1. Introduction
1. Le bien-être des enfants dans
les États membres du Conseil de l’Europe me tient tout particulièrement à
cœur en tant que père et responsable politique. J’ai également eu
le privilège d’être désigné par la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable comme rapporteur pour plusieurs
rapports concernant des questions relatives aux droits des enfants
au cours des dernières années. Dans le présent rapport, j’examinerai
l’une des interventions les plus radicales auxquelles l’État peut
procéder eu égard à la vie familiale: le retrait d’enfants à leurs
parents et leur placement hors du foyer familial.
2. Il importe de reconnaître la situation extrêmement difficile
à laquelle sont régulièrement confrontés les organismes de protection
de l’enfance en Europe pour maintenir les enfants à l’abri de la
maltraitance. D’une part, ils peuvent être critiqués parce qu’ils
interviennent dans des situations où les enfants ne courent aucun risque
sérieux d’être exposés à la maltraitance. D’autre part, ils peuvent
être critiqués parce qu’ils interviennent trop tard, lorsque les
enfants ont effectivement subi un préjudice. Il faut trouver un
juste équilibre entre le besoin de garder ensemble les membres d’une
même famille et la nécessité de protéger efficacement les enfants
vulnérables.
2. Objet du rapport
«Le fait que l’on sépare les enfants
de leurs parents là où ce n’est pas nécessaire n’aide pas les enfants
qui souffrent d’une très grande violence que l’on ne trouve pas»,
une psychologue de Norvège
3. Il faut souligner d’emblée
que le retrait d’enfants de leur famille constitue une perturbation
grave de la vie à la fois des enfants et des parents et ne devrait
être envisagé qu’en dernier ressort lorsqu’un enfant risque réellement
de subir un grave préjudice physique ou psychologique. La Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CIDE) est très
claire sur la gravité de cette intervention, énonçant, dans son
article 9, que «[l]’enfant ne doit pas être séparé de ses parents
contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident,
sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et
procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans
l’intérêt supérieur de l’enfant».
4. En outre, l’article 8 de la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5) précise que les citoyens
ont droit au respect de leur vie familiale et privée. Développant
cette disposition, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé,
dans l’affaire R.M.S. c. Espagne que
«[l]a Cour tient compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue
une mesure très grave qui doit reposer sur des considérations inspirées par
l’intérêt de l’enfant et avoir assez de poids et de solidité».
5. L’Assemblée parlementaire a précédemment reconnu l’importance
de la question dans sa
Résolution 2049
(2015) «Les services sociaux en Europe: législation et pratiques
de retrait d’enfants à leurs familles dans les États membres du
Conseil de l’Europe». L’Assemblée parlementaire a notamment exprimé
son inquiétude face à la violation des droits des enfants lorsque
les services sociaux placent certains enfants de manière inconsidérée
et ne font pas suffisamment d’efforts pour aider les familles avant
et/ou après les décisions de retrait et de placement. «Ces décisions
injustifiées sont généralement – bien que parfois involontairement
– discriminatoires et peuvent constituer de graves violations des
droits de l’enfant et de ses parents; elles sont d’autant plus tragiques
lorsqu’elles sont irréversibles (par exemple, en cas d’adoption
sans le consentement des parents)
.» Mme Olga
Borzova a consacré plusieurs pages de son rapport
à expliquer la situation
juridique au niveau national et international avec une vue d’ensemble
basée sur des faits et chiffres, que je ne souhaite donc pas répéter
ici.
6. Dans ce contexte, je suis très préoccupé d’apprendre qu’il
y a eu récemment des cas où les services de protection de l’enfance
ont retiré des enfants à leurs parents dans des circonstances où
le retrait apparaît comme une réaction trop hâtive à des allégations
plutôt que comme une décision réfléchie fondée sur des faits avérés.
7. Une fois encore, nous devons être conscients de l’extrême
difficulté de la tâche des services de protection de l’enfance.
Compte tenu de l’importance des enjeux, je comprends que des erreurs
puissent être commises s’agissant de retirer des enfants à leur
famille dans l’intérêt de leur propre sécurité. C’est malheureusement
une réalité et nous devons reconnaître que les services de protection
de l’enfance ne sont pas infaillibles dans 100 % des cas. A mon
sens, l’une des questions essentielles est de savoir si les mécanismes
nationaux de protection de l’enfance comportent suffisamment de
garanties pour permettre aux organismes concernés de prendre les
bonnes décisions sur le retrait éventuel d’enfants.
8. En avril 2016, un an après avoir présenté à l’Assemblée le
rapport de Mme Borzova sur les services sociaux
en Europe en son absence (en ma qualité, à l’époque, de président
de la commission), j’ai eu l’occasion de soulever cette question
avec le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
de l’époque, M. Nils Muižnieks, lorsqu’il a présenté son rapport
d’activité annuel à l’Assemblée. Sa réponse a été catégorique; il
a affirmé que le retrait d’enfants à leurs parents était une vaste
question et qu’en la matière, la plus grande prudence s’imposait
parce qu’il fallait avant tout se demander quel était l’intérêt
supérieur de l’enfant? L’intérêt supérieur de l’enfant est presque
toujours d’être avec les parents. Ce n’est que dans des circonstances
exceptionnelles, et même extrêmes, lorsque l’enfant court de graves
dangers du fait du comportement des parents, qu’on peut envisager
de le retirer, provisoirement, à ces derniers. Il faut intervenir pour
soutenir les familles afin que les liens soient maintenus. Le retrait
d’un enfant à ses parents doit donc être décidé uniquement en dernier
recours et pour une très courte période
.
9. Sans préjuger des arrêts qui seront rendus par la Cour européenne
des droits de l’homme, je crois que l’on peut d’ores et déjà affirmer
que, en principe, les services de protection de l’enfance dans toute
l’Europe devraient être soumis à de solides mécanismes de contrôle
qui i) réduisent au minimum le risque que de mauvaises décisions
soient prises et ii) garantissent que, si de mauvaises décisions
sont prises, elles seront annulées dès que possible afin que la
perturbation de la vie de famille soit minime et afin de protéger
l’enfant de tout préjudice. Dans le présent rapport, j’examinerai
si ces principes sont effectivement appliqués dans différents États
membres du Conseil de l’Europe.
10. Je me dois de souligner qu’il n’est pas dans mon intention
de me concentrer sur un pays donné dans le présent rapport; la pratique
de tous les États membres du Conseil de l’Europe est préoccupante
en la matière. Toutefois, la Norvège apparaît dans la proposition
de résolution comme un pays étant confronté à une problématique
spécifique... J’ai donc décidé d’effectuer une visite d’information
dans ce pays, qui a eu lieu les 7 et 8 mars 2018 et qui était parfaitement
organisée par la Délégation norvégienne et son Secrétariat, afin
de procéder à un examen général du système national de protection
de l’enfance sans porter une attention particulière aux détails
relatifs à des cas spécifiques. Je décrirai la situation en Norvège
dans un autre chapitre de ce rapport.
11. A l’origine, j’avais également l’intention d’examiner en profondeur
la situation actuelle en Autriche, qui semble se distinguer en la
matière en ne procédant que très rarement au retrait d’enfants de
leur famille ou à la limitation des droits de l’un ou des deux parents
(et en n’admettant pas l’adoption après des décisions de retrait),
mais compte-tenu des limitations budgétaires ceci s’est révélé impossible.
3. La
situation en Norvège: étude de cas
«Pourquoi tant de gens sont-ils
si fâchés avec la Norvège?», une travailleuse sociale
de Norvège
12. Le cas qui a motivé la proposition
de résolution et donc ce rapport, est une décision prise par le
Service norvégien de protection de l’enfance (Barnevernet)
en 2016 où, sur la base d’allégations de châtiment corporel (illégal
en Norvège), les cinq enfants (dont un bébé de trois mois) d’une
famille mixte roumaine et norvégienne ont été retirés à leurs parents
par le Service norvégien de protection de l’enfance dans des circonstances
que je considère comme étant troublantes: les deux filles aînées
de la famille avaient déjà été prises en charge en urgence directement
de l’école, quand les deux fils aînés ont été emmenés, tandis que
le lendemain, des agents du Service de protection de l’enfance sont
revenus pour prendre également le bébé. Finalement, les enfants
ont été séparés et envoyés dans trois familles d’accueil différentes
sur le territoire national.
13. En l’espèce, la réaction de Barnevernet qui
a retiré à un couple tous ses enfants sans intervention ou avertissement
préalable a choqué l’ensemble de la communauté roumaine et de vives
protestations ont été adressées à plusieurs ambassades norvégiennes.
En conséquence, le Gouvernement roumain a décidé d’envoyer une délégation
spéciale en Norvège pour enquêter sur cette affaire et, après une
période d’intense pression internationale, Barnevernet a
classé l’affaire et rendu les enfants à leurs parents. La famille
s’est alors rendue en Roumanie craignant que les services sociaux
ne reprennent à nouveau les enfants.
14. Outre cette affaire particulière, qui a fait la une de nombreux
médias européens, la Cour européenne des droits de l’homme a commencé
à examiner plusieurs autres affaires; à ce jour, elle a transmis plusieurs affaires
concernant le Barnevernet au
Gouvernement norvégien.
15. Permettez-moi de partager avec vous les informations que j’ai
recueillies lors de ma récente visite d’information. Alors que le
cas mentionné précédemment qui a motivé la proposition de résolution
à l’origine de ce rapport, l’objectif de ce rapport n’est pas d’étudier
ce cas. Au cours de ma visite d’information, j’ai pu collecter beaucoup
d’informations sur la façon dont le système a été mis en place et
fonctionne en Norvège, les statistiques ainsi que les évolutions
les plus récentes. J’aimerais d’emblée signaler que fin 2016, 1,1 %
des enfants en Norvège vivaient soit en famille d’accueil soit en
institution
.
16. Le système norvégien de protection de l’enfance, sous sa forme
actuelle, a été créé en 1992. Il s’agit d’une structure complexe
comportant de nombreux contrôles et contrepoids, ainsi que des garanties procédurales
qui, s’ils étaient décrits en détail, rempliraient plus de pages
que le présent rapport ne peut consacrer à la question. Pour comprendre
son fonctionnement, il convient avant tout de comprendre que le principe
de l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer l’objet primordial
de toutes les actions et décisions affectant les enfants en Norvège.
Ce principe, tel qu’il découle de l’article 3 de la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant, a été introduit dans
la Constitution norvégienne en 2014. L’interdiction de toutes les
formes de violence à l’encontre des enfants, telle qu’elle a été
instituée en 2010, est également une pièce maîtresse du système.
Elle vise « la violence en relation avec l’éducation de l’enfant,
ainsi que l’affichage d’un comportement effrayant ou désagréable
ou bien toute autre conduite inconsidérée à son égard »
.
17. Pour mieux comprendre le système norvégien, prenons l’exemple
d’un cas hypothétique d’un enfant et de sa famille pour lesquels
les services de protection de l’enfance sont appelés à intervenir.
Le dossier est ouvert dès que quelqu’un fait part au service de
la protection de l’enfance
(Barnevernet) de
la commune concernée de ses préoccupations concernant un enfant.
On compte 422 communes et 295 services communaux ou intercommunaux
de protection de l’enfance à travers le pays. Cette « note (ce message) exprimant
des préoccupations »
peut émaner d’un
voisin, d’un ami, d’un parent, mais également de membres d’organismes
officiels comme les enseignants, le personnel médical ou les policiers
.
Il arrive également, mais cela est plus rare, que le dossier soit
ouvert à la demande de la famille elle-même lorsque celle-ci réclame
une assistance
.
Le nombre de « notes/messages exprimant des préoccupations » augmente
chaque année, puisqu’il est passé d’un peu plus de 37 000 en 2008
à un peu plus de 58 000 en 2016. Le service municipal de protection
de l’enfance doit, le plus rapidement possible, et en tous cas dans
la semaine, examiner chaque notification reçue et décider de l’opportunité
d’une enquête.
18. Dans la pratique, il est relativement rare qu’une «note (un
message) exprimant des préoccupations» soit rejetée d’emblée
,
de sorte qu’une enquête est généralement ouverte. L’auteur de cette
dernière peut être contacté pour fournir un complément d’information,
à moins que le service ne décide de contacter directement les parents.
Ces derniers peuvent être convoqués pour une réunion dans les bureaux
du service de protection de l’enfance ou bien prévenus que des agents
dudit service leur rendront visite à domicile. Le service réunit ensuite
toutes les informations requises en faisant éventuellement appel
à des experts, pour prendre – dans un délai de trois mois (pouvant
être porté à six mois dans des circonstances exceptionnelles) –
une décision motivée sur la question de savoir s’il convient d’appliquer
des mesures ou de clôturer le dossier.
20. Dans un peu moins de la moitié des cas ayant fait l’objet
d’une enquête
, des mesures sont prises pour aider l’enfant
et sa famille à leur domicile (fin 2016, 22 000 enfants bénéficiaient
d’un tel régime)
.
Cette aide peut revêtir plusieurs formes, depuis un soutien financier
jusqu’à des conseils et une orientation générale visant à renforcer
les compétences parentales des intéressés, en passant par une assistance
pour inscrire un enfant à la maternelle, etc. Les mères avec de
jeunes enfants peuvent également accepter volontairement d’emménager
pour une courte période dans une des 15 institutions familiales
supervisées (
Sentre for foreldre og barn)
afin d’obtenir une assistance et également une évaluation
. Jusqu’à présent,
ces mesures ont habituellement été appliquées à titre volontaire,
à savoir qu’elles supposent l’accord des parents
. La loi a été cependant modifiée
en 2016 de sorte qu’il est désormais possible d’imposer de telles
mesures aux familles sans leur consentement (ces décisions ne peuvent
être prises que par le Bureau d’aide sociale du comté, et cette
possibilité est rarement utilisée). Une famille peut également accepter
volontairement qu’un de ses enfants soit placé à l’extérieur.
21. Lorsque le
Barnevernet estime,
à l’issue de son enquête que l’enfant doit être retiré à ses parents,
il doit déposer une ordonnance de placement auprès du « Bureau d’aide
sociale de comté » compétent. Ces instances de l’État, au nombre
de 12 dans le pays, ont des pouvoirs quasi judiciaires et prennent
des décisions en toute indépendance ; elles sont composées d’un
juge
, d’un spécialiste (généralement
un psychologue) et d’un citoyen ordinaire. Une ordonnance de placement
peut être rendue dès lors que:
- les
soins quotidiens reçus par l’enfant comportent de graves lacunes
sous l’angle des contacts personnels et de la sécurité dont l’enfant
a besoin en raison de son âge et de son état de développement ;
- les parents ne veillent pas à ce que leur enfant malade,
handicapé ou ayant des besoins particuliers reçoive le traitement
et la formation dont il a besoin ;
- l’enfant est maltraité ou soumis à d’autres sévices graves
à la maison ;
- il est très probable que la santé ou le développement
de l’enfant puisse être gravement compromis parce que les parents
ne sont pas en mesure d’assumer leurs responsabilités.
22. En 2015 (dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres),
1 545 enfants ont fait l’objet d’une ordonnance de placement délivrée
par un Bureau d’aide sociale de comté. Le nombre de nouveaux enfants pris
en charge par les services de protection de l’enfance a augmenté
de 52 % entre 2008 et 2012, avant de baisser de 10 % entre 2012
et 2015.
23. Toute ordonnance de placement délivrée par un Bureau d’aide
sociale de comté peut être contestée devant le tribunal de district.
J’ai été informé pendant ma visite d’information que, dans près
de 90 % des cas, ledit bureau accepte de rendre les ordonnances
demandées
et que 90 % des recours introduits devant
le tribunal de district n’aboutissent pas. Rares sont les affaires
dans lesquelles une décision peut être contestée devant la Cour
d’appel ou la Cour suprême, car il est nécessaire de recevoir l’autorisation
d’interjeter appel
. Les
parents peuvent par la suite demander la révocation d’une ordonnance
de placement une fois par an. En 2017, les décisions concernant
508 enfants ont été rendues à la suite de telles demandes de révocation ;
173 des enfants concernés ont été rendus à leur famille (34 %).
Les parents bénéficient d’une aide juridictionnelle gratuite pendant
tout le processus, dès lors que la demande d’ordonnance de garde
a été rendue.
24. Les parents avec lesquels j’ai discuté estiment qu’ils ont
peu de chances de retrouver leurs enfants une fois qu’une ordonnance
de garde a été rendue, et cette impression est effectivement confirmée
par les statistiques ci-dessus – bien que les enfants finissent
par être rendus à leurs parents dans 50 % à 60 % des placements
en urgence par le biais d’une ordonnance
. Mes
interlocuteurs en Norvège m’ont expliqué qu’il en va ainsi parce
que seuls les cas les plus graves donnent lieu en premier lieu à
une ordonnance de placement. Nous pouvons certainement tous convenir
qu’en cas d’abus, de violence et de négligence graves (y compris
des sévices et/ou une exploitation sexuels), il va dans l’intérêt
supérieur de l’enfant d’être pris en charge rapidement et de ne
pas être renvoyé aux parents à moins que les circonstances n’aient considérablement
évolué.
25. J’ai eu cependant connaissance de plusieurs cas pour lesquels,
comme dans l’affaire ayant inspiré la proposition de résolution
sur laquelle se fonde le présent rapport et comme la requête ayant
abouti à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme
le 30 novembre 2017 dans l’affaire
Strand
Lobben et autres c. Norvège ,
c’est beaucoup moins évident. Pour reprendre les propos d’une des
psychologues à qui j’ai parlé (et qui siège dans l’un des Bureaux
d’aide sociale de comté), « nous n’aidons pas les enfants victimes de
violences aggravées, mais que nous ne parvenons pas à localiser,
en séparant sans nécessité d’autres enfants de leurs parents ».
26. Selon plusieurs de mes interlocuteurs ayant été en contact
direct avec des enfants pris en charge par les services sociaux
dans le passé, ces enfants estiment généralement avec le recul que
l’ordonnance de placement avait été la bonne décision et leur avait
même, dans certains cas, sauvé la vie
; cependant, beaucoup avaient
trouvé le processus de placement imprévisible et effrayant. Ils
estiment ne pas avoir eu la possibilité d’y prendre part et ne pas
avoir réussi à faire entendre leur préférence, comme le fait d’être
confiés à leur famille élargie
.
27. Lorsqu’il estime qu’un enfant risque de subir un préjudice
matériel en restant à la maison, le directeur du
Barnevernet local ou l’autorité
de poursuite pénale peut immédiatement émettre une ordonnance de placement
d’urgence sans le consentement des parents. Cette ordonnance doit
être envoyée au Bureau d’aide sociale du comté afin d’être approuvée
par le président de cette instance (un juge
) dans les plus brefs
délais, mais normalement dans les 48 heures suivant sa réception.
À supposer que le Bureau d’aide sociale du comté approuve une telle
ordonnance, les parents peuvent faire appel de la décision. Le Bureau
est alors tenu, à l’issue d’une audience, d’examiner et de trancher
l’appel dans un délai d’une semaine. Les parents peuvent également
demander une révision judiciaire de la décision du Bureau.
28. À supposer qu’une ordonnance d’urgence soit rendue et que
le service de protection de l’enfance estime nécessaire de déposer
une demande en ce sens, une requête doit être déposée le plus rapidement
possible et, en tout cas, dans un délai de six semaines auprès du
Bureau d’aide sociale du comté. 1 342 enfants ont fait l’objet
d’une ordonnance de placement d’urgence en 2017 et le nombre des
mesures de ce type a augmenté de 70 % entre 2008 et 2013, avant
de baisser de 17 % entre 2013 et 2017. On constate des divergences
importantes entre les comtés en ce qui concerne le nombre d’enfants
faisant l’objet de mesures de protection et le nombre de placements
d’urgence
.
29. La façon dont les ordonnances d’urgence sont mises en œuvre
est souvent décrite comme stressante et « effrayante » par les enfants
et les parents. Selon certains rapports, des enfants sont emmenés
à des moments inappropriés ou sortis de leur classe à l’école et,
dans certains cas, la force et la coercition sont utilisées avec
ou sans l’intervention de la police
. Le nombre élevé d’enfants faisant
l’objet d’ordonnances de placement d’urgence (1 555 en 2015, contre
1 545 ordonnances de placement « ordinaires », dont beaucoup faisaient
suite à une ordonnance de soins d’urgence) soulève la question de
savoir pourquoi les services de protection de l’enfance n’interviennent
pas plus tôt, d’une manière qui serait moins traumatisante pour
les enfants et leurs familles.
30. Dans ce contexte, le fait que seulement 80 % de tous les professionnels
travaillant dans les services de protection de l’enfance possèdent
des qualifications formelles (au minimum un bac +3 en protection
de l’enfance) demeure préoccupant, surtout parce que la proportion
de travailleurs non diplômés semble être encore plus élevée en dehors
d’Oslo. Selon les psychologues que j’ai rencontrés, les services
norvégiens de protection de l’enfance appliquent depuis quelques
années des théories complexes liées à la psychologie de l’enfant
et à la recherche sur le développement de la petite enfance (comme
la théorie de l’attachement). Cette application se fait parfois
hors contexte. Je pense qu’il est tout à fait plausible que tous
les travailleurs sociaux ne disposent pas de la formation nécessaire
pour comprendre de telles théories et risque donc de les appliquer à
tort, avec des conséquences tragiques pour les enfants dont la situation
est mal évaluée ou qui sont privés d’aide, et qui peuvent ainsi
se voir retirés trop tard de leur famille ou, inversement, arrachés
à leurs parents inutilement.
31. Lorsqu’un enfant fait l’objet d’une ordonnance de placement
(d’urgence ou autre), il est généralement confié à une famille d’accueil
s’il a moins de 12 ans. Les enfants dans la tranche d’âge des 12-18
ans ont habituellement plus de chances d’être placés dans une institution.
Neuf enfants sur dix sont placés dans des foyers d’accueil
.
Bien que le placement en famille d’accueil soit généralement moins
stressant pour un enfant que le placement en institution, chaque
enfant déménage en moyenne 3,5 fois au cours de son placement
. Un autre
problème tient au nombre élevé de frères et sœurs séparés (6 sur
10) au moment de leur placement en famille d’accueil. Nonobstant
les problèmes pratiques inhérents à l’identification de familles
d’accueil désireuses et capables d’accueillir de grandes fratries,
il convient de noter que la Cour européenne des droits de l’homme
est particulièrement hostile à la séparation des fratries
.
32. Comme dans d’autres pays, les résultats pour les enfants bénéficiant
d’une prise-en-charge extra parentale en Norvège ne sont généralement
pas bons: taux plus élevés d’abus de drogues/alcool, de suicide, de
mort violente, etc.
Toutefois,
des modifications récentes de la législation norvégienne encouragent
le placement au sein du « réseau » de la famille élargie et des
amis de l’enfant
,
ce qui devrait mener à un placement en famille d’accueil plus stable
et à de meilleurs résultats.
33. Les enfants placés bénéficient d’un droit de visite des parents
très limité (sous surveillance, le plus souvent), lequel s’établit
fréquemment à deux heures seulement quatre à six fois par an
.
Cette situation m’a particulièrement frappé lors de mon séjour en
Norvège. Elle est d’autant plus inquiétante que, selon les informations
que l’on m’a communiquées, il y a des cas où les bébés sont retirés
à leur mère peu de temps après la naissance
. Avec
des droits de visite aussi courts et rares, les chances de la mère
naturelle de retrouver son enfant sont minces (voir l’affaire
Strand Lobben et d’autres c. Norvège),
dans la mesure où l’écoulement du temps peut modifier la détermination
de l’intérêt supérieur de l’enfant
. L’adoption après placement
est relativement rare en Norvège, sauf pour les enfants placés très
jeunes.
34. Lorsqu’un enfant fait l’objet d’une mesure de placement, le
Service de consultation familiale (un organisme indépendant du
Barnevernet) est chargé de proposer
une assistance aux parents ayant perdu la garde de leur enfant,
même si le
Barnevernet demeure
responsable du suivi de l’enfant et de ses parents
. Le
Service de consultation familiale aide à gérer les émotions, car
« la perte de la garde de l’enfant est l’une des crises les plus
graves qu’un parent peut vivre »
,
propose des conseils et une orientation et gère des groupes et des
programmes de soutien.
35. La Norvège est à mi-chemin de la réforme de son système de
protection de l’enfance; l’une des étapes à venir consistant probablement,
en une refonte des Bureaux d’aide sociale de comté (qui pourraient
accéder au statut de tribunal) et au déploiement d’un système de
médiation
.
4. Évolutions
et points sensibles dans les États membres du Conseil de l’Europe
36. Dans son rapport de 2015, Mme Borzova
avait attiré l’attention sur plusieurs points sensibles dans les États
membres du Conseil de l’Europe. Premièrement, une absence de soutien
aux familles désirant être autorisées à garder un enfant ou à récupérer
celui-ci après un placement temporaire à l’extérieur. Pour reprendre
les termes de l’intéressée: « De nombreuses circonstances peuvent
rendre difficile pour des parents de répondre au besoin qu’a un
enfant d’être élevé, reconnu, rendu autonome et structuré, lorsque,
en principe, ils aimeraient être de bons parents. Ces circonstances
peuvent être d’ordre personnel, comme l’alcoolisme, la toxicomanie
ou les problèmes psychologiques (…), mais aussi d’ordre socio-économique,
comme la pauvreté extrême (qui peut résulter de facteurs sur lesquels
les parents n’ont aucun contrôle, tels que le chômage et la discrimination)
.»
37. Deuxièmement, Mme Borzova avait
dénoncé le manque de ressources et/ou de personnel qualifié affectant
bon nombre d’États membres. Elle estimait qu’il était « primordial
de veiller à ce que le personnel intervenant dans les décisions
de retrait et de placement possède les qualifications requises,
dispose de ressources suffisantes pour prendre ses décisions en
temps utile (sans précipitation ni retard) et ne soit pas surchargé
par un nombre de dossiers trop important à traiter »
.
38. Troisièmement, Mme Borzova avait
pointé du doigt et critiqué un certain nombre de « pratiques que
l’on ne peut qualifier autrement que d’abusives, même si elles sont
animées de bonnes intentions », à savoir la rupture injustifiée
et complète des liens familiaux, qui va souvent de pair avec un
retrait de l’enfant à ses parents dès la naissance, des décisions
de placement justifiées par l’écoulement du temps et le recours
à l’adoption sans le consentement des parents
.
39. Quatrièmement et pour finir, Mme Borzova
avait fait état d’autres questions problématiques allant de la collecte
insuffisante de données jusqu’à la discrimination, en passant par
la décentralisation excessive de l’organisation des services sociaux
et la séparation des fratries
.
40. Alors que trois années se sont écoulées depuis la publication
du rapport de Mme Borzova, je crains
que les évolutions positives aient été peu nombreuses dans la plupart
des États membres. L’insuffisance des données collectées demeure
un problème qui se traduit par des données incomplètes et difficiles
à comparer, ce qui complique la tâche des chercheurs et des universitaires
tentant de comparer les différents modèles en vue de formuler des
recommandations dans le but d’améliorer les pratiques. Dans une
récente analyse transnationale des systèmes de prise de décisions
en matière de placement des enfants par l’État, les auteurs ont
déploré le manque de données et de recherches sur le retrait/placement
d’enfants: « Il est frappant de constater que, s’agissant d’un domaine
aussi important de l’exercice de l’autorité de l’État, les connaissances soient
tellement lacunaires. Cette situation devrait préoccuper les décideurs,
les législateurs et ceux qui s’intéressent aux droits humains et
au fonctionnement de l’État de droit
.»
41. Comme le soulignent à juste titre les auteurs de l’ouvrage
précité, cette lacune dans les connaissances soulève également la
question de savoir comment apprécier la qualité et la légitimité
des décisions de placement: « Bien que les systèmes de protection
de l’enfance soient tous fondés sur les principes de préservation
de la famille et de “l’intérêt supérieur/bien-être de l’enfant”,
il existe peu d’études empiriques systématiques sur la manière dont
ces principes sont mis en balance. (…) Ni les lois sur la protection
de l’enfance, ni la théorie du développement, ni la recherche sur
la protection de l’enfance ne fournissent de réponses claires et
précises sur ce qui va dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’une
manière générale, sans parler des cas individuels relevant de circonstances
spécifiques. Les lois, les théories et la recherche ne donnent pas
non plus de réponses exactes pour déterminer
quand intervenir
dans une famille,
quels services pourraient
s’avérer utiles et
quand le
risque pour un enfant est si important que l’intéressé devrait être
retiré de la garde de ses parents, et
quand ce
placement devrait revêtir un caractère permanent »
. On est par conséquent en droit de manifester
une certaine défiance lorsqu’on apprend, par exemple, qu’en Angleterre,
le modèle de prévision des risques utilisés par les instances compétentes
pour leur évaluation s’est avéré extrêmement imprécis: 97 % des
10 000 parents que le système aurait identifiés comme auteurs de
sévices n’ont finalement jamais maltraité leurs enfants, tandis
que 17 % des parents ayant maltraité leurs enfants n’auraient pas
été identifiés comme bourreaux potentiels
.
42. Il semble que, dans la plupart des pays, le nombre d’interventions
et de décisions de retrait a plus souvent augmenté que diminué au
cours des dernières années. Il est un peu déconcertant de constater
que l’approche préventive « axée sur le service » des systèmes de
protection de l’enfance (comme c’est le cas dans les pays nordiques)
n’a pas débouché sur un nombre moins important de décisions de retrait ;
même si les systèmes « axés sur les risques » comme ceux de l’Angleterre,
de l’Irlande et de la Suisse n’ont pas mieux réussi
.
Plusieurs explications possibles de ces tendances ont été avancées:
- le degré élevé de « centrisme
de l’enfant » dans les systèmes « axés sur le service » (qui inclut
souvent une politique de tolérance zéro pour toute forme de violence) ;
- un besoin croissant d’intervention en raison de l’incidence
plus élevée du chômage, de la marginalisation et/ou de l’extrême
pauvreté, et une réduction des services dans les systèmes « axés
sur le risque » rendant les parents et les familles à risque absolument
incapables de faire face à la situation ;
- et une aversion croissante pour le risque chez les travailleurs
sociaux dans les deux systèmes, en raison de quelques tragédies
très médiatisées d’enfants décédés aux mains de leur(s) parent(s).
La
discrimination et les désavantages peuvent également jouer un rôle
dans l’histoire: dans la plupart des pays, ce ne sont pas les parents
à revenu élevé qui finissent par s’emmêler la plupart du temps avec
le système de protection de l’enfance, mais plutôt les pauvres,
les personnes sans instruction, les migrants et les réfugiés, les
minorités nationales ou religieuses, les parents ayant des antécédents
de maladie mentale ou ayant abusé de drogues ou ayant un passé criminel,
ou les mères célibataires. Comme me l’a confié un avocat norvégien: « Si
vous n’entrez pas dans le cadre normal, vous avez un problème
.»
43. Ce problème est aggravé par le fait que beaucoup de systèmes
de protection de l’enfance fonctionnent sous une pression énorme:
même en Norvège, un pays riche qui a toujours investi massivement
dans les enfants et leur bien-être, 20 % des travailleurs sociaux
ne disposent pas des qualifications dont ils auraient besoin, et
le manque de confiance de certaines franges de la population dans
le
Barnevernet ajoute à la pression
d’un travail difficile et sape leur motivation. En Angleterre, les
travailleurs sociaux (et les tribunaux) travaillent dans des délais
encore plus stricts qu’en Norvège: les procédures de placement (même
celles qui conduisent à une ordonnance d’ «adoption forcée») doivent
être conclues dans un délai de 26 semaines. Il convient également
de soulever la question des attitudes: les agents de protection
de l’enfance se considèrent-ils comme des aides ou des inspecteurs ?
La recommandation de l’Assemblée de 2015 incitant à « veiller à
ce que le personnel intervenant dans les décisions de retrait et
de placement soit guidé par des critères et des normes appropriés
(si possible de manière pluridisciplinaire), possède les qualifications
requises et soit régulièrement formé, à ce qu’il dispose de ressources
suffisantes pour prendre ses décisions en temps utile et à ce qu’il
ne soit pas surchargé par un nombre de dossiers trop important à
traiter »
semble loin d’avoir
été suivie d’effet.
44. L’une des principales recommandations de l’Assemblée en 2015
était de mettre fin aux pratiques abusives (voir le paragraphe 38
du présent rapport), notamment le retrait des enfants à leurs parents
à la naissance, la rupture complète des liens familiaux et le recours
à l’adoption sans le consentement des parents, sauf dans les circonstances
les plus exceptionnelles. Malheureusement, les choses ont évolué
en sens inverse. Dans les systèmes, tels que le système anglais,
où la politique de protection de l’enfance place au premier plan
le besoin de permanence de l’enfant, défini comme un droit à des
relations de soins sûres tout au long de la vie, ont en effet été
enregistrés ces dernières années non seulement une augmentation
sans précédent des procédures de retrait/placement, mais aussi des
« adoptions forcées », ce qui soulève la question de savoir si le
seuil officiel (« lorsque rien d’autre ne pourrait fonctionner »)
est réellement respecté
.
45. En effet, il y a lieu de s’inquiéter lorsque près d’un quart
des mères faisant l’objet d’un programme de retrait d’un enfant
ont déjà perdu précédemment un enfant. L’Angleterre mène actuellement
deux projets pilotes novateurs visant à changer cette statistique:
l’un est « Pause », qui fonctionne dans 18 des 152 collectivités
locales anglaises et vise à empêcher que les mères dont l’un des
enfants a déjà été placé à l’extérieur par les services sociaux
se voient retirer d’autres enfants, en combinant l’utilisation de
contraceptifs à long terme avec des conseils et un soutien pour
répondre à leurs besoins en matière de logement et d’éducation.
Une deuxième initiative est celle de l’intervention des tribunaux
spéciaux pour traiter des affaires de drogue et d’alcool que 22
collectivités locales proposent aux parents toxicomanes comme alternative
aux placements et aux audiences contradictoires
.
46. Une vive controverse fait rage au sujet de l’utilisation « des
pouvoirs d’aménagement volontaire de l’article 20 » en Angleterre
pour soustraire un nouveau-né aux soins d’une mère. Il n’est pas
rare que les autorités locales retirent les nourrissons sur cette
base, étant donné qu’une procédure de placement ne peut être engagée
avant la naissance d’un enfant. Un certain nombre d’affaires très
médiatisées devant les cours d’appel ont suscité de vives inquiétudes
quant aux mesures visant à obtenir l’accord d’une mère pour le retrait « volontaire »
de son enfant, dans les heures qui suivent l’accouchement
.
47. Il ne s’agit pas du seul exemple de situations dans lesquelles
on peut mettre en doute le caractère volontaire des accords « volontaires »
dans tous les États membres du Conseil de l’Europe. Dès lors que
les parents savent que l’État peut aussi utiliser des pouvoirs coercitifs
contre eux et que « se battre » contre les organismes officiels
peut être perçu comme un manque de coopération ou un manque de compréhension
des droits et des besoins de leur enfant, les parents peuvent être
contraints d’accepter « volontairement » des mesures (y compris
le retrait de l’enfant) dans l’espoir que l’intervention de l’État
restera minimale.
5. Conclusions
et recommandations
48. Comme l’a écrit la chercheuse
Karen Broadhurst l’an dernier, «[ l]e paysage législatif et politique
de la protection de l’enfance est façonné par une bataille
d’idées – des idées qui sont théoriques,
morales et politiques»
. Dans cette bataille d’idées, l’Assemblée
parlementaire a pris résolument parti pour les droits de l’enfant:
«Si les enfants ont le droit d’être protégés de toute forme de violence,
de maltraitance et de négligence, ils ont aussi le droit de ne pas
être séparés de leurs parents contre leur gré, à moins que les autorités
compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire, qu’une
telle séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Et même lorsqu’une séparation est nécessaire, les enfants ont le
droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des
contacts directs avec leurs deux parents, sauf si cela est contraire
à l’intérêt supérieur de l’enfant»
.
49. Cependant, quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qui
le détermine et sur quelle base ? Comme nous l’avons vu (au paragraphe 41),
différents systèmes, pays et individus (travailleurs sociaux, avocats, législateurs,
etc.) sont amenés à appliquer de diverses manières les droits des
enfants et des parents à des moments différents et interpréteront
différemment ce qui va dans l’intérêt supérieur de l’enfant. De
mon point de vue, il n’y a pas une seule bonne réponse ; la réponse
sera influencée par l’histoire
,
la culture, la religion
et d’autres facteurs propres à chaque système.
Il est plus facile de dire ce qui n’est pas dans l’intérêt supérieur de
l’enfant: subir de graves préjudices de la part de ses parents ou
être retiré d’une famille aimante sans bonne raison. Nous devons
reconnaître qu’aucun système ne fonctionnera de façon correcte à
100 %.
50. La question posée demeure: Où tracer la ligne rouge ? 50 pays
dans le monde, dont un grand nombre d’États membres du Conseil de
l’Europe, mènent une politique de tolérance zéro quant à la violence
à l’égard des enfants. Je suis d’accord sur le fait que «même une
violence faible peut être très préjudiciable aux enfants» (comme
me l’a dit l’un des juges présidant un Bureau d’aide sociale de
comté en Norvège). Cependant, je suis personnellement convaincu
que les mesures doivent rester proportionnées. Donc, par exemple,
qu’un «comportement agaçant ou tout autre comportement inconsidéré
envers un enfant» ne devrait pas, en lui-même, conduire au retrait
d’un enfant de sa famille, surtout pas de façon permanente. Des
mesures devraient plutôt être prises dans de tels cas, à mon avis,
pour former les parents à la parentalité positive et non violente.
51. Dans ce contexte, je voudrais souligner que la Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant confère le droit
aux enfants ainsi qu’aux parents de rester ensemble. Les normes
et organes pertinents des Nations Unies et du Conseil de l’Europe
conviennent donc que le retrait d’un enfant de sa famille devrait être
envisagé en dernier recours, l’objectif étant de réunir l’enfant
et sa famille dès que possible. Cette approche englobe également
l’obligation pour l’État de créer un environnement propice à une
telle réunification, par exemple en favorisant le maintien d’une
relation avec les parents biologiques par le biais du droit d’effectuer
des visites et entretenir des contacts suffisamment longs et fréquents.
Les familles en difficulté ont besoin d’aide, pas de punitions.
Comme l’a dit une psychologue que j’ai rencontrée: «Des mesures imposées
aux parents fera-t-elle d’eux de meilleurs parents ? Ne vaudrait-il
pas mieux gagner leur confiance et les convaincre de changer leur
comportement ?»
52. De fait, la Cour européenne des droits de l’homme a également
souligné qu’il va dans l’intérêt supérieur de l’enfant que ses liens
avec sa famille soient maintenus, sauf lorsque cette dernière s’est
révélée particulièrement inapte. Il ressort clairement de ce qui
précède que les liens familiaux ne peuvent être rompus que dans
des circonstances très exceptionnelles et que tout doit être fait
pour préserver les relations personnelles et, le cas échéant, pour
«reconstruire» la famille. Il ne suffit pas de montrer qu’un enfant
pourrait être placé dans un environnement plus bénéfique pour son
éducation
[traduction
non officielle]. De ce point de vue, j’aimerais également souligner
que, selon les psychologues auxquels j’ai parlé, des études longitudinales
démontrent qu’un séjour de longue durée dans une famille d’accueil
ou «une adoption forcée» ne constituent pas un privilège, mais plutôt
un facteur de risque pour les chances de vie d’un enfant.
53. Pour revenir à «la bataille d’idées», cet exercice comporte
une bonne part d’idéologie et non pas la simple confrontation d’idées
en matière de protection de l’enfance. Selon l’un des psychologues
que j’ai rencontrés, dès lors que la famille ne paraît plus aussi
importante, le gouvernement peut nourrir l’illusion qu’il peut donner
une «meilleure» famille à l’enfant. Quel est le rôle de la société
dans cette bataille d’idées ? Convient-il de demander aux familles
d’accepter de se conformer à l’idée que la société se fait des besoins
de l’enfant ? Qu’entend-t-on dans la société par des soins «suffisants» ?
Sommes-nous en train de «surprotéger» les enfants et, par conséquent,
d’exiger des parents «parfaits» ? Les parents constituent-ils «le
dernier ennemi» dans une société démocratique et laïque où le construit
social repose sur la possibilité de «bâtir» une autre famille ?
54. À mes yeux, la seule manière de garantir la victoire des droits
de l’enfant dans cette bataille d’idées consiste à se concentrer
sur le processus. Nous devons garantir que le processus soit adapté
aux enfants du début jusqu’à la fin et qu’il mette en pratique les
lignes directrices et normes pertinentes des Nations Unies et du
Conseil de l’Europe. Nous ne saurions nous contenter d’un intérêt
de pure forme pour la participation de l’enfant. Il est donc essentiel
qu’un personnel correctement formé et éduqué (comme des pédopsychologues) parle
à l’enfant et l’écoute et que nous prenions l’opinion de l’intéressé
en considération. Nous devons également instaurer une meilleure
collaboration avec les parents (et pas aux dépens de l’enfant, bien
entendu), dans la mesure où une bonne communication peut contribuer
à éviter les erreurs éventuelles découlant d’un malentendu, d’un
recours aux stéréotypes, d’une discrimination, etc., tous difficiles
à corriger plus tard une fois la confiance perdue. Nous devons veiller
à ce que les décisions de retrait d’un enfant de sa famille soient correctement
documentées et que la procédure judiciaire soit adaptée aux besoins
des enfants et accessible (je ne suis personnellement pas convaincu
que les procédures accusatoires soient toujours la meilleure option, en
particulier au début d’une affaire).
55. Il nous faut également nous pencher sur la question de la
dynamique du système: Les services sociaux sont-ils autorisés à
«perdre» un cas ? Jusqu’où sont-ils autorisés à aller pour «gagner» ?
Généralement, les systèmes ne supportent pas la critique et ont
tendance à se mettre sur la défensive ou à nier la réalité. Plus
le système est fermé, plus il comporte de règles, moins il sera
disposé à admettre l’échec et à témoigner de l’empathie. Nous devrions
arrêter de construire des systèmes censés «contrôler si les familles
sont assez bonnes» derrière des portes closes et, au lieu de cela,
proposer une aide et soutien aux familles et mettre sur pied des
systèmes ouverts et transparents dans lesquels les enfants et les
parents peuvent avoir confiance. Une telle approche suppose également
de mettre un terme aux pratiques abusives décrites dès 2015 par Mme Borzova
telles que le recours fréquent à l’interruption injustifiée du lien
familial, au retrait des enfants à leurs parents dès la naissance,
à la décision de placement sur la base du temps écoulé ainsi qu’aux
adoptions sans le consentement parental. Il convient de se doter
de contrôles et de contrepoids efficaces non seulement sur le papier,
mais également dans la pratique. De plus, une indépendance évidente
et systématique dans ces systèmes est nécessaire en vue d’assurer
une impartialité quant à des décisions qui vont changer le cours d’une
vie et de limiter le plus possible les erreurs, notamment judiciaires.
Je pense que les commissions d’enquête parlementaire peuvent aussi
s’avérer utiles lorsque les choses ont vraiment mal tourné.
56. J’espère pouvoir compter sur votre soutien concernant mes
propositions basées sur ces conclusions que j’ai reprises dans le
projet de résolution en vue de trouver le juste équilibre entre
l’intérêt supérieur de l’enfant et le besoin de garder les familles
ensemble, dans l’intérêt à la fois de l’enfant et des parents.