1. Introduction
«Lorsque vous êtes atteint d’un
cancer, tout le monde a de la peine pour vous. Mais lorsque vous
avez la tuberculose, les gens ont peur, ils vous traitent avec mépris.»
Olga Klymenko, ancienne patiente
tuberculeuse
1.1. Procédure
1. Le 11 octobre 2016, la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable
a déposé une proposition de résolution intitulée «Étude sur la résistance
aux antimicrobiens qui se propage en Europe». La proposition a été
renvoyée à la commission pour rapport et, en ma qualité d’initiateur,
j’ai été désigné comme rapporteur le 26 janvier 2017.
2. La résistance aux antimicrobiens (RAM) désigne le processus
par lequel les bactéries évoluent et deviennent résistantes aux
médicaments utilisés pour traiter les infections qu’elles provoquent,
ce qui rend ces médicaments inefficaces. Dans une note introductive
présentée en avril 2017, j’ai souligné que la tuberculose est à
l’origine d’un tiers des décès dus à la RAM dans le monde et que
l’épidémie de tuberculose pharmacorésistante progresse plus vite
en Europe que dans toute autre partie du monde. En septembre 2017, la
commission a organisé une audition avec la participation de Mme Olga
Klymenko, ancienne patiente tuberculeuse, originaire d’Ukraine,
des experts de l’Organisation de coopération et de développement économiques
et du Caucus mondial sur la tuberculose
. Cette
audition a révélé l’ampleur réelle des souffrances causées par la
maladie, et en particulier son impact social, économique et psychologique
sur les patients. En décembre 2017, compte tenu du renforcement
de l’engagement politique de ces dernières années et dans les années
à venir en matière de lutte contre la tuberculose (voir ci-dessous)
et de la charge particulièrement lourde de la maladie en Europe
en ce qui concerne la tuberculose multirésistante (TB-MR), j’ai
proposé que le rapport mette l’accent sur la TB pharmacorésistante,
ce que la commission a finalement approuvé.
3. Pour préparer ce rapport, j’ai effectué des visites d’information
en Azerbaïdjan et en Norvège, pays dans lesquels j’ai organisé des
réunions avec les diverses parties impliquées dans la riposte nationale
à la TB, notamment des parlementaires, des représentants du gouvernement
et de la société civile et des experts médicaux. Ces visites m’ont
permis de comprendre comment ces deux pays, dans lesquels l’incidence
de la TB est très différente, s’attaquent au problème et d’identifier
certaines bonnes pratiques. Je tiens à remercier toutes les parties
impliquées dans les discussions pour leurs précieuses contributions
ainsi que les délégations des deux parlements et leurs secrétariats
pour l’excellente organisation de mes visites.
1.2. La
tuberculose dans les agendas politiques
4. En septembre 2016, les dirigeants
internationaux se sont réunis, dans le cadre d’une réunion de haut niveau
des Nations Unies, afin d’examiner la réponse à la RAM et ils sont
convenus que la communauté internationale devait prendre des mesures
urgentes pour prévenir sa progression. Ce phénomène menace, en effet,
l’efficacité du traitement de nombreuses infections courantes, dont
la TB. Quelques mois plus tard, constatant l’impact de la RAM, en
particulier sur le traitement de la TB, l’Assemblée générale des
Nations Unies a décidé d’organiser en 2018 une réunion de haut niveau
sur la lutte contre la TB
.
5. En novembre 2017, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
a organisé une conférence ministérielle mondiale intitulée «Mettre
fin à la tuberculose à l’ère du développement durable», lors de
laquelle les ministres de la Santé du monde entier se sont réunis
pour discuter sur la façon de répondre à l’épidémie. La conférence a
abouti à l’engagement collectif de redoubler d’efforts sur quatre
fronts: parvenir à la couverture sanitaire universelle en renforçant
les systèmes de santé et en améliorant l’accès à une prévention
de la TB et à des soins centrés sur le patient; mobiliser un financement
suffisant et durable pour combler les lacunes dans la mise en œuvre
et la recherche; faire progresser la recherche et le développement
de nouveaux outils pour diagnostiquer, traiter et prévenir la TB;
et renforcer la responsabilisation par le biais d’un cadre permettant
de suivre et d’examiner les progrès accomplis en vue de mettre fin
à la TB.
6. La réunion de haut niveau des Nations Unies consacrée à la
TB marquera une étape sans précédent pour les gouvernements et toutes
les parties engagées dans la lutte contre la TB. Elle offre l’opportunité historique
d’appeler à une déclaration politique ferme et ambitieuse, qui donnerait
l’impulsion nécessaire à des mesures concrètes pour mettre fin à
la TB et ainsi sauver des millions de vies. Le présent rapport est
une contribution de l’Assemblée parlementaire à cette première réunion
de haut niveau des Nations Unies consacrée à la TB.
2. La tuberculose, maladie infectieuse
la plus meurtrière au monde
«La tuberculose est une maladie
qui affecte tous les aspects de votre vie, pas seulement votre santé»
Stefan Radut, patient tuberculeux
2.1. Tuberculose:
les faits
7. La TB est une maladie infectieuse
transmise par voie aérienne, causée par la bactérie Mycobacterium Tuberculosis,
qui se propage par la toux ou les éternuements et qui touche généralement
les poumons même si la bactérie de la TB peut être présente et provoquer
la maladie dans n’importe quelle partie du corps. Les symptômes
sont notamment une toux persistante, une perte de poids, de la fièvre,
des douleurs et de la fatigue, même si d’autres symptômes non-spécifiques
peuvent se manifester, particulièrement chez les enfants. En 2016,
la TB a provoqué 1,7 million de décès dans le monde, dont 250 000
enfants, ce qui en fait la maladie infectieuse la plus meurtrière
au monde.
8. Le traitement de la TB standard (ou sensible au traitement)
dure au moins six mois et comprend une association d’antibiotiques
(protocole). La tuberculose multirésistante (TB-MR) est une forme
de la maladie due à des bactéries ne réagissant ni à l’isoniazide
ni à la rifampicine, les deux médicaments antituberculeux de première
intention les plus efficaces. On peut néanmoins soigner et guérir
la TB-MR avec des médicaments de deuxième intention. Le traitement
est toutefois beaucoup plus long (jusqu’à deux ans de traitement),
bien plus lourd pour les patients et beaucoup plus coûteux que le
traitement de la TB standard. Les patients doivent non seulement
avaler 14 000 comprimés en deux ans mais aussi recevoir de douloureuses
injections par voie intraveineuse et supporter des effets secondaires
pénibles comme des nausées, des troubles digestifs et un affaiblissement,
des handicaps permanents tels que la cécité et la surdité et des
troubles psychologiques comme la dépression, l’anxiété voire la
psychose. La tuberculose ultrarésistante (TB-UR) est une forme plus grave
de TB-MR due à des bactéries ne répondant pas aux médicaments de
deuxième intention les plus efficaces, laissant souvent les patients
sans aucune autre option thérapeutique.
9. On estime qu’environ un quart de la population mondiale a
été infectée par la bactérie de la TB. Mais ces personnes ne sont
pas malades (tuberculose latente) et ne peuvent pas transmettre
la maladie, la bactérie de la TB ne se transmettant que par des
personnes atteintes d’une TB active. Seule une petite proportion
des personnes atteintes d’une TB latente (environ 10 %) développeront
la maladie au cours de leur existence, le risque étant beaucoup
plus élevé pour celles qui ont un système immunitaire déficient.
C’est ainsi que les personnes vivant avec le VIH
et d’autres maladies chroniques
qui affectent le système immunitaire, comme le diabète, appartiennent
aux groupes ayant un plus grand risque de tomber malade. En outre,
même si quiconque peut contracter la maladie, les personnes vivant
dans la pauvreté, les sans-abri, les consommateurs de drogues, les
prisonniers/détenus, les réfugiés ainsi que les populations mobiles,
de manière générale, sont confrontés à des risques d’exposition
et d’infection plus élevés que la population générale, principalement
en raison de leurs conditions de vie.
10. Un vaccin contre la TB (bacille de Calmette-Guérin – BCG)
est disponible mais il n’est que partiellement efficace dans la
protection des nourrissons et des enfants en bas âge et ne protège
pas correctement les adolescents et les adultes contre la TB pulmonaire.
Il existe également des traitements préventifs relativement efficaces
pour gérer la TB latente, qui empêchent la maladie de se développer
et dont l’efficacité est comprise entre 60 % et 90 %.
2.2. Qu’est-ce
qui n’a pas fonctionné?
11. Comment se fait-il qu’une maladie
que l’on peut prévenir et soigner demeure la maladie infectieuse
la plus meurtrière au monde, bien qu’elle ait été déclarée comme
une urgence sanitaire mondiale par l’OMS il y a plus de vingt ans
? Quelque chose n’a vraiment
pas fonctionné.
12. S’il est vrai que la bactérie de la TB peut se cacher dans
l’organisme pendant des années, sans être détectée et sans se transformer
en TB active, qu’elle peut être confondue avec d’autres maladies
affectant les poumons et le système respiratoire, comme la grippe
ou un rhume, et que cela entraîne un nombre considérable d’erreurs
et de retards de diagnostic, et qu’il s’agit de la seule infection
pharmacorésistante grave transmise par voie aérienne – ce qui rend
difficile le contrôle de sa propagation –, ces facteurs ne sauraient expliquer
l’échec collectif mondial de la lutte contre la tuberculose.
13. En réalité, si la maladie continue à provoquer tant de décès,
cela s’explique principalement par l’incapacité des systèmes de
santé nationaux à fournir un traitement de qualité pour soigner
la TB. L’inadéquation et la mauvaise observance du traitement ont
permis à la maladie de muter et de prendre des formes pharmacorésistantes,
tandis que des lacunes importantes en matière de détection de la
TB
,
des politiques de santé publique dépassées et des infrastructures
sanitaires insuffisantes ont favorisé sa transmission. Indissociablement
liée à la pauvreté, la TB a continué à se propager de manière disproportionnée
dans certaines parties du monde, avec des disparités régionales
et mondiales en augmentation. Malgré l’urgence des besoins dans
un contexte d’évolution de la maladie vers des formes pharmacorésistantes,
l’absence durable d’investissements dans la recherche et le développement
de nouveaux médicaments, vaccins et outils de diagnostic n’a fait
qu’exacerber le problème. Aujourd’hui, nous sommes encore loin d’atteindre
la cible mentionnée au point 3.3 des Objectifs de développement
durable, qui consiste à mettre fin à la tuberculose d’ici 2030.
Au rythme actuel, cette cible ne sera atteinte que dans 180 ans.
3. Europe:
zone où les taux de tuberculose multirésistante sont les plus élevés
au monde
14. En Europe, on pensait que la
TB appartenait au passé
.
Mais la réalité est bien différente puisque cette région enregistre
près de 900 nouveaux cas de tuberculose par jour. Le poids de la
TB n’y est cependant pas réparti de manière uniforme, les nouveaux
cas étant principalement concentrés dans les pays d’Europe orientale
et centrale. L’Europe enregistre également les taux les plus élevés
de TB-MR au monde, avec un cinquième des cas déclarés dans le monde
en 2015, selon les estimations. En effet, neuf des 30 pays identifiés par
l’OMS comme hautement prioritaires sur le plan de la TB-MR, font
partie de la Région européenne
.
Parmi les nouveaux cas enregistrés, 45% concernent des personnes
qui ont entre 25 et 44 ans, ce qui a un impact sur les économies
nationales car il s’agit de la tranche d’âge où la population est
la plus productive.
15. L’Europe enregistre également les taux de TB-MR les plus élevés
chez les personnes qui ont contracté la TB pour la première fois,
ce qui signifie que ces personnes contractent des souches pharmacorésistantes de
la maladie
.
Il s’agit d’une tendance alarmante car le développement de nouveaux
outils pour traiter la TB-MR accuse un retard considérable par rapport
à sa vitesse de développement et de propagation.
3.1. Facteurs
sous-jacents
16. Divers facteurs sont à l’origine
des taux élevés de TB-MR en Europe, notamment la persistance d’une pratique
dépassée consistant à recourir, de manière excessive, à l’hospitalisation
et l’absence d’approche de
soins centrée sur le patient – une approche de soins qui prend en
compte non seulement le traitement médicamenteux mais également
tout ce dont le patient pourrait avoir besoin pour pouvoir compléter
son traitement, à savoir, un soutien social, psychologique et financier.
Les patients atteints de TB sont souvent hospitalisés pendant une
durée inutilement longue, bien que la plupart d’entre eux cessent
d’être contagieux dans les deux semaines qui suivent le début du
traitement. De nombreux hôpitaux n’ont pas pris les mesures appropriées
de contrôle des infections transmises par voie aérienne, ce qui
renforce le risque de contamination croisée entre les patients porteurs
de différentes souches de TB (y compris les souches pharmacorésistantes). L’isolement
à l’hôpital perturbe les liens sociaux des patients, en particulier
avec leurs familles
,
ce qui a un impact négatif sur leur bien-être psychosocial, absolument
indispensable à leur rétablissement. L’hospitalisation de longue
durée est souvent incompatible avec la vie professionnelle, et se
traduit au final par une perte de revenu et des conséquences financières
désastreuses.
17. La stigmatisation liée à la maladie et l’isolement social
qui en résulte contribuent également aux taux élevés de TB-MR en
Europe. Ils nuisent, en effet, gravement à l’efficacité de la détection
et du traitement de la TB. Les personnes atteintes de TB sont souvent
marginalisées ou rejetées par leur communauté, leur employeur, leur
famille ou leurs amis. Sans soutien psychosocial pour compenser
les conséquences de cette stigmatisation, les personnes sont potentiellement
moins enclines à se faire diagnostiquer, ou bien, une fois le diagnostic
établi, interrompent ou arrêtent leur traitement en raison des difficultés
sociales et de leur incapacité à y faire face. Ce dernier point
est particulièrement problématique car la non-observance du traitement représente
l’un des principaux facteurs de pharmacorésistance, la raison étant
qu’avec une interruption de la prise des médicaments avant la fin
du traitement, la bactérie de la TB n’est pas détruite, ce qui signifie
que l’infection persiste ou revient, et que la bactérie a probablement
évolué pour devenir résistante au traitement qui était appliqué.
Par ailleurs, la TB-MR ne pouvant être détectée que par des tests
en laboratoire, qui restent sous-utilisés, en particulier dans la
partie orientale de la région, on estime qu’il y a un grand nombre
de cas qui ne sont pas signalés, ce qui est susceptible de favoriser
la transmission de la TB-MR.
3.2. Difficultés
propres à la Région
3.2.1. Accès
aux médicaments antituberculeux
18. Dans certains pays d’Europe
centrale et orientale, les patients sont confrontés à des difficultés
d’accès aux rares médicaments antituberculeux de deuxième intention,
nouveaux et prometteurs, qui sont disponibles sur le marché, comme
la Bedaquiline® et le Delamanid®, qui semblent être efficaces dans
le traitement de la TB pharmacorésistante et pourraient contribuer
à réduire l’usage de médicaments toxiques et difficiles à supporter
. Cela
s’explique par un certain nombre d’obstacles juridiques et bureaucratiques,
ainsi que par des politiques d’achats dépassées, empêchant les États
de se procurer ces médicaments, qui ne peuvent donc pas être employés
dans le cadre de protocoles
.
19. Certaines difficultés sont également liées au contexte géopolitique.
C’est ainsi qu’en Ukraine, seul un petit nombre de patients tuberculeux
peuvent actuellement avoir accès aux deux médicaments mentionnés
ci-dessus car le distributeur régional autorisé à demander leur
enregistrement et leur distribution est une entreprise russe. Les
sanctions mises en place depuis l’agression russe interdisent d’acheter
à la Russie des biens et des services payés à l’aide des fonds publics,
y compris des marchandises étrangères fournies par des entreprises
russes. Malgré les efforts des autorités ukrainiennes, qui ont effectué
des démarches auprès des laboratoires pharmaceutiques concernés
pour leur demander de changer de distributeur, le problème n’a pas
été réglé, ce qui entraîne un retard inacceptable pour les patients
tuberculeux en Ukraine.
3.2.2. Zones
de conflit
20. Une autre difficulté spécifique
de la Région européenne a trait à l’augmentation probable de l’incidence et
de la propagation de la tuberculose dans les zones de conflit
. Pour des raisons
évidentes, le diagnostic et le traitement des patients atteints
de TB est retardé dans ces zones, les infrastructures sanitaires
y étant souvent sérieusement fragilisées. Cela peut entraîner l’apparition
de la TB-MR et compliquer la prise en charge de la maladie. L’expérience
montre que, dans les zones de conflit, la négligence de la TB peut
entraîner rapidement une morbidité et une mortalité accrues
.
3.2.3. Groupes
vulnérables
21. En Europe, en particulier les
personnes vivant avec le VIH, les détenus, les réfugiés et les migrants
ont plus de risques que la population générale de contracter la
tuberculose, de développer la forme active de la maladie et d’en
mourir. En ce qui concerne le VIH/SIDA, plus de 160 000 nouveaux
cas ont été diagnostiqués en Europe en 2016, chiffre le plus élevé
de nouveaux cas sur une année depuis le début du signalement des cas
de VIH dans les années 80
. Dans un contexte d’augmentation sensible
du taux de co-infection tuberculose/VIH dans la Région européenne
(5,5 % à 9 % entre 2011 et 2015), les efforts pour lutter contre ces
deux épidémies sont déterminants, et à ce titre, une meilleure intégration
des services dans la prise en charge de la TB et du VIH devrait
être étudiée. Compte tenu de la résistance croissante aux médicaments antituberculeux,
il existe également un risque accru que les patients tuberculeux
qui sont également séropositifs succombent à la maladie.
22. Quant aux migrants, ceux atteints de TB latente ont un risque
plus élevé de déclarer la maladie dans le pays de destination en
raison d’un certain nombre de facteurs, notamment leur situation
juridique et professionnelle, ainsi que des difficultés d’accès
aux soins de santé. Dans certains cas, les migrants passent les
frontières après avoir été diagnostiqués atteints de TB active dans
leur pays d’origine.
23. Il est essentiel que les réfugiés et les migrants atteints
de TB active et latente soient diagnostiqués et reçoivent un traitement
antituberculeux approprié dans le pays de destination. Il est également
fondamental que le pays de destination détecte ces cas de TB suffisamment
tôt pour éviter leur propagation dans la population. À cet effet,
un document de consensus décrivant un ensemble minimal de contrôles
et de soins transfrontières de la TB a été élaboré avec la contribution
des responsables nationaux du programme de contrôle de la TB dans
la Région européenne de l’OMS et de la Conférence 2011 de Wolfheze
. Cet ensemble de mesures traite
des lacunes dans ce domaine et entend améliorer la situation en
couvrant plusieurs aspects: l’engagement politique (notamment la
mise en œuvre d’un cadre juridique de collaboration transfrontière
dans le domaine de la tuberculose), les mécanismes financiers et
l’offre appropriée de services de santé (prévention, contrôle des
infections, gestion des contacts, diagnostic et traitement, soutien psychosocial).
3.2.4. Financement
des soins de santé
24. Les pays d’Europe orientale
et d’Asie centrale devenant plus riches, ils ne peuvent plus bénéficier
de l’aide au développement et doivent financer entièrement leur
système de santé, y compris leur riposte nationale à la TB. Le processus
de transition opéré après le financement des soins de santé par
des donateurs est cependant complexe et plusieurs pays de la région
n’ont pas élaboré, financé et mis en œuvre, de manière appropriée,
des stratégies nationales de lutte contre la TB. Conjugué au problème
de l’insuffisance des infrastructures de santé, il est très probable
qu’après le retrait des donateurs extérieurs, les précieux programmes
de prise en charge de la TB cesseront d’exister, perpétuant la chaîne
de transmission et réduisant à néant les progrès déjà accomplis
.
3.3. Exemples
de bonnes pratiques
3.3.1. Azerbaïdjan
25. La TB est un problème de santé
majeur dans de nombreuses prisons au monde, dans lesquelles les taux
d’infection peuvent être 10 fois supérieurs à ceux de la population
générale. L’Europe ne fait pas exception. Lors de ma visite en Azerbaïdjan,
j’ai été amené à rencontrer des représentants du ministère de la Justice
et du ministère de la Santé. Ces deux ministères, qui collaborent
étroitement, ont mis en place, avec succès, un programme de prise
en charge de la TB dans les prisons. Ce programme comprend notamment
un dépistage de routine de la TB chez les prisonniers/détenus, la
sensibilisation des prisonniers/détenus et du personnel des prisons
à la maladie et un hôpital spécialisé dans le traitement de la TB
pour soigner les cas confirmés (y compris un laboratoire spécialisé)
avec des unités séparées pour les formes courantes et les formes
résistantes de la maladie afin d’éviter la transmission de la TB
résistante aux personnes avec une TB sensible au traitement.
26. L’un des principaux objectifs du programme consiste à faire
en sorte que le traitement de la TB soit mené à son terme. Lorsque
le traitement n’est pas achevé au sein du système pénitentiaire
(en raison de la libération du prisonnier/détenu), il est poursuivi
dans le cadre d’un accord tripartite avec le ministère de la Justice,
le ministère de la Santé et une organisation non gouvernementale
(ONG) locale. Cette dernière assure différents services, notamment
le suivi des patients tuberculeux libérés récemment, afin qu’ils
achèvent leur traitement, un soutien psychologique et des prélèvements
en vue de tests de TB. L’Azerbaïdjan a obtenu de très bons taux
de guérison de la TB grâce à ce programme pour les prisons, qui
a été internationalement reconnu, notamment par un prix décerné
par l’Association internationale des affaires correctionnelles et
pénitentiaires en 2013.
3.3.2. Norvège
27. La Norvège enregistre très
peu de cas de TB chaque année (environ 350 à 400 cas), et l’immense majorité
des patients tuberculeux sont nés à l’étranger. C’est dans ce contexte
que le pays a mis en place un programme efficace et humain de contrôle
de la TB, comprenant notamment le dépistage obligatoire de la TB pour
les demandeurs d’asile ainsi que pour tous les autres migrants originaires
de pays dans lesquels l’incidence de la TB est élevée. Le traitement
de la TB est gratuit pour tous les habitants, y compris les migrants,
quel que soit leur statut juridique
.
28. La Norvège a adopté une approche intégrée caractérisée par
la collaboration efficace de toutes les parties impliquées dans
la lutte contre la TB, y compris les autorités locales, les organisations
de la société civile et le personnel médical. Cette collaboration
entre les différentes parties prenantes facilitée par des «coordinateurs
de la TB» est essentielle pour assurer une réponse coordonnée et
efficace face à la TB. Les coordinateurs de la TB suivent également
les patients tout au long de leur traitement, les soutiennent moralement
et organisent et facilitent le rendez-vous visant à établir leur
programme de traitement, qui est considéré comme la clé de la réussite
pour aboutir à la guérison. En effet, tous les patients tuberculeux
ont un programme de traitement personnalisé, définissant où et quand
ils doivent rencontrer leur correspondant de santé pour prendre
leurs médicaments
. Le programme est établi
de manière à convenir le mieux possible au patient afin qu’il puisse
arriver au terme du traitement.
29. La Norvège offre un excellent exemple démontrant qu’il est
possible de combattre efficacement la TB par le développement et
le maintien de programmes de contrôle de la TB efficaces, humains,
intégrés et centrés sur le patient, en particulier pour d’autres
pays européens à revenu élevé, dans lesquels l’incidence de la TB
est faible.
4. Recherche
et développement de nouveaux médicaments, outils de diagnostic et
vaccins
30. L’on constate un manque important
d’investissements dans la recherche et le développement (R&D)
de nouveaux médicaments, outils de diagnostic et vaccins contre
la TB. Le secteur du développement des médicaments antituberculeux
souffre d’un manque durable d’investissements de la part de l’industrie pharmaceutique,
à quelques exceptions près, qui ne laisse subsister qu’un portefeuille
restreint de produits en développement
.
31. En fait, le système actuel de R&D ne fonctionne pas correctement
pour une maladie comme la TB, pour laquelle il n’existe que peu
d’incitations commerciales à produire de nouveaux outils puisque
ce sont les régions les plus pauvres au monde qui supportent la
charge la plus lourde de la maladie. Même dans les pays à revenu
faible et intermédiaire, les groupes présentant le risque le plus
élevé de contracter la maladie tendent à faire partie des catégories
les plus marginalisées et les plus démunies de la société. En outre,
les traitements antituberculeux doivent être délivrés sous la forme
de traitements combinés, associant généralement au moins trois antibiotiques.
L’interaction complexe des médicaments signifie que chaque médicament
composant ces protocoles de traitement doit, si possible, être développé
en association dès le début des essais cliniques, plutôt qu’au stade
du produit fini sous licence. Cela pose des difficultés techniques
et commerciales
. Les fabricants
de produits pharmaceutiques se montrent donc réticents à effectuer
des dépenses importantes de R&D pour lancer sur le marché de
nouveaux médicaments antituberculeux.
32. Bien qu’il s’agisse d’un problème mondial, l’Europe a un rôle
spécifique à jouer pour transformer cet échec général du marché
à fournir des médicaments, des outils de diagnostic et des vaccins
contre la TB afin d’éviter non seulement un nombre élevé de décès
mais aussi de faire économiser aux pays des coûts considérables
de traitement de la TB-MR et TB-UR. En outre, il convient de garder
à l’esprit que les solutions en vue d’accroître la R&D sur la
TB peuvent également présenter un intérêt pour le problème plus
vaste de la RAM. En effet, le traitement de la TB implique le développement
de plusieurs médicaments, qui sont susceptibles d’être utilisés
pour traiter d’autres maladies
.
33. Les gouvernements européens devraient investir davantage dans
la R&D, en encourageant l’innovation par le financement continu
des recherches cliniques précoces, ainsi qu’au travers de mesures
d’incitation dites «par l’attrait» qui récompensent les produits
parvenant à entrer sur le marché ou franchissant les étapes importantes
du processus de développement
.
34. Les gouvernements devraient également renforcer les partenariats
public-privé existants et en créer de nouveaux pour encourager la
R&D. Le programme «New Drugs for Bad Bugs», partenariat public-privé
le plus ambitieux au monde en matière de recherche sur la RAM, est
une réussite majeure de l’Union européenne dans ce domaine. Ce programme,
qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative en matière de médicaments innovants
lancée en 2012, a contribué à relever de 4 à 11 le nombre de grandes
entreprises pharmaceutiques européennes actives dans la recherche
sur la RAM au cours des cinq dernières années. En procédant à des appels
à propositions de recherche visant en particulier les petites et
moyennes entreprises (PME), la Commission européenne a également
augmenté le nombre de PME européennes impliquées dans la recherche
sur la RAM. Au cours de la dernière décennie, les PME appartenant
à l’Alliance BEAM (qui regroupe les entreprises biopharmaceutiques
européennes innovant dans la RAM), qui étaient très peu nombreuses, sont
maintenant une cinquantaine
.
35. Parallèlement aux nouveaux médicaments, outils de diagnostic
et vaccins, il est également nécessaire d’investir dans de nouvelles
technologies qui permettent de simplifier le traitement de la TB
pour les patients afin d’en améliorer l’observance et la réussite.
En effet, le suivi incomplet et irrégulier du traitement représente l’un
des principaux facteurs de pharmacorésistance. Un exemple encourageant
de ce type de technologie a été présenté aux participants à la 48e Conférence
mondiale sur la santé respiratoire, organisée à Guadalajara (Mexique)
en octobre 2017. Le
traitement
sous surveillance à distance (WOT) est une solution numérique à ingérer alternative
au DOT, qui représente actuellement le système de référence pour
garantir l’observance du traitement. Le dispositif WOT consiste,
pour les patients, à ingérer un capteur constitué de minéraux présents dans
les aliments, qui se dégrade dans l’organisme, libérant, à son tour,
un capteur de la taille d’un grain de sable qui transmet des données
à un timbre appliqué sur la poitrine du patient. Le timbre enregistre
les données (il enregistre la date et l’heure de l’ingestion des
médicaments) jusqu’à ce qu’il soit en contact avec un appareil mobile
– une tablette ou un téléphone mobile disposant de la fonction Bluetooth.
L’appareil mobile chiffre les données et les envoie via l’internet
sans fil au prestataire de soins du patient, ce qui facilite la surveillance
à distance et allège considérablement la charge du traitement sur
le patient
.
5. La
voie à suivre pour l’Europe et le monde
36. L’année 2018 sera déterminante
pour convenir d’une riposte à la TB à l’échelle mondiale, les gouvernements
qui ont réalisé la menace croissante que représente la TB pour la
santé publique mondiale ayant décidé de s’unir afin de démultiplier
l’élan politique nécessaire. Alors que la communauté internationale redouble
d’efforts pour combattre la menace de la TB, la Région européenne
a un rôle crucial à jouer pour prendre en charge sa propre épidémie
et démontrer son rôle de chef de file mondial des initiatives prises
par la communauté internationale.
37. En ce qui concerne l’épidémie de TB-MR, l’expérience montre
qu’une action de santé publique bien conçue permet une amélioration
rapide de la situation. En effet, selon
The
Lancet, à la suite d’une augmentation des cas de TB et
de TB-MR à New York dans les années 80, des mesures de santé publique rapides
ont permis une baisse radicale de la TB-MR, plus rapide que celle
de la TB sensible aux médicaments. «Une riposte aussi efficace à
la TB-MR ne peut pas se focaliser sur le traitement de la TB pharmacorésistante mais
devrait comprendre des systèmes de surveillance renforcée, des tests
de sensibilité aux antituberculeux pour tous les patients atteints
de TB, l’administration rapide d’un traitement efficace et une prise
en charge centrée sur le patient tout au long du traitement»
.
38. Un diagnostic rapide et précis de la TB, permettant aux patients
de recevoir le traitement approprié, représente une première étape
essentielle. Les pays doivent donc investir dans le dépistage actif
des cas de TB parmi les populations à risque élevé, par exemple
chez les individus vivant avec le VIH
. Le traitement préventif qui empêche
les sujets porteurs d’une TB latente de développer la forme active
de la maladie doit également viser ces populations clés.
39. Une fois diagnostiqués, il est essentiel de faire en sorte
que les patients soient correctement traités et suivis afin de mener
leur traitement à leur terme. L’achèvement du traitement est indispensable
pour garantir la guérison et empêcher le développement de bactéries
résistantes. Comme l’indique clairement l’exemple de l’Azerbaïdjan,
l’implication de la société civile dans le suivi des patients, l’observance
du traitement et le soutien psychosocial peuvent contribuer à l’amélioration
des taux de guérison de la TB. Une riposte efficace à la TB doit
donc impliquer la société civile, qui peut sensibiliser à la TB,
assurer un soutien au traitement et fournir des conseils aux patients.
Pour combattre l’isolement social et la stigmatisation liés à la
TB, outre le soutien psychosocial, les pays devraient sensibiliser
l’opinion publique à la maladie et faire en sorte de briser les tabous
qui entourent cette maladie.
40. Par ailleurs, les pays devraient remplacer des politiques
dépassées en matière de prise en charge de la TB par un modèle de
soins efficace et centré sur le patient conforme aux lignes directrices
internationales de l’OMS. Il conviendrait, à cet effet, de renoncer
au modèle centralisé de prise en charge de la TB, qui est axé sur
l’hospitalisation, au profit d’un système intégré aux communautés
et basé sur les soins de santé primaires. Le traitement de la TB
devrait être dispensé principalement au sein de structures ambulatoires
et communautaires, être accompagné de mesures appropriées de contrôle
de l’infection afin d’éviter les contaminations croisées et d’un
soutien à l’observance du traitement
. Limiter
l’hospitalisation et privilégier le traitement en structures ambulatoires
permettra de réduire l’impact social et économique de la maladie
sur les patients, sera moins coûteux pour l’État et améliorera les
résultats du traitement.
41. Au cours des prochaines années, la fragilité des systèmes
de santé nationaux dans certains pays de la région risque de s’aggraver
en raison de la diminution globale du financement externe par les
donateurs en faveur de la TB. Les gouvernements concernés devraient
maintenir une action soutenue de lutte contre la TB, garantir un
financement suffisant et durable de la prise en charge de la tuberculose
dans leurs programmes budgétaires nationaux et cibler leurs ressources
sur des solutions rentables et reposant sur des données probantes
afin de ne pas réduire à néant les progrès accomplis dans ce domaine.
Les donateurs internationaux devraient être impliqués dans la planification
et la mise en œuvre de la transition, en fournissant une assistance politique
et technique et des orientations aux gouvernements
.
42. Pour lutter efficacement contre l’épidémie de TB, la riposte
au niveau national doit impliquer toutes les parties prenantes,
y compris les patients eux-mêmes (ou les personnes qui ont été touchées
par la maladie), les professionnels de santé, les aidants et les
prestataires de services (par exemple, les organisations de la société
civile), et offrir des possibilités de collaboration avec les décideurs
nationaux, tels que les représentants du gouvernement et les membres
des parlements nationaux. Cela favoriserait la responsabilisation
et l’efficacité de la riposte à la TB, l’implication des personnes
qui ont une expérience directe de la maladie permettant d’identifier
les domaines dans lesquels un changement est nécessaire, ainsi que
les mesures correctrices qui s’imposent.
43. Tous les pays européens doivent développer, financer et mettre
en œuvre une stratégie nationale spécialement adaptée à la TB, comme
recommandé par l’OMS.
The Lancet souligne
que le progrès continu dans la diminution de l’incidence de la TB
au Royaume-Uni (-30 % entre 2011 et 2015) résulte d’une action conjuguée
menée à l’échelon local, national et mondial et de l’évolution des
schémas de migration. Une stratégie nationale collaborative de lutte
contre la TB a été élaborée en Angleterre, entre 2013 et 2015, par Public
Health England et le service de la santé publique (NHS), tout en
mettant en place des initiatives locales et nationales de contrôle
de la TB, tel que le dépistage actif des cas. Cette stratégie impliquait
dix domaines d’action comprenant deux priorités spécifiques: des
tests de dépistage de la TB latente et le traitement des nouveaux
arrivants au Royaume-Uni ainsi que le dépistage ciblé des cas, accompagné
de la prise en charge des groupes vulnérables comme les personnes
sans abri, les consommateurs de drogue et d’alcool et les personnes
ayant affaire au système de justice pénale
.
44. Pour concrétiser la vision ambitieuse formulée par l’objectif
de développement durable mentionné au point 3.3 et épargner de nombreux
décès et des coûts importants aux économies régionale et mondiale,
les États européens doivent travailler ensemble, les pays où l’incidence
de la TB est faible devant se montrer plus solidaires de ceux dans
lesquels elle est plus élevée. Les pays les moins touchés doivent
également maintenir leur niveau de conscience et leur engagement
à maîtriser la maladie afin de garantir son éradication ultérieure. Nous
ne pouvons pas nous permettre de relâcher notre vigilance en matière
de contrôle de la TB. Si nous ne poursuivons pas notre action, la
réapparition de la TB ne fait aucun doute
.
45. La réunion de haut niveau des Nations Unies sur la TB servira
de tribune à ces engagements. Pour la première fois, la TB a été
érigée en priorité à l’attention des chefs d’État du monde entier
et il conviendra donc de tout mettre en œuvre pour maximiser l’impact
de cette réunion. Par conséquent, il faudrait que tous les chefs d’État
des États membres du Conseil de l’Europe assistent à la réunion
de haut niveau des Nations Unies sur la TB, qui se tiendra à New
York en septembre 2018 et soutiennent l’accord en faveur d’un cadre
de responsabilité, indépendant et multisectoriel, afin de garantir
que l’ensemble des gouvernements et parties prenantes respectent
les engagements souscrits.