Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 14568 | 06 juin 2018

Assurer un équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et le besoin de garder les familles ensemble

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Valeriu GHILETCHI, République de Moldova, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13971, Renvoi 4224 du 24 juin 2016. 2018 - Troisième partie de session

Résumé:

La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable réaffirme que les enfants ont le droit d’être protégés de toute forme de violence, de maltraitance et de négligence. Ils ont cependant aussi le droit de ne pas être séparés de leurs parents contre leur gré, à moins qu’une telle séparation soit absolument nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Malgré l’existence de normes internationales et européennes claires dans ce domaine des droits de l’enfant, force est de constater que les décisions de retrait, d’adoption, de placement et de réunification continuent à ne pas être appliquées de manière uniforme. D’autres mesures s’imposent donc pour combler le fossé entre ces normes et leur mise en œuvre.

L’Assemblée parlementaire devrait recommander aux États membres du Conseil de l’Europe de se concentrer sur le processus afin de trouver les meilleures solutions pour les enfants comme pour leurs familles. Les États membres devraient mettre en place des procédures adaptées aux enfants qu’il s’agisse d’un retrait, d’un placement ou d’une réunification; apporter le soutien nécessaire aux familles en temps utile et dans un esprit positif; veiller à ce que les systèmes de protection de l’enfance soient ouverts et transparents; et à ce que l’ensemble du personnel prenant part à des décisions de retrait et de placement soit pleinement qualifié et régulièrement formé. Les États membres devraient mettre en place un système garantissant le bien-être des enfants lorsque ceux-ci ont été retirés à leurs parents, et mettre fin aux pratiques abusives.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adoptée à l’unanimité par la commission le 26 avril
2018.

(open)
1. Rappelant sa Résolution 2049 (2015) et sa Recommandation 2068 (2015) « Services sociaux en Europe: législation et pratiques de retrait d’enfants à leurs familles dans les États membres du Conseil de l’Europe », l’Assemblée parlementaire réaffirme que les enfants ont le droit d’être protégés de toute forme de violence, de maltraitance et de négligence. Ils ont cependant aussi le droit de ne pas être séparés de leurs parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire, qu’une telle séparation est absolument nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. De plus, même lorsqu’une telle séparation est nécessaire, les enfants ont le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec leurs deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur des enfants.
2. Malgré l’existence de normes internationales et européennes claires dans ce domaine des droits de l’enfant, force est de constater que les décisions de retrait, d’adoption, de placement et de réunification continuent à ne pas être appliquées de manière uniforme dans les États membres du Conseil de l’Europe. D’autres mesures s’imposent donc pour combler le fossé entre ces normes et leur mise en œuvre, ainsi que pour améliorer la collecte de données et la recherche susceptibles d’éclairer les responsables politiques sur la meilleure façon de procéder en ce qui concerne l’application des normes.
3. L’Assemblée réaffirme que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être pris en considération de façon primordiale pour toutes les actions concernant les enfants, conformément à la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant. Cependant, la mise en application de ce principe dépend en pratique du contexte et des circonstances spécifiques. Il est quelquefois plus facile de dire ce qui n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant: être maltraité par ses parents ou être retiré d’une famille sans raison valable.
4. C’est sous réserve de cette mise en garde que l’Assemblée réitère les recommandations formulées dans sa Résolution 2049 (2015) et invite les États membres du Conseil de l’Europe à se concentrer sur le processus afin de trouver les meilleures solutions pour les enfants comme pour leurs familles. Les États membres devraient:
4.1. mettre en place des procédures adaptées aux enfants, qu’il s’agisse d’un retrait, d’un placement ou d’une réunification; il s’agit notamment de garantir la participation pleine et entière de l’enfant concerné en faisant appel à un personnel correctement formé et éduqué pour parler aux enfants et les écouter, de manière à ce que l’opinion de l’intéressé soit non seulement entendue, mais également prise en considération;
4.2. apporter le soutien nécessaire aux familles en temps utile et dans un esprit positif en vue d’éviter d’avoir à prendre des décisions de retrait dès la première étape et de faciliter la réunification de la famille dans les meilleurs délais; il faut notamment établir une meilleure collaboration avec les parents, en vue d’éviter d’éventuelles erreurs fondées sur des malentendus, des stéréotypes ou des discriminations, erreurs qu’il sera difficile de corriger plus tard une fois la confiance perdue;
4.3. veiller à ce que les systèmes de protection de l’enfance soient ouverts et transparents de manière à renforcer la légitimité du système et la confiance qu’il inspire; il importe ainsi de veiller à ce que les décisions soient solidement étayées à toutes les étapes du processus et à ce que les procédures judiciaires soient abordables, adaptées aux enfants et accessibles, et que la collecte de données et la recherche soient améliorées;
4.4. veiller à ce que l’ensemble du personnel prenant part à des décisions de retrait et de placement, y compris les juges, soit pleinement qualifié et régulièrement formé (notamment aux normes internationales et européennes), dispose de ressources suffisantes pour prendre des décisions dans un délai raisonnable (sans hâte ni retard) et ne soit pas surchargé par un trop grand nombre d’affaires;
4.5. s’efforcer de mettre fin aux pratiques abusives, comme le recours fréquent à la rupture totale et injustifiée des liens avec la famille, au retrait de l’enfant à la naissance, à la justification d’une décision de placement basée sur l’écoulement du temps et à l’adoption sans le consentement des parents;
4.6. lorsque les enfants ont été retirés à leurs parents, garantir:
4.6.1. que de telles décisions soient une réponse proportionnée à une évaluation crédible et vérifiable par les autorités compétentes démontrant qu’il y a un risque de préjudice réel et sérieux pour l’enfant, et pouvant faire l’objet d’une révision judiciaire;
4.6.2. que la décision de retirer les enfants soit une décision de dernier ressort et pour une période la plus courte possible;
4.6.3. que lorsque c’est possible, les enfants soient placés au sein du cercle familial élargi en vue de minimiser la rupture des liens familiaux de l’enfant concerné;
4.6.4. que la facilitation en vue de réunifier les familles soit au cœur des procédures et que les systèmes de protection de l’enfance fournissent l’aide appropriée aux familles à cet égard;
4.6.5. que les visites et les contacts soient planifiés de façon à maintenir le lien familial et en vue de la réunification, sauf si cela devait être manifestement inapproprié;
4.6.6. que toutes les procédures soit menées en toute indépendance, avec égalité de moyens pour les deux parties et parité entre les ressources disponibles de la famille et du système de protection de l’enfance;
4.6.7. que les aspects religieux, ethniques et culturels ainsi que les liens avec la fratrie soient pris en compte lors d’un placement;
4.7. garantir que les contrôles et contrepoids appropriés soient intégrés dans le système de protection de l’enfance, ceci incluant des audits réguliers ainsi qu’un contrôle parlementaire, si nécessaire.

B. Exposé des motifs, par M. Valeriu Ghiletchi, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le bien-être des enfants dans les États membres du Conseil de l’Europe me tient tout particulièrement à cœur en tant que père et responsable politique. J’ai également eu le privilège d’être désigné par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable comme rapporteur pour plusieurs rapports concernant des questions relatives aux droits des enfants au cours des dernières années. Dans le présent rapport, j’examinerai l’une des interventions les plus radicales auxquelles l’État peut procéder eu égard à la vie familiale: le retrait d’enfants à leurs parents et leur placement hors du foyer familial.
2. Il importe de reconnaître la situation extrêmement difficile à laquelle sont régulièrement confrontés les organismes de protection de l’enfance en Europe pour maintenir les enfants à l’abri de la maltraitance. D’une part, ils peuvent être critiqués parce qu’ils interviennent dans des situations où les enfants ne courent aucun risque sérieux d’être exposés à la maltraitance. D’autre part, ils peuvent être critiqués parce qu’ils interviennent trop tard, lorsque les enfants ont effectivement subi un préjudice. Il faut trouver un juste équilibre entre le besoin de garder ensemble les membres d’une même famille et la nécessité de protéger efficacement les enfants vulnérables.

2. Objet du rapport

«Le fait que l’on sépare les enfants de leurs parents là où ce n’est pas nécessaire n’aide pas les enfants qui souffrent d’une très grande violence que l’on ne trouve pas», une psychologue de Norvège

3. Il faut souligner d’emblée que le retrait d’enfants de leur famille constitue une perturbation grave de la vie à la fois des enfants et des parents et ne devrait être envisagé qu’en dernier ressort lorsqu’un enfant risque réellement de subir un grave préjudice physique ou psychologique. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CIDE) est très claire sur la gravité de cette intervention, énonçant, dans son article 9, que «[l]’enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant».
4. En outre, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) précise que les citoyens ont droit au respect de leur vie familiale et privée. Développant cette disposition, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé, dans l’affaire R.M.S. c. Espagne que «[l]a Cour tient compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue une mesure très grave qui doit reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et avoir assez de poids et de solidité».
5. L’Assemblée parlementaire a précédemment reconnu l’importance de la question dans sa Résolution 2049 (2015) «Les services sociaux en Europe: législation et pratiques de retrait d’enfants à leurs familles dans les États membres du Conseil de l’Europe». L’Assemblée parlementaire a notamment exprimé son inquiétude face à la violation des droits des enfants lorsque les services sociaux placent certains enfants de manière inconsidérée et ne font pas suffisamment d’efforts pour aider les familles avant et/ou après les décisions de retrait et de placement. «Ces décisions injustifiées sont généralement – bien que parfois involontairement – discriminatoires et peuvent constituer de graves violations des droits de l’enfant et de ses parents; elles sont d’autant plus tragiques lorsqu’elles sont irréversibles (par exemple, en cas d’adoption sans le consentement des parents) 
			(2) 
			Résolution 2049 (2015) de l’Assemblée, paragraphe 6..» Mme Olga Borzova a consacré plusieurs pages de son rapport 
			(3) 
			Doc. 13730 de l’Assemblée. à expliquer la situation juridique au niveau national et international avec une vue d’ensemble basée sur des faits et chiffres, que je ne souhaite donc pas répéter ici.
6. Dans ce contexte, je suis très préoccupé d’apprendre qu’il y a eu récemment des cas où les services de protection de l’enfance ont retiré des enfants à leurs parents dans des circonstances où le retrait apparaît comme une réaction trop hâtive à des allégations plutôt que comme une décision réfléchie fondée sur des faits avérés.
7. Une fois encore, nous devons être conscients de l’extrême difficulté de la tâche des services de protection de l’enfance. Compte tenu de l’importance des enjeux, je comprends que des erreurs puissent être commises s’agissant de retirer des enfants à leur famille dans l’intérêt de leur propre sécurité. C’est malheureusement une réalité et nous devons reconnaître que les services de protection de l’enfance ne sont pas infaillibles dans 100 % des cas. A mon sens, l’une des questions essentielles est de savoir si les mécanismes nationaux de protection de l’enfance comportent suffisamment de garanties pour permettre aux organismes concernés de prendre les bonnes décisions sur le retrait éventuel d’enfants.
8. En avril 2016, un an après avoir présenté à l’Assemblée le rapport de Mme Borzova sur les services sociaux en Europe en son absence (en ma qualité, à l’époque, de président de la commission), j’ai eu l’occasion de soulever cette question avec le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe de l’époque, M. Nils Muižnieks, lorsqu’il a présenté son rapport d’activité annuel à l’Assemblée. Sa réponse a été catégorique; il a affirmé que le retrait d’enfants à leurs parents était une vaste question et qu’en la matière, la plus grande prudence s’imposait parce qu’il fallait avant tout se demander quel était l’intérêt supérieur de l’enfant? L’intérêt supérieur de l’enfant est presque toujours d’être avec les parents. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, et même extrêmes, lorsque l’enfant court de graves dangers du fait du comportement des parents, qu’on peut envisager de le retirer, provisoirement, à ces derniers. Il faut intervenir pour soutenir les familles afin que les liens soient maintenus. Le retrait d’un enfant à ses parents doit donc être décidé uniquement en dernier recours et pour une très courte période 
			(4) 
			Propos du Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, lors
de la présentation de son rapport d’activité annuel 2016 à la session
de printemps de l’Assemblée le 18 avril 2016..
9. Sans préjuger des arrêts qui seront rendus par la Cour européenne des droits de l’homme, je crois que l’on peut d’ores et déjà affirmer que, en principe, les services de protection de l’enfance dans toute l’Europe devraient être soumis à de solides mécanismes de contrôle qui i) réduisent au minimum le risque que de mauvaises décisions soient prises et ii) garantissent que, si de mauvaises décisions sont prises, elles seront annulées dès que possible afin que la perturbation de la vie de famille soit minime et afin de protéger l’enfant de tout préjudice. Dans le présent rapport, j’examinerai si ces principes sont effectivement appliqués dans différents États membres du Conseil de l’Europe.
10. Je me dois de souligner qu’il n’est pas dans mon intention de me concentrer sur un pays donné dans le présent rapport; la pratique de tous les États membres du Conseil de l’Europe est préoccupante en la matière. Toutefois, la Norvège apparaît dans la proposition de résolution comme un pays étant confronté à une problématique spécifique... J’ai donc décidé d’effectuer une visite d’information dans ce pays, qui a eu lieu les 7 et 8 mars 2018 et qui était parfaitement organisée par la Délégation norvégienne et son Secrétariat, afin de procéder à un examen général du système national de protection de l’enfance sans porter une attention particulière aux détails relatifs à des cas spécifiques. Je décrirai la situation en Norvège dans un autre chapitre de ce rapport.
11. A l’origine, j’avais également l’intention d’examiner en profondeur la situation actuelle en Autriche, qui semble se distinguer en la matière en ne procédant que très rarement au retrait d’enfants de leur famille ou à la limitation des droits de l’un ou des deux parents (et en n’admettant pas l’adoption après des décisions de retrait), mais compte-tenu des limitations budgétaires ceci s’est révélé impossible.

3. La situation en Norvège: étude de cas

«Pourquoi tant de gens sont-ils si fâchés avec la Norvège?», une travailleuse sociale de Norvège

12. Le cas qui a motivé la proposition de résolution et donc ce rapport, est une décision prise par le Service norvégien de protection de l’enfance (Barnevernet) en 2016 où, sur la base d’allégations de châtiment corporel (illégal en Norvège), les cinq enfants (dont un bébé de trois mois) d’une famille mixte roumaine et norvégienne ont été retirés à leurs parents par le Service norvégien de protection de l’enfance dans des circonstances que je considère comme étant troublantes: les deux filles aînées de la famille avaient déjà été prises en charge en urgence directement de l’école, quand les deux fils aînés ont été emmenés, tandis que le lendemain, des agents du Service de protection de l’enfance sont revenus pour prendre également le bébé. Finalement, les enfants ont été séparés et envoyés dans trois familles d’accueil différentes sur le territoire national.
13. En l’espèce, la réaction de Barnevernet qui a retiré à un couple tous ses enfants sans intervention ou avertissement préalable a choqué l’ensemble de la communauté roumaine et de vives protestations ont été adressées à plusieurs ambassades norvégiennes. En conséquence, le Gouvernement roumain a décidé d’envoyer une délégation spéciale en Norvège pour enquêter sur cette affaire et, après une période d’intense pression internationale, Barnevernet a classé l’affaire et rendu les enfants à leurs parents. La famille s’est alors rendue en Roumanie craignant que les services sociaux ne reprennent à nouveau les enfants.
14. Outre cette affaire particulière, qui a fait la une de nombreux médias européens, la Cour européenne des droits de l’homme a commencé à examiner plusieurs autres affaires; à ce jour, elle a transmis plusieurs affaires concernant le Barnevernet au Gouvernement norvégien.
15. Permettez-moi de partager avec vous les informations que j’ai recueillies lors de ma récente visite d’information. Alors que le cas mentionné précédemment qui a motivé la proposition de résolution à l’origine de ce rapport, l’objectif de ce rapport n’est pas d’étudier ce cas. Au cours de ma visite d’information, j’ai pu collecter beaucoup d’informations sur la façon dont le système a été mis en place et fonctionne en Norvège, les statistiques ainsi que les évolutions les plus récentes. J’aimerais d’emblée signaler que fin 2016, 1,1 % des enfants en Norvège vivaient soit en famille d’accueil soit en institution 
			(5) 
			Fin 2016,
12  591 enfants étaient placés en dehors de leur foyer. Le nombre
de ces cas est en constante augmentation puisqu’il était de 7 863
en 2003 (document d’information sur le système norvégien de protection
de l’enfance m’ayant été communiqué par la Bufdir,
la Direction norvégienne des enfants, de la jeunesse et des affaires familiales,
p. 5). Le nombre de mineurs vivants en Norvège s’élevant à 1,14
million, on peut donc en conclure que 1,1 % des intéressés vivent
dans des structures d’accueil. Selon le rapport de Mme Borzova
de 2015, dans les pays les moins portés sur ce type de solutions,
moins de 0,5 % de la population enfantine fait l’objet d’une mesure
de placement, de sorte que la moyenne des pays s’établit autour
de 0,8 % et que le maximum peut atteindre 1,66 %). Un rapport de
2015 du Secrétariat du Conseil des États de la mer Baltique sur
l’aide familiale et le placement indique qu’en 2013, le pourcentage d’enfants
placés variait de 0,8 % pour les enfants de moins de 18 ans à 2,3%
dans la région, avec une moyenne de 1,22 % (les pays inclus dans
l’enquête étaient le Danemark, l’Estonie, la Finlande, l’Allemagne,
Islande, la Lettonie, la Lituanie, la Norvège, la Pologne et la
Suède). A Oslo, 4,4 % de la population enfantine entre chaque année
en contact avec le Barnevernet et
0,7 % des enfants en question sont placés chaque année, que ce soit
d’autorité ou à titre volontaire. Parmi ces derniers, 86 % sont
placés dans des familles d’accueil (selon des statistiques m’ayant
été communiquées lors de ma rencontre avec le Barnevernet d’Oslo)..
16. Le système norvégien de protection de l’enfance, sous sa forme actuelle, a été créé en 1992. Il s’agit d’une structure complexe comportant de nombreux contrôles et contrepoids, ainsi que des garanties procédurales qui, s’ils étaient décrits en détail, rempliraient plus de pages que le présent rapport ne peut consacrer à la question. Pour comprendre son fonctionnement, il convient avant tout de comprendre que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer l’objet primordial de toutes les actions et décisions affectant les enfants en Norvège. Ce principe, tel qu’il découle de l’article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, a été introduit dans la Constitution norvégienne en 2014. L’interdiction de toutes les formes de violence à l’encontre des enfants, telle qu’elle a été instituée en 2010, est également une pièce maîtresse du système. Elle vise « la violence en relation avec l’éducation de l’enfant, ainsi que l’affichage d’un comportement effrayant ou désagréable ou bien toute autre conduite inconsidérée à son égard » 
			(6) 
			Document d’information
consacré au système norvégien de protection de l’enfance m’ayant
été communiqué par la Bufdir, op. cit., p. 3..
17. Pour mieux comprendre le système norvégien, prenons l’exemple d’un cas hypothétique d’un enfant et de sa famille pour lesquels les services de protection de l’enfance sont appelés à intervenir. Le dossier est ouvert dès que quelqu’un fait part au service de la protection de l’enfance (Barnevernet) de la commune concernée de ses préoccupations concernant un enfant. On compte 422 communes et 295 services communaux ou intercommunaux de protection de l’enfance à travers le pays. Cette « note (ce message) exprimant des préoccupations » 
			(7) 
			Le
terme juridique correct serait «notification au service de protection
de l’enfance», mais tous nos interlocuteurs, y compris Bufdir, utilisent l’expression «lettre
exprimant des préoccupations». peut émaner d’un voisin, d’un ami, d’un parent, mais également de membres d’organismes officiels comme les enseignants, le personnel médical ou les policiers 
			(8) 
			Il semble que les lettres
anonymes soient également acceptées. Lors de ma réunion avec des
familles, le système des « notes/messages exprimant des préoccupations »
a été critiqué, dans la mesure où il encourage les personnes nourrissant
un grief à faire des allégations fausses ou exagérées. Selon ces
familles, les enquêtes ouvertes ne reposent pas sur la présomption
d’innocence, de sorte que les parents ont le sentiment d’avoir à
prouver leur innocence: une tâche difficile (voire impossible) notamment
lorsque la lettre contient des allégations de violence sexuelle
ou de « négligence émotionnelle ». J’admets que ce qui m’a été communiqué
par les familles peut ne pas être représentatif.. Il arrive également, mais cela est plus rare, que le dossier soit ouvert à la demande de la famille elle-même lorsque celle-ci réclame une assistance 
			(9) 
			Selon
une recherche menée dans le cadre du projet New Child Welfare Project
(NCW) à l’université norvégienne de science et de technologie (NTNU),
environ un tiers des familles entrant en contact avec le système
de protection de l’enfance en Norvège entreprennent cette démarche
parce que les parents réclament de l’aide (conclusions des professeurs
Graham Clifford, Willy Lichtwarck, Edgar Marthinsen et Halvor Fauske
communiquées par le professeur Lichtwarck). . Le nombre de « notes/messages exprimant des préoccupations » augmente chaque année, puisqu’il est passé d’un peu plus de 37 000 en 2008 à un peu plus de 58 000 en 2016. Le service municipal de protection de l’enfance doit, le plus rapidement possible, et en tous cas dans la semaine, examiner chaque notification reçue et décider de l’opportunité d’une enquête.
18. Dans la pratique, il est relativement rare qu’une «note (un message) exprimant des préoccupations» soit rejetée d’emblée 
			(10) 
			Selon la Bufdir, 18 % des lettres exprimant
des préoccupations sont rejetées sans faire l’objet d’une enquête. Paragraphe
4-3 de la loi norvégienne sur le bien-être des enfants stipule les
critères permettant de débuter une enquête., de sorte qu’une enquête est généralement ouverte. L’auteur de cette dernière peut être contacté pour fournir un complément d’information, à moins que le service ne décide de contacter directement les parents. Ces derniers peuvent être convoqués pour une réunion dans les bureaux du service de protection de l’enfance ou bien prévenus que des agents dudit service leur rendront visite à domicile. Le service réunit ensuite toutes les informations requises en faisant éventuellement appel à des experts, pour prendre – dans un délai de trois mois (pouvant être porté à six mois dans des circonstances exceptionnelles) – une décision motivée sur la question de savoir s’il convient d’appliquer des mesures ou de clôturer le dossier.
19. Selon de nombreuses familles, cette première phase de l’enquête serait la plus stressante ; le grand public ne perçoit pas le Barnevernet 
			(11) 
			Même si la confiance
à l’égard du système de protection de l’enfance a quelque peu augmenté
au sein de la population adulte générale. En 2011, seulement 23 %
de la population adulte avait vraiment confiance dans cette institution
(conclusions d’une recherche menée dans le cadre du projet NCW, op. cit.). Une étude représentative
de 2017 sur l’attitude de la nation à l’égard des organismes de
protection de l’enfance (<a href='https://www.bufdir.no/Global/Befolkningenes_holdninger_til_barnevernet.pdf'>https://www.bufdir.no/Global/Befolkningenes_holdninger_til_barnevernet.pdf</a>) montre les résultats suivants concernant l’organe norvégien
de protection de l’enfance: 
			(11) 
			– 6 % a une très bonne
impression 
			(11) 
			– 37 % a plutôt une bonne impression 
			(11) 
			–
28 % n’a ni une bonne impression, ni une mauvaise impression/impression
neutre 
			(11) 
			– 17 % a plutôt une mauvaise impression 
			(11) 
			–
6 % a une très mauvaise impression 
			(11) 
			– 6 % ne sait pas 
			(11) 
			Ces
chiffres contrastent avec la conclusion du projet NCW en 2011 selon
laquelle 70 % des parents ayant recours aux services de protection
de l’enfance avaient un niveau de confiance élevé à l’égard de ces
organismes alors qu’en 2017 seulement 42 % des personnes ayant eu
affaire à un service de protection de l’enfance avaient une bonne impression
(37 % avaient une mauvaise impression). de façon très positive et nombreuses sont les familles, notamment parmi celles n’étant pas d’origine norvégienne, craignant que leurs enfants leur soient enlevés 
			(12) 
			En
2015, 25 % des enfants ayant fait l’objet d’ordonnances de placement
avaient une mère n’étant pas née en Norvège (informations relatives
au système norvégien de protection de l’enfance, telles qu’elles
ont été communiquées par la Bufdir, op.
cit., p. 13). . Bon nombre d’entre elles ne sont pas sûres de l’évolution de la situation et de la possibilité de bénéficier d’une représentation juridique (auquel cas, de toute façon, aucune aide juridictionnelle ne leur sera proposée à ce stade: il y a une aide juridictionnelle gratuite une fois que le cas est soumis au Bureau d’aide sociale, et plus tard pour la procédure d’appel) 
			(13) 
			Selon un article de
presse paru récemment, en ce qui concerne l’aide juridictionnelle,
lorsque le cas est contesté devant le tribunal du district, le conseiller
juridique des parents sera tout d’abord payé pour les heures passées
dans le cadre de la procédure d’appel sur la base du tarif pratiqué
par les services publics. Cependant, le juge peut réduire ce montant
s’il estime que l’avocat a pris beaucoup de temps. Le conseiller
juridique du Service de protection de l’enfance perçoit un salaire
horaire et le juge ne peut réduire ce salaire. Il semble donc y
avoir inégalité quant aux moyens dont disposent les deux parties
en pratique. <a href='https://www.aftenposten.no/meninger/kronikk/i/qnbJle/Barnevernets-bruk-av-advokater-utfordrer-rettssikkerheten-for-foreldre-og-barn--Thea-Totland'>https://www.aftenposten.no/meninger/kronikk/i/qnbJle/Barnevernets-bruk-av-advokater-utfordrer-rettssikkerheten-for-foreldre-og-barn--Thea-Totland</a>.. Les parents sont donc sur la défensive, notamment parce que la plupart des communes utilisent un système de « liste récapitulative » [checklist] critiqué comme assimilant à tort la présence de facteurs de risque à la gravité réelle du cas examiné 
			(14) 
			«Weaknesses
in the child welfare system for assessing cases», Professeurs associés:
Svein-Arild Vis, Camilla Lauritzen, Sturla Fossum (université de
Tromso) et Karen J. Skaale Havnen, chercheuse, <a href='https://forskning.no/meninger/kronikk/2018/02/svakheter-i-barnevernets-system-undersokelse-av-saker'>https://forskning.no/meninger/kronikk/2018/02/svakheter-i-barnevernets-system-undersokelse-av-saker</a>. Les familles que j’ai rencontrées critiquent également
des catégories d’une grande imprécision, telles que «préjudice émotionnel
futur» et les avocats que j’ai rencontrés sont du même avis («incapacité
à réconforter un enfant» – après une vaccination, par exemple –
ou «incapacité à fixer des limites», ou encore «manque de compétences
parentales»).. Nul ne sait non plus avec certitude dans quelle mesure on cherche à solliciter et à prendre en compte l’opinion de l’enfant concerné à ce stade de la procédure 
			(15) 
			Dans
un rapport du 22 juin 2017 intitulé « Échec et trahison » et rédigé
par un comité nommé par décret royal pour analyser les cas dans
lesquels des enfants avaient été victimes de graves violences de
sévices ou d’exploitation sexuelle ou de négligence, l’une des défaillances
identifiées tenait à l’absence complète de communication avec les
enfants ou à un manque de communication sûre ou sécurisée.	 <a href='https://www.regjeringen.no/contentassets/a44ef6e251cd443396588483e97402ab/no/pdfs/nou201720170012000dddpdfs.pdf'>https://www.regjeringen.no/contentassets/a44ef6e251cd443396588483e97402ab/no/pdfs/nou201720170012000dddpdfs.pdf</a>..
20. Dans un peu moins de la moitié des cas ayant fait l’objet d’une enquête 
			(16) 
			Selon
la proposition législative «Proposition to the Storting 73 L (2016-2017)»,
en 2015, 42 % des enquêtes ont conduit à des mesures dont le but
était d’assister l’enfant ainsi que sa famille (voir paragraphe
3.4.3)., des mesures sont prises pour aider l’enfant et sa famille à leur domicile (fin 2016, 22 000 enfants bénéficiaient d’un tel régime) 
			(17) 
			Document
d’information sur le système norvégien de protection de l’enfance,
tel qu’il m’a été communiqué par la Bufdir, op. cit., p. 5.. Cette aide peut revêtir plusieurs formes, depuis un soutien financier jusqu’à des conseils et une orientation générale visant à renforcer les compétences parentales des intéressés, en passant par une assistance pour inscrire un enfant à la maternelle, etc. Les mères avec de jeunes enfants peuvent également accepter volontairement d’emménager pour une courte période dans une des 15 institutions familiales supervisées (Sentre for foreldre og barn) afin d’obtenir une assistance et également une évaluation 
			(18) 
			Selon
les familles que j’ai rencontrées, huit mères sur dix quittent ces
institutions sans leurs enfants car ces derniers leur ont été retirés
par l’État. D’après les psychologues avec lesquels je me suis entretenu,
la hantise pour les parents de se voir séparés de force de leurs
enfants contribue à faire du domicile parental un endroit où règne
un climat extrêmement tendu.. Jusqu’à présent, ces mesures ont habituellement été appliquées à titre volontaire, à savoir qu’elles supposent l’accord des parents 
			(19) 
			Selon
le secrétaire d’État, M Tom Erlend Skaug (du ministère des Enfants
et de l’Égalité), 80 % des mesures prises actuellement par le Barnevernet revêtent un caractère
volontaire.. La loi a été cependant modifiée en 2016 de sorte qu’il est désormais possible d’imposer de telles mesures aux familles sans leur consentement (ces décisions ne peuvent être prises que par le Bureau d’aide sociale du comté, et cette possibilité est rarement utilisée). Une famille peut également accepter volontairement qu’un de ses enfants soit placé à l’extérieur.
21. Lorsque le Barnevernet estime, à l’issue de son enquête que l’enfant doit être retiré à ses parents, il doit déposer une ordonnance de placement auprès du « Bureau d’aide sociale de comté » compétent. Ces instances de l’État, au nombre de 12 dans le pays, ont des pouvoirs quasi judiciaires et prennent des décisions en toute indépendance ; elles sont composées d’un juge 
			(20) 
			D’un point
de vue juridique, le président du Bureau n’est pas un juge (doté
de privilèges spéciaux conformément à ce qui est prévu dans la Constitution)
mais un fonctionnaire (avec les mêmes qualifications qu’un juge). «Les retraits d’enfants par les services de
l’État, une analyse transfrontière des processus décisionnels»,
édité par Kenneth Burns, Tarja Pösö et Marit Skivenes, Presse universitaire
d’Oxford 2017, p. 48., d’un spécialiste (généralement un psychologue) et d’un citoyen ordinaire. Une ordonnance de placement peut être rendue dès lors que:
  • les soins quotidiens reçus par l’enfant comportent de graves lacunes sous l’angle des contacts personnels et de la sécurité dont l’enfant a besoin en raison de son âge et de son état de développement ;
  • les parents ne veillent pas à ce que leur enfant malade, handicapé ou ayant des besoins particuliers reçoive le traitement et la formation dont il a besoin ;
  • l’enfant est maltraité ou soumis à d’autres sévices graves à la maison ;
  • il est très probable que la santé ou le développement de l’enfant puisse être gravement compromis parce que les parents ne sont pas en mesure d’assumer leurs responsabilités.
22. En 2015 (dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres), 1  545 enfants ont fait l’objet d’une ordonnance de placement délivrée par un Bureau d’aide sociale de comté. Le nombre de nouveaux enfants pris en charge par les services de protection de l’enfance a augmenté de 52 % entre 2008 et 2012, avant de baisser de 10 % entre 2012 et 2015.
23. Toute ordonnance de placement délivrée par un Bureau d’aide sociale de comté peut être contestée devant le tribunal de district. J’ai été informé pendant ma visite d’information que, dans près de 90 % des cas, ledit bureau accepte de rendre les ordonnances demandées 
			(21) 
			À
l’issue d’audiences contradictoires qui durent habituellement de
deux à trois jours (informations m’ayant été communiquées pendant
ma réunion avec l’unité centrale des Bureaux d’aide sociale du comté
d’Oslo). et que 90 % des recours introduits devant le tribunal de district n’aboutissent pas. Rares sont les affaires dans lesquelles une décision peut être contestée devant la Cour d’appel ou la Cour suprême, car il est nécessaire de recevoir l’autorisation d’interjeter appel 
			(22) 
			En
vertu d’un changement introduit dans la législation en 2005, il
est devenu difficile de faire remonter un appel jusqu’aux juridictions
supérieures et plus particulièrement à la Cour suprême. Cette réforme
a été critiquée par une partie seulement de mes interlocuteurs en
Norvège, dans la mesure où les enfants et leurs parents ont également
intérêt à parvenir à des certitudes juridiques à un moment donné.. Les parents peuvent par la suite demander la révocation d’une ordonnance de placement une fois par an. En 2017, les décisions concernant 508 enfants ont été rendues à la suite de telles demandes de révocation ; 173 des enfants concernés ont été rendus à leur famille (34 %). Les parents bénéficient d’une aide juridictionnelle gratuite pendant tout le processus, dès lors que la demande d’ordonnance de garde a été rendue.
24. Les parents avec lesquels j’ai discuté estiment qu’ils ont peu de chances de retrouver leurs enfants une fois qu’une ordonnance de garde a été rendue, et cette impression est effectivement confirmée par les statistiques ci-dessus – bien que les enfants finissent par être rendus à leurs parents dans 50 % à 60 % des placements en urgence par le biais d’une ordonnance 
			(23) 
			Statistiques m’ayant
été communiquées lors de ma réunion avec des représentants de la Bufdir.. Mes interlocuteurs en Norvège m’ont expliqué qu’il en va ainsi parce que seuls les cas les plus graves donnent lieu en premier lieu à une ordonnance de placement. Nous pouvons certainement tous convenir qu’en cas d’abus, de violence et de négligence graves (y compris des sévices et/ou une exploitation sexuels), il va dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être pris en charge rapidement et de ne pas être renvoyé aux parents à moins que les circonstances n’aient considérablement évolué.
25. J’ai eu cependant connaissance de plusieurs cas pour lesquels, comme dans l’affaire ayant inspiré la proposition de résolution sur laquelle se fonde le présent rapport et comme la requête ayant abouti à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 30 novembre 2017 dans l’affaire Strand Lobben et autres c. Norvège 
			(24) 
			Requête no 37283/13.
Cette affaire a été jugée recevable, depuis, par la Grande Chambre., c’est beaucoup moins évident. Pour reprendre les propos d’une des psychologues à qui j’ai parlé (et qui siège dans l’un des Bureaux d’aide sociale de comté), « nous n’aidons pas les enfants victimes de violences aggravées, mais que nous ne parvenons pas à localiser, en séparant sans nécessité d’autres enfants de leurs parents ».
26. Selon plusieurs de mes interlocuteurs ayant été en contact direct avec des enfants pris en charge par les services sociaux dans le passé, ces enfants estiment généralement avec le recul que l’ordonnance de placement avait été la bonne décision et leur avait même, dans certains cas, sauvé la vie 
			(25) 
			Par exemple, le Médiateur
pour les enfants, l’ONG «Sauvons les enfants», et les psychologues
auxquels j’ai parlé. ; cependant, beaucoup avaient trouvé le processus de placement imprévisible et effrayant. Ils estiment ne pas avoir eu la possibilité d’y prendre part et ne pas avoir réussi à faire entendre leur préférence, comme le fait d’être confiés à leur famille élargie 
			(26) 
			Cependant, j’ai aussi
été informé d’un cas où un adolescent aujourd’hui adulte – lequel
avait subi de graves violences physiques (et avait été « ballotté »
entre plusieurs familles d’accueil) – estimait a posteriori qu’il aurait mieux
fait de rester malgré tout avec ses parents en dépit de la situation
problématique régnant chez lui..
27. Lorsqu’il estime qu’un enfant risque de subir un préjudice matériel en restant à la maison, le directeur du Barnevernet local ou l’autorité de poursuite pénale peut immédiatement émettre une ordonnance de placement d’urgence sans le consentement des parents. Cette ordonnance doit être envoyée au Bureau d’aide sociale du comté afin d’être approuvée par le président de cette instance (un juge 
			(27) 
			La règle est la suivante,
les enfants âgés de plus de 15 ans sont parties prenantes. De plus,
les enfants ont le droit d’être écoutés en ce qui concerne leur
propre cas. Le Bureau d’aide sociale du comté peut désigner une
personne qui va représenter l’enfant, si l’enfant le souhaite. Le
représentant transmettra alors le point de vue de l’enfant lors
de la réunion du Bureau.) dans les plus brefs délais, mais normalement dans les 48 heures suivant sa réception. À supposer que le Bureau d’aide sociale du comté approuve une telle ordonnance, les parents peuvent faire appel de la décision. Le Bureau est alors tenu, à l’issue d’une audience, d’examiner et de trancher l’appel dans un délai d’une semaine. Les parents peuvent également demander une révision judiciaire de la décision du Bureau.
28. À supposer qu’une ordonnance d’urgence soit rendue et que le service de protection de l’enfance estime nécessaire de déposer une demande en ce sens, une requête doit être déposée le plus rapidement possible et, en tout cas, dans un délai de six semaines auprès du Bureau d’aide sociale du comté. 1  342 enfants ont fait l’objet d’une ordonnance de placement d’urgence en 2017 et le nombre des mesures de ce type a augmenté de 70 % entre 2008 et 2013, avant de baisser de 17 % entre 2013 et 2017. On constate des divergences importantes entre les comtés en ce qui concerne le nombre d’enfants faisant l’objet de mesures de protection et le nombre de placements d’urgence 
			(28) 
			«The
Norwegian Forum for the Convention on the Rights of the Child, Supplementary
Report to Norway’s Fifth and Sixth Periodic Reports to the UN Committee
on the Rights of the Child », 2017, p. 19. Selon l’une des psychologues
avec qui je me suis entretenu, certaines municipalités ont tenté
avec succès de réduire le nombre de placements d’urgence dans une
proportion importante pouvant aller jusqu’à 90 %..
29. La façon dont les ordonnances d’urgence sont mises en œuvre est souvent décrite comme stressante et « effrayante » par les enfants et les parents. Selon certains rapports, des enfants sont emmenés à des moments inappropriés ou sortis de leur classe à l’école et, dans certains cas, la force et la coercition sont utilisées avec ou sans l’intervention de la police 
			(29) 
			Ibid.,
p. 19-20.. Le nombre élevé d’enfants faisant l’objet d’ordonnances de placement d’urgence (1  555 en 2015, contre 1  545 ordonnances de placement « ordinaires », dont beaucoup faisaient suite à une ordonnance de soins d’urgence) soulève la question de savoir pourquoi les services de protection de l’enfance n’interviennent pas plus tôt, d’une manière qui serait moins traumatisante pour les enfants et leurs familles. 
30. Dans ce contexte, le fait que seulement 80 % de tous les professionnels travaillant dans les services de protection de l’enfance possèdent des qualifications formelles (au minimum un bac +3 en protection de l’enfance) demeure préoccupant, surtout parce que la proportion de travailleurs non diplômés semble être encore plus élevée en dehors d’Oslo. Selon les psychologues que j’ai rencontrés, les services norvégiens de protection de l’enfance appliquent depuis quelques années des théories complexes liées à la psychologie de l’enfant et à la recherche sur le développement de la petite enfance (comme la théorie de l’attachement). Cette application se fait parfois hors contexte. Je pense qu’il est tout à fait plausible que tous les travailleurs sociaux ne disposent pas de la formation nécessaire pour comprendre de telles théories et risque donc de les appliquer à tort, avec des conséquences tragiques pour les enfants dont la situation est mal évaluée ou qui sont privés d’aide, et qui peuvent ainsi se voir retirés trop tard de leur famille ou, inversement, arrachés à leurs parents inutilement.
31. Lorsqu’un enfant fait l’objet d’une ordonnance de placement (d’urgence ou autre), il est généralement confié à une famille d’accueil s’il a moins de 12 ans. Les enfants dans la tranche d’âge des 12-18 ans ont habituellement plus de chances d’être placés dans une institution. Neuf enfants sur dix sont placés dans des foyers d’accueil 
			(30) 
			Les familles d’accueil
coûtent moins cher au gouvernement que les institutions. Le coût
du placement d’un enfant dans une institution à Oslo varie entre
8 000 et 23 000 NOK par jour (statistiques ayant été communiquées
lors de ma réunion avec la Barnevernet d’Oslo).. Bien que le placement en famille d’accueil soit généralement moins stressant pour un enfant que le placement en institution, chaque enfant déménage en moyenne 3,5 fois au cours de son placement 
			(31) 
			J’ai été informé d’un
cas où l’enfant avait été déplacé 17 fois. Il semble que le placement
en famille d’accueil peut être terminé si le service de protection
de l’enfance estime que les besoins de l’enfant ne peuvent pas être
satisfaits de façon correcte sur la durée. Il est aussi souvent
assez difficile de trouver des familles d’accueil partageant les
antécédents ethniques/culturels/religieux de l’enfant. Selon les
statistiques citées par les psychologues que j’ai rencontrés, seulement la
moitié des enfants qui étaient en famille d’accueil restent en contact
avec leur famille d’accueil une fois devenus adultes. À Oslo, le
problème tient également à l’âge: alors que la plupart des familles
d’accueil aimeraient accueillir des enfants de 0 à 4 ans, les enfants
ayant besoin d’un placement en famille d’accueil sont le plus souvent
âgés de 10 à 11 ans ou plus. Ainsi, en moyenne, 30 à 40 enfants
d’Oslo ont besoin d’une nouvelle famille d’accueil à tout moment (statistiques
communiquées lors de ma réunion avec le Barnevernet d’Oslo).. Un autre problème tient au nombre élevé de frères et sœurs séparés (6 sur 10) au moment de leur placement en famille d’accueil. Nonobstant les problèmes pratiques inhérents à l’identification de familles d’accueil désireuses et capables d’accueillir de grandes fratries, il convient de noter que la Cour européenne des droits de l’homme est particulièrement hostile à la séparation des fratries 
			(32) 
			Comme indiqué par Mme Olga
Borzova dans son rapport consacré à ce sujet, Doc. 13 730, paragraphe 81. .
32. Comme dans d’autres pays, les résultats pour les enfants bénéficiant d’une prise-en-charge extra parentale en Norvège ne sont généralement pas bons: taux plus élevés d’abus de drogues/alcool, de suicide, de mort violente, etc. 
			(33) 
			« Health
status of children in care, Disability and mortality 1990-2002 »,
Lars B. Kristofersen, NIBR Report 2005: 12. Toutefois, des modifications récentes de la législation norvégienne encouragent le placement au sein du « réseau » de la famille élargie et des amis de l’enfant 
			(34) 
			25 %
des enfants sont d’ores et déjà placés au sein de ce réseau (statistiques
communiquées lors de ma rencontre avec la Bufdir)., ce qui devrait mener à un placement en famille d’accueil plus stable et à de meilleurs résultats.
33. Les enfants placés bénéficient d’un droit de visite des parents très limité (sous surveillance, le plus souvent), lequel s’établit fréquemment à deux heures seulement quatre à six fois par an 
			(35) 
			La principale raison
avancée par l’ensemble de mes interlocuteurs est la suivante: les
visites rares et courtes accordées servent l’intérêt supérieur de
l’enfant: bien que ce ne soit pas la seule raison. On m’a rapporté
que les parents d’accueil ont en effet tendance à déplorer que les
enfants sont troublés par la rencontre avec leurs parents biologiques
et voudraient leur éviter ce «traumatisme». Bien que nous connaissions
des circonstances où c’est effectivement le cas, il faut garder
à l’esprit l’éventualité d’un conflit d’intérêts chez les parents
nourriciers dans certaines situations et que, dans d’autres cas,
les enfants peuvent simplement être perturbés parce que leurs parents
leur manquent et qu’ils aimeraient être réunis à nouveau avec eux. . Cette situation m’a particulièrement frappé lors de mon séjour en Norvège. Elle est d’autant plus inquiétante que, selon les informations que l’on m’a communiquées, il y a des cas où les bébés sont retirés à leur mère peu de temps après la naissance 
			(36) 
			Selon les statistiques
qui m’ont été fournies par la délégation parlementaire norvégienne,
les ordonnances de placement des Bureaux de l’aide sociale du comté
ont été avalisées pour 16 nouveaux-nés en 2008, alors qu’en 2017,
les ordonnances de placement des Bureaux de l’aide sociale du comté
ont été avalisées pour 25 nouveaux-nés.. Avec des droits de visite aussi courts et rares, les chances de la mère naturelle de retrouver son enfant sont minces (voir l’affaire Strand Lobben et d’autres c. Norvège), dans la mesure où l’écoulement du temps peut modifier la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant 
			(37) 
			En fait, comme indiqué
par Mme Olga Borzova dans son rapport,
« la Cour européenne des droits de l’homme abhorre les décisions
de placement justifiées par l’écoulement du temps », Doc. 13 730, paragraphe 70.. L’adoption après placement est relativement rare en Norvège, sauf pour les enfants placés très jeunes. 
			(38) 
			Les bébés
peuvent être adoptés par la famille d’accueil au bout de deux ans.
58 décisions d’«adoption forcée» ont été prises en 2017, contre
13 en 2009, mais 65 en 2014 (sur la base d’un document d’information
consacré au système norvégien de protection de l’enfance m’ayant
été communiqué par la Bufdir, op. cit., p. 14).
34. Lorsqu’un enfant fait l’objet d’une mesure de placement, le Service de consultation familiale (un organisme indépendant du Barnevernet) est chargé de proposer une assistance aux parents ayant perdu la garde de leur enfant, même si le Barnevernet demeure responsable du suivi de l’enfant et de ses parents 
			(39) 
			À cet égard, le Barnevernet est autorisé à collecter
des informations auprès des services de conseil aux familles. Ces derniers
sont également tenus d’informer le Barnevernet dès
lors qu’ils nourrissent de sérieuses craintes concernant le bien-être
d’un enfant (information extraite d’un dépliant de la Bufetat contenant des « conseils
pour les familles ayant perdu la garde de leur enfant »). Malgré
ces services, quatre parents se sont suicidés pendant le seul été 2017 (information
obtenue lors de ma rencontre avec des psychologues).. Le Service de consultation familiale aide à gérer les émotions, car « la perte de la garde de l’enfant est l’une des crises les plus graves qu’un parent peut vivre » 
			(40) 
			Information extraite
du dépliant de la Bufetat contenant
des conseils aux familles, op. cit., propose des conseils et une orientation et gère des groupes et des programmes de soutien.
35. La Norvège est à mi-chemin de la réforme de son système de protection de l’enfance; l’une des étapes à venir consistant probablement, en une refonte des Bureaux d’aide sociale de comté (qui pourraient accéder au statut de tribunal) et au déploiement d’un système de médiation 
			(41) 
			Un projet
pilote actuellement mené avec cinq Bureaux d’aide sociale de comté.
600 cas ont été soumis à une médiation (confiée à un juge et à un
psychologue). Les résultats ont été assez encourageants: un tiers
des cas obtiennent une aide volontaire après la médiation, un tiers
des cas aboutissent à ce que les parents acceptent de placer leur
enfant dans une famille d’accueil sans audience, et un tiers à ce
qu’ils se présentent à une audience normale devant la Commission
après la médiation, mais avec une meilleure communication établie
entre les parties..

4. Évolutions et points sensibles dans les États membres du Conseil de l’Europe

36. Dans son rapport de 2015, Mme Borzova avait attiré l’attention sur plusieurs points sensibles dans les États membres du Conseil de l’Europe. Premièrement, une absence de soutien aux familles désirant être autorisées à garder un enfant ou à récupérer celui-ci après un placement temporaire à l’extérieur. Pour reprendre les termes de l’intéressée: « De nombreuses circonstances peuvent rendre difficile pour des parents de répondre au besoin qu’a un enfant d’être élevé, reconnu, rendu autonome et structuré, lorsque, en principe, ils aimeraient être de bons parents. Ces circonstances peuvent être d’ordre personnel, comme l’alcoolisme, la toxicomanie ou les problèmes psychologiques (…), mais aussi d’ordre socio-économique, comme la pauvreté extrême (qui peut résulter de facteurs sur lesquels les parents n’ont aucun contrôle, tels que le chômage et la discrimination) 
			(42) 
			Doc. 13 730, paragraphe 40.
37. Deuxièmement, Mme Borzova avait dénoncé le manque de ressources et/ou de personnel qualifié affectant bon nombre d’États membres. Elle estimait qu’il était « primordial de veiller à ce que le personnel intervenant dans les décisions de retrait et de placement possède les qualifications requises, dispose de ressources suffisantes pour prendre ses décisions en temps utile (sans précipitation ni retard) et ne soit pas surchargé par un nombre de dossiers trop important à traiter » 
			(43) 
			Ibid.,
paragraphe 62..
38. Troisièmement, Mme Borzova avait pointé du doigt et critiqué un certain nombre de « pratiques que l’on ne peut qualifier autrement que d’abusives, même si elles sont animées de bonnes intentions », à savoir la rupture injustifiée et complète des liens familiaux, qui va souvent de pair avec un retrait de l’enfant à ses parents dès la naissance, des décisions de placement justifiées par l’écoulement du temps et le recours à l’adoption sans le consentement des parents 
			(44) 
			Ibid.,
paragraphe 63..
39. Quatrièmement et pour finir, Mme Borzova avait fait état d’autres questions problématiques allant de la collecte insuffisante de données jusqu’à la discrimination, en passant par la décentralisation excessive de l’organisation des services sociaux et la séparation des fratries 
			(45) 
			Même
si Mme Borzova a en fait consacré des
sous-chapitres distincts aux questions de la discrimination et de
la collecte de données insuffisantes, ce n’est pas sur ce point
que les textes adoptés insistent..
40. Alors que trois années se sont écoulées depuis la publication du rapport de Mme Borzova, je crains que les évolutions positives aient été peu nombreuses dans la plupart des États membres. L’insuffisance des données collectées demeure un problème qui se traduit par des données incomplètes et difficiles à comparer, ce qui complique la tâche des chercheurs et des universitaires tentant de comparer les différents modèles en vue de formuler des recommandations dans le but d’améliorer les pratiques. Dans une récente analyse transnationale des systèmes de prise de décisions en matière de placement des enfants par l’État, les auteurs ont déploré le manque de données et de recherches sur le retrait/placement d’enfants: « Il est frappant de constater que, s’agissant d’un domaine aussi important de l’exercice de l’autorité de l’État, les connaissances soient tellement lacunaires. Cette situation devrait préoccuper les décideurs, les législateurs et ceux qui s’intéressent aux droits humains et au fonctionnement de l’État de droit 
			(46) 
			« Child welfare removals
by the State, a cross-country analysis of decision-making systems », op. cit., p. 237.
41. Comme le soulignent à juste titre les auteurs de l’ouvrage précité, cette lacune dans les connaissances soulève également la question de savoir comment apprécier la qualité et la légitimité des décisions de placement: « Bien que les systèmes de protection de l’enfance soient tous fondés sur les principes de préservation de la famille et de “l’intérêt supérieur/bien-être de l’enfant”, il existe peu d’études empiriques systématiques sur la manière dont ces principes sont mis en balance. (…) Ni les lois sur la protection de l’enfance, ni la théorie du développement, ni la recherche sur la protection de l’enfance ne fournissent de réponses claires et précises sur ce qui va dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’une manière générale, sans parler des cas individuels relevant de circonstances spécifiques. Les lois, les théories et la recherche ne donnent pas non plus de réponses exactes pour déterminer quand intervenir dans une famille, quels services pourraient s’avérer utiles et quand le risque pour un enfant est si important que l’intéressé devrait être retiré de la garde de ses parents, et quand ce placement devrait revêtir un caractère permanent » 
			(47) 
			Ibid.,
p. 237.. On est par conséquent en droit de manifester une certaine défiance lorsqu’on apprend, par exemple, qu’en Angleterre, le modèle de prévision des risques utilisés par les instances compétentes pour leur évaluation s’est avéré extrêmement imprécis: 97 % des 10 000 parents que le système aurait identifiés comme auteurs de sévices n’ont finalement jamais maltraité leurs enfants, tandis que 17 % des parents ayant maltraité leurs enfants n’auraient pas été identifiés comme bourreaux potentiels 
			(48) 
			Étude mentionnée dans
«The troubling surge in English children being taken from their
parents – from cradle to court », The
Economist, 22 mars 2018..
42. Il semble que, dans la plupart des pays, le nombre d’interventions et de décisions de retrait a plus souvent augmenté que diminué au cours des dernières années. Il est un peu déconcertant de constater que l’approche préventive « axée sur le service » des systèmes de protection de l’enfance (comme c’est le cas dans les pays nordiques) n’a pas débouché sur un nombre moins important de décisions de retrait ; même si les systèmes « axés sur les risques » comme ceux de l’Angleterre, de l’Irlande et de la Suisse n’ont pas mieux réussi 
			(49) 
			«Child welfare removals
by the State», op. cit., p. 228.. Plusieurs explications possibles de ces tendances ont été avancées:
  • le degré élevé de « centrisme de l’enfant » dans les systèmes « axés sur le service » (qui inclut souvent une politique de tolérance zéro pour toute forme de violence) ;
  • un besoin croissant d’intervention en raison de l’incidence plus élevée du chômage, de la marginalisation et/ou de l’extrême pauvreté, et une réduction des services dans les systèmes « axés sur le risque » rendant les parents et les familles à risque absolument incapables de faire face à la situation ;
  • et une aversion croissante pour le risque chez les travailleurs sociaux dans les deux systèmes, en raison de quelques tragédies très médiatisées d’enfants décédés aux mains de leur(s) parent(s).
La discrimination et les désavantages peuvent également jouer un rôle dans l’histoire: dans la plupart des pays, ce ne sont pas les parents à revenu élevé qui finissent par s’emmêler la plupart du temps avec le système de protection de l’enfance, mais plutôt les pauvres, les personnes sans instruction, les migrants et les réfugiés, les minorités nationales ou religieuses, les parents ayant des antécédents de maladie mentale ou ayant abusé de drogues ou ayant un passé criminel, ou les mères célibataires. Comme me l’a confié un avocat norvégien: « Si vous n’entrez pas dans le cadre normal, vous avez un problème 
			(50) 
			Ou, comme mentionné
en ce qui concerne le système en Allemagne dans «Child welfare removals
by the State» (p. 109-110): «L’acceptation par la population du
système pourrait être liée au fait que les interventions de l’État
dans le domaine de la protection de l’enfance tend en premier lieu
à impliquer des citoyens de groupes défavorisés, avec des groupes
de pression faibles, et qui correspondent donc à la perspective
d’après laquelle il faut être dur avec les personnes de la société
qui ne sont pas aussi performantes selon les attentes générales.
Seulement quelques cas concernant des interventions excessives par
le biais de retraits d’enfants ont provoqué un scandale.»
43. Ce problème est aggravé par le fait que beaucoup de systèmes de protection de l’enfance fonctionnent sous une pression énorme: même en Norvège, un pays riche qui a toujours investi massivement dans les enfants et leur bien-être, 20 % des travailleurs sociaux ne disposent pas des qualifications dont ils auraient besoin, et le manque de confiance de certaines franges de la population dans le Barnevernet ajoute à la pression d’un travail difficile et sape leur motivation. En Angleterre, les travailleurs sociaux (et les tribunaux) travaillent dans des délais encore plus stricts qu’en Norvège: les procédures de placement (même celles qui conduisent à une ordonnance d’ «adoption forcée») doivent être conclues dans un délai de 26 semaines. Il convient également de soulever la question des attitudes: les agents de protection de l’enfance se considèrent-ils comme des aides ou des inspecteurs ? La recommandation de l’Assemblée de 2015 incitant à « veiller à ce que le personnel intervenant dans les décisions de retrait et de placement soit guidé par des critères et des normes appropriés (si possible de manière pluridisciplinaire), possède les qualifications requises et soit régulièrement formé, à ce qu’il dispose de ressources suffisantes pour prendre ses décisions en temps utile et à ce qu’il ne soit pas surchargé par un nombre de dossiers trop important à traiter » 
			(51) 
			Résolution 2049 (2015), paragraphe 8.8. semble loin d’avoir été suivie d’effet.
44. L’une des principales recommandations de l’Assemblée en 2015 était de mettre fin aux pratiques abusives (voir le paragraphe 38 du présent rapport), notamment le retrait des enfants à leurs parents à la naissance, la rupture complète des liens familiaux et le recours à l’adoption sans le consentement des parents, sauf dans les circonstances les plus exceptionnelles. Malheureusement, les choses ont évolué en sens inverse. Dans les systèmes, tels que le système anglais, où la politique de protection de l’enfance place au premier plan le besoin de permanence de l’enfant, défini comme un droit à des relations de soins sûres tout au long de la vie, ont en effet été enregistrés ces dernières années non seulement une augmentation sans précédent des procédures de retrait/placement, mais aussi des « adoptions forcées », ce qui soulève la question de savoir si le seuil officiel (« lorsque rien d’autre ne pourrait fonctionner ») est réellement respecté 
			(52) 
			«Child
welfare removals by the State», op. cit.,
p. 174-196..
45. En effet, il y a lieu de s’inquiéter lorsque près d’un quart des mères faisant l’objet d’un programme de retrait d’un enfant ont déjà perdu précédemment un enfant. L’Angleterre mène actuellement deux projets pilotes novateurs visant à changer cette statistique: l’un est « Pause », qui fonctionne dans 18 des 152 collectivités locales anglaises et vise à empêcher que les mères dont l’un des enfants a déjà été placé à l’extérieur par les services sociaux se voient retirer d’autres enfants, en combinant l’utilisation de contraceptifs à long terme avec des conseils et un soutien pour répondre à leurs besoins en matière de logement et d’éducation. Une deuxième initiative est celle de l’intervention des tribunaux spéciaux pour traiter des affaires de drogue et d’alcool que 22 collectivités locales proposent aux parents toxicomanes comme alternative aux placements et aux audiences contradictoires 
			(53) 
			«The troubling surge
in English children being taken from their parents – from cradle
to court », The Economist, op. cit. .
46. Une vive controverse fait rage au sujet de l’utilisation « des pouvoirs d’aménagement volontaire de l’article 20 » en Angleterre pour soustraire un nouveau-né aux soins d’une mère. Il n’est pas rare que les autorités locales retirent les nourrissons sur cette base, étant donné qu’une procédure de placement ne peut être engagée avant la naissance d’un enfant. Un certain nombre d’affaires très médiatisées devant les cours d’appel ont suscité de vives inquiétudes quant aux mesures visant à obtenir l’accord d’une mère pour le retrait « volontaire » de son enfant, dans les heures qui suivent l’accouchement 
			(54) 
			«Child welfare removals
by the State», op. cit., p. 183.
En fait, la Cour européenne des droits de l’homme a qualifié ce
retrait de « mesure extrêmement sévère » voire « drastique » et
a donc estimé qu’un nouveau-né ne saurait être enlevé à sa mère
qu’en présence de « raisons extraordinairement impérieuses » (Cour
européenne des droits de l’homme, affaire K.
et T. c. Finlande, arrêt du 12 juillet 2001 (Grande Chambre),
paragraphe 168, (traduction non officielle))..
47. Il ne s’agit pas du seul exemple de situations dans lesquelles on peut mettre en doute le caractère volontaire des accords « volontaires » dans tous les États membres du Conseil de l’Europe. Dès lors que les parents savent que l’État peut aussi utiliser des pouvoirs coercitifs contre eux et que « se battre » contre les organismes officiels peut être perçu comme un manque de coopération ou un manque de compréhension des droits et des besoins de leur enfant, les parents peuvent être contraints d’accepter « volontairement » des mesures (y compris le retrait de l’enfant) dans l’espoir que l’intervention de l’État restera minimale.

5. Conclusions et recommandations

48. Comme l’a écrit la chercheuse Karen Broadhurst l’an dernier, «[ l]e paysage législatif et politique de la protection de l’enfance est façonné par une bataille d’idées – des idées qui sont théoriques, morales et politiques» 
			(55) 
			«Child
welfare removals by the State», op. cit.,
p. 175.. Dans cette bataille d’idées, l’Assemblée parlementaire a pris résolument parti pour les droits de l’enfant: «Si les enfants ont le droit d’être protégés de toute forme de violence, de maltraitance et de négligence, ils ont aussi le droit de ne pas être séparés de leurs parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire, qu’une telle séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Et même lorsqu’une séparation est nécessaire, les enfants ont le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec leurs deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant» 
			(56) 
			Résolution 2049 (2015), paragraphe 1..
49. Cependant, quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qui le détermine et sur quelle base ? Comme nous l’avons vu (au paragraphe 41), différents systèmes, pays et individus (travailleurs sociaux, avocats, législateurs, etc.) sont amenés à appliquer de diverses manières les droits des enfants et des parents à des moments différents et interpréteront différemment ce qui va dans l’intérêt supérieur de l’enfant. De mon point de vue, il n’y a pas une seule bonne réponse ; la réponse sera influencée par l’histoire 
			(57) 
			Donc, par exemple,
en Allemagne, «le processus de décision s’appliquant pour le placement
d’enfants par les services de protection de l’enfance est très fortement
marqué par le cadre constitutionnel, qui protège les droits parentaux par
rapport à une influence de l’état indue. Cette règle de loi peut
être comprise partiellement du fait du contexte historique de l’Allemagne
nazie, qui fut une période d’interférence systématique et stratégique
de l’État dans la vie familiale» («Child welfare by the State», op. cit., p. 109). Le système de
protection de l’enfance irlandais a également été fortement marqué par
son histoire tragique du «Système scolaire industriel» (ibid., p. 146)., la culture, la religion 
			(58) 
			L’amendement
de 2012 à la Constitution irlandaise a supprimé la mention stipulant
que les droits de la famille maritale étaient «inaliénables», ouvrant
la voie à la possibilité pour des enfants nés de parents mariés
d’être mis en position d’être adoptés avec ou sans le consentement
de leurs parents (ibid., p.
165). et d’autres facteurs propres à chaque système. Il est plus facile de dire ce qui n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant: subir de graves préjudices de la part de ses parents ou être retiré d’une famille aimante sans bonne raison. Nous devons reconnaître qu’aucun système ne fonctionnera de façon correcte à 100 %.
50. La question posée demeure: Où tracer la ligne rouge ? 50 pays dans le monde, dont un grand nombre d’États membres du Conseil de l’Europe, mènent une politique de tolérance zéro quant à la violence à l’égard des enfants. Je suis d’accord sur le fait que «même une violence faible peut être très préjudiciable aux enfants» (comme me l’a dit l’un des juges présidant un Bureau d’aide sociale de comté en Norvège). Cependant, je suis personnellement convaincu que les mesures doivent rester proportionnées. Donc, par exemple, qu’un «comportement agaçant ou tout autre comportement inconsidéré envers un enfant» ne devrait pas, en lui-même, conduire au retrait d’un enfant de sa famille, surtout pas de façon permanente. Des mesures devraient plutôt être prises dans de tels cas, à mon avis, pour former les parents à la parentalité positive et non violente.
51. Dans ce contexte, je voudrais souligner que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant confère le droit aux enfants ainsi qu’aux parents de rester ensemble. Les normes et organes pertinents des Nations Unies et du Conseil de l’Europe conviennent donc que le retrait d’un enfant de sa famille devrait être envisagé en dernier recours, l’objectif étant de réunir l’enfant et sa famille dès que possible. Cette approche englobe également l’obligation pour l’État de créer un environnement propice à une telle réunification, par exemple en favorisant le maintien d’une relation avec les parents biologiques par le biais du droit d’effectuer des visites et entretenir des contacts suffisamment longs et fréquents. Les familles en difficulté ont besoin d’aide, pas de punitions. Comme l’a dit une psychologue que j’ai rencontrée: «Des mesures imposées aux parents fera-t-elle d’eux de meilleurs parents ? Ne vaudrait-il pas mieux gagner leur confiance et les convaincre de changer leur comportement ?»
52. De fait, la Cour européenne des droits de l’homme a également souligné qu’il va dans l’intérêt supérieur de l’enfant que ses liens avec sa famille soient maintenus, sauf lorsque cette dernière s’est révélée particulièrement inapte. Il ressort clairement de ce qui précède que les liens familiaux ne peuvent être rompus que dans des circonstances très exceptionnelles et que tout doit être fait pour préserver les relations personnelles et, le cas échéant, pour «reconstruire» la famille. Il ne suffit pas de montrer qu’un enfant pourrait être placé dans un environnement plus bénéfique pour son éducation 
			(59) 
			Y.C. c. Royaume-Uni, Requête 4547/10,
arrêt du 13 mars 2012, paragraphe 134. [traduction non officielle]. De ce point de vue, j’aimerais également souligner que, selon les psychologues auxquels j’ai parlé, des études longitudinales démontrent qu’un séjour de longue durée dans une famille d’accueil ou «une adoption forcée» ne constituent pas un privilège, mais plutôt un facteur de risque pour les chances de vie d’un enfant.
53. Pour revenir à «la bataille d’idées», cet exercice comporte une bonne part d’idéologie et non pas la simple confrontation d’idées en matière de protection de l’enfance. Selon l’un des psychologues que j’ai rencontrés, dès lors que la famille ne paraît plus aussi importante, le gouvernement peut nourrir l’illusion qu’il peut donner une «meilleure» famille à l’enfant. Quel est le rôle de la société dans cette bataille d’idées ? Convient-il de demander aux familles d’accepter de se conformer à l’idée que la société se fait des besoins de l’enfant ? Qu’entend-t-on dans la société par des soins «suffisants» ? Sommes-nous en train de «surprotéger» les enfants et, par conséquent, d’exiger des parents «parfaits» ? Les parents constituent-ils «le dernier ennemi» dans une société démocratique et laïque où le construit social repose sur la possibilité de «bâtir» une autre famille ?
54. À mes yeux, la seule manière de garantir la victoire des droits de l’enfant dans cette bataille d’idées consiste à se concentrer sur le processus. Nous devons garantir que le processus soit adapté aux enfants du début jusqu’à la fin et qu’il mette en pratique les lignes directrices et normes pertinentes des Nations Unies et du Conseil de l’Europe. Nous ne saurions nous contenter d’un intérêt de pure forme pour la participation de l’enfant. Il est donc essentiel qu’un personnel correctement formé et éduqué (comme des pédopsychologues) parle à l’enfant et l’écoute et que nous prenions l’opinion de l’intéressé en considération. Nous devons également instaurer une meilleure collaboration avec les parents (et pas aux dépens de l’enfant, bien entendu), dans la mesure où une bonne communication peut contribuer à éviter les erreurs éventuelles découlant d’un malentendu, d’un recours aux stéréotypes, d’une discrimination, etc., tous difficiles à corriger plus tard une fois la confiance perdue. Nous devons veiller à ce que les décisions de retrait d’un enfant de sa famille soient correctement documentées et que la procédure judiciaire soit adaptée aux besoins des enfants et accessible (je ne suis personnellement pas convaincu que les procédures accusatoires soient toujours la meilleure option, en particulier au début d’une affaire).
55. Il nous faut également nous pencher sur la question de la dynamique du système: Les services sociaux sont-ils autorisés à «perdre» un cas ? Jusqu’où sont-ils autorisés à aller pour «gagner» ? Généralement, les systèmes ne supportent pas la critique et ont tendance à se mettre sur la défensive ou à nier la réalité. Plus le système est fermé, plus il comporte de règles, moins il sera disposé à admettre l’échec et à témoigner de l’empathie. Nous devrions arrêter de construire des systèmes censés «contrôler si les familles sont assez bonnes» derrière des portes closes et, au lieu de cela, proposer une aide et soutien aux familles et mettre sur pied des systèmes ouverts et transparents dans lesquels les enfants et les parents peuvent avoir confiance. Une telle approche suppose également de mettre un terme aux pratiques abusives décrites dès 2015 par Mme Borzova telles que le recours fréquent à l’interruption injustifiée du lien familial, au retrait des enfants à leurs parents dès la naissance, à la décision de placement sur la base du temps écoulé ainsi qu’aux adoptions sans le consentement parental. Il convient de se doter de contrôles et de contrepoids efficaces non seulement sur le papier, mais également dans la pratique. De plus, une indépendance évidente et systématique dans ces systèmes est nécessaire en vue d’assurer une impartialité quant à des décisions qui vont changer le cours d’une vie et de limiter le plus possible les erreurs, notamment judiciaires. Je pense que les commissions d’enquête parlementaire peuvent aussi s’avérer utiles lorsque les choses ont vraiment mal tourné.
56. J’espère pouvoir compter sur votre soutien concernant mes propositions basées sur ces conclusions que j’ai reprises dans le projet de résolution en vue de trouver le juste équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et le besoin de garder les familles ensemble, dans l’intérêt à la fois de l’enfant et des parents.