1. Introduction
1. D'après les chiffres du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), les réfugiés passent
en moyenne près de 20 ans en exil. Bien que cette moyenne soit pondérée
par le nombre de ceux qui ne rentrent pas dans leur pays d'origine,
il est clair que les réfugiés vivent souvent de nombreuses années
dans des situations temporaires et parfois précaires, telles que
des campements de réfugiés dans les villes, où l'accès aux droits
et aux ressources de base pour soi-même et sa famille prend généralement
le dessus sur d'autres nécessités de l'existence humaine qui ne
sont pas directement liées à la survie physique, dont l'éducation
fait partie. Or, celle-ci revêt une triple fonction puisqu'elle
est à la fois un facteur qui permet à chacun d'atteindre son plein
potentiel, une condition du bien-être individuel et un outil pour
la vie en général.
2. Le fossé considérable qui sépare le droit inaliénable à l'enseignement
scolaire, tel qu'il est inscrit dans le droit international, et
la réalité de la scolarisation des enfants réfugiés, y compris quand
il ne s'agit pas de régions défavorisées où la plupart des enfants
peuvent difficilement faire valoir leur droit à l'éducation, n'est qu'un
triste rappel des obstacles auxquels les réfugiés se heurtent de
manière générale dans l'exercice de leurs droits fondamentaux par
rapport aux populations qui ne sont pas victimes de conflits et
de persécution.
3. Les chiffres sont éloquents: en 2016, il y avait dans le monde
6,4 millions d'enfants réfugiés en âge d'être scolarisés dans l'enseignement
primaire ou secondaire; selon les estimations, 3,5 millions d'entre
eux n'avaient pas d'école où aller. Seuls 61 % de ces enfants fréquentaient
l'école primaire, contre 91 % des enfants non-réfugiés dans le monde.
En moyenne, 23 % des adolescents réfugiés sont inscrits dans le
premier cycle de l'enseignement secondaire, contre 84 % des adolescents
non-réfugiés dans le monde; enfin, 1 % seulement des réfugiés étudient
à l'université, contre 36 % des jeunes à travers le monde
.
4. Bien que la commission des migrations, des réfugiés et des
personnes déplacées aborde régulièrement la question de l'éducation
dans ses rapports consacrés à divers aspects des droits des migrants
et des réfugiés, elle ne lui a encore jamais consacré un rapport
entier. Dès 2004, la commission de la culture, de la science et
de l'éducation avait préparé un rapport et une recommandation sur
l'éducation des réfugiés et des personnes déplacées dans leur propre
pays (
Recommandation
1652 (2004)). Par conséquent, il semble aujourd'hui opportun de
procéder à un examen approfondi de la question, notamment au vu
de la situation critique des réfugiés et des migrants, laquelle
tend à s'installer dans la durée, de manière à ce que l'Assemblée puisse
faire un point sur les politiques et programmes en vigueur au niveau
européen et adresser des recommandations appropriées aux États membres.
5. Lors de la préparation du présent rapport, j'ai entrepris
d'examiner dans un premier temps les différents aspects de la scolarisation
des enfants et les spécificités de l'éducation des enfants non autochtones
dans les pays de transit et d'accueil, avant de me pencher sur les
obligations des États en vertu des conventions internationales.
Pour compléter mes travaux, j'ai examiné tout un éventail de cas
et pratiques nationales afin d'offrir à l'Assemblée une vue d'ensemble
des obstacles à la réalisation des droits et à la satisfaction des besoins
des enfants réfugiés en matière d'éducation, ainsi que des réponses
qui peuvent y être apportées.
6. À une audition de la commission le 8 décembre 2017 à Paris,
Wouter Vanderhole, titulaire de la chaire de l'UNICEF pour les droits
de l'enfant et porte-parole du groupe de recherche «droit et développement»
de l'université d'Anvers, a dressé un panorama fort utile des normes
internationales applicables en matière de droit à l'éducation ainsi
que des recommandations pour leur mise en œuvre. Des représentants
de la Fondation Humanitarian Relief ont également présenté un exposé
sur les réalisations et les défis en matière d'éducation des enfants
réfugiés en Turquie, ainsi que sur les activités de la fondation,
qui est en train de construire 29 écoles, gère cinq centres de formation
préscolaire et 12 centres de réinsertion pour les réfugiés et personnes
déplacées dans leur pays, met du matériel pédagogique à la disposition
de 357 écoles et soutient 225 centres d'éducation provisoires et
trois centres de formation d'enseignants.
2. L'importance de la scolarisation des
enfants migrants et réfugiés
2.1. Pourquoi
donner la priorité à l'éducation?
7. Comme le souligne la proposition
à l'origine de ce rapport, «les États ont l'obligation positive
de respecter le droit à l'éducation des enfants immigrés, notamment
des plus vulnérables (comme les migrants sans papiers)». En des
temps et des lieux où règne la paix, la salle de classe permet aux
enfants de se retrouver dans un environnement participatif, non
discriminatoire et sans conflit, à l'abri des préoccupations quotidiennes
et des soucis familiaux. À l'école primaire, les enfants commencent
à acquérir une méthodologie et des capacités de raisonnement verbal
et numérique; c'est aussi là qu'ils découvrent les codes socioculturels et
apprennent la vie en collectivité: cette période est donc essentielle
pour leur permettre de grandir et de devenir des individus à part
entière.
8. L'importance de l'éducation tient également à son effet multiplicateur
dans l'éradication de la pauvreté et de la faim, la promotion de
l'égalité entre les femmes et les hommes et la croissance économique.
Les pays qui offrent un enseignement de qualité en tirent des bénéfices
sur le plan économique, et notamment une productivité accrue et
davantage de recettes pour l'État. À cela s'ajoute le fait que plus
le niveau d'instruction de la population est élevé, moins l'État
a besoin de financer des aides et prestations diverses. En matière d’intégration,
un parcours éducatif cohérent est une condition préalable à l’accès
des jeunes migrants aux études, à l’enseignement supérieur et à
l’emploi; il les équipera pour défendre leur propre valeur en qualité
de facteurs de la diversité et leur permettre de devenir des adultes
compétents et motivés. Une telle évolution contribuera nécessairement
à démentir les clichés négatifs qui présentent les migrants comme
des fardeaux pour la société et des sources de communautarisme.
9. L'éducation joue un rôle crucial pour les enfants réfugiés,
arrachés à leur foyer et à leur culture et exposés à de grandes
souffrances, à des violences et à la criminalité, car elle les aide
à comprendre une situation endurée contre leur gré et leur redonne
leur dignité et le sentiment d’avoir une place dans la société. L'éducation
protège également les enfants migrants contre l'exploitation par
le travail, le travail dangereux et l'exploitation sexuelle.
2.2. Les
dispositions internationales prévoyant l'accès des migrants à l'éducation
10. Le droit à l'éducation ainsi
que l'obligation faite aux États de le garantir, en particulier
en ce qui concerne l'enseignement primaire, sont inscrits dans de
nombreux textes internationaux fondamentaux allant de la Déclaration
universelle des droits de l'homme de 1948 (article 26) à la Charte
sociale européenne (révisée) (ETS no 163)
de 1996, en passant par le Pacte international des Nations Unies
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) et la
Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (1989).
11. L'article 13 du Pacte international des Nations Unies relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) précise que
l'enseignement doit répondre aux caractéristiques de dotations, d'accessibilité, d'acceptabilité
et d'adaptabilité. L'enseignement primaire doit être
«obligatoire et accessible gratuitement à tous», tandis que l'enseignement
secondaire «doit être généralisé et rendu accessible à tous par
tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive
de la gratuité». L'article 13.1 dispose que l'éducation doit viser
au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de
sa dignité, mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile
dans une société libre, et favoriser la compréhension entre toutes
les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux.
Dans une Observation générale du 16 novembre 2017, les Nations Unies
affirment que tous les enfants dans le contexte des migrations internationales,
quel que soit leur statut, doivent avoir pleinement accès à tous
les niveaux et à tous les aspects de l'éducation, sur un pied d'égalité
avec les nationaux du pays dans lequel ils vivent.
12. S'agissant du Conseil de l'Europe, les Parties à la Charte
sociale européenne (révisée) s'engagent à «assurer aux enfants et
aux adolescents un enseignement primaire et secondaire gratuit,
ainsi qu'à favoriser la régularité de la fréquentation scolaire»
(article 17.2). La Charte contient également des dispositions interdisant
le travail des enfants (de moins de 15 ans) et l'emploi des enfants
encore soumis à l'instruction obligatoire. Le Comité européen des
droits sociaux (CEDS) a confirmé à plusieurs reprises dans sa jurisprudence
que les mineurs migrants ont droit à l'éducation, quel que soit
leur statut. Il dit également depuis 2004 que les réfugiés doivent
jouir autant que possible des droits qui leur sont garantis par
la Charte
.
13. À l'audition de décembre 2017 à Paris, Wouter Vandenhole a
fait remarquer que la Cour européenne des droits de l'homme avait
souligné l'importance et la nature particulière de l'éducation primaire
et de l'enseignement secondaire (concluant notamment que ce dernier
devait être gratuit même pour les migrants en situation irrégulière).
14. La Cour reconnaît à l'éducation des fonctions sociales plus
larges: elle permet non seulement à ceux qui en bénéficient d'atteindre
leur plein potentiel tant au plan personnel que professionnel, mais
elle est également importante pour la société, favorisant le pluralisme
et donc la démocratie
. Dans la société du savoir,
l'enseignement secondaire joue un rôle toujours croissant dans l'épanouissement
personnel et l'intégration socioprofessionnelle de chacun.
15. La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne cite
le droit à l'éducation dans ses articles 13, 14, 21 et 32, et regroupe
des droits déjà énoncés dans les traités du Conseil de l'Europe
et des Nations Unies. L'Agence des droits fondamentaux de l'Union
européenne (FRA), qui suit les questions liées à l'éducation des
enfants réfugiés, a été une précieuse source d'information pour
le présent rapport. Une étude inquiétante portant sur 14 États membres
de l’Union européenne
révèle que dans neuf États, les enfants placés
dans des centres de rétention n’ont accès à aucune forme d’éducation
et que les principaux obstacles à l’accès des jeunes enfants à l’éducation
sont les longs délais d’attente, les barrières linguistiques, l’accessibilité
(distances), l’insuffisance des conseils aux familles, le manque
d’informations, les aides trop faibles pour couvrir les dépenses
et le traitement et l’intégration des enfants traumatisés. Dans
certaines régions de trois États membres (Allemagne, Grèce, Hongrie),
les demandeurs d'asile et les réfugiés n’ont pas accès à l’enseignement
ordinaire, seules quelques ONG ou des bénévoles fournissant une
forme d’éducation.
3. Accès
des migrants et des réfugiés à l'éducation: la situation au niveau
mondial
16. Le nombre d'enfants réfugiés
ne cesse d'augmenter: d'après un rapport publié par l'Unicef en
2016, les enfants constituent plus de la moitié des réfugiés dans
le monde aujourd'hui, même s'ils représentent moins d'un tiers de
la population mondiale. Depuis 2011, les conflits dans le monde
ont entraîné une augmentation de 75 % du nombre d'enfants réfugiés
(la moitié des enfants réfugiés placés sous la protection du HCR
en 2016 venaient de Syrie et d'Afghanistan). Bon nombre d'entre
eux sont des mineurs non accompagnés (cette question étant l'objet
de plusieurs rapports passés et en cours, elle ne sera pas examinée
en détail dans la présente étude).
17. Les chiffres mentionnés ci-dessus (paragraphe 3) sont des
moyennes mondiales; dans les pays à faible revenu, 9 % seulement
des enfants d'âge scolaire vont à l'école. Dans ces pays, l'objectif
de la scolarisation pour tous est encore plus difficile à assurer:
c'est pourquoi l'enseignement primaire et secondaire pour les enfants
réfugiés a un double but: autonomiser tous les enfants réfugiés
à titre individuel, mais aussi aider par leur biais leurs parents
et frères et sœurs eux aussi déplacés, mais peu alphabétisés, sans
qualifications professionnelles et ne disposant pas des compétences
nécessaires à la vie quotidienne dans leur pays d'accueil, à trouver
leur place dans leur nouvel environnement et à s'engager sur la
voie de l'intégration.
3.1. Nations
Unies et organisations non gouvernementales
18. L'Objectif de développement
durable no 4 des Nations Unies, «Assurer
l'accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d'égalité,
et promouvoir les possibilités d'apprentissage tout au long de la
vie» (d'ici à 2030), est assorti d'une feuille de route visant notamment
la prise en compte des besoins éducatifs des populations vulnérables,
dont les réfugiés, les apatrides et autres personnes déplacées de
force. Lors du Sommet mondial sur l'action humanitaire tenu en Turquie
en mai 2016, un fonds pour l'éducation, «Education Cannot Wait Fund»,
a été créé pour répondre aux besoins éducatifs de millions d'enfants
et de jeunes touchés par des situations de crise partout dans le
monde et contribuer, surtout, à résorber la fracture entre l’aide humanitaire
et l’aide au développement. Le fonds a pour but d'aider 1,4 million
d'enfants d'ici la fin 2017 et près de 16 millions d'ici 2030.
19. Le Forum mondial sur l'éducation organisé par l'UNESCO en
mai 2015 a adopté un Cadre d'action intitulé «Vers une éducation
inclusive et équitable de qualité et un apprentissage tout au long
de la vie pour tous». Il rappelle que les États sont tenus d'assurer
un enseignement primaire obligatoire et gratuit et de veiller à
ce que l'enseignement secondaire (y compris technique et professionnel)
et l'enseignement supérieur soient accessibles à tous. Ils doivent
également éliminer la discrimination à tous les niveaux du système
éducatif.
3.2. L'Union
européenne
20. En avril 2016, la Commission
européenne a annoncé un train de mesures d'aide humanitaire d'un montant
de 52 millions d'euros visant spécifiquement la réalisation de projets
éducatifs en faveur d'enfants en situation d'urgence, conformément
à l'engagement pris par la Commission de consacrer 4 % de son budget d'aide
humanitaire à l'éducation (contre 1 % précédemment). Ce financement
ciblera les régions où les enfants sont davantage exposés au risque
de déscolarisation ou d'interruption scolaire, à savoir le Moyen-Orient
(en particulier la Syrie et l'Irak), l'Afrique centrale et occidentale,
l'Asie, l'Ukraine, l'Amérique centrale et la Colombie.
21. L'aide sera acheminée par l'intermédiaire d'ONG, d'agences
des Nations Unies et d'organisations internationales et, en plus
de financer directement des matériels pédagogiques et des formations,
réglera des problèmes d'infrastructures. À titre d'exemple, l'UNICEF
a obtenu des fonds pour améliorer la qualité de l'environnement
pédagogique des enfants à Alep en fournissant des panneaux solaires
aux écoles sujettes à de fréquentes coupures de courant. Des ordinateurs
et des tablettes peu coûteux seront mis à la disposition des élèves
syriens dans les écoles pour leur donner accès aux ressources numériques.
22. C'est en Turquie que la Commission européenne a lancé en 2017
son plus grand programme humanitaire en faveur de l'éducation des
enfants réfugiés, qui vise à inciter 230 000 enfants réfugiés à
aller à l'école dans ce pays. En mars 2017, le programme CCTE («Conditional
Cash Transfer for Education») doté d'un budget de 34 millions d'euros,
conçu et géré en partenariat avec l'UNICEF et le Croissant-Rouge
turc, a commencé à verser des aides aux familles de réfugiés dont
les enfants fréquentent régulièrement l'école. Le CCTE apportera
un soutien aux enfants vulnérables pour améliorer leur accès à l'éducation
dans les écoles publiques turques et les centres d'éducation temporaires
et permettra leur intégration dans le programme national. Au 12
février 2018, 604 057 enfants, arrivés en Turquie par des migrations
massives, sont inscrits dans le système éducatif turc. 369 056 Syriens
et Irakiens sous protection temporaire sont inscrits dans des établissements
d'enseignement qui suivent les programmes scolaires turcs. Dans
338 centres d'éducation temporaires dans 20 provinces de Turquie,
225 390 étudiants suivent des cours intensifs de turc. Les faibles taux
de scolarisation des Syriens sous protection temporaire pourraient
s'expliquer en partie par le fait que la Syrie ne possédait pas
d'enseignement secondaire obligatoire.
4. Quel
type d'éducation?
4.1. Faire
des écoles des lieux sûrs
23. Depuis 2007, l'utilisation
d'écoles ou d'universités à des fins militaires par les forces armées gouvernementales
et les groupes armés non étatiques a été observée dans au moins
29 pays touchés par des conflits armés ou par l'insécurité, d'après
la Coalition mondiale pour la protection de l'éducation contre les attaques
. L'organisation Human Rights Watch,
qui est membre de la coalition, a publié un rapport sur la question
en mars 2017, ainsi que plusieurs rapports par pays, dont un sur
l'Ukraine
dans lequel elle indique que les
forces gouvernementales ukrainiennes et les militaires soutenus
par la Russie ont mené des attaques contre des écoles, utilisé des
écoles à des fins militaires et déployé leurs forces à l'intérieur
et à proximité d'écoles. La destruction ainsi engendrée a contraint
de nombreuses écoles à fermer leurs portes ou à continuer de fonctionner
dans des conditions extrêmement difficiles.
24. Dans les pays de transit et d'accueil de réfugiés et de migrants
qui ne sont pas directement engagés dans un conflit, il conviendrait
de mettre en place des «pare-feu» entre les établissements d'enseignement
et les services de l'immigration. Les enfants ne doivent pas être
privés de scolarité en raison de décisions administratives tardives
ou défavorables. Il convient de donner la priorité à leur développement
en tant qu'enfants et jeunes et d'éviter toute interruption de scolarité
pour limiter les sources de discrimination multiple à l'avenir.
Les policiers ne devraient jamais avoir accès aux écoles dans des
situations liées au processus migratoire, par exemple pour procéder
à des reconduites à la frontière après rejet d'une demande d'asile.
4.2. Les
enfants doivent s’instruire ensemble
25. Lorsque les réfugiés et les
enfants de la société d'accueil apprennent les uns avec les autres, l'investissement
dans un système commun apporte des améliorations durables pour la
collectivité et apaise les tensions liées aux pressions supplémentaires
sur les ressources locales. La construction de nouvelles écoles et
la formation d'un plus grand nombre d'enseignants améliorent la
qualité du système éducatif d'un pays pour les générations futures
d'élèves, qu'ils soient réfugiés ou ressortissants du pays d'accueil.
Dans les pays où le nombre de réfugiés est tel qu’ils sont accueillis
dans des centres de la taille d’une grande ville – essentiellement dans
les pays voisins de la Syrie, en dehors de l’Europe, y compris la
Turquie – les classes doivent toutefois être organisées de manière
autonome pour assurer un accès par la proximité. Dans ce domaine,
il convient de se laisser guider par les principes des Nations Unies
de dotations, d'accessibilité, d'acceptabilité et d'adaptabilité.
Dans ce contexte, la Turquie constitue un bon exemple, puisque les
élèves syriens sont inscrits dans le système éducatif turc après
des cours intensifs de turc.
26. La mise en œuvre de principes éducatifs favorisant l’inclusion
peut se heurter à des difficultés qui, si elles ne sont pas surmontées,
peuvent constituer les graves violations du droit à l’éducation.
Lors d’une audition conjointe de la commission sur l'égalité et
la non-discrimination et de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, organisée en juin 2016 à Strasbourg,
des ONG actives dans la «jungle» de Calais ont dénoncé le fait que
les enfants réfugiés théoriquement transportés par autocar vers
les écoles locales de Calais manquaient les classes la plupart du
temps à cause des retards et de la mauvaise programmation des arrivées
et des départs des cars. Cela rappelle qu’il faut assurer un contrôle
à toutes les étapes et que l’objectif du respect de l’intérêt supérieur
de l'enfant doit être partagé par tous les acteurs. Les États doivent
afficher une ferme volonté politique dans la mise en œuvre de leurs
mesures.
27. La nécessité d'intégrer les enfants réfugiés dans l'enseignement
ordinaire fait aujourd'hui largement consensus au sein de la communauté
internationale. Pour l'heure, la Cour européenne des droits de l'homme ne
s'est prononcée sur cette question que dans des affaires concernant
des enfants handicapés ou des enfants roms, mais le principe de
non-ségrégation en matière d'éducation devrait être étendu aux enfants migrants
(éviter une différenciation fondée sur la nationalité ou l'origine
ethnique)
. La formation de classes séparées
peut se justifier dans certaines disciplines et notamment les langues;
des tests devraient alors être réalisés avant l'affectation des
élèves. Les programmes devraient être conçus pour combler les lacunes
en langues et en aucun cas pour pratiquer une ségrégation.
28. Indépendamment des obligations internationales, les différentes
situations des réfugiés dans les pays d'accueil plaident en faveur
d'une législation d'ordre général rendant l'éducation primaire et
secondaire obligatoire pour tous les enfants, quel que soit leur
origine ou leur statut. L’étude de l’Agence des droits fondamentaux
note également qu’une fois inscrits à l’école, les enfants demandeurs
d’asile bénéficient généralement du même enseignement et des mêmes
soins que les enfants du pays, et que dans certains pays ils peuvent
aussi obtenir un soutien supplémentaire, comme des cours de langue
ou des aides financières pour le matériel scolaire ou une assistance
pour un handicap.
4.3. L'enseignement
primaire doit être obligatoire et assuré à tous les stades du processus d'asile
29. En Europe, les réglementations
relatives à la scolarité obligatoire varient considérablement d'un
État à l'autre et révèlent dans bien des cas des lacunes et des
manquements dans la mise en œuvre du droit des enfants à l'éducation.
Aux Pays-Bas, par exemple, l'éducation primaire est obligatoire
pour les enfants néerlandais comme pour les enfants migrants jusqu'à
l'âge de 16 ans, tandis qu'en Suède et en Allemagne, l'école n'est
pas obligatoire pour les enfants âgés de 6 à 16 ans en attente d'une
détermination de leur statut. Cela dit, le fait que l'éducation
préscolaire soit principalement privée et payante aux Pays-Bas a
pour conséquence que les enfants migrants en sont souvent exclus,
alors que tout enfant arrivant en Suède peut s'inscrire gratuitement
dans une structure préscolaire ouverte. Dans les grandes villes
de Suède, certains établissements préscolaires dédiés mettent l'accent
sur l'apprentissage du suédois.
30. En Turquie, 362 451 enfants de réfugiés enregistrés ne vont
pas à l'école. Les élèves étrangers qui n'ont pas de carte d'identité
sont enregistrés sur place par l’intermédiaire d’un système en ligne.
La Turquie entreprend d'importants projets d'infrastructure pour
faire en sorte que chaque élève sous protection internationale puisse
recevoir une éducation s'il le souhaite. Il semblerait toutefois
que l'accès à l'éducation aux enfants sans protection temporaire
reste un problème. Pour de nombreuses familles de réfugiés extrêmement pauvres,
les enfants sont les seules sources de revenus; d'après les estimations,
il y aurait dans une famille sur quatre au moins un enfant qui travaille.
Par ailleurs, les années de scolarité perdues sont très difficiles
à rattraper.
4.4. L'accès
à tous les niveaux de l'éducation doit être assuré
31. Un autre avantage de l'intégration
des élèves dans des structures éducatives ordinaires réside dans
le fait qu'elles délivrent des diplômes officiels et reconnus qui
leur donnent accès au niveau supérieur. Fort de sa longue expérience
en la matière, le HCR considère que les systèmes parallèles sont
de piètres substituts qui peuvent même se révéler contre-productifs,
la non-reconnaissance des apprentissages freinant les progrès des
élèves.
32. Le Conseil de l'Europe n'a pas traité directement la question
de la scolarisation précoce. En revanche, il a lancé en 2017 un
projet pilote de «Passeport européen de qualifications pour les
réfugiés»
qui permet aux réfugiés ayant perdu
leurs diplômes de passer des entretiens pour obtenir un document
leur permettant de poursuivre leurs études. Il a également conçu
une boîte à outils pour l'accompagnement linguistique des réfugiés
adultes
.
4.5. L’importance
de la langue
33. Bien qu'il soit parfois nécessaire
de prévoir des cours supplémentaires pour l'apprentissage des langues,
le moyen le plus rapide d'acquérir le langage social est l'immersion
avec les pairs. Le jeu et l'interaction avec les autres facilitent
cet apprentissage. En revanche, la maîtrise de la langue académique
peut être beaucoup plus longue à acquérir. Pour cela, le vocabulaire
et la grammaire utilisés en classe doivent être explicités, mais
cela n’impose pas de déplacer les enfants vers d'autres établissements,
puisque dans ce domaine aussi les enfants profitent de la présence
et de l'émulation de leurs pairs. A cet égard, il est évident que
plus les enfants seront scolarisés jeunes, moins il leur sera nécessaire
de suivre des cours de langues supplémentaires, car tous les élèves
de leur classe en seront au même stade qu'eux, c'est-à-dire au début
de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.
34. Pour les élèves plus âgés et leurs familles, la langue peut
être un obstacle à l'intégration (réel ou ressenti) et constitue
indéniablement l'un des facteurs d'attraction de pays comme le Royaume-Uni
ou l'Allemagne. L'aide à l'apprentissage de la langue dans les pays
d'accueil et l'accès de tous les enfants à une deuxième et à une
troisième langue dès le plus jeune âge sont essentiels pour le partage
des responsabilités et la répartition des flux migratoires actuels
en Europe.
4.6. Compétences
sociales et culturelles, éducation non formelle, différences culturelles
et différences liées au sexe
35. Le présent document se concentre
sur la mise en œuvre de la scolarité obligatoire, mais il convient également
d'évoquer l'éducation non formelle et l'éducation interculturelle,
très importantes pour des réfugiés et des migrants qui ont traversé
des continents entiers pour rejoindre des pays aux traditions socioculturelles bien
différentes de celles de leur pays d'origine. Les programmes formels
devraient donc se doubler d'informations et de conseils utiles pour
la vie quotidienne dans le pays d'accueil, adaptés en fonction de
l'âge et de la situation des enfants concernés.
36. L'éducation a une fonction émancipatrice particulière pour
les filles migrantes car elle leur permet de s'affranchir de leur
famille et de situations au sein de leur communauté susceptibles
d'entraver leur indépendance en tant qu'individus. De la même manière,
l'école doit être un lieu sûr pour tous les élèves, mais encore
plus pour les filles. Il est d'ailleurs prouvé que leur scolarisation
précoce réduit le risque de mariage forcé et d'exploitation et d'abus
sexuels. Dans les pays d'origine de nombreux réfugiés, les filles
ont généralement plus de difficultés d'accès à l'éducation formelle
que les garçons, ce qui constitue un motif supplémentaire de rendre
obligatoire au moins l'éducation primaire dans les pays d'accueil,
afin d'autonomiser les filles et de favoriser leur intégration.
37. La scolarisation des filles pose quelques problèmes particuliers:
en Syrie, par exemple, le système éducatif sépare les jeunes filles
et les jeunes garçons à partir de 12 ans, si bien que de nombreux
parents sont réticents à autoriser leur fille à fréquenter une école
mixte. Dans le cadre d'une initiative menée dans la vallée de la
Bekaa au Liban avec le soutien financier de Save
the Children et de l'Association des femmes pour la paix
des Nations Unies, une école a été ouverte pour 160 filles syriennes
de 14 à 18 ans qui n'avaient pas été scolarisées pendant plusieurs
années. Si elles réussissent les examens de huitième année du système libanais
(que les élèves passent généralement à l'âge de 14 ou 15 ans), elles
pourront reprendre leur scolarité dans des écoles publiques locales
au Liban.
38. Dans les pays de transit ou d’accueil où les différences culturelles
et/ou religieuses sont marquées, les enfants et leurs parents doivent
s’assimiler et rapidement accepter les cultures et traditions locales;
pour bénéficier d’une éducation aux côtés des enfants autochtones,
les enfants migrants doivent évidemment respecter la législation
et les règles du système éducatif du pays d’accueil. Par conséquent,
la réussite de l’éducation des enfants migrants dépend également
de leur volonté d’apprendre, doublée d’une volonté des parents d’éduquer
leurs enfants dans le respect des règles et lois locales. Sans une
telle volonté d’intégration, les efforts des autorités du pays d’accueil
pour offrir une éducation aux enfants migrants n’auront qu’un effet limité
.
4.7. Formation
des enseignants
39. La formation des enseignants
est également importante pour assurer une éducation de qualité par l'intégration
des migrants dans l'enseignement ordinaire. Le HCR a conçu un dossier
pédagogique en ligne à l'intention des enseignants, contenant du
matériel pédagogique adaptable sur les réfugiés, l'asile, les migrations
et l'apatridie. Des outils de formation et des recommandations sont
proposés aux enseignants du primaire et du secondaire pour faciliter
l'accueil et l'intégration des enfants réfugiés dans leur classe.
On trouve également sur ces pages des explications de base sur les
différentes situations des enfants réfugiés et migrants, avec de
nombreuses animations vidéo. Des supports pédagogiques par tranche
d'âge sont accessibles en ligne et disponibles au téléchargement.
Enfin, des orientations sont fournies sur la manière d'identifier
et d'interagir avec les enfants qui souffrent de stress et de traumatismes
liés à leur parcours d'immigration
.
Ces outils pratiques extrêmement bien conçus devraient être largement
diffusés et traduits.
5. Conclusions
et recommandations
40. En dépit de la situation actuelle
des réfugiés, qui se prolonge, les fonds d'urgence restent la principale source
de financement de l'éducation des personnes fuyant des situations
critiques, ce qui ne favorise guère les investissements à long terme
dans des politiques pérennes. Dans la majorité des pays, l'éducation
des réfugiés ne fait pas partie des plans nationaux de développement
ni de la planification du secteur éducatif même si, d'après mes
recherches, quelques-uns des pays qui accueillent le plus de réfugiés
ont entrepris d'inverser la situation. Ainsi, selon l’Agence des
droits fondamentaux, la plupart des États membres de l’Union européenne
ont augmenté le budget et les ressources humaines consacrés à l’éducation
en réaction à la crise migratoire de 2015/16. Dans certains États
membres, l’assistance dépend toutefois d’un financement par projets
.
41. D'une manière générale, l'accès des réfugiés à l'éducation
et leurs résultats scolaires ne font l'objet d'aucun suivi de la
part des mécanismes nationaux de contrôle, ce qui signifie que les
enfants et les jeunes réfugiés sont non seulement défavorisés en
matière d'éducation, mais que, de surcroit, leurs besoins et leurs résultats
scolaires restent bien souvent invisibles.
42. En Europe, la mise à disposition d'une éducation de qualité
conformément aux engagements internationaux des pays est un défi
qui est loin d'être relevé, puisqu'il existe autant de disparités
dans les situations que de différences dans les conditions d'accueil
et d'intégration. La scolarité obligatoire est l'un des principaux
moyens de mettre en œuvre ces engagements et de faire primer l'intérêt
supérieur de l'enfant, comme cela a été expliqué dans de nombreux
rapports récents de l'Assemblée parlementaire. Le présent rapport
entend donner une vue d'ensemble des exigences auxquelles doivent
répondre l'enseignement primaire (et secondaire) s'agissant des
enfants migrants et réfugiés.
43. De plus, les pays d’accueil doivent davantage tenir compte
du vécu des enfants migrants et, en particulier, des enfants réfugiés.
Dans la plupart des pays d’Europe, les enfants traumatisés ont accès
à l’une ou l’autre forme d’assistance psychologique, mais elle ne
s’adresse pas spécifiquement à des enfants qui ont traversé le parcours
des réfugiés. Il est rare que l’assistance organisée dans l’enseignement
officiel prenne en compte les traumatismes multiples de chaque enfant
.
44. En assurant aujourd’hui à ces enfants une éducation de qualité
en plus d'autres formes d'assistance et de prise en charge, et notamment
une assistance psychologique immédiate et continue aux enfants traumatisés
par leur vécu, on prépare l’Europe de demain. Tout échec dans cette
mission se soldera par de nouvelles crises et d'autres bouleversements
sociaux. Les recommandations du projet de résolution soulignent aussi
l'importance cruciale de l'éducation pour la promotion d'une coexistence
pacifique dans les années à venir.