1. Introduction
1. Les procédures de règlement
extrajudiciaire, telles que les procédures de transaction pénale
(ou procédures de «reconnaissance de culpabilité», «procédures sommaires»
ou encore «procédures abrégées»), sont largement utilisées dans
les procédures pénales liées à divers types d’infractions dans de nombreux
États membres du Conseil de l’Europe. En règle générale, mais pas
obligatoirement, ces procédures impliquent une reconnaissance explicite
de la culpabilité. Dans le cadre de mes fonctions de rapporteur
de la commission de suivi, j’ai été confronté à l’utilisation massive
des procédures de transaction pénale dans les «nouvelles démocraties».
Ces procédures permettent de garantir une accélération substantielle
de la procédure pénale et de réaliser des économies importantes.
Toutefois, le recours à ces procédures, de plus en plus répandu,
comporte également des risques pour le respect des principes «traditionnels»
de l’État de droit, en particulier le principe du procès équitable.
Compte tenu de l’importance que ces procédures ont acquise au cours
de ces dernières années, il est étonnant qu’il n’existe en la matière presqu’aucune
norme de droit international universellement admise.
2. En conséquence, l’Assemblée parlementaire a décidé de mener
une étude sur l’application de ces procédures dans la pratique,
notamment de la transaction pénale, et d’analyser les bonnes pratiques,
les risques et les problèmes, dans le but d’élaborer des recommandations
pertinentes à l’attention des États membres.
3. Les travaux de recherche que j’ai menés en qualité de rapporteur
sur cette
question ont confirmé les impressions que m’a laissées mon expérience
au sein de la commission de suivi. Ces procédures sont encore plus
répandues que je ne l’avais cru et, dans certains cas, très préoccupantes.
Il semble que le procès ordinaire, assorti de toutes les garanties
procédurales découlant de l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»),
devienne peu à peu l’exception et la «négociation» la règle
. En particulier, on ne sait pas
au juste comment les garanties offertes par la Convention peuvent concrètement
s’appliquer pour éviter que des innocents ne se voient contraints
de conclure des «transactions» qui leur vaudraient une inscription
au casier judiciaire, ou pire.
4. Comme en a convenu la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme à la suite de ma note introductive, le
thème défini dans le titre de la proposition de résolution («Procédures
de règlement extrajudiciaire en matière de justice pénale: avantages
et risques») était trop vaste pour pouvoir être traité dans un seul
et même rapport. Les procédures de règlement extrajudiciaire en
matière de justice pénale englobent normalement l’ensemble des pratiques
que les criminologues qualifient de «déjudiciarisation», qui consistent à
«détourner» l’attitude à adopter face à la en général petite délinquance
de toute sanction pénale pour l’orienter vers des programmes de
traitement ou de soins, des tentatives de conciliation entre l’auteur
de l’infraction et la victime ou des peines de substitution de diverses
natures. La déjudiciarisation peut intervenir très tôt dans le processus
pénal, par exemple dès que la police identifie un suspect, ou plus
tard, après les accusations portées par la police; elle peut être
formelle ou informelle, être précisément réglementée par la loi ou
laissée à la discrétion de la police et des procureurs. Mais contrairement
aux pratiques de négociation en matière pénale, ces alternatives
au procès n’aboutissent pas à une condamnation pénale. Au contraire,
elles «détournent» les suspects de toute poursuite pénale. Ces stratégies
de détournement ont une utilité et un intérêt manifestes, notamment
parce qu’elles constituent des instruments de lutte contre la surpopulation carcérale
et la «surincrimination
», et elles posent en soi d’intéressantes
questions juridiques et politiques. Elles font l’objet de critiques
contradictoires, les uns leur reprochant de porter atteinte à la
stricte application de la loi, les autres de contribuer à «élargir
le champ» des réponses sociales répressives à des comportements perçus
comme déviants
. Cela dit, aussi intéressantes soient-elles,
ces questions devraient être traitées dans un rapport séparé car
leur inclusion dans le présent rapport le rendrait trop général
et conduirait de ce fait à les traiter de manière superficielle.
5. Le présent rapport porte plus précisément sur la question
de la «négociation» dans les procédures pénales, qui transparaît
dans le nouvel intitulé décidé par la commission lors de sa réunion
de mars 2018, étant entendu que les différentes formes de transaction
en matière pénale supposent la renonciation totale ou partielle
du prévenu à son droit à un procès ordinaire.
2. La négociation en matière pénale –
prévalence dans la pratique et tendances récentes
6. La négociation en matière pénale
trouve son origine dans le droit américain, et plus généralement
dans la
common law. La transaction
pénale a pris de l’ampleur aux États-Unis dans les années 20, lorsque
la prohibition a entraîné une très forte augmentation du nombre
des infractions pénales. Le fait de transiger avec les suspects,
de manière à ce qu’ils plaident coupable en échange d’une condamnation
à une peine plus légère, avait alors semblé le seul moyen de faire
face à cet afflux de procédures. La transaction pénale a survécu
à l’abandon de la prohibition. Dans les années 70, la Cour suprême
des États-Unis a largement reconnu la constitutionnalité de cette
pratique
. Il est alors devenu impossible d’en
empêcher la généralisation. En 1980, seuls 19 % des prévenus poursuivis
dans des affaires pénales fédérales allaient jusqu’au procès et, depuis
2010, ce chiffre se situe au-dessous de 3 %
. La transaction
pénale est liée à la nature traditionnellement contradictoire du
procès dans les pays de
common law,
qui donne lieu à un affrontement – mis en scène dans de nombreux
films hollywoodiens – entre le procureur et l’avocat de la défense
devant un jury, affrontement simplement modéré par le juge, qui
est cantonné à un rôle d’«arbitre» neutre. Les acquittements ne
sont pas rares. L’issue du procès dépend en grande partie – sinon
entièrement – du professionnalisme et du zèle du procureur et de
l’avocat de la défense. Il en découle une conception procédurale
de la vérité: elle est ce que le jury décide, au vu des preuves
produites devant lui. Il en va différemment dans la plupart des
ordres juridiques «continentaux» basés sur le droit romain, dont
la procédure pénale généralement «inquisitoire» oblige le tribunal
(qui est souvent, pour les affaires graves, une juridiction collégiale
dont un membre est désigné juge rapporteur) à rechercher activement
la vérité dans une démarche «inquisitrice» non exclusivement fondée
sur les mesures d’instruction demandées par le ministère public
et la défense. Le ministère public est juridiquement tenu de suivre
les preuves, à charge et à décharge, où qu’elles puissent mener,
de manière neutre, avec l’assistance de la police. Le rôle de l’avocat
de la défense se borne en principe à plaider pour l’accusé, en mettant
en valeur les éléments de l’affaire qui sont en sa faveur et en atténuant
ceux qui lui sont défavorables. En général, les systèmes contradictoires
reconnaissent au ministère public une ample marge d’appréciation
en matière d’opportunité des poursuites et de choix de la qualification pénale
des infractions objet des poursuites. À l’inverse, dans les systèmes
juridiques continentaux («inquisitoires»), le ministère public est
tenu par le «principe de légalité», qui l’oblige à poursuivre chaque
fois qu’il existe des preuves suffisantes de la commission d’une
infraction. En pratique toutefois, le principe de l’opportunité
des poursuites appliqué dans les systèmes de
common
law est limité par des freins et contrepoids, tandis
que le principe de légalité en vigueur dans les systèmes judiciaires
continentaux connaît des exceptions si nombreuses que le ministère
public bénéficie en réalité d’une latitude considérable qui laisse place
à la négociation. Plus cette latitude laissée au parquet est ample,
plus la marge de «négociation» sera étendue, pour le meilleur ou
pour le pire.
7. Il ressort d’une étude empirique menée par Fair Trials International
sur 90 pays que les «mécanismes de renonciation au procès», sous
différentes formes, ont connu une expansion considérable dans le
monde entier au cours des 25 dernières années. Entre 1990 et fin
2015, le nombre de pays disposant de mécanismes de renonciation
au procès est passé de 19 sur 90 à 66 sur 90 et cette évolution
touche différents systèmes et traditions juridiques. Dans certains
pays, la «négociation» a pris largement le pas sur le procès – par
exemple, aux États-Unis. Dans certains pays, ce processus s’est
accompli rapidement, en quelques années. Dans les nouvelles démocraties
d’Europe centrale et orientale, et en particulier dans l’ex-Union
soviétique, ce phénomène est clairement lié à l’action menée par
les conseillers américains pour promouvoir le modèle américain de
la transaction pénale, notamment en Géorgie sous la présidence de
M. Saakashvili. Le recours à la transaction pénale en Géorgie a
fait l’objet de vives critiques, formulées notamment par M. Thomas Hammarberg,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
. La délégation géorgienne a eu
la gentillesse de me fournir des données statistiques qui indiquent
que le nombre de jugements rendus à la suite d’une transaction pénale
a diminué depuis les années 2010 – 2011, date à laquelle il était
au plus haut, jusqu’en 2017, passant ainsi de 16 000 à 10 000 cas.
Mais le chiffre de 2017 représentait encore plus du double de celui
des jugements rendus cette année-là dans le cadre d’un procès classique
«sur la base de la prise en compte des éléments essentiels de l’affaire».
8. Indépendamment du fait que le «modèle américain» fasse en
soi l’objet de sérieuses critiques
, on peut se demander si sa transposition
est judicieuse dans des pays dont la culture juridique et judiciaire
est très différente, du point de vue notamment de la probabilité
d’acquittement d’un accusé ayant refusé une «transaction» proposée
par le ministère public. L’équité des mécanismes de renonciation
au procès dépend de l’équilibre des pouvoirs entre le ministère
public et la défense. Cet équilibre peut être considéré comme raisonnablement
satisfaisant aux États-Unis (sous réserve que le prévenu ait les
moyens de faire appel aux services d’un avocat compétent et motivé),
mais il l’est moins dans les systèmes «inquisitoires» d’Europe occidentale
(où le rôle des juges est particulièrement marqué) et s’avère totalement
insuffisant dans les systèmes de procédure pénale d’Europe orientale,
qui restent dominés par un ministère public surpuissant (la «prokuratura»),
issu de la tradition soviétique. Malgré cette incompatibilité, le
Service du développement, de l’assistance et de la formation du
ministère public à l’étranger (OPDAT) du Département américain de
la Justice, créé en 1991, a dispensé après l’éclatement de l’Union
soviétique, dans le cadre des mesures américaines d’aide à l’étranger,
des éléments d’orientation et une formation nettement orientés à
promouvoir la procédure de transaction pénale
.
9. L’ampleur de cette tendance est illustrée dans le tableau
ci-dessous, qui résume les données recueillies par l’ONG Fair Trials
sur les dates d’introduction de mécanismes de renonciation au procès
et la proportion des condamnations pénales découlant d’une «transaction»
dans les États membres du Conseil de l'Europe:
Pays (membre du Conseil de l’Europe)
|
Année d’introduction d’un MRP*
|
% de MRP *
|
Avant
1990
|
1990-1999
|
2000-2009
|
2010-2016
|
Albanie
|
|
|
X
|
|
|
Arménie
|
|
|
X
|
|
|
Autriche
|
X
|
|
|
|
|
Bosnie- Herzégovine
|
|
|
X
|
|
41% (2015)
|
Croatie
|
|
|
X
|
|
4,6 % (2014)
|
République tchèque
|
|
|
|
X
|
0,07% (2014)
|
Danemark
|
|
|
X
|
|
|
Estonie
|
|
X
|
|
|
64% (2014)
|
Finlande
|
|
|
|
X
|
|
France
|
|
|
X
|
|
|
Géorgie
|
|
|
X
|
|
87,8% (2012)
|
Allemagne
|
|
|
X
|
|
|
Hongrie
|
|
X
|
|
|
0,23% (2014)
|
Islande
|
|
|
X
|
|
|
Irlande
|
X
|
|
|
|
|
Italie
|
X
|
|
|
|
4% (2008)
|
Lituanie
|
|
|
X
|
|
|
Luxembourg
|
|
|
|
X
|
|
Pays-Bas
|
|
|
X
|
|
|
Norvège
|
|
|
X
|
|
|
Pologne
|
|
X
|
|
|
43% (2015)
|
Roumanie
|
|
|
|
X
|
|
Fédération de Russie
|
X
|
|
|
|
64% (2014)
|
Serbie
|
|
|
X
|
|
4% (2014)
|
Espagne
|
X
|
|
|
|
45,7% (2014)
|
Suisse
|
|
|
X
|
|
|
«L’ex-République yougoslave de
Macédoine»
|
|
|
|
X
|
|
Turquie
|
X
|
|
|
|
|
Ukraine
|
|
|
|
X
|
|
Royaume-Uni
|
X
|
|
|
|
70% (2014)
|
* MRP = mécanismes de renonciation au procès: transaction
pénale, procédures abrégées et procédures de collaboration de témoins
* % de MRP = pourcentage d’affaires réglées par un mécanisme
de renonciation au procès
10. Les données recueillies par
Fair Trials pourraient même sous-estimer l’importance réelle de
la «négociation» en matière pénale, car il est difficile de quantifier
les pratiques officieuses de «négociation» qui ont souvent cours
avant que le législateur ne leur apporte une certaine reconnaissance
en les codifiant. Toutefois, il ressort manifestement de ces données
qu’il existe une très forte tendance au remplacement du procès pénal
traditionnel par des mécanismes de renonciation au procès qui peuvent
prendre différentes formes. Il convient donc d’examiner les avantages
et les risques des pratiques en question.
3. Diversité
des mécanismes de renonciation au procès
11. Les différences considérables
qui existent entre les systèmes judiciaires se reflètent dans la
diversité des mécanismes de renonciation au procès et de leurs appellations
(par exemple «transaction pénale» ou «reconnaissance de culpabilité»,
«procédure sommaire» ou «procès abrégé»). Ces pratiques ont en commun la
renonciation de la personne accusée d’une infraction pénale à son
droit à un véritable procès en échange d’un avantage consenti par
les autorités publiques. Les dispositifs de renonciation au procès
dont l’étude susmentionnée de Fair Trials fournit une description
précise comprennent notamment les procédures de coopération avec
les «témoins à charge» qui acceptent de témoigner contre leurs coaccusés
en échange d’un allégement de peine. Les contreparties offertes
par les autorités publiques peuvent porter sur les faits délictueux
(sous la forme d’une renonciation à enquêter sur certains faits
ou à les prendre en compte en échange de la reconnaissance, par
l’accusé, d’autres faits de moindre gravité) ou sur les charges
retenues (les autorités acceptant alors de donner aux faits délictueux
une qualification moins grave que celle qu’elles auraient pu leur
attribuer, par exemple en requalifiant un meurtre en homicide).
Si les avantages et les risques diffèrent quelque peu selon les
mécanismes de renonciation au procès, bon nombre de questions concernent toutes
les modalités de cette pratique.
4. Avantages
et risques des mécanismes de renonciation au procès
4.1. Économiser
des ressources judiciaires limitées
12. La raison principale du succès
des mécanismes de renonciation au procès tient à ce qu’ils paraissent ménager
les ressources limitées de la justice pénale en faisant l’économie
de nombreux procès ordinaires. On a fait valoir que ces mécanismes
offraient le meilleur moyen d’éviter l’impunité de fait de nombreux délinquants et le recours
abusif à la détention provisoire de suspects qui seraient autrement
maintenus en détention pendant une longue période avant que la date
de leur procès ne puisse être fixée, surtout dans les pays ayant un
taux élevé d’infractions pénales de faible ou de moyenne gravité
et un système judiciaire doté de moyens financiers insuffisants.
13. Mais la transaction pénale ne présente pas seulement des avantages
pour les pays dont le taux de criminalité est élevé et dont les
services répressifs manquent de moyens. La Finlande, qu’on ne saurait soupçonner
d’appartenir à cette catégorie de pays, aurait mis en place en 2015
une procédure de transaction pénale à la suite d’un certain nombre
de violations constatées par la Cour européenne des droits de l’homme du
droit à la tenue d’un procès dans un délai raisonnable
.
14. Les systèmes judiciaires (dans un sens large englobant le
ministère public et les tribunaux) de nombreux pays sont extrêmement
surchargés et en situation de sous-effectif. En pareil cas, il existe
en théorie trois possibilités: 1) les services répressifs peuvent
renoncer à mener des investigations et des poursuites complètes
sur chacune des infractions pour lesquelles il existe des indices
de culpabilité propres à justifier des poursuites, et fixent des
priorités fondées sur des critères plus ou moins objectifs; 2) les
services répressifs tentent l’impossible, mais délaissent de nombreuses
affaires qui resteront en suspens jusqu’à ce qu’elles soient prescrites
et, dans le pire des cas, laissent les suspects, même s’ils sont
innocents, subir de longues périodes de détention provisoire jusqu’à
ce que la prescription soit acquise (situation que l’on observe malheureusement
dans de nombreux pays); ou 3) les services répressifs écourtent
la procédure et traitent les affaires sans mener d’enquête sur l’intégralité
des faits concernés et sans aller jusqu’à un véritable procès (en ayant
recours à des mécanismes de renonciation partielle ou complète au
procès).
15. De toute évidence, les deux premières options au moins sont
peu attrayantes. Idéalement, les services répressifs devraient disposer
de ressources suffisantes pour traiter correctement l’ensemble des
affaires de manière à éviter toute impunité, en respectant pleinement
les garanties procédurales du procès pénal ordinaire. Mais il en
va rarement ainsi en pratique. Il est beaucoup plus courant que
l’on soit confronté à des situations regrettables dans lesquelles
des criminels en col blanc (ou leurs avocats expérimentés et onéreux) intimident
des procureurs surchargés et sous-payés – dont le travail est évalué
au regard du nombre d’affaires réglées ou, pire encore, du nombre
de condamnations obtenues – en leur laissant entendre qu’ils s’apprêtent à
produire des montagnes de documents à examiner et à faire citer
une multitude de témoins tout en leur offrant de plaider coupable
pour une petite partie des délits réellement commis, en échange
d’une condamnation à une peine légère (de préférence assortie d’un
sursis). À l’inverse, et cela est tout aussi inacceptable, il peut
arriver que de petits délinquants (ou des primo-délinquants, ou
de jeunes délinquants) contre lesquels les preuves à charge sont
au mieux fragiles se trouvent contraints de conclure une «transaction»
qui leur vaudra une inscription au casier judiciaire – et peut-être
un séjour en prison – sans qu’un avocat ait pu les informer qu’ils
avaient de fortes chances d’être acquittés (ou qu’ils aient pour
défenseur un avocat commis d’office, lui aussi surchargé et sous-payé,
dont les ressources dépendent du nombre d’affaires qui lui sont
confiées et qui répugnera donc à passer pour un perturbateur aux
yeux de la justice). Ce second scénario est particulièrement susceptible
de se produire dans les pays où le taux de condamnations est élevé et
où il existe d’importants écarts entre les peines minimales et maximales
prévues par le code pénal.
16. Par ailleurs, s’il est clair que la «négociation» est ponctuellement
moins consommatrice de ressources qu’un procès ordinaire, il n’est
pas aussi certain qu’un recours extensif aux mécanismes de renonciation
au procès permette au bout du compte d’économiser des ressources
publiques. L’accroissement de la capacité du système judiciaire
à traiter les affaires conduit à une augmentation des condamnations,
et donc de la population carcérale. Le coût élevé de l’emprisonnement
pourrait s’avérer égal ou supérieur aux économies que les pouvoirs
publics réalisent en évitant la tenue de nombreux procès en bonne
et due forme. De plus, comme l’indiquait un précédent rapport de
l’Assemblée sur la promotion des alternatives à l’emprisonnement
, le coût réel de l’incarcération
de masse ne se limite pas aux dépenses publiques consacrées au gîte
et au couvert des détenus: l’effet d’élargissement de la répression
produit par les mécanismes de renonciation au procès, qui permettent
à l’État d’augmenter le nombre de poursuites et de condamnations,
induit bien d’autres coûts sociaux. La transaction pénale, qui permet
au ministère public et aux tribunaux de traiter d’importants volumes
d’affaires de manière expéditive, peut être considérée comme un facteur
favorisant l’incarcération et la criminalisation de masse
.
4.2. Éviter
une enquête complète et contourner les garanties procédurales de
l’accusé
17. Les mécanismes de renonciation
au procès peuvent éviter aux autorités d’examiner l’ensemble des
faits relatifs à une infraction et de recueillir des témoignages.
Ils contribuent en cela à économiser des ressources judiciaires,
comme nous l’avons indiqué ci-dessus. Ils peuvent également épargner
aux victimes de certaines infractions le traumatisme d’avoir à témoigner
en audience publique, d’être confrontées à l’auteur de l’infraction et
de revivre l’infraction. C’est particulièrement important pour les
infractions dont les victimes sont des mineurs et pour les infractions
à caractère sexuel en général. Mais ils peuvent aussi conduire à
l’impunité (partielle) des auteurs d’infractions «complexes», coûteuses
en moyens (qui relèvent dans la plupart des cas de la criminalité en
col blanc), ou, au contraire, à la condamnation de personnes innocentes
contraintes de conclure une transaction pénale sous la menace d’une
peine beaucoup plus lourde en cas de procès, d’autant que leurs chances
d’acquittement sont faibles. La situation des innocents qui plaident
coupable aux États-Unis a été abondamment étudiée
. D’après l’étude menée par Fair Trials
, le prévenu est d’autant plus contraint à conclure
une transaction pénale qu’il estime particulièrement avantageux
de plaider coupable pour une infraction moins grave, parce qu’il
existe un écart très important entre la peine infligée à ceux qui
plaident coupable et celle infligée à ceux qui choisissent la voie
du procès; la doctrine américaine
qualifie d’ailleurs cet écart de
«pénalité associée au procès», ce qui veut tout dire. Il est pratiquement
impossible de résister à cette contrainte sous la menace de la peine
capitale, situation qui s’est présentée dans une affaire américaine citée
dans l’étude menée par Fair Trials
.
Des études ont également montré qu’il existe une corrélation certaine
entre les peines minimales obligatoires de longue durée et le développement
de la transaction pénale. Certains procureurs reconnaissent ouvertement
utiliser ces peines minimales obligatoires lourdes pour contraindre
les accusés à une transaction pénale
.
18. Les travaux de recherches empiriques montrent que les faux
aveux faits dans le cadre d’une transaction pénale représentent
un problème particulièrement important. Sur 149 citoyens américains
innocentés en 2015, 65 avaient plaidé coupable
.
The Innocence Project
a constaté que 10 % des personnes
condamnées pour viol et meurtre, dont il a été en mesure de prouver
l’innocence, avaient plaidé coupable. Ces chiffres sont probablement
inférieurs à l’ampleur du problème, car les travaux menés pour innocenter
les condamnés privilégient les crimes particulièrement graves pour
lesquels les peines sont lourdes et l’existence de preuves matérielles
plus probable. Dans l’immense majorité des infractions (moins lourdes),
les faux aveux faits sous la menace de subir la «pénalité associée
au procès» risquent d’être plus fréquents encore. Une étude expérimentale
réalisée en 2013 par Lucian Dervan et Vanessa Edkins
révèle
qu’une majorité de personnes «innocentes» (accusées de tromperie)
ont «avoué» dans le cadre d’une transaction pénale pour éviter une condamnation
à une peine (légère). Une autre étude indique que les participants
«coupables» n’ont pas davantage tendance à plaider coupable lorsque
le ministère public leur fait une proposition plus avantageuse. En
revanche, plus est forte l’incitation (la «pénalité associée au
procès») offerte aux «innocents», plus ils sont susceptibles de
faire de faux aveux
.
Cela montre que le fait de limiter la pénalité associée au procès
(ou l’atténuation de la peine en cas d’aveux), comme c’est le cas
en Allemagne et en Espagne, représente une importante garantie.
19. Les mécanismes de renonciation au procès peuvent aussi compromettre
une fonction importante du procès pénal, qui consiste à assurer
le contrôle public du bon fonctionnement de la police et du ministère
public et qui contribue à préserver la confiance du public dans
la justice pénale. Le recours très répandu à la transaction pénale,
qui évite d’avoir à vérifier les éléments de preuve et à présenter
un dossier solide à l’occasion d’un procès public, peut même conduire
les services de police et du ministère public à perdre l’habitude
de mener des enquêtes judiciaires rigoureuses et, à la longue, les
compétences nécessaires à ces enquêtes. La limitation du contrôle
public peut également amoindrir le risque pour les auteurs de violations
des droits de l’homme (violences, voire actes de torture) généralement
commises entre le moment de l’arrestation et le début du procès
de devoir rendre des comptes de leurs actes, atténuant ainsi cet
important facteur de dissuasion contre de tels abus.
20. À ce propos, il est intéressant de noter que la pratique courante
au Royaume-Uni des transactions pénales aurait entraîné une diminution
des condamnations prononcées pour viol
.
Ce chef d’accusation tend à être remplacé par une accusation moins
lourde lorsque les prévenus proposent de plaider coupable pour une infraction
à caractère sexuel moins grave. Cette tendance peut avoir de terribles
conséquences pour la victime, par exemple lorsqu’un viol est requalifié
en relations sexuelles avec un mineur, ce qui laisse entendre que
la victime était consentante. D’après les statistiques du ministère
de la Justice, en 2008, seules 38 % des affaires de viols ont abouti
à une condamnation pour viol au sens propre.
21. En revanche, il est indéniable que la possibilité offerte
aux services répressifs de proposer une «transaction» à un suspect
disposé à coopérer peut leur permettre de «mettre au jour» une affaire
plus importante en obtenant de ce suspect qu’il témoigne contre
les autres auteurs de l’infraction, qui auraient sans cela échappé
au bras de la justice. Lorsqu’elle est utilisée honnêtement, cette
tactique peut être un instrument légitime, en particulier dans la
lutte contre la criminalité organisée, et elle est largement employée
en Italie («les repentis») et aux États-Unis, où elle donne d’excellents
résultats.
5. Les
indispensables garanties des droits de l’accusé
22. Comme nous l’avons vu précédemment,
les mécanismes de renonciation au procès comportent des risques
importants, mais aussi d’indéniables avantages, et sont peut-être
tout simplement inévitables. Même des systèmes judiciaires tels
que le système allemand, qui écartaient habituellement toute idée
de «transaction» extrajudiciaire en matière pénale, en sont venus
– certes avec réticence – à reconnaître cette pratique. Au même
moment, les législateurs de ces pays ont fini par réglementer une
pratique qui avait déjà cours et qui était tout simplement impossible
à éliminer.
23. Étonnamment, la Cour européenne des droits de l’homme n’a
pas encore eu l’occasion de fixer des normes en la matière. À ma
connaissance, seules deux affaires traitent de la transaction pénale.
Dans la première,
Deweer c. Belgique,
la Cour a constaté une violation de l’article 6.1 de la Convention
européenne des droits de l’homme, en faisant remarquer qu’«[e]n
résumé, la renonciation de M. Deweer à un procès équitable, entouré
de l’ensemble des garanties que la Convention exige en la matière,
se trouvait entachée de contrainte»
. Dans
la seconde affaire,
Natsvlishvili et
Théogonie c. Géorgie , la Cour
a admis la validité de la reconnaissance de culpabilité, malgré
certains éléments inquiétants de l’espèce, comme la renonciation
au droit de recours
24. Compte tenu des possibilités
offertes par la transaction pénale, mais également de ses éventuelles embûches,
il importe de mettre en place et de faire respecter dans la pratique
certaines garanties destinées à protéger les droits de l’accusé
dans toute la mesure du possible, pour réduire les risques de violation
des droits de l’homme, tout en conservant les avantages de cette
pratique, notamment son efficacité. Mes activités de recherche,
en particulier l’audition à laquelle la commission a procédé en
juin 2018, ont donc avant tout visé à recueillir des idées et des
propositions relatives à ces garanties, qui sont synthétisées dans
le projet de résolution. Cette démarche vise à réglementer de manière
satisfaisante la pratique de la «renonciation au procès», qui ne
disparaîtra pas, que nous le voulions ou non
.
Les garanties que je propose de recommander sont les suivantes:
5.1. rendre
le recours aux services d’un avocat obligatoire
25. L’accès à un avocat est important
même lorsque l’accusé bénéficie d’un véritable procès. il est vital
en matière de transaction pénale: comme l’ont indiqué nos experts
au cours de l’audition au mois de juin, seul un avocat est en mesure
d’informer l’accusé de ses chances d’acquittement en cas de procès
et de lui expliquer toutes les conséquences d’une transaction impliquant
une condamnation pénale. c’est tout particulièrement le cas pour
les mineurs. le recours aux services d’un avocat est déjà obligatoire,
sous peine d’invalidité de la transaction pénale, en Croatie, en
Estonie, en France, en Géorgie, en Irlande, au Luxembourg, dans
«l’ex-République yougoslave de Macédoine» et en Suisse
.
Étonnamment, pour notre expert allemand, ce n’est toujours pas le
cas en Allemagne.
26. Par ailleurs, pour que cette garantie essentielle soit effective,
les avocats commis d’office à la défense des accusés démunis doivent
être correctement rémunérés afin de pouvoir consacrer le temps nécessaire
à la défense efficace des intérêts de leurs clients, et ne doivent
pas se trouver en situation de dépendance par rapport au ministère
public, qui devrait être exclu du processus de sélection des défenseurs
publics ou des avocats commis d’office.
5.2. Imposer
des exigences minimales en matière d’enquête et de communication
des résultats de l’enquête
27. Le risque qu’une personne innocente
soit contrainte de conclure une transaction pénale par un procureur
qui ne dispose pas de preuves suffisantes pour obtenir sa condamnation
à la suite d’un procès classique doit être réduit au minimum. Afin
de minimiser ce genre d’abus, on pourrait notamment envisager de subordonner
la validité des transactions pénales au respect de normes minimales
en matière d’établissement des faits et de réunion des preuves,
et à la communication des résultats de l’enquête à l’accusé et à
son avocat. La communication des résultats de l’enquête permet à
l’avocat de l’accusé d’évaluer correctement les chances d’acquittement
de son client en cas de procès. Elle contribuerait également à dissiper
l’impression que les renonciations au procès en matière pénale résultent
d’«arrangements en coulisses» douteux, impression qui sape la confiance
du public dans la justice. Il ressort de l’étude réalisée par Fair
Trials que le Luxembourg et la Finlande imposent déjà une obligation
de communication des résultats de l’enquête aux accusés qui expriment
le souhait de renoncer à un procès. Ces bonnes pratiques mériteraient
d’être étendues à d’autres pays.
5.3. Prévoir
un contrôle juridictionnel des éléments essentiels de la transaction
pénale
28. Afin de prévenir d’éventuels
abus de la part de la police ou du ministère public, il faut prévoir
un contrôle juridictionnel minimum des résultats du «processus de
négociation». Ce contrôle doit également porter sur la procédure
suivie, le tribunal devant obtenir confirmation de la part de l’accusé
qu’il a renoncé au procès de son plein gré. Cette confirmation devrait
être recueillie par le tribunal hors la présence du procureur, pour
éviter tout risque d’intimidation. Le contrôle juridictionnel devrait
également porter sur la crédibilité des aveux qui sont habituellement
passés dans le cadre d’une transaction. Le tribunal devrait être
convaincu de la véracité de ces aveux et ne pas se contenter de
la reconnaissance formelle de l’infraction par l’accusé.
29. Selon les dispositions de la loi allemande sur les transactions
en matière pénale (
Verständigungsgesetz),
qui sont fondées sur un arrêt rendu par la Grande Chambre le 3 mars
2005
,
les aveux doivent être suffisamment détaillés et concrets pour permettre
le contrôle de leur conformité avec les résultats de l’enquête versés
au dossier de l’affaire. Cela signifie que les «aveux officiels»
qui ne reposent sur aucun élément ou les aveux sans consistance
ne suffisent pas à obtenir une condamnation. Le Tribunal constitutionnel
fédéral exige que la véracité des aveux faits dans le cadre d’une
négociation soit vérifiée au cours d’une audience devant un tribunal;
autrement dit, la simple vérification du dossier ne suffit pas.
Cette vérification doit être étayée par des éléments probants, de
manière à ce qu’il ne soit pas nécessaire de procéder à des investigations
complémentaires. Selon le Tribunal constitutionnel fédéral allemand,
cette obligation de transparence et de production d’éléments probants
représente un point essentiel des dispositions légales et doit être
mise en œuvre soigneusement en pratique. Cette obligation vise en
effet à prévenir les «accords informels», qui sont les plus susceptibles
de donner lieu à des abus. Néanmoins, il ressort de l’étude menée
par Fair Trials que bon nombre des pays qui autorisent la renonciation
au procès ne prévoient pas un tel contrôle juridictionnel de la
crédibilité des aveux sur lesquels se fonde la «transaction». Aux
États-Unis, il est même admis qu’un accusé puisse accepter une peine
sans reconnaître les faits sur lesquels se fondent les accusations
portées contre lui (pratique connue sous le nom de «plaidoyer Alford
»), si bien qu’il
n’est pas rare que des procureurs négocient des transactions pénales
en sachant pertinemment que l’accusé est innocent
. En revanche, le droit allemand interdit
rigoureusement toute «négociation» relative aux faits. Les décisions
de justice rendues sur la base d’une transaction pénale doivent
elles aussi être conformes au but poursuivi par le procès: la recherche
de la vérité matérielle.
30. Mais même les dispositions du droit allemand, qui paraissent
raisonnablement protectrices des intérêts des accusés innocents,
semblent ne pas être correctement appliquées en pratique. Il ressort
d’une étude réalisée en 2012 à la demande du Tribunal constitutionnel
fédéral (
Bundesverfassungsgericht) pour
les besoins du contrôle de la constitutionnalité de la loi susmentionnée
(
Verständigungsgesetz) que
près de 60 % des juges interrogés reconnaissent que la plupart des
transactions qui leur sont soumises ne reposent pas sur des éléments
suffisants et que seuls 28 % d’entre eux indiquent qu’ils vérifient
la crédibilité des aveux qui font l’objet de la transaction. Comme
l’étude menée par Fair Trials présente l’Allemagne comme un pays
où, par rapport à d’autres, les juges ont un rôle plus actif pour
contrôler les preuves en vue de s’assurer de la sincérité des aveux
passés par l’accusé dans les affaires impliquant une renonciation
au procès
,
je suis très préoccupé par la pratique d’autres pays dans lesquels
les obligations des juges sont définies de façon moins précise qu’en
Allemagne.
31. Par un arrêt du 19 mars 2013
, le Tribunal
constitutionnel fédéral a jugé que la loi en question était en soi
globalement conforme à la Constitution, mais pas l’application qui
en était faite. Le Tribunal constitutionnel a donc appelé le législateur
à suivre attentivement les évolutions en la matière et à prendre
les mesures qui s’imposent pour prévenir toute pratique contraire
à la Constitution. Notre expert allemand, le professeur Beulke,
a fait remarquer au cours de l’audition organisée en juin qu’à la
suite de l’arrêt restrictif rendu par le Tribunal constitutionnel,
la pratique des transactions pénales devant les tribunaux allemands
avait considérablement diminué. Son principal domaine d’application
est aujourd’hui celui de la criminalité économique en col blanc,
qui exige des enquêtes complexes et coûteuses en ressources et où
les peines encourues sont d’ailleurs assez légères, par rapport
aux crimes contre la personne humaine.
5.4. Limiter
la «pénalité associée au procès»
32. Comme nous l’avons vu, l’écart
important entre la peine prononcée à l’issue d’un procès ordinaire
et la peine proposée dans le cadre d’une transaction pénale («la
pénalité associée au procès») peut exercer une forte pression sur
les accusés et les contraindre à accepter une «transaction» alors
qu’ils sont innocents ou que les preuves à charge sont maigres.
Une réduction de peine excessive risque également d’amener les justiciables
à penser que la justice ne respecte pas l’État de droit. C’est la
raison pour laquelle la Cour fédérale de justice allemande (la juridiction
pénale suprême en Allemagne) a jugé, dans l’arrêt sus-mentionné
de Grande Chambre du 3 mars 2005, que la peine infligée à la suite
d’une transaction ne devait pas s’écarter de celle qui aurait probablement
été prononcée à l’issue d’un procès ordinaire au point de violer
les principes généraux applicables à la fixation de la peine. Cela
signifie que la transaction ne doit pas fixer une peine inférieure
à la peine minimale acceptable au regard de la gravité de l’infraction
et du degré de culpabilité de l’accusé, même en tenant compte de
la réduction de peine généralement accordée aux accusés qui ont
avoué leur crime.
5.5. Interdire
la renonciation au droit de recours
33. Il faut maintenir le droit
de faire appel de la condamnation pour préserver la possibilité
de remédier à d’éventuels vices de procédure ou autre violations
commis dans le processus de «négociation». C’est la raison pour
laquelle le Code de procédure pénale allemand (tel que modifié par
la Verständigungsgesetz précitée) exclut
expressément la possibilité de renoncer au droit de recours dans
la transaction. En revanche, la Cour européenne des droits de l’homme
a, dans son arrêt Natsvlishvili et Togonidze
c. Géorgie, admis l’impossibilité de recours devant une
juridiction supérieure contre la transaction pénale, considérant
qu’en acceptant cette dernière, M. Natsvlishvili avait renoncé en
connaissance de cause à son droit à un recours classique. Cette impossibilité
n’entraînait donc pas violation de l’article 2 du Protocole no 7
à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 117).
Toutefois, sans possibilité de recours, les juridictions supérieures
auront du mal à faire respecter les garanties prévues par la Convention
(notamment celles qu’exige la Cour européenne des droits de l’homme).
Cette situation porterait atteinte au principe de subsidiarité sur
lequel se fonde la Convention et finirait par obliger la Cour elle-même
à mettre de l’ordre dans l’application par les juridictions inférieures
nationales des dispositions relatives aux transactions pénales.
5.6. Autoriser
dans certains cas l’annulation d’une transaction pénale
34. Afin de préserver le principe
de justice effective sur lequel se fonde la procédure pénale, le
juge doit avoir la possibilité d’annuler une transaction pénale
lorsqu’en droit ou en fait d’importantes circonstances de l’espèce
ont été omises ou ont été produites par la suite, qui convainquent
le juge que la peine n’est plus appropriée.
5.7. Interdire
l’utilisation des aveux en qualité d’éléments de preuve en cas d’échec
ou d’annulation d’une transaction pénale
35. Le droit à un procès équitable
impose que les aveux faits dans le cadre de négociations en vue
d’une transaction pénale ne soient pas utilisés en qualité d’éléments
de preuve en cas d’échec ou d’annulation de cette transaction. Cette
garantie, qui vise à empêcher qu’un suspect ne se retrouve pris
au piège, est expressément prévue par le Code de procédure pénale
allemand, tel que modifié par la Verständigungsgesetz (paragraphe
257c IV 3).
5.8. Lutter
contre les inégalités raciales et sociales
36. Les études réalisées aux États-Unis
montrent qu’il existe une forte disparité raciale dans la réduction
de peine accordée en cas de reconnaissance de culpabilité. Compte
tenu de la diversité de plus en plus importante de la composition
de la population de nombreux pays européens, ce risque de discrimination
existe également dans les États membres du Conseil de l’Europe.
Il convient d’y remédier par une formation adéquate et des mesures
de sensibilisation, ainsi qu’en collectant des données pertinentes
en la matière et en agissant en conséquence.
37. Par ailleurs, du fait des inégalités sociales, les suspects
les plus pauvres, qui ne peuvent se permettre de verser une caution,
risquent de subir de plus fortes pressions pour qu’ils acceptent
de plaider coupable de manière à échapper à une détention provisoire.
Il convient là encore de lutter autant que possible contre ce risque
grâce à des mesures visant à réduire le recours abusif à la détention
provisoire
.
6. Conclusions
38. La «renonciation au procès»
(ou la «négociation en matière pénale», ou encore la «transaction
pénale») présente d’indéniables avantages, mais peut également comporter
des risques réels pour les droits de l’accusé et l’état de droit.
On peut se demander comment protéger le droit à un procès équitable
en l’absence de procès
.
Les normes internationales réglementant cette pratique, qui se développe
rapidement dans les États membres du Conseil de l’Europe et ailleurs,
sont rares, voire inexistantes. Dans bon nombre de nouvelles démocraties,
les mécanismes de renonciation au procès sont des «importations
américaines» dont les États-Unis ont fait une promotion insistante
dans leurs programmes d’assistance. Dans ces conditions, on est inévitablement
conduit à se demander s’il est réellement approprié d’«importer»
de tels mécanismes dans des systèmes de justice pénale dont les
traditions sont très différentes, notamment ceux des anciens pays soviétiques,
où la Prokuratura est encore redoutée pour ses pouvoirs exorbitants,
où les tribunaux ne prononcent presque jamais d’acquittement et
où le rôle des avocats de la défense demeure marginal.
39. Comme nous l’avons vu, le développement considérable de la
pratique des transactions pénales dans de nombreux pays européens
présente des avantages et des inconvénients. Ces inconvénients peuvent
et doivent être limités par la mise en place de garanties adéquates.
Certaines de ces garanties sont proposées dans le projet de résolution.
En l’absence, à l’heure actuelle, de solides éléments d’orientation
émanant de la Cour européenne des droits de l’homme (voir plus haut
le paragraphe 23), il serait selon moi opportun que le Comité des
Ministres élabore des lignes directrices qui pourraient prendre
la forme d’une recommandation adressée aux États membres, comme
le propose le projet de recommandation au Comité des Ministres.