1. Introduction
1. Tandis que les États membres
de l’Union européenne cherchent de plus en plus à renforcer leurs frontières
extérieures pour empêcher l’afflux de migrants en situation irrégulière
et de demandeurs d’asile depuis les régions troublées d’Asie et
d’Afrique, les voisins les plus proches de la Syrie continuent à
recevoir et à accueillir des millions de réfugiés, qui représentent
à présent une part importante de la population vivant sur leur territoire.
2. La Jordanie est le pays où le ratio de réfugiés par rapport
au nombre d’habitants est aujourd’hui le plus élevé (30 %); en décembre 2017,
on comptait plus de 2,8 millions de réfugiés déclarés en Jordanie
sur une population totale de 9,5 millions d’habitants. Le Liban
accueille 1,8 million de réfugiés sur une population totale de 6 millions
d’habitants. En Turquie, on dénombre 3,6 millions de réfugiés déclarés
sur une population totale de 82,3 millions d’habitants. Enfin, en
Irak, plus de 500 000 réfugiés s’ajoutent au 1,5 million de personnes déplacées
à l’intérieur du pays. Ces quelques chiffres illustrent l’ampleur
du problème qui, malheureusement, est en grande partie ignoré par
les pays européens concernés.
3. L’Assemblée parlementaire a – et cela est à porter à son crédit
– accordé toute l’attention voulue à la situation humanitaire dans
la région depuis que celle‑ci s’est gravement détériorée en 2011.
Elle a établi un certain nombre de rapports et adressé des recommandations
aux États membres du Conseil de l’Europe et à la communauté internationale
en vue de faire face aux conséquences de la tragédie humanitaire.
La
Résolution 2107 (2016) sur une réponse renforcée de l’Europe à la crise des
réfugiés syriens et la
Résolution 1971
(2014) «Les réfugiés syriens: comment organiser et soutenir
l’aide internationale?» touchent au cœur même des questions abordées
dans le présent rapport. Plusieurs autres textes, bien qu’ils ne
concernent pas directement la situation humanitaire dans la région,
sont tout à fait importants, car ils traitent de divers aspects du
sort humanitaire des réfugiés – c’est le cas notamment de la
Résolution 2164 (2017) sur les possibilités d’améliorer le financement des
situations d’urgence concernant les réfugiés, de la
Résolution 2109 (2016) sur la situation des réfugiés et des migrants dans le
cadre de l’Accord UE-Turquie du 18 mars 2016, de la
Résolution 2089 (2016) sur le crime organisé et les migrants, de la
Résolution 2099 (2016) «Mettre fin à l’apatridie des enfants – une nécessité»
et de la
Résolution 2136
(2016) «Harmoniser la protection des mineurs non accompagnés
en Europe».
4. Du 14 au 16 juin 2015, au plus fort de la crise des réfugiés
et des migrants, la commission ad hoc du Bureau, dirigée par le
Président – à l’époque – de l’Assemblée, s’est rendue à Istanbul,
à Kilis et à Gaziantep en Turquie afin de faire prendre conscience
aux parlementaires des difficultés auxquelles étaient confrontés la
Turquie et les réfugiés accueillis dans le pays, en attirant plus
particulièrement l’attention sur les besoins et les conditions dans
les camps de réfugiés situés à la frontière syrienne.
5. Le présent rapport est issu d’une proposition déposée il y
a un an par moi-même et d’autres membres de l’Assemblée en vue d’étudier
de plus près ce qui pourrait être fait pour offrir de meilleures
conditions d’accueil dans la région, notamment en revoyant à la
hausse les contributions des pays européens. Malheureusement, la
situation ne s’est pas améliorée depuis un an et, avec la poursuite
de la guerre en Syrie, la capacité de ses voisins de recevoir et
d’aider un si grand nombre de réfugiés a atteint ses limites, même avec
l’aide internationale.
6. Ce rapport a pour but de brosser un tableau détaillé de la
situation humanitaire des réfugiés dans les quatre pays voisins
et l’ensemble de la région, en décrivant brièvement le contexte
et l’origine historique de la tragédie actuelle. J’examinerai plus
particulièrement les conditions d’accueil et les droits économiques
et sociaux des réfugiés. Je dresserai l’inventaire des textes de
loi qui pourraient exister en la matière et rendrai compte de leur
mise en œuvre dans les quatre pays. J’examinerai aussi de près le
rôle joué par la communauté internationale, en particulier le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’Office de secours et
de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans
le Proche-Orient (UNRWA) et d’autres organes des Nations Unies,
ainsi que par les acteurs, nationaux et internationaux, de la société
civile. Je m’efforcerai de recenser les problèmes humanitaires les
plus graves en vue de recommander des mesures pour améliorer la
situation. Je tenterai aussi de contribuer à la réflexion générale
sur les solutions durables qu’il est possible d’envisager pour les
réfugiés dans la région.
7. La commission des migrations participe à la Campagne parlementaire
pour mettre fin à la rétention d’enfants migrants. Aussi m’a-t-il
semblé opportun d’examiner – sans refaire le travail du Rapporteur
général sur la campagne – la situation dans les pays voisins de
la Syrie à cet égard. J’accorderai aussi une attention particulière
à d’autres groupes de réfugiés vulnérables.
8. Étant donné qu’un certain nombre de rapports en cours de préparation
au sein de la commission des migrations doivent traiter de différents
aspects du sort des réfugiés en général, notamment «Le regroupement familial
dans les États membres du Conseil de l’Europe», «Les conséquences
pour les droits de l’homme de la “dimension extérieure” de la politique
de l’Union européenne», «Les aspects juridiques et pratiques du traitement
extraterritorial des demandes d’asile», «Réfugiés et migrants: des
cibles faciles pour la traite et l’exploitation» et «Mettre fin
à la violence et à l’exploitation des enfants migrants», je m’efforcerai
de ne pas empiéter sur le mandat respectif de mes collègues. Le
cas échéant, je renverrai le lecteur au rapport pertinent.
9. Pour préparer ce rapport, je me suis appuyé sur diverses sources
d’information. La commission a eu en décembre 2017 un échange de
vues avec la délégation parlementaire de la Jordanie, en tant que
Partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée. À la suite
de cette discussion, elle a été invitée par le Parlement jordanien
à se réunir les 21 et 22 mars 2018 à Amman. Outre une très intéressante
audition sur la situation des migrants et des réfugiés en Jordanie
et dans la région, elle a pu s’entretenir avec les autorités jordaniennes chargées
des questions relatives aux réfugiés et visiter le camp de réfugiés
de Zataari. Je profite de l’occasion pour remercier la délégation
jordanienne de l’excellente organisation de cette réunion et le
HCR – le représentant de l’organisation au Conseil de l’Europe,
le Bureau jordanien et le Bureau régional – de leur très précieuse
contribution aux discussions et pour la visite du camp de réfugiés.
10. L’audition qui a été organisée pendant la partie de session
d’avril 2018, avec la participation de représentants des autorités
turques chargées des réfugiés en Turquie, a permis aux membres de
la commission de se faire une idée de la situation dans ce pays.
11. Enfin, en préparant ce rapport, je me suis appuyé sur les
rapports et les informations qui m’ont été fournis par le réseau
de nos partenaires extérieurs, notamment les organisations internationales
et les organisations non gouvernementales locales et internationales.
2. Contexte et historique de la crise
des réfugiés suite au conflit de 2011 en Syrie
12. Avant même le déclenchement
du conflit armé en Syrie, l’ensemble de la région était l’un des
territoires du globe les plus densément peuplés de réfugiés, venus
avec leurs parents. La partition de la Palestine en 1947 et la guerre
qui a suivi en 1948 ont été à l’origine d’une vague de réfugiés
d’une ampleur et d’une durée inégalées, qui a vu affluer plus de
700 000 Palestiniens. La guerre de 1967 a déplacé certains de ces réfugiés
une seconde fois et contribué à accroître leur nombre. Aujourd’hui,
la région compte environ cinq millions de réfugiés palestiniens
et leurs descendants enregistrés par l’UNRWA. La majorité d’entre
eux vivent dans des zones voisines d’Israël, principalement en Jordanie
(2,1 millions), au Liban (463 000) et en Syrie (543 000 jusqu’en
2012)
. Un nombre
important de réfugiés palestiniens vivent également en Irak (34 000
jusqu’en mai 2006) et en Égypte (50 000).
13. Les réfugiés palestiniens constituent un type particulier
de réfugiés. La Convention de Genève de 1951 relative au statut
des réfugiés comporte des dispositions spécifiques excluant de son
champ d’application les Palestiniens qui sont devenus réfugiés à
la suite des conflits arabo‑israéliens de 1948 et 1967 et qui bénéficient
de la protection ou de l’aide de l’UNRWA, organisme entré en activité
en 1950. L’UNRWA a sa propre définition des réfugiés palestiniens:
elle considère comme tels les personnes qui vivaient en Palestine entre
juin 1946 et mai 1948 et qui ont perdu leur logement et leurs moyens
de subsistance sous l’effet des conflits arabo‑israéliens, ainsi
que leurs descendants directs.
14. Du fait de cette définition restrictive, tous les Palestiniens
qui n’entrent pas dans cette catégorie ne sont pas automatiquement
considérés comme des réfugiés et, dans bien des cas, ne disposent
pas du statut de réfugiés. Sont concernés 158 000 Palestiniens qui
ont fui la bande de Gaza pour se réfugier en Jordanie, 3 000 Palestiniens
vivant aujourd’hui au Liban et 100 000 en Irak après la guerre de 1967
(on les appelle les «ex-Gazaouis»).
15. L’intégration des Palestiniens reconnus officiellement comme
réfugiés varie selon les pays: en Jordanie, ils se voient octroyer
des droits de citoyenneté complets; en Syrie, ils ont des droits
identiques à la population locale à l’exception de la citoyenneté;
au Liban, ils ont un statut d’apatrides et sont privés de nombreux
droits fondamentaux. J’examinerai cette question plus en détail
lorsque j’aborderai la situation spécifique de certains pays.
16. Le mandat de l’UNRWA, qui a évolué avec le temps, est aujourd’hui
axé sur quatre grands domaines d’activité: l’éducation, la santé,
les services de secours et les services sociaux, et la microfinance.
L’UNRWA emploie 28 000 Palestiniens et gère ses propres écoles et
hôpitaux. Il assure également le fonctionnement de l’un des plus
importants systèmes scolaires du Proche-Orient prenant en charge
l’éducation de près d’un demi-million d’enfants dans plus de 700 écoles,
ainsi que la formation professionnelle des jeunes. Il fournit aussi
des services de santé de base via un réseau d’équipements de soins
et de dispensaires, ainsi que des services de protection sociale,
une aide alimentaire de base et des prestations en espèces aux réfugiés
palestiniens les plus fragiles. Il intervient en outre pour faciliter
l’accès des réfugiés à des activités génératrices de revenus.
17. La région a connu de nombreux autres déplacements forcés de
populations. La guerre civile du Liban (1975‑1991) a entraîné le
départ de 25 % de la population libanaise. La première guerre du
Golfe de 1990‑1991 a provoqué une importante vague de 350 000 réfugiés,
principalement en direction de la Jordanie. Il s’agissait en majorité
de réfugiés palestiniens possédant la citoyenneté jordanienne. La
deuxième guerre du Golfe qui a conduit à l’effondrement du régime
de Saddam Hussein au printemps 2003 a, en particulier pendant sa
phase la plus violente en 2006‑2007, provoqué l’afflux dans la région
de plusieurs centaines de milliers de réfugiés fuyant l’Irak, principalement
des Irakiens. On estime que le conflit armé en Irak a produit au total,
depuis 2003, six millions de réfugiés et un nombre comparable de
personnes déplacées à l’intérieur du pays. La guerre au Yémen a
également provoqué des déplacements massifs de populations et les
actions actuelles du Gouvernement saoudien dans ce pays aggravent
le sort des réfugiés et devraient être fermement condamnées. Par
ailleurs, la situation en Turquie se caractérise aussi – outre les
très nombreux réfugiés de la région résidant dans le pays – par
un grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays parmi
la population kurde.
18. Ces mouvements forcés de personnes, qui demeurent ensuite
durablement déplacées, ont soumis à rude épreuve les infrastructures
de la Jordanie, du Liban, de la Syrie et de la Turquie, et ont conduit
à la présence quasiment permanente dans la région d’organisations
internationales qui apportent des secours à ces populations de réfugiés
et s’occupent des questions de gouvernance les concernant.
19. Dans ce contexte, le déclenchement du conflit en Syrie en
mars 2011 a poussé quelque 11 millions de réfugiés à fuir le pays;
à cela s’ajoutent près de 6,1 millions de personnes déplacées à
l’intérieur du pays. Beaucoup se trouvent dans les pays voisins:
Turquie, Liban, Jordanie et Irak; d’autres ont poursuivi leur voyage
jusqu’en Afrique du Nord et en Europe ou se sont dirigés vers d’autres
pays.
20. En 2015, la très forte détérioration des conditions d’accueil
a conduit des milliers de réfugiés syriens en Turquie à traverser
la mer Égée pour atteindre les îles grecques pour rejoindre d’autres
régions d’Europe. Plus d’un million de personnes ont effectué ce
voyage périlleux en un an et plus de 4 000 d’entre elles y ont perdu la
vie. L’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie en mars 2016
et ses conséquences ont fait l’objet de deux rapports de l’Assemblée
parlementaire sur «La situation des réfugiés et des migrants dans
le cadre de l’Accord UE-Turquie du 18 mars 2016» et les «Répercussions
sur les droits de l’homme de la réponse européenne aux migrations
de transit en Méditerranée» (Résolutions
2109 (2016) et
2174
(2017).
21. La détérioration des conditions d’accueil a également amené
certains réfugiés syriens à chercher à rentrer volontairement dans
leur pays, malgré la prise de position claire du HCR contre ces
tentatives de retour.
22. Même s’il convient de louer globalement la générosité des
pays voisins qui ont reçu la grande majorité des réfugiés syriens,
en 2017, nombre d’entre eux ont maintenu leurs frontières closes
ou même renvoyé des réfugiés, parfois contre leur gré. La Turquie
a renvoyé 250 000 Syriens entre janvier et octobre 2017. La frontière
reste fermée, sauf pour les cas médicaux graves, et les autorités
turques construisent actuellement un mur de 911 kilomètres le long
de la frontière syrienne. En Jordanie, les autorités ont refusé
l’entrée du territoire à 50 000 réfugiés et maintiennent la frontière
close, sauf pour les cas médicaux exceptionnellement graves. D’après
Human Rights Watch, pendant les cinq premiers mois de 2017, le pays
a également expulsé environ 400 réfugiés syriens déclarés par mois.
Le Liban a également expulsé environ 10 000 réfugiés syriens en 2017
à la suite d’une opération de sécurité.
23. Selon le HCR, plus de 5,3 millions de réfugiés syriens déclarés
sont actuellement présents dans les pays voisins de la Syrie. Entre
75 % et 90 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Plus de 2,5 millions nécessitent une aide alimentaire constante.
Le pourcentage d’enfants réfugiés syriens non scolarisés dans toute
la région est passé de 34 % en décembre 2016 à 43 % en juin 2017.
Les familles font état de difficultés dans l’accès aux soins de
santé en raison des coûts, de l’absence de services de soins ou de
leur éloignement. Le chômage reste un problème constant dans les
pays d’accueil voisins et atteint selon les statistiques officielles
entre 11 % et 16 %.
24. Les préoccupations majeures que soulèvent le respect des droits
fondamentaux des réfugiés, les textes de loi en la matière, les
conditions de vie et l’accès aux services, ainsi que les problèmes
en termes de gestion, de financement et de perspectives d’avenir,
sont examinées plus en détail pour chaque pays dans le chapitre suivant.
3. Situation
dans les pays voisins
3.1. Jordanie
25. À la fin mars 2018, le HCR
dénombrait plus de 740 000 réfugiés en Jordanie, dont 661 859 étaient originaires
de Syrie (y compris 16 000 réfugiés palestiniens vivant auparavant
en Syrie), 65 822 originaires d’Irak, 9 447 du Yémen, 4 036 du Soudan
et près d’un millier de Somalie. Ces réfugiés doivent être ajoutés aux
2,1 millions de réfugiés palestiniens de longue durée enregistrés
par l’UNRWA. Le chiffre total de plus de 2,8 millions de personnes
représente quasiment 30 % de l’ensemble de la population de la Jordanie (9,5 millions).
26. Sur l’ensemble des réfugiés provenant de Syrie, 52 % sont
des mineurs de moins de 17 ans; 1 % d’entre eux sont non accompagnés.
Rien qu’en 2017, 24 000 enfants syriens sont nés en Jordanie.
27. La Jordanie n’est pas signataire de la Convention de Genève
de 1951 ni de ses Protocoles. Cependant, le droit d’asile est inscrit
dans la Constitution jordanienne, dont l’article 21.1 interdit l’extradition
d’un réfugié politique persécuté dans son pays au motif de ses convictions
politiques ou de la défense de la liberté.
28. La loi no 24 de 1973 sur la résidence
et le statut des étrangers dispose, entre autres, que les réfugiés qui
entrent de façon irrégulière dans le pays ne peuvent être poursuivis.
Ils sont tenus de se présenter à un commissariat de police dans
les 48 heures qui suivent leur arrivée. L’article 31 de cette loi
laisse au ministre de l’Intérieur le soin de déterminer au cas par
cas si une personne entrée illégalement dans le pays peut bénéficier
du statut de réfugié. Malheureusement, il ne précise par les critères
d’admission correspondants, ce qui donne aux autorités une importante
marge discrétionnaire dans leur appréciation.
29. En 1998, les autorités jordaniennes ont signé un mémorandum
d’accord avec le HCR sur les principes de coopération relatifs aux
demandeurs d’asile. Ce mémorandum, qui renvoie à la définition des
réfugiés figurant dans la Convention de Genève, autorise le HCR
à mener à bien la procédure de détermination du statut dans un délai
de sept jours (dans certains cas exceptionnels, ce délai peut être
porté à un mois). Dans la pratique, depuis le déclenchement du conflit
en Syrie, les réfugiés qui franchissent la frontière syriano‑jordanienne
pour demander l’asile et l’accès aux services du HCR en Jordanie
sont automatiquement reconnus comme réfugiés prima
facie. Aux termes du mémorandum, les réfugiés peuvent
séjourner en Jordanie pendant six mois après la reconnaissance de
leur statut et, pendant cette période, le HCR est chargé de leur
trouver un pays de réinstallation. Concrètement, là encore, la Jordanie
n’a pas respecté ce laps de temps pour les réfugiés syriens.
30. D’après le HCR, il n’y actuellement pas de retard de traitement
des Syriens en attente d’un enregistrement. Les réfugiés syriens
récemment arrivés peuvent désormais s’enregistrer auprès du HCR
dans deux centres d’enregistrement (l’un à Amman et l’autre à Irbid,
près de la frontière syrienne) et ce dès qu’ils se rendent dans
ces centres. Les réfugiés récemment arrivés sont toutefois peu nombreux
du fait des restrictions des entrées.
31. Immédiatement après le déclenchement du conflit syrien, la
Jordanie a généreusement ouvert sa frontière aux réfugiés mais,
peu après, les entrées ont été soumises à des restrictions, d’abord
dès 2012 pour les réfugiés palestiniens et irakiens provenant de
Syrie puis, à partir de 2013, pour tous les Syriens posant des problèmes
de sécurité. Une centaine de milliers de personnes se trouve de
ce fait bloquée dans le no man’s land désertique entre la Jordanie
et la Syrie.
32. Ni la Constitution jordanienne, ni aucun autre texte de loi
n’aborde la question des droits économiques et sociaux des réfugiés.
Bien que les réfugiés n’acquièrent pas automatiquement le droit
de résidence, d’emploi et d’accès à l’instruction publique et aux
services de santé, ils peuvent demander à en bénéficier. Les permis
de séjour, qui ont généralement une durée de validité d’un an, sont
accordés en petit nombre aux réfugiés. D’après le HCR, seuls 30 %
des réfugiés irakiens ont obtenu un permis de séjour et 160 000 Syriens résident
illégalement en Jordanie.
33. L’accès aux soins de santé n’est pas gratuit, sauf pour les
réfugiés syriens porteurs d’une carte d’identité (pour les plus
de 7 ans, cette carte coûte 7 dollars par an).
34. L’accès au travail est limité aux titulaires d’un titre de
séjour et uniquement dans certains secteurs. Le ministère du Travail
jordanien publie régulièrement une liste des professions et des
activités réservées aux nationaux, qui incluent les professions
médicales, administratives, comptables et les métiers de l’ingénieur, ainsi
que les secteurs de la téléphonie, de l’entreposage, de la vente,
de l’éducation, de la coiffure, de la décoration, de la vente de
carburant, de l’électricité, de la mécanique, de la sécurité, de
la conduite et du bâtiment.
35. Si les réfugiés syriens obtiennent des permis de travail ordinaires,
un certain nombre de difficultés subsistent et méritent d’être traitées
afin d’augmenter leurs chances d’obtenir un contrat de travail légal.
En particulier, les réfugiés syriens sont inclus dans les quotas
d’étrangers imposés aux employeurs. Compte tenu du grand nombre
de travailleurs migrants en Jordanie (voir paragraphe 43), cela
fait réellement obstacle à l’accès au travail des réfugiés syriens.
36. L’accès à l’éducation est également limité aux enfants dont
les parents possèdent un titre de séjour et est soumis aux frais
de scolarité applicables aux étrangers. Cependant, la scolarité
est gratuite pour les enfants de réfugiés syriens.
37. Moins de 20 % des réfugiés syriens déclarés résident dans
un camp (131 666 personnes); cependant, depuis le milieu de l’année 2014,
l’accès des réfugiés à certains services, notamment l’accès gratuit
aux centres de soins, n’est pas possible en dehors des camps.
38. Au cours de la réunion tenue à Amman, tous les membres de
la commission des migrations ont eu l’occasion de se rendre à Zaatari,
plus grand camp de réfugiés de Jordanie, qui accueille 80 000 réfugiés. Depuis
son ouverture en juillet 2012, le camp a vu sa population augmenter
massivement; en mars 2013, elle s’élevait à 156 000 personnes. Depuis,
deux autres camps de réfugiés ont été ouverts en Jordanie. Zaatari devient
peu à peu un camp permanent avec des magasins et des services. Ce
camp est géré par les autorités jordaniennes en coopération avec
le HCR. D’autres organismes des Nations Unies et des organisations internationales
fournissent des services.
39. Dans le camp, nous nous sommes rendus dans des centres communautaires
qui proposent un large éventail d’activités pour les enfants et
d’autres groupes cibles, une bibliothèque ainsi qu’un supermarché
qui utilise la technologie «blockchain». D’après les informations
qui nous ont été communiquées, cette technologie permet de réaliser
des économies importantes et d’utiliser plus efficacement les ressources
disponibles.
40. Les résidents des camps de réfugiés de Jordanie bénéficient
d’eau et de nourriture, de l’électricité gratuite, et peuvent gagner
de l’argent dans le cadre du programme «work for cash» (travail
contre espèces) en travaillant, à tour de rôle, dans le camp. Ils
ont aussi accès aux soins de santé et à l’éducation. Ils sont libres de
circuler et un grand nombre d’entre eux travaillent en dehors du
camp.
41. Bien que les réfugiés syriens jouissent d’un statut relativement
privilégié par rapport aux autres réfugiés, on estime que 81 % d’entre
eux vivent en dessous du seuil de pauvreté. Cette situation humanitaire
précaire est à l’origine de nombreux retours volontaires qui ne
sont pas recommandés par le HCR pour des raisons de sécurité. Jusqu’à
présent, 30 000 Syriens environ sont rentrés dans leur pays. La
crise humanitaire pousse aussi souvent les réfugiés à entreprendre,
au péril de leur vie, une traversée de la Méditerranée pour rejoindre l’Europe.
42. L’afflux massif de réfugiés syriens a mis l’économie jordanienne
à rude épreuve. D’après les informations que j’ai reçues des autorités
compétentes à Amman, ces deux dernières années, la croissance économique
de la Jordanie est tombée à 2,1 %, soit un tiers seulement de ce
qu’elle aurait dû être normalement. Quatre pour cent du produit
intérieur brut (PIB) national (3,5 milliards de dollars) sont consacrés aux
besoins des réfugiés. Cette situation a des répercussions négatives
sur celle de la population locale.
43. En ce qui concerne les réfugiés palestiniens de longue durée,
l’article 2 de la loi no 6 de 1954 sur
la nationalité accorde la nationalité jordanienne à tous les Palestiniens
enregistrés par l’UNRWA qui vivaient en Jordanie entre 1949 et 1954.
En conséquence, la majorité des réfugiés palestiniens de longue
durée ont acquis la nationalité jordanienne, jouissent des mêmes
droits que la population locale et ne peuvent guère être considérés
comme des «réfugiés» au sens de la Convention de Genève. Toutefois,
les «ex-Gazaouis» mentionnés au paragraphe 15 n’ont pas la nationalité
jordanienne, mais des passeports temporaires. Ils sont confrontés
à plusieurs restrictions en termes d’accès à la propriété, d’intégration
politique et d’obtention du permis de conduire. Ce groupe de 158 000 personnes
est considéré comme l’un des segments les plus vulnérables de la
communauté palestinienne en Jordanie.
44. Environ 17 % des réfugiés palestiniens déclarés résident dans
dix camps officiels et trois camps officieux, en plus de leurs territoires
voisins. L’UNRWA assure aux enfants réfugiés palestiniens un enseignement
de base qui suit le programme scolaire jordanien dans un réseau
de 171 écoles réparties dans tout le pays; plus de 121 000 élèves
sont concernés. L’UNRWA fournit en outre des services de soins de
santé primaires ambulatoires complets dans 25 centres de santé et
quatre cliniques dentaires mobiles à travers la Jordanie.
45. Il convient aussi de préciser que la Jordanie accueille de
nombreux travailleurs migrants de la région, dont certains sont
en situation régulière et d’autres non. Selon les estimations du
ministère de l’Intérieur, entre 500 000 et 700 000 travailleurs
syriens étaient déjà présents en Jordanie avant le conflit, ainsi
que 636 000 Égyptiens et 634 000 Palestiniens. Certains migrants
économiques syriens, contraints de rester en Jordanie après le déclenchement
du conflit militaire, sont devenus des réfugiés.
3.2. Liban
46. Le Liban accueille un grand
nombre de réfugiés. En 2015, le HCR estimait le nombre des seuls
réfugiés syriens (y compris les réfugiés palestiniens de Syrie)
à 1 835 840, dont 50 % de mineurs. Dans le rapport publié par la
Direction de l’aide humanitaire et de la protection civile de la
Commission européenne en octobre 2015, le nombre de réfugiés palestiniens
était estimé à 295 000 et celui des réfugiés irakiens à 17 000. La
population totale du pays s’élève à six millions d’habitants.
47. Le Liban n’est pas signataire de la Convention de Genève de
1951 et son Protocole de 1967. Il ne dispose d’aucune législation
nationale traitant spécifiquement des questions relatives aux réfugiés.
48. La loi de 1962 relative à l’entrée et au séjour des étrangers
aborde la question des demandeurs d’asile. L’article 26 de cette
loi dispose que toute personne persécutée dans son pays pour des
raisons politiques peut demander le droit d’asile au Liban. L’article 31
dit qu’en cas de décision d’expulsion d’un réfugié politique, celui‑ci
ne peut être reconduit sur le territoire d’un État où sa vie ou
sa liberté est en danger. Une loi spécifique sur le droit de séjour
a été adoptée en 2015.
49. En l’absence d’une loi nationale sur les réfugiés, un mémorandum
d’accord a été signé entre le HCR et le Gouvernement du Liban en
septembre 2003. Ce mémorandum prévoit un mécanisme «pour l’octroi
de titres de séjour temporaires aux demandeurs d’asile». Ces titres
ont une durée de validité de trois mois, qui peut être prolongée
jusqu’à six ou neuf mois afin de permettre au HCR de trouver une
solution durable pour les intéressés.
50. En janvier 2015, la Direction générale de la sécurité a publié
des instructions particulières pour l’entrée des réfugiés syriens
au Liban. Ces instructions prévoient différentes durées de séjour
et exigent la présentation de divers documents à l’appui des demandes
de renouvellement d’un titre de séjour temporaire déposées par les
réfugiés syriens en possession d’une attestation du HCR.
51. Le statut légal des réfugiés au Liban ne leur assure pas une
sécurité juridique. Les textes existants sont inadaptés et insuffisants.
Dans un rapport de 2010, le HCR déclare que «les droits juridiques
concédés aux réfugiés au Liban sont peu nombreux, voire inexistants».
52. La situation matérielle des réfugiés au Liban est très difficile.
Selon certaines estimations, 65 % des réfugiés palestiniens de longue
durée et 89 % des Palestiniens arrivés de Syrie ces dernières années
vivent en dessous du seuil de pauvreté. D’après le recensement effectué
en 2017, 174 422 réfugiés palestiniens vivent dans une douzaine
de camps et 156 points de regroupement. Les 125 000 autres réfugiés
palestiniens vivent à l’extérieur de ces installations. La majorité
d’entre eux ont des difficultés à obtenir une pièce d’identité et
un titre de séjour. La situation matérielle globale des réfugiés
palestiniens de longue durée s’est peu à peu détériorée ces dernières
années. Toutefois, l’examen de cette situation doit tenir compte
du contexte plus large et de la situation socioéconomique de l’ensemble
de la population locale. De nombreuses communautés du Liban ont
un niveau de vie très faible; le HCR estime à 1,03 million le nombre
de Libanais vulnérables ayant besoin d’une aide de base.
53. La situation des réfugiés syriens n’est guère meilleure. 74 %
des réfugiés syriens âgés de plus de 15 ans n’ont pas de titre de
séjour.
54. Les réfugiés syriens – qu’ils possèdent ou non un titre de
séjour – ont accès au système de santé. Les réfugiés palestiniens
du Liban et de la Syrie peuvent bénéficier de l’infrastructure sanitaire
de l’UNRWA.
55. L’accès à l’éducation est très problématique. Même si, en
théorie, tous les enfants réfugiés sont accueillis gratuitement
à l’école l’après-midi (ce qu’on appelle la «deuxième équipe»),
dans la pratique, les établissements scolaires sont surpeuplés et
les places manquent; les moyens de transport et les fournitures scolaires
coûtent cher et il existe des obstacles linguistiques. En conséquence,
environ 280 000 enfants syriens ne vont pas à l’école. La situation
est meilleure pour les réfugiés palestiniens du Liban et de la Syrie, car
ils peuvent utiliser les installations scolaires de l’UNRWA.
56. L’accès au travail a été facilité pour les réfugiés syriens
depuis 2015; ils peuvent obtenir un permis de travail dans certains
secteurs s’ils renoncent à chercher à bénéficier de l’assistance
sociale accordée aux réfugiés.
3.3. Turquie
57. On dénombre 3,7 millions de
réfugiés en Turquie, pays qui compte 82,8 millions d’habitants.
Quelque 3,2 millions sont des Syriens, les autres provenant principalement
d’Irak, d’Afghanistan, d’Iran et de Somalie. 1,6 million de réfugiés
sont mineurs. Pendant les deux dernières décennies, bien des années
avant le déclenchement du conflit syrien, la Turquie est devenue
un pays de transit pour les réfugiés et les migrants clandestins
et, de pays d’émigration, la Turquie est devenue un pays d’immigration.
58. La Turquie a signé la Convention de Genève de 1951 en l’assortissant
d’une réserve géographique qui restreint l’application de la Convention
«aux seules personnes devenues des réfugiés à la suite d’événements survenus
en Europe». En conséquence, la Turquie ne peut légalement accorder
le statut de réfugié au sens strict qu’à des demandeurs d’asile
européens, bien que la majorité absolue des demandeurs d’asile en
Turquie proviennent de pays non européens, en particulier l’Irak,
l’Iran, l’Afghanistan, la Somalie et le Soudan, et, depuis 2011,
la Syrie.
59. En pratique, cependant, la Turquie autorise le HCR à agir
et mener à bien les procédures de détermination du statut de réfugié,
et ce statut est octroyé conjointement par le HCR et le ministère
de l’Intérieur à la condition que le réfugié se réinstalle dans
un pays tiers dans un délai de six mois. Le HCR s’occupe des procédures
de détermination du statut des demandeurs non européens et non syriens.
60. Avant l’adoption du règlement sur la protection temporaire
de 2014, la protection accordée aux Syriens fuyant vers la Turquie
relevait d’une solution ponctuelle. Depuis 2014, ils peuvent adresser
une demande de protection temporaire aux autorités turques et, sur
la base de critères de vulnérabilité et autres, être dirigés – en
coopération avec le HCR – vers un pays tiers en vue de leur réinstallation.
61. En 2013, la Turquie a adopté une loi sur les étrangers et
la protection internationale qui définit les principes et les procédures
s’appliquant à l’entrée et au séjour des étrangers en Turquie, ainsi
que l’étendue et les modalités de mise en œuvre de la protection
à fournir aux étrangers qui sollicitent la protection de la Turquie.
Cette loi a également mis en place une instance spécialement chargée
de s’occuper des demandeurs d’asile et des migrants: la Direction
générale de gestion des migrations, qui dépend du ministère de l’Intérieur.
62. En 2014, la Turquie a adopté le règlement sur la protection
temporaire d’après lequel «une procédure de protection temporaire
doit être instituée pour les étrangers qui ont été contraints de
quitter leur pays et sont dans l’incapacité d’y retourner ou qui
ont traversé la frontière en grand nombre afin d’obtenir d’urgence
une protection temporaire et dont les demandes de protection internationale
ne peuvent faire l’objet d’une évaluation individuelle». En conséquence,
les réfugiés non européens, dont les Syriens, peuvent obtenir différents
types de statut temporaire, par exemple un statut humanitaire, une
protection temporaire ou une protection subsidiaire.
63. La Direction générale de gestion des migrations enregistre
les données biométriques des réfugiés qui vivent à l’intérieur et
à l’extérieur des camps. Une carte d’identité d’une durée de validité
de trois ans renouvelable est remise à chaque réfugié en remplacement
du titre de séjour; elle lui permet d’obtenir toute une gamme de
services.
64. Les personnes bénéficiant d’une protection temporaire ont
accès au marché de l’emploi dans certains secteurs bien définis.
Elles ont aussi accès à l’enseignement primaire et secondaire et
sont couvertes par le système général d’assurance maladie. Toutefois,
en pratique, l’accès peut s’avérer difficile, certains services n’étant
pas disponibles en raison du grand nombre de réfugiés et de l’absence
de ressources suffisantes pour répondre aux besoins. La langue aussi
peut constituer un obstacle.
65. Depuis le début du conflit jusqu’en 2016, la Turquie a maintenu
une politique de porte ouverte à l’égard des réfugiés syriens. Directement
confronté à l’afflux de réfugiés en provenance de Syrie, le pays
a cherché à répondre au défi humanitaire et est devenu l’un des
chefs de file mondiaux en matière d’aide humanitaire: en 2015, la
Turquie a consacré 6 milliards de dollars à l’aide aux réfugiés
syriens et l’aide humanitaire fournie par le pays représentait 0,21 %
de son PIB en 2014 – le chiffre correspondant pour la Suède, par
exemple, étant de 0,014 %. L’ampleur de la crise continue de mettre
à très rude épreuve les services essentiels du pays, en particulier
dans les communautés d’accueil où résident plus de 90 % des réfugiés.
66. Cette politique est devenue bien plus restrictive en 2016
et les entrées en provenance de la Syrie sont désormais considérablement
réduites et limités à des groupes spécifiques, notamment les personnes vulnérables.
67. Il existe actuellement 21 camps de réfugiés dans plusieurs
provinces turques proches de la frontière syrienne. Ces camps sont
gérés par les autorités turques et le HCR s’occupe des besoins sociaux
essentiels des réfugiés syriens, notamment en matière de santé et
d’éducation
.
68. Néanmoins, 94 % des réfugiés syriens vivent en dehors des
camps et n’ont qu’un accès très limité aux services de base. Leurs
conditions de vie sont souvent déplorables. La Turquie s’efforce
de répondre à leurs besoins essentiels. On estime que plus de 350 000
enfants syriens réfugiés n’ont pas accès à l’école. Tous les réfugiés
syriens vivant en dehors des camps se heurtent à des difficultés
particulières à cause du manque d’information sur les services existants
ou d’obstacles socioéconomiques et linguistiques.
69. En novembre 2015, l’Union européenne et la Turquie ont signé
un plan d’action conjoint visant à intensifier la coopération en
ce qui concerne l’aide accordée aux réfugiés syriens bénéficiant
d’une protection temporaire et aux communautés d’accueil en Turquie,
et à renforcer la coopération pour prévenir l’afflux de migrants
en situation irrégulière vers l’Union européenne. L’Union européenne
s’est engagée à fournir à la Turquie environ 3 milliards d’euros
pour gérer la crise des réfugiés dans le pays (qui, à cette date,
concernait 2,2 millions de réfugiés syriens et 300 000 réfugiés
irakiens).
70. En mars 2016, l’Union européenne et la Turquie ont signé une
déclaration en vue d’améliorer la gestion des flux migratoires entre
la Turquie et la Grèce. Cette déclaration prévoit le renforcement
des contrôles de sécurité le long de la frontière et des côtes turques,
une intensification de la lutte contre les passeurs et trafiquants,
le renvoi de Grèce en Turquie des migrants en situation irrégulière
ne nécessitant pas une protection internationale et l’octroi de
trois milliards d’euros supplémentaires à la Facilité de l’Union européenne
en faveur des réfugiés en Turquie. Cet accord a été critiqué et
j’invite les personnes intéressées à prendre connaissance des deux
rapports et résolutions de l’Assemblée à ce sujet
.
71. En janvier 2018, le nombre total de réfugiés et migrants secourus
ou interceptés en mer par les garde‑côtes turcs s’élevait à 1 640.
Dans le cadre de la déclaration UE‑Turquie, 47 personnes ont été renvoyées
en Turquie en janvier 2018, ce qui porte le nombre total de renvois
à 1 531 depuis mars 2016. La grande majorité (91 %) des personnes
renvoyées en Turquie étaient des hommes originaires d’Asie du Sud
et d’Afrique du Nord.
3.4. Irak
72. L’Irak compte 267 000 réfugiés
auxquels il faut ajouter 2,2 millions de personnes déplacées à l’intérieur du
pays. La population de l’Irak est de 37 millions. Les réfugiés sont
principalement d’origine syrienne, iranienne, palestinienne et turque.
Le nombre de réfugiés syriens est de 248 092 en février 2018. Le
pays compte par ailleurs 47 630 apatrides.
73. L’Irak n’est pas signataire de la Convention de Genève de 1951.
74. La législation irakienne comprend plusieurs textes relatifs
aux réfugiés: la loi no 21 de 2010 sur
les personnes déplacées et les réfugiés, la loi no 51
de 1971 sur les réfugiés politiques, le décret ministériel no 262 de 2008
sur l’aide financière aux personnes déplacées à l’intérieur du pays
victimes des conflits interreligieux, et la résolution ministérielle
no 202 de 2001 sur l’accueil des réfugiés
palestiniens.
75. Le HCR coordonne, avec le gouvernement, d’autres organismes
des Nations Unies et des partenaires locaux et internationaux sa
réponse à la situation des réfugiés, notamment pour ce qui est de
l’enregistrement, du respect de la protection et de la sensibilisation
en la matière, de l’aide juridique et psychosociale offertes et de
la protection de l’enfance. Il assure aussi des secours d’urgence.
Son mandat en Irak couvre non seulement les réfugiés syriens et
non syriens et les apatrides, mais aussi les personnes déplacées
à l’intérieur du pays. Au total, près de 5,5 millions de personnes
relèvent du HCR en Irak.
76. Les réfugiés bénéficient du même accès aux soins de santé
que les citoyens irakiens.
77. Tous les enfants réfugiés ont accès à l’éducation dans les
mêmes conditions que les enfants irakiens. Cependant, de graves
pénuries d’enseignants, d’écoles et de matériels rendent ce droit
quelque peu illusoire. Environ 32 % des enfants réfugiés ne vont
pas à l’école.
78. Les réfugiés ont accès au travail dans le secteur privé. Cependant,
leur accès aux emplois du secteur public demeure problématique.
79. De manière générale, la situation humanitaire en Irak est
très précaire. La présence permanente de PDI s’explique par les
conditions d’insécurité dans les zones d’origine, la destruction
des habitations et des infrastructures et l’absence de services
de base. Des risques d’explosion subsistent car on ne sécurise pas complètement
les zones reprises. Les fermetures de routes, les points de contrôle,
les couvre-feux et les attaques militaires créent, semble-t-il,
d’importants problèmes de sécurité.
80. En Irak, 97 % des réfugiés syriens vivent dans la région du
Kurdistan. Parmi eux, 37 % résident dans neuf camps, tandis que
les autres vivent dans les zones urbaines et périurbaines. Quant
aux PDI, elles sont près de 563 000 à être hébergées dans 76 camps.
81. Le HCR supervise le retour des personnes déplacées dans leur
région d’origine. La réinstallation dans des pays tiers d’un petit
nombre de réfugiés extrêmement vulnérables est menée sous la responsabilité
du HCR.
4. Perspectives
de solutions durables et rôle de la communauté internationale
82. Au cours des premières années
qui ont suivi le déclenchement du conflit syrien, la communauté internationale
a organisé des opérations de secours d’urgence financées par des
contributions volontaires et axé ses efforts sur les secours d’urgence
et la protection sociale de base. Cependant, l’ampleur de la crise
et le fait qu’elle se prolonge ont remis en cause la capacité de
la communauté internationale à répondre au besoin continu d’une
aide humanitaire essentielle et vitale. En novembre 2013, lorsqu’il
est apparu clairement que le règlement du conflit n’interviendrait
pas de façon imminente, certains acteurs ont évoqué la nécessité
d’un «changement de paradigme» pour répondre aux crises humanitaires
de cette nature, notamment en associant à l’action humanitaire une
approche axée sur le développement pour favoriser la croissance
économique des communautés d’accueil, de façon à permettre aux réfugiés
et à la population locale de bénéficier conjointement d’un essor
économique.
83. Un tel changement de paradigme exige une collaboration étroite
et constante entre le secteur humanitaire et les partenaires du
développement, afin de faire d’une crise humanitaire une opportunité
de développement pour tous. Lors des conférences de Londres en 2016
et de Bruxelles en 2017, les donateurs internationaux ont approuvé
cette nouvelle approche.
84. Le Plan régional pour les réfugiés et la résilience (3RP),
élaboré sous l’égide des Nations Unies et coordonné par le Syria Response Group et la Syria Task Force, est un outil de
coordination et de planification interinstitutionnel visant à répondre
aux besoins d’ordre humanitaire et de résilience auxquels doivent
faire face les réfugiés syriens ainsi que des communautés d’accueil
en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak et en Égypte. Il cherche
à apporter, au moyen de plans nationaux, des solutions aux problèmes
qui sont source de vulnérabilité immédiate, à renforcer la cohésion
sociale et à affermir la résilience des individus, des communautés
et des systèmes nationaux.
85. En d’autres termes, le Plan 3RP offre un cadre régional cohérent
avec cinq secteurs nationaux. Tous les plans nationaux sont élaborés,
coordonnés et mis en œuvre avec la pleine participation des gouvernements concernés.
Le 3RP constitue en outre une plateforme pour la planification,
la mobilisation, les levées de fonds, la gestion de l’information
et le suivi, qui regroupe l’ensemble des parties prenantes, y compris
les réfugiés syriens, les communautés des pays d’accueil touchées
par la crise des réfugiés et leurs gouvernements, les donateurs
et des acteurs humanitaires et du développement, tant nationaux
qu’internationaux, présents dans les pays concernés. Il est passé
de 52 partenaires en 2012 à plus de 270 en 2018.
86. Les besoins de financement du 3RP pour 2018 s’élèvent, d’après
les prévisions, à 4,4 milliards de dollars. Jusqu’à présent, 2,48 milliards
de dollars ont été reçus. En comparaison, en 2013, 2,98 milliards
de dollars étaient nécessaires et le financement reçu s’est élevé
à 2,12 milliards. La différence entre 2013 et 2018 illustre bien
la différence d’approche. Je suppose que mon collègue, M. Pierre-Alain
Fridez, qui prépare actuellement un rapport sur l’aide au développement,
portera aussi son attention sur cette initiative très intéressante
et louable. De mon côté, je ne peux qu’inviter nos États membres
à faire preuve de générosité afin de soutenir les efforts des pays
voisins de la Syrie et d’atténuer la détresse humanitaire des réfugiés.
87. Bien que l’objectif principal demeure l’augmentation des capacités
d’accueil des pays de toute la région, il faudrait que la mise en
place de dispositifs juridiques facilitant la réinstallation des
réfugiés devienne également une priorité. Malheureusement, alors
que près de 10 % des réfugiés ont besoin d’être réinstallés en raison
de leur vulnérabilité, seulement 0,68 % des demandes sont réellement
déposées, ce qui signifie que seuls 7 % environ des personnes qui
en ont besoin ont été réinstallées, alors que beaucoup d’autres
attendent de pouvoir bénéficier de cette possibilité. En 2017, 29 525 départs
aux fins de réinstallation ont eu lieu. Ce chiffre devrait atteindre
35 000 en 2018.
88. Les pays européens devraient examiner sérieusement les moyens
d’intensifier le processus de réinstallation et de mettre en place
d’autres dispositifs complémentaires, notamment des visas humanitaires, des
bourses universitaires, des parrainages privés et des programmes
de mobilité de la main-d’œuvre.
89. Dans ce contexte, étant moi-même convaincu que le traitement
externe des demandes d’asile constitue une possibilité d’améliorer
la situation et qu’il convient d’y accorder davantage d’attention,
je renvoie les lecteurs intéressés par cette question au rapport
que prépare actuellement M. Domagoj Hajduković à ce sujet. Naturellement,
l’externalisation des procédures d’asile ne doit pas tirer les normes
relatives aux droits de l’homme vers le bas. Cette préoccupation
est le principal sujet du rapport de Mme Tineke
Strik sur les «Conséquences pour les droits de l’homme de la “dimension
extérieure” de la politique d’asile et de migration de l’Union européenne:
loin des yeux, loin des droits?».
90. En outre, les pays européens devraient utiliser tous les moyens
diplomatiques disponibles pour encourager un partage plus équitable
des responsabilités avec les pays non membres de l’Union européenne, en
particulier ceux impliqués dans le processus politique au Proche-Orient
comme les États-Unis, la Fédération de Russie ou les États du Golfe.
91. Il est regrettable dans ce contexte que les États-Unis aient
décidé récemment de bloquer l’entrée des réfugiés syriens.
92. Le Groupe de travail sur les solutions durables au niveau
régional, dirigé par le HCR, supervise la planification régionale
de solutions durables. Malheureusement, les conditions ne favorisent
pas les retours volontaires dans la sécurité et la dignité. Néanmoins,
quelques retours volontaires sont organisés avec la contribution
du HCR.
93. L’insertion sociale est une autre voie importante. Si la majorité
absolue des réfugiés de la région souhaitent retourner chez eux
une fois que les conditions le permettront, en attendant, ils ne
peuvent pas être socialement exclus et une certaine intégration
doit leur être assurée. Dans certains cas, cela passera par une révision
importante de la législation et des politiques nationales, mais
nous ne devons pas ménager nos efforts, en particulier dans le cadre
du dialogue parlementaire, pour promouvoir ces solutions.
94. À Amman, on m’a signalé une initiative très intéressante du
Conseil de l’Europe appelée «les Cités interculturelles». Cette
initiative repose sur la conviction selon laquelle les villes ont
énormément à gagner de l’esprit d’entreprise, des multiples compétences
et de la créativité qui vont de pair avec la diversité culturelle. Encore
faut-il qu’elles adoptent des politiques et des pratiques qui facilitent
les échanges entre les cultures et l’inclusion. Le Conseil de l’Europe
a analysé la manière dont la diversité est gérée dans plusieurs
villes européennes qui la considèrent non comme une menace, mais
comme un atout. L’ensemble des contributions de ces villes a permis
de forger un nouveau concept, unique en son genre, relatif à l’intégration
des migrants et des minorités: le concept d’«intégration interculturelle».
Ce concept est étayé par de très nombreuses données issues de la
recherche et des instruments juridiques internationaux très variés.
Le programme Cités interculturelles aide les villes à analyser leurs
politiques afin d’intégrer une dimension interculturelle et à élaborer
des stratégies interculturelles globales pour gérer la diversité
de façon constructive et en faire un atout. Il propose un ensemble
d’outils analytiques et pratiques pour aider les acteurs locaux
aux différentes étapes du processus.
95. En ce qui concerne les réfugiés palestiniens établis de longue
date dans toute la région, l’UNRWA a lancé, le 22 janvier 2018,
un appel à l’aide sans précédent suite aux importantes coupes budgétaires
dont il va faire l’objet de la part des États-Unis. Quelques jours
auparavant, les États-Unis avaient déclaré qu’ils ne verseraient
à l’UNRWA que 60 millions de dollars en 2018, sur les 125 millions initialement
prévus, contre 350 millions de dollars en 2017. Les États-Unis ayant
toujours été de loin le plus important contributeur du budget de
l’UNRWA, cette décision constitue un grave revers pour les activités
de l’organisation.
96. Le Commissaire général de l’UNRWA, Peter Krähenbühl, a promis
que les services proposés par l’Office seraient maintenus en 2018
et s’est engagé à accroître les contributions de la communauté internationale.
Il a déclaré qu’une baisse de budget aussi importante aurait «des
incidences sur la sécurité régionale à un moment où le Proche‑Orient
est confronté à de multiples risques et menaces». Il a également souligné
que ces coupes budgétaires mettaient en danger l’accès à l’éducation
et l’avenir de 525 000 garçons et filles dans 700 écoles de l’UNRWA,
ainsi que l’accès des réfugiés palestiniens aux soins de santé primaires et
à d’autres services vitaux.
97. Tout en étant conscient que, comme le rappelle l’Assemblée
dans son rapport sur «La situation au Proche-Orient»
, le Conseil de l’Europe n’est pas
les Nations Unies ni l’Union européenne et son rôle n’est pas de
résoudre les problèmes géopolitiques. Nous ne pouvons néanmoins
ignorer le fait que la non-application des Résolutions 194, 242
et 338 des Nations Unies sur le droit au retour des réfugiés palestiniens
crée une situation de vide où ceux-ci sont privés de leurs droits
en tant que Palestiniens et en tant que réfugiés.
5. Conclusions
et recommandations
98. La région est actuellement
le lieu d’origine et d’accueil du plus grand nombre de réfugiés
et de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays au niveau mondial.
La Syrie et le Yémen connaissent en ce moment des déplacements de
populations de grande ampleur mais des flux en provenance d’autres
pays, en particulier l’Irak, se prolongent également. Les récents
déplacements forcés de populations viennent s’ajouter à des flux
de réfugiés antérieurs et aux déplacements de longue durée des troisième
et quatrième générations de réfugiés palestiniens.
99. Les pays voisins de la Syrie devraient être invités à renforcer
le cadre juridique régissant les questions qui concernent les réfugiés
et à assurer une meilleure réglementation des services offerts aux
réfugiés. Il faudrait en particulier que tous ratifient la Convention
de 1951 sur le statut des réfugiés et son Protocole de 1967.
100. Ils devraient en outre se doter d’une vaste législation interne
encadrant les prestations accordées aux réfugiés et aux demandeurs
d’asile, en particulier en ce qui concerne les soins de santé, l’éducation
et l’emploi.
101. Des centres d’accueil adéquats devraient être ouverts dans
les régions limitrophes de la Syrie afin de fournir une protection
juridique temporaire aux réfugiés.
102. Tous les pays concernés devraient être encouragés à renforcer
la coopération mutuelle avec le HCR, afin de faciliter le processus
de rapatriement et la mise à disposition de services adéquats aux
réfugiés et aux demandeurs d’asile
103. Alors que la Syrie et toute la région restent le théâtre de
violences, les capacités d’absorption des pays d’accueil ont largement
dépassé leurs limites. Pour permettre à ces pays de poursuivre leurs
efforts face à l’afflux continu de réfugiés, il est indispensable
de revoir à la hausse l’aide financière de la communauté internationale.
L’approche globale prenant en considération les besoins de toutes
les communautés d’accueil dans les pays voisins de la Syrie, y compris
les réfugiés et la population locale, adoptée par le Plan régional pour
les réfugiés et la résilience (3RP) doit être largement saluée comme
répondant aux défis auxquels la région est confrontée. Les États
membres du Conseil de l’Europe et d’autres acteurs devraient accroître
leur contribution financière à ce plan afin d’appuyer les efforts
engagés par les pays voisins de la Syrie. Ils devraient aussi soutenir
la réinstallation ou d’autres formes d’admission des réfugiés de
la région dans leurs pays.
104. Il convient de soutenir et d’encourager toutes les initiatives
d’intégration et d’insertion sociale des réfugiés dans la région.
Le programme des Cités interculturelles soutenu par le Conseil de
l’Europe est un bon exemple à suivre.
105. En ce qui concerne la situation particulièrement vulnérable
des enfants réfugiés, je tiens à rappeler la nécessité de mettre
en œuvre les recommandations et les bonnes pratiques figurant dans
les rapports de l’Assemblée intitulés «Mettre fin à l’apatridie
des enfants – une nécessité»
et «Harmoniser la protection des mineurs
non accompagnés en Europe»
. Je souhaiterais aussi attirer l’attention
sur la campagne de l’Assemblée visant à mettre fin à la rétention
d’enfants migrants.
106. Il est clairement nécessaire d’améliorer l’utilisation et
de tirer pleinement avantage des nouvelles technologies, y compris
«EyePay» et les identifiants numériques sur blockchain, afin de
réaliser des économies financières significatives et de rendre l’ensemble
du processus d’assistance plus transparent et responsable.
107. La Banque de Développement du Conseil de l’Europe pourrait
jouer un rôle dans le financement de projets en faveur des réfugiés
dans la région, comme l’a recommandé l’Assemblée dans sa
Résolution 1971 (2014).
108. Enfin, il convient de souligner que le renforcement de la
capacité des pays voisins de la Syrie à faire face aux conséquences
des déplacements forcés de populations dans la région contribuerait
à créer des conditions plus favorables au retour des réfugiés dans
leur pays, une fois que la situation le permettra, et atténuerait
le risque de les voir entreprendre, au péril de leur vie, une traversée
de la Méditerranée au cours de laquelle ils seraient la proie de
passeurs et de trafiquants.