1. Introduction
1. Pour dire les choses simplement,
le présent rapport vise à aider à garantir que le crime ne paie
pas. Les énormes gains accumulés par la criminalité (et qu’elle
continue d’accumuler) confèrent du pouvoir aux criminels, des moyens
d’agir. Leurs ressources leur permettent en effet de corrompre et
de faire pression sur les responsables politiques, les agents des
forces de l’ordre et les témoins, ainsi que de fausser des marchés entiers
en faussant et même éliminant la concurrence. Cette puissance va
jusqu’à menacer la stabilité de nos démocraties les plus solides
et le contrat social sur lequel reposent nos sociétés: en échange
des prélèvements fiscaux et sociaux versés par les citoyens, l’État
assure leur sécurité et leur protection sociale. La confiscation
de ces gains mal acquis présente de multiples avantages: premièrement,
le moteur des criminels est généralement l’argent. Si les criminels
sont privés de cet argent et du style de vie luxueux qui l’accompagne,
la criminalité perd une grande partie de son attrait. Deuxièmement,
la confiscation des produits du crime sape le pouvoir conféré aux
criminels par leur fortune. Troisièmement, les gains réalisés grâce
à un acte criminel servent bien souvent à financer le prochain.
Le fait de briser le cercle vicieux du financement est donc un excellent
moyen de prévenir la criminalité. Enfin et surtout, la confiscation
des avoirs illicites peut offrir un excellent moyen d’indemniser
les victimes et de reconstruire des communautés dévastées par la
criminalité, en rétablissant le contrat social rompu par les criminels.
2. Comme le précisait la proposition de résolution sur laquelle
se fonde le présent rapport
, les
membres du crime organisé et les organisations criminelles ont accumulé
de manière illicite d’énormes avoirs, dont la valeur est parfois
supérieure au produit intérieur brut (PIB) de nombreux pays. Selon
les estimations des Nations Unies, le montant total des gains
annuels réalisés par les activités
criminelles représentait environ $US 2 100 milliards en 2009 (soit
3,6 % du PIB mondial cette même année)
.
Rien qu’en Italie, les recettes annuelles du crime organisé étaient
estimées à € 150 milliards en 2011. Pour le Royaume-Uni, ces estimations étaient
en 2006 de £ 15 milliards. Selon les Nations Unies, le trafic de
drogue mondial a généré à lui seul $US 321 milliards de gains illicites
en 2005. Le Conseil de l’Europe évalue les recettes de la traite
des êtres humains à $US 42,5 milliards par an. Les gains mondiaux
de la contrefaçon des marchandises représenteraient jusqu’à $US 250 milliards
par an selon l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE). Les principaux marchés illicites de l’Union européenne,
la drogue et l’escroquerie, génèrent à eux seuls environ € 110 milliards
par an, soit près de 1 % du PIB
. Le cumul de ces montants
sur 5, 10 ou 20 ans produit une richesse presque inimaginable: la
puissance de feu financière des groupes du crime organisé dans le
monde est telle que les ressources dont disposent les États, à l’exception
des plus importants d’entre eux, paraissent insignifiantes en comparaison.
Comme la proposition de résolution sur laquelle se fonde le présent
rapport le souligne à juste titre, la richesse contrôlée par les
groupes de la criminalité et les individus corrompus menace partout
la démocratie et l’État de droit tels que nous les connaissons.
3. Comparés aux gains gigantesques générés par la criminalité,
les avoirs illicites effectivement confisqués par les États membres
paraissent modestes, pour ne pas dire insignifiants. Ainsi, £ 125
millions ont été recouvrés par l’État au Royaume-Uni en 2006. En
2009, les avoirs confisqués se montaient par exemple à € 185 millions
en France, £ 154 millions au Royaume-Uni, € 50 millions aux Pays-Bas
– ce chiffre est passé à € 402 millions en 2016
– et € 281 millions en Allemagne
. Selon Europol,
les agences de l’Union européenne gèlent en moyenne chaque année
des avoirs criminels d’une valeur estimée à € 2,4 milliards, sur
un marché des avoirs illicites de la criminalité qui représente
€ 110 milliards. Un rapport publié par le Bureau des avoirs criminels
d’Europol en 2016
indique que, alors que € 2,4 milliards
(soit 2,2 % du total estimé) sont saisis à titre provisoire chaque
année, seule la moitié environ de cette somme est finalement confisquée.
Europol précise que «le montant des sommes actuellement recouvrées
par l’Union européenne représente uniquement une faible proportion
de l’estimation des produits du crime: 98,9 % des gains de la criminalité
ne sont pas confisqués et restent à la disposition des criminels».
En d’autres termes, le crime continue de payer, énormément.
4. Il est donc indispensable de prendre d’urgence de nouvelles
mesures pour faciliter la confiscation des avoirs illicites. Plusieurs
pays ont déjà mis en place une législation pertinente et un certain
nombre d’instruments internationaux ont été adoptés en vue de lutter
plus efficacement contre le crime organisé, la corruption et le
blanchiment de capitaux. Sur le plan international, la Banque mondiale
et l’Union européenne ont pris d’importantes initiatives pour améliorer
la coopération internationale dans ce domaine. Nous examinerons
dans le présent rapport les principaux résultats des travaux déjà
réalisés à ce sujet et recenserons les bonnes pratiques que l’Assemblée
devrait recommander à tous les États membres du Conseil de l’Europe
et aux autres États.
2. Exemple
de mesures prises par les États membres pour faciliter la confiscation
des instruments ou des produits du crime grâce au renversement de
la charge de la preuve
5. Plusieurs pays, dont des États
membres du Conseil de l’Europe, ont pris des mesures pour faciliter
la confiscation des instruments ou des produits du crime, en facilitant,
voire en renversant la charge de la preuve de l’origine criminelle
d’un avoir. J’aimerais présenter brièvement les solutions retenues
à cet égard par l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
2.1. Irlande
6. En Irlande, deux textes de
lois ont mis en place un renversement de la charge de la preuve
à des fins de confiscation: la loi relative aux produits du crime
(LPC) et la loi relative au Bureau de recouvrement des avoirs d'origine
criminelle (BAC) (toutes deux adoptées en 1996, lorsque la criminalité
organisée a connu une pointe en Irlande). La LPC donne à l’État
le fondement juridique qui lui permet de s’attaquer aux produits
du crime, tandis que la loi relative au BAC fixe le cadre institutionnel
qui assure l’application de la LPC. Cette mise en place d’un régime
de confiscation civile qui comporte un renversement de la charge
de la preuve, sans qu’il soit besoin d’une condamnation pénale,
a été considérée comme le signe d’une transition de la confiscation «réactive»,
fondée sur une condamnation, à une stratégie «préventive» de maîtrise
de la criminalité pour faire face à la grave menace que le crime
organisé représente pour la société. La constitutionnalité de la
LPC a été contestée pour divers motifs, mais elle a été confirmée
par les juridictions irlandaises
. Outre ce régime de confiscation civile,
l’Irlande dispose également d’un régime de confiscation, après condamnation,
des produits des infractions relatives à la drogue et au terrorisme
en vertu de la loi relative à la justice répressive. Un niveau moins
élevé de preuve exigée (mise en balance des probabilités au lieu
d’une «preuve incontestable») s’applique aux liens entre un avoir
et l’infraction en question. Lorsque les éléments de preuve sont
suffisants pour permettre une condamnation pénale, le juge applique
de préférence le régime de confiscation après condamnation.
7. La mise en œuvre de la LPC est assurée par le BAC, un organisme
pluridisciplinaire dont les agents sont assistés par les services
de police, les services fiscaux et les services de protection sociale,
qui mettent en commun leur accès à l’ensemble des informations pertinentes
dont disposent leurs institutions. Le BAC vise «à identifier, où
qu’ils se trouvent, les avoirs (ou les personnes qui en ont la propriété
ou le contrôle) qui découlent ou sont soupçonnées de découler, directement
ou indirectement, d’un acte pénalement répréhensible, à prendre
les mesures qui s’imposent pour priver ces personnes de ces avoirs
en tout ou partie et à mener toute enquête ou tout travail préparatoire
lié à une procédure engagée en application de la loi» (préambule
de la loi relative au BAC). Les services des impôts sont expressément
autorisés à partager leurs informations fiscales avec le BAC (loi
relative à la communication de certaines informations à des fins d’imposition
et autres de 1996). La LPC autorise également le BAC à veiller à
ce que les produits d’activités criminelles ou d’activités soupçonnées
d’être criminelles soient imposés. Ces dispositions ont ainsi été appliquées
à certaines des plus célèbres personnalités de la criminalité irlandaise,
qui ont également été privées de leurs prestations sociales
. Pour mener à bien cette tâche, le BAC
s’est vu conférer de solides pouvoirs d’enquête, et notamment de
perquisition, de saisie et de conservation de tout bien lorsqu’il
existe des motifs raisonnables d’en soupçonner la nature illicite
(article 14 de la loi relative au BAC).
8. Selon la définition retenue par la LPC, «les produits du crime
englobent tout bien obtenu ou reçu à tout moment, que ce soit avant
ou après l’adoption de la présente loi, au moyen d’un acte criminel,
par suite de celui-ci ou en lien avec celui-ci» (LPC, partie 2,
article 3.a). Un «acte criminel»
s’entend comme toute infraction commise sur le territoire national,
tout acte qui constituerait une infraction s’il était commis sur
le territoire national, toute infraction contraire à la législation
nationale ou toute infraction ayant permis l’obtention d’un bien situé
sur le territoire national. La LPC a été modifiée en 2005 pour inclure
les produits des infractions qui ne relèvent pas de la compétence
de la législation irlandaise, mais qui ont été détenus à quelque
moment que ce soit en Irlande, les juridictions irlandaises ayant
constaté cette lacune dans le libellé initial de la loi.
9. La procédure de confiscation civile comporte trois étapes:
premièrement, un agent du BAC saisit la Haute Cour d’une demande
d’ordonnance provisionnelle. Le BAC doit à cette occasion démontrer,
au moyen du niveau de preuve exigée au civil – mise en balance des
probabilités – que 1) une personne est en possession d’un bien ou
en a le contrôle, 2) ce bien constitue directement ou indirectement
un produit du crime et 3) sa valeur est supérieure à € 13 000. Si
le tribunal considère qu’il existe des motifs raisonnables de penser que
le bien en question est un produit du crime, il rend une ordonnance
provisionnelle qui interdit au défendeur de disposer de ce bien
ou de le vendre pendant 21 jours. Si cette ordonnance est rendue
indûment, l’État peut être condamné au versement d’une réparation.
10. La deuxième phase est celle du jugement provisoire (ou qui
impose certaines restrictions). Le BAC doit présenter au tribunal
les mêmes preuves que pour l’obtention d’une ordonnance provisionnelle
(voir ci-dessus). Si le tribunal considère qu’il existe des motifs
raisonnables de penser que le bien en question est un produit du
crime, il rend un jugement provisoire, sauf
si le défendeur démontre que ce bien ne constitue pas un produit
du crime. À moins qu’il ne soit fait droit à l’appel
interjeté, ou que les parties n’en aient décidé autrement, le jugement
provisoire est exécutoire pendant sept ans. Au cours de cette période,
un administrateur provisoire peut être désigné pour administrer
le bien et le tribunal peut ordonner, sur demande du défendeur ou
de ses ayants-droits, la prise en charge des dépenses d’entretien
(et des dépenses légales) raisonnables du bien qui fait l’objet
de ces restrictions.
11. La troisième phase de la procédure de confiscation civile
irlandaise est celle de l’ordonnance de disposition, qui ordonne
la confiscation finale du bien. La loi prévoit deux garanties pour
protéger les avoirs de personnes innocentes: 1) le tribunal doit
donner à toute personne qui affirme être propriétaire d’une partie
du bien la possibilité de présenter des éléments de preuve suffisants
pour qu’il considère que ce bien ne doit pas être confisqué; et
2) le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre une
ordonnance de disposition s’il existe un «risque de grave injustice».
La décision définitive transfère le titre de propriété du bien à
l’État irlandais.
12. Ce modèle irlandais est considéré comme une véritable réussite,
y compris à l’échelon européen et international. Le Groupe d’États
contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe a déclaré être «impressionné
par le régime de confiscation civile, qui donne au Bureau de recouvrement
des avoirs d'origine criminelle des outils efficaces pour identifier
et saisir les produits du crime»
.
Selon les représentants du BAC, de nombreux membres du crime organisé
ont déplacé leurs activités hors d’Irlande, surtout au cours des
cinq premières années de la mise en œuvre de la LPC, ce qui a entraîné
une diminution significative du taux de criminalité en Irlande.
Il semblerait que le succès du système irlandais soit largement
dû au rôle efficace joué par le BAC. Ce dernier a au départ ciblé
des criminels et parrains de la mafia bien connus, qui avaient accumulé
de grandes quantités de biens sans disposer de sources de revenu
licites apparentes, mais contre lesquels il n’existait pas d’éléments
de preuve suffisants pour obtenir leur condamnation. Les groupes
criminels ont réagi en déplaçant leurs activités dans les pays voisins
(en particulier aux Pays-Bas et en Espagne)
. Par la suite, le BAC a également
poursuivi les criminels de rang inférieur et intermédiaire dont
les agissements avaient d’importantes répercussions sur la société:
parmi les biens confisqués figuraient des voitures de luxe détenues
par des trafiquants de drogue, «ce qui permettait aux mères de montrer
cet exemple à leurs enfants en leur expliquant que le crime ne paie
pas». Les données statistiques publiées par le BAC montrent que
ce dernier a ouvert environ 10 dossiers par an (entre 1988 et 2009),
dont la plupart ont fini par permettre la confiscation des avoirs
par l’État. Les avoirs recouvrés par le BAC sont largement supérieurs
aux ressources que lui accorde le parlement, les montants les plus
importants ayant été recouvrés grâce aux pouvoirs d’imposition conférés
au BAC.
13. Le succès de la LPC est attribué aux remarquables équipes
pluridisciplinaires dont dispose le BAC, qui rassemble les compétences
et le personnel de trois services administratifs distincts et les
informations dont ceux-ci disposent. L’effectif total du BAC est
d’environ 60 à 80 agents, qui jouissent d’une excellente réputation de
professionnalisme et de probité. La Haute Cour désigne par ailleurs
un juge chargé des affaires de confiscation pendant une période
de deux ans, qui est assisté par un greffe particulier. Cet élément
est considéré comme un important facteur du taux élevé de réussite
des procédures civiles; il faut y ajouter le choix méticuleux et
la préparation soignée des dossiers par le BAC.
14. Comme le résume l’analyse comparée précédemment mentionnée
,
la LPC irlandaise présente les avantages suivants: i) il s’agit
d’une loi complète de confiscation, qui permet au BAC de confisquer
les produits de tout acte criminel; ii) le texte n’exige pas l’existence
d’une infraction principale, puisqu’il suffit à l’État de démontrer
qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le défendeur
a pris part à des activités illicites; iii) la loi procède au renversement
de la charge de la preuve, puisqu’il appartient au défendeur de
démontrer le caractère licite de ses avoirs; et iv) prévoit une
ordonnance de production de document, qui permet à un tribunal d’ordonner
au défendeur de déclarer tout avoir dont il est le propriétaire
ou dont il a le contrôle, ainsi que sa source.
15. Le régime irlandais de confiscation civile a été contesté
devant la Cour suprême. Le renversement de la charge de la preuve,
qui incombe au défendeur, a été qualifié de violation de la présomption
d’innocence et «l’ordonnance de production de document» a été jugée
contraire au droit de toute personne à ne pas contribuer à sa propre
mise en accusation. Par ailleurs, la recevabilité de la preuve constituée
par l’affirmation, par un agent habilité, de l’existence de motifs
raisonnables de penser que le défendeur est propriétaire ou a le contrôle
d’un bien qui est un produit du crime («preuve en conscience»),
les dispositions qui garantissent l’anonymat des agents du BAC et
des témoins sur la déposition desquels le BAC se fonde et, plus généralement,
le large accès du BAC aux moyens d’enquête de plusieurs puissants
services de l’État ont été critiqués au motif qu’ils portaient atteinte
au principe de «l’égalité des armes» et permettaient une utilisation abusive
de ces pouvoirs. Enfin, la LPC a également été contestée au motif
qu’elle était contraire à l’article 40.3 de la Constitution irlandaise,
car elle ne protégeait pas la propriété privée contre les atteintes
injustifiées.
16. Mais la Cour suprême a estimé que l’obligation faite à l’État
de considérer en premier lieu le bien supposé être un produit du
crime comme une cause probable d’action en justice, avant de faire
peser sur le défendeur la charge de la preuve du caractère licite
de ce bien, ainsi que l’interdiction d’utiliser les informations communiquées
à la suite d’une ordonnance de production de document à des fins
de poursuites pénales
, offraient une protection
suffisante des droits constitutionnels du défendeur. La Cour suprême
a également souligné que, dans une procédure civile de confiscation,
nul n’était reconnu coupable ni jugé pour la commission d’une infraction
particulière, ce qui explique que les principes du droit pénal,
comme la présomption d’innocence, ne soient pas applicables. S’agissant
de la protection de la propriété privée, la Cour a estimé que, si
l’on peut admettre que la confiscation civile porte atteinte au
droit de propriété du défendeur, il ne s’agit cependant pas d’une
«atteinte injuste», puisque l’État doit tout d’abord prouver que
le bien en question constitue un produit du crime. La Cour a également
considéré que le droit de propriété privée ne pouvait occuper une
place si élevée dans la hiérarchie des normes qu’elle protège la
possession des avoirs acquis de manière illicite et qu’il fallait
trouver un juste équilibre entre la restriction de la protection
de la propriété privée et l’intérêt général
.
17. La Cour est d’autant plus facilement parvenue à ces conclusions
que, en pratique, le BAC et la Haute Cour agissent très prudemment:
les demandes d’ordonnance provisionnelle ou de jugement provisoire présentent
une vue d’ensemble complète du style de vie du défendeur (analyse
des revenus et dépenses établie par des experts-comptables judiciaires),
ainsi que des motifs raisonnables de soupçonner le défendeur d’avoir
pris part à un acte criminel. Tous les éléments de preuve sont présentés
au tribunal lorsqu’une demande est déposée et leur crédibilité peut
être contestée par le défendeur, y compris par un contre-interrogatoire
des témoins, avant que la juridiction ne statue. Au cours des 14
premières années de mise en œuvre de la LPC, aucun défendeur ni
média n’a jamais fait état d’une éventuelle application abusive
de la loi
.
18. En conséquence, la Cour suprême irlandaise a, tout en reconnaissant
le champ d’application étendu de la LPC, justifié cette loi en la
qualifiant de moyen mesuré et proportionné de lutter contre la criminalité
et la menace qu’elle représente pour la société.
2.2. Italie
19. L’Italie est l’un des premiers
pays à avoir adopté des mesures de confiscation pour s’attaquer
à la puissance financière du crime organisé et confisquer les gains
réalisés par les entreprises criminelles. Les mesures en question
renversent la charge de la preuve, puisqu’il incombe au propriétaire
d’un bien d’en démontrer le caractère licite, quand bien même il
n’a fait au préalable l’objet d’aucune condamnation; tous les avoirs
dont l’origine licite ne peut être justifiée peuvent être saisis
et par la suite confisqués. Le droit italien établit une distinction
entre les mesures patrimoniales ou préventives «extrajudiciaires»
(c’est-à-dire qui ne se fondent pas sur une condamnation) et les
ordonnances «judiciaires» de confiscation, rendues sur la base d’une
condamnation prononcée dans le cadre d’une procédure pénale.
20. Pour les mesures (administratives) préventives, qui ont été
mises en place pour la première fois en 1956 sous la forme de «mesures
préventives individuelles»
et ont
été étendues à la confiscation des avoirs des personnes soupçonnées
d’être membres de la mafia par la loi Rodogne-La Torre de 1982,
le simple soupçon de l’appartenance d’une personne à une organisation
mafieuse suffisait au départ. Comme ces mesures avaient été critiquées
parce qu’elles présentaient un caractère de plus en plus pénal,
les exigences en matière de preuve avaient été renforcées. À l’heure
actuelle, deux conditions doivent être réunies pour permettre une saisie:
1) le suspect doit disposer directement ou indirectement des avoirs;
et 2) il doit exister un décalage entre la fortune du suspect et
ses revenus ou des éléments de preuve suffisants pour démontrer
que les avoirs sont les produits du crime ou qu’ils en sont l’utilisation.
Le suspect doit présenter suffisamment d’éléments de preuve pour
démontrer que ses avoirs ne sont pas des produits du crime.
21. Pour ce qui est de la confiscation ordonnée sur la base d’une
condamnation (article 240 du Code pénal), la première condition
est l’existence d’une condamnation pour infraction pénale, les normes
applicables en matière de preuve étant celles de la procédure pénale
classique («preuve incontestable»). En vertu de l’article 12-5 de
la loi no 356 (1992), les personnes condamnées
pour une infraction associée à la mafia (notamment les infractions
de trafic de drogue, la criminalité organisée et le blanchiment
de capitaux) doivent démontrer l’origine licite de leurs revenus
et de leurs biens. Si elles se trouvent dans l’incapacité de le
faire, elles peuvent être condamnées à une peine maximale de cinq
ans d’emprisonnement
et la
confiscation de tout ou partie de leurs avoirs est alors obligatoire.
Cette disposition – qui opère un renversement de la charge de la
preuve même pour le prononcé d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement
– a été jugée inconstitutionnelle en 1994 (parce qu’elle violait
la présomption d’innocence). Elle a été remplacée par l’article
12-6, adopté la même année. Le nouveau texte rend la confiscation
obligatoire en cas de condamnation pour certaines infractions (association
délictuelle de type mafieux, extorsion, enlèvement contre rançon,
prêt usuraire et blanchiment de capitaux). De plus, la valeur du
bien doit être disproportionnée par rapport aux avoirs indiqués dans
la déclaration d’impôts et aux revenus produits par des activités
économiques licites. Il n’est pas nécessaire d’établir un lien de
cause à effet entre les avoirs à confisquer et une infraction précise
.
22. Malgré la sévérité apparente de ces dispositions, leurs résultats
en nombre et valeur des avoirs confisqués semblent bien maigres.
Les mesures de confiscation ont atteint leur niveau le plus élevé
entre 1982 et 1985 et entre 1992 et 1994, c’est-à-dire après l’adoption
de la loi Rodogne-La Torre en 1982 (voir ci-dessus paragraphe 20)
et de l’article 12-5 et le meurtre de deux célèbres juges antimafia
(Falcone et Borselino). Le nouvel article 12-6, qui a remplacé l’article
12-5, a été si peu utilisé par les tribunaux que les avoirs confisqués représentent
uniquement 3 % des avoirs confisqués en application de la précédente
loi déclarée inconstitutionnelle
.
2.3. Pays-Bas
23. Le régime néerlandais de confiscation
repose principalement sur l’existence d’une condamnation préalable;
certains éléments de la confiscation civile sont applicables dans
certaines circonstances (renversement de la charge de la preuve
et confiscation des produits du crime sans qu’il soit besoin de démontrer
leur lien avec une infraction précise).
24. Le parlement a adopté en 1993 une loi (surnommée la loi de
«dépouillement des criminels»), qui vise à priver ceux qui prennent
part à la commission d’infractions pénales des avantages économiques
ou des gains financiers de leurs crimes. L’article 36e du Code pénal
néerlandais fait une distinction entre deux types de confiscation:
la «confiscation ordinaire»
et
la «confiscation spéciale»
.
La première représente une sanction supplémentaire appliquée lorsqu’un
défendeur a été condamné pour une infraction pénale; la seconde
permet au juge d’ordonner le versement d’une somme à l’État lorsque
le défendeur a retiré des gains illicites 1) de l’infraction pour
laquelle il a été condamné, 2) d’autres infractions similaires,
s’il existe des «éléments de preuve suffisants» pour présumer qu’elles
ont également été commises par le défendeur, ou encore 3) d’autres infractions
s’il peut être démontré
que,
soit l’infraction pour laquelle le défendeur a été condamné
, soit d’autres infractions
graves ont permis au défendeur d’une manière ou d’une autre de réaliser
des gains illicites.
25. Surtout, afin d’évaluer les gains retirés par le défendeur
«d’autres infractions» que celles pour lesquelles il a été condamné,
le juge peut appliquer des méthodes abstraites de calcul qui comportent
des éléments de renversement de la charge de la preuve. Il détermine
tout d’abord si l’augmentation des avoirs du défendeur sur une période
de six ans peut s’expliquer par des sources de revenu licites. Si
le défendeur n’est pas en mesure de démontrer de manière satisfaisante
leur origine licite, le juge peut présumer que l’augmentation inexpliquée
de ces avoirs découle d’activités illicites
. Pour établir si des gains illicites
ont été obtenus, une «investigation financière pénale particulière»
peut être menée. Pour une telle investigation, des pouvoirs d’enquête
particuliers (surveillance, perquisition, etc.) peuvent être déployés.
Il convient de souligner, là encore, que le droit néerlandais, dans
le cadre de la «confiscation spéciale» susmentionnée, autorise la «confiscation
d’une valeur estimée», qui permet d’ordonner au défendeur le versement
d’un montant équivalent à la valeur (calculée) des produits du crime.
La confiscation peut également s’exercer à l’encontre de tiers s’ils
savaient où auraient dû raisonnablement soupçonner que les avoirs
qu’ils ont obtenus étaient des produits du crime.
26. Afin de faciliter la mise en œuvre de la loi de confiscation,
les Pays-Bas ont mis en place, au sein des services régionaux du
ministère public, des unités spécialisées (initialement appelées
«bureaux de recouvrement des avoirs d’origine criminelle» (acronyme
néerlandais: BOOM)). Ces unités assistent les procureurs locaux
de leur expertise particulière dans la recherche des avoirs illicites
et sont chargés d’administrer et de disposer des avoirs saisis.
27. Une nouvelle tendance, née avec l’adoption de la réforme de
la législation en 2012, consiste à évaluer les produits supposés
du crime à des fins d’imposition. Cette méthode permet de recourir
à l’immense expertise et aux moyens d’investigation des autorités
fiscales et de confisquer une grande part de ces produits, en appliquant
les taux d’imposition supérieurs et les peines prévues en cas d’absence
de déclaration de revenus.
28. Tout comme l’engagement de poursuites à l’encontre des auteurs
d’infractions, la saisie des avoirs est discrétionnaire aux Pays-Bas.
Elle est même sujette à des transactions et règlements entre le
ministère public et le défendeur. Cela vaut également pour les procédures
qui ne sont pas pénales, qu’un règlement peut permettre d’éviter
(ces situations pourraient être considérées comme des confiscations
sans condamnation préalable). La saisie des avoirs serait très largement
appliquée aux Pays-Bas, en particulier dans les affaires de crime
organisé.
2.4. Royaume-Uni
29. La loi britannique relative
aux produits du crime de 2002 (LPC) prévoit quatre procédures différentes
de confiscation des produits ou instruments du crime, à savoir:
1) une confiscation suite à une condamnation; 2) un recouvrement
civil des avoirs; 3) une imposition des gains soupçonnés de découler
d’activités criminelles; et 4) une confiscation par la police des
sommes en espèces soupçonnées d’être des produits du crime.
30. La confiscation à la suite d’une condamnation, prévue par
le chapitre 2 de la LPC, peut être initiée par le procureur public
ou, de plein droit, par un juge après condamnation du défendeur
pour un crime, conformément aux dispositions habituelles en matière
de charge de la preuve («preuve incontestable», qui doit être établie
par le ministère public). Après condamnation, le juge doit tout
d’abord établir si le défendeur a tiré profit du crime commis; si
tel est le cas, le juge doit déterminer si son «style de vie est
de nature criminelle», ce qui suppose de réunir l’une des trois
conditions suivantes: premièrement, l’infraction doit avoir été
commise au cours d’une période d’au moins six mois et les gains
ainsi réalisés doivent être supérieurs à £ 5 000; deuxièmement,
le comportement du défendeur qui a tiré profit de cette infraction
doit s’inscrire dans le cadre d’activités criminelles (ce qui est
le cas, par exemple, lorsqu’il a été condamné pour au moins trois
infractions); et, troisièmement, le défendeur doit avoir été condamné
pour des infractions peu susceptibles d’être commises seulement
une fois (par exemple la traite des êtres humains, le blanchiment
de capitaux, le trafic de drogue et d’armes). Afin de faciliter
la confiscation des avoirs, la LPC prévoit les «présomptions légales»
suivantes: un bien dont la propriété a été transférée au défendeur
au cours des six dernières années est présumé découler d’activités
criminelles; tout bien dont la propriété a été transférée au défendeur
ou qui a été obtenu par lui est réputé exempt de tout droit dont
seraient titulaires des tiers innocents – sauf si le juge considère
que la condamnation entraînera une grave injustice ou si le défendeur
peut démontrer l’inexactitude de ces présomptions. Si le juge estime
que la condition du style de vie de nature criminelle n’est pas
réunie, il peut néanmoins calculer le gain retiré de l’infraction
précise pour laquelle le défendeur a été condamné; dans ce cas,
le procureur doit démontrer par des éléments de preuve incontestables
le lien de causalité entre cette infraction et le bénéfice qui en
a été retiré.
31. Le fait que ces «présomptions légales» appliquées lorsque
«la nature criminelle du style de vie» de l’intéressé est établie
constituent ou non un renversement de la charge de la preuve est
sujet à débat. Le GRECO a conclu dans son Rapport d’Évaluation de
2004 sur le Royaume-Uni que tel était le cas, alors que les représentants
des autorités compétentes du Royaume-Uni estiment quant à elles
qu’il s’agit d’une simple application du niveau de preuve exigée
au civil (mise en balance des probabilités)
.
32. La confiscation sans condamnation préalable (recouvrement
civil) prévue par la Partie V de la LPC permet à l’Agence de lutte
contre la grande criminalité organisée (SOCA) de demander à la Haute
Cour la confiscation des biens obtenus au moyen d’actes illicites
ou d’infractions commis au Royaume-Uni dans les cas suivants: lorsque
les éléments de preuve sont insuffisants pour engager des poursuites
pénales ou lorsqu’aucune poursuite pénale n’est engagée dans l’intérêt
général; lorsque la procédure de confiscation suite à une condamnation
n’aboutit pas ou lorsque le défendeur est hors de portée (décédé
ou à l’étranger, sans perspective raisonnable d’extradition). Le
bien susceptible de faire l’objet du recouvrement doit être d’une valeur
au moins égale à £ 10 000 et doit avoir été obtenu au cours des
12 dernières années; le recouvrement du bien doit par ailleurs avoir
des «effets locaux importants sur la collectivité»; enfin, le comportement
criminel du défendeur doit être démontré conformément au niveau
de preuve exigée au civil (mise en balance des probabilités). La
SOCA dispose de pouvoirs d’enquête considérables (y compris de perquisition
et de saisie ou de contrôle de la comptabilité; elle peut, au moyen
d’une ordonnance de production d’informations, demander à toute
personne de produire des documents, de fournir des informations
ou de répondre à des questions liées à une enquête). En résumé,
il incombe à la SOCA de démontrer (mais uniquement selon le critère
de la «mise en balance des probabilités») que le bien en question
peut être recouvré et qu’il a été obtenu au moyen d’actes illicites.
Elle n’est pas tenue de prouver que le bien en question découle
d’une infraction précise ou d’un type précis d’infraction. Il appartient
au défendeur de démontrer la source licite de ce bien ou de démontrer
que le bien ne peut pas faire l’objet d’un recouvrement.
33. La saisie des sommes en espèces prévue par la LPC vise à priver
les criminels des produits du crime de la manière la plus directe
qui soit; les rapports d’évaluation montrent que son taux de réussite
varie en fonction du niveau de formation des forces de police dans
les différentes régions du pays.
34. L’imposition des produits du crime prévue par la LPC a été
mise en place comme une formule de substitution au recouvrement
civil. S’il existe des motifs raisonnables de penser que des revenus
ou des gains perçus découlent d’un acte criminel commis par l’intéressé,
la SOCA peut procéder à leur évaluation à des fins d’imposition.
Elle n’est pas tenue de démontrer que ces gains découlent d’une
infraction particulière ni que la source de ces revenus est identifiable.
Les services des impôts ont détaché du personnel auprès de la SOCA pour
renforcer la mise en commun des informations et de l’expérience
pratique.
35. Globalement, l’efficacité des mesures prises en application
de la LPC a été décevante. La procédure est trop longue et se heurte
à de nombreuses contestations en justice. Ainsi, en 2004 et 2005,
sur £ 15 millions saisis, seuls £ 5,6 millions ont finalement été
recouvrés. Les juridictions ont cependant rejeté les griefs d’absence
de proportionnalité, de violation de la présomption d’innocence
et de double incrimination, dont elles avaient été saisies. Elles
ont réaffirmé que le recouvrement civil n’était pas, par nature,
une procédure pénale, mais une procédure civile uniquement destinée
à recouvrer des biens obtenus au moyen d’actes illicites, et non
à pénaliser une personne. Le recouvrement civil n’impose par conséquent
pas de recourir aux garanties judiciaires applicables à la procédure
pénale. Certaines garanties visent à veiller à ce que la LPC respecte
les normes de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5), comme la fourniture d’une aide juridictionnelle,
afin que tout défendeur soit représenté en justice, et le versement
d’une réparation lorsqu’une décision de justice a indûment autorisé
une confiscation.
3. Les
initiatives internationales visant à faciliter la confiscation des
avoirs illicites
36. Les mesures nationales prises
pour réprimer la richesse acquise au moyen d’activités criminelles,
dont nous venons de voir quelques exemples, tendent à produire des
résultats de moins en moins satisfaisants, car les réseaux criminels
deviennent de plus en plus sophistiqués et dissimulent de mieux
en mieux leurs avoirs, surtout à l’étranger. Ces mesures nationales
doivent donc être complétées par des initiatives internationales. De
telles initiatives ont été prises à l’échelon international (Nations
Unies, Banque Mondiale
, GAFI) et européen (Conseil de
l’Europe et Union européenne). À ce jour, ces initiatives ont produit
de bons résultats, mais elles peuvent encore être largement améliorées.
Comme l’a expliqué notre expert M. Perez Enciso lors de l’échange
de vues du 13 novembre 2017, le cadre juridique reste défaillant,
notamment parce que de nombreux pays n’ont toujours pas signé les
conventions pertinentes, et de nombreux problèmes pratiques subsistent
à cause des différences que présentent les régimes nationaux de
confiscation, les contraintes bureaucratiques et les exigences de
réciprocité trop pesantes, les difficultés d’accès aux informations
ou de recours aux techniques spéciales d’enquête au-delà des frontières
nationales et, bien souvent, le manque de confiance qui continue
à régner entre les autorités compétentes, même parmi les États membres
de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.
3.1. Conventions
pertinentes des Nations Unies et du Conseil de l’Europe
37. La Convention des Nations Unies
contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes
de 1988 est le premier instrument
juridique international de lutte contre la criminalité qui confère
un rôle essentiel à la confiscation des produits des activités criminelles.
Dans son préambule, la Convention reconnaît le risque que les gains
et les fortunes considérables générés par le trafic illicite puissent
«pénétrer, contaminer et corrompre les structures de l’État, les
activités commerciales et financières légitimes et la société à
tous les niveaux» et, pour la première fois, appelle expressément
les États à envisager de renverser la charge de la preuve de l’origine
illicite des avoirs suspects (article 5.7).
38. La Convention du Conseil de l'Europe de 1990 relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime,
actualisée par la Convention du Conseil de l'Europe de 2005 relative
au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des
produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198),
appelle les États parties à adopter des mesures pour leur permettre
de confisquer les instruments et les produits du crime. Dans son
article 3.4, la Convention de 2005 indique que les États parties
«adoptent» les mesures nécessaires pour «exiger (…) que l’auteur
[d’une infraction] établisse l’origine de ses biens, suspectés d’être
des produits ou d’autres biens susceptibles de faire l’objet d’une
confiscation». Il s’agit donc d’une autre mention positive («adoptent»)
d’un renversement de la charge de la preuve visant à faciliter la
confiscation des avoirs suspects.
39. La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée de 2000
et la Convention des Nations Unies
contre la corruption de 2003 invitent les États à prendre des mesures supplémentaires
pour permettre la confiscation des instruments et des produits du
crime qui découlent des infractions visées par ces deux conventions.
L’article 12.7 de la Convention des Nations Unies de 2000 et l’article
31.8 de la Convention des Nations Unies de 2003 mentionnent la possibilité
d’un renversement de la charge de la preuve dans des termes identiques
à ceux de la Convention des Nations Unies de 1988 évoquée ci-dessus.
3.2. Initiatives
prises par l’Union européenne visant à faciliter la confiscation
40. Pour ce qui est de la législation
de l’Union européenne, le texte le plus important est la Directive
de l’Union européenne de 2014 concernant le gel et la confiscation
des instruments et des produits du crime. Cette directive promeut
la confiscation à la suite d’une condamnation pour en faire une
règle générale, assortie d’un nombre limité d’exceptions de confiscation
sans condamnation préalable. Elle met en place des normes minimales
pour l’ensemble des questions pertinentes, qui devaient être transposées
par les États membres de l’Union européenne avant le mois d’octobre
2016. Le Parlement européen et le Conseil ont reconnu l’existence d’un
certain nombre de lacunes et ont appelé la Commission européenne
à formuler de nouvelles propositions au sujet de la reconnaissance
mutuelle des décisions judiciaires de gel et de confiscation et
à analyser la faisabilité d’un renforcement de l’harmonisation des
dispositions applicables dans les États membres en matière de confiscation,
y compris pour la confiscation sans condamnation préalable. Avant
la Directive de 2014, le Conseil avait adopté un certain nombre
de décisions-cadres (2001/500/JAI concernant le blanchiment d'argent,
l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation
des instruments et des produits du crime, 2003/577/JAI relative
à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens
ou d'éléments de preuve, 2005/212/JAI relative à la confiscation
des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime,
2006/783/JAI relative à l'application du principe de reconnaissance
mutuelle aux décisions de confiscation et 2007/845/JAI relative
à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs en
matière de dépistage et d’identification des produits du crime ou
des autres biens en rapport avec le crime).
41. Eurojust joue un rôle important dans l’assistance pratique
à la coopération entre les services répressifs. Son équipe Criminalité
économique et financière (FEC) dispense des conseils aux autorités
nationales sur la mise en œuvre, par exemple, de la Directive de
l’Union européenne de 2014 et les décisions-cadres précitées et
organise des séminaires destinés aux professionnels et aux autres
parties prenantes pour leur permettre de partager les informations
et les bonnes pratiques (par exemple le séminaire Eurojust de Palerme
de mai 2012 sur «La confiscation et le crime organisé: procédures
et perspectives de coopération judiciaire internationale» et le
séminaire stratégique Eurojust et la réunion du Forum consultatif
de décembre 2014 sur le thème «Vers une plus grande coopération
dans le gel et la confiscation des produits du crime: l’approche
des praticiens»). L’équipe FEC collabore étroitement avec le Réseau
Camden regroupant les autorités compétentes en matière de recouvrement
des avoirs (CARIN) et la Plate-Forme informelle des bureaux de recouvrement
des avoirs de l’Union européenne, qui se réunissent régulièrement
pour échanger des informations et coopérer au recensement et à la
recherche des avoirs illicites.
4. Compatibilité
des régimes de confiscation sans condamnation préalable et de confiscation
civile avec la Convention européenne des droits de l’homme
42. Les opposants aux régimes de
confiscation sans condamnation préalable et de confiscation civile mettent
en doute leur compatibilité, en particulier avec l’article 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme (présomption d’innocence,
exigence rigoureuse en droit pénal d’une «preuve incontestable»)
et l’article 1 du Protocole no 1 à la
Convention (STE no 9) (jouissance paisible
de ses biens).
43. La jurisprudence de la Cour en la matière est assez conciliante,
au point qu’un certain nombre de requêtes introduites par des personnes
dont les avoirs avaient été saisis en vertu de ce type de législation
ont été déclarées irrecevables au motif qu’elles étaient manifestement
mal fondées
.
Depuis une affaire survenue au cours des années 1970 (
Engel c. Pays-Bas ),
la Cour applique un certain nombre de critères pour déterminer si
les mesures restrictives prises par l’État présentent ou non un
caractère de droit pénal. Selon ces critères, la confiscation civile
ou la confiscation sans condamnation préalable des avoirs d’origine
criminelle ne présente pas ce caractère et n’est par conséquent
pas soumise aux dispositions rigoureuses du droit pénal en matière
de preuve
.
44. S’agissant du droit d’une personne à la jouissance paisible
de ses biens (article 1 du Protocole no 1),
la Cour reconnaît aux États membres une marge d’appréciation étendue
pour déterminer la proportionnalité nécessaire entre l’ingérence
dans le droit de propriété et l’intérêt général poursuivi au moyen
de cette ingérence. Dans l’affaire
Arcuri
c. Italie , la Cour «souligne que la mesure
litigieuse s'inscrit dans le cadre d'une politique de prévention
criminelle et considère que, dans la mise en œuvre d'une telle politique,
le législateur doit jouir d'une grande latitude pour se prononcer
tant sur l'existence d'un problème d'intérêt public appelant une
réglementation que sur le choix des modalités d'application de cette
dernière. Elle observe par ailleurs que le phénomène de criminalité
organisée a atteint, en Italie, des proportions fort préoccupantes.
Les profits démesurés que ces associations tirent de leurs activités
illicites leur donnent un pouvoir dont l'existence remet en cause
la primauté du droit dans l'État. Ainsi, les moyens adoptés pour
combattre ce pouvoir économique, notamment la confiscation litigieuse,
peuvent apparaître comme indispensables pour lutter efficacement
contre lesdites associations (arrêt Raimondo, précité, p. 17, paragraphe
30; décision de la Commission dans l’affaire
M. c.
Italie, précitée, p. 80). De ce fait, la Cour ne saurait
méconnaître les circonstances spécifiques qui ont guidé l'action
du législateur italien».
45. Dans un document établi par ses soins pour un projet conjoint
de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe sur le recouvrement
des avoirs d’origine criminelle en Serbie, un expert du Conseil
de l’Europe concluait que «les juridictions nationales et la Cour
européenne des droits de l’homme parviennent au consensus général
que la confiscation civile est compatible avec le droit relatif
aux droits de l’homme»
. Pour avoir examiné moi-même
ces affaires, je souscris à cette analyse. Pour autant que la confiscation
impose aux autorités compétentes de démontrer raisonnablement que
les avoirs en question sont les produits ou les instruments d’activités
criminelles et donnent à l’intéressé la possibilité de réfuter,
au cours d’une procédure équitable engagée devant un tribunal indépendant
et impartial, la présomption tirée des faits que ces avoirs proviennent
effectivement d’activités criminelles, cette confiscation ne porte
atteinte ni à la présomption d’innocence (article 6 de la Convention)
ni à la protection des droits de propriété (article 1 du Protocole
no 1).
5. Conclusions
et recommandations
46. Comme nous l’avons constaté,
les différents États et la communauté internationale ont pris et
prennent encore des initiatives considérables
, surtout sous les auspices
de l’Union européenne et de la Banque mondiale, pour faciliter la
confiscation des avoirs illicites. Mais les rares statistiques disponibles
montrent que les résultats obtenus pourraient être fortement améliorés.
Même au sein de l’Union européenne, qui a fait d’impressionnants
progrès dans la mise en place de cadres juridiques et institutionnels
comparables et compatibles, les obstacles pratiques à la confiscation
transfrontière restent considérables, au point que les autorités
compétentes vont parfois jusqu’à renoncer à essayer de les surmonter.
Selon les estimations les plus récentes, 98,9 % des gains illicites
estimés ne sont pas confisqués et restent à la disposition des criminels
. Cette situation tend à avoir des conséquences
politiquement inacceptables: les services répressifs mis en place
pour rechercher et confisquer les avoirs illicites concentrent leur
action sur le «menu fretin» des criminels locaux, tandis que les
«gros poissons» des activités criminelles élaborées et internationales
échappent à leurs filets. Il importe sans aucun doute de ne pas
négliger les groupes criminels locaux, car leurs activités sont extrêmement
préjudiciables pour la collectivité et leur «style de vie» ostensiblement
luxueux «de nature criminelle», dont ils jouissent bien souvent
tout en percevant des prestations sociales, est une provocation
aux yeux des citoyens locaux et contribuables honnêtes. Mais la
menace fondamentale pour l’État de droit et la démocratie que représentent
les énormes ressources financières dont disposent les groupes de
la criminalité transnationale organisée impose de toute urgence
que l’immense majorité des États qui ne sont pas (encore) sous l’influence
de ces réseaux coopèrent pleinement entre eux pour saisir une part
importante de ces avoirs illicites année après année, afin de parvenir
à contenir, voire à faire reculer, la puissance financière des organisations
criminelles.
5.1. Les
améliorations possibles à l’échelon national: bonnes pratiques à
suivre et enseignements à tirer
47. Les pays qui, comme l’Irlande,
l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ont adopté une législation
visant à faciliter la confiscation des avoirs illicites en allégeant,
voire, sous certaines conditions, en renversant la charge de la
preuve (ou en prévoyant une présomption de fait réfragable), sont
bien mieux parvenus à procéder au gel et à la confiscation des avoirs
d’origine criminelle que ceux qui ont maintenu l’obligation faite à
l’État de démontrer l’existence d’un lien entre le patrimoine de
l’intéressé et ses activités criminelles, voire, comme c’est encore
le cas dans certains États, entre une infraction précise et un avoir
particulier qui fait l’objet d’une confiscation.
48. Il importe également que le droit autorise le recouvrement
des avoirs sur la base d’une disposition prévoyant la «confiscation
d’une valeur équivalente». Celle-ci permet la confiscation de la
valeur estimée des produits du crime lorsque les avoirs illicites
ont été transformés, convertis ou mêlés à des biens acquis de source
licite, lorsqu’ils ont été légalement acquis par des tiers ou lorsque
ces avoirs ont tout simplement disparu. L’autre méthode disponible
en la matière, qui a été appliquée avec un certain succès aux Pays-Bas, consiste
à imposer les gains provenant d’activités illicites. Comme il est
rare que les délinquants déclarent leurs revenus, le prélèvement
de l’impôt, assorti des intérêts de retard et de pénalités, peuvent
amoindrir fortement leurs gains illicites.
49. Comme nous l’avons vu, la législation qui permet de surmonter
ces obstacles a été validée par les plus hautes juridictions nationales
et, qui plus est, par la Cour européenne des droits de l’homme.
Pour que la confiscation soit compatible avec les droits de l’homme,
la présomption de fait de l’origine criminelle doit reposer sur
de solides éléments de preuve présentés par les autorités compétentes,
qui satisfassent au moins au seuil de preuve en droit civil basé
sur une évaluation des probabilités, et cette présomption doit être réfragable.
Les procédures qui aboutissent à une confiscation doivent être équitables
et soumises au contrôle d’un tribunal indépendant et impartial.
Si le tribunal estime que le gel ou la confiscation d’un avoir est
illégal, il doit également être en mesure d’octroyer une réparation
à la victime de cette erreur. Enfin, pour que le recours juridictionnel
soit véritablement effectif, les éventuelles victimes de confiscations
ou gels illégaux qui n’ont pas les moyens d’être convenablement
représentées en justice – une situation qui peut être la conséquence
même du gel litigieux d’un avoir – doivent bénéficier d’une aide
juridictionnelle.
50. Parmi les autres bonnes pratiques que j’ai eu l’occasion d’observer
figure, en Irlande, la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire,
le Bureau de recouvrement des avoirs d'origine criminelle (BAC),
qui réunit des experts de la police, des douanes, des services fiscaux
et des services sociaux. Le BAC a ainsi rapidement accès aux informations
disponibles dans les différents secteurs de l’administration, dont
les représentants collaborent au sein d’une équipe pluridisciplinaire
extrêmement professionnelle. Le BAC est très apprécié des citoyens
irlandais, notamment parce qu’il est parvenu à lutter contre les
groupes criminels généralement détestés pour le préjudice qu’ils
causent à la collectivité, tout en évitant de procéder à des saisies
injustes.
51. Les bureaux de recouvrement des avoirs doivent constamment
adapter leurs méthodes de travail à l’évolution des stratégies mises
au point par les groupes criminels pour échapper à la justice. Ils
peuvent en particulier se voir contraints de passer de la confiscation
de biens matériels (les biens meubles, comme les sommes en espèces,
les voitures de luxe, les yachts et les avions ou les biens immeubles,
comme les villas, appartements et terrains) à la confiscation de
biens immatériels (en particulier les comptes bancaires de toutes sortes,
les portefeuilles d’investissement, les sociétés fiduciaires, les
sociétés écrans, les parts de capital social, etc.). Ils doivent
pour cela améliorer l’identification du véritable propriétaire (le
bénéficiaire effectif) de la myriade d’entités juridiques soigneusement
conçues pour le dissimuler. L’action actuellement menée en ce sens
par l’Union européenne
revêt
par conséquent une importance particulière et devrait être étendue
à un plus grand nombre d’États tiers. Les bureaux de recouvrement
des avoirs devraient disposer de techniques spéciales d’enquête
efficaces, comme l’accès aux informations financières détenues par
d’autres organismes publics, les opérations d’infiltration et le
suivi en temps réel des comptes bancaires.
52. Les instances spécialisées mises en place dans chaque État
devraient avoir la capacité d’administrer les avoirs gelés, de manière
à en préserver la valeur jusqu’à ce qu’ils soient définitivement
confisqués, et de disposer des avoirs confisqués pour pouvoir en
retirer le plus grand avantage pour la société dans son ensemble.
Il convient de ne pas sous-estimer les difficultés pratiques en
la matière, qui ne sont cependant pas insurmontables. C’est par
exemple le cas lorsque les groupes criminels profèrent des menaces
pour dissuader les particuliers d’acquérir les avoirs qui leur ont
été confisqués. L’Italie a montré la voie dans ce domaine: d’importantes
propriétés confisquées à des parrains de la mafia ont été transformées
avec succès en orphelinats ou en centres publics de conférences.
Mais une vigilance constante s’impose. Un rapport publié en novembre
2015 par l’Institut libertaire pour la justice de Washington D.C.,
intitulé «Policing for Profit» (Les activités répressives à but
lucratif)
, décrit
un certain nombre de graves affaires d’abus allégués de confiscation
civile commis à l’échelon étatique et local, et surtout d’avoirs
ou d’objets confisqués directement dans l’intérêt des forces de
police locales. Ce rapport rappelle à juste titre qu’il convient
d’éviter les incitations aux effets pervers, c’est-à-dire essentiellement
les situations de conflit d’intérêts, et que les victimes d’abus allégués
doivent disposer de voies de recours. Pour autant, je ne partage
pas la conclusion libertaire radicale des auteurs, qui considèrent
que la confiscation civile devrait être totalement abolie.
53. Enfin et surtout, les bureaux de recouvrement des avoirs devraient
régulièrement informer le grand public des opérations menées avec
succès et des difficultés rencontrées. Il importe que les bureaux
de recouvrement établissent et publient régulièrement des statistiques
précises, notamment sur les personnes visées et celles qui leur
sont associées, sur les types d’infractions principales concernées
et sur les catégories et les quantités d’avoirs gelés ou confisqués.
Ces éléments permettraient aux autorités compétentes de cibler plus
efficacement leurs opérations et d’ajuster en temps utile leurs
priorités et leurs tactiques
.
5.2. Les
améliorations possibles à l’échelon international: renforcer l’efficacité
de la coopération transfrontière
54. Face aux dispositions énergiques
qui permettent la confiscation de leurs avoirs dans certains pays,
les organisations criminelles ont réagi en transférant ces avoirs
à l’étranger. Il est donc primordial que les services répressifs
coopèrent également au-delà des frontières. De nombreuses initiatives
ont été prises, une fois encore avant tout au niveau de l’Union
européenne, pour promouvoir la coopération internationale dans ce domaine.
Il est évident que cette coopération doit être étendue d’urgence
aux États tiers.
55. La promotion des réseaux internationaux d’agents compétents,
comme le CARIN (Réseau Camden regroupant les autorités compétentes
en matière de recouvrement des avoirs), la plate-forme ARO (plate-forme
des bureaux de recouvrement des avoirs) ou les autres forums pertinents,
offrent un excellent moyen d’y parvenir. Le CARIN est un réseau
informel de contact et un groupe de coopération qui traite de tous
les aspects de la confiscation des produits du crime. Son réseau
regroupe les praticiens de 53 États et neuf organisations internationales
. Il s’est constitué sous la forme
d’un centre d’expertise dans ce domaine, qui promeut l’échange d’informations
et de bonnes pratiques et adresse des recommandations aux organes internationaux,
comme la Commission européenne et le Groupe d’action financière
(GAFI); il dispense également ses conseils à d’autres autorités
concernées et facilite la formation à tous les aspects de la confiscation
des produits du crime, en recommandant à tous les États de mettre
en place des bureaux de recouvrement des avoirs. Au sein de l’Union
européenne, la plate-forme ARO
encourage la coopération entre
les organes compétents de l’Union européenne et un certain nombre
d’États tiers pertinents (dont les États-Unis, Israël, la Serbie,
la Russie et la Turquie). Il existe des plates-formes et des structures
similaires dans d’autres régions du monde, dont la mise en place
est vivement encouragée par la Banque mondiale dans le cadre de
son initiative de recouvrement des avoirs issus du vol («Stolen
Assets Recovery (StAR) Initiative»)
. Il est clair que lorsque les agents compétents
apprennent à mieux se connaître, ils ont davantage confiance les
uns en les autres, la confiance étant une composante essentielle
d’une coopération réussie. Ils peuvent également s’entraider pour
surmonter les obstacles bureaucratiques, réagir rapidement et renoncer le
cas échéant aux exigences formelles de réciprocité. J’ai tendance
à partager l’avis de notre expert, M. Perez Enciso, qui juge primordial
l’échange spontané d’informations, en plus de l’habituel échange
«intéressé» d’informations pratiqué par les autorités d’un État
lorsque celles-ci ont besoin de renseignements communiqués par des
autorités étrangères pour pouvoir compléter leur propre enquête.
Comme l’a indiqué notre expert, il est indispensable de faire preuve
d’une «grande générosité» pour empêcher les organisations criminelles
de profiter du flux réduit d’informations échangées entre les autorités
judiciaires compétentes de part et d’autre des frontières nationales.
56. Il importe également que la coopération internationale ne
dépende pas de l’existence ou non d’un régime de confiscation identique
dans l’État requis et l’État requérant (c’est-à-dire de confiscation
pénale ou civile, à la suite d’une condamnation ou sans condamnation
préalable), dès lors que les exigences minimales en matière d’équité
de la procédure et du contrôle juridictionnel sont respectées. Cette
situation peut être présumée pour les États membres du Conseil de
l’Europe, sous réserve qu’ils mettent convenablement en œuvre la
Convention européenne des droits de l’homme.
57. Les autorités compétentes devraient mettre en place et utiliser
plus fréquemment les équipes communes d’enquête, comme celles qui
sont actuellement constituées avec l’aide d’Eurojust et d’Europol.
Les États non membres de l’Union européenne devraient y participer
plus souvent
.
Ces équipes communes devraient avoir pour mission de recouvrer les
avoirs et compter parmi leurs membres des enquêteurs financiers.
Le cadre juridique prévu à cet effet existe déjà, puisqu’il est
énoncé par le Deuxième Protocole additionnel (2001) à la Convention
européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (1959) STE nos 182
et 30)
.
58. Les techniques spéciales d’enquête, comme l’accès aux informations
financières
, les opérations d’infiltration
(y compris la possibilité donnée aux agents infiltrés d’ouvrir et
d’utiliser des comptes bancaires), et le suivi en temps réel des
comptes bancaires, devraient être disponibles également dans les
enquêtes transfrontières.
59. Enfin et surtout, il importe de définir clairement les dispositions
relatives au partage des avoirs confisqués entre les pays concernés.
Les montants supérieurs à un certain seuil (par exemple € 10 000, susceptibles
d’être conservés par l’État d’exécution) devraient faire l’objet
d’un partage équitable entre l’État requérant et l’État d’exécution.
Selon moi, sauf accord préalable particulier tenant compte de la
répartition entre les États de la charge de l’enquête, une répartition
à parts égales serait raisonnable
.
60. Ces améliorations possibles, au niveau aussi bien national
qu’international, transparaissent dans le dispositif le projet de
résolution. Il appartiendra alors aux parlementaires nationaux que
nous sommes de prendre le relais et de promouvoir ces améliorations
dans nos pays respectifs. Disons-le clairement: les droits de l’homme
ne sont pas une entrave au progrès dans ce domaine, bien au contraire:
tenir en échec la puissance du crime organisé en s’attaquant à ses
fondements financiers représente une avancée positive, indispensable
à la protection des droits de l’homme, de l’État de droit et de
la démocratie tels que nous les connaissons.