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Rapport | Doc. 14617 | 17 septembre 2018

Réglementer le financement étranger de l'islam en Europe afin de prévenir la radicalisation et l'islamophobie

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Doris FIALA, Suisse, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14180, Renvoi 4260 du 23 janvier 2017. 2018 - Quatrième partie de session

Résumé

L’objet de ce rapport est de voir dans quelle mesure le financement étranger de l’islam en Europe est ou non transparent. S’il ne l’est pas suffisamment, dans quelle proportion cette absence de transparence permet-elle réellement au phénomène de radicalisation de prospérer? Et si cette proportion est faible tout en étant réelle, comment éviter, dans le cadre du financement de l’islam, qu’un amalgame ne soit fait avec l’ensemble des communautés musulmanes et que des sentiments islamophobes ne se développent?

L’une des principales conclusions de ce rapport est qu’au-delà de la diversité des situations, des rapports entre États et cultes, de l’organisation du culte musulman lui-même et de ses modes de financement, les interrogations qui pèsent sur certains financements étrangers de l’islam ont trait à une réalité, qui, en dépit de l’absence de données statistiques globales et agrégées, est indéniable.

Au regard des différents types de mesures prises par certains États membres pour réglementer le financement étranger de l’islam, le rapport fait plusieurs recommandations et souligne l’importance d’accroître la transparence du financement étranger et de traiter l’ensemble des cultes sur un pied d’égalité.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 11 septembre
2018.

(open)
1. La question du financement étranger de l’islam en Europe occupe une place importante dans le débat public de nombre d’États membres du Conseil de l’Europe depuis plusieurs années et peut susciter des inquiétudes. L’Assemblée parlementaire considère que, quelles que soient ces éventuelles inquiétudes, il appartient aux États membres de faire en sorte qu’elles ne débouchent pas sur une suspicion généralisée à l’égard de l’ensemble du financement étranger.
2. Rappelant que le droit de demander et recevoir des dons volontaires est inhérent aux activités religieuses, selon la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil de l’Europe, et ce, quelle que soit l’origine de ces dons, l’Assemblée appelle les États membres à réaffirmer clairement que tout financement étranger d’un culte n’est pas, en lui-même, problématique et qu’il peut, bien au contraire, contribuer au discours interreligieux ou à l’exercice d’un culte ouvert.
3. L’Assemblée note que, au-delà de la diversité des situations, des rapports entre États et cultes, de l’organisation du culte musulman lui-même et de ses modes de financement, les interrogations qui pèsent sur certains financements étrangers de l’islam ont trait à une réalité qui, en dépit de l’absence de données statistiques globales et agrégées, est indéniable.
4. Cette réalité concerne tout d’abord l’utilisation du fait religieux par des États comme moyen d’influence sur le territoire d’autrui qui devient problématique lorsqu’elle dépasse la simple fourniture de soutien permettant à une communauté religieuse d’exercer librement son culte, et vise soit à exporter une forme radicale de l’islam, soit à promouvoir une forme d’islamo-nationalisme dans des communautés ciblées.
5. À cet égard, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1743 (2010) «Islam, islamisme et islamophobie en Europe» dans laquelle, il y a déjà huit ans, elle avait constaté avec préoccupation que «certaines organisations islamiques, qui exercent leurs activités dans les États membres, ont été lancées par des gouvernements étrangers qui leur dispensent une aide financière et des directives politiques (…) Il importe de mettre en lumière cette expansion politique nationale vers d’autres États sous couvert de l’islam (…) Il convient (…) que les États membres imposent aux associations islamiques et autres associations religieuses de faire preuve de transparence et de rendre des comptes, par exemple en exigeant la transparence de leurs objectifs statutaires, de leurs dirigeants, de leurs membres et de leurs ressources financières».
6. Au regard des différents types de mesures prises par certains États membres pour réglementer le financement étranger de l’islam, l’Assemblée appelle les États membres:
6.1. à mettre un terme à tout financement étranger de l’islam lorsqu’il est utilisé en vue d’une expansion politique nationale vers d’autres États sous couvert de l’islam;
6.2. à rejeter toutes tentatives d’interférence sur leur territoire de la part d’organisations étrangères qui visent à mettre en place une société parallèle, et à ne pas permettre que les financements étrangers parviennent aux organisations qui sapent les droits de l’homme et le respect de la personne humaine et qui s’opposent au vivre-ensemble garanti par les principes des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. En particulier toute tentative étrangère d’endoctriner la jeunesse doit être empêchée;
6.3. à assurer le respect plein et entier du cadre constitué par la Convention européenne des droits de l’homme, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Commission de Venise et l’Assemblée; ceci implique, en particulier, le fait qu’une interdiction générale de tout financement étranger est vraisemblablement déraisonnable et non nécessaire dans une société démocratique, que toute réglementation établissant une discrimination fondée sur des motifs religieux entre différents groupes religieux est à proscrire et que toute réglementation portant sur l’encadrement du financement doit être proportionnée;
6.4. à faire porter ces mesures sur un renforcement de la transparence, notamment à travers un rendu annuel des comptes identifiant clairement l’origine des financements étrangers et leur usage, y compris lorsque ces financements relèvent de systèmes de transferts financiers informels, tels les passeurs de fonds ou les réseaux hawala. Elle recommande également d’associer les organisations musulmanes à ce renforcement de la transparence, en menant des actions de prévention tant à l’égard des donateurs que des structures qui reçoivent les dons.
7. Lorsque des mesures aux effets plus drastiques sont envisagées, comme dans le cas d’une large interdiction du financement étranger, l’Assemblée recommande:
7.1. d’engager préalablement une vaste consultation aux objectifs clairement définis;
7.2. de traiter l’ensemble des cultes sur un pied d’égalité;
7.3. de s’abstenir de faire peser sur la communauté musulmane une forme de suspicion généralisée qui peut conduire à l’islamophobie et, plus largement, d’instrumentaliser la question du financement étranger.
8. L’Assemblée note que réglementer le financement du culte musulman peut avoir des conséquences positives sur l’organisation d’un islam européen en favorisant l’émergence d’interlocuteurs représentatifs auprès des pouvoirs publics. Elle est également convaincue que la réponse pertinente à la théologie salafiste, fruste et primaire, qui nourrit le terreau à partir duquel peuvent se développer les passages à l’acte terroriste est celle d’un islam cultivé. À cet égard, elle prend note d’une tendance assez largement partagée dans plusieurs États membres visant à développer le niveau de formation des imams, y compris dans le domaine théologique, et à limiter l’accueil d’imams formés à l’étranger.
9. C’est pourquoi, l’Assemblée encourage les États membres à mettre en place des cursus favorisant cet islam cultivé, les appelle à y consacrer des moyens conséquents qui répondent également au besoin des communautés religieuses, et soutient les initiatives consistant à créer des facultés de théologie européennes ouvertes à l’islam.
10. L’Assemblée prend également note de récentes études montrant que l’intégration des musulmans dans plusieurs pays européens, notamment au regard de leur fort degré d’attachement à leur pays de résidence, semble avoir progressé depuis une quinzaine d’années, que leurs spécificités, tant dans leur rapport à la religion qu’à travers leur lien avec leur pays d’origine ou avec celui de leurs ascendants demeurent, et que perdure, dans des proportions non négligeables, l’islamophobie dont ils sont les victimes.
11. Rappelant les paragraphes 3, 13 et 20 de sa Résolution 1743 (2010), ainsi que sa Résolution 2076 (2015) «Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique», l’Assemblée appelle les États membres à prendre en compte ces spécificités et à accentuer leur lutte contre l’islamophobie, car, si le financement étranger peut faciliter la radicalisation, l’islamophobie est elle aussi un de ses terreaux.
12. L’Assemblée invite enfin les États membres à mettre en œuvre le Plan d’action arrêté par le Comité des Ministres sur «La lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme», tout en notant l’importance que ce Plan accorde, dans son volet préventif, aux mesures qui favorisent le vivre-ensemble sur un pied d’égalité dans des sociétés démocratiques multiculturelles.

B. Exposé des motifs par Mme Doris Fiala, rapporteure

(open)

1. Origine, portée et objectif du rapport

1. La controverse née en France à la suite des propos tenus lors d’un prêche par l’imam de la Grande Mosquée de Toulouse, traduits et mis en ligne en juin 2018 par l’Institut de recherche des médias du Moyen-Orient (MEMRI) 
			(2) 
			 <a href='http://memri.fr/2018/06/28/mohamed-tatai-imam-a-toulouse-cite-un-hadith-antisemite-et-des-propheties-annoncant-la-fin-prochaine-disrael/'>http://memri.fr/2018/06/28/mohamed-tatai-imam-a-toulouse-cite-un-hadith-antisemite-et-des-propheties-annoncant-la-fin-prochaine-disrael/.</a>, est assez illustrative de la thématique de ce rapport.
2. Est en cause un sermon prononcé en décembre 2017 par un imam franco-algérien, M. Mohammed Tataï, résidant à Toulouse (France) depuis 30 ans, dans lequel un hadith antisémite 
			(3) 
			À l’occasion d’un prêche
appelant aux meurtres des Juifs, intervenu le 31 mars 2017 dans
la mosquée Masjid Al-Faruq du quartier de Nørrebro à Copenhague
au Danemark, son auteur, l’imam Mundhir Abdallah, qui ferait actuellement l’objet
de poursuites pénales pour son sermon, a cité le même hadith à l’appui
de son propos. est mis en avant. Certains titres de la presse française ont alors évoqué le «double langage» de ce prédicateur qui favoriserait la radicalisation. En outre, la plupart d’entre eux ont mentionné le fait qu’il tenait à prêcher en arabe littéraire et non en français. A contrario, certains journalistes ont rappelé que cet imam avait préalablement officié à la Grande Mosquée de Paris, qu’il était impliqué dans le dialogue interreligieux et qu’il n’était pas considéré comme «radicalisé» mais au contraire «modéré». Par ailleurs, l’un de ses défenseurs, en la personne du ministre algérien des Affaires religieuses, M. Mohammed Aissa, serait intervenu publiquement dans un média algérien pour soutenir M. Tataï, «un homme pur qui ne violerait pas les lois de son pays de résidence», et pour fustiger les «médias extrémistes» qui devraient «cesser de porter atteinte à l’islam» 
			(4) 
			 <a href='http://memri.fr/2018/07/08/reactions-a-la-traduction-et-mise-en-ligne-par-memri-du-sermon-de-limam-mohamed-tatai-reprenant-un-hadith-antisemite-doutes-du-journal-le-monde-justification-du-recteur-de-la-grande-mosque/'>http://memri.fr/2018/07/08/reactions-a-la-traduction-et-mise-en-ligne-par-memri-du-sermon-de-limam-mohamed-tatai-reprenant-un-hadith-antisemite-doutes-du-journal-le-monde-justification-du-recteur-de-la-grande-mosque/#_ednref2.</a>. Enfin, plusieurs articles ont souligné la proximité de M. Tataï avec les autorités algériennes et rappelé que ces dernières avaient financièrement participé à la construction de la Grande Mosquée de Toulouse.
3. Au-delà de ses différents développements 
			(5) 
			 Une enquête préliminaire
aurait été ouverte sur la question de savoir si les propos de M. Tataï
pouvaient être constitutifs d’une infraction. Par ailleurs, ce dernier
a fait valoir ses arguments dans un communiqué de presse et a été entendu
à la Grande Mosquée de Paris qui s’est exprimée à deux reprises
sur cette affaire., cette affaire est marquée par des accusations de radicalisation, d’un côté, la dénonciation d’une certaine islamophobie, de l’autre, et l’intervention publique d’autorités étrangères qui auraient participé au financement d’un lieu de culte musulman. Tous les ingrédients du débat actuel sur le financement étranger de l’islam en Europe sont ici réunis.
4. Mon intérêt pour la question du financement des cultes n’est pas nouveau. Il est la suite logique d’une constatation que j’ai faite, il y a quelque temps, sur la transparence pas toujours complète des financements religieux. Je viens d’un État où le culte, lorsqu’il est reconnu, bénéficie de ressources fiscales propres, grâce à ce que nous appelons le «Kirchensteuer» ou impôt cultuel. Il est donc relativement facile de connaître les montants alloués aux différents cultes collectés par la puissance publique. En revanche, à la différence des associations reconnues d’utilité publique qui sont soumises à une série d’obligations en matière de reddition des comptes, les cultes ne se voient pas imposer de grandes contraintes quant à la manière dont ils utilisent cet impôt. Or, les sommes en jeu sont importantes.
5. De ce décalage peut bien évidemment naître une certaine suspicion, surtout lorsque certains cultes sont confrontés à des scandales financiers, ce qu’a par exemple connu l’épiscopat allemand en 2013. Il a ainsi été conduit à être nettement plus transparent en rendant public son patrimoine, ce qu’il n’avait pas fait jusqu’alors. On le sait: l’absence de transparence peut conduire à des pratiques douteuses et à son corollaire, le soupçon.
6. Compte tenu du contexte sécuritaire actuel, la question du financement étranger de l’islam a récemment attiré une attention particulière. Le prétendu manque de transparence ouvre la voie à des spéculations politiques, à des soupçons et à des peurs, notamment la peur d’une éventuelle utilisation abusive de ce financement à des fins de radicalisation. En outre, parce que l’islam, en Europe, n’est globalement pas financé sur un pied d’égalité avec les autres religions, il peut être perçu comme particulièrement vulnérable à l’influence exercée par de généreux donateurs.
7. L’objet de ce rapport est donc de voir dans quelle mesure le financement étranger de l’islam en Europe est ou non transparent. S’il ne l’est pas suffisamment, dans quelle proportion cette absence de transparence permet-elle réellement au phénomène de radicalisation de prospérer? Et si cette proportion est faible tout en étant réel, comment éviter, dans le cadre du financement de l’islam, qu’un amalgame ne soit fait avec l’ensemble des communautés musulmanes et que des sentiments islamophobes ne se développent?

2. Précisions d’ordre méthodologique et terminologique

8. Pour mesurer la réalité du lien entre financement étranger de l’islam, radicalisation et islamophobie, j’ai effectué deux missions d’information. La première, à Vienne, a été consacrée à la loi sur l’islam votée en 2015, qui a mis à jour un texte de l’Empire austro-hongrois datant de 1912, comportant des dispositions fortes en matière de financement et d’organisation de l’islam. La seconde, à Londres, avait pour objet de comprendre comment le Royaume-Uni, habituellement réticent à intervenir dans le domaine religieux, a géré les éventuels problèmes liés au financement des activités islamistes extrémistes. L’intérêt résidait dans le fait que le Royaume-Uni et l’Autriche avaient des traditions diamétralement opposées quant à la gestion du fait religieux et, à l’inverse, avaient ceci de commun qu’elles abritent des communautés musulmanes numériquement importantes. 
			(6) 
			Pour le programme de
mes visites voir <a href='https://pace.coe.int/documents/18848/3260386/AS-POL-INF-2017-18-FR.pdf/9c9839eb-72a4-4f92-9961-67022eff07a4'>AS/Pol/Inf
(2017) 18</a> et <a href='https://pace.coe.int/documents/18848/4646402/20180525-docinf07_18-FR.pdf/56da7a1e-44b8-4412-ab0f-f88fc9b1993b'>AS/Pol/Inf
(2018) 07.</a>
9. Par ailleurs, j’ai adressé un questionnaire détaillé aux parlements allemand, belge, bulgare, britannique, français, suisse et turc sur les différentes législations relatives au financement des cultes, ainsi qu’aux données chiffrées que les flux financiers pouvaient faire apparaître 
			(7) 
			<a href='https://pace.coe.int/documents/18848/4646402/AS-POL-INF-2018-09-FR.pdf/f64b186f-cc2e-462a-bb5c-2f5c50db432d'>AS/Pol/inf
(2018) 09</a>.. La sélection des parlements a pris en compte la taille des communautés musulmanes dans les pays concernés ainsi que le caractère ancien ou relativement récent de leur présence dans ces derniers. Sur les sept parlements concernés, cinq ont répondu, les parlements bulgare et turc ne l’ayant pas fait.
10. Enfin, dans le cadre de ce rapport, la commission des questions politiques et de la démocratie a auditionné M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’Intérieur et des cultes français, président de la Fondation de l’Islam de France, qui a présenté l’un des modèles européens d’organisation des cultes, celui d’une séparation stricte entre ces derniers et la puissance publique, avec les conséquences que cela entraîne en matière de financement.
11. L’Assemblée parlementaire, pour sa part, a eu l’occasion à de multiples reprises d’appeler les États membres du Conseil de l’Europe à lutter contre la radicalisation et l’extrémisme. 
			(8) 
			Voir notamment les Résolution 2011 (2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et d'extrémisme
de droite», Résolution
2031 (2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble, pour une réponse
démocratique», Résolution 2091
(2016) «Les combattants étrangers en Syrie et en Irak», Résolution 2103 (2016) «Prévenir la radicalisation d’enfants et de jeunes en
s’attaquant à ses causes profondes» et Résolution 2221 (2018) sur les contre-discours face au terrorisme. Chacune
d’entre elles liste les actions pratiques pouvant être mises en
œuvre.
12. Parallèlement, le Comité des Ministres a adopté, lors de sa 125ème session du 19 mai 2015 à Bruxelles, un Plan d’action sur la «Lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme» (CM(2015)74addfinal). Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a rendu compte de sa mise en œuvre lors d’un rapport final publié en avril 2018.
13. Si le Plan d’action comprend une large série de mesures, il reste relativement silencieux sur la définition de la radicalisation. Le concept de «radicalisation» ne renvoie pas à une catégorie juridique mais relève plutôt du champ des sciences sociales, ce qui explique qu’il n’existe pas de consensus quant à sa définition 
			(9) 
			Voir par exemple le
rapport no 639 de Mme Sylvie
Goy-Chavent du Sénat français, p. 58-59..
14. Les experts semblent cependant s’accorder sur le caractère extrémiste et totalitaire d’une pensée radicale, ainsi que l’acceptation du recours à la violence pour la mettre en œuvre. En revanche, le passage à l’acte des personnes radicalisées n’est pas toujours certain.
15. En ce qui concerne la question du financement, cela m’incite à élargir le champ de ce rapport aux mouvements et individus qui professent, prétendument au nom de la religion musulmane, des valeurs incompatibles avec les valeurs qui sont celles des États membres du Conseil de l’Europe, celles des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. Comme l’indiquait déjà en 2010 notre collègue M. Mogens Jensen dans son rapport «L’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe» (Doc. 12266), au paragraphe 28: «L’islamisme, ou islam politique, est une idéologie qui vise à obtenir une influence politique, en vue d’appliquer les principes de l’islam au monde. Les musulmans pour lesquels les préceptes de l’islam ne représentent pas seulement une croyance religieuse, mais devraient occuper une place essentielle dans l’ordre politique et social de la société, peuvent être qualifiés d’islamistes. Ces derniers estiment que l’islam régit tous les domaines de l’existence et n’admettent par conséquent pas la séparation de la religion et de l’État. Ils ambitionnent d’atteindre leur but, soit par l’endoctrinement pacifique, la propagande et la lutte politique, soit par des méthodes violentes, comme l’assassinat et le terrorisme.»Un financement étranger promouvant cette vision ne devrait pas avoir droit de cité dans les États membres du Conseil de l’Europe.
16. J’ajoute que le Plan d’action du Comité des Ministres me conforte dans cette voie, dans la mesure où le point 2.1.1. du document CM(2015)74addfinal met l’accent sur «[v]ivre ensemble sur un pied d’égalité dans des sociétés démocratiques multiculturelles». Les organisations qui s’opposent à ce vivre-ensemble ne devraient pas avoir la possibilité de recevoir des financements étrangers.
17. En ce qui concerne l’islamophobie, le rapport de M. Jensen soulignait que ce terme était souvent employé pour décrire les préjugés ou la discrimination dont font l’objet l’islam et les musulmans. Mais était également très justement indiqué au paragraphe 41 que «la discrimination pratiquée à l’encontre des musulmans dans les domaines de l’intégration économique, sociale et culturelle [pouvait] reposer sur des motifs plus xénophobes que religieux», ce qui paraît tout à fait exact.

3. Le financement étranger de l’islam en Europe: une réalité difficile à cerner, malgré une actualité politique certaine

3.1. Une absence de données globales publiques agrégées

18. Le premier axe de recherche a consisté à essayer de quantifier les sources de financement des principaux cultes dans les sept États concernés par le questionnaire. L’idée était de repérer la part des financements étrangers dans l’ensemble des ressources de chaque culte et d’apprécier si, à cet égard, les différents cultes musulmans présentaient une spécificité par rapport aux autres cultes. Par financement des cultes, je m’attendais à des réponses liées aux activités cultuelles (construction de lieux de culte, entretien, rémunération des ministres du culte, présence d’aumôniers dans les hôpitaux, les prisons ou les armées…), mais j’ai pris la peine de demander aux parlements interrogés de préciser le champ exact de ce financement.
19. Par ailleurs, la dernière question du questionnaire portait sur les activités non cultuelles (fonctionnement d’écoles religieuses, actions culturelles, caritatives, sportives…).
20. Le premier enseignement des réponses recueillies à l’aide du questionnaire est qu’il n’existe pas de données globales publiques agrégées permettant d’avoir une photographie claire et complète des sources de financement des différents cultes ainsi que de leur répartition, à la fois publiques/privées, et, en ce qui concerne l’objet de ce rapport, nationales/étrangères.
21. Les raisons sont multiples. Elles tiennent par exemple à l’inexistence d’une réglementation spécifique du financement des cultes, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Elles ont également à voir avec l’absence de régime ou de pratique unifiée de ce financement dans les États fédéraux (Suisse, Allemagne). Dans sa réponse au questionnaire, le Parlement suisse a ainsi indiqué qu’il «existe en Suisse 26 manières différentes de régler les rapports entre l’État et les communautés religieuses. De ce fait, le financement de ces différentes communautés ne fait pas l’objet d’une clarté totale».
22. En outre, à la question de savoir si, en matière de financement du culte, la législation de leur pays opérait des distinctions selon que les dons proviennent de nationaux (personnes morales ou physiques) ou qu’ils ont pour origine des personnes morales ou physiques de droit étranger, y compris des États (question no 7 du questionnaire), tous les parlements qui ont répondu l’ont fait par la négative.
23. En d’autres termes, sur ce qui est considéré comme des activités cultuelles, aucune donnée globale ne permet de mesurer l’importance des financements étrangers pour quelque culte que ce soit, y compris le culte musulman, pris dans son acception large (chiite, sunnite et autre).
24. Il en va a fortiori de même pour les activités non directement liées aux cultes.
25. La situation actuelle a été assez bien décrite par le think tank de Rand Corporation qui s’est vu commander une étude par le Parlement néerlandais en 2014 sur le Financement étranger des institutions islamiques aux Pays-Bas, une étude pour évaluer la faisabilité d’une analyse globale (Foreign financing of Islamic institutions in the Netherlands – A study to assess the feasibility of conducting a comprehensive analysis). L’objectif était d’obtenir une vue d’ensemble de l’ampleur et de l’étendue des financements étrangers à l’égard des institutions musulmanes aux Pays-Bas, ainsi que de l’influence que des acteurs étrangers peuvent éventuellement (et partiellement) exercer à travers ces financements.
26. Ce rapport constituait la première phase d’un travail qui aurait dû en comporter trois. Or, à l’occasion d’un débat du parlement en plénière le 11 juin 2015, le gouvernement a recommandé «de ne pas engager les phases suivantes au motif que le rapport Rand avait conclu à un manque d’informations suffisantes pour permettre d’estimer le volume et la nature du financement étranger des institutions islamiques aux Pays-Bas», selon le parlement néerlandais. Ce dernier a par ailleurs suivi la recommandation gouvernementale 
			(10) 
			Une enquête récente
de la radio et télévision suisse SRF a également montré le manque
de données sur l’origine des financements des mosquées, y compris
lorsqu’ils proviennent de l’étranger, dans les cantons suisses alémaniques. Voir
SRF, 2 septembre 2018, <a href='https://m.srf.ch/kultur/gesellschaft-religion/finanzierung-von-moscheen-woher-kommt-das-geld-fuer-die-schweizer-moscheen'>Woher
kommt das Geld für die Schweizer Moscheen?</a>.
27. Pour autant, l’absence de données globales ne signifie pas que le financement étranger de l’islam est un non-sujet. Son actualité dans le débat publique en témoigne.

3.2. Une actualité indéniable

28. Pour preuve trois séries de faits:

3.2.1. La multiplication des rapports

29. Au-delà du rapport Rand de 2015 aux Pays-Bas, le Sénat français s’est intéressé à la fois au financement des lieux de culte par les collectivités territoriales en 2015 
			(11) 
			<a href='https://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-345-notice.html'>Rapport
d’information n° 345</a> de M. Hervé Maurey, mars 2015. et, en 2016, aux financements étrangers dans le cadre d’une mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte 
			(12) 
			<a href='https://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-757-notice.html'>Rapport
d’information n° 757</a> de Mme Nathalie Goulet et
M. André Reichardt, juillet 2016..
30. En Belgique, la Chambre des Représentants s’est penchée sur le financement de l’islam dans le contexte de l’enquête sur les attaques terroristes du 22 mars 2016 que la Belgique a subies, la question du financement via les pays du Moyen-Orient y a été évoquée.
31. En Allemagne, un rapport d’étape destiné au gouvernement et consacré à la manière dont les pays du Golfe exportent leur religion a été rédigé en décembre 2016 par les deux services de renseignement fédéraux, le Service fédéral de renseignement (Bundesnachrichtendienst) et l’Office fédéral de protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz, BfV). Il a partiellement fuité dans la presse et traiterait notamment «de la stratégie d’influence à long terme» de ces États ou d’organisations qui leur sont liées, l’aspect financier étant central. 
			(13) 
			Süddeutsche Zeitung, 12 décembre
2016, <a href='http://www.sueddeutsche.de/politik/extremismus-saudis-unterstuetzen-deutsche-salafistenszene-1.3290991'>Saudis
unterstützen deutsche Salafistenszene</a>.
32. Au Royaume-Uni, la ministre de l’Intérieur a présenté au parlement, le 12 juillet 2017, les éléments principaux d’un rapport relatif au financement de l’extrémisme, y compris lorsqu’il est d’origine étrangère 
			(14) 
			<a href='https://www.parliament.uk/business/publications/written-questions-answers-statements/written-statement/Commons/2017-07-12/HCWS39/'>Extremism:
Written statement – HCWS39</a>.. Toujours au Royaume-Uni, un laboratoire d’idées, classé à droite selon la réponse que m’a faite la Chambre des Communes, le Henry Jackson Society, a publié, en juillet 2017, une étude intéressante intitulée «Le financement étranger de l’extrémisme musulman au Royaume-Uni» 
			(15) 
			Tom
Wilson, <a href='http://henryjacksonsociety.org/2017/07/05/foreign-funded-islamist-extremism-in-the-uk/'>Foreign
Funded Islamist Extremism in the UK</a>, Centre for the Response to Radicalisation and Terrorism, Research
Paper No. 9 (2017), juillet 2017..
33. Les pouvoirs publics et les faiseurs d’opinion s’intéressent donc manifestement à la question.

3.2.2. Exemples d’annonces et de débats politiques

34. En France, l’ancien premier ministre Manuel Valls avait envisagé d’interdire le financement des mosquées par l’étranger «pour une période à déterminer» à la suite de l’attaque terroriste qui avait frappé la ville de Nice le 14 juillet 2016, annonce non suivie d’effets jusqu’à ce jour et dont il n’est pas certain qu’elle soit juridiquement applicable, selon la réponse faite par le Parlement français au questionnaire.
35. En Bulgarie, l’un des pays qui a la plus importante (8% selon le dernier recensement) et la plus ancienne minorité musulmane d’Europe, après que la question de l’interdiction du financement étranger de l’islam a été un thème des élections présidentielle et législatives de 2016 et 2017, la coalition majoritaire (GERB) issue des urnes et deux partis de l’opposition (PSB et DPC) se sont accordés, en mai 2018, pour faire adopter une loi modifiant la loi sur la Dénomination des cultes de 2002 qui prévoirait le financement, par l’État, des deux confessions majoritaires (orthodoxe et musulmane) et, en contrepartie, interdirait les financements étrangers pour toutes les confessions sauf approbation préalable de la direction des religions, ce qui n’a pas manqué d’inquiéter les autorités catholiques. Le motif invoqué pour cette modification est la lutte contre la radicalisation.
36. En Autriche, le débat a été vif lors de l’adoption, en 2015, de la loi sur l’islam (Islamgesetz), qui interdit le financement des cultes pour des activités régulières et sur laquelle je reviendrai.
37. En Allemagne, après l’adoption de l’Islamgesetz autrichienne, la question s’est même posée au sein de la CDU de savoir si cette loi ne devait pas être prise pour modèle. La réponse faite par le gouvernement fédéral a été que l’Allemagne avait besoin d’intégration et non d’Islamgesetz 
			(16) 
			Frankfurter
Allgemeine Zeitung, 3 avril 2017, <a href=''>www.faz.net/aktuell/politik/inland/integration-bundesregierung-lehnt-islamgesetz-ab-14955328.html.</a>.

3.2.3. Exemple de controverse récente

38. En Allemagne 
			(17) 
			The
independent, 1er avril 2017,
Lizzie Dearden, <a href='http://www.independent.co.uk/news/world/europe/turkey-spying-germany-europe-austria-35-countries-erdogan-coup-fethullah-gulen-diyanet-a7662096.html'>Germany
opens investigation into Turkish group accused of spying on Erdogan
opponents in 35 countries</a>., en Autriche 
			(18) 
			Wiener
Zeitung, 17 février 2017, <a href='http://www.wienerzeitung.at/nachrichten/oesterreich/politik/874580_Spitzelaffaere-um-Moscheenverbaende-zieht-weitere-Kreise.html'>Spitzelaffäre
um Moscheenverbände zieht weitere Kreise</a>. et en Suisse 
			(19) 
			Le
Monde, 24 mars 2017, <a href='http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/03/24/la-suisse-ouvre-une-enquete-sur-l-espionnage-de-turcs-sur-son-territoire_5100515_3214.html'>La
Suisse ouvre une enquête sur l’espionnage de Turcs sur son territoire</a>., les différents parquets fédéraux ont lancé des enquêtes à la suite des accusations portées par un ancien député autrichien, M. Peter Pilz, en février 2017, à l’encontre de pratiques qu’il qualifie d’espionnage de certaines organisations (comme l’Union des démocrates turcs européens) et, pour ce qui concerne notre sujet, d’imams ou de responsables religieux qui abuseraient de leurs fonctions pour participer à celles-ci 
			(20) 
			Le «rapport» Pilz,
intitulé «Turcs, faites attention» (Sei
Wachsam, Türke) doit, selon moi, être pris avec précaution.
Il n’en reste pas moins que sa diffusion a été prise au sérieux
par les autorités de trois pays et qu’elle a eu des conséquences
pratiques réelles comme le rappel à Ankara du chargé des affaires
religieuses de l’Ambassade de Turquie en Autriche ou le lancement
de plusieurs enquêtes administratives quant au fonctionnement de
l’ATIB, l’antenne locale en Autriche de la Présidence des affaires
religieuses (Diyanet), autrefois
directement rattachée au Bureau du Premier ministre turc.. Or ces imams étaient notamment des salariés de la Diyanet, la Présidence des affaires religieuses, qui dépend du Gouvernement turc.
39. On le voit, la question du financement étranger de l’islam en Europe est un sujet sensible qui fait partie de l’agenda politique.

4. Financement étranger de l’islam en Europe: constats et critiques

4.1. Les constats

40. S’il est difficile de connaître l’état du financement étranger de l’islam en Europe, les informations recueillies grâce à des études sectorielles, aux réponses faites au questionnaire et aux deux missions d’information permettent de faire certains constats.
41. Le premier est que dans l’islam sunnite, l’importance du don privé est réelle, qu’il s’agisse par exemple des aumônes spontanées (sadaqa) ou de l’«aumône purificatrice» de la fin du mois de jeûne (zakât al-fitr), qui sont deux types de dons versés par les musulmans pendant le ramadan.
42. Si l’on prend ainsi l’exemple de la construction et l’entretien de mosquées en France, qui est un domaine significatif compte tenu de la charge financière que ce type d’activité représente pour la communauté des croyants, le Sénat français, dans son rapport de 2016, estime que la part du financement étranger y est marginale par rapport aux dons des fidèles et représente environ 20 % de la totalité des coûts. En 2015, il indiquait que: «Contrairement à une idée reçue, les financements des États étrangers dirigés vers des lieux de culte musulmans en France ne représentent qu’une part minoritaire du financement total des cultes, assurés en majorité par les dons des fidèles, ces derniers étant toutefois beaucoup plus difficilement contrôlables. Les financements étatiques portent en général sur des projets d’envergure mais sont ponctuels et officiellement déclarés à l’administration française, les principaux cas de financements d’États étrangers proviennent soit des pays d’origine des fidèles (Algérie et Maroc pour l’essentiel), soit de la Turquie et des pays du Golfe 
			(21) 
			Réponse
du Parlement français au questionnaire, question no 4..» Le Sénat français souligne le fait que les dons des fidèles nationaux sont plus difficiles à contrôler que le financement étranger qui, de toute façon, ne concerne qu’une fraction marginale de l’ensemble des sources de financement.
43. Cette constatation, qui ne vaut pas pour toutes les communautés musulmanes, ni pour tous les États membres, fait néanmoins écho à un deuxième élément important: le financement étranger est loin d’être toujours la source première de la radicalisation.
44. Au contraire, si l’on prend l’exemple du Royaume-Uni, l’ancienne ministre de l’Intérieur, Mme Amber Rudd, a présenté, dans une communication écrite au parlement en juillet 2017, les principaux éléments d’un rapport établi par ses services sur «La nature, l’étendue et l’origine du financement des activités islamistes extrémistes au Royaume-Uni, y compris ses sources étrangères» en insistant sur le fait que:
  • «i. la principale source du soutien aux organisations extrémistes islamistes au Royaume-Uni est celle des dons anonymes de personnes, la majorité d’entre eux provenant le plus souvent de personnes résidant au Royaume-Uni. (…)
  • Pour un nombre restreint d’organisations présentant un risque d’extrémisme, le financement étranger est une source significative de revenus. Cependant, pour la grande majorité des groupes extrémistes au Royaume-Uni, le financement étranger n’est pas une source significative.» 
			(22) 
			<a href='https://www.parliament.uk/business/publications/written-questions-answers-statements/written-statement/Commons/2017-07-12/HCWS39/'>Home
office, Extremism: Written statement – HCWS39</a>.
45. La menace extrémiste est donc majoritairement le fait de financements nationaux au Royaume-Uni.
46. Un troisième constat tient à ce que j’ai déjà indiqué en introduction: le manque de transparence du financement de l’islam dans certains pays crée la suspicion.
47. Ainsi, dans sa réponse au questionnaire, le Parlement allemand fait-il référence aux propos d’une islamologue basée en Allemagne qui aurait indiqué, en 2016, qu’il n’existait pas d’étude systématique sur le financement étranger de l’islam, qu’elle avait fréquemment entendu parler d’aides financières provenant de l’étranger sans plus de précision et surtout, que c’était un sujet que l’on évitait d’aborder.
48. Or ce sujet ne devrait pas être tabou et ce, d’autant moins dans les États qui pratiquent l’impôt cultuel, tels l’Allemagne ou l’Autriche. Dans ces derniers, les représentants de l’islam pourraient en effet demander à en bénéficier. Ce que les fidèles versent sous forme de dons privés serait alors en grande partie prélevé par la puissance publique et restitué aux cultes concernés. Les sommes ainsi transférées, sans devenir des fonds publics, seraient alors parfaitement connues, alors qu’aujourd’hui elles ne le sont pas.
49. Je me suis interrogée sur cette absence de recours à l’impôt cultuel. Le Parlement allemand m’a répondu que «la plupart des communautés musulmanes sont opposées à l’instauration par l’État d’un “impôt d’Église”, car cela serait contraire à la conception qu’elles ont d’elles-mêmes».
50. Je m’en suis également ouverte au Président de l’IGGÖ, principale organisation du culte musulman autrichienne, qui a été très clair: si l’aumône fait partie des cinq piliers de l’islam et est donc à ce titre une obligation pour le croyant, elle n’a pas à être contraignante, ce qu’un impôt cultuel impliquerait. Il m’a néanmoins indiqué que l’Islamgesetz de 2015 ayant interdit les financements étrangers, l’IGGÖ réfléchissait désormais à une possible mise en place d’un impôt cultuel pour les musulmans que l’IGGÖ représente, sans que je sache si cette hypothèse s’est réalisée ou a été abandonnée.

4.2. Essai de typologie des critiques adressées au financement étranger de l’islam

51. Le financement étranger de l’islam en Europe, dont l’organisation est extrêmement diverse, concentre principalement trois soupçons, d’inégale importance.

4.2.1. Financement étranger et terrorisme

52. Le premier est d’ordre sécuritaire et lié aux activités terroristes et à la radicalisation. Des organisations étrangères contribueraient, sous couvert de financement d’activités religieuses ou caritatives, à la mise en place de réseaux de soutien sur les territoires des États membres, comme cela a pu être pratiqué par Daech, soit pour commettre des attentats, soit pour payer le voyage d’éventuelles recrues vers les territoires que Daech contrôlait. 
			(23) 
			Voir la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=24696&lang=FR'>Résolution
2211 (2018)</a> «Le financement du groupe terroriste Daech: enseignements
retenus».
53. Les problèmes posés par ce type de financement sont réels mais bien identifiés et les États membres disposent en général d’un arsenal législatif et des moyens leur permettant de traquer ces fonds et de réprimer les comportements criminels.
54. À la demande du Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne a d’ailleurs proposé une révision de la 4ème directive relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux (2015/849) adoptée le 20 mai 2015. Les modifications proposées visent notamment à s'attaquer aux éventuelles menaces liées à l'utilisation de nouvelles technologies dans les transactions financières, à renforcer et harmoniser les contrôles exercés sur les flux financiers provenant de pays tiers à haut risque, à améliorer la transparence et à conférer davantage de compétences aux cellules de renseignement financier nationales.
55. Au sein du Conseil de l’Europe, dans le cadre du Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), qui est un organisme permanent chargé d’apprécier la conformité aux principales normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et contre le financement du terrorisme, une «Initiative d’établissement des faits relatifs au financement du terrorisme» a été lancée.
56. En l’espèce, nous ne sommes clairement pas dans le financement de l’islam mais dans celui du terrorisme.

4.2.2. L’instrumentalisation de la religion par des États

57. La deuxième critique du financement étranger que l’on entend actuellement est l’utilisation politique, par des États, du fait religieux comme moyen d’influence dans un pays étranger.
58. Très clairement, la mise en cause concerne ici des États comme la Turquie, à travers notamment la Diyanet, l’Iran au Royaume-Uni 
			(24) 
			Voir Foreign Funded
Islamist Extremism in the UK, op. cit.,
p. 7, où il est question d’organisations telles que l’Islamic College
of Advanced Studies in Willesden, à Londres, ou l’Islamic Center
of England à Maida Vale qui promouvraient le khomeynisme ainsi que
des théories conspirationnistes antisémites et seraient directement
subventionnées par l’Iran. ou en Allemagne 
			(25) 
			Voir la réponse du
Gouvernement allemand à la question parlementaire d’élus Verts sur
les liens d’organisations chiites avec le régime iranien, <a href='http://dipbt.bundestag.de/extrakt/ba/WP18/833/83370.html'>Deutscher
Bundestag, Drucksache 18/133362</a> du 21 août 2017. et, pour un grand nombre d’États membres, les pays du Golfe, c’est-à-dire l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats-Arabes-Unis et le Koweït, que ces derniers agissent directement en tant qu’États, ce qui est rare, ou par l’intermédiaire d’organisations ou de fondations mixtes 
			(26) 
			Voir Foreign Funded
Islamist Extremism in the UK, op. cit.,
p. 3-6 ou l’entretien paru dans Die Welt,
de Hans-Georg Maaßen, le chef de l’Office fédéral de protection
de la Constitution (BfV) au cours duquel, interrogé sur la construction
de mosquées en Allemagne grâce à des fonds saoudiens, il répond
que ceux-ci n’émanent pas de l’État saoudien lui-même. Die Welt (online), 10 avril 2016, <a href='https://www.welt.de/politik/deutschland/article154172308/Die-IS-Propaganda-nennt-auch-deutsche-Staedte.html'>Die
IS-Propaganda nennt auch deutsche Städte</a>..
59. Dans cette liste, la Turquie occupe une place particulière. La Diyanet perçoit en effet plus l’islam comme un des facteurs de l’identité des citoyens turcs vivant à l’étranger ou des citoyens européens d’origine turque et, à cet égard, participe d’une stratégie politique qui repose sur un mélange de sentiments religieux et de fierté nationale, ce que certains ont qualifié d’islamo-nationalisme. Ainsi, même si la Diyanet forme, envoie et salarie des imams dans les mosquées que ses antennes locales, comme l’ATIB en Autriche, la DITIB en Allemagne, contrôlent, son objectif n’a rien de messianique.
60. À l’inverse, les pays du Golfe financent des organisations qui auraient, selon le rapport d’étape des services de renseignement allemand, une «stratégie d’influence de long terme», promouvraient «l’exportation de la religion» et seraient engagés en Europe dans la création de réseaux salafistes à but «missionnaire» 
			(27) 
			Deutsche
Welle, <a href='https://www.dw.com/de/unter-dem-deckmantel-der-hilfsbereitschaft/a-36757769'>Unter
dem Deckmantel der Hilfsbereitschaft</a>, 14 décembre 2016<a href=''>.</a>.
61. La littérature relative à ces pays est nombreuse et fait régulièrement apparaître les noms des organisations suivantes: la Shaykh Eid Charity Foundation, la Qatar Charity, Al-Muntada Trust, basées au Qatar, la Ligue islamique mondiale (LIM) ainsi que l’International Islamic Relief Organisation (IIRO), créée par la LIM, et l’Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane (WAMY en anglais), basées en Arabie Saoudite, la Revival of Islamic Heritage Society (RIHS), basée au Koweït. À des degrés divers, toutes ces organisations ont été mises en cause pour le caractère opaque d’une partie de leurs activités, qu’il s’agisse de la construction de mosquées 
			(28) 
			Le chef du BfV a ainsi
déclaré à propos des fonds saoudiens donnés pour la construction
de mosquées «D’après moi, une partie des mosquées arabophones qui
sont de plus en plus nombreuses en Allemagne ne sont pas modérées. Plusieurs
d’entre elles sont fondamentalistes ou font l’objet d’une surveillance
de l’Office fédéral de protection de la Constitution du fait de
leur orientation salafiste». Die Welt (online),
10 avril 2016, <a href='https://www.welt.de/politik/deutschland/article154172308/Die-IS-Propaganda-nennt-auch-deutsche-Staedte.html'>Die
IS-Propaganda nennt auch deutsche Städte</a> (La propagande de l'EI nomme aussi les villes allemandes). ou d’écoles religieuses, de l’envoi d’imams, de la fourniture de livres ou de la prise en charge d’activités caritatives. Certaines ont été accusées de financer non seulement des groupes salafistes, mais également des groupes terroristes.
62. Quelques pays du Golfe mis en cause auraient durci depuis quelques années le contrôle des dons privés recueillis sur leur sol à destination de l’étranger, notamment en ce qui concerne la zakat 
			(29) 
			Sénat français, rapport
no 757, p. 60.. En outre, le ministre des Finances qatari, M. Ali Shareef al-Emadi, a déclaré, à l’occasion de la conférence internationale contre le financement du terrorisme de Paris en avril 2018, que tout projet d’aide d’une organisation non gouvernementale (ONG) qatarie devra désormais faire l’objet d’une autorisation de la part du pays auquel il s’adresse et, qu’en outre, toute ONG devra faire transiter ses dons par le Croissant rouge qui est contrôlé par l’État du Qatar 
			(30) 
			Le
Figaro, 26 avril 2018, <a href='http://www.lefigaro.fr/international/2018/04/26/01003-20180426ARTFIG00212-financement-du-terrorisme-le-qatar-veut-durcir-le-controle-des-organisations-charitables.php'>Financement
du terrorisme: le Qatar veut durcir le contrôle des organisations
charitables</a>..
63. Malgré mes recherches, je n’ai pas été à même d’apprécier les mesures qui auraient été prises en l’espèce. Ce domaine mériterait d’être exploré. À la fois, l’on peut légitimement se demander si un pays comme l’Arabie Saoudite peut facilement abandonner sa stratégie d’exportation d’une vision de l’islam, le wahhabisme, qui est une forme d’islamisme, alors qu’entre 2007 et 2015, son budget visant à le promouvoir à l’étranger serait passé de 2 à 4 milliards de dollars 
			(31) 
			Chosky
C.E.B. et Chosky J.K., «The Saudi connection: Wahhabism and Global
Jihad», World Affairs, mai/juin
2015, cité par Foreign Funded Islamist Extremism in the UK, op. cit, p. 3.. A contrario, la politique actuelle d’ouverture du Royaume, y compris dans le domaine religieux, peut laisser espérer des infléchissements.
64. Pour ce qui a trait aux fonds étatiques ou paraétatiques étrangers, le débat apparaît relativement balisé et il appartient aux États membres de distinguer entre ce qui relève assez naturellement d’une stratégie classique d’influence plus ou moins acceptable, ce qui concerne des activités d’espionnage et ce qui participe au développement de la radicalisation et de l’extrémisme.

4.2.3. La remise en cause du vivre-ensemble

65. Au-delà de l’activité financée ou de l’origine du financeur, l’enjeu principal est celui de la cohésion, du vivre-ensemble, auxquels s’attaque l’islamisme politique.
66. Constatant que nos systèmes juridiques différaient largement dans leur organisation des différents cultes, notre collègue et ancienne présidente, Mme Anne Brasseur, avait souligné, lors de l’audition de l’ancien Ministre de l’intérieur et des cultes français, M. Jean-Pierre Chevènement, devant la commission des questions politiques et de la démocratie que notre texte sacré en matière de droits et libertés était la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Ce texte reflète les valeurs que nous avons en partage et est à la base de notre vivre-ensemble.
67. Dans son rapport précité, M. Mogens Jensen ne disait pas autre chose lorsqu’il indiquait au paragraphe 74 de son rapport «L’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe» que «les valeurs européennes – droits de l’homme, démocratie et État de droit – garantissent la cohabitation pacifique des citoyens» et qu’il fallait également «rejeter la mise en place d’une société parallèle».
68. À cet égard, mon sentiment est les États membres du Conseil de l’Europe devraient pouvoir rejeter un financement étranger qui favorise la diffusion d’idées nettement contraires à la Convention européenne des droits de l’homme, même s’il ne conduit pas nécessairement à la radicalisation et n’induit pas forcément des comportements illicites comme des appels à la haine.
69. Tel est par exemple le cas, lorsque ce financement a pour objectif et pour effet de s’opposer à l’intégration des communautés musulmanes dans le pays où elles demeurent et favorise le repli sur elles-mêmes. Un exemple en ce sens serait le diagnostic effectué par les services de renseignement espagnols, le CNI, en 2011, à propos du financement de la construction de deux mosquées en Catalogne, à Reus et à Torredembarra, par l’organisation koweitienne RIHS. Le CNI indiquait qu’il s’y «diffusait une interprétation de la religion contraire à l’intégration dans la société espagnole favorisant la séparation et la haine envers les communautés non-musulmanes». 
			(32) 
			El
Pais, <a href='https://elpais.com/politica/2011/07/31/actualidad/1312140952_655494.html'>El
CNI alerta de que seis países musulmanes financian al islamismo</a>, 31 juillet 2011.
70. Les États membres devraient également pouvoir mettre un terme aux tentatives d’endoctrinement des jeunes qui s’opèrent par l’instrumentalisation de la religion. Cela semble avoir été le cas en Autriche dans un jardin d’enfants (Kindergarten), à Vienne, où une structure liée à la Diyanet insistait, dans son projet pédagogique, sur «la turquité» et la religion 
			(33) 
			Il s’agit du Kindergarten Marienkäfer. Voir Die Presse, 5 mai 2018: <a href='https://diepresse.com/home/panorama/wien/5417893/Atib_Neue-Vorwuerfe-gegen-Kindergarten-in-Wien'>Neue
Vorwürfe gegen Kindergarten in Wien</a>..
71. La remise en cause du vivre-ensemble peut bien évidemment intervenir à partir du moment où les communautés musulmanes deviennent le théâtre d’affrontements entre puissances extérieures, qui exportent leurs conflits ou leurs tensions politico-religieuses. Tel est ainsi le cas dans certains pays des Balkans où la Diyanet turque est très présente depuis 2001 et où elle a affronté les réseaux gülenistes après la tentative de putsch manqué à l’encontre du Président Erdoğan. Parallèlement, s’y opposent des États du Golfe, partisans ou adversaires des Frères Musulmans, via le financement de mosquées et l’envoi d’imams 
			(34) 
			Voir le
rapport d’information du Sénat français sur les Balkans de deux
anciens membres de l’Assemblée, MM. Pierre-Yves Le Borgn’ et Jean-Claude
Mignon, <a href='http://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/rap-info/i4550/(index)/depots/(archives)/index-depots'>n°
4550</a>, p. 97-102..

5. Exemples d’actions menées dans le domaine du financement étranger des cultes

72. En fonction de la situation à laquelle ils sont confrontés et du type d’organisation qui régit les relations entre la puissance publique et les cultes, les États membres prennent des mesures assez différentes à l’égard du financement étranger comme le montrent les trois exemples suivants.

5.1. L’exemple russe

73. La loi fédérale no 341-FZ du 28 novembre 2015 a amendé la loi fédérale no 125-FZ du 26 septembre 1997 sur la liberté de conscience et les associations religieuses. Deux types de dispositions ont été introduits.
74. Elle a tout d’abord augmenté les obligations déclaratives des associations religieuses recevant des fonds de l’étranger (nouvel article 25). Désormais, ces associations doivent présenter des comptes isolant les recettes provenant de fonds étrangers et détailler leur usage. Elles sont également tenues d’adresser un rapport annuel à l’autorité fédérale en charge de leur enregistrement précisant leurs activités, la composition de leurs organes décisionnels, l’objet des dépenses ou l’usage des moyens octroyés. Elles doivent enfin diffuser ce rapport en ligne.
75. La seconde disposition importante (article 1.2.b.4 de l’amendement) est l’octroi aux autorités fédérales d’enregistrement de la possibilité de demander communication de documents et de la possibilité d’inspection sans notification préalable. Dans les deux cas, cette faculté s’exerce à l’égard des associations religieuses recevant des fonds étrangers ou à l’égard desquels il existe soit des «signes d’activité extrémiste», soit des violations de la loi.
76. Cette législation a inquiété la plupart des cultes, à l’exception de l’église orthodoxe, dans la mesure où cette dernière semblait être la seule à ne pas être visée par ce nouveau dispositif. En revanche, le rapprochement du financement étranger et des «signes d’activité extrémiste» a été interprété comme une volonté des autorités russes de cibler les communautés musulmanes.
77. Bien que les associations religieuses n’entrent pas dans le champ d’application de la loi fédérale sur les «agents étrangers», la loi de 2015 a été perçue comme s’inscrivant dans le climat actuel de restriction à l’égard de toute activité publique indépendante. En outre, la mention des «signes d’activité extrémiste» renvoie directement à la législation fédérale sur la lutte contre les activités extrémistes, c’est-à-dire le terrorisme. Or celle-ci a été mise en cause en 2015 par le Comité des droits de l’homme, à l’occasion du 7ème rapport périodique sur la mise en œuvre, par la Fédération de Russie, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À cette occasion, le comité a appelé la Fédération de Russie à clarifier sa définition des «activités extrémistes», qui ne renvoie actuellement à aucun élément de violence ou de haine 
			(35) 
			Comité des droits de
l’homme des Nations Unies, Concluding observations on the seventh
periodic report of the Russian Federation, 28 avril 2015, CCPR/C/RUS/CO/7. et peut être largement entendue.

5.2. L’exemple autrichien

78. Adoptée en 2015, l’Islamgesetz 
			(36) 
			<a href='https://www.parlament.gv.at/PAKT/VHG/XXV/I/I_00446/index.shtml'>Bundesgesetz
über die äuβeren Rechtsverhältnisse islamischer Religionsgesellschaften
– BGBl. I n° 39/2015</a>. a mis à jour une loi de l’Empire austro-hongrois de 1912 régissant les rapports entre ce dernier et les communautés musulmanes. La loi de 2015 définit les droits et les devoirs de «la communauté religieuse islamique en Autriche» et de «la communauté alévie en Autriche».
79. Elle est intervenue dans un pays qui compte, selon les autorités autrichiennes, 500 000 à 700 000 musulmans, dont la moitié possède la nationalité autrichienne. Ce chiffre, rapporté aux 8,7 millions d’habitants, en fait, en proportion (8 %), l’une des plus grandes communautés musulmanes d’Europe occidentale.
80. L’Autriche pratique un système de reconnaissance des cultes (15), avec lesquels elle organise ses relations, soit sur la base d’un texte spécifique – comme pour l’islam –, soit sur la base d’un texte général datant de 1874.
81. La loi de 2015 a pour origine une proposition du Conseil des Experts pour l’Intégration, organe indépendant, formulée en juillet 2011, dans son rapport annuel sur l’Intégration. Notant l’importance des religions dans le processus d’intégration, le Conseil avait diagnostiqué un fossé entre les populations immigrées pratiquant un islam traditionnel et le reste de la population, avait précisé que ce fossé relevait plus de différences culturelles que de différences religieuses et avait considéré qu’il appartenait aux pouvoirs publics de donner aux premiers les moyens de se familiariser avec les modes de vie des Autrichiens.
82. Pour le Conseil, l’enjeu était la réaffirmation d’un vivre-ensemble au sein d’un cadre aux valeurs immuables 
			(37) 
			«Celles-ci sont avant
tout les valeurs fondamentales d’un système juridique constitutionnel
et démocratique et qui concernent de ce fait en particulier les
mots-clés de droits de l’homme et droits fondamentaux, les rôles
de l’homme et de la femme, l’éducation et la liberté de penser»,
Expertenrat, <a href='https://www.vol.at/2011/07/Integrationsbericht.pdf'>Integrationsbericht,
2011</a>, p. 33<a href=''>.</a>. L’effet attendu d’une telle réaffirmation était de permettre à la population de se débarrasser de ses peurs, de ses préjugés et de ses inquiétudes. Pour ce faire, le Conseil préconisait la mise en place d’un forum de dialogue sur le modèle de l’Islamkonferenz, créée en Allemagne en 2006.
83. Dès 2012, un Dialogforum Islam a été institué en Autriche, regroupant sept groupes de travail composés d’experts d’horizons variés. Il a rendu son rapport en 2013 avec plusieurs recommandations, dont la mise à jour de l’Islamgesetz votée moins de deux ans plus tard.
84. L’un des objectifs de ce texte était de favoriser un «islam d’Autriche» sur la base d’un «donnant-donnant».
85. D’un côté, la communauté religieuse islamique bénéficiait d’une reconnaissance pleine et entière (autorisation de fabriquer des produits conformes aux règles de l’islam, respect des prescriptions alimentaires des musulmans dans l’armée, les prisons, les hôpitaux, les établissements d’enseignement public…). En outre, était créée au sein de l’université publique de Vienne une faculté de théologie musulmane pourvue de six postes d’enseignants-chercheurs destinée, au-delà des activités de recherche, à former des imams et des professeurs de religion musulmane dans les établissements d’enseignement publics et privés (écoles, collèges et lycées).
86. En échange, obligation était faite à la société religieuse ayant la personnalité morale pour représenter la communauté islamique de renoncer aux financements étrangers pour des «activités cultuelles habituelles» (paragraphe 6.2 de la loi), cette société religieuse devant assurer elle-même son autonomie financière. Ce faisant les autorités autrichiennes ont cherché à diminuer l’influence que l’ATIB, l’antenne locale de la Diyanet en Autriche, possédait à travers l’envoi d’imams formés en Turquie et la prise en charge de leurs salaires, ainsi que des dépenses courantes des mosquées qu’elle administrait.
87. L’Islamgesetz a été adoptée par la majorité de l’époque, conservateurs de l’ÖVP et sociaux-démocrates du SPÖ. Bien qu’elle ait été critiquée lors des débats parlementaires, il est important de noter que l’interdiction du financement étranger a plutôt recueilli l’ensemble des suffrages, ses détracteurs considérant soit que cette interdiction n’allait pas assez loin, soit qu’elle devait être imposée à tous les cultes.
88. À cet égard, j’ai repéré trois types de critiques lors de ma mission d’information à Vienne.
89. La première porte sur l’effet produit tant par le débat de 2015 que par certaines dispositions de la loi: un sentiment de suspicion généralisée à l’endroit des musulmans. Ainsi, lorsque le paragraphe 2.2 de la loi dispose que les communautés religieuses et leurs fidèles ne peuvent faire prévaloir leur corpus religieux sur le droit autrichien et que ce rappel n’existe dans aucun autre texte régissant les rapports de l’État autrichien avec les autres cultes, je comprends que cette affirmation, qui normalement va de soi, peut contrarier un croyant. La réponse que m’a fournie un représentant des autorités autrichiennes selon laquelle le principe de cette disposition figurait déjà dans la loi de 1912 n’est pas satisfaisante, car en mettant cette dernière à jour, il était tout à fait possible au législateur de supprimer cette disposition, qui n’a pas de réelle portée normative. La même critique a été faite à l’égard du paragraphe 6.1 de la loi qui exige que le dossier en vue de la création d’une société religieuse musulmane doit notamment comprendre une présentation de la doctrine et des textes fondateurs de cette religion, exigence qui ne s’impose pas aux autres religions reconnues en Autriche.
90. La deuxième critique découle de la première et concerne également l’interdiction du financement étranger: la différence de traitement. Les paragraphes 2.2 et 6.1 de la loi imposaient déjà des obligations qui ne touchaient que le culte musulman. Il en va de même de l’interdiction du financement étranger, pour lequel le groupe des Verts du Parlement autrichien a remarqué à juste titre qu’elle devrait concerner tous les cultes. Comment justifier que les Mormons ou les grecs-orthodoxes continuent en Autriche de bénéficier de financements extérieurs, alors que les musulmans ne le peuvent pas?
91. Enfin, la troisième critique est spécifique à cette interdiction. La loi prévoit en effet que les dons étrangers à destination du culte musulman sont possibles dans le cadre de «fondations» (Stiftung), sans indiquer clairement le régime qui leur est applicable. Ce faisant, certains ont considéré soit que la loi était facilement contournable, soit que le législateur n’avait, de ce fait, pas assez précisé le type de financements étrangers qu’il souhaitait réellement interdire.
92. En juin 2018, à la suite d’un scandale intervenu dans une mosquée viennoise tenue par une organisation d’extrême-droite turque, les Loups Gris, le Gouvernement autrichien semble avoir fait usage pour la première fois de la loi de 2015 en décidant de fermer sept mosquées et de renvoyer une quarantaine d’imams de l’ATIB 
			(38) 
			Die
Presse, 8 juin 2018, <a href='https://diepresse.com/home/panorama/wien/5442966/Moscheeschliessungen-fuer-Tuerkei-islamophob-und-rassistisch.'>Moscheeschließungen
für Türkei «islamophob» und «rassistisch».</a>.

5.3. L’exemple britannique

93. Dans un pays où l’État répugne à intervenir dans le domaine religieux et où il n’existe aucune règle spécifique encadrant le financement des cultes, les autorités britanniques s’en sont tenues à leurs traditions. À la suite de la communication écrite de l’ancienne ministre de l’Intérieur (voir paragraphe 44), un renforcement des règles relatives à la transparence des «charities» a été mis en place par la Commission sur les organismes caritatifs (Charity Commission), au sein desquelles s’organisent les cultes au Royaume-Uni et dont le statut est assez souple.
94. La mesure a exclusivement porté sur la création de nouvelles obligations à l’occasion de la publication par les charities de leur rapport annuel. Ainsi, toutes devront, à partir de 2019, lister les pays dont elles reçoivent des dons et, pour chacun d’entre eux, indiquer leur provenance (gouvernement, organisme paragouvernemental, association, ONG, organisation de la société civile). En outre, celles dont le revenu annuel est supérieur à 25 000 livres devront préciser la valeur globale des dons versés par des personnes physiques, ainsi que par des donneurs institutionnels situés en dehors du Royaume-Uni. Les charities, dont le revenu annuel est inférieur à 25 000 livres devront faire mention de ces dons s’ils représentent plus de 80 % de leurs revenus annuels. Une autre donnée qui devra figurer dans le rapport annuel est l’utilisation de systèmes de transferts financiers informels situés en dehors du Royaume-Uni, tels que les passeurs de fonds qui utilisent de l’argent liquide (cash couriers) et les réseaux hawala, qui sont des systèmes traditionnels de paiement informel.
95. La seule critique que j’ai pu identifier est celle provenant de l’organisation «Bond UK» qui se présente comme un réseau d’organismes de la société civile travaillant dans le développement international et a des liens avec la fondation Bill & Melinda Gates. Elle consiste à dire qu’en ciblant les financements étrangers, le Royaume-Uni envoie un mauvais message aux États autoritaires qui utilisent des moyens identiques pour contrôler et limiter le travail d’ONG dépendantes de fonds extérieurs. Pour ma part, je fais la distinction entre une demande accrue de transparence et les restrictions à la liberté d’association. Je pense qu’en l’espèce, nous sommes loin de ces dernières.
96. Parallèlement à ces mesures limitées, le Royaume-Uni fait porter ses efforts dans les domaines de l’éducation et du vivre-ensemble.
97. Ainsi, à partir de 2014, à la suite de l’affaire dite du «cheval de Troie» dans des écoles à Birmingham, où des pratiques d’entrisme promouvant une vision ultra-rigoristes de l’islam semblaient se développer, une politique visant à contrer l’extrémisme dans les écoles anglaises a été mise en place. L’inspection académique (Ofsted) s’appuie désormais sur le respect «des valeurs fondamentales britanniques» («fundamental British values») pour s’assurer notamment que les enseignements dispensés dans les établissements scolaires qui bénéficient de fonds publics et certaines écoles qui n’en bénéficient pas dites «indépendantes» (independent schools), ne favorisent pas l’extrémisme religieux. La directrice de l’Ofsted, Mme Amanda Spielman, dont les positions en la matière sont assez tranchées a ainsi déclaré devant des représentants de l’Église anglicane que «plutôt que d’adopter un libéralisme passif qui veut que tout est acceptable, par peur d’offenser quelqu’un, les directeurs d’école devraient promouvoir un libéralisme musclé» et que cela signifiait «de ne pas accepter que les voix les plus conservatrices au sein d’une religion particulière parlent pour tous» 
			(39) 
			BBC, 1er février
2018, <a href='https://www.bbc.com/news/education-42902864'>Religious
extremists «trying to pervert education»</a>..
98. Par ailleurs, sur la question des Sharia councils 
			(40) 
			Les
«Sharia councils» sont inclus dans la réflexion actuellement par
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
sur la «Compatibilité de la charia avec la Convention européenne
des droits de l’homme: des États Parties à la Convention peuvent-ils
être signataires de la “Déclaration du Caire”»., qui sont des conseils informels prenant des décisions principalement dans les affaires familiales selon le droit islamique, sans que celles-ci revêtent un quelconque caractère normatif, le gouvernement a demandé un examen de leur fonctionnement et étudie deux des trois recommandations qui lui ont été soumises 
			(41) 
			<a href='https://www.parliament.uk/business/publications/written-questions-answers-statements/written-statement/Lords/2018-02-01/HLWS432/'>Home
Office – Faith Practices – HLWS432</a>..

6. Toute limitation du financement étranger des cultes doit respecter le cadre fixé par le Conseil de l’Europe

99. Quelles que soient les mesures prises par les États membres ou celles que l’on souhaiterait prendre pour réglementer le financement étranger des cultes, il existe un cadre contraignant, fait de normes juridiques et morales.

6.1. Les prescriptions à respecter selon la Cour européenne des droits de l’homme et la Commission de Venise

100. La liberté de religion est garantie par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(42) 
			Article
9.1: «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience
et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion
ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion
ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou
en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement
des rites.», qui dispose en son alinéa 2 que «[l]a liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui».
101. Tant la Cour européenne des droits de l’homme que la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) ont précisé la portée de ces restrictions et la marge de manœuvre dont disposaient les États membres.
102. Ainsi, la Cour a consacré le principe général selon lequel «l’existence autonome des communautés religieuses est indispensable au pluralisme dans une société démocratique» 
			(43) 
			Haut
Conseil spirituel de la communauté musulmane c. Bulgarie,
Requête no 39023/97, arrêt du 16 décembre
2004., bien qu’elle ait reconnu qu’il n’existait pas de norme européenne commune en matière de financement des Églises, du fait de l’histoire et des traditions de chaque pays, et qu’en conséquence, «la marge d’appréciation des États parties à la Convention était large» 
			(44) 
			Klein et Autres c. Allemagne, Requêtes
nos 10138/11
et 3 autres, arrêt du 6 avril 2017, paragraphe 87..
103. La Commission de Venise a déduit de ce principe d’autonomie que s’agissant des questions financières liées à l’autonomie des Églises, «le droit de demander et recevoir des dons volontaires est inhérent aux activités religieuses» 
			(45) 
			CDL-AD(2006)30, avis
sur le projet de loi portant modification de la loi sur la liberté
de conscience et les organisations religieuses en Ukraine, paragraphe
34..
104. Elle a également considéré que si les États peuvent légitimement réglementer divers types de transferts de fonds, les dispositions établissant une discrimination fondée sur des motifs religieux entre différents groupes religieux devraient être proscrites 
			(46) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2004)028-f'>CDL-AD(2004)028</a>, Lignes directrices visant l’examen des lois affectant
la religion ou les convictions religieuses, p. 14.. En outre, toute réglementation en la matière doit être «proportionnée» 
			(47) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2012)022-e'>CDL-AD(2012)022</a>, Avis conjoint sur la loi sur la liberté de religion
de la République d’Azerbaïdjan par la Commission de Venise et du
Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH),
paragraphe 98 (anglais uniquement)..
105. Après avoir indiqué qu’une «interdiction générale de tout financement étranger (en particulier par des personnes physiques étrangères) est vraisemblablement déraisonnable et “non nécessaire dans une société démocratique”» 
			(48) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2011)028-e'>CDL-AD(2011)028</a>, Avis conjoint sur le projet de loi sur les libertés
de conscience et de religion de la République d’Arménie, paragraphe
76 (anglais uniquement)., ce qui aurait pu laisser penser qu’une plus grande tolérance s’appliquait à l’interdiction du financement par un État étranger ou par une personne morale étrangère, la Commission de Venise a eu l’occasion de rappeler ce principe en 2018, à propos d’un financement des organisations religieuses par leurs «centres spirituels à l’étranger» 
			(49) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2018)002-f'>CDL-AD(2018)002</a>, avis conjoint sur le projet de loi amendant la loi
sur les libertés de conscience et de religion de la République d’Arménie,
paragraphe 74..

6.2. Le cadre posé par l’Assemblée parlementaire

106. Il découle principalement de la Résolution 1743 (2010) «Islam, islamisme et islamophobie en Europe» 
			(50) 
			Voir également Doc. 12266.. Dans celle-ci nous concilions contrôle et liberté de religion en affirmant clairement quatre choses:
  • «Les musulmans sont chez eux en Europe, où ils sont présents depuis des siècles, comme l’indique l’Assemblée dans sa Recommandation 1162 (1991) sur la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne.» (paragraphe 3 de la Résolution);
  • «L’Assemblée constate (…) avec préoccupation que certaines organisations islamiques, qui exercent leurs activités dans les États membres, ont été lancées par des gouvernements étrangers qui leur dispensent une aide financière et des directives politiques (…) Il importe de mettre en lumière cette expansion politique nationale vers d’autres États sous couvert de l’islam (…) Il convient (…) que les Etats membres imposent aux associations islamiques et autres associations religieuses de faire preuve de transparence et de rendre des comptes, par exemple en exigeant la transparence de leurs objectifs statutaires, de leurs dirigeants, de leurs membres et de leurs ressources financières» (italiques ajoutés) (paragraphe 7);
  • «L’Assemblée reste également préoccupée par les politiques et les pratiques discriminatoires (…) à l’encontre des musulmans, et par le risque d’une utilisation abusive des votes, initiatives et référendums populaires pour légitimer des restrictions des droits à la liberté de religion et d’expression qui sont inacceptables au regard des articles 9 et 10 de la Convention» (paragraphe 13);
  • «Les clichés, les malentendus et les peurs que suscite l’islam sont les symptômes typiques d’une large méconnaissance de ce sujet par les non-musulmans en Europe.» (paragraphe 20).
107. Ces conclusions ont par la suite été confortées par le rapport «Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique» 
			(51) 
			Doc. 13851 (rapporteur: M. Rafael Huseynov, Azerbaïdjan, ADLE)., et la Résolution 2076 (2015).

7. Conclusions et recommandations

108. À l’issue de mes recherches, j’ai acquis les convictions suivantes.
109. Afin de dépassionner le débat, il appartient aux politiques que nous sommes de réaffirmer en premier lieu que tout financement étranger de l’islam n’est pas, en lui-même, problématique et qu’il peut, bien au contraire, favoriser le discours interreligieux ou l’exercice d’un culte ouvert. Il nous appartient également de rappeler que, dans certains pays, le financement étranger ne représente qu’une faible fraction des ressources des cultes musulmans, l’essentiel d’entre elles relevant de dons privés.
110. Par ailleurs, la diversité des situations dans les États membres montre que pour certains, le danger de l’extrémisme est avant tout endogène, tandis que d’autres doivent faire face à ce qu’ils perçoivent comme une ingérence de la part d’acteurs étrangers dans la liberté religieuse de leurs résidents.
111. L’utilisation de la religion par certains États comme moyen d’exercer une influence dans un pays étranger est clairement problématique. À cet égard, il est essentiel que les États membres du Conseil de l’Europe soient en mesure de mettre un terme à tout financement étranger de l’islam lorsqu’il est utilisé en vue d’une expansion politique nationale vers d’autres États sous couvert de l’islam. Ils doivent également pouvoir rejeter toutes tentatives d’interférence sur leur territoire de la part d’organisations étrangères qui visent à mettre en place une société parallèle, et à ne pas permettre que les financements étrangers parviennent aux organisations, qui sapent les droits de l’homme et le respect de la personne humaine et qui s’opposent au vivre-ensemble garanti par les principes des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. En particulier toute tentative étrangère d’endoctriner la jeunesse doit être empêchée.
112. Pour le reste, le renforcement de la transparence du financement étranger de l’islam, que l’Assemblée demande depuis 2010, ne peut qu’être une bonne chose. Il pourrait se traduire, par exemple, par un rendu annuel des comptes identifiant clairement l’origine des financements étrangers et leur usage, y compris lorsque ces financements relèvent de systèmes de transferts financiers informels, tels les passeurs de fonds ou les réseaux hawala. Ces exigences en matière de transparence ne doivent cependant pas s’inscrire dans un contexte de restriction des libertés et doivent réellement concerner tous les cultes sur un pied d’égalité. À cet égard, l’exemple britannique est riche d’enseignement. Il l’est d’autant plus qu’il vise tant les financements formels qu’informels.
113. Par ailleurs, en matière de transparence, au-delà des normes que les États membres peuvent édicter, ils seraient bien inspirés de sensibiliser tant les croyants qui donnent à des organisations exerçant des activités à l’étranger que les cultes qui reçoivent des financements étrangers à l’importance de savoir à qui les uns donnent et de qui les autres reçoivent. Un travail en coopération avec les communautés religieuses sur ce sujet serait le bienvenu, à l’instar de ce que j’ai pu observer avec le Trust de la Mosquée centrale de Londres et le Centre culturel islamique.
114. Lorsqu’une réglementation aux effets drastiques est mise en œuvre, comme cela a été le cas en Autriche, il importe, au-delà du respect du cadre posé par le Conseil de l’Europe, de préparer cette réglementation par une vaste consultation, aux objectifs clairement définis, comme l’ont fait le Conseil des experts et le Dialogforum. Il est également essentiel que cette réglementation ne fasse pas l’objet d’une instrumentalisation politique mais soit guidée par le souhait, pour reprendre l’expression de M. Chevènement devant notre commission, de faire des citoyens musulmans des citoyens comme les autres, c’est-à-dire jouissant de la plénitude de leurs droits, en matière religieuse, comme dans la vie publique. Le Conseil des experts autrichien ne disait d’ailleurs pas autre chose.
115. Par ailleurs, quelle que soient les réserves que l’on peut avoir à l’encontre d’une réforme à l’autrichienne, il ne faut pas sous-estimer l’aspect positif de certains de ses effets collatéraux. En premier lieu, l’Islamgesetz a eu pour effet d’accroître nettement le rôle de la société religieuse IGGÖ comme interlocuteur des autorités autrichiennes en renforçant son emprise sur les associations religieuses et communautés de culte qui lui sont affiliées. Or, on le sait, la mosaïque de l’islam a toujours été un défi à son organisation par les pouvoirs publics.
116. En outre, l’Islamgesetz pourrait «normaliser» le financement de la communauté religieuse islamique d’Autriche, puisque, comme je l’ai déjà indiqué, l’IGGÖ réfléchit à demander le bénéfice de l’impôt cultuel. Or, on peut espérer qu’un financement qui rend transparents des dons autrefois privés mais invisibles et qui fonctionne comme celui d’autres cultes est de nature à dissiper les soupçons. Il est intéressant de noter que d’autres États membres se sont engagés dans cette normalisation du financement du culte musulman, comme l’Italie qui, en février 2017, à la suite de la signature d’un pacte national pour l’islam italien entre le gouvernement et des organisations représentatives musulmanes, a décidé de permettre aux citoyens italiens musulmans d’utiliser le mécanisme de 8 pour 1 000, c’est-à-dire de verser volontairement 8 millièmes de leurs revenus à leur communauté religieuse, comme le font d’autres croyants.
117. Une autre tendance lourde, qu’illustre également l’exemple autrichien, est la prise de conscience des États membres que la formation des imams sur le sol européen est un enjeu de taille. C’est sans doute dans ce domaine que la réglementation du financement de l’islam est la plus pertinente. Pour reprendre les termes de M. Chevènement, la réponse pertinente à la théologie salafiste, fruste et primaire, qui nourrit le terreau à partir duquel peuvent se développer les passages à l’acte terroriste est celle d’un islam cultivé.
118. Cela nécessite des moyens importants, comme le montre l’Islamgesetz. Mais c’est une des meilleurs façons de répondre aux besoins de la communauté musulmane et d’éviter qu’elle n’ait recours à des imams formés à l’étranger, dont la vision de l’islam n’est pas en accord ni avec les valeurs de la Convention européenne des droits de l’homme, ni avec celle des sociétés où les croyants évoluent. À cet égard, tout projet visant à créer des facultés de théologie promouvant un islam d’Europe est à encourager, tel celui de la Fondation de l’Islam de France qui vise à en créer une au sein de l’université de Strasbourg, en partenariat avec l’université de Tübingen.
119. Je souhaiterais clore mon propos sur les résultats de deux études européennes récentes sur la place des musulmans en Europe, l’une de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne de juillet 2017 
			(52) 
			<a href='http://fra.europa.eu/en/publication/2017/eumidis-ii-main-results'>Second
European Union Minorities and Discrimination Survey, Muslims – Selected
findings.</a>, l’autre de la Fondation Bertelsmann d’août 2017 
			(53) 
			<a href='https://www.bertelsmann-stiftung.de/fileadmin/files/BSt/Publikationen/GrauePublikationen/Study_LW_Religion-Monitor-2017_Muslims-in-Europe_Results-and-Country-Profiles.pdf'>Muslims
in Europe, Integrated but not accepted?</a>. Ces deux études montrent quatre choses.
120. D’abord que les musulmans des pays européens concernés ressentent un attachement fort envers leur pays de résidence avec un degré de confiance dans leurs institutions démocratiques plus élevé que celui de la population en général. Parallèlement, cet attachement se double du maintien d’un lien fort avec un pays dont ils sont originaires ou dont leurs ascendants sont originaires. Par ailleurs, les musulmans interrogés sont plus religieux que les autres communautés. Enfin, les discriminations dont ils font l’objet restent à un niveau élevé et ils font partie des groupes sociaux parmi les plus rejetés.
121. En d’autres termes, l’intégration semble bien avoir progressé depuis une quinzaine d’années, mais les spécificités des citoyens et résidents musulmans sont là, de même que l’islamophobie dont ils sont les victimes. Il appartient aux États membres de prendre en compte les premières, y compris au regard des besoins en matière d’exercice de la liberté religieuse et donc de financements, et de lutter contre l’islamophobie. Nous le savons, si le financement étranger peut faciliter la radicalisation, l’islamophobie est sans nul doute l’un de ses terreaux.