1. Introduction
1. Les expériences du passé ont
démontré que dans le cas des communautés disposant de leurs propres caractéristiques
linguistiques, ethniques et religieuses, l’exigence d’un traitement
égal est nécessaire, mais par elle-même, loin d’être suffisante
pour la protection des idéaux et des principes qui forment l’héritage
européen commun. La communauté internationale a reconnu la nécessité
de protéger et de soutenir la protection de l’identité des individus
et des communautés, et en conséquence, a été rédigée en 1995, dans
le cadre du Conseil de l’Europe, la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires (STE no 148)
(«la Charte»), ainsi que la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales (STE no 157)
(«la Convention-cadre»), les traités internationaux les plus complexes
à l’échelle internationale, d’une importance cruciale pour l’identité
des minorités et juridiquement contraignants. Ils sont juridiquement
contraignants mais sans pouvoir exécutoire, ce qui n’est pas suffisant.
2. La disparition ou la perte d’usage des langues est un processus
perceptible en Europe auquel les États de notre continent doivent
s’opposer activement. La Charte sert cet objectif dans le cadre
du Conseil de l’Europe. Conformément à la
Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée parlementaire, «La charte, qui devra
être à la base de la législation dans nos États membres, pourra
également guider bien d’autres États dans une matière difficile
et délicate
». La recommandation, considérée comme
un point charnière dans l’activité de l’Assemblée, est particulièrement
importante du point de vue de la langue, car elle a fixé la condition
fondamentale selon laquelle «Toute personne appartenant à une minorité
nationale a le droit d’exprimer, de préserver et de développer en
toute liberté son identité religieuse, ethnique, linguistique et/ou culturelle,
sans être soumise contre sa volonté à aucune tentative d’assimilation
». L’utilisation de la langue est
principalement une question culturelle liée également à l’éducation;
ce qui explique le renvoi pour rapport à la commission de la culture,
de la science, de l’éducation et des médias.
3. Les langues régionales ou minoritaires sont des facteurs incitatifs
économiques de plus en plus importants (p. ex. autour de la frontière
italo-slovène, franco-espagnole et ailleurs), ce qui rend, outre
les aspects culturels, le sujet traité encore plus important
.
4. Le préambule de la Charte indique clairement: «La protection
des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe,
dont certaines risquent, au fil du temps, de disparaître, contribue
à maintenir et à développer les traditions et la richesse culturelles
de l’Europe.» Effectivement, la diversité linguistique constitue
un élément précieux du patrimoine culturel de l’Europe. Chaque langue
représente des connaissances historiques, sociales et culturelles
particulières, ainsi qu’une expérience humaine et une vision du
monde uniques. Néanmoins, un grand nombre de langues parlées en
Europe sont menacées d’extinction voire même en péril de disparition
au cours de ce siècle à moins que des mesures soient prises afin
d’inverser le processus de transfert linguistique entre locuteurs.
5. Ne s’en tenant qu’au cadre de la Charte, le rapport traite
uniquement les langues régionales ou minoritaires historiques.
6. Selon les études scientifiques, le nombre des langues vivantes
du monde est estimé à quatre ou cinq mille
.
En même temps, trois quarts des langues sont parlées par un nombre
minime de locuteurs. Le nombre des langues parlées par plus de 10 000
locuteurs dans le monde n’est qu’environ mille. À l’échelle mondiale, il
n’existe plus que 138 langues dont le nombre des locuteurs est égal
ou supérieur à un million.
7. En Europe, plus de 200 langues sont parlées, dont moins de
la moitié disposent d’un statut linguistique officiel à l’échelle
nationale ou régionale
. Les langues parlées par des petites
communautés et ne disposant pas de statut officiel sont plus exposées
au danger de disparition, elles peuvent tomber en désuétude à une vitesse
considérable, puis par manque d’utilisation, disparaître complètement.
8. Le phénomène est particulièrement inquiétant dans le cas des
langues régionales ou minoritaires pour la protection desquelles
la Charte a été réalisée. L’objectif de la Charte vise notamment
à empêcher qu’une langue régionale ou minoritaire ne constitue un
obstacle pour son locuteur de langue maternelle dans l’intégration
efficace et active dans les différents domaines de la société. Cette
situation concerne environ 47 millions de personnes en Europe.
9. En même temps, la langue n’est pas qu’un moyen de communication,
mais constitue l’élément central de l’identité culturelle de l’individu
et de la communauté, dont la préservation est également prescrite
par les normes et règles juridiques européennes définissant les
valeurs humaines fondamentales
.
10. Le droit à la dignité humaine, en sa qualité de «droit maternel»
général assurant la protection de la personnalité et l’égalité,
est la source de nombreux autres droits, dont le droit à l’identité
de l’Homme. Et la langue est l’un des éléments essentiels de l’identité,
tout particulièrement dans le cas des minorités nationales.
11. La même approche est soutenue par le Haut-Commissaire de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) aux minorités
qui affirme dans l’introduction de la Note explicative relative
aux Recommandations d’Oslo concernant les droits linguistiques des
minorités nationales que «de ce fait, le respect de la dignité d’une
personne est intimement lié au respect de l’identité de cette personne,
et par conséquent de la langue de cette personne»
.
12. La langue est une valeur en soi qui fait également partie
des biens culturels, et par conséquent, il est fondamentalement
important que les droits linguistiques assurent la reproduction
culturelle de la communauté, permettent à l’individu et à la communauté
de participer à la vie politique et culturelle, ainsi que de s’intégrer dans
les processus économiques et sociaux.
13. La même approche est reflétée par la conception de la Charte
qui a visé la préservation et le développement de la richesse et
des traditions culturelles de l’Europe dans l’objectif de protéger
et promouvoir les idéaux et les principes formant l’héritage commun
des États membres du Conseil de l’Europe
. Ainsi malgré le fait qu’elle ne
protège pas directement les minorités linguistiques ou nationales
mais les langues régionales ou minoritaires, la Charte contribue
aux objectifs mondiaux de protection internationale des minorités,
ainsi qu’à la protection et la reproduction des communautés minoritaires
en leur qualité de groupes spécifiques.
1.1. Buts
du rapport
14. L’objectif prioritaire du présent
rapport consiste à diriger de nouveau l’attention défaillante des
États membres sur l’importance des langues régionales ou minoritaires
et sur la nécessité de les soutenir. Il est également de démontrer
la nécessité d’un suivi de l’exécution des engagements et de leur
élargissement.
15. En premier lieu, nous nous efforçons d’exposer les bonnes
pratiques, mais nous allons également mettre en évidence quelques
points problématiques.
1.2. Objet
du rapport
16. Suite à son adoption, la Charte
a été ratifiée par 25 États membres du Conseil de l’Europe à la
fin 2017. (Voir la liste dans l’annexe 1 du document
AS/Cult/Inf
(2017) 08 rev.)
17. La mise en œuvre efficace de la Charte est contrôlée par la
procédure de suivi relative aux pays ayant ratifié la Charte au
cours de laquelle le Comité d’experts de la Charte européenne des
langues régionales ou minoritaires («le Comité d’experts»), constitué
d’experts indépendants, examine comment les États se sont conformés
à leurs engagements. La procédure démarre par le rapport présenté
par les États Parties. Ces dernières années, il est devenu de plus
en plus problématique que les États présentent leur rapport avec
un retard toujours plus considérable – voire laissent passer un
cycle complet de suivi de trois ans.
18. Pour prendre en compte ce problème, M. Bernd Fabritius et
d’autres membres de l’Assemblée ont déposé une proposition de résolution
pour analyser la situation des langues
régionales ou minoritaires dans les États de l’Europe centrale et
orientale, pays accumulant du retard. Dans cette partie de l’Europe,
la situation des locuteurs de langues régionales ou minoritaires
est considérée sensible d’un point de vue historique, étant donné
que des millions de personnes appartenant à la minorité traditionnelle
«sont devenues minorité à la suite de la modification des frontières,
tout en vivant depuis des siècles sur un territoire donné (...)
Par exemple la nation hongroise vit depuis presque cent ans dans
sept pays (...) (Dans la région des Basses-Carpates, pendant cette
période, les habitants ont eu la citoyenneté austro-hongroise, hongroise,
tchécoslovaque, slovaque, soviétique, de nouveau hongroise, puis
ukrainienne)»
.
19. Depuis la présentation de l’initiative, plusieurs États ont
rempli leur obligation de remise de rapport, mais le problème signalé
n’a pas cessé d’exister (voir la liste dans l’annexe 2 du document
AS/Cult/Inf
(2017) 08 rev). Le sujet de l’utilisation des langues régionales ou
minoritaires concerne et occupe tous les pays du Conseil de l’Europe
(pour la liste des langues régionales ou minoritaires présentes
dans les pays, voir annexe 3 du document
AS/Cult/Inf
(2017) 08 rev), donc il n’était pas approprié de restreindre cette
analyse à l’Europe centrale et orientale.
20. Ceci d’autant plus que ce dernier terme n’est pas défini de
manière exacte. L’appartenance géographique de certains pays fait
encore l’objet de débats et peut dans certains cas se substituer
à leur appartenance politique. De plus, sur les 26 pays considérés
comme appartenant géographiquement à l’Europe centrale et orientale
(pour la liste, voir annexe 4 du document
AS/Cult/Inf
(2017) 08 rev), certains ont ratifié la Charte, et d’autres non. Cette
situation est la même pour tous les pays européens.
21. Ce rapport couvre tous les États membres du Conseil de l’Europe,
qu’ils aient ratifié la Charte ou non. En même temps, l’accent de
l’analyse est toujours mis sur les États de l’Europe centrale et
orientale, et je me concentre sur l’utilisation effective de la
langue dans l’enseignement, la culture, les médias, l’administration publique
et auprès des organismes de service public et les différents domaines
d’interaction entre les personnes.
1.3. Sources
et méthodes
22. En restant dans le cadre de
la Charte, j’analyse la situation des langues régionales ou minoritaires
qui sont traditionnellement utilisées et présentes depuis au moins
cent ans sur le territoire du pays.
23. Conformément à la Charte, la notion de «langue régionale ou
minoritaire» n’inclut pas les langues des migrants. En même temps,
il est important de noter que dans le cas où une langue peut être
intégrée dans le champ d’application de la Charte à cause de sa
présence traditionnelle dans l’État, les droits définis ne reviennent
pas qu’aux personnes appartenant à la minorité nationale, mais aussi
à toutes les personnes utilisant la langue en question, qu’elles
utilisent cette langue comme langue maternelle, première langue, deuxième
langue ou langue étrangère.
24. Dans la préparation du rapport, j’ai employé les méthodes
suivantes, et me suis référée aux sources suivantes:
- l’analyse et la comparaison
des rapports nationaux et l’avis du Comité d’experts;
- l’analyse des réponses aux questionnaires adressés par
le Secrétariat aux États membres ainsi qu’aux organisations non
gouvernementales (voir les listes dans les annexes 5 et 6 du document AS/Cult/Inf (2017)
08 rev);
- le Rapport d’expert préparé par le professeur Dr. Stefan
Oeter, ancien vice-président du Comité d’experts de la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires, débattu au sein de la commission
de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, á Paris,
le 9 décembre 2016 (voir l’annexe 7 du document AS/Cult/Inf
(2017) 08 rev);
- des entretiens avec les parlementaires du Conseil de l’Europe
et de l’Union européenne, des représentants et experts du monde
scientifique, ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG);
- des observations tirées de la visite de deux pays choisis
(Lettonie, Italie – voir les annexes 8 et 9 du document AS/Cult/Inf
(2017) 08 rev);
- des informations reçues des ONG européennes;
- l’analyse de la littérature scientifique relative au sujet
en question.
25. Compte tenu de la longueur considérable, parfois de plus de
cent pages, des rapports du Comité d’experts sur l’application de
la Charte dans les États, je me suis appuyée en général sur les
rapports du dernier cycle de suivi. Dans le présent rapport, j’attire
l’attention sur les bonnes pratiques ainsi que sur les carences
et les difficultés que je considère comme les plus caractéristiques
et les plus pertinentes.
2. Enseignement
2.1. De
l’utilisation de la langue en général
26. L’environnement créé par l’enseignement
de la langue maternelle ou dans cette langue joue un rôle considérable
dans l’augmentation du nombre de locuteurs et dans la survie de
la communauté parlant une langue régionale ou minoritaire. Du fait
que la langue utilisée à l’école présente un rapport direct avec
l’identité, le lien à la langue maternelle, et par conséquent la
conservation de la langue, peut être considéré comme un axiome.
Le soutien d’un rapport positif à la langue maternelle est surtout
important dans le cas d’une communauté où la langue constitue un
élément central de l’identité. Je me réfère à la
Recommandation 1740 (2006) de l’Assemblée sur la situation des Roms en Europe et
les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, selon laquelle
«des formes d’enseignement fondées sur la langue maternelle augmentent
significativement les chances de réussite scolaire, voire donnent
de meilleurs résultats».
2.2. Engagements
par niveaux éducatifs
27. Les engagements fixés dans
l’article 8 de la Charte sont les éléments les plus importants de
la liste si l’on souhaite assurer la survie des langues régionales
ou minoritaires
. D’après les observations
du professeur Stefan Oeter, les autres mesures prescrites dans la
Charte n’ont de sens que si l’État est prêt à protéger la transmission
de la langue d’une génération à l’autre par la mise en œuvre de
mécanismes solides de protection et de promotion de la langue dans
les établissements éducatifs
. Si l’on
considère l’enseignement comme l’un des moyens de soutien de la
langue, il faut garantir la possibilité d’apprentissage dans la
langue maternelle pendant tout le cycle éducatif, non seulement
à l’école maternelle et/ou primaire.
28. La Charte, qui couvre l’intégralité des niveaux d’enseignement,
est basée également sur ce principe: elle contient des dispositions
d’une intensité différente pour l’enseignement préscolaire, pour
l’enseignement primaire, secondaire, pour l’enseignement technique
et professionnel, ainsi que pour l’enseignement universitaire et
supérieur. Nous devons différencier trois procédures: a) quand la
langue régionale ou minoritaire est entièrement la langue de l’enseignement;
b) quand elle est partiellement la langue de l’enseignement; c)
quand la langue en question ne constitue qu’une matière dans le
cadre de l’enseignement des langues. La Charte complète les trois
possibilités par une quatrième selon laquelle les susdites options dépendent
de la demande des parents ainsi que d’un nombre «suffisant» d’élèves. Il
est à remarquer que du point de vue des objectifs fixés par la Charte,
la situation la plus avantageuse est celle dans laquelle les États choisissent
le plus fort engagement, mais le choix doit être adapté à la situation
sociolinguistique objective de la langue en question, comme l’indique
le professeur Oeter. Dans le cas où la langue régionale ou minoritaire en
question est la première langue d’une partie considérable de la
population, les enfants doivent apprendre à lire et à écrire dans
cette langue.
29. D’après les réponses au questionnaire données par les organismes
représentant les minorités nationales, l’enseignement dans la langue
maternelle est un problème à résoudre en Grèce dans le cas de la langue
macédonienne
, et en Italie, il
n’existe pas de politique linguistique centralisée qui réglerait
la question de l’utilisation de la langue dans l’enseignement formel
. En outre, les élèves doivent
également acquérir, dans le cadre de l’enseignement scolaire, des
compétences dans la langue de la majorité. Néanmoins, je suis d’avis
que la langue de la majorité ne doit pas leur être enseignée en
tant que langue maternelle, comme c’est le cas en Ukraine et en
Serbie, mais selon une méthodologie d’apprentissage adaptée aux
langues de leur environnement ou aux langues étrangères, élaborée
spécialement pour eux. Cependant, je salue les efforts faits par
la Serbie pour ajuster l'enseignement de la langue nationale aux
besoins particuliers des élèves non-serbophones
. Dans le cas où la situation sociolinguistique
de la langue en question est fragile, faible et menacée, il est
efficace d’utiliser cette langue comme langue principale et déterminante
de l’enseignement dès l’école maternelle et l’enseignement préscolaire
afin que les élèves acquièrent un savoir qui leur assure un bilinguisme
fonctionnel
.
30. La diminution du nombre et/ou des capacités linguistiques
des élèves n’est pas forcément un phénomène irréversible. Le Comité
d’experts est d’avis qu’une attitude proactive pourrait contribuer
à ce que la langue en question ne soit pas uniquement enseignée
sous forme de matière, mais qu’elle devienne, avec le temps, la
langue de l’enseignement
.
Le programme «
2plus» appliqué
dans le cas du haut sorabe en Allemagne est un bon exemple qui a
abouti à l’amélioration des résultats des élèves dans leurs connaissances linguistiques
et leur rapport à la langue
.
31. Relativement peu d’États ont pris de forts engagements au
regard de l’enseignement supérieur. Néanmoins, il est important,
du point de vue du développement des langues régionales ou minoritaires,
que des spécialistes connaissant la terminologie spécialisée dans
tous les domaines de la vie soient présents surtout dans les régions
où les locuteurs d’une langue concernée vivent en grand nombre et
en un seul bloc. Les établissements d’enseignement supérieur assurant
l’éducation en langue suédoise en Finlande en sont un bon exemple,
la loi sur l’enseignement supérieur prescrivant de garantir la formation
de spécialistes parlant le suédois dans les différents domaines
des sciences et des arts
.
De même, dans le cas du catalan, l’Espagne ne se contente pas de
se conformer au plus fort engagement en Catalogne, mais également
aux îles Baléares par exemple, où le castillan et le catalan sont
toutes les deux des langues officielles. À l’inverse, l’université
de Médecine et de Pharmacologie de Târgu Mureș/Marosvásárhely/Neumarkt,
en Roumanie, refuse d’organiser la formation en langue hongroise
malgré les dispositions claires de la loi
.
2.3. Seuils
éducatifs
32. Souvent, les États lient la
possibilité du lancement d’une classe à des seuils linguistiques,
en fonction des ressources matérielles humaines disponibles, ce
qui est également le cas pour l’utilisation de la langue dans l’administration
publique
.
À ce propos, il est important de souligner que, s’agissant des engagements décrits
au paragraphe 1 de l’article 8
relatif
aux engagements plus élevés, il n’est pas nécessaire que les parents
ou les élèves fassent connaître leur souhait au préalable. Dans
certains cas, la fixation de seuils linguistiques trop élevés relatifs
aux langues régionales ou minoritaires constitue un problème supplémentaire. Dans
ces cas, il est conseillé d’établir des seuils préférentiels. Comme
l’indique le professeur Oeter, le nombre de locuteurs justifiant
l’enseignement dans la langue en question doit être traité d’une
manière flexible. De plus, l’État doit assurer l’enseignement adéquat
dans la langue en question non seulement à ceux qui vivent sur un territoire
homogène, mais aussi pour les personnes vivant en habitat dispersé,
surtout dans le cas où il a pris un engagement plus fort
.
2.4. Formation
des enseignants et manuels
33. La forme éducative choisie
est considérablement limitée par l’engagement fixé dans l’article
8.1.
h, qui est l’un des problèmes
centraux pour pratiquement chaque État Partie, selon lequel les
États s’engagent à assurer aux enseignants la formation de base
et continue nécessaire pour la réalisation des engagements pris pour
tous les niveaux de l’enseignement (points
a à
g). Des lacunes peuvent apparaître
surtout dans l’enseignement des matières spécialisées. Conformément
aux rapports du Comité d’experts, des problèmes liés à ce sujet
se présentent dans une grande majorité des États Parties. D’après
les réponses au questionnaire données par les organismes représentant
les minorités nationales, en Albanie, par exemple, la formation
des professeurs n’existe pas en langue macédonienne
. En règle générale,
les professeurs enseignant les matières spécialisées sont formés
dans la langue de la majorité, et plus tard, ils doivent faire appel,
en qualité de locuteur de la langue régionale ou minoritaire en
question, à leurs propres compétences linguistiques afin d’acquérir
les compétences éducatives nécessaires pour l’enseignement dans
leur propre langue. C’est pourquoi il s’avère essentiel que les
États organisent des systèmes de formation d’enseignants engagés
et suffisamment financés, et qu’ils appliquent des incitations pour
encourager les élèves à opter pour les langues régionales ou minoritaires
en question ou pour les formations offertes dans ces langues.
34. L’enseignement de la langue régionale ou minoritaire et l’enseignement
dans cette langue est souvent entravé par le manque de manuels convenables.
À défaut de manuels convenables, les professeurs sont souvent obligés
de préparer leur propre matériel, ce qui demande beaucoup de temps
et d’efforts. Les États ne consacrent pas de moyens financiers suffisants
pour la rédaction et l’édition des manuels, et en même temps, les
manuels des pays d’origine ne sont souvent pas conformes aux programmes
éducatifs de l’État en question. C’est pourquoi les États doivent
s’efforcer d’une manière proactive de rédiger des manuels conformes
aux exigences des locuteurs des langues régionales ou minoritaires,
et – si cela ne s’avère pas possible – à permettre aux locuteurs
d’acquérir les connaissances nécessaires à partir des manuels utilisés dans
le pays d’origine. En République tchèque, les écoles enseignant
en langue polonaise utilisent des manuels importés du pays d’origine
, tandis qu’au Monténégro, l’enseignement
en langue albanaise utilise des manuels venant d’Albanie
. Néanmoins, certains exemples montrent que
l’État ne permet pas l’utilisation des manuels utilisés par les
spécialistes de la minorité nationale. D’après le rapport du Comité
d’experts, c’est le cas par exemple en République slovaque où, même
dans les écoles hongroises, il est interdit d’utiliser leur propre
manuel, les élèves ne pouvant étudier que dans des manuels slovaques
traduits en hongrois
.
35. À cet égard, il est important de prendre conscience du fait
que dans l’objectif de la promotion de la compréhension mutuelle,
non seulement les élèves apprenant dans une langue régionale ou
minoritaire doivent acquérir des connaissances sur la nationalité
majoritaire, mais les élèves apprenant dans la langue de l’État
doivent également connaître de plus près l’histoire et la culture
spécifique des minorités nationales vivant dans le pays.
2.5. Impact
des réformes éducatives et questions institutionnelles
36. Le dernier rapport de l’Assemblée
relatif aux droits des minorités nationales
constate que la crise économique
et financière a impacté les minorités nationales traditionnelles
d’une manière particulièrement défavorable
. D’après le rapport du Comité
d’experts, les réformes éducatives sont rarement favorables à l’enseignement
dans les langues régionales ou minoritaires ou à l’enseignement
de ces langues. La diminution des subventions budgétaires et des
allocations entraînent en général la fermeture des écoles ou des
sections, par exemple dans le cas de la «rationalisation scolaire»
en République slovaque
. Dans certains cas,
il existe simultanément un impact positif (par exemple l’augmentation
des subventions) et négatif (le changement de l’activité scolaire)
, et on peut aussi trouver des exemples
expressément positifs (assurance d’une subvention pour le fonctionnement
des écoles à faible effectif, comme par exemple en Pologne
, en Hongrie
, etc.). L’État doit rendre accessible
l’enseignement dans la langue maternelle dans les communes à faible
population situées loin du centre, ainsi que sur les territoires
où les locuteurs de la langue vivent en habitat dispersé.
37. Dans son rapport d’expert, le professeur Oeter estime également
que les écoles enseignant dans la langue régionale ou minoritaire
ou enseignant cette langue ne peuvent pas être traitées, au cours
des éventuelles réformes, comme une question secondaire qui serait
loin des priorités de la société majoritaire. Au-delà des effets
des réformes, je pense qu’il est essentiel que les autorités étatiques
n'empêchent pas le fonctionnement des institutions enseignant dans
la langue régionale ou minoritaire. À la conférence tenue au Parlement
européen, le représentant des Hongrois de Transylvanie
a souligné le fait que les autorités roumaines
n'ont pas autorisé l'instauration des classes de début de cycle
au lycée catholique romain de Târgu Mureș/Marosvásárhely/Neumarkt.
Par cette décision ils restreignent, sinon suppriment, l'enseignement
dans la langue maternelle des élèves qui ne peuvent continuer leurs
études au lycée théologique choisi par eux à compter de l'année
scolaire suivante. À la rentrée 2016-2017 la situation de l’école
était encore incertaine, les élèves ont commencé leurs études dans
différents établissements scolaires. Début septembre 2017, l’entretien
entre le Président de la Chambre des députés roumaine et le Premier
ministre de la Hongrie a semblé être une évolution encourageante,
avec la promesse que le législateur roumain trouvera une solution à
la situation du lycée romano-catholique de Târgu Mureș/Marosvásárhely/Neumarkt.
J’estime nécessaire qu’après la finalisation de ce rapport et l’adoption
de nos recommandations, le Conseil de l’Europe et une plus large
opinion publique internationale surveillent constamment ce problème,
notamment pour vérifier si la solution promise peut garantir à long
terme le fonctionnement efficace de cette école.
38. Un système dans lequel l’organisation et l’ajustement de l’enseignement
seraient confiés aux groupes minoritaires pourrait constituer une
solution. Comme exemple de bonne pratique, on peut prendre l’école danoise
dans le Land du Schleswig-Holstein. Je souhaite ajouter qu’on peut
même trouver de bonnes pratiques similaires en Europe Centrale également.
En Serbie, en Hongrie, en Croatie et en Slovénie, les communautés
minoritaires disposent de leur propre municipalité minoritaire avec
des compétences considérables, par exemple le droit de créer un
organisme, même dans le domaine de l’enseignement. En Serbie, les
minorités nationales exercent ensemble leurs droits par leur propre
conseil national dans le domaine de l’enseignement, de la culture,
de l’information et de l’utilisation de la langue dans l’administration. Les
autorités nationales, régionales et locales ont l’obligation de
consulter le conseil lors d’une prise de décision liée aux domaines
mentionnés
. Conformément au rapport du Comité
d’experts, le système des municipalités minoritaires en Hongrie
a, d’une manière générale, un impact favorable et bénéfique à la protection
et la promotion des langues minoritaires
. Dans ses réponses envoyées au questionnaire,
le Conseil National Serbe mentionne les bonnes pratiques appliquées
dans le domaine de l’enseignement informel (ateliers, université
d’été)
. Du point de vue de l’enseignement,
je considère que les régions disposant d’une autonomie définie sont
dans la situation la plus favorable.
39. Enfin il convient de mentionner un nouvel événement qui est
arrivé vers la fin de mon travail, notamment parce qu’il souligne
pourquoi il est nécessaire que les organes du Conseil de l'Europe
surveillent la situation des langues régionales ou minoritaires
dans les États membres. Début septembre 2017, après l’adoption des rapports
d’experts sur le résultat du monitoring de la Charte et de la Convention-cadre
en Ukraine, le Conseil Suprême d’Ukraine a adopté une nouvelle réforme
de l’éducation qui limite l’enseignement dans les langues régionales
ou minoritaires aux quatre premières classes de l’école primaire.
Ensuite, l’éducation dans la langue officielle devient obligatoire
et la loi ne permettra que des exceptions fortement limitées pour
l’enseignement des langues des communautés vivant en Ukraine. Comme
une analyse plus détaillée des questions de droit de la nouvelle
loi dépasse le cadre du présent rapport, je voudrais me référer
uniquement aux plus importants facteurs.
40. Cette question a déjà été traitée par l'Assemblée qui déclare
dans sa
Résolution 2189
(2017) «La nouvelle loi ukrainienne sur l'éducation: une entrave
majeure à l'enseignement des langues maternelles des minorités nationales»
que «la nouvelle loi entraîne une réduction trop forte des droits
jusque-là reconnus aux “minorités nationales” pour ce qui est de
l’instruction dans leur propre langue. Ces minorités nationales,
qui avaient auparavant le droit de disposer d’établissements scolaires
monolingues et de programmes complets dispensés dans leur propre
langue, se retrouvent maintenant dans une situation où instruction
dans leur langue ne peut être assurée (conjointement à l’instruction
en ukrainien) que jusqu’à la fin du cycle primaire. Selon l’Assemblée,
cela ne sert pas le “vivre ensemble”».
41. Les organes d'experts de la Charte et de la Convention-cadre
ont plaidé, d’une manière générale, et même explicite au cours du
monitoring en Ukraine, pour le renforcement et non pas pour l’affaiblissement
de l'éducation dans les langues minoritaires. Le Comité des Ministres,
lors du premier monitoring en Ukraine avait demandé instamment dans
sa première recommandation «de mettre en place, en étroite concertation
et coopération avec les représentants des locuteurs de langues minoritaires,
une politique structurée d’enseignement des langues régionales ou
minoritaires et de garantir le droit des locuteurs de langues minoritaires
à être instruits dans leur langue, tout en préservant les résultats
déjà obtenus et les bonnes pratiques existantes dans ce domaine.
42. Je tiens à souligner que la nouvelle loi ukrainienne sur l'éducation
traite essentiellement la langue des minorités nationales comme
une langue étrangère. Cette loi rend obligatoire la langue officielle
au cours de l'enseignement et seules certaines matières peuvent
être potentiellement étudiées dans les langues officielles de l'Union
européenne à partir de la cinquième classe, selon des conditions
encore incertaines, non élucidées. C’est une différence conceptuelle
fondamentale: l’enseignement en langues allemande, polonaise, hongroise, roumaine,
bulgare, slovaque ou grecque ne se justifie pas par leur caractère
européen, mais par leur statut de langues maternelles des minorités
vivant en Ukraine. Les engagements assumés par un pays en ratifiant
la Charte des langues et la Convention-cadre, ne peuvent être remplacés
par l'enseignement des langues officielles de l'Union européenne,
à certains niveaux ou dans des conditions supplémentaires. En effet
cette solution ne prend pas en compte les langues minoritaires qui
ne sont pas langues officielles dans l'Union européenne. Je suis
convaincue qu’en adoptant la nouvelle loi, le pays ne respecte plus
ses engagements internationaux et les normes du Conseil de l’Europe.
3. Utilisation
de la langue dans l’administration publique
43. L’article 10 de la Charte prévoit
trois catégories pour l’utilisation de la langue:
- le cas des organes de l’administration
publique de l’État (il est important de remarquer que la disposition concerne
les administrations locales et les agences locales indépendamment
du siège de l’organe en question, même dans le cas où l’autorité
ou son agence se trouve hors du territoire linguistique en question );
- le cas des autorités locales ou régionales;
- le cas des institutions offrant un service public.
44. Selon le commentaire de la Charte, l’article a un double objectif:
il est censé résoudre les problèmes de communication dans les cas
où le citoyen ne parle pas la langue de la majorité avec une aisance
suffisante, et il exprime l’importance et le rôle de la langue régionale
ou minoritaire tout en reconnaissant son utilisation dans les relations
entre les citoyens et l’administration publique
. Ce dernier point est particulièrement important
car la majorité des locuteurs de langues régionales ou minoritaires
parle la langue officielle, majoritaire du pays avec une aisance
suffisante. Ainsi l’assurance de leurs droits linguistiques n’est
pas forcément ou exclusivement une nécessité pratique, mais elle
permet que ces locuteurs puissent communiquer avec les autorités
administratives dans leur langue maternelle, ce qui est également
la condition pour exercer leurs droits et obligations de citoyen.
Dans la Charte, les États s’engagent donc à assurer l’utilisation
des langues régionales ou minoritaires dans le domaine de l’administration
publique et des services publics indépendamment du niveau de connaissance
de la langue majoritaire par les locuteurs de la langue en question.
45. En même temps, les États ne doivent pas assurer l’utilisation
de la langue dans tous les cas et dans toutes les conditions, mais
uniquement dans le cas où «le nombre des utilisateurs des langues
régionales ou minoritaires» justifie les mesures définies par la
convention, ce qui est raisonnable. Pour définir ce nombre, il est
impossible de trouver une solution universelle, applicable à toutes
les situations, mais quelques solutions déjà expérimentées peuvent
être présentées. L’une des solutions les plus répandues est l’application
du seuil linguistique.
3.1. Seuil
linguistique
46. Le seuil linguistique n’est
pas une solution exclusive mais, surtout en Europe centrale et orientale,
il s’avère une solution générale pour définir les territoires où
l’État assure l’utilisation des langues régionales ou minoritaires
dans l’administration publique. Le seuil linguistique désigne la
proportion de la population totale d’un territoire nécessaire pour
l’utilisation de la langue dans l’administration publique
.
Les États ont fixé des seuils différents: par exemple un tiers de
la population (Croatie)
,
20 % (Pologne, Roumanie, République slovaque)
,
15 % (Serbie)
, 10 % (Ukraine, République
tchèque)
. Dans
de nombreux cas, le Comité d’experts s’est exprimé sur les problèmes
liés aux seuils. Selon ses orientations désormais claires, les seuils situés
au-dessus de 20 % sont trop élevés du point de vue de l’assurance
de l’utilisation de la langue
, tandis que la solution de 10 % peut être
acceptée, si elle n’est pas soumise à une demande spécifique ou
à la collecte de signatures.
Dans
le cas où l’État reconnaît une langue minoritaire comme langue officielle indépendamment
du taux de population des locuteurs sur un territoire défini et
traditionnellement habité par des locuteurs de la langue minoritaire,
comme c’est le cas par exemple en Slovénie
, on peut parler
d’une solution favorable, mais même dans ce cas, des lacunes peuvent
apparaître lors de la mise en œuvre
.
47. Je suis d’avis que la question du seuil linguistique doit
connaître une approche positive, ainsi en premier lieu, son objectif
consiste à ce que l’État définisse, conjointement avec les minorités
nationales, les domaines dans lesquels il assure l’utilisation des
langues régionales ou minoritaires. Le seuil linguistique ne peut
pas servir de justification dans le cas où l’État n’assure pas l’utilisation
d’une langue sur le territoire donné. Ceci est particulièrement
important dans les cas où les résultats du dernier recensement montrent
que le nombre des locuteurs d’une langue est descendu au-dessous
de la valeur du seuil linguistique. Selon le sondage de l’Institut
d’étude des problèmes des minorités nationales de Cluj-Napoca/ Kolozsvár/Klausenburg,
inclus dans l’annexe du rapport du Comité d’experts, le taux des
communautés minoritaires est descendu en-dessous du seuil de 20 %
dans quasi 29 unités administratives selon les premières données
du recensement de 2011
.
48. Je considère comme particulièrement importante la recommandation
du Comité d’experts dans laquelle il invite les États, à permettre
l’utilisation de la langue, indépendamment du seuil linguistique,
sur les territoires où les locuteurs sont traditionnellement présents
et où il y a un intérêt pour l’utilisation de la langue
.
Ceci est surtout significatif dans les cas où les autorités locales
ont la possibilité d’afficher des inscriptions bilingues ou multilingues,
indépendamment du seuil linguistique. L’inscription et l’affichage
des autres dénominations est une mesure relativement simple renforçant
la notoriété de ces langues, ce qui peut avoir des impacts positifs considérables
sur le prestige de la langue régionale ou minoritaire et sur la
conscience publique
.
3.2. Organismes
administratifs de l’État
49. L’article 10.1.a prévoit des obligations d’une
intensité décroissante, de la plus forte à la plus faible. Selon le
point i), qui représente l’obligation
la plus élevée, la langue doit être utilisée dans le travail quotidien
de l’administration publique, c’est-à-dire pas uniquement lors des
communications avec les administrés, mais également dans les relations
internes. Les points ii) à v) prévoient l’utilisation de la
langue régionale ou minoritaire dans la communication orale et/ou
écrite avec les administrés.
50. L’obligation de l’État n’est pas de permettre ou de tolérer
l’utilisation de la langue en question, mais d’assurer que les employés
en communication avec les usagers soient capables d’utiliser la
langue en question d’une manière active
. Pour ce faire, des mesures légales et pratiques
s’avèrent nécessaires, telles que l’élaboration de politiques de
ressources humaines appropriées, l’organisation de formations continues
et l’application d’autres facteurs incitatifs.
3.3. Autorités
locales et régionales
51. L’article 10.2 prévoit l’utilisation
des langues régionales ou minoritaires vis à vis des autorités locales
et régionales, en leur qualité d’entités les plus proches des citoyens.
L’utilisation de la langue à un niveau local et régional s’avère
particulièrement importante du fait que, souvent, les langues constituent
un élément considérable de l’identité historique et culturelle de
la région, ce qui renforce, d’une manière reconnue également par
le Conseil de l’Europe, la démocratie locale et régionale
. Les municipalités locales et régionales
ne peuvent pas se référer au fait qu’elles ne sont pas soumises
à la Charte, car celle-ci a été ratifiée par l’État central. Les
autorités nationales doivent expressément promouvoir et inciter
à ce que l’utilisation des langues régionales ou minoritaires soit
assurée au niveau local et régional. Il n’est pas possible de confier
cette tâche uniquement au discernement des municipalités, car un
environnement juridique permissif ne s’avère pas suffisant pour
la réalisation de l’engagement et l’État doit activement encourager
les municipalités à garantir en pratique l’utilisation de la langue
. À défaut, la présence
d’interprètes doit être assurée (par exemple en Italie, au Tyrol
du Sud, des interprètes de conférence assurent le multilinguisme
lors des sessions des organes municipaux, tandis qu’en Roumanie,
alors que dans le județ de Covasna/Kovászna, qui connaît une importante population
hongroise, les élus ne peuvent s’exprimer qu’en roumain).
52. Un des aspects importants des droits linguistiques, à savoir
le bilinguisme visible, relève aussi des tâches des autorités locales
et régionales. Il est important, même du point de vue de la susdite
identité culturelle régionale, que les autorités inscrivent effectivement
les noms de lieu d’une manière traditionnelle et correcte. Une constatation
importante du Comité d’experts est le fait que, en vertu de l’article,
le terme «nom de lieu» signifie non seulement le nom de la commune,
mais toutes les dénominations topographiques officiellement utilisées
dans la commune, par exemple dans les actes délivrés par les autorités
locales (documents, formulaires, fiches d’information, sites), et
dans les inscriptions (par exemple noms de rue, panneaux de signalisation,
panneaux touristiques)
. Il n’est pas suffisant que l’inscription
des panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération soient bilingues
(c’est la pratique sur les territoires entièrement hongrois en Roumanie),
mais il faut également inclure dans cette pratique les panneaux
de signalisation ainsi que tous les panneaux et inscriptions routiers
comportant des informations, comme par exemple dans la province
du Tyrol du Sud, en Italie. À cet égard, il est souhaitable que
l’État fasse le suivi des panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération,
mais cette tâche peut être confiée à l’autorité des routes et des
transports
.
3.4. Organismes
prestataires de services publics
53. L’article 10.3 concerne les
institutions publiques ou les organismes privés qui proposent des
prestations de service public, à savoir des fournisseurs d’eau,
de gaz ou d’électricité, les assurances retraite ou maladie, les
prestataires de transport, de téléphone ou les entreprise de collecte
des déchets. Dans ce cas aussi, la Charte prévoit des obligations
d’une intensité différente, dont la plus forte est l’utilisation
de la langue régionale ou minoritaire pendant la durée totale de
la prestation, tandis que la plus faible consiste à permettre aux
clients de présenter leur demande dans la langue en question.
54. En règle générale, les États ne fournissent pas suffisamment
d’informations sur la réalisation de ces engagements à l’organisme
chargé du suivi. Il est ainsi difficile de faire des constatations
concrètes – il est possible uniquement de formuler des recommandations
générales. Je suis d’avis que, même dans le cas de l’engagement
le plus faible, il faut garantir qu’un nombre suffisant de salariés
parle la langue concernée dans l’institution proposant la prestation,
et que les informations nécessaires (par exemple le nom des bureaux)
pour pouvoir bénéficier de la prestation soient aussi inscrites
dans la langue concernée. Bien qu'il soit indispensable, à la lumière
des obligations engagées, que ces mesures soient réalisées au moins
dans les communes atteignant le niveau linguistique déterminé par
l'État, ce n'est pas le cas dans de nombreux endroits. À cet égard,
l'initiative ministérielle proposée en République slovaque, selon
laquelle des tableaux en langue minoritaire seront placés près du
nom du bureau affichés en slovaque, dans 55 communes où la proportion
de la minorité linguistique atteint ou surpasse les 20 %, mérite
d'être saluée. Du point de vue du respect de la dignité humaine,
valeur européenne prioritaire, la garantie de la communication dans
la langue maternelle est particulièrement importante dans les hôpitaux
et dans le système de santé.
3.5. Constatations
générales
55. Dans les trois domaines, l’utilisation
réelle de la langue est liée à certaines conditions préliminaires
. Parmi
elles, la plus importante est d’avoir à la disposition des autorités
administratives et des organismes de service public un nombre suffisant
d’employés parlant effectivement les langues en question. En outre,
les autorités administratives doivent informer les citoyens sur
les possibilités d’utiliser la langue et elles doivent favoriser
la possibilité pour les usagers de bénéficier réellement de leurs
droits linguistiques. Des mesures d’encouragement sont particulièrement
nécessaires là où les locuteurs de la langue minoritaire ne sont
pas habitués à utiliser leur langue devant les autorités. Parmi
ces mesures, doivent être mentionnés: le renforcement des compétences
linguistiques des employés par un recrutement approprié ou par des formations,
la possibilité de s’inscrire dans la langue régionale ou minoritaire
(même sur les sites), l’information sur les engagements issus de
la Charte dans la langue régionale ou minoritaire, ainsi que l’affichage
des inscriptions administratives dans ces langues
.
56. Outre la fourniture de traductions, le Comité d’experts a
attiré à plusieurs reprises l’attention sur l’emploi de personnel
parlant la langue ainsi que sur l’importance
des formations
continues. À cet égard, je souhaite signaler que la fourniture d’un
interprète lors des procédures administratives ne représente une
solution pratique que dans des cas exceptionnels, car dans la pratique,
les clients parlant la langue de la majorité ont tendance à traiter
leurs affaires devant les autorités sans intermédiaire de ce type.
C’est pourquoi il est essentiel qu’un personnel parlant la langue
soit à leur disposition et qu’ils ne doivent pas solliciter l’aide
d’un interprète à part.
57. Les États doivent élaborer des politiques spécialisées structurées
qui promeuvent dans la pratique l’utilisation des langues régionales
ou minoritaires dans tous les domaines de l’administration publique,
ce qui peut être formulé comme exigence globale
. Outre les politiques structurées,
il est indispensable de développer un environnement juridique prévisible,
non seulement au niveau de l'administration, mais aussi concernant
toutes les autres matières pertinentes à l'usage de la langue. En
Ukraine par exemple, la Cour constitutionnelle est en train d'examiner
la loi sur la langue en vigueur au moment de la rédaction du rapport. Également,
trois autres projets de lois linguistiques figurent à l'ordre du
jour du parlement. Cela provoque une situation incertaine où il
se pourrait même qu'aucune loi sur l'usage de la langue ne sera
en vigueur dans le pays, et ce, au détriment des langues minoritaires
.
58. Comme exemple positif des propos ci-dessus, on peut mentionner
le cas du Tyrol du Sud où le personnel des autorités est établi
en fonction des proportions ethniques locales, ainsi que le cas
de la Serbie où l’introduction prochaine de la pratique susvisée
figure dans le Plan d’action sur la minorité.
4. Médias
59. Les médias diffusés ou rédigés
dans une langue régionale ou minoritaire jouent un rôle croissant
dans la survie des langues
. Les émissions de radio
et de télévision, ainsi qu’Internet sont devenus aujourd’hui des moyens
importants de communication, et ils sont considérés comme des facteurs
considérables d’identification et de culture. Par conséquent, il
est crucial que les langues régionales ou minoritaires apparaissent
dans les moyens modernes de communication de masse qui peuvent contribuer
efficacement à la préservation de l’identité culturelle de l’individu
et de la communauté, à l’exercice de la liberté d’expression, ainsi
qu’à la possibilité pour les locuteurs de la langue en question
de se procurer des informations générales et d’intérêt public dans
leur langue maternelle. L’existence ou la présence de médias en
langue maternelle est fortement liée à l’exercice d’autres droits,
car la possibilité que l’individu puisse recevoir et transmettre
des informations dans une langue qu’il comprend dans son intégralité
et dans laquelle il est capable de communiquer s’avère une condition
préalable à la participation égale et efficace à la vie publique,
économique, sociale et culturelle
. Les médias ont également intérêt
à avoir des auditeurs et des spectateurs parmi les locuteurs des
langues minoritaires de l’État
. Le lien entre ces deux points
est exprimé d’une manière remarquable dans les principes et les
objectifs généraux de la Charte, qui comportent entre autres l’engagement
des Parties à encourager les moyens de communication de masse en
faveur de la compréhension mutuelle entre tous les groupes linguistiques
du pays, en particulier s’agissant du respect, de la compréhension
et de la tolérance à l’égard des langues régionales ou minoritaires,
tout en transformant les objectifs de l’éducation dans cette direction
.
60. La Charte réglemente le fonctionnement des moyens de communication
de masse dans trois domaines:
- elle
fixe des engagements nationaux dans l’objectif d’assurer et d’encourager
le fonctionnement des moyens de communication de masse utilisant
des langues régionales ou minoritaires;
- elle prévoit la garantie de la liberté de capter directement
les émissions de radio ou de télévision en langue régionale ou minoritaire;
- elle prévoit la représentation des intérêts des locuteurs
des langues régionales ou minoritaires, ainsi que leur présence
dans les organes assurant la liberté et la pluralité des moyens
de communication de masse.
61. Dans la partie suivante, j’aborderai en détail le premier
point, considéré comme le plus important, mais je traiterai également
brièvement le deuxième et le troisième point.
4.1. Importance
de la création d’un environnement juridique et de politiques spécialisées favorables
62. Dans tous les États, les autorités
ont un rôle central dans l’élaboration de la réglementation des
médias, à travers laquelle il est important de créer un environnement
juridique favorable, tout en respectant le principe de l’indépendance
et de l’autonomie des médias. C’est surtout dans la politique relative
aux médias que l’État doit promouvoir l’utilisation des langues
régionales ou minoritaires par des moyens incitatifs, ce qui est
plus difficile à réaliser même dans le cas des médias du service
public
, compte
tenu du fait que ces langues représentent un marché culturel restreint.
Cela d’autant plus que les médias électroniques nécessitent des ressources
considérables et des effectifs bien formés, comme le signale Professeur
Oeter. La différence entre les engagements et la mise en œuvre est
particulièrement visible s’agissant des émissions télévisées. Pour cela,
les États doivent s’abstenir d’introduire des mesures légales et
de politique spécialisée restrictives (voir le paragraphe suivant).
La situation est plus favorable dans le cas des émissions de radio
dont la réalisation et la diffusion s’avèrent moins coûteuses. De
nombreux États assurent une émission radio régulière dans la langue
régionale ou minoritaire, qui offre une prestation de base, mais
on peut également trouver des exemples de chaînes de radio diffusant
des émissions dans la langue minoritaire 24h/24h (voir Suisse
, Serbie
, etc.).
63. En plus d’assurer des durées convenables il est important
d’établir un environnement médiatique dans lequel les opérateurs
sont capables de mettre en place des contenus de qualité et qui
permet de transmettre les contenus rédigés dans les langues minoritaires
ou régionales à un public le plus large possible. Je souhaite observer
que les avis du Comité d’experts montrent que les exigences de la
Charte s’appliquent aux médias publics comme aux médias privés
. On peut constater que dans les États, même
les prestataires médiatiques diffusant des émissions (également)
dans les langues régionales ou minoritaires doivent faire face à
de nombreuses restrictions. Parmi elles, on peut citer les quotas
obligatoires de langue nationale (par exemple Ukraine)
, et les obligations de sous-titrage/de
traduction (par exemple la République slovaque)
. Ces restrictions conduisent à
une infériorité concurrentielle considérable pour les prestataires
d’émissions dans les langues minoritaires. Les obligations de sous-titrage/de
traduction entraînent des frais supplémentaires importants pour
les prestataires, et elles ne permettent pas de réaliser des émissions
en direct ou interactives en raison de ce type de restriction. Je
suis d’avis que dans le cas des langues minoritaires, la réglementation nationale
et la politique médiatique devraient plutôt assurer un avantage
concurrentiel aux prestataires médiatiques visant à créer un environnement
médiatique minoritaire fonctionnant correctement.
64. À cet égard, le sous-financement des fournisseurs de service
médiatique diffusant (également) dans les langues régionales ou
minoritaires est un problème général. Les États devraient permettre
et favoriser l’accès de ces fournisseurs aux fonds et programmes
de subventions généraux et ils devraient créer des fonds et programmes
de subventions, selon leurs possibilités, élaborés exprès pour cet
objectif. Je suis d’accord et je considère toujours comme nécessaire
de réaliser les propositions figurant dans la
Résolution 1985 (2014) de l’Assemblée ainsi que dans le rapport explicatif,
à savoir que les États doivent augmenter les subventions destinées
aux organisations ou aux fournisseurs de services médiatiques représentant
les minorités afin que ceux-ci puissent attirer l’attention de la
société majoritaire sur l’identité, la langue, l’histoire et la
culture de la minorité. En ce sens, une attention particulière doit
être accordée aux territoires ruraux et lointains où les individus
appartenant aux minorités nationales vivent de manière traditionnelle
ou en grand nombre. Je souhaite rappeler l’invitation formulée dans
le point 10.4.6 de la résolution, selon laquelle les États doivent prendre
en considération les minorités nationales en cas de privatisation
des services publics, y compris les médias.
4.2. Diffusion
transfrontalière et représentation des intérêts
65. En outre, selon une disposition
importante de la Charte, les États doivent assurer la libre réception
des émissions de télévision et de radio élaborées dans une langue
identique ou similaire à une langue régionale ou minoritaire, et
diffusées depuis les pays voisins, et ils ne doivent pas empêcher
la rediffusion des émissions de télévision et de radio élaborées
dans cette langue depuis les pays voisins
. Outre les États Parties, l’Union européenne
joue un rôle important et je suis convaincue qu’elle devrait élaborer
ses politiques spécialisées relatives au territoire de manière à
ce que les États membres et les prestataires d’émissions ne puissent
pas appliquer de restrictions de contenu sur la base du territoire,
lesquelles représentent des obstacles surtout pour les spectateurs
qui souhaitent suivre des émissions sportives dans une langue régionale
ou minoritaire.
66. L’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) Minority Safepack,
financée par l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes
(FUEN) a formulé des propositions d’action similaires, qui invitent l'Union
européenne à améliorer, au moyen de la législation, la protection
des personnes appartenant à des minorités nationales et linguistiques,
et à renforcer la diversité culturelle et linguistique de l'Union
européenne. Dans le cadre de la politique audiovisuelle, on a proposé
une modification qui assure la liberté de réception des services
audiovisuels et des contenus radiodiffusés dans les régions habitées
par des minorités nationales même dans le cas des radiodiffusions
analogiques et numériques, du contenu sur demande, des émissions terrestres
et par satellite. La législation devrait également inclure des mesures
politiques dans le domaine des langues régionales ou minoritaires,
de l'éducation et de la culture, de la politique régionale, de la
participation, de l'égalité et du soutien régional (étatique). Par
ailleurs, il est important d’attirer l’attention sur le fait que
la possibilité de recevoir des émissions de télévision et de radio
diffusées depuis les pays voisins dans une langue régionale ou minoritaire
ne dispense pas l’État de ses engagements. Ainsi, indépendamment
de cette réception, il doit encourager de lui-même, la réalisation
et la diffusion d’émissions dans la langue en question
.
67. S’agissant de l’article 11.3 de la Charte, on peut constater
que dans de nombreux États, des lacunes peuvent être observées concernant
la représentation des intérêts des utilisateurs des langues régionales
ou minoritaires dans les organes compétents, c’est-à-dire qu’il
n’y a pas d’organisme, ni de créateur ou de fournisseur d’émissions,
ni de personne chargée de la représentation des intérêts dans les
organismes définissant le contenu culturel des émissions diffusées
.
4.3. Nouvelles
technologies, internet
68. Au cours des vingt dernières
années, nous avons été témoins d’un développement technologique
de grande envergure même dans le domaine des médias, ce qui a considérablement
influencé la diffusion des émissions en langue régionale ou minoritaire.
Par exemple, le passage au numérique peut provoquer de sérieux problème
lors de la réception de certaines chaînes
, mais il procure
également de nouvelles possibilités: En Écosse, le fait que la chaîne
de télévision numérique diffusant en gaélique écossais a été rendue
accessible sur la plateforme télévisée Freelance a entraîné une
augmentation considérable du nombre des spectateurs et a été considéré
comme un succès important
.
69. Lors de la rédaction de la Charte, au début des années 90,
les rédacteurs de la convention ne pouvaient pas prévoir l’orientation
du développement technologique. Dans la Charte, il manque le média
essentiel d’aujourd’hui, à savoir la galaxie de sites internet.
Dans le domaine de l’information, les interfaces web jouent un rôle
toujours croissant. Par conséquent, il est important que les prestataires
de services de l’État et des médias soient également attentifs à
la présence des langues régionales ou minoritaires sur ce support. Nombreuses
sont les émissions de radio ou de télévision qui peuvent être suivies
sur les interfaces web, et des journaux peuvent être également consultés
sans limitation territoriale. Cependant, ceci ne remplace pas la
nécessité de contenus rédigés spécifiquement pour la communauté
linguistique en question.
70. Parmi les nombreux avantages assurés par les nouvelles technologies
,
je souhaite souligner la grande flexibilité qu’offrent ces technologies
même du point de vue des langues. Les citoyens peuvent choisir parmi
différents abonnements celui qui leur convient le mieux (par exemple
dans le cas des bouquets de câbles). Ceci permet également de choisir
parmi les langues dans le cas de certaines émissions. Je considère comme
important que non seulement l’État, mais également les acteurs du
marché privé reconnaissent les possibilités assurées par les nouvelles
technologies et qu’ils permettent de choisir parmi les différentes variantes
linguistiques.
5. Culture
71. Les activités et les événements
culturels sont l’un des plus importants domaines de la préservation
de l’identités des minorités nationales. La préservation des traditions
minoritaires, l’expression des valeurs artistiques dans la langue
maternelle, l’exploitation des théâtres et cinémas, ainsi que la
présentation des traditions historiques des groupes linguistiques
minoritaires sont particulièrement importants dans l’objectif de préserver
la diversité de l’Europe. L’utilisation appropriée de la langue
maternelle s’avère indispensable même dans ce domaine, et étant
donné que de nombreuses manifestations ou institutions culturelles
ne sont pas rentables, car elles sont exploitées par une petite
communauté et n’ont souvent pas de visée commerciale, le rôle des
États est prioritaire
que
ce soit par des engagements actifs ou passifs. Parmi ces engagements apparaissent
les obligations législatives, la fourniture de financements ou l’aide
à la promotion. Ce domaine a un caractère double, car il faut prendre
en compte la préservation des valeurs déjà existantes (coutumes traditionnelles,
traditions littéraires ou historiques typiques des régions, musées,
archives) d’une part, et d’autre part il faut prendre en considération
les formes spécifiques de préservation ainsi que la création d’œuvres
nouvelles (films, périodiques, pièces de théâtres, festivals). Lors
de l’élaboration du rapport, nous nous sommes aperçus que les États
ne mettent pas suffisamment d’informations à disposition. Le Comité d’experts
observe également dans de nombreux rapports d’évaluation que dans
le domaine des activités culturelles, il est difficile de déterminer
si les États membres se sont conformés aux engagements pris par rapport
à cet objectif et qui figurent dans la Charte
.
72. La Charte impose des obligations aux États membres dans trois
domaines:
- dans la mesure du
possible, ils doivent encourager, dans le cadre des activités et
institutions culturelles, l’expression d’une communauté dans sa
langue régionale ou minoritaire, et favoriser les différents moyens
d’accès aux œuvres produites dans ces langues;
- en ce qui concerne les territoires autres que ceux sur
lesquels les langues régionales ou minoritaires sont traditionnellement
pratiquées, et si le nombre des locuteurs d’une langue régionale
ou minoritaire le justifie, ils autorisent, encouragent et/ou offrent
ces activités;
- dans leur politique culturelle à l’étranger, les États
donnent une place appropriée aux cultures régionales ou minoritaires .
73. Concernant le premier et le deuxième point, il faut remarquer
au préalable qu’il est particulièrement difficile, voire pas avantageux
de généraliser pour évaluer ce domaine, car des différences, des
particularités peuvent être constatées non seulement par État membre,
mais aussi au niveau des minorités nationales des États membres
à cause de la diversité historique, culturelle et démographique.
Dans les différents États, on rencontre de nombreux cas et exemples
positifs, notamment la rédaction des sites Internet multilingues
sur les événements culturels en Espagne
, la Journée
des Minorités et le Festival de Théâtre Minoritaire en Roumanie,
le soutien des Journées Culturelles de Livonie tenues à Riga, ou
la participation de la communauté linguistique galloise soutenu
par la Grande-Bretagne au Festival Smithsonian Folklife tenu à Washington
, le programme
médiatique thématique de la Journée des Cultures Minoritaires présentant
la diversité linguistique et culturelle des minorités vivant en
Hongrie, ou l’accord des subventions considérables à la Fondation
des Personnes Sorabes en Allemagne
. On peut aussi
mentionner les événements scolaires de l’été et les programmes de
formation de professeurs en Géorgie qui visent à l’enseignement
du géorgien comme deuxième langue
, ainsi que le financement
et la gestion des bibliothèques et des collections dans de nombreux
États. À part ces faits, il doit cependant être constaté qu’il existe
plusieurs lacunes typiques dans ce domaine.
74. La lacune la plus visible est peut-être le manque de subventions
des différents événements et institutions (théâtres, musées) culturels
,
ou la répartition disproportionnée des subventions. Le Comité d’experts
a également constaté que même si des événements de ce type sont
organisés ou des institutions de ce genre fonctionnent, ils sont
organisés depuis le pays d’origine de la minorité linguistique ou
par des moyens financiers difficiles à obtenir, via des appels d’offres
municipaux ouverts
.
75. S’agissant de la publication de périodiques, qui se situent
à la marge des médias et de la culture, on peut mentionner que,
en dépit des engagements, la publication de quotidiens et d’hebdomadaires
est relativement peu assurée. Cependant, quelques périodiques peuvent
être trouvés dans les communautés minoritaires dont la population
est la plus importante. Dans ce domaine, on peut constater une tendance
à la diminution, ce qui peut être en lien avec la diminution du
nombre (et parallèlement du soutien) des périodiques publiés dans
la langue majoritaire des États membres (en premier lieu suite à
l’expansion des interfaces en ligne). Compte tenu de ces faits,
on rencontre des cas où le taux de subvention était inférieur même
au niveau minimal
. Nous proposons que les États membres
encouragent et incitent, au niveau central et régional, les communautés
vivant en minorités linguistiques à rédiger des périodiques en ligne,
ceux-ci pouvant être exploités avec un budget plus modeste et de
manière plus flexible.
76. Outre le manque de subventions financières, un autre danger
menaçant la conservation des valeurs artistiques est un environnement
juridique ne tenant pas compte des intérêts et possibilités des
minorités nationales. S’agissant de la publication des œuvres littéraires
dans une langue minoritaire on a pu voir des cas (par exemple en
République slovaque) où la loi nationale sur la langue prescrit
aux autorités locales de publier les informations officielles destinées
au grand public dans la langue de l’État
(à
part cela, elles peuvent les publier dans une autre langue aussi).
L’organisme compétent applique la disposition également au journal local
publié par les autorités locales, mais dans un sens élargi selon
lequel cette obligation s’étend également aux informations non officielles.
La traduction dans la langue de l’État est également exigée pour
les écrits littéraires publiés dans le journal (p. ex. dans le cas
des poèmes). Dans les petites collectivités, où la plupart des écrits
sont rédigés par les habitants locaux, la rédaction d’une publication
entièrement bilingue dépasse les possibilités de l’autorité locale.
77. Outre les difficultés financières et législatives, des lacunes
apparaissent également sur la question du recrutement de personnel
formé, parlant à la fois la langue de l’État et la langue minoritaire.
Au cours des voyages officiels effectués en ma qualité de députée
(par exemple en Roumanie, en Lettonie, en République slovaque),
que ce soit dans le cadre du Conseil de l’Europe ou dans un autre
cadre, j’ai constaté de manière récurrente que les établissements
culturels n’emploient pas toujours au moins un salarié parlant la
langue de la minorité, même dans les lieux où cette minorité linguistique
est relativement importante. Ceci rend difficile la communication
et la coopération dans les bibliothèques, musées et archives, entre
les employés et les visiteurs.
78. S’agissant du troisième point de la Charte, les ONG et le
Comité d’experts ont constaté à plusieurs reprises que les États
ne respectaient pas l’obligation de développer la connaissance de
la culture des minorités linguistiques et nationales, à l’intérieur
des frontières
, ni dans le cadre
de leur politique diplomatique culturelle et de leur communication
à l’étranger
. Les deux
aspects sont pourtant extrêmement importants. Le premier parce que
les locuteurs de la langue majoritaires pourraient apprécier la
culture et les valeurs des minorités nationales et linguistiques
vivant au sein de leur pays, si les États s’efforçaient davantage à
les rendre connues. Le deuxième afin que les autres États considèrent
les minorités comme une partie importante et précieuse à préserver
de la diversité historique et culturelle du pays en question. En
même temps, de nombreuses initiatives positives sont lancées dans
ce domaine pour faire connaître et rendre populaires les minorités
au sein d’un pays, comme nous l’avons mentionné au paragraphe 67.
6. Conclusions
79. Pour le Conseil de l’Europe,
il est toujours d’une importance primordiale de faire prendre conscience
aux sociétés européennes du fait que, dans de nombreux pays du continent,
vivent des groupes indigènes régionaux parlant une langue régionale
ou minoritaire, différente de la langue de la population majoritaire.
La protection et le soutien de ces langues régionales ou minoritaires
contribue à maintenir et à développer les traditions et la richesse
culturelles de l’Europe.
80. La Charte, qui joue un rôle considérable dans la réalisation
de cet objectif, donne des orientations permettant aux États européens
de savoir quelles mesures adopter pour renforcer la protection et
le développement des langues régionales ou minoritaires, comme le
constate le rapport d’expert élaboré par le professeur Oeter.
81. Cependant, plusieurs États membres rechignent encore à reconnaître
la force obligatoire de la Charte en tant que traité international,
unique à ce jour, visant expressément à protéger et à promouvoir
les langues régionales ou minoritaires. Parmi les 47 États membres
du Conseil de l’Europe, seuls 25 États membres ont ratifié la convention.
J’estime qu’il est nécessaire d’attirer l’attention des autres 22
États et de les inciter à adhérer à la Charte le plus vite possible.
82. Le suivi de l’application de la Charte commence par le dépôt
d’un rapport présenté par les États membres. Ces dernières années,
il est devenu de plus en plus problématique d’obtenir les rapports
des États, ceux-ci accusant un retard toujours plus considérable
– voire laissant passer un cycle complet de suivi de 3 ans, ce qui
rend difficile le travail du Comité d’experts. Il est indispensable
qu’à l’avenir les États se conforment à l’obligation de soumettre
ponctuellement leur rapport et qu’ils incluent les organismes et
les représentants des locuteurs des langues régionales ou minoritaires
dans la procédure d’élaboration du rapport.
83. Je considère comme important que, pour chaque langue, les
États adaptent leurs engagements à la situation sociolinguistique
objective de la langue en question. De plus, ils doivent se conformer
à leurs engagements non seulement au niveau législatif, mais également
dans le cadre de leurs politiques spécialisées. Non seulement les
parties doivent créer les possibilités légales, mais elles doivent
garantir leur mise en œuvre pratique par d’autres mesures, c’est-à-dire
que l’État doit faire une proposition infrastructurelle à la communauté
utilisant la langue concernée
.
84. À cet égard, les parties doivent appliquer une approche structurée
pour la réalisation des engagements, impliquant tous les niveaux
des institutions, y compris les autorités régionales et locales
et, dans ce but, elles doivent donner une définition claire des
responsabilités et compétences d’exécution.
85. Finalement, je souligne que les langues régionales ou minoritaires
ne constituent pas des «langues étrangères» dans le pays en question,
mais ont un lien historique et culturel étroit avec un territoire
donné. La reconnaissance, l’acceptation et la préservation de ce
fait permettront l’avènement d’un environnement social, politique
et économique favorable à l’épanouissement du dialogue interculturel
et à la tolérance, la paix et la stabilité pour les nations du continent.