendre la forme
d’arrestations, de poursuites pénales, d’interdictions de quitter
le pays ou de mesures disciplinaires qui pourraient même aboutir
à des radiations du barreau (voir notamment le cas de l’avocat M. Khalid
Bagirov, dans lequel est intervenu le Commissaire aux droits de
l’homme
). La Commission
des droits de l’homme des Nations Unies, qui s’est montrée inquiète
à cause de ces pressions, a aussi noté que ces représailles pouvaient
consister à sommer les avocats en tant que témoins dans des affaires,
dans lesquelles ils défendaient leurs clients
. En outre, le Groupe de travail sur la détention
arbitraire des Nations Unies a rapporté plusieurs cas dans lesquels:
1) les personnes arrêtées ou détenues n’ont jamais pu bénéficier
de l’assistance d’un avocat; 2) elles ont été assistées par un avocat
commis d’office, sans avoir été consultées sur son choix; et 3)
n’ont pas pu s’entretenir avec leur avocat au cours de la procédure
pénale ou l’ont rencontré seulement lors de l’audience
.
58. Rappelons aussi que le Comité des Ministres surveille toujours
la mise en œuvre d’un certain nombre d’arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme concernant des violations du droit à un procès
équitable dues notamment aux manquements des tribunaux internes
à leur obligation d’examiner les arguments de la défense (voir notamment
Layijov c. Azerbaïdjan et
Jannatov
c. Azerbaïdjan )
ou
de lui permettre d’interroger des témoins (affaire
Insanov c. Azerbaïdjan, dans laquelle
des informations sont toujours attendues sur la réouverture de la
procédure interne
).
6. Listes de “prisonniers d’opinion”
6.1. Contexte
59. Selon plusieurs ONG et militants
œuvrant pour la protection des droits de l’homme, il existe des «prisonniers
d’opinion» ou «des prisonniers politiques» en Azerbaïdjan. De l’avis
des autorités, toutes les personnes condamnées le sont pour des
infractions spécifiques et il n’y a pas de «prisonniers d’opinion»
dans ce pays. En tant que rapporteur, je ne suis pas en mesure de
me substituer aux autorités judiciaires et de rendre une conclusion
à ce sujet. Je constate, toutefois, que les listes qui m’ont été
transmises par différentes organisations ne coïncident pas et qu’elles
peuvent aller de quelques personnes à 160 pour la liste la plus étendue.
Voici un aperçu des différentes listes qui m’ont été transmises.
6.2. Liste de Leyla Yunus
60. La «Liste des détenus politiques»
transmise par Leyla Yunus comprenait au 15 novembre 2016 160 personnes.
Cette liste a été établie par trois anciens «prisonniers de conscience»
à savoir Leyla Yunus, Oktaï Gioulalïev et Elchane Gassanov. Elle
inclut des personnes arrêtées et condamnées prétendument pour des
motifs politiques, sur la base des critères contenus dans la
Résolution de l’Assemblée 1900
(2012) «La définition de prisonnier politique»
. Les prisonniers sont classés en 10 groupes:
journalistes et blogueurs (7 personnes); écrivains et poètes (2);
défenseurs des droits de l’homme (1); activistes d’organisations
de jeunesse (5); membres de partis et de mouvements de l’opposition
(7); «victimes de crimes au ministère de la sécurité intérieure»
(10); «croyants» (105); «otages» (5); anciens fonctionnaires d’État
(4); et condamnés à perpétuité (14).
6.3. Liste du “Working Group on a Unified
List of Political Prisoners in Azerbaijan”
61. Une autre liste de “prisonniers
politiques” a été établie par un groupe de défenseurs des droits
de l’homme, avocats, journalistes et autres experts azerbaïdjanais,
dont certains militants – comme Anar Mammadli, Intigam Aliyev, Rasul
Jafarov et Khadiya Ismayilova – qui avaient été incarcérés auparavant.
Elle se réfère également aux critères contenus dans la
Résolution 1900 (2012) et, au 25 mai 2017, contenait 146 noms, dont des journalistes/blogueurs,
écrivains/poètes, défenseurs des droits de l’homme, militants politiques
et des milieux associatifs, activistes religieux, des prisonniers
condamnés à perpétuité, des personnes arrêtées suite à des manifestations
organisées pour défendre des droits sociaux, anciens hauts fonctionnaires,
des otages politiques ainsi que Said Dadashbayli (expert en industrie
pétrolière, accusé d’espionnage) et des personnes arrêtées avec
lui.
6.4. Liste d’Amnesty International
62. Le site internet d’Amnesty
International (
rapport
2016/2017) fait quant à lui mention de «au moins» 14 prisonniers
de conscience toujours en détention
. Selon les dernières informations
datant de juin dernier, la liste des «prisonniers de conscience»
(non-exhaustive) d’Amnesty International inclut 11 personnes: Ilgar Mammadov,
Mehman Huseynov et Afghan Mukhtarli (susmentionnés), les blogueurs
et indépendants Seymur Haziyev, Rashad Ramazanov et Elvin Karimov;
des activistes du mouvement NIDA – Bayram Mammadov, Ilkin Rustamzade
et Giyas Ibrahimov – ainsi que des membres du parti d’opposition
Front populaire – Fuad Gahramanli et Murad Adlilov.
63. Cette liste se réfère uniquement à des cas qu’Amnesty International,
dont les représentants ont été empêchés de voyager en Azerbaïdjan
depuis octobre 2015, a pu examiner en détail. L’absence sur cette
liste d’autres personnes ne signifie pas que cette organisation
nierait l’existence d’autres problèmes des droits de l’homme. Selon
cette organisation, la législation pénale est appliquée de manière
arbitraire afin de limiter la liberté d’expression. Plusieurs personnes
critiques des autorités ont été arrêtées ces dernières années sur
la base de fausses accusations, qui auraient été motivées politiquement.
Ces accusations concernent notamment:
i. des activités économiques illégales et l’abus de pouvoir
(voir le cas des militants qui ont été arrêtés en été 2014, de Nafig
Jafarli, membre du parti Mouvement Alternative Républicaine (REAL)
libéré conditionnellement en septembre 2016, ou de Gozel Bayramli,
membre du parti d’opposition Front populaire, arrêtée le 25 mai
2007);
ii. la possession illégale de drogue et d’armes (voir notamment
le cas des militants de NIDA, Bayram Mammadov et Giyas Ibrahimov,
qui ont été condamnés à 10 ans d’emprisonnement , ou de Elgiz Gahraman,
condamné à 5 ans et demi);
iii. la diffamation (voir le cas de Mehman Huseynov);
iv. des infractions contre l’ordre public et social (voir
le cas de Tofig Yagoblou et Ilgar Mammadov);
v. des crimes contre l’État (voir le cas de Taleh Bagirzade
et 16 autres membres du Mouvement pour l’Unité des Musulmans, condamnés
suite aux événements de Nardaran).
6.5. Liste de Human Rights Watch
64. La liste qui m’a été transmise
début juin dernier par Human Rights Watch, et qui n’est pas exhaustive, contient
quant à elle 37 noms, eux-mêmes scindés en différentes catégories:
membres de partis d’opposition (7 personnes); membres du mouvement
NIDA (4 personnes); journalistes et/ou blogueurs (9); et 17 personnes qui
ont été condamnées suite aux événements à Nardaran de novembre 2015
et qui prétendaient avoir été torturées par les forces de l’ordre.
6.6. Liste du “Monitoring Group of Human
Rights Organizations Azerbaijan”
65. Cette liste, qui m’a été transmise
lors de ma visite à Bakou par un groupe d’ONG locales, comprend 28 noms
eux-aussi scindés en différentes catégories: journalistes/blogueurs
(3 personnes); de jeunes militants (5); membres de partis d’opposition
(7); anciens fonctionnaires d’État (2); personnes condamnées à perpétuité (5);
et personnes condamnées pour avoir soutenu le port du hijab dans les écoles (6).
6.7. Action entreprise lors de et après
ma visite à Bakou
66. Lors de ma visite à Bakou,
j’ai soumis la liste la plus étendue – à savoir celle de Mme Yunus
– aux différentes autorités rencontrées et notamment au ministre
de la Justice et au Procureur Général. Les autorités ont fait remarquer
que cette liste comprenait un très grand nombre de personnes (105
exactement) regroupées sous le titre de «croyants». Pour elles,
il s’agit d’islamistes radicaux qui veulent soit établir un État
islamique en Azerbaïdjan ou ont tenté d’établir sur le territoire
azerbaïdjanais une enclave islamique indépendante de l’État azerbaïdjanais.
67. En tant que rapporteur, je n’ai pas pu vérifier ces informations
et j’ai demandé au ministre de la Justice l’autorisation de pouvoir
visiter quatre prisonniers de cette liste. Je n’ai pu visiter que
trois personnes dans trois prisons différentes – le blogueur Abdul
Abilov (prison-hôpital de Bakou), Ilgar Mammadov (prison no 2
de Bakou) et Rovchane Zahidov (centre de détention no 3
de Bakou), qui prétendait avoir été incarcéré en raison de son lien
de parenté avec Ganimat Zahid, le rédacteur en chef du journal Azadliq, qui s’était exilé en France, la
quatrième étant située à 1h30 de route de Bakou. Lors de ces visites,
j’ai pu m’entretenir librement avec les détenus sans la présence
de personnel pénitentiaire.
68. Pour ce que j’ai pu en juger dans les endroits que je pouvais
observer et au moment de ma visite, qui était organisée par les
autorités, les conditions de détention étaient dures mais correctes,
quoique dans deux des trois cas, les détenus vivent dans une grande
promiscuité. Les détenus semblent avoir accès à l’air libre plusieurs
heures par jour. Dans une des prisons, les autorités m’ont informé
que les détenus peuvent sortir toute la journée et avoir accès à
des toilettes et à des douches régulières (deux par semaine au moins
selon les autorités).
69. La loi azerbaïdjanaise prévoit la possibilité de libération
aux deux tiers de la peine et aussi en cas de grâce présidentielle
par le Président. Il existe au Parlement une Commission des grâces
qui peut faire des propositions. A mon retour, j’ai demandé aux
autorités de faire davantage usage de cette possibilité prévue par
la législation azérie dans une lettre adressée au ministre de la
Justice, Mr Fikrat Mammadov, envoyée le 15 février 2017. J’ai demandé
la libération de certains prisonniers (Abdoul Abilov, Rovchane Zakhidov,
Roufate Zakhidov et Elvine Abdoullaïev), la réouverture de certains
dossiers (Seïdov Elnour Rafik, Abdoullaëv Moubariz Asslana et Adilov
Mourad Goulakhmed), et l’autorisation pour Intigam Aliyev de se
faire soigner à l’étranger. J’ai également évoqué le cas d’Ilgar
Mammadov. Suite à cette demande, j’ai appris que chacun d’entre
eux (sauf Ilgar Mammadov) avait été libéré.
7. Cas d’Ilgar Mammadov
70. Pour rappel, Ilgar Mammadov,
journaliste et figure politique de l’opposition, a été arrêté en
février 2013 pour incitation à des émeutes antigouvernementales
à Ismayili (nord de l’Azerbaïdjan). En mars 2014, le tribunal des
infractions graves de Shaki (en première instance) l’a déclaré coupable
et il a été condamné à sept ans d’emprisonnement. Le 22 mai 2014,
la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt dans cette affaire,
dans lequel elle a conclu à la violation du droit à la liberté et
à la sûreté (article 5.1 de la Convention), du droit au contrôle
juridictionnel d’un placement en détention (article 5.4), de la
présomption d’innocence (article 6.2) et de la limitation de l’usage
des restrictions aux droits garantis par la Convention (article
18)
. La Cour a notamment estimé
qu’il n’y avait pas de «raisons plausibles de soupçonner» M. Mammadov
de nature à justifier son arrestation et sa détention provisoire
et que les poursuites pénales avaient été engagées à son encontre
en représailles de ses déclarations publiques critiques.
71. Depuis que le Comité des Ministres a commencé à examiner la
mise en œuvre de cet arrêt, il a toujours réclamé la libération
du requérant; trois résolutions intérimaires ont été adoptées à
cet égard. En février 2017, les autorités ont fourni un nouveau
plan d’action qui mentionne le décret présidentiel du 10 février
2017 sur la libéralisation de la politique pénale; néanmoins, selon
certaines ONG, il ne serait pas applicable au cas de M. Mammadov.
Dans sa décision adoptée lors de la 1288e réunion
(DH) en juin dernier, le Comité des Ministres a regretté qu’en dépit
de ces développements positifs le requérant soit toujours incarcéré,
a exhorté les autorités à soumettre à temps pour adoption en juin
2017 les projets de lois préparés en exécution dudit décret et «à
suivre toute autre voie capable d’assurer la pleine exécution de
cet arrêt et d’assurer sans plus tarder la libération inconditionnelle
de M. Mammadov».
72. Lors de ma visite à Bakou, j’ai réclamé à toutes les autorités
rencontrées la libération d’Ilgar Mammadov suite à l’arrêt de la
Cour. Suite à la décision de notre commission du 23 janvier 2017,
j’ai remis, en ma qualité de président de la commission, une lettre
à ce sujet en mains propres au Président de la République et des copies
de cette lettre au ministre de la Justice, M. Fikrat Mammadov, et
au Chef de l’administration présidentielle, M. Ramiz Mehdiyev. J’ai
insisté sur le fait que l’arrêt de la Cour ne se prête à aucune interprétation
et que M. Mammadov devait être libéré. J’ai insisté sur le fait
que M. Mammadov aurait dû être libéré une première fois lors de
sa détention provisoire, conformément à l’arrêt de la Cour, quitte,
si les preuves judiciaires le justifiaient, à l’incarcérer à nouveau
ensuite.
73. Les différentes autorités ont longuement argumenté sur leur
désaccord à ce sujet. Pour elles, l’arrêt de la Cour était intervenu
par rapport à la mise en détention provisoire d’Ilgar Mammadov avant
que la condamnation pénale ne devienne définitive (le premier jugement
en première instance a été rendu le 17 mars 2014, avant que la Cour
ne statue en mai 2014). Le 18 novembre 2016, la Cour suprême d’Azerbaïdjan, statuant
en cassation, a confirmé le dernier jugement rendu par la cour d’appel.
Par la suite, Ilgar Mammadov a déposé une nouvelle requête devant
la Cour européenne des droits de l’homme en contestant sa condamnation
définitive. Pour les autorités, l’arrêt de la Cour, qui condamnait
la détention provisoire du requérant et non pas sa condamnation
définitive, a été mis en œuvre, d’autant plus que la satisfaction
équitable octroyée par la Cour a été versée au requérant. La procédure
pénale terminée par le jugement de la Cour Suprême du 18 novembre
2016 ne pourrait être rouverte que si la Cour européenne des droits
de l’homme constatait une violation de l’article 6 de la Convention
suite à la nouvelle requête déposée par M. Mammadov.
74. Lors de mon entrevue avec M. Mammadov, je lui ai fait part
sincèrement de mes doutes quant à une libération rapide. Ces propos
ont été reflétés dans une communication envoyée au Comité des Ministres
le 2 mars 2017
par son avocat, Fuad Aghayev. M.
Mammadov affirme à propos de cet échange: «He did not lie to me
and, most importantly, to himself» («Il ne m’a pas menti, et ce
qui est le plus important, il ne s’est pas menti à lui-même.»)
75. Etant donné que le processus de condamnations et de libérations
dure depuis de nombreuses années, j’estime que la commission de
suivi et le Comité des Ministres sont les plus indiqués pour suivre
de près l’évolution de la situation. En effet, le suivi mené par
l’Assemblée aide les États membres du Conseil de l’Europe à tenir
leurs promesses de respecter les normes les plus élevées en matière
de démocratie et de droits de l’homme.
8. L’influence de la communauté internationale
76. Lors de ma visite à Bakou,
j’ai rencontré l’ambassadeur de l’Union européenne, des ambassadeurs/diplomates
de cinq États membres de l’Union européenne, de la Norvège et des
États-Unis et par la suite d’autres représentants de la communauté
internationale.
77. Un débat a lieu sur le meilleur moyen d’influencer positivement
la démocratie et les droits de l’homme en Azerbaïdjan. L’opinion
dominante est que les critiques directes, publiques et violentes
du pays n’entraînent pas de conséquences positives, les autorités
ayant tendance à se raidir, à ne pas être sensibles à ce type de pressions,
voire à prendre des mesures de rétorsion lorsqu’elles en ont la
possibilité. Le meilleur moyen de faire évoluer positivement l’Azerbaïdjan
est d’engager un dialogue franc et constructif avec les autorités
en leur disant ce qui ne fonctionne pas et ce qui doit être amélioré,
mais pas en les critiquant durement publiquement. La plupart des
diplomates rencontrés n’ont pas relayé le point de vue de certaines
ONG qui estiment que seules des sanctions ont un impact sur les
autorités. Comme moyen d’améliorer la démocratie et les droits de l’homme,
certains ont souligné l’absence de contacts de suivi. On a aussi
souligné que les autorités et la société civile devraient entrer
en dialogue et que les réformes économiques et les investissements
directs à l’étranger constituent un réel moyen d’améliorer l’État
de droit.
9. Conclusion
78. Plusieurs ONG œuvrant dans
le domaine de la protection des droits de l’homme, comme Amnesty International
et Human Rights Watch, ont recueilli, depuis l’adhésion de l’Azerbaïdjan
au Conseil de l’Europe en 2001, des allégations de poursuites engagées
pour des motifs politiques à l’encontre de membres de l’opposition,
de journalistes, de militants des droits de l’homme, d’avocats ou,
plus récemment, de blogueurs. Les autorités, y compris le Président
Ilham Aliyev, nient catégoriquement ce constat. Néanmoins, il y
a un sentiment très largement répandu – non seulement du côté des
ONG mais aussi du côté de certaines instances internationales, comme
les experts des Nations Unies ou le Commissaire aux droits de l’homme
de notre organisation – que ces poursuites existent. Certains arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme (Ilgar
Mammadov ou Rasul Jafarov) le
confirment aussi.
79. Il est non seulement indispensable que la justice soit rendue,
mais il faut également qu’elle soit considérée comme étant rendue.
Le taux de condamnation élevé en matière pénale n’améliore pas la réputation
de la justice: il témoigne d’un système pénal tourné vers les poursuites,
dans lequel les tribunaux n’apprécient pas de manière indépendante
les éléments de preuve produits par le ministère public et ne tiennent
pas suffisamment compte des droits du prévenu. L’affaire Ilgar Mammadov en est un parfait
exemple. J’appelle de nouveau de tous mes vœux les autorités à suivre
les décisions du Comité des Ministres et à libérer le requérant
le plus vite possible.
80. La réforme de la justice en Azerbaïdjan est toujours en cours
et le décret présidentiel du 10 février 2017 est très prometteur
à cet égard; néanmoins, il ne résoudra pas tous les problèmes en
matière des droits de l’homme signalés par les organes internationaux
et certaines ONG. Je suis pleinement conscient que la réforme judiciaire
exige non seulement un cadre juridique, mais également un changement
de mentalité, qui ne pourra se produire qu’à long terme: il suppose
une formation et des garanties légales pour les juges, les procureurs
et les agents des services répressifs. Il est compréhensible que
la mise en place d’une magistrature efficace, compétente et indépendante
ne soit pas chose facile lorsque tout reste plus ou moins à faire.
81. J’appelle les autorités à poursuivre leur coopération avec
le Conseil de l’Europe et à intensifier leurs efforts en vue de
mettre pleinement et rapidement en œuvre les arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme et de prendre en compte les recommandations
de la Commission de Venise. Je les encourage aussi vivement à tenir
compte des constats d’autres organes du Conseil de l’Europe – notamment
d’autres rapporteurs de l’Assemblée et du Commissaire aux droits
de l’homme – ainsi que des organes des Nations Unies quant au respect
des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans leur pays,
et de remédier aux problèmes de torture et de mauvais traitements
et des violations de libertés d’expression, d’association et de
réunion, des libertés qui sont cruciales pour l’existence d’une
société démocratique.
82. Je constate aussi que ce rapport a été élaboré en même temps
qu’un nouveau rapport de la commission de suivi sur «Le fonctionnement
des institutions démocratiques en Azerbaïdjan»
.
Les deux rapports portent sur des problématiques identiques. Afin
d’éviter un risque de contradictions substantielles à l’avenir,
il me semble qu’il serait souhaitable que le suivi des droits de
l’homme en Azerbaïdjan soit confié uniquement à la commission de
suivi par souci de cohérence des décisions et des recommandations
de l’Assemblée. J’invite donc la commission du Règlement à revoir
les mandats des commissions concernées dans ce sens et à proposer,
le cas échéant, des modifications pour éviter des doublons et des
contradictions.