1. Introduction
1. Le présent rapport a été établi
à la suite d’une proposition de recommandation déposée par M. Fabritius et
d’autres membres de l’Assemblée le 13 octobre 2016. La commission
des questions juridiques et des droits de l’homme m’a nommée rapporteure
lors de sa réunion du 7 mars 2017.
2. La proposition souligne la contribution essentielle des avocats
au respect de l’État de droit, car ils défendent les libertés individuelles,
notamment dans le cadre de l’article 6 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5, «la
Convention»), qui protège le droit à un procès équitable. Elle relève
que lorsque l’État de droit est menacé, les droits liés à l’exercice
de la profession d’avocat font souvent l’objet de restrictions.
3. Cette proposition note ensuite que certaines normes internationales
relatives aux droits associés à l’exercice de cette profession existent
déjà, notamment une recommandation détaillée du Comité des Ministres du
Conseil de l’Europe, la Recommandation no R (2000) 21
sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat, et les Principes
de base des Nations Unies de 1990 relatifs au rôle du barreau, mais
ces normes sont énoncées dans des instruments non contraignants;
si l’article 6.3.c) de la
Convention consacre le droit de se faire représenter par un avocat
et le droit à l’aide juridictionnelle en matière pénale, il n’existe
pas de normes internationales réglant la profession d’avocat et
les réglementations nationales applicables varient d’un État à l’autre.
4. Afin d’éviter toute incertitude quant au sens à donner au
mot «avocat», je m’attacherai principalement, aux fins du présent
rapport, à désigner ainsi les personnes exerçant leur activité en
profession libérale ou au sein de cabinets d’avocats qui fournissent
un conseil juridique et représentent en justice une clientèle externe et
dont l’activité professionnelle est réglementée par un barreau,
à la différence des juristes de la fonction publique ou des juristes
universitaires, par exemple. Cette définition correspond à celle
que retient la Recommandation no R (2000) 21
du Comité des Ministres. J’évoquerai également la situation des
conseillers juridiques internes (c’est-à-dire des avocats qui sont
employés par des sociétés dont l’activité principale relève d’un
autre domaine), qui a été portée à mon attention.
5. Au cours de l’élaboration du présent rapport, la commission
a organisé deux auditions. La première a eu lieu à Strasbourg, le
12 octobre 2017; y ont participé M. Laurent Pettiti et M. Piers
Gardner, du Conseil des barreaux européens (CCBE), et Mme Ayse
Bingol Demir, avocate turque. La deuxième audition a eu lieu à Paris
le 13 novembre 2017, avec la participation de M. Khalid Baghirov,
avocat azerbaïdjanais, M. Milan Antonijevic de YUCOM, le Comité
des droits de l'homme des avocats de Serbie, et M. Florian Irminger
de la Human Rights House Foundation. J’ai également rencontré les
représentants de diverses associations professionnelles, notamment
l’Union internationale des Avocats (UIA), la Law Society (qui représente
les avocats – «solicitors» – d’Angleterre et du pays de Galles),
l’Association of Corporate Counsel (ACC) et l’Institut voor bedrijfsjuristen
(IBJ, l’Institut belge des conseillers juridiques d’entreprise),
à Bruxelles le 14 novembre 2017.
2. Le rôle des avocats en qualité d’acteurs
de la justice, qui assurent la protection des droits et le respect
de l’État de droit
6. Les avocats jouent un rôle
important dans l’ensemble des relations des citoyens avec les pouvoirs publics
pour ce qui touche à l’exercice et à la protection de leurs droits.
C’est tout particulièrement le cas au sein du système judiciaire.
Comme l’a reconnu la Cour européenne des droits de l’homme, «[l]e
statut spécifique des avocats, intermédiaires entre les justiciables
et les tribunaux, leur fait occuper une position centrale dans l’administration
de la justice. C’est à ce titre qu’ils jouent un rôle clé pour assurer
la confiance du public dans l’action des tribunaux, dont la mission
est fondamentale dans une démocratie et un État de droit. Toutefois,
pour croire en l’administration de la justice, le public doit également
avoir confiance en la capacité des avocats à représenter effectivement
les justiciables. (…) L’avocat agit en qualité d’acteur de la justice directement
impliqué dans le fonctionnement de celle-ci et dans la défense d’une
partie.»
De
fait, outre qu’ils aident les citoyens à défendre leurs droits,
les avocats contribuent au bon fonctionnement du système judiciaire:
au Royaume-Uni, par exemple, le président de la Cour suprême a estimé
que la réduction de l’aide juridictionnelle, qui se traduirait par
un gonflement du nombre des justiciables non représentés en justice, impliquerait
«l’allongement de la durée des audiences judiciaires [et] l’augmentation
de la charge de travail des juges et des autres personnels des tribunaux»
.
7. Le rôle qui revient aux avocats pour garantir une protection
efficace des droits individuels s’étend au-delà du système judiciaire.
Ils fournissent des conseils juridiques préalablement aux procédures
judiciaires et dans des procédures extra-judiciaires de règlement
des litiges, lorsqu’il est possible de régler des questions importantes
sans recourir à des systèmes juridiques nationaux souvent engorgés;
du reste, une assistance juridique spécialisée et indépendante peut
dissuader des clients de s’adresser de façon irréaliste au système judiciaire
pour faire valoir un grief non fondé. Rappelons également que le
recours effectif devant une instance nationale prévu par l’article
13 de la Convention en cas de violation alléguée des droits consacrés
par celle-ci ne doit pas nécessairement être judiciaire pour être
effectif: les conseils juridiques et la représentation dans les
procédures administratives, notamment dans des domaines aussi importants
que la sécurité sociale, l’emploi ou l’asile, peuvent par là-même
tenir également une place importante pour protéger efficacement
les droits consacrés par la Convention.
3. La
situation des avocats dans l’Europe d’aujourd’hui
8. Compte tenu de l’importance
de l’action des avocats pour assurer le respect des droits de l’homme
et de l’État de droit, il est extrêmement préoccupant que le harcèlement,
les menaces et les agressions que subissent les avocats continuent
dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe, voire sont
en augmentation dans certains d’entre eux.
9. Ce phénomène ne se limite pas à l’Europe. En juin 2017, le
Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution
sur l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire, des
jurés et des assesseurs, et l’indépendance des avocats
. Après avoir condamné «tous les actes de
violence, d’intimidation ou de représailles commis par qui que ce
soit et pour quelque raison que ce soit contre des juges, des procureurs
et des avocats, et [rappelé] aux États qu’ils ont le devoir de faire
respecter l’intégrité des juges, des procureurs et des avocats,
de les protéger, ainsi que leur famille et leurs auxiliaires, contre
toutes les formes de violence, de menace, de représailles, d’intimidation
et de harcèlement résultant de l’exercice de leurs fonctions, de
la part d’autorités de l’État ou d’acteurs non étatiques, de condamner
de tels actes et d’en traduire les auteurs en justice», le Conseil
des droits de l’homme s’est déclaré «profondément préoccupé par
le nombre important d’agressions contre des avocats et de cas d’ingérence
arbitraire ou illégale dans leurs activités ou de restrictions à
la libre pratique de leur profession, et [a demandé] aux États de
veiller à ce que toute attaque ou ingérence, quelles qu’elles soient,
visant des avocats fassent promptement l’objet d’une enquête approfondie
et impartiale et que les auteurs aient à répondre de leurs actes».
10. Bien que le présent rapport ne vise pas à faire un bilan exhaustif
de la situation des avocats dans les États membres du Conseil de
l’Europe, certaines situations nationales sont particulièrement
préoccupantes. Elles sont déjà largement connues de l’Assemblée,
mais il est utile de les rappeler ici pour souligner l’urgence qu’il
y a à renforcer la protection de la profession d’avocat à l’échelon
européen.
11. En Azerbaïdjan, trois avocats ont été successivement empêchés
de représenter la célèbre militante de la défense des droits de
l’homme, Leyla Yunus: Javad Javadov, qui a été dessaisi de son affaire
pour un supposé conflit d’intérêts, parce qu’il avait été cité comme
témoin dans cette affaire
; Alaif Gasanov,
qui a été radié du barreau après avoir été reconnu coupable de diffamation
pour des propos tenus au sujet du comportement de la codétenue de
Mme Yunus
;
et Khalid Baghirov, radié du barreau pour avoir critiqué le manque
d’équité du procès d’un autre client, figure majeure de l’opposition,
Ilgar Mammadov
. Autre
cas célèbre, celui d’Intigam Aliyev, avocat spécialiste des droits
de l’homme, responsable de la Société pour l’éducation au droit
et avocat dans 200 requêtes introduites devant la Cour européenne
des droits de l’homme, qui a été condamné en avril 2015 à une peine
d’emprisonnement de sept ans et demi pour diverses infractions, notamment
pour évasion fiscale et activité commerciale illicite, jusqu’à ce
que la Cour suprême ordonne sa libération en mars 2016
.
Amnesty International lui a reconnu la qualité de «prisonnier de
conscience»
et l'Association
internationale des barreaux (International Bar Association) et le
CCBE lui ont décerné leur prix des droits de l’homme, respectivement
en 2015 et 2016. Lors de l’arrestation de M. Aliyev, son domicile
a été perquisitionné et les dossiers de plus de 100 clients qu’il
représentait devant la Cour européenne des droits de l’homme ont
été saisis: la Cour a par la suite conclu que cet acte constituait
une violation de l’obligation, faite à l’Azerbaïdjan par l’article
34 de la Convention, de ne pas entraver par aucune mesure l’exercice
effectif du droit de requête individuelle devant la Cour
. En septembre 2014, quatre
des cinq avocats de M. Aliyev ont été dessaisis de l’affaire pour
un supposé conflit d’intérêts, après avoir été cités à comparaître
en qualité de témoins. Parmi les autres affaires qui peuvent être
évoquées ici figurent celles d’Elchin Sadigov, qui représentait
son client pour des allégations d’actes de torture commis par la
police, et qui a été par la suite, comme son frère, victime de menaces
et de harcèlement de la part des autorités
,
et d’Elchin Mammad, avocat, président d’une association qui dispense
un enseignement en droit et rédacteur en chef d’une revue consacrée
aux droits de l’homme, qui a été placé en détention et dont le téléphone
et l’ordinateur ont été saisis à la frontière, en vertu d’une interdiction
de déplacement qui avait pourtant été suspendue
.
12. La récente réforme des praticiens du droit est elle aussi
préoccupante. La situation en Azerbaïdjan était particulière, dans
la mesure où, depuis l’indépendance du pays, les avocats inscrits
au barreau et d’autres praticiens du droit étaient autorisés à plaider
devant les tribunaux. D’après les informations communiquées par le
«Groupe des praticiens du droit», un réseau informel de conseillers
juridiques indépendants non inscrits au barreau, il existe un peu
moins de 1 000 avocats inscrits au barreau (la plupart dans la capitale,
Bakou), mais environ 8 000 conseillers juridiques non inscrits au
barreau. L’Azerbaïdjan présente, de loin, la plus faible proportion
d’avocat par habitant (10 pour 100 000, contre 147 pour 100 000
en moyenne en Europe; la Bosnie-Herzégovine se place en deuxième
position, avec 37 pour 100 000)
. La législation récemment
adoptée limitera le droit de plaider devant les tribunaux aux avocats
inscrits au barreau, qui jouissent à l’heure actuelle uniquement
d’un monopole en matière pénale
. Cette
réforme risque de restreindre gravement le choix des justiciables
qui se feront représenter en justice. Bien que le nombre des avocats
inscrits ait augmenté de 22 % de 2010 à 2014, l’accès à la profession
est réglementé par la Commission des qualifications du Collège des avocats
(l’Ordre des avocats). L'Association internationale du barreau (IBA)
fait remarquer que la Commission des qualifications, dont la majorité
des membres sont nommés par le ministère de la Justice et la Cour suprême,
est «largement considérée comme une instance fortement influencée
par le gouvernement». L’IBA estime que le Collège dans son ensemble
«n’est pas une institution indépendante capable de protéger les intérêts
des praticiens du droit en Azerbaïdjan. Elle fait au contraire office
d’arme du gouvernement, qui soumet fréquemment les avocats de la
défense dans les procès politiques à des procédures disciplinaires
partiales qui aboutissent à la radiation du barreau de l’intéressé».
Le Collège est également une instance inhabituelle au regard des
normes internationales, puisqu’il contrôle l’attribution des affaires
à ses membres, y compris en les dessaisissant d’une affaire «parfois
(…) pour des motifs jugés contestables par les observateurs»
. Cette réforme risque par conséquent
de compromettre la confiance des justiciables dans la capacité des
avocats à assurer leur représentation effective et leur accès à
la justice, et par conséquent leur confiance dans le système judiciaire
dans son ensemble, ce qui aura des conséquences néfastes pour l’État
de droit en Azerbaïdjan
.
13. Les avocats en Fédération de Russie sont également victimes
de diverses formes d’ingérence, d’intimidation et de violence:
- À l’automne 2014, Tatiana Akimtseva
et Vitaliy Moiseyev, qui représentaient tous deux un témoin dans le
procès d’un chef du crime organisé, ont été assassinés, l’un peu
de temps avant et l’autre immédiatement après la reconnaissance
de la culpabilité du chef mafieux par le jury.
- Vitaly Cherkasov a été agressé physiquement par des personnes
qui se présentaient comme des «militants de l’Église orthodoxe»
au moment où il représentait un militant des droits des personnes lesbiennes,
gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI); la police,
à qui il a demandé de l’aide, n’a pas réagi et a refusé d’enquêter
sur cette agression .
- Arkady Chaplygin, chef d’une association d’avocats spécialisée
dans les affaires de conscription militaire et qui a pris part à
des affaires de contestation des résultats aux élections municipales,
a été physiquement agressé par des inconnus qui ont forcé la porte
de son étude .
- Dmitry Egoshin a été menacé par des suspects au cours
d’une séance d’identification organisée par la police pour que son
client, agressé physiquement par des policiers et des agents de
sécurité privés, identifie les coupables .
- Irinia Khrunova, avocate d’une militante des Pussy Riot
placée en détention, Nadezhda Tolokonnikova, a été accusée de complot
contre l’administration pénitentiaire par un des membres d’une délégation envoyée
par le Conseil présidentiel des droits de l’homme pour inspecter
les conditions de détention de sa cliente et le directeur de la
prison a porté plainte contre elle pour corruption, au motif qu’elle
l’aurait soumis à un chantage pour obtenir de meilleures conditions
de détention pour sa cliente .
- Murad Musayev, qui représentait un Tchétchène accusé d’avoir
tué un colonel de l’armée russe, a été lui-même accusé de falsification
de témoignage et d’entrave à la justice .
- Yegor Mylnikov a été suspendu à deux reprises pendant
qu’il représentait son client dans une affaire, lorsqu’il a été
cité à comparaître comme témoin dans cette même affaire et lorsqu’il
a été menacé de perdre son statut d’avocat de la défense à la suite
d’une plainte disciplinaire; les tribunaux ont par la suite conclu
que son interrogatoire avait été illégal et uniquement destiné à
l’évincer de cette affaire et ont annulé tous les chefs d’accusation
retenus contre lui .
- Georgy Antonov, qui représentait deux hauts fonctionnaires
du ministère de l’Intérieur accusés de corruption (ils enquêtaient
tous deux sur des affaires de corruption; l’un d’eux se serait suicidé
lors de son interrogatoire), a été interrogé en qualité de témoin
dans l’affaire de ses clients et en a été en conséquence dessaisi;
il a ensuite fait l’objet de poursuites judiciaires, son domicile
a été perquisitionné et les dossiers d’affaires en sa possession
ont été saisis .
- En mai 2016, Marina Moshko a été interrogée en qualité
de témoin dans l’affaire de son client, ce qui a eu pour effet de
la dessaisir de l’affaire; son étude a été perquisitionnée et ses
dossiers ont été examinés .
14. La situation au Caucase du Nord est particulièrement alarmante,
comme l’a relevé la
Résolution
2157 (2017) de l’Assemblée, «Les droits de l'homme dans le Caucase
du Nord: quelles suites donner à la
Résolution 1738 (2010)?», qui indique que «les avocats qui défendent les victimes
de violations des droits de l’homme sont eux-mêmes devenus la cible
d’agressions, d’actes d’intimidation et de chefs d’accusation fabriqués
de toutes pièces en représailles à leur action». Un rapport publié
en 2013 par Amnesty International énumère plusieurs affaires, dont
les suivantes:
- Sapiyat Magomedova
a été frappée par la police au Daghestan après s’être vue refuser
d’aller voir son client placé en détention: lorsqu’elle a tenté
de faire engager des poursuites contre les agents responsables,
elle a elle-même été mise en accusation; la Cour suprême a finalement
conclu qu’il était impossible de mener une enquête, alors qu’il
existait des éléments de preuve pour corroborer ses allégations.
- Irina Kodzaeva a été soumise au même type d’épreuve en
Ossétie du Nord. Des juges ont tenté à plusieurs reprises d’obtenir
des poursuites disciplinaires contre l’avocat ingouche Batyr Akhilgov,
qui ont cependant toutes été rejetées par le barreau.
- En Ingouchie, Maryam Esmurzieva et ses enfants ont été
menacés par le chef d’un commissariat de police où son client avait
été torturé .
- Un rapport consacré en 2015 par Human Rights Watch au
Daghestan évoque les affaires Magomed Guchuchaliev, qui représentait
des insurgés et a été assassiné devant son domicile, ce qui en fait
le deuxième avocat de ce type à être assassiné en l’espace de 18
mois; Murad Magemadov, agressé devant un tribunal par des individus
soupçonnés d’être en rapport avec la victime de l’homicide dont
son client était accusé, sans que la police n’ouvre d’enquête judiciaire
au sujet de cette agression; et Sapiyat Magomedova (également mentionné
dans le rapport d’Amnesty), qui a reçu à plusieurs reprises des menaces
de mort et à l’encontre duquel le ministère de l’Intérieur a engagé
une action en diffamation pour avoir accusé des fonctionnaires de
police d’avoir torturé son client .
- Magamed Abubakarov, avocat spécialiste des droits de l’homme
en Kabardino-Balkarie, a commencé à recevoir des menaces en 2007;
en 2011, il a été gravement blessé dans un accident de la circulation suspect,
dans lequel la police était impliquée; en 2013, il a reçu d’autres
menaces par téléphone et, après avoir porté plainte au commissariat,
par lettre anonyme .
- Taisiya Baskayeva, qui a représenté de nombreux requérants
devant la Cour européenne des droits de l’homme, a été placée en
détention à Moscou, transférée en Ossétie du Nord, où elle s’est
vue notifier par des enquêteurs d’Ossétie du Nord 42 chefs d’accusation
de fraude liée à la réparation octroyée par la Cour à ses clients
pour avoir effectué leur service en Ossétie du Nord pendant l’état
d’urgence .
15. Les bureaux de Grozny du Groupe mobile conjoint (JMG) d’avocats
défenseurs des droits de l’homme bénévoles qui enquêtent sur les
violations des droits de l’homme en Tchétchénie, ont été incendiés
en 2014, puis vandalisés par une foule organisée en 2015; en 2016,
un bus qui transportait des avocats de ce même Groupe et des journalistes
a été immobilisé par des voitures dans laquelle se trouvaient des
hommes masqués, qui ont agressé physiquement les occupants du bus
avant d’incendier ce dernier; peu de temps après, des hommes armés
et masqués ont attaqué les locaux du Groupe en Ingouchie
. La
Cour suprême de la République tchétchène a accusé Marina Dubrovina
et Dokka Itslaev «d’atteinte à l’honneur et à la dignité d’un avocat»
et a recommandé leur radiation du barreau au motif qu’ils avaient
repris les allégations d’actes de torture commis par la police formulées
par leurs clients
. Alors que Shamil Magomedov
se trouvait à Moscou en octobre 2017, peu de temps après l’acquittement
d’un de ses clients, un agent des forces de l’ordre s’est rendu
à son domicile au Daghestan et a demandé où il se trouvait et «pourquoi
il se plaignait à ce point des services répressifs»
.
16. En Turquie, la situation des avocats à la suite de la tentative
de coup d’état de juillet 2016 et celle des avocats qui représentent
des clients kurdes ou qui sont associés à la cause kurde sont extrêmement préoccupantes.
Selon le CCBE, au 13 septembre 2017, 1 343 avocats faisaient l’objet
de poursuites pénales et 524 avocats avaient été arrêtés depuis
le coup d’état. Parmi eux figurent 18 avocats qui représentaient
le maître de conférences d’université et le professeur d’école révoqués
en vertu des décrets-lois pris dans le cadre de l’état d’urgence
.
Au nombre des autres arrestations massives d’avocats accusés de
liens avec le mouvement güléniste figurent 19 avocats de la province
de Kahramanmaras, 11 avocats de la province de Denizli, 62 avocats
du barreau d’Istanbul qui ont fait l’objet d’un mandat d’arrêt
, 22
avocats d’Izmir (dont Taner Kilic, président d’Amnesty International
Turquie)
, 4 avocats
et membres de l’Association des droits de l’homme (IHD) de la province
de Mardin
,
22 avocats d’Antalya
et
50 avocats d’Istanbul
. Le 9 mai 2017, Mustafa Özben,
avocat et professeur dans une université fermée par le Gouvernement
turc pour ses liens allégués avec le mouvement güléniste, a été
enlevé à Ankara; sa femme a alors saisi la Cour constitutionnelle turque
en affirmant qu’il avait été enlevé par les services secrets turcs
.
En juillet 2017, trois avocats ont été condamnés à des peines d’emprisonnement
allant jusqu’à 12 ans pour leurs liens avec le mouvement guléniste
. Le CCBE a mentionné une déclaration
du barreau d’Adana, qui fait part «des craintes et des préoccupations
[de ses membres] au sujet d’éventuelles représailles contre les
avocats (…), de la décision prise par certains avocats de ne pas
assurer la défense des personnes détenues en lien avec la tentative
de coup d’état et du traitement hostile dont ils font l’objet de
la part des fonctionnaires de police et des procureurs lorsqu’ils
représentent les détenus». Les avocats associés à la communauté
kurde ont également fait l’objet d’arrestations massives: parmi
les exemples récents figurent neuf avocats arrêtés en compagnie
de 210 membres du parti HDP
, un avocat arrêté
et victime de violences physiques qui se trouve au nombre des 568
personnes détenues dans le cadre d’une enquête sur le HDP
et
l’arrestation de neuf membres de l’Association des avocats défenseurs
des libertés civiles, qui représentaient les 46 avocats déjà jugés
pour avoir pris part à la défense d’Abdullah Öcalan
.
Plus inquiétant encore, l’assassinat en 2015 de Tahir Elci, président
du barreau de Diyarbakir et avocat kurde de premier plan, qui a
été abattu lors d’une conférence de presse par un homme armé non
identifié quelques semaines après l’ouverture d’une enquête judiciaire
pour «propagande terroriste» à son encontre
.
17. D’une manière plus générale, les décrets-lois pris dans le
cadre de l’état d’urgence décrété en Turquie ont restreint les droits
de la défense: comme l’indique l’exposé des motifs de la
Résolution 2156 (2017) de l’Assemblée sur le fonctionnement des institutions
démocratiques en Turquie, «les détenus pouvaient devoir attendre
cinq jours avant d’avoir accès à un avocat et des restrictions ont
également été imposées à leur droit de se faire assister d’un avocat
de leur choix ou à leur droit de s’entretenir en privé avec leur
avocat. Outre ces obstacles juridiques, (…) les avocats se heurtent
à une série d’obstacles pratiques lorsqu’ils veulent rendre visite
à leurs clients, comme la limitation des heures de visite ou l’obligation
de prendre rendez-vous avec leurs clients. S’il est indéniable que
le nombre des arrestations et des placements en détention a imposé
une charge supplémentaire à la police et au système judiciaire,
dont les capacités logistiques sont limitées, les droits de la défense
les plus élémentaires, comme l’accès à un avocat, ne devraient pas
avoir à en souffrir». (Il convient de noter que, depuis le 23 janvier
2017, les restrictions imposées à l’accès à un avocat au cours des
cinq premiers jours de détention ont été supprimées.)
18. De nombreux cas d’ingérence dans les affaires, d’intimidation
et d’agression des avocats se sont également produits en Ukraine.
Le 14 mars 2016, Viktor Loiko a été retrouvé mort dans son appartement
de Kharkiv; malgré l’absence de lésions apparentes sur son corps,
la porte de son appartement avait été fracturée et celui-ci avait
été saccagé; les observateurs indépendants estiment qu’il a été
assassiné. Un peu plus tard au cours du même mois, Yury Grabovsky,
qui avait assuré la défense d’un Russe accusé d’avoir commis des infractions
terroristes en qualité de membre des services de renseignements
de l’armée à Louhansk, a été retrouvé abattu par balles et enterré
dans un verger abandonné au sud de Kyiv. Le même jour, Oksana Sokolovskaya,
qui avait travaillé avec M. Grabovsky sur cette affaire, a demandé
et obtenu une protection officielle. Deux autres avocats, Oleksandr
Gruzkov de Kharkiv et Yury Ignatenko, ont été assassinés un an auparavant
. Un rapport
de l’Association nationale des barreaux ukrainiens consacré à la
période 2013-2016 cite de nombreux exemples d’agressions physiques
perpétrées à l’encontre des avocats, souvent par des fonctionnaires
de police ou d’autres agents publics; de menaces proférées à l’encontre
d’avocats à propos de leurs activités professionnelles, là encore
bien souvent par des agents publics; de poursuites pénales engagées
à l’encontre des avocats, qui présentent fréquemment des vices de
forme; d’interrogatoires d’avocats en qualité de témoins dans les
affaires de leurs clients, menés par les enquêteurs, ce qui porte atteinte
au secret professionnel de l’avocat; de destruction de biens appartenant
à des avocats, notamment plusieurs cas de voitures incendiées; de
perquisitions des locaux d’avocats, qui aboutissent souvent à la
saisie illégale de documents qui relèvent du secret professionnel
de l’avocat; et, enfin, de surveillance discrète des avocats
. Les représentants
de l’Association nationale des barreaux ukrainiens ont indiqué que
les difficultés rencontrées par ses membres se sont accrues depuis
2016, par suite de la réforme des autorités et des procédures d’enquête
et de poursuites, à laquelle s’ajoute un surcroît de pressions politiques
exercées pour obtenir des condamnations dans des affaires très médiatisées.
En conséquence, les enquêteurs cherchent à contraindre les avocats
à renoncer à certaines affaires ou à obtenir qu’ils en soient dessaisis,
afin qu’ils soient remplacés par des avocats commis d’office, sous-payés
et moins motivés ou plus malléables. L’Association nationale des
barreaux ukrainiens est également très préoccupée par le fait que
la nouvelle loi relative à la profession d’avocat soit en cours
d’élaboration sans aucune consultation de la profession.
19. Les incidents survenus dans les États précités peuvent être
particulièrement répandus et, parfois, résulter systématiquement
d’une politique délibérée, ce qui ne signifie pas que des problèmes
ne se soient pas posés dans d’autres pays au cours de ces dernières
années. Une avocate française a ainsi reçu des menaces de mort parce
qu’elle assurait la défense de migrants
.
En Géorgie, Giorgi Mdinaradze a été physiquement agressé par le
responsable d’un commissariat de police où il conseillait son client
et a ensuite été accusé par le ministère de la Justice d’avoir «provoqué»
l’auteur de son agression; l’avocat qui représentait M. Mdinaradze a
lui-même été placé en détention administrative, précisément parce
qu’il assurait la défense de M. Mdinaradze, selon l’Association
des barreaux géorgiens
.
Une avocate qui représentait les réfugiés syriens en Grèce a été
citée à comparaître par un tribunal à propos de poursuites judiciaires
engagées à l’encontre de ses clients et son appartement a été fouillé
par des individus qui se sont ultérieurement révélés être des fonctionnaires
de police
. En Italie, le
dirigeant d’un parti politique, membre du Parlement européen, a
publiquement reproché à un avocat d’assurer la défense de l’un de
ses clients, ce qui a eu pour effet de générer des insultes et des
menaces, y compris des menaces de mort, proférées à l’encontre de
l’avocat
. Au Royaume-Uni, le Premier ministre a
encouragé l’Autorité de régulation des avocats (SRA) à engager des poursuites
disciplinaires contre un cabinet d’avocats précis; au cours de la
procédure, un ministère et cette même Autorité de régulation ont
échangé une abondante correspondance dans laquelle ils abordaient
à la fois les poursuites disciplinaires et la réforme de la réglementation
des services juridiques, qui était alors envisagée par le gouvernement.
Une ancienne Solicitor General a condamné ces «pressions», qu’elle
a qualifiées de «totalement déplacées et conçues et ressenties comme
un moyen de faire pression sur l’Autorité de régulation», «un acte
qui a porté atteinte à l’État de droit»
.
Le CCBE m’a fourni des informations sur divers problèmes survenus
dans d’autres pays, dont l’Albanie, l’Arménie, la Bosnie-Herzégovine,
l’Estonie, la République de Moldova, la Lituanie, la Serbie et «l’ex-République
yougoslave de Macédoine».
4. Les
normes internationales en vigueur
20. Comme on peut s’y attendre,
le droit à un procès équitable, qui est l’un des fondements de la
protection des droits de l’homme dans un État régi par la prééminence
du droit, est consacré par un grand nombre d’instruments internationaux
et régionaux relatifs aux droits de l’homme. Comme indiqué plus
haut, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme
protège le droit à un procès équitable. Sont ici directement concernées
plusieurs questions intéressant l’exercice de la profession d’avocat.
En matière pénale, il s’agit du droit du justiciable de disposer
du temps et des moyens nécessaires à la préparation de sa défense
et du droit de se faire représenter par l’avocat de son choix ou,
s’il n’a pas les moyens de rémunérer un avocat, de bénéficier gratuitement
d’une aide juridictionnelle lorsque les intérêts de la justice l’exigent.
Ces dispositions ont été précisées par la jurisprudence de la Cour,
qui englobe des questions telles que le droit de se faire assister
et appuyer par un avocat d’un bout à l’autre de la procédure pénale
dès le placement en garde à vue, le droit de se faire représenter
en justice lors d’un procès par défaut, l’aide juridictionnelle,
les règles de procédure applicables à la procédure contradictoire,
l’accès aux éléments de preuve et le droit de consulter un avocat.
L’article 6 ne comporte pas de dispositions détaillées sur la procédure
civile, mais la jurisprudence de la Cour a établi, par exemple,
que l’État pouvait, dans certaines circonstances, devoir fournir
une aide juridictionnelle et que certains principes devaient être
respectés pour que l’égalité des armes entre les parties soit assurée.
21. L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques garantit lui aussi le droit à un procès équitable.
Les dispositions pertinentes de cet article 14 présentent une grande
analogie avec celles de l’article 6 de la Convention. Le Comité
des droits de l’homme des Nations Unies a précisé la portée et la
teneur de l’article 14 du Pacte dans son Observation générale no 32,
qui porte sur des questions qui ne sont pas toutes expressément
mentionnées dans l’article 14, telles que l’égalité des armes, le
droit de communiquer avec l’avocat de son choix (entretiens privés
et confidentialité des communications, notamment) et le droit de l’avocat
de conseiller et de représenter des prévenus, conformément aux règles
généralement admises de la déontologie professionnelle, sans restrictions
et en l’absence de toute influence, pression ou ingérence excessive
de qui que ce soit.
22. En dehors de ces normes conventionnelles contraignantes, un
grand nombre d’instruments internationaux et régionaux abordent
des questions liées à l’équité des procès qui intéressent la profession d’avocat.
Sont particulièrement pertinents à cet égard la Recommandation no R (2000) 21
du Comité des Ministres sur la liberté d’exercice de la profession
d’avocat et les Principes de base des Nations Unies de 1990 relatifs
au rôle du barreau. La Recommandation no R (2000) 21,
par exemple, aborde tout un éventail de questions: les principes
généraux relatifs à la liberté d’exercice de la profession d’avocat,
qui reposent sur l’idée que «[t]outes les mesures nécessaires devraient
être prises pour respecter, protéger et promouvoir la liberté d’exercice
de la profession d’avocat sans discrimination ni intervention injustifiée
des autorités ou du public»; l’enseignement du droit, la formation
et l’accès à la profession d’avocat; le rôle et les obligations
des avocats; l’accès de toute personne à un avocat, aux associations
[d’avocats]; et les mesures disciplinaires. La «Liste des critères
de l’État de droit» adoptée par la Commission européenne pour la
démocratie par le droit (Commission de Venise) comprend une partie
sur l’indépendance et l’impartialité du barreau, dans laquelle il est
indiqué que «[l]es avocats sont d’indispensables auxiliaires de
justice».
23. Les associations professionnelles d’avocats s’occupent activement
de leur côté de promouvoir les normes applicables dans ce domaine.
L’Association internationale du barreau (IBA), par exemple, a adopté
les «Normes applicables à l’indépendance de la profession juridique»,
les «Principes internationaux de déontologie de la profession juridique»
et un «Guide pour l’établissement et le maintien des procédures
de plainte et procédures disciplinaires». Le CCBE a adopté une Charte
des principes essentiels de l’avocat européen. L’UIA a adopté la
Charte de Turin sur l'exercice de la Profession d'avocat au XXIème
siècle. La plupart de ces instruments ont été adoptés après la Recommandation
no R (2000) 21 du Comité des Ministres.
5. Le
besoin d’une convention sur la profession d’avocat
24. Si certaines questions fondamentales
relatives à l’équité du procès sont incorporées dans des instruments
contraignants, notamment la Convention et le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, toute une série d’autres
questions d’une importance cruciale pour la profession d’avocat
ne sont abordées que dans des instruments non contraignants. Il
s’ensuit que la valeur ajoutée la plus évidente d’une convention
sur la profession d’avocat serait son caractère contraignant.
25. Comme nous l’avons indiqué dans la partie 3, la situation
des avocats dans un grand nombre d’États membres du Conseil de l’Europe
est préoccupante, étant donné leur contribution à la protection
des droits de l’homme et de l’État de droit et les pressions indues
dont ils sont fréquemment l’objet, quant ils ne sont pas, dans les
pires des cas, victimes d’agressions physiques, de disparitions
forcées et d’assassinat. La transformation des normes non contraignantes
actuelles en un instrument contraignant serait un moyen d’adresser
un message politique fort sur l’importance de la profession d’avocat
et la nécessité pour les autorités des États membres d’en garantir
plus efficacement la sécurité et l’indépendance.
26. Le fait d’entreprendre un travail intergouvernemental sur
un projet de convention présenterait un autre avantage, en offrant
la possibilité d’actualiser les dispositions d’une recommandation
du Comité des Ministres vieille de 17 ans à la lumière des nombreux
textes élaborés depuis son adoption, et notamment de l’évolution de
la jurisprudence de la Cour.
27. Une convention pourrait prévoir un mécanisme de suivi, comme
un Comité des Parties ou un autre mécanisme plus élaboré, conformément
à la pratique couramment suivie depuis quelques années dans le cas des
conventions du Conseil de l’Europe
. On pourrait ainsi faire en sorte
que les normes contraignantes soient respectées par les parties
à la convention et donnent un contenu concret et durable à la reconnaissance politique,
ainsi obtenue au niveau du Conseil de l’Europe, de la nécessité
d’agir dans ce domaine.
28. Une convention pourrait également être ouverte à la ratification
des États non membres, comme cela a été presque systématiquement
le cas des conventions récentes du Conseil de l’Europe, y compris
les trois conventions mentionnées dans la note 50. De la sorte,
les États non européens pourraient souscrire aux normes contraignantes
de la convention, en en faisant ainsi un modèle à suivre à un niveau
international plus large.
29. On pourrait aussi envisager de créer, parallèlement à une
convention, une plateforme de promotion de la protection des avocats,
en s’inspirant de la Plateforme pour renforcer la protection du
journalisme et la sécurité des journalistes, qui a été créée en
2014
. Conçue comme «un espace public destiné
à faciliter l’obtention, le traitement et la diffusion d’informations
sur les graves problèmes concernant la liberté des médias et la
sécurité des journalistes dans les États membres du Conseil de l’Europe»,
cette dernière plateforme entend «améliorer la protection des journalistes,
mieux répondre aux menaces et à la violence visant les professionnels
des médias et promouvoir les mécanismes d’alerte rapide et les capacités d’intervention
au sein du Conseil de l’Europe».
6. Portée
et teneur possibles d’une convention sur la profession d’avocat
30. Toutes les instances consultées
au cours de l’élaboration du présent rapport conviennent du fait
qu’une convention devrait reposer essentiellement sur les principes
déjà incorporés dans la Recommandation no R (2000) 21
du Comité des Ministres. Sa rédaction devrait également tenir compte
des autres instruments adoptés depuis 2000, notamment ceux mentionnés
au paragraphe 22 ci-dessus, ainsi que de la jurisprudence ultérieure
de la Cour européenne des droits de l’homme.
31. Le CCBE, l’UIA et l’IBJ ont également convenu que certaines
questions devaient faire l’objet d’une attention particulière à
l’occasion de l’insertion de ces principes dans une convention:
la portée de la convention, notamment le sens à donner au terme
«avocat»; l’étendue et la protection des privilèges attachés à la
profession d’avocat; le rôle des instances professionnelles (c’est-à-dire
des barreaux envisagés comme des instances de régulation titulaires
d’un mandat); et la nécessité de mettre l’accent sur l’obligation
faite aux autorités nationales de respecter et de protéger la profession
d’avocat, ainsi que de promouvoir le rôle qu’elle joue en garantissant
l’efficacité du système judiciaire et en protégeant les droits de
l’homme et l’État de droit. Ces questions sont d’ailleurs étroitement
liées les unes aux autres, comme le montrent les réflexions qui suivent.
32. Dans certains pays, le conseil juridique et la représentation
en justice sont assurés par des conseillers juridiques qui ne sont
pas inscrits auprès d’un barreau. Comme nous l’avons indiqué plus
haut, cette situation pose tout particulièrement problème en Azerbaïdjan,
où une récente réforme supprimera la possibilité donnée à ces conseillers
juridiques de plaider devant les tribunaux, malgré la forte pénurie
d’avocats inscrits. YUCOM m’a indiqué qu’en Serbie les organisations
de la société civile assurent une part importante du conseil juridique et
de la représentation en justice, surtout dans les affaires relatives
aux droits de l’homme. Cela tient en partie au manque de spécialisation
dans ce domaine des avocats inscrits, mais également à l’absence
d’aide juridictionnelle en Serbie, ce qui empêche de nombreuses
personnes de s’offrir les services d’avocats inscrits. La relative
inaccessibilité du conseil juridique et de la représentation en
justice est une source de préoccupation commune aussi bien en Azerbaïdjan
qu’en Serbie. Bien que rien n’empêche en principe les autorités
nationales d’accorder la possibilité de plaider devant les tribunaux
exclusivement aux avocats inscrits, cette décision doit être prise
en respectant pleinement le droit des citoyens à être représentés
en justice, comme le résume le paragraphe 19 plus haut. Les États
sont tenus de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour veiller
à ce que chaque personne ait un accès effectif aux services de représentation
en justice fournis par des avocats indépendants, comme l’énonce
le Principe IV de la Recommandation no R (2000) 21. Cela
suppose l’existence d’un barreau véritablement indépendant, conçu
comme un organe réglementaire titulaire d’un mandat, chargé de contrôler
l’accès à l’exercice de la profession de manière à garantir la présence d’un
nombre suffisant d’avocats convenablement qualifiés et formés; une
aide juridictionnelle doit être mise à la disposition des justiciables,
conformément aux obligations légales qui garantissent l’accès à
la justice; mais lorsque le nombre des avocats inscrits est insuffisant
ou que la fourniture d’une aide juridictionnelle ne permet pas d’assurer
la représentation en justice des citoyens par des avocats inscrits
dans toutes les affaires, il peut être nécessaire d’étendre l’autorisation
de plaider devant les tribunaux à d’autres praticiens du droit indépendants,
convenablement qualifiés et réglementés.
33. Une autre question a été portée à mon attention: la situation
des conseillers juridiques internes ou des juristes d’entreprise,
qui ne sont pas pris en compte par la Recommandation no R (2000) 21,
ni mentionnés dans la proposition de recommandation. Cette situation
est surtout problématique parce qu’ils ne jouissent pas du secret
professionnel qui permettrait de protéger les échanges internes
entre la direction de l’entreprise et le conseiller juridique interne
de toute communication et divulgation de pièces dans le cadre des
procédures, y compris les procédures engagées en vertu du droit
de la concurrence de l’Union européenne, au motif que l’obligation
d’indépendance nécessaire à l’application du secret professionnel
n’était pas remplie lorsque l’avocat en question avait une relation
d’emploi avec son client
.
Cette question complexe justifie un examen plus approfondi, éventuellement
dans un rapport séparé.
34. Il convient également de tenir compte, au moment de l’élaboration
de la convention, de l’évolution du contexte juridique général depuis
l’adoption par le Comité des Ministres de sa recommandation en 2000. Entendons
par là, en particulier, la législation et la réglementation visant
à lutter contre la corruption, le blanchiment de capitaux et le
terrorisme. Ces textes ont bien souvent des répercussions en matière
de respect de la vie privée, par exemple lorsqu’ils prévoient une
surveillance ou des obligations déclaratives; il peut alors s’avérer
indispensable de renforcer les normes relatives aux privilèges attachés
à la profession d’avocat et à la confidentialité des communications
entre avocats et clients.
35. Dans sa contribution écrite à l’élaboration du présent rapport,
le CCBE indiquait qu’il ne fallait pas transférer toutes les dispositions
de la Recommandation no R (2000) 21 dans
une convention, puisque certaines d’entre elles étaient l’expression
de normes déjà contraignantes au titre de la Convention européenne
des droits de l’homme. À cet égard, le CCBE proposait un ensemble
plus limité de principes codifiés, qui prolongent et amplifient
certaines dispositions de la recommandation du Comité des Ministres,
tout en se fondant également sur sa propre Charte des principes
essentiels de l’avocat européen de 2006. L’idée que l’élaboration
d’une convention passe par la sélection des dispositions de la recommandation
qu’il convient d’y intégrer implique un degré de réflexion technique
qui relève davantage du stade de la rédaction, et sort par conséquent
du cadre du présent rapport.
36. S’agissant du mécanisme de contrôle, le CCBE a proposé une
approche en deux étapes: utiliser la possibilité d’adresser une
pétition à l’Assemblée, en vertu de l’article 67 du Règlement de
l’Assemblée; constituer un comité d’experts chargé d’examiner des
rapports périodiques sur la mise en œuvre de la convention par les
États qui y sont Parties. J’ai quelques réserves à l’égard de la
première idée. La procédure de pétition adressée à l’Assemblée est
très peu utilisée et soumise à toute une série de conditions restrictives, puisqu’en
sont exclues les questions qui appellent «la réparation de préjudices
particuliers» (ce qui peut exclure les griefs individuels), qui
sont examinées par les juridictions nationales (ce qui peut exclure
les griefs relatifs à des procédures judiciaires en cours) ou pour
lesquelles le pétitionnaire dispose de recours nationaux ou de la
possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.
Ces restrictions peuvent empêcher l’examen d’un certain nombre de
situations qui seraient autrement pertinentes. La procédure dépend également
du renvoi de la pétition par le Bureau de l’Assemblée devant une
commission, pour examen sur le fond. Même en cas de renvoi devant
une commission, la pétition aboutit normalement à l’établissement
d’un rapport, dont la présentation au Bureau prend inévitablement
un certain temps; le Bureau doit ensuite décider des suites à donner.
Selon moi, une plateforme identique à celle qui a déjà été mise
en place pour les journalistes, évoquée au paragraphe 28 ci-dessus,
poursuivra le même but, mais plus efficacement. À ce propos, rappelons
que, dans sa
Recommandation
2085 (2016) «Renforcer la protection et le rôle des défenseurs des
droits de l’homme dans les Etats membres du Conseil de l’Europe»,
l’Assemblée demandait la création d’une plateforme de protection
des défenseurs des droits de l’homme, et notamment des avocats. J’observe
que le Comité des Ministres n’a pas encore donné de réponse définitive
à cette proposition.
37. Un mécanisme qui reposerait sur la remise de rapports périodiques
à un comité d’experts semble mieux correspondre à la pratique en
vigueur au Conseil de l’Europe pour les mécanismes de suivi des
conventions. Ce dispositif serait plus transparent et plus efficace
si l’on autorisait les organisations de la société civile, y compris
les associations d’avocats, à formuler leurs observations. Cette
proposition devrait sans aucun doute être prise en compte lors de
l’élaboration d’une convention sur la profession d’avocat.
7. Conclusions
et recommandations
38. Une profession d’avocat bien
établie et réglementée, indépendante, est cruciale pour le respect
de l’État de droit et la défense des droits de l’homme. Ce constat
transparaît dans un certain nombre d’instruments internationaux,
dont les normes essentielles sont incorporées dans la Convention
européenne des droits de l’homme et étoffées par la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme. D’autres dispositions détaillées
figurent dans des instruments non contraignants, adoptés à la fois
par des organisations internationales, dont le Conseil de l’Europe
et les Nations Unies, et par les associations internationales d’avocats.
39. Ces normes élargies sont toutefois dépourvues de caractère
contraignant et, comme les avocats subissent de plus en plus de
pressions dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe et
ne sont pas toujours bien protégés dans de nombreux autres, l’existence
d’un instrument contraignant dans ce domaine, sous la forme d’une
convention, est indispensable. Cette convention devrait être établie
à partir de la Recommandation no R (2000) 21
du Comité des Ministres et tenir compte des normes ultérieures et
des évolutions survenues dans le domaine juridique. Elle pourrait
prévoir un mécanisme de contrôle effectif et être ouverte à l’adhésion
des États non membres. En outre, cette convention devrait être complétée
par un mécanisme plus rapide et plus souple d’alerte précoce, modelé
sur la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et
la sécurité des journalistes, qui pourrait traiter de la situation
des défenseurs des droits de l’homme en général.