1. Introduction
1. Le 1er avril
2017, le journal russe
Novaïa Gazeta a
publié ses premières conclusions sur la discrimination et les actes
criminels commis contre des homosexuels en République tchétchène:
exécutions extrajudiciaires, torture, disparitions forcées, détentions
arbitraires, harcèlement et intimidation fondés sur l’orientation
sexuelle
. Les journalistes ont estimé que
la campagne de persécution avait commencé en février 2017, dans
un contexte de harcèlement systématique. Le journal a publié tout
au long de l’année 2017 plusieurs reportages, tous alarmants, sur
l’évolution de la situation
.
2. La communauté internationale a éprouvé un choc et une profonde
stupeur. Plusieurs responsables politiques européens ont condamné
ces violations présumées des droits de l’homme et demandé aux autorités russes
d’ouvrir une enquête officielle
.
3. En mai 2017, à la suite des réactions internationales, le
Président Vladimir Poutine aurait ordonné aux services répressifs
d’aider la Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de
Russie à répondre à ce qu’il a appelé les "rumeurs" faisant état
de mauvais traitements en République tchétchène
.
4. Parmi les personnes ayant réagi à cette situation, on compte
plusieurs membres de l’Assemblée parlementaire. En avril 2017, M. Jonas
Gunnarsson, mon prédécesseur au poste de Rapporteur général sur les
droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres
et intersexes (LGBTI), et M. Frank Schwabe, rapporteur sur «Les
droits de l’homme dans le Caucase du Nord: quelles suites donner
à la
Résolution 1738
(2010)?», ont publié une déclaration commune
. Le mois suivant, M. Johan Nissinen
(Suède, NI) et d’autres membres de l’Assemblée ont déposé une proposition
de résolution «Les allégations de discrimination extrême et d’actes
criminels présumés commis contre les homosexuels en République tchétchène
(Fédération de Russie)», demandant à l’Assemblée de se pencher sur
cette question et de formuler les recommandations appropriées
. La commission sur l’égalité et
la non-discrimination m’a nommé rapporteur au cours de la partie
de session d’octobre 2017.
2. Portée du rapport et sources
5. Les auteurs de la proposition
se sont dits préoccupés par «le grand nombre d’informations récentes dénonçant
une discrimination extrême menée par l’État et les actes criminels
commis contre des homosexuels, notamment de sexe masculin, en République
tchétchène (Fédération de Russie) – résultant en des détentions présumées
dans des camps, des passages à tabac et des actes de torture infligés
par du personnel d’État en uniforme, et des disparitions – qui auraient
dans certains cas été suivis d’exécutions».
6. Au cours de mes travaux, j’ai décidé d’étendre le champ du
rapport afin qu’il couvre non seulement les homosexuels de sexe
masculin, mais toutes les personnes LGBTI. En outre, j’ai proposé
de modifier le titre de manière à clarifier le sujet: en République
tchétchène, les personnes LGBTI subissent différentes formes de discrimination,
de mauvais traitements et de violence qui peuvent être définis comme
une persécution du fait de leur gravité, de leur échelle et de leur
caractère systématique. De plus, cette persécution est organisée directement
par les autorités tchétchènes ou est tolérée, voire encouragée par
elles, au plus haut niveau politique.
7. Ce n’est pas la première fois que l’Assemblée examine cette
question. Dans sa
Résolution
2157 (2017) «Les droits de l’homme dans le Caucase du Nord: quelles
suites donner à la
Résolution
1738 (2010)?», l’Assemblée affirme clairement ce qui suit: «Étant
donné les rapports alarmants qui font état de l’enlèvement en Tchétchénie
de centaines d’hommes au motif de leur présumée orientation sexuelle,
l’Assemblée prie instamment la Fédération de Russie de lancer immédiatement
une enquête transparente sur ces allégations afin de traduire en
justice les responsables et d’assurer la sécurité de la communauté
des LGBTI dans le Caucase du Nord, ainsi que celle des défenseurs
des droits de l’homme et des journalistes qui dénoncent de telles
violations.» M. Frank Schwabe (Allemagne, SOC) prépare actuellement
un autre rapport intitulé «Le rétablissement des droits de l’homme
et de l’État de droit reste indispensable dans la région du Caucase
du Nord» pour la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme.
8. Ce rapport fait la lumière sur la vague de persécutions qui
a frappé les personnes LGBTI en République tchétchène en 2017. J’espère
qu’il permettra à toutes les victimes qui ont décidé de garder le
silence, craignant que des représailles ne soient exercées contre
elles et leur famille, de se faire entendre. Il devrait également sensibiliser
les hommes et les femmes politiques que nous sommes aux difficultés
que les personnes LGBTI doivent encore surmonter en Europe au 21e siècle.
9. Pour établir le rapport, j’ai utilisé des sources secondaires,
telles que les articles de presse et les rapports d’organisations
non gouvernementales (ONG), ainsi que les informations que m’ont
communiquées des personnes ayant été directement impliquées ou touchées.
J’ai ainsi rencontré les représentants de plusieurs ONG offrant
un soutien aux personnes LGBTI originaires de la République tchétchène
et plusieurs victimes de persécutions contre les personnes LGBTI
qui ont fui la République tchétchène, et ce dans plusieurs États
membres du Conseil de l’Europe. J’ai également pu rencontrer M. Maxime
Lapounov, qui est à ce jour la seule victime à avoir déposé une
plainte officielle.
10. Je souhaite également souligner que Mme Tatiana
Moskalkova, Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de
Russie, a été invitée à participer à une audition avec la commission
sur l’égalité et la non-discrimination pour apporter sa contribution
au présent rapport. Je regrette que cette invitation ait été refusée et
que Mme Moskalkova n’ait pas fourni d’informations
écrites.
11. Mme Tanya Lokshina, Directrice
des programmes de Human Rights Watch en Russie, basée à Moscou, et
M. Igor Kotchetkov, Directeur du Réseau LGBT de Russie, ont fourni
des informations précieuses aux fins du présent rapport, en assistant
à une audition organisée conjointement par la commission sur l’égalité
et la non-discrimination et la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme le 24 avril 2018 à Strasbourg. Je tiens
à les remercier de leur participation et à saluer le courage avec
lequel ils viennent en aide aux victimes de la campagne contre les
personnes LGBTI, et, d’une façon générale, le soutien exceptionnel qu’ils
apportent aux victimes de la discrimination et de la violence fondées
sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans un contexte
difficile.
3. Attitude
envers les personnes LGBTI dans la Fédération de Russie
12. Ces dernières années, outre
l’accent mis, dans le discours public, sur les rôles traditionnellement dévolus
aux femmes et aux hommes et les valeurs familiales traditionnelles,
on a vu s’instaurer un climat de plus en plus homophobe dans l’ensemble
de la Fédération de Russie. Ce climat a été illustré par l’adoption
en 2013 de la loi interdisant la prétendue propagande pour des relations
sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs, en dépit des critiques
exprimées au niveau international
.
Cette loi a inspiré des initiatives similaires dans d’autres pays.
13. Les réactions internationales dénonçant les risques présentés
par l’adoption de ce type de loi n’ont rien changé et il semble
que cette loi reste plutôt populaire aujourd’hui. En 2017, dans
son arrêt sur l’affaire
Bayev et autres
c. Russie , la Cour européenne des
droits de l’homme a jugé qu’elle violait les articles 10 (liberté d’expression)
et 14 (protection contre la discrimination) de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5)
.
14. Plusieurs années après l’entrée en vigueur de cette loi en
2013, Human Rights Watch a constaté «une augmentation de la discrimination
et de la violence contre les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles
et transgenres (LGBT) et les défenseurs de leurs droits. La loi
fait passer le message que les personnes LGBT sont des citoyens
de seconde zone qui constituent une menace pour les enfants et la
moralité publique»
.
15. Dans un sondage publié début 2018, le Centre Levada
, un institut de sondage russe, a
constaté que «83 % des Russes pensaient que les relations sexuelles
entre personnes du même sexe étaient “toujours condamnables” ou
“presque toujours condamnables”». Des vidéos présentant les personnes
LGBTI comme des agents occidentaux, des personnes dangereuses et
des menaces pour la stabilité politique et les valeurs traditionnelles
circulent sur les médias sociaux et contribuent à ce climat homophobe.
Des vidéos homophobes circulaient sur Internet pendant la dernière
campagne présidentielle en 2018, invitant les gens à se rendre aux urnes
pour éviter le chaos
. La législation, les articles de
presse et les déclarations politiques contribuent à créer un climat
qui encourage les attitudes homophobes.
16. Sur la carte arc-en-ciel de l’Association internationale des
personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes (ILGA)
publiée le 14 mai 2018, la Fédération
de Russie affiche un score de 11 % et se retrouve tout en bas de
la liste des pays européens en ce qui concerne l’égalité pour les
personnes LGBTI.
17. La campagne contre les personnes LGBTI qui a été menée en
République tchéchène en 2017 n’a pas suscité une forte opposition
de l’opinion publique dans la Fédération de Russie. La montée de
l’homophobie et le soutien à la loi interdisant la prétendue propagande
dénotent un contexte général qui peut conduire à accepter ou à tolérer
la discrimination et la violence contre les personnes LGBTI.
18. Le 14 mai, Alexandre Konovalov, ministre de la Justice de
la Fédération de Russie, s’exprimant devant le Conseil des droits
de l’homme dans le cadre de la 30e session
de l’Examen périodique universel, a, dans sa réponse aux observations
présentées par les autres délégations, nié l’existence de personnes
LGBTI en République tchétchène
. Ce type de déclaration constitue
un défi au bon sens et est profondément inquiétant.
4. Les
rôles traditionnellement dévolus aux femmes et aux hommes, la promotion
des valeurs traditionnelles et les crimes dits «d’honneur»
19. Pour comprendre la situation,
il importe également de tenir compte du contexte global en République tchétchène.
Alors que le présent rapport porte sur la discrimination et la violence
extrême à l’encontre d’un groupe spécifique, il existe un climat
global d’impunité et une absence générale de prééminence du droit
dans la République.
20. Les défenseurs des droits de l’homme ont été et continuent
d’être menacés. Dans ce contexte, je me contenterai de mentionner
l’arrestation, le 10 janvier 2018, de M. Oyoub Titiev, directeur
du bureau de Memorial à Grozny, étant donné que le rapport de M. Schwabe
présentera des informations plus détaillées sur les pressions et
les agressions dont les défenseurs font l’objet. Mme Elena
Milachina, journaliste à la Novaïa Gazeta qui
a enquêté sur la purge, a reçu des menaces de mort en rapport avec
son travail d’investigation en République tchétchène.
21. Depuis qu’il a consolidé son pouvoir en République tchétchène
en 2007, Ramzan Kadyrov a eu toute liberté pour promouvoir sa vision
d’une société traditionnelle. Il s’est présenté comme le gardien
de la tradition, de la religion et de l’autorité. Il a déclaré que
sa mission était de nettoyer la nation de toutes les déviances, dont
l’alcool et les drogues
. De même, il a évoqué la nécessité
de purifier le sang de la nation
, à l’aide d’outils de répression.
L’emploi de propos agressifs et barbares contribue à créer un climat
de peur. Il a affirmé qu’un homme devait être un homme et qu’une
femme devait rester une femme, favorisant une définition traditionnelle
des rôles attribués aux femmes et aux hommes dans la société
.
22. Outre ces déclarations générales, le Président Kadyrov a prié
instamment les femmes d’adopter un comportement vertueux et a lancé
des campagnes en vue d’imposer un certain code vestimentaire. En
2013, notre commission a organisé une audition sur les droits des
femmes dans le Caucase du Nord, au cours de laquelle les membres
ont reçu des informations sur le harcèlement systématique des femmes
qui ne respectent pas le code vestimentaire en République tchétchène
ou
qui ne se comportent pas de manière honorable. Plusieurs femmes
ont été tuées par leur famille en raison de leur comportement «inapproprié».
Les familles laveraient leur «honneur» entaché en réglant le «problème»
directement. Pour l’International Crisis Group, «Le système juridique
tend à fermer les yeux sur les crimes commis au nom de l’adat»
. Les crimes dits «d’honneur» sont
commis en toute impunité. Les familles sont exhortées à assumer
leur responsabilité de protéger et de préserver leur honneur.
23. Dans ses observations finales de 2010
et de 2015
, le Comité des Nations Unies pour
l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF)
s’est inquiété des pratiques néfastes et des actes de violence commis
à l’encontre des femmes dans le Caucase du Nord: «Le Comité demeure
préoccupé par l’augmentation de la violence contre les femmes dans
le Caucase du Nord ainsi que des pratiques néfastes telles que les
mariages d’enfants et/ou forcés, les enlèvements de femmes et de
filles aux fins de mariage forcé, les crimes d’«honneur», les mutilations
génitales féminines et la polygamie, en dépit du fait que la loi fédérale
confère à ces pratiques le caractère d’infraction pénale. Le Comité
constate avec inquiétude que ces pratiques néfastes semblent socialement
admises et qu’il règne autour d’elles une culture du silence et
de l’impunité. Le Comité se dit une nouvelle fois préoccupé par
le fait que le Gouvernement fédéral semble manquer de volonté et
ne pas disposer d’un mécanisme efficace pour garantir l’application
de la loi fédérale dans les régions et les entités autonomes et
assurer une mise en œuvre cohérente, uniforme et intégrale de la
Convention (CEDAW/C/USR/CO/7, par. 10).
»
24. Être LGBTI signifie aller à l’encontre de la soi-disant société
traditionnelle où un couple est composé d’une femme et d’un homme.
En République tchétchène, les personnes qui révèlent leur homosexualité
sont souvent rejetées par leur famille. L’homosexualité est considérée
comme une maladie et une provocation. Les personnes LGBTI sont contraintes
de dissimuler leur orientation sexuelle et de mener une vie secrète.
elles craignent d’être rejetées, battues, torturées, enlevées, voire
tuées si elles essayent de faire leur coming
out. Lorsque la police ou les forces de sécurité découvrent
qu’une personne est LGBTI, elles la menacent systématiquement d’en
parler à sa famille si cette personne ne leur donne pas une certaine
somme d’argent.
5. Exécutions
extrajudiciaires, détention arbitraire et recours à la torture contre
les personnes LGBTI en République tchétchène
25. Pendant les réunions bilatérales
que j’ai tenues avec des victimes et des témoins de cette persécution ciblée,
j’ai reçu des informations de première main sur l’utilisation de
la torture, des mauvais traitements et de la détention arbitraire
contre les personnes LGBTI en République tchétchène. Plusieurs personnes
sont toujours portées disparues, dont le chanteur de pop Zelim Bakaïev,
qui serait mort à la suite de son enlèvement. Le journal Novaïa Gazeta a fait état d’au moins
trois décès pendant la purge, mais on en redoute un plus grand nombre
étant donné que plusieurs disparitions ont été signalées.
26. J’ai rencontré à plusieurs reprises Elena Milachina, journaliste
à la
Novaïa Gazeta, qui enquêtait
sur cette persécution ciblée. J’ai également tenu des réunions avec
des représentants du Réseau LGBT russe en 2017 et 2018
. Ce réseau aide les personnes qui
craignent d’être torturées ainsi que les victimes de traitements
dégradants et de torture à quitter la République tchétchène. À ce
jour, il a aidé 114 personnes à fuir la République tchétchène, dont
41 personnes qui disent avoir été détenues et torturées et 30 membres
de familles qui craignaient pour leur sécurité
. Elles ont pris contact avec le
Réseau via une ligne d’assistance téléphonique et ont été hébergées
dans des maisons protégées dont l’adresse est tenue secrète. Certaines sont
restées en Fédération de Russie tandis que d’autres (92) sont parties
pour l’étranger. Souvent, les victimes ne saisissent pas la justice
par peur des représailles, ce qui pourrait expliquer pourquoi elles
sont peu nombreuses à avoir déposé une plainte à ce jour.
27. Des preuves ont été recueillies par des organisations de défense
des droits de l’homme pour que les responsables puissent être traduits
en justice. Human Rights Watch a méticuleusement recueilli des éléments de
preuve de la purge en interrogeant des victimes et des témoins
. Les témoignages des victimes fournissent des
indications concordantes. Les personnes soumises à la torture sont
interrogées et forcées d’indiquer les noms d’autres personnes LGBTI.
L’homosexualité de la plupart des détenus a été révélée à leur famille.
Selon Tanya Lokshina, la purge homophobe a été exceptionnelle par
son ampleur et son horreur
.
28. J’ai été choqué d’apprendre que, selon des témoignages, Magomed
Daoudov, président du Parlement tchétchène
, avait joué un rôle central dans
la campagne contre les personnes LGBTI. Human Rights Watch a signalé
que certaines des victimes avaient été torturées en sa présence.
29. De hauts responsables russes ont demandé une enquête et déploré
que les victimes ne portent pas plainte. En septembre 2017, Maxime
Lapounov, malgré les risques pris pour sa sécurité, a déposé une
plainte officielle. Les allégations de persécution ne pouvaient
plus être considérées comme de simples rumeurs.
30. Maxime Lapounov est à ce jour la seule victime à avoir officiellement
déposé plainte et à s’être exprimée publiquement sur la campagne
contre les personnes LGBTI
. Il m’a raconté personnellement
son histoire. Il n’est pas tchétchène, mais vivait et travaillait
en tant qu’organisateur d’événements en République tchétchène depuis
deux ans. Il m’a raconté avoir été enlevé et maintenu en captivité
du 16 au 28 mars 2017 dans un sous-sol, où il était régulièrement
battu par les forces de sécurité tchétchènes. Ses ravisseurs lui
ont demandé des informations sur toutes les personnes gays qu’il
connaissait. Ils ont lu tous les messages qu’il avait sur son téléphone.
Plusieurs hommes, qui parlaient tchétchène, sont entrés les uns
après les autres dans la pièce où il était détenu. Ils l’ont battu
à tour de rôle, avec leurs mains ou avec des tubes en plastique.
Ils le laissaient tomber et reprendre son souffle avant de recommencer
à le battre. Après un moment, il a été emmené dans une autre pièce,
où il a été contraint de se battre avec un homme tchétchène. On
lui a demandé de lui accorder des faveurs sexuelles, ce qu’il a
refusé. Il a de nouveau été roué de coups. Il a perdu la notion
du temps. Il m’a dit qu’il ne pensait pas survivre. Il a été contraint
d’enregistrer un témoignage reconnaissant qu’il était homosexuel
et a dû donner les noms et les adresses des membres de sa famille,
et ses empreintes ont été relevées.
31. Les actes d’intimidation se sont poursuivis après sa libération.
On lui a dit de ne rien révéler à personne et que la diaspora tchétchène
le retrouverait s’il parlait. Il a fui la République tchétchène
et a rejoint sa famille dans la région de l’Oural, où il a également
reçu des menaces venant de Tchétchénie, tout comme les membres de
sa famille. Il s’est ensuite rendu à Moscou et a demandé le soutien
du Réseau LGBT russe. Il a reçu une aide médicale, de la nourriture,
un logement, un soutien psychologique et, enfin, une assistance
en vue de quitter le pays.
32. Lapounov m’a dit avoir rencontré Mme Moskalkova,
Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie, en
août 2017. Elle a pris sa déclaration et l’a envoyée aux services
d’enquête fédéraux. Il a rencontré des enquêteurs à plusieurs reprises,
en présence de ses avocats. Il a demandé aux autorités russes une
protection de l’État, mais n’a pas reçu de réponse. Depuis, il a
quitté la Fédération de Russie car il craignait pour sa sécurité
. Selon Tanya Lokshina de Human Rights
Watch, «il n’a pas eu à faire face à ce que tout homme tchétchène
victime de la purge redoutait: être pris pour cible par ses proches
pour avoir sali l’honneur de la famille ou exposé sa famille tout
entière à un immense déshonneur en raison de son homosexualité»
.
33. J’ai également essayé de recueillir des informations sur la
situation des femmes LBT. Au moins 12 femmes, dont deux femmes transgenres,
ont aussi été détenues par les autorités tchétchènes l’année dernière
. Les femmes LBT sont
confrontées à des difficultés dans une société tchétchène qui met
en valeur les rôles traditionnellement attribués aux femmes et aux
hommes
. Le Réseau LGBT russe a indiqué que, dans
le Caucase du Nord, les femmes lesbiennes et bisexuelles n’ont d’autre
choix que de demeurer invisibles
. Elles
sont souvent victimes de violences au sein de leur famille. Plusieurs
d’entre elles ont dit au Réseau qu’on les avait placées dans des
cliniques psychiatriques pour les guérir de leur homosexualité ou emmenées
dans des mosquées pour des séances d’exorcisme. Le viol de correction
et le mariage forcé sont considérés comme des moyens de «les remettre
dans le droit chemin». Les témoignages de personnes transgenres
publiés dans la presse décrivent comment leur situation en termes
de sécurité a évolué au cours des 15 dernières années en République
tchétchène
.
34. Les méthodes utilisées pour persécuter les personnes LGBTI
en République tchétchène sont analogues à celles qui sont appliquées
à d’autres groupes vulnérables, notamment les toxicomanes. «Reproduisant
des stratégies rodées dans le cadre de la lutte contre les islamistes,
les autorités mettent à l’index les familles et s’attaquent ainsi
aux solidarités claniques. Certains détenus, accusés d’être gays,
sont contraints à des aveux publics lors de «cérémonies de libération»
auxquelles les hommes de leur famille sont également convoqués (…)
En exposant les homosexuels à l’opprobre, les autorités cherchent,
souvent avec succès, à associer les clans familiaux à leur politique
de répression, obligeant les victimes à fuir leurs proches, et parfois
même à trouver refuge dans un pays étranger où elles n’auront pas
à craindre les membres les plus zélés de la diaspora. Les femmes
qui entendent mener un mode de vie homosexuel au lieu de se plier
à l’injonction familiale au mariage sont contraintes à l’exil»
. Il leur est toutefois difficile
de quitter le pays car, selon la tradition, elles doivent y être
autorisées par leurs parents ou leur mari. Les membres de leur famille
sont susceptibles de les pourchasser.
6. Réactions
des autorités tchétchènes
35. En février 2017, le Président
Ramzan Kadyrov a annoncé que tous les homosexuels en République tchétchène
seraient exterminés avant le ramadan (mai 2017)
. À la suite de la publication d’enquêtes
de journalistes et d’organisation de défense des droits humains,
le Président Poutine a invité Ramzan Kadyrov au Kremlin le 19 avril
2017 pour qu’il explique la situation. Le Président Kadyrov a affirmé
que les allégations étaient des rumeurs
.
36. Peu de temps après, Alvi Karimov, le porte-parole de M. Kadyrov,
a indiqué que les accusations de purge anti-gays étaient fausses
puisque ces hommes n’existent pas en République tchétchène
. Dans un entretien télévisé donné
à la chaîne de télévision américaine HBO le 14 juillet 2017, le
Président Kadyrov, qui était interrogé sur la purge contre les homosexuels,
a déclaré: «C’est absurde. Il n’y a pas ce genre de personnes ici.
Nous n’avons aucun homosexuel. S’il y en a, emmenez-les au Canada.
Que Dieu entende nos prières. Emmenez-les loin de nous pour qu’on
ne les ait pas chez nous. Pour purifier notre sang, s’il y en a
ici, emmenez-les (…) Ce sont des démons. Ils sont à vendre, ce ne
sont pas des personnes. Que Dieu les maudisse de porter de telles
accusations contre nous. Ils devront répondre de leurs actes devant
le Tout puissant
.»
37. Mme Kheda Saratova, membre du Conseil
des droits de l’homme, un organe consultatif auprès du Président
de la République tchétchène, a déclaré n’avoir vu aucune preuve
de la persécution présumée. «Dans notre société tchétchène, quiconque
respecte nos traditions et notre culture pourchassera ce type de personne
sans aucune aide des autorités, et fera tout pour s’assurer que
ce type de personne n’existe pas dans notre société
.»
38. Le Réseau LGBT russe et le journal
Novaïa
Gazeta ont déposé plainte auprès du Comité d’enquête
et du Procureur général, et on leur a répondu qu’il n’y avait «pas
d’urgence à ouvrir une enquête»
. Mme Moskalkova
a également fourni des informations au Comité d’enquête. Cependant,
le Commissaire aux droits de l’homme n’est pas mentionné dans le
Code de procédure pénale et n’a pas le pouvoir de mener une enquête
ou d’y participer officiellement
.
39. Mme Moskalkova a cependant promis
de s’assurer que les allégations formulées par M. Lapounov feraient
l’objet d’une enquête et a, au début de novembre 2017, déclaré ce
qui suit: «Je pense qu’il y a des raisons d’ouvrir une enquête pénale
et d’offrir une protection de l’État à Maxime Lapounov
.»
40. Une enquête préliminaire a été ouverte et devrait normalement
durer 30 jours. Après cette période, un enquêteur devrait prendre
la décision d’ouvrir ou non une enquête pénale, et envoyer sa décision
à son supérieur hiérarchique. Dans le cas de M. Lapounov, ce dernier
a demandé des vérifications supplémentaires et la procédure est
en suspens. Mme Moskalkova a reproché
aux enquêteurs de n’avoir pas suffisamment travaillé sur cette affaire
.
Aucune enquête pénale officielle n’a encore dépassé officiellement
le stade préliminaire
.
41. En janvier 2018, le Président Ramzan Kadyrov s’en est pris
aux défenseurs des droits des personnes LGBTI. Il a dit qu’ils «inventent
des absurdités pour de l’argent». «Tout cela est concocté par des
agents étrangers en échange de quelques kopecks. Les prétendus défenseurs
des droits de l’homme inventent toutes sortes de bêtises pour faire
de l’argent», a-t-il déclaré à la BBC
.
42. En avril 2018, le Réseau LGBT russe a eu accès à 18 volumes
de documentation sur des affaires, établies par les autorités fédérales
russes, comprenant un document démontrant que les autorités ont
choisi de n’engager aucune procédure pénale «en raison de l’absence
d’infraction». Selon Igor Kotchetkov, “les autorités locales et
fédérales ont tout tenté pour ne pas ouvrir une enquête. Elles ne
souhaitent pas mener l’enquête (…). Des enquêtes préliminaires ont
été effectuées par des fonctionnaires de police tchétchènes, dont
certains ont été identifiés comme auteurs d’infractions»
. Les
témoignages des victimes ne sont pas pris au sérieux, dans la mesure
où l’existence même de personnes LGBTI en République tchétchène
a été niée dans des déclarations publiques. J’espère sincèrement
qu’une enquête approfondie, impartiale et efficace sera menée au
niveau national. Si tel ne devait pas être le cas, j’estime que
l’Assemblée devrait demander qu’une organisation internationale
de défense des droits de l’homme ouvre une enquête internationale
indépendante.
7. Appels
de la communauté internationale
43. Plusieurs chefs d’État et ministres
ont fait part de leurs préoccupations
et ont demandé aux autorités russes d’ouvrir une enquête, via des
déclarations ou lors de réunions bilatérales avec le Président russe
ou le ministre russe des Affaires étrangères ou encore lors de conférences
de presse. Sigmar Gabriel, ministre allemand des Affaires étrangères,
a adressé à son homologue russe, Sergueï Lavrov, une lettre cosignée
par les ministres britannique, français, néerlandais et suédois
des Affaires étrangères, au sujet de la persécution des personnes
LGBTI en République tchétchène. Sans être prioritaire dans les échanges
diplomatiques, la question de la persécution de ces personnes est
évoquée. Selon Tanya Lokshina de Human Rights Watch, les protestations
ont été si vives que le Kremlin a été obligé de dire aux autorités
techétchènes de mettre fin à cette purge.
44. Cinq experts indépendants des droits de l’homme des Nations
Unies, M. Vitit Muntarbhorn (expert indépendant sur la protection
contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre), M. Sètondji Roland Adjovi (Président-Rapporteur
du Groupe de travail sur la détention arbitraire), Mme Agnes
Callamard (Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires), M. Nils Melzer (Rapporteur spécial sur
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants) et M. David Kaye (Rapporteur spécial sur la promotion
et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression)
ont demandé aux autorités russes d’ouvrir une enquête. «Les hommes
arrêtés sont soumis à des abus physiques et verbaux, ils sont torturés,
y compris par décharges électriques, roués de coups, insultés et
humiliés. Ils sont contraints de divulguer les coordonnées d’autres
homosexuels et on les menace de révéler leur orientation sexuelle
à leur famille et au sein de leur communauté – ce qui pourrait les exposer
au risque d’être tués “au nom de l’honneur”.»
De son côté, le Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) a demandé aux autorités
russes d’enquêter sur des signalements de violations des droits
de l’homme subies par les homosexuels en République tchétchène
.
45. Le 16 mai 2017, le Parlement européen a adopté une résolution
sur la mise en œuvre des lignes directrices du Conseil relatives
aux personnes LGBTI, notamment en ce qui concerne la persécution
des hommes (perçus comme) homosexuels en Tchétchénie (Russie)
. Dans cette résolution, le Parlement européen
exprime «sa profonde inquiétude face aux informations faisant état
de tortures et de détentions arbitraires d’hommes perçus comme homosexuels
en Tchétchénie, république constitutive de la Fédération de Russie;
invite les autorités à mettre fin à cette campagne de persécution,
à procéder à la libération immédiate des personnes toujours détenues
illégalement, à assurer la protection juridique et physique des
victimes, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes
qui ont travaillé sur cette affaire, et à autoriser les organisations
internationales de protection des droits de l’homme à mener une
enquête crédible sur ces crimes présumés». De plus, il «condamne
toutes les déclarations des autorités tchétchènes qui tolèrent et encouragent
les violences à l’encontre des personnes LGBTI, y compris la déclaration
du porte-parole du gouvernement tchétchène, qui nie l’existence
d’homosexuels en Tchétchénie et dément les accusations qu'il qualifie
de “mensonges et de désinformation à l’état pur”; déplore la réticence
des autorités locales à enquêter et à engager des poursuites au
sujet des graves violations visant spécifiquement les personnes
sur la base de leur orientation sexuelle et rappelle aux autorités
que les libertés de réunion, d'association et d’expression sont des
droits universels et s'appliquent à tous; demande la libération
immédiate des personnes toujours détenues illégalement; demande
instamment aux autorités russes d’assurer la protection juridique
et physiquedes victimes, ainsi que des défenseurs des droits de
l’homme et des journalistes qui ont travaillé sur cette affaire»
.
46. À l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie,
la transphobie et la biphobie (IDAHOT) 2017, le Secrétaire général
du Conseil de l’Europe Thorbjørn Jagland s’est déclaré préoccupé
«par les récentes allégations relatives à des persécutions massives
de personnes LGBTI commises dans la République tchétchène de la
Fédération de Russie. La discrimination et la violence contre les
personnes LGBTI constituent la forme la plus odieuse de populisme.
Malheureusement, on tend de plus en plus à faire des minorités des
boucs émissaires. Cela est dangereux pour la démocratie. Les autorités
doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour y mettre un terme.
Les sociétés fondées sur les droits de l’homme, la démocratie et
l’état de droit ont besoin de textes de loi anti-discrimination
sévères qui soient appliqués comme il convient, et de politiques
visant à intégrer les minorités et à protéger leurs droits. Il faut
aussi que nous nous attaquions au discours politique irresponsable
incitant la population à céder à la haine et aux préjugés. Les personnes LGBTI
ont les mêmes droits que toute autre personne au titre de la Convention
européenne des droits de l’homme et nous ne pouvons tolérer et nous
ne tolérerons pas violence et discrimination à leur égard.
»
47. Célébrant l’IDAHOT en 2018, Mme Dunja
Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
est également revenue sur les graves mauvais traitements et humiliations
subis par près de 100 hommes homosexuels (ou perçus comme tels)
en Tchétchénie entre février et avril 2017
.
48. Les 19 et 20 octobre 2017, M. Jagland a effectué une visite
officielle en Russie, au cours de laquelle il a examiné la question
des actes présumés de persécution d’homosexuels en République tchétchène
avec Mme Tatiana Moskalkova, Commissaire
aux droits de l’homme de la Fédération de Russie.
49. À la suite de la publication des articles de la
Novaïa Gazeta, les parlements de
plusieurs pays ont tenu un débat sur la situation des personnes
LGBTI en République tchétchène. Des membres du
Bundestag et de la Chambre des communes
ont abordé ce sujet avec les
ministres des affaires étrangères de leurs pays respectifs. Il convient
de saluer ces initiatives et d’en encourager de nouvelles, de manière
à examiner les éventuelles mesures à prendre.
50. Plusieurs États
ont offert une protection aux personnes
LGBTI ayant fui la République tchétchène par peur des persécutions.
Le Canada a annoncé qu’il avait accordé l’asile à 31 personnes LGBTI
qui avaient fui la République tchétchène
. Plusieurs pays de l’Union européenne
ont fait de même
et ont fait tout leur possible pour garantir la sécurité des personnes
concernées, ce qui reste un grave problème. La Belgique a annoncé
officiellement avoir fourni des visas humanitaires à cinq hommes
homosexuels qui avaient fui la République tchétchène
. De son côté, l’Allemagne a annoncé
qu’elle avait accordé une protection à des personnes LGBTI originaires
de cette République. Certaines d’entre elles ont indiqué craindre
les représailles même loin de la République tchétchène
. Une attention particulière devrait
être accordée à la menace éventuelle représentée par certains membres
de la diaspora qui auraient pu soutenir la campagne de persécution
contre les personnes LGBTI.
51. Le HCR a élaboré des principes directeurs régissant spécifiquement
le traitement des demandes de statut de réfugié fondées sur l’orientation
sexuelle et/ou l’identité de genre, dont l’application doit être davantage
encouragée
. Ces principes directeurs définissent
expressément la persécution visant spécifiquement les personnes
LGBTI.
52. Souvent, les hommes gays cachent leur homosexualité et épousent
une femme en République tchétchène. La situation de leur femme et
de leurs enfants une fois qu’ils ont quitté la République est un
sujet de préoccupation. L’homosexualité est un sujet tabou, parfois
ignoré des membres les plus proches de la famille, y compris d’un
conjoint. Convoquée pour un entretien à un consulat à Moscou, une
femme mariée à un homme gay qui avait fui la persécution en République
tchétchène a nié que son mari soit homosexuel et s’est vu refuser
l’autorisation de le rejoindre dans le pays vers lequel il avait
fui. Elle ne supportait pas l’idée que son mari soit gay, et elle
ne pouvait pas fuir alors même qu’elle était elle-même victime de
menaces après le départ de son mari
.
53. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des
peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a effectué une
visite en République tchétchène du 28 novembre au 4 décembre 2017
. La délégation du CPT «s’est penchée
sur les enquêtes portant sur certaines plaintes ou des signalements
relatifs à des détentions illégales et des mauvais traitements mettant
en cause des membres des forces de l’ordre de la République tchétchène»
. Le CPT a adopté son rapport en
mars 2018 et l’a envoyé aux autorités russes pour commentaires.
J’espère sincèrement que les autorités russes autoriseront sa publication,
ce qui sera un signe positif témoignant de la volonté de partager
les conclusions d’une organisation internationale de défense des
droits de l’homme sur la situation dans la République. Le projet
de résolution proposé contient une demande concernant la publication
du rapport en question.
54. L’adoption du rapport de la Commission européenne contre le
racisme et l’intolérance (ECRI) sur la Fédération de Russie (5e cycle
de suivi) est prévue en 2018. J’espère sincèrement que les autorités
russes donneront pleinement effet à toutes les recommandations de
l’ECRI, notamment à celles qui se rapportent aux personnes LGBT.
8. Conclusions
et recommandations
55. Un an après la publication
des conclusions de la Novaïa Gazeta,
et en dépit des appels de la communauté internationale, aucune enquête
de fond n’a été menée sur la vague de persécutions ayant ciblé les
personnes LGBTI en République tchétchène en 2017. De même, aucune
mesure n’a été prise pour remédier à la discrimination, au harcèlement
et à la violence qui sont leur lot quotidien. En fait, c’est l’existence même
de ces personnes en République tchétchène qui est niée, non seulement
par les autorités tchétchènes, mais aussi, récemment, par les autorités
russes.
56. Le déni de réalité n’est pas une réponse acceptable. Une réponse
acceptable consisterait, pour les autorités russes, à ouvrir une
enquête impartiale et efficace sur les événements qui se sont déroulés
l’an passé et à s’assurer que les auteurs des faits ne bénéficieront
d’aucune impunité. Une victime a déposé une plainte officielle.
Cette affaire devrait faire l’objet d’une enquête à mener selon
les procédures juridiques et judiciaires appropriées. Mais le fait
qu’une seule personne ait déposé une plainte officielle ne délie
par les autorités russes du devoir d’ouvrir une enquête plus large
sur la campagne de persécution de l’an passé, du fait de l’existence d’une
profusion de preuves concluantes tombées dans le domaine public,
de la gravité des infractions signalées et de l’implication d’agents
de l’État.
57. L’état actuel des relations entre l’Assemblée parlementaire
et la Fédération de Russie est loin d’être satisfaisant. Cela a
également eu une incidence sur la possibilité pour moi d’obtenir
des informations de première main en tant que rapporteur. La Fédération
de Russie n’en demeure pas moins un État membre du Conseil de l’Europe
et se doit, à ce titre, de défendre les droits de l’homme. Si elle
devait refuser de mener l’enquête, elle devrait au moins autoriser
une organisation internationale de défense des droits de l’homme
à ouvrir une enquête internationale indépendante.
58. Rien ne changera si l’on ne donne pas un signal politique
fort du caractère intolérable de la persécution des personnes LGBTI.
La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité
de genre est antinomique avec l’essence même de l’égalité. Il existe
un lien entre la campagne de persécution en République tchétchène et
la loi interdisant la propagande dans l’ensemble de la Fédération
de Russie en ce sens que cette loi contribue à stigmatiser les personnes
LGBTI et à offrir un terreau fertile à la haine. En conséquence,
je recommande à l’Assemblée de demander à nouveau à la Fédération
de Russie d’abroger la loi de 2013 sur l’interdiction de la propagande,
afin de respecter la liberté d’expression et de mettre fin à la
discrimination. L’Assemblée devrait également recommander l’exécution
des arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme.
59. De surcroît, même si la campagne s’est limitée à la République
tchétchène, il existe un risque de propagation et notre réaction
à cette persécution ciblée pourrait avoir un effet sur des événements
semblables survenant dans d’autres pays. Il devrait être clairement
précisé que la persécution des personnes LGBTI ne saurait rester
impunie, quel que soit le pays concerné ou les circonstances dans
lesquelles elle se produit.
60. Je pense également que les États membres du Conseil de l’Europe
devraient accueillir les personnes fuyant la persécution en République
tchétchène en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité
de genre, leur offrir un hébergement sûr et accueillir favorablement
leurs demandes de protection internationale. La protection des victimes,
des témoins et des membres de la famille doit être une priorité.
Les personnes LGBTI qui ont fui la République tchétchène craignent
des représailles de la communauté tchétchène à l’étranger. Elles
ont besoin de sécurité, de protection et d’appui, notamment d’un
soutien psychologique spécifique. Il convient également de porter
une attention maximale à la sécurité des familles des personnes LGBTI
persécutées en République tchétchène, qu’elles y restent ou qu’elles
la quittent.
61. J’espère que le présent rapport non seulement contribuera
à mettre ce sujet en lumière, mais aussi appellera tous les États
membres du Conseil de l’Europe à agir, afin de prendre position
pour réaffirmer que les droits des personnes LGBTI ne sont pas des
droits spéciaux, mais des droits humains. Nous devons ne pas garder
le silence mais profiter de chaque occasion pour réaffirmer notre
engagement à cet égard. Il nous incombe également de faire en sorte
que les personnes LGBTI ne soient pas traitées comme des citoyens
de seconde zone.
62. Protéger chacun de la torture, des traitements dégradants,
des disparitions forcées, de la détention arbitraire et des exécutions
extrajudiciaires, sans considération d’origine, de couleur de peau,
d’âge, de sexe ou d’orientation sexuelle, est l’un des principes
fondateurs à l’origine de la création du Conseil de l’Europe. Nous
ne pouvons pas fermer les yeux sur ce qui s’est passé et ce qui
pourrait encore se passer dans un de nos États membres. Nous ne
pouvons pas accepter que des personnes soient persécutées en raison
de ce qu’elles sont.