1. Introduction
1. À la suite d’une initiative
du Groupe des socialistes, démocrates et verts, l'Assemblée parlementaire
a décidé le 25 juin 2018 de tenir un débat selon la procédure d'urgence
sur «Obligations internationales des États membres du Conseil de
l’Europe: protéger les vies en mer». La commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées a été saisie pour rapport
et m'a nommée rapporteure.
2. Cette initiative a été déclenchée par deux incidents qui ont
retenu l'attention des médias et du monde politique. Dans un premier
temps, les gouvernements italien et maltais ont refusé l'entrée
dans leurs ports nationaux au
MS Aquarius,
exploité par l'organisation non gouvernementale (ONG) franco-allemande
SOS Méditerranée et appartenant à l'ONG allemande Sea Watch et qui
avait secouru des demandeurs d'asile au large des côtes libyennes
. L'Espagne a finalement accueilli
le
MS Aquarius à titre humanitaire
. Peu de temps après, le
MS Lifeline, exploité sous pavillon
néerlandais par l'ONG allemande Mission Lifeline et qui avait lui aussi
secouru des demandeurs d'asile au large des côtes libyennes, s'est
également vu refuser l'entrée dans les ports italiens et maltais
.
3. L'Assemblée a abordé à plusieurs reprises la question des
pertes de vies humaines en Méditerranée et la nécessité de secourir
les réfugiés et les migrants tentant de traverser la Méditerranée
sur des embarcations impropres à la navigation. C’est pourquoi il
est nécessaire de clarifier les obligations juridiques incombant
à nos États membres et de fournir des orientations sur la manière
dont l'aide humanitaire peut être soutenue par les États membres
à titre individuel et par une coopération plus étroite au niveau
européen.
4. Il est important de souligner que le droit fondamental à la
protection de la vie humaine et au respect de la dignité humaine
doit être le critère de référence de toute action politique dans
ce domaine. Selon le Projet «Migrants disparus» mené par l'Organisation
internationale pour les migrations (OIM), 960 personnes auraient péri
en Méditerranée au premier semestre 2018
. Face à une tragédie humaine d’une
telle ampleur, nous n’avons pas le droit de fermer les yeux devant
ce problème. Le Conseil de l'Europe doit être l'un des piliers du respect
des normes humanitaires et du droit international.
5. Les personnes qui sont en proie à des difficultés telles qu’elles
risquent leur vie pour fuir leur pays devraient être traitées avec
respect et se voir accorder l’aide humanitaire dont elles ont besoin
pour se protéger et pour pouvoir effectuer une demande de reconnaissance
du statut de réfugié conformément aux normes internationales.
2. Normes juridiques internationales
2.1. Convention
internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer
6. Alors qu'il était d’usage dans
le droit international coutumier qu'un navire en détresse puisse
chercher refuge dans un port étranger, la Convention internationale
pour la sauvegarde de la vie humaine en mer de 1974 a codifié de
nombreux principes coutumiers antérieurs. Selon sa règle V/33.1,
un navire en mer, qui peut fournir une assistance et reçoit des
renseignements indiquant que des personnes se trouvent en détresse
en mer, est tenu de se porter avec toute la célérité voulue à leur
secours.
7. La règle V/7 dispose que les autorités nationales doivent
prendre les dispositions nécessaires pour la communication et la
coordination en cas de détresse dans la zone relevant de leur responsabilité
et pour le sauvetage des personnes en détresse en mer à proximité
de leurs côtes. Ces dispositions couvrent la mise en place, l'exploitation
et la maintenance d'équipements de recherche et de sauvetage.
2.2. Convention
internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes
8. La Convention internationale
sur la recherche et le sauvetage maritimes a été élaborée cinq ans
plus tard dans le but d'établir des normes communes pour les opérations
de recherche et de sauvetage. En vertu de son paragraphe 2.1.10,
les Parties s'assurent qu'une assistance est fournie à toute personne
en détresse en mer. Elles le font sans tenir compte de la nationalité
ou du statut de cette personne, ni des circonstances dans lesquelles
celle-ci a été trouvée. Le paragraphe 1.3.2 impose de répondre aux
premiers besoins médicaux et autres des personnes en détresse en
mer et de transporter ces personnes en lieu sûr.
9. En mai 2004, plusieurs amendements à la Convention ont été
adoptés, concernant les personnes en détresse en mer. Il s'agit
entre autres d'une nouvelle définition des personnes en détresse
au chapitre 2, de nouveaux paragraphes au chapitre 3 concernant
l'assistance au capitaine d'un navire en mer pour le transport de
personnes secourues en mer vers un lieu sûr, ainsi qu'un nouveau
paragraphe au chapitre 4 concernant les centres de coordination
de sauvetage initiant le processus d'identification des lieux les
plus appropriés pour le débarquement des personnes en détresse récupérées
en mer.
10. Ces dernières dispositions semblent particulièrement pertinentes
pour des cas tels que ceux décrits ci-dessus et concernant les MS Aquarius et MS Lifeline. Les États membres devraient
coopérer plus étroitement pour parvenir à une interprétation unifiée
de ces dispositions et établir de nouvelles règles, notamment en
ce qui concerne l'identification des lieux les plus appropriés pour
le débarquement des demandeurs d'asile en détresse en mer. Cependant,
les modifications de 2004 n’ont pas été ratifiées par l’ensemble
des États membres, notamment Malte, qui est située près de la côte
libyenne.
2.3. Convention
des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer
11. En vertu de l’article 98 de
la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982:
(1) Tout État exige du capitaine d’un navire battant son pavillon
que, pour autant que cela lui est possible sans faire courir de
risques graves au navire, à l’équipage ou aux passagers:
a) il prête assistance à quiconque est trouvé en péril en
mer;
b) il se porte aussi vite que possible au secours des personnes
en détresse s’il est informé qu’elles ont besoin d’assistance, dans
la mesure où l’on peut raisonnablement s’attendre qu’il agisse de
la sorte;
c) en cas d’abordage, il prête assistance à l’autre navire,
à son équipage et à ses passagers, et, dans la mesure du possible,
indique à l’autre navire le nom et le port d’enregistrement de son
propre navire et le port le plus proche qu’il touchera.
(2.) Tous les États côtiers facilitent la création et le fonctionnement
d’un service permanent de recherche et de sauvetage adéquat et efficace
pour assurer la sécurité maritime et aérienne et, s’il y a lieu,
collaborent à cette fin avec leurs voisins dans le cadre d’arrangements
régionaux.
12. En Europe, les États côtiers
ont mis en place des services de recherche et de sauvetage. Toutefois,
la coordination de l'action semble freinée par une confusion des
responsabilités géographiques, en particulier si les navires se
déplacent d'une zone de sauvetage à une autre. En outre, une incertitude
juridique existe, à savoir si un navire perd l'immunité dont il
bénéficie au titre des lois de l'État côtier lorsqu'il a lui-même
créé une situation de détresse.
2.4. Protocole
contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, à la
Convention des Nations Unies de 2000 contre la criminalité transnationale
organisée
13. Le Protocole contre le trafic
illicite de migrants par terre, air et mer, à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée définit
le trafic illicite de migrants comme suit: «Le fait d’assurer, afin
d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier
ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État Partie
d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent
de cet État.» L’expression «entrée illégale» désigne le franchissement
de frontières alors que les conditions nécessaires à l’entrée légale
dans l’État d’accueil ne sont pas satisfaites.
14. Cependant, l’article 31 de la Convention des Nations Unies
de 1951 relative au statut des réfugiés précise que «[l]es États
Contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de
leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant
directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée
au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur
leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent
sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues
valables de leur entrée ou présence irrégulières». Cela signifie
que les personnes cherchant à obtenir le statut de réfugié ne franchissent pas
de manière intrinsèquement illégale la frontière lorsqu'elles viennent
directement d'un territoire où leur vie ou leur liberté était menacée,
et ne peuvent donc pas être punies de ce fait.
15. Cette dernière exception pour les personnes demandant le statut
de réfugié s'appliquerait également aux normes établies par l'OMI
concernant le trafic illicite, la traite et le transport de migrants
par mer.
2.5. Normes
additionnelles de l'Organisation maritime internationale
16. L'OMI a traité le sauvetage
et le trafic de personnes en mer depuis de nombreuses années, par
exemple en 1993 avec la résolution A.773(18) sur le renforcement
de la sauvegarde de la vie humaine en mer par le biais de la prévention
et de l'élimination des pratiques dangereuses liées au transport
clandestin de personnes à bord de navires.
17. Les Directives de l’OMI sur le traitement des personnes secourues
en mer précisent à l’article 6.7 que «selon les circonstances, le
premier RCC (centre de coordination de sauvetage) contacté devrait immédiatement
s'efforcer de transférer la gestion de l'incident au RCC responsable
de la région dans laquelle l'assistance est fournie. Lorsque le
RCC responsable de la région SAR dans laquelle une assistance est nécessaire
est informé de la situation, celui-ci devrait accepter immédiatement
la responsabilité de la coordination des efforts de sauvetage, du
fait que les responsabilités connexes, y compris les dispositions prises
pour trouver un lieu sûr pour les survivants, incombent principalement
au gouvernement responsable de cette région. Toutefois, le premier
RCC est responsable de la coordination de l'incident jusqu'à ce
que le RCC responsable ou une autre autorité compétente en assume
la responsabilité»
.
18. L’année 1997 a vu l’adoption de la Résolution A.867(20) sur
la lutte contre les pratiques dangereuses liées au trafic ou au
transport de migrants par mer
et de la Résolution A.871(20) sur
les Directives sur le partage des responsabilités pour garantir
le règlement satisfaisant des cas d'embarquement clandestin.
19. La Résolution A.867(20) invite «les gouvernements à coopérer
dans l’intérêt de la sauvegarde de la vie humaine en mer, en redoublant
d’efforts pour éliminer et prévenir les pratiques dangereuses liées
au trafic ou au transport de migrants par la mer».
20. Aux termes de la Résolution A.920(22) du 29 novembre 2001
, l'OMI a reconnu la nécessité d'examiner l'utilité
éventuelle de mesures internationales supplémentaires pour améliorer
la sécurité en mer et réduire les risques pour la vie des personnes
à bord des navires, en particulier dans le cadre des opérations
de sauvetage. Cette résolution demandait un examen des conventions
internationales pertinentes pour faire en sorte que «les personnes
ayant survécu à des situations de détresse reçoivent une assistance,
indépendamment de leur nationalité ou de leur statut ou des circonstances
dans lesquelles elles ont été trouvées; les navires qui ont récupéré
des personnes en détresse en mer soient en mesure d'amener les survivants
en lieu sûr, et; les survivants, indépendamment de leur nationalité
ou de leur statut, y compris les migrants sans papiers, les demandeurs
d'asile et les réfugiés, de même que les passagers clandestins,
soient traités, à bord des navires, de la manière prescrite dans
les instruments pertinents de l'OMI et conformément aux accords
internationaux pertinents et aux traditions maritimes humanitaires
de longue date».
21. En 2003, l’OMI a adopté les Directives sur les lieux de refuge
pour les navires ayant besoin d'assistance, non contraignantes,
qui s'appliquent à tout navire ayant besoin d'assistance, c'est-à-dire
«un navire qui se trouve dans une situation, autre qu'une situation
nécessitant le sauvetage des personnes à bord, susceptible d'entraîner
son naufrage ou un danger pour l'environnement ou la navigation».
Par conséquent, ces directives excluent les opérations de sauvetage
de personnes.
22. L'OMI a manifestement été à l’origine de normes essentielles
et pertinentes et devrait à ce titre servir de forum pour développer
plus avant le droit international et veiller à ce que les normes
juridiques internationales existantes, s’agissant du sauvetage des
personnes en mer, soient appliquées avec davantage d’efficacité.
3. Textes
et dispositions de référence du Conseil de l’Europe
23. La Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5) lie l’ensemble
des États membres et permet aux particuliers de saisir la Cour européenne
des droits de l’homme après avoir épuisé les recours judiciaires
internes lorsque leurs droits fondamentaux ont été violés par les
pouvoirs publics des États membres. En outre, la Convention impose
des obligations positives aux États membres pour garantir la protection
de certains droits, par exemple en criminalisant la violation de
ces droits par les personnes privées ou en prévoyant des voies de
recours.
24. Trois dispositions de la Convention sont particulièrement
pertinentes dans le cadre du présent rapport: l’article 2 prévoit
la protection du droit à la vie de toute personne; l’article 3 interdit
la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants
et l’article 5.1.f interdit
que quiconque soit privé de sa liberté sinon «s’il s’agit de l’arrestation
ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer
irrégulièrement dans le territoire». En outre, les personnes sauvées
en mer qui demandent le statut de réfugiés ont droit à un procès
équitable en vertu de l’article 6 et à une voie de recours effective
en vertu de l’article 13 de la Convention.
25. Dans l’affaire
Hirsi Jamaa et autres
c. Italie , par exemple, la Cour européenne
des droits de l’homme a constaté une violation de la Convention
par l’Italie. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux réfugiés
a soumis par la suite au Comité des Ministres des recommandations
au Gouvernement italien sur l’exécution de cet arrêt, qui est aussi
pertinent pour le présent rapport.
26. Au nom de proches survivants de 17 personnes qui sont mortes
le 6 novembre 2017 en mer Méditerranée au cours d’une opération
de sauvetage menée par les gardes-côte libyens et le bateau Sea Watch 3, qui était partiellement
coordonnée par le Centre italien de coordination et de secours en
mer, les ONG Global Legal Action Network (GLAN) et Associazione
per gli Studi Giuridici sull'Immigrazione / Association d’études
juridiques sur l’immigration (ASGI) ont récemment déposé plainte
contre l’Italie devant la Cour européenne des droits de l’homme
en vertu de l’article 2 (droit à la vie), de l’article 3 (interdiction
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants)
et de l’article 4 du Protocole no 4 à
la Convention (interdiction des expulsions collectives) parce que
l’Italie a coordonné cette opération de secours.
27. L’Assemblée a adopté les Résolution
1872 (2012) «Vies perdues en Méditerranée: qui est responsable?»,
Résolution 1999 (2014) «Le “bateau cercueil”: actions et réactions»,
Résolution 2000 (2014) sur l’arrivée massive de flux migratoires mixtes sur
les côtes italiennes,
Résolution
2050 (2015) «La tragédie humaine en Méditerranée: une action immédiate
est nécessaire» et
Résolution
2088 (2016) «La Méditerranée: une porte d'entrée pour les migrations
irrégulières», qui sont toutes pertinentes pour le présent débat
et pour le rapport.
28. Malheureusement, le Comité des Ministres n’a pas encore traité
le sujet en définissant ses propres normes.
4. Obligations
des bâtiments gouvernementaux
29. Outre les bateaux commerciaux
et ceux qui sont exploités à titre privé par des ONG humanitaires,
des bâtiments gouvernementaux prennent souvent part aux opérations
de sauvetage et de secours. Etant donné qu’ils exercent une autorité
publique sous le pavillon d’un État, ces bâtiments sont soumis à
des normes plus sévères, en particulier pour ce qui est du respect
des droits consacrés par la Convention européenne des droits de
l’homme.
30. C’est pourquoi, les États membres devraient veiller à ce que
les bâtiments des gardes-côte nationaux se conforment à ces normes
plus strictes quand ils participent à des sauvetages en mer, par
exemple dans le cadre de missions de l’Agence européenne pour la
gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures
des Etats membres de l’Union européenne (Frontex).
5. Aider
les ONG à secourir les réfugiés en mer
31. Lors de la Journée mondiale
des réfugiés
, la Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a exprimé sa préoccupation
au sujet des pressions croissantes et des restrictions de plus en
plus grandes à l’action des ONG qui assistent les migrants, les
demandeurs d’asile et les réfugiés en Europe. Elle a appelé à une
levée des restrictions pesant sur ces ONG, y compris celles qui
offrent des services de recherche et de sauvetage en mer. Les obstacles
au travail d’ONG en mer montrent, selon elle, «un mépris pour les
principes des droits de l'homme qu'elles défendent et pour l'immense
contribution qu'elles ont apportée à nos sociétés». Elle a ajouté
que «les États devraient plutôt chercher à coopérer avec elles et leur
apporter un soutien. Cela garantirait non seulement les droits de
ceux qui ont besoin de protection, mais serait également bénéfique
pour nos sociétés dans leur ensemble».
6. Impératifs
humanitaires et politiques
32. Les États membres du Conseil
de l’Europe ont consenti à être liés par un large éventail d’obligations
de base en ratifiant des conventions internationales à commencer
par la Convention européenne des droits de l’homme, qui vise notamment
à protéger le droit à la vie, le droit à un procès équitable, le
droit au respect de la vie privée et familiale et le droit au respect
de ses biens tout en interdisant la torture et les peines ou traitements
inhumains ou dégradants, le travail forcé, la détention arbitraire
et illégale et la discrimination. Les engagements qui découlent
de cette protection doivent être appliqués sur le territoire des
États membres, mais aussi en mer.
33. Quels que soient les engagements juridiques pris par les États
membres du Conseil de l’Europe, leurs obligations morales devraient
constituer un degré complémentaire et supérieur de protection. Il
est essentiel de sauvegarder avant tout la vie humaine et lorsque
celle-ci est en danger, il faudrait avant toute autre considération
sauver les personnes intéressées.
35. Ces textes appellent à une tolérance zéro lorsque des vies
sont en danger en mer et soulignent la nécessité de sauver avant
tout les personnes sans se soucier des processus et de la législation
qui devraient leur être appliqués une fois que leur sécurité a été
assurée. La Commissaire aux droits de l’homme a aussi insisté sur
le fait que sauver les vies en mer est une obligation à laquelle
on ne peut déroger en aucun cas et que la coopération européenne
est capitale pour mener des recherches efficaces et disposer des
capacités de sauvetage nécessaires.
36. Le refus de l’Italie et de Malte de permettre aux bateaux
transportant des migrants naufragés d’accoster est dû en partie
à l’arrivée au pouvoir de responsables politiques protectionnistes
et populistes de droite. L’argument selon lequel le point d’équilibre
a été atteint et que ces pays sont saturés par les arrivées est contredit
par les chiffres. Ainsi que l’a déclaré le 22 juin 2018 le Haut-commissaire
des Nations Unies aux réfugiés, Filippo Grandi: «Aujourd’hui, l’Europe
n’est plus la destination privilégiée des migrations ni le lieu d’une
crise des réfugiés. Les arrivées par la mer Méditerranée se situent
au niveau d’avant 2014 et reculent vers leur moyenne historique
à long terme.»
37. Par ailleurs, ainsi que n’ont cessé de le répéter les organisations
internationales, la situation découle aussi d’un manque de solidarité
de la part des autres États européens. Le refus de partager la responsabilité de
l’accueil et de l’intégration des migrants renforcent les arguments
employés dans les pays situés en première ligne, au sein de la classe
politique et de la population en général, selon lesquels ils supportent
un fardeau bien trop lourd en matière de sauvetage et d’accueil
des migrants qui arrivent en Europe. En raison de sa nature prolongée,
le contexte n’est d’aucun secours: on ne semble pas davantage être
près de trouver des solutions politiques à la situation, en particulier,
au conflit en Syrie, qu’en 2011.
7. Conclusions
et recommandations
38. L’expérience acquise alors
que je préparais le débat d’urgence sur le thème du présent rapport
m’a conduite à réaffirmer plusieurs de mes intimes convictions personnelles
de responsable politique, que l’Assemblée, je l’espère, reprendra
à son compte au cours du débat.
39. D’abord, sauver des vies, c’est un impératif moral et légal
absolu pour les États membres tout comme pour tout individu. Les
États membres ne peuvent fermer les yeux sur les souffrances humaines,
que ce soit à leur porte ou chez leurs voisins. Les dispositions
légales présentées dans le rapport peuvent seulement encadrer cette
obligation fondamentale de respecter le droit à la vie, le droit
à la dignité humaine ou le droit à des conditions de vie décentes
et à être entendu lors de procès équitables.
40. La seule façon de garantir le respect de cette obligation,
en particulier dans le contexte du présent rapport est de distinguer
les opérations de secours réalisées par les États membres de la
responsabilité assumée au regard de l’avenir des demandeurs d’asile.
Sauver la vie des demandeurs d’asile ne devrait pas impliquer d’épuiser
les ressources nationales parce qu’on est amené à supporter pratiquement
seul l’accueil et l’intégration des migrants, dont le nombre est
proportionnel à celui des personnes secourues. Il en va ainsi parce
que la plupart des pays frontaliers de l’Europe souffrent déjà d’une
récession économique prolongée. L’Europe, et en particulier les
États membres de l’Union européenne, doivent exploiter plus efficacement
les mécanismes de partage des coûts, des ressources et des infrastructures
consacrées à la gestion des migrations. L’Union européenne doit
montrer la voie et intervenir afin d’assurer finalement un relogement équitable
et régulier.
41. Bien qu’on ne puisse dire que les pays européens soient directement
responsables de l’importance des flux de migration actuels, la fermeture
des frontières les unes après les autres place les demandeurs d’asile dans
des situations encore plus dangereuses pour leur vie dans la mesure
où les trajets deviennent plus longs et plus dangereux. L’expérience
éprouvante des migrants recueillis à bord de la MS Aquarius, dont la navigation
vers la sécurité a été prolongée d’une semaine par le refus des
autorités italiennes et maltaises, en est le dernier exemple en
date, mais il y en a bien d’autres. Dans ce domaine aussi, l’Union
européenne met de plus en plus l’accent sur la sécurité de ses frontières
(et exige que ses pays partenaires renforcent la sécurité sur ce
plan), ce qui n’est pas conforme à l’obligation de respecter en
priorité les droits et la dignité de l’homme.
42. Cependant, rien ne permet de dire avec certitude que les demandeurs
d’asile seraient plus enclins à se mettre en route avec de meilleurs
conditions de sécurité. Le seul facteur qui pourrait réellement
réduire la détermination des réfugiés de chercher une vie meilleure
serait de s’attaquer aux causes profondes des migrations forcées,
à savoir le maintien de la paix, la coopération pour le développement
et l’aide économique et sociale. C’est pourquoi, les États doivent
faire tout ce qui est en leur pouvoir pour intensifier le combat
contre les passages clandestins et la traite, ce qui réduirait considérablement
le danger mortel de voyages entrepris par ceux qui veulent fuir
un conflit ou une situation d’oppression, tout en faisant baisser
les tensions entre les pays d’origine, de transit et de destination.