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Rapport | Doc. 14618 | 17 septembre 2018

Accords négociés dans le cadre de procédures pénales: le besoin de normes minimales pour les systèmes de renonciation au procès

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Boriss CILEVIČS, Lettonie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14371, Renvoi 4326 du 13 octobre 2017. 2018 - Quatrième partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l'homme souligne l'importance de procès équitables dans les affaires pénales. Elle note que dans beaucoup d'États membres, des procès ordinaires ont progressivement été remplacés par des formes différentes de systèmes de renonciation au procès (la négociation de plaidoyer).

Les systèmes de renonciation au procès ont des avantages potentiels clairs. Ils économisent les ressources qui seraient nécessaires pour systématiquement tenir des procès en séance publique et aident à combattre la criminalité organisée en permettant aux procureurs d'offrir des «accords» aux témoins à charge potentiels.

Mais les systèmes de renonciation au procès ont également de sérieux inconvénients. Ils sont ouverts aux abus de la part de l'accusation et de la défense. En particulier, le secret des «négociations en coulisse» mine la confiance du public dans le système judiciaire et l’application juste et non discriminatoire de la loi.

La commission considère donc que des garanties appropriées sont nécessaires pour faire en sorte que les États membres puissent bénéficier des avantages potentiels que les systèmes de renonciation au procès peuvent offrir tout en minimisant la menace pour les droits de l’homme. Celles-ci comprennent l'obligation de faire appel à un avocat, d'instituer un niveau minimum d'enquête sur le crime sous-jacent à l'accord et la divulgation des résultats de l'enquête, l’exigence d’un contrôle judiciaire des éléments clés de l'accord (y compris la crédibilité et le caractère volontaire de l'aveu et de la justesse de la sanction résultant de l'accord de plaidoyer), la limitation de l'étendue de la «pénalité de procès», l’interdiction de renoncer aux droits d'appel et la surveillance des indicateurs de discrimination raciale ou basée sur la fortune.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 10 septembre
2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle l’obligation faite aux États membres de garantir l’existence de procès équitables en matière pénale. Les garanties prévues par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), en particulier dans son article 6, sont conçues pour protéger les innocents et pour promouvoir l’égalité des armes entre le ministère public et la défense, dans l’intérêt d’une justice effective.
2. Elle observe que, dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe et dans les États qui jouissent d’un statut d’observateur ou autre auprès du Conseil de l’Europe ou de l’Assemblée, la tenue d’un procès ordinaire au pénal a progressivement été remplacée par différentes formes de mécanismes de renonciation au procès (également appelés transaction pénale, reconnaissance de culpabilité, procédure abrégée ou procédure sommaire). Dans un certain nombre de pays, seule une minorité de condamnations pénales sont encore prononcées à l’issue d’un procès ordinaire.
3. Le développement rapide des mécanismes de renonciation au procès, en particulier en Europe centrale et orientale et dans les pays qui ont succédé à l’ancienne Union soviétique, est en partie le fruit des initiatives prises par les États-Unis pour promouvoir la transaction pénale selon le modèle américain dans le cadre de l’assistance technique dispensée aux nouvelles démocraties en vue de réformer leurs systèmes judiciaires. Compte tenu des différences marquées qui existent entre les systèmes de justice pénale d’Europe et entre l’Europe et les États-Unis, cette transposition présente des risques auxquels il convient de remédier pour atténuer le plus possible tout abus. Notamment, les pouvoirs étendus du ministère public (prokuratura) dans les systèmes de justice pénale de certains pays d’Europe orientale doivent être contrebalancés par une défense plus solide et par un rôle plus dynamique du tribunal, afin d’éviter que la «transaction pénale» ne vire au chantage.
4. Les mécanismes de renonciation au procès présentent des avantages évidents:
4.1. ils permettent d’économiser les ressources qu’exigerait la réalisation d’une enquête complète et approfondie sur l’ensemble des soupçons d’infraction et la tenue systématique d’un véritable procès public devant un tribunal. Certains types d’infractions moins graves, et pourtant fréquentes, ne justifient pas toujours de consacrer à chaque affaire les ressources limitées des services répressifs et de l’appareil judiciaire requises pour un procès ordinaire;
4.2. ils facilitent la concentration des ressources limitées des services répressifs sur des domaines prioritaires bien définis des activités criminelles;
4.3. ils peuvent contribuer à la lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment de capitaux et les autres formes de criminalité complexe, où la capacité du procureur à proposer une transaction à d’éventuels témoins à charge facilite la pénétration de structures criminelles fermées;
4.4. ils permettent aux suspects qui avouent et sont prêts à accepter une condamnation d’éviter, une longue enquête préalable au procès au cours de laquelle leurs droits pourraient faire l’objet de restrictions.
5. Mais les systèmes de renonciation au procès présentent également de sérieux inconvénients:
5.1. ils peuvent conduire à des abus commis par le ministère public et aussi par la défense. Le procureur peut menacer un prévenu d’une peine anormalement lourde s’il refuse d’avouer, même en l’absence d’éléments de preuve suffisants; l’avocat de la défense peut, dans une affaire complexe, persuader un procureur surchargé de travail d’accepter des aveux partiels et une condamnation à une peine légère en échange de l’abandon des poursuites pour d’autres infractions plus graves. Les victimes de la première forme d’abus sont habituellement les jeunes délinquants et les délinquants pauvres, tandis que la deuxième forme d’abus profite aux criminels en col blanc fortunés;
5.2. en permettant aux procureurs de faire l’économie d’un procès public devant un tribunal, la renonciation généralisée au procès finit par nuire à la capacité même des autorités à mener des enquêtes solides;
5.3. la confidentialité de la «négociation» est préjudiciable à la confiance des justiciables dans la justice et à l’application équitable et non discriminatoire du droit;
5.4. en accroissant la capacité de traitement des affaires du système de justice pénale sans surcoût en ressources, la transaction pénale entraîne une augmentation du nombre global des condamnations pénales. Cette augmentation (l’effet d’«élargissement du filet» de la répression) peut être incompatible avec une politique pénale optimale et les coûts induits par le surcroît de population carcérale qu’elle entraîne risquent fort d’annuler l’économie de ressources judiciaires réalisée grâce aux procédures de renonciation au procès.
6. L’Assemblée juge indispensable de prévoir des garanties adéquates pour veiller à ce que les États membres jouissent des avantages que peuvent offrir les mécanismes de renonciation au procès, tout en minimisant les risques qu’ils présentent pour les droits de l’homme, en particulier pour le droit à un procès équitable.
7. Elle salue et encourage la mise en commun des bonnes pratiques déjà en place dans plusieurs États membres, notamment:
7.1. l’obligation de recourir aux services d’un avocat (en Croatie, en Estonie, en France, en Géorgie, en Irlande, au Luxembourg, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et en Suisse);
7.2. l’imposition d’un minimum d’obligations en matière d’enquête et de communication de leurs résultats (en Finlande, en Allemagne et au Luxembourg);
7.3. l’obligation de contrôle juridictionnel des éléments essentiels de la transaction pénale et la limitation de l’écart entre la peine prononcée à l’issue d’un procès ordinaire et la peine proposée dans le cadre d’une transaction pénale (en Allemagne);
7.4. l’interdiction de la renonciation au droit de recours et la possibilité d’annuler dans certains cas une transaction pénale (en Allemagne).
8. L’Assemblée appelle l’ensemble des États membres et des États qui jouissent d’un statut d’observateur ou autre auprès du Conseil de l’Europe ou de l’Assemblée à mettre en œuvre les garanties suivantes, dont l’efficacité dépendra au final de l’existence d’une justice véritablement indépendante:
8.1. rendre obligatoire le recours aux services d’un avocat, en faisant de cette obligation une condition de validité de la transaction pénale, au besoin en le finançant par l’aide juridictionnelle, afin de garantir que les prévenus, en particulier les prévenus vulnérables comme les jeunes délinquants, soient traités de manière équitable, comme l’exige l’article 6.3.c de la Convention;
8.2. imposer un minimum d’enquête sur l’infraction qui fait l’objet de la transaction pénale et la communication des résultats de l’enquête, afin de permettre au prévenu de faire un choix en toute connaissance de cause, conformément au droit à la présomption d’innocence consacré à l’article 6.2 de la Convention, et de préserver la confiance du grand public dans l’équité du système de justice pénale;
8.3. exiger le contrôle juridictionnel des éléments essentiels de la transaction pénale, en particulier de la crédibilité et du caractère volontaire des aveux et de l’adéquation de la peine définie dans la transaction pénale;
8.4. limiter l’écart entre la peine prononcée à l’issue d’un procès ordinaire et la peine proposée dans le cadre d’une transaction pénale (la «pénalité pour demander un procès»), pour éviter que le prévenu ne subisse des pressions excessives, tout en veillant à ce que la peine se situe dans une fourchette acceptable et que le public puisse constater que justice soit faite;
8.5. interdire la renonciation au droit de recours, afin d’assurer le contrôle suffisant au niveau national de la pratique effective des juridictions inférieures en matière de transactions pénales;
8.6. prévoir la possibilité d’annuler une transaction pénale dans certains cas, en particulier lorsque l’apparition ou la connaissance de nouveaux faits rend la transaction pénale impropre et impose la prise de mesures supplémentaires par le ministère public; en pareil cas, les aveux faits à l’occasion de la transaction ne doivent pas être utilisés contre le prévenu;
8.7. limiter au minimum le recours à la détention provisoire à l’encontre des personnes soupçonnées d’infractions moins graves, en privilégiant des mesures alternatives;
8.8. assurer un suivi des indicateurs de partialité ou de discrimination fondée sur des considérations de race ou de fortune dans la réduction de peine proposée à l’occasion d’une transaction basée sur une reconnaissance de culpabilité et prendre les mesures qui s’imposent en matière de sensibilisation, de formation et, si besoin est, en matière disciplinaire, pour lutter contre toute partialité ou discrimination;
8.9. veiller à ce que les services répressifs et les juridictions pénales disposent de ressources suffisantes, pour éviter un recours excessif aux mécanismes de renonciation au procès motivé par des raisons purement budgétaires et permettre la mise en œuvre concrète des garanties recommandées ci-dessus;
8.10. veiller à ce que les tribunaux et les services répressifs exercent un suivi et un contrôle suffisants pour éviter tout chantage, toute pression ou toute autre forme de manipulation visant à contraindre les suspects à prendre part à un mécanisme de renonciation au procès.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 10 septembre 2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2018) «Accords négociés dans le cadre de procédures pénales: le besoin de normes minimales pour les systèmes de renonciation au procès».
2. Elle invite le Comité des Ministres:
2.1. à entreprendre une étude approfondie sur le recours aux mécanismes de renonciation au procès dans les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe;
2.2. à adresser aux États membres une série de recommandations conçues pour veiller à ce que, en cas d’utilisation des mécanismes de renonciation au procès, le risque que ces mécanismes présentent pour les droits de l’homme, en particulier pour le droit à un procès équitable, soit le plus limité possible.

C. Exposé des motifs, par M. Boriss Cilevičs, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Les procédures de règlement extrajudiciaire, telles que les procédures de transaction pénale (ou procédures de «reconnaissance de culpabilité», «procédures sommaires» ou encore «procédures abrégées»), sont largement utilisées dans les procédures pénales liées à divers types d’infractions dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. En règle générale, mais pas obligatoirement, ces procédures impliquent une reconnaissance explicite de la culpabilité. Dans le cadre de mes fonctions de rapporteur de la commission de suivi, j’ai été confronté à l’utilisation massive des procédures de transaction pénale dans les «nouvelles démocraties». Ces procédures permettent de garantir une accélération substantielle de la procédure pénale et de réaliser des économies importantes. Toutefois, le recours à ces procédures, de plus en plus répandu, comporte également des risques pour le respect des principes «traditionnels» de l’État de droit, en particulier le principe du procès équitable. Compte tenu de l’importance que ces procédures ont acquise au cours de ces dernières années, il est étonnant qu’il n’existe en la matière presqu’aucune norme de droit international universellement admise.
2. En conséquence, l’Assemblée parlementaire a décidé de mener une étude sur l’application de ces procédures dans la pratique, notamment de la transaction pénale, et d’analyser les bonnes pratiques, les risques et les problèmes, dans le but d’élaborer des recommandations pertinentes à l’attention des États membres.
3. Les travaux de recherche que j’ai menés en qualité de rapporteur 
			(3) 
			La commission des questions
juridiques et des droits de l'homme a nommé M. Boriss Cilevičs (Lettonie,
SOC) rapporteur le 12 décembre 2017. sur cette question ont confirmé les impressions que m’a laissées mon expérience au sein de la commission de suivi. Ces procédures sont encore plus répandues que je ne l’avais cru et, dans certains cas, très préoccupantes. Il semble que le procès ordinaire, assorti de toutes les garanties procédurales découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), devienne peu à peu l’exception et la «négociation» la règle 
			(4) 
			Voir «The Disappearing
Trial – Towards a rights-based approach to trial waiver systems»,
Fair Trials International, 27 avril 2017: <a href='https://www.fairtrials.org/the-disappearing-trial-report/'>https://www.fairtrials.org/the-disappearing-trial-report/</a>.. En particulier, on ne sait pas au juste comment les garanties offertes par la Convention peuvent concrètement s’appliquer pour éviter que des innocents ne se voient contraints de conclure des «transactions» qui leur vaudraient une inscription au casier judiciaire, ou pire.
4. Comme en a convenu la commission des questions juridiques et des droits de l’homme à la suite de ma note introductive, le thème défini dans le titre de la proposition de résolution («Procédures de règlement extrajudiciaire en matière de justice pénale: avantages et risques») était trop vaste pour pouvoir être traité dans un seul et même rapport. Les procédures de règlement extrajudiciaire en matière de justice pénale englobent normalement l’ensemble des pratiques que les criminologues qualifient de «déjudiciarisation», qui consistent à «détourner» l’attitude à adopter face à la en général petite délinquance de toute sanction pénale pour l’orienter vers des programmes de traitement ou de soins, des tentatives de conciliation entre l’auteur de l’infraction et la victime ou des peines de substitution de diverses natures. La déjudiciarisation peut intervenir très tôt dans le processus pénal, par exemple dès que la police identifie un suspect, ou plus tard, après les accusations portées par la police; elle peut être formelle ou informelle, être précisément réglementée par la loi ou laissée à la discrétion de la police et des procureurs. Mais contrairement aux pratiques de négociation en matière pénale, ces alternatives au procès n’aboutissent pas à une condamnation pénale. Au contraire, elles «détournent» les suspects de toute poursuite pénale. Ces stratégies de détournement ont une utilité et un intérêt manifestes, notamment parce qu’elles constituent des instruments de lutte contre la surpopulation carcérale et la «surincrimination 
			(5) 
			Voir
ce terme dans l’Encyclopedia Britannica, <a href='https://www.britannica.com/topic/diversion'>https://www.britannica.com/topic/diversion</a>; <a href='https://www.aclu.org/blog/juvenile-justice/youth-incarceration/diversion-keeps-kids-out-criminal-justice-system-too-many'>https://www.aclu.org/blog/juvenile-justice/youth-incarceration/diversion-keeps-kids-out-criminal-justice-system-too-many; </a>Online Lexikon der Kriminologie (en allemand),<a href='http://www.krimlex.de/artikel.php?BUCHSTABE=&KL_ID=53'> www.krimlex.de/artikel.php?BUCHSTABE=&KL_ID=53.</a>», et elles posent en soi d’intéressantes questions juridiques et politiques. Elles font l’objet de critiques contradictoires, les uns leur reprochant de porter atteinte à la stricte application de la loi, les autres de contribuer à «élargir le champ» des réponses sociales répressives à des comportements perçus comme déviants 
			(6) 
			Sur
ce point, voir, par exemple, le manuel de justice réparatrice: <a href='http://restorativejustice.org/restorative-justice/about-restorative-justice/tutorial-intro-to-restorative-justice/lesson-5-implementation-issues/diversion-or-net-widening/'>http://restorativejustice.org/restorative-justice/about-restorative-justice/tutorial-intro-to-restorative-justice/lesson-5-implementation-issues/diversion-or-net-widening/#sthash.INLusiGd.dpbs</a>.. Cela dit, aussi intéressantes soient-elles, ces questions devraient être traitées dans un rapport séparé car leur inclusion dans le présent rapport le rendrait trop général et conduirait de ce fait à les traiter de manière superficielle.
5. Le présent rapport porte plus précisément sur la question de la «négociation» dans les procédures pénales, qui transparaît dans le nouvel intitulé décidé par la commission lors de sa réunion de mars 2018, étant entendu que les différentes formes de transaction en matière pénale supposent la renonciation totale ou partielle du prévenu à son droit à un procès ordinaire.

2. La négociation en matière pénale – prévalence dans la pratique et tendances récentes

6. La négociation en matière pénale trouve son origine dans le droit américain, et plus généralement dans la common law. La transaction pénale a pris de l’ampleur aux États-Unis dans les années 20, lorsque la prohibition a entraîné une très forte augmentation du nombre des infractions pénales. Le fait de transiger avec les suspects, de manière à ce qu’ils plaident coupable en échange d’une condamnation à une peine plus légère, avait alors semblé le seul moyen de faire face à cet afflux de procédures. La transaction pénale a survécu à l’abandon de la prohibition. Dans les années 70, la Cour suprême des États-Unis a largement reconnu la constitutionnalité de cette pratique 
			(7) 
			Brady v. United States, 397 U.S.
742 (1970).. Il est alors devenu impossible d’en empêcher la généralisation. En 1980, seuls 19 % des prévenus poursuivis dans des affaires pénales fédérales allaient jusqu’au procès et, depuis 2010, ce chiffre se situe au-dessous de 3 % 
			(8) 
			Voir The Economist du 9 septembre 2017,
«A deal you can’t refuse, The troubling spread of plea-bargaining
from America to the world». . La transaction pénale est liée à la nature traditionnellement contradictoire du procès dans les pays de common law, qui donne lieu à un affrontement – mis en scène dans de nombreux films hollywoodiens – entre le procureur et l’avocat de la défense devant un jury, affrontement simplement modéré par le juge, qui est cantonné à un rôle d’«arbitre» neutre. Les acquittements ne sont pas rares. L’issue du procès dépend en grande partie – sinon entièrement – du professionnalisme et du zèle du procureur et de l’avocat de la défense. Il en découle une conception procédurale de la vérité: elle est ce que le jury décide, au vu des preuves produites devant lui. Il en va différemment dans la plupart des ordres juridiques «continentaux» basés sur le droit romain, dont la procédure pénale généralement «inquisitoire» oblige le tribunal (qui est souvent, pour les affaires graves, une juridiction collégiale dont un membre est désigné juge rapporteur) à rechercher activement la vérité dans une démarche «inquisitrice» non exclusivement fondée sur les mesures d’instruction demandées par le ministère public et la défense. Le ministère public est juridiquement tenu de suivre les preuves, à charge et à décharge, où qu’elles puissent mener, de manière neutre, avec l’assistance de la police. Le rôle de l’avocat de la défense se borne en principe à plaider pour l’accusé, en mettant en valeur les éléments de l’affaire qui sont en sa faveur et en atténuant ceux qui lui sont défavorables. En général, les systèmes contradictoires reconnaissent au ministère public une ample marge d’appréciation en matière d’opportunité des poursuites et de choix de la qualification pénale des infractions objet des poursuites. À l’inverse, dans les systèmes juridiques continentaux («inquisitoires»), le ministère public est tenu par le «principe de légalité», qui l’oblige à poursuivre chaque fois qu’il existe des preuves suffisantes de la commission d’une infraction. En pratique toutefois, le principe de l’opportunité des poursuites appliqué dans les systèmes de common law est limité par des freins et contrepoids, tandis que le principe de légalité en vigueur dans les systèmes judiciaires continentaux connaît des exceptions si nombreuses que le ministère public bénéficie en réalité d’une latitude considérable qui laisse place à la négociation. Plus cette latitude laissée au parquet est ample, plus la marge de «négociation» sera étendue, pour le meilleur ou pour le pire.
7. Il ressort d’une étude empirique menée par Fair Trials International sur 90 pays que les «mécanismes de renonciation au procès», sous différentes formes, ont connu une expansion considérable dans le monde entier au cours des 25 dernières années. Entre 1990 et fin 2015, le nombre de pays disposant de mécanismes de renonciation au procès est passé de 19 sur 90 à 66 sur 90 et cette évolution touche différents systèmes et traditions juridiques. Dans certains pays, la «négociation» a pris largement le pas sur le procès – par exemple, aux États-Unis. Dans certains pays, ce processus s’est accompli rapidement, en quelques années. Dans les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale, et en particulier dans l’ex-Union soviétique, ce phénomène est clairement lié à l’action menée par les conseillers américains pour promouvoir le modèle américain de la transaction pénale, notamment en Géorgie sous la présidence de M. Saakashvili. Le recours à la transaction pénale en Géorgie a fait l’objet de vives critiques, formulées notamment par M. Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe 
			(9) 
			Voir Report by Thomas
Hammarberg following his visit to Georgia from 18 to 20 April 2011,
document CommDH(2011)22 on «Administration of justice and protection
of human rights in the justice system in Georgia», paragraphe 73
(en anglais).. La délégation géorgienne a eu la gentillesse de me fournir des données statistiques qui indiquent que le nombre de jugements rendus à la suite d’une transaction pénale a diminué depuis les années 2010 – 2011, date à laquelle il était au plus haut, jusqu’en 2017, passant ainsi de 16 000 à 10 000 cas. Mais le chiffre de 2017 représentait encore plus du double de celui des jugements rendus cette année-là dans le cadre d’un procès classique «sur la base de la prise en compte des éléments essentiels de l’affaire».
8. Indépendamment du fait que le «modèle américain» fasse en soi l’objet de sérieuses critiques 
			(10) 
			Voir par exemple Emilio
C. Viano, Plea Bargaining in the United States: a Perversion of
Justice, Revue internationale de droit
pénal, 2012/1 (vol. 83), p. 109-145, qui comporte de
nombreuses autres références. La présentation la plus radicale des
caractéristiques du modèle américain figure dans une thèse de doctorat
hongroise: «Have we sold out true justice for the cheap convenient
fast-food of plea bargaining McJustice?» (Samantha Joy Cheesman,
A comparative analysis of plea bargaining and the subsequent tensions
with an effective and fair legal defense, université de Szeged, 2014,
p. 234., on peut se demander si sa transposition est judicieuse dans des pays dont la culture juridique et judiciaire est très différente, du point de vue notamment de la probabilité d’acquittement d’un accusé ayant refusé une «transaction» proposée par le ministère public. L’équité des mécanismes de renonciation au procès dépend de l’équilibre des pouvoirs entre le ministère public et la défense. Cet équilibre peut être considéré comme raisonnablement satisfaisant aux États-Unis (sous réserve que le prévenu ait les moyens de faire appel aux services d’un avocat compétent et motivé), mais il l’est moins dans les systèmes «inquisitoires» d’Europe occidentale (où le rôle des juges est particulièrement marqué) et s’avère totalement insuffisant dans les systèmes de procédure pénale d’Europe orientale, qui restent dominés par un ministère public surpuissant (la «prokuratura»), issu de la tradition soviétique. Malgré cette incompatibilité, le Service du développement, de l’assistance et de la formation du ministère public à l’étranger (OPDAT) du Département américain de la Justice, créé en 1991, a dispensé après l’éclatement de l’Union soviétique, dans le cadre des mesures américaines d’aide à l’étranger, des éléments d’orientation et une formation nettement orientés à promouvoir la procédure de transaction pénale 
			(11) 
			The
Economist, supra note
9, p. 3..
9. L’ampleur de cette tendance est illustrée dans le tableau ci-dessous, qui résume les données recueillies par l’ONG Fair Trials sur les dates d’introduction de mécanismes de renonciation au procès et la proportion des condamnations pénales découlant d’une «transaction» dans les États membres du Conseil de l'Europe:

Pays (membre du Conseil de l’Europe)

Année d’introduction d’un MRP*

% de MRP *

Avant 1990

1990-1999

2000-2009

2010-2016

Albanie

   

X

   

Arménie

   

X

   

Autriche

X

       

Bosnie- Herzégovine

   

X

 

41% (2015)

Croatie

   

X

 

4,6 % (2014)

République tchèque

     

X

0,07% (2014)

Danemark

   

X

   

Estonie

 

X

   

64% (2014)

Finlande

     

X

 

France

   

X

   

Géorgie

   

X

 

87,8% (2012)

Allemagne

   

X

   

Hongrie

 

X

   

0,23% (2014)

Islande

   

X

   

Irlande

X

       

Italie

X

     

4% (2008)

Lituanie

   

X

   

Luxembourg

     

X

 

Pays-Bas

   

X

   

Norvège

   

X

   

Pologne

 

X

   

43% (2015)

Roumanie

     

X

 

Fédération de Russie

X

     

64% (2014)

Serbie

   

X

 

4% (2014)

Espagne

X

     

45,7% (2014)

Suisse

   

X

   

«L’ex-République yougoslave de Macédoine»

     

X

 

Turquie

X

       

Ukraine

     

X

 

Royaume-Uni

X

     

70% (2014)

* MRP = mécanismes de renonciation au procès: transaction pénale, procédures abrégées et procédures de collaboration de témoins

* % de MRP = pourcentage d’affaires réglées par un mécanisme de renonciation au procès

10. Les données recueillies par Fair Trials pourraient même sous-estimer l’importance réelle de la «négociation» en matière pénale, car il est difficile de quantifier les pratiques officieuses de «négociation» qui ont souvent cours avant que le législateur ne leur apporte une certaine reconnaissance en les codifiant. Toutefois, il ressort manifestement de ces données qu’il existe une très forte tendance au remplacement du procès pénal traditionnel par des mécanismes de renonciation au procès qui peuvent prendre différentes formes. Il convient donc d’examiner les avantages et les risques des pratiques en question.

3. Diversité des mécanismes de renonciation au procès

11. Les différences considérables qui existent entre les systèmes judiciaires se reflètent dans la diversité des mécanismes de renonciation au procès et de leurs appellations (par exemple «transaction pénale» ou «reconnaissance de culpabilité», «procédure sommaire» ou «procès abrégé»). Ces pratiques ont en commun la renonciation de la personne accusée d’une infraction pénale à son droit à un véritable procès en échange d’un avantage consenti par les autorités publiques. Les dispositifs de renonciation au procès dont l’étude susmentionnée de Fair Trials fournit une description précise comprennent notamment les procédures de coopération avec les «témoins à charge» qui acceptent de témoigner contre leurs coaccusés en échange d’un allégement de peine. Les contreparties offertes par les autorités publiques peuvent porter sur les faits délictueux (sous la forme d’une renonciation à enquêter sur certains faits ou à les prendre en compte en échange de la reconnaissance, par l’accusé, d’autres faits de moindre gravité) ou sur les charges retenues (les autorités acceptant alors de donner aux faits délictueux une qualification moins grave que celle qu’elles auraient pu leur attribuer, par exemple en requalifiant un meurtre en homicide). Si les avantages et les risques diffèrent quelque peu selon les mécanismes de renonciation au procès, bon nombre de questions concernent toutes les modalités de cette pratique.

4. Avantages et risques des mécanismes de renonciation au procès

4.1. Économiser des ressources judiciaires limitées

12. La raison principale du succès des mécanismes de renonciation au procès tient à ce qu’ils paraissent ménager les ressources limitées de la justice pénale en faisant l’économie de nombreux procès ordinaires. On a fait valoir que ces mécanismes offraient le meilleur moyen d’éviter l’impunité de fait de nombreux délinquants et le recours abusif à la détention provisoire de suspects qui seraient autrement maintenus en détention pendant une longue période avant que la date de leur procès ne puisse être fixée, surtout dans les pays ayant un taux élevé d’infractions pénales de faible ou de moyenne gravité et un système judiciaire doté de moyens financiers insuffisants.
13. Mais la transaction pénale ne présente pas seulement des avantages pour les pays dont le taux de criminalité est élevé et dont les services répressifs manquent de moyens. La Finlande, qu’on ne saurait soupçonner d’appartenir à cette catégorie de pays, aurait mis en place en 2015 une procédure de transaction pénale à la suite d’un certain nombre de violations constatées par la Cour européenne des droits de l’homme du droit à la tenue d’un procès dans un délai raisonnable 
			(12) 
			Ibid..
14. Les systèmes judiciaires (dans un sens large englobant le ministère public et les tribunaux) de nombreux pays sont extrêmement surchargés et en situation de sous-effectif. En pareil cas, il existe en théorie trois possibilités: 1) les services répressifs peuvent renoncer à mener des investigations et des poursuites complètes sur chacune des infractions pour lesquelles il existe des indices de culpabilité propres à justifier des poursuites, et fixent des priorités fondées sur des critères plus ou moins objectifs; 2) les services répressifs tentent l’impossible, mais délaissent de nombreuses affaires qui resteront en suspens jusqu’à ce qu’elles soient prescrites et, dans le pire des cas, laissent les suspects, même s’ils sont innocents, subir de longues périodes de détention provisoire jusqu’à ce que la prescription soit acquise (situation que l’on observe malheureusement dans de nombreux pays); ou 3) les services répressifs écourtent la procédure et traitent les affaires sans mener d’enquête sur l’intégralité des faits concernés et sans aller jusqu’à un véritable procès (en ayant recours à des mécanismes de renonciation partielle ou complète au procès).
15. De toute évidence, les deux premières options au moins sont peu attrayantes. Idéalement, les services répressifs devraient disposer de ressources suffisantes pour traiter correctement l’ensemble des affaires de manière à éviter toute impunité, en respectant pleinement les garanties procédurales du procès pénal ordinaire. Mais il en va rarement ainsi en pratique. Il est beaucoup plus courant que l’on soit confronté à des situations regrettables dans lesquelles des criminels en col blanc (ou leurs avocats expérimentés et onéreux) intimident des procureurs surchargés et sous-payés – dont le travail est évalué au regard du nombre d’affaires réglées ou, pire encore, du nombre de condamnations obtenues – en leur laissant entendre qu’ils s’apprêtent à produire des montagnes de documents à examiner et à faire citer une multitude de témoins tout en leur offrant de plaider coupable pour une petite partie des délits réellement commis, en échange d’une condamnation à une peine légère (de préférence assortie d’un sursis). À l’inverse, et cela est tout aussi inacceptable, il peut arriver que de petits délinquants (ou des primo-délinquants, ou de jeunes délinquants) contre lesquels les preuves à charge sont au mieux fragiles se trouvent contraints de conclure une «transaction» qui leur vaudra une inscription au casier judiciaire – et peut-être un séjour en prison – sans qu’un avocat ait pu les informer qu’ils avaient de fortes chances d’être acquittés (ou qu’ils aient pour défenseur un avocat commis d’office, lui aussi surchargé et sous-payé, dont les ressources dépendent du nombre d’affaires qui lui sont confiées et qui répugnera donc à passer pour un perturbateur aux yeux de la justice). Ce second scénario est particulièrement susceptible de se produire dans les pays où le taux de condamnations est élevé et où il existe d’importants écarts entre les peines minimales et maximales prévues par le code pénal.
16. Par ailleurs, s’il est clair que la «négociation» est ponctuellement moins consommatrice de ressources qu’un procès ordinaire, il n’est pas aussi certain qu’un recours extensif aux mécanismes de renonciation au procès permette au bout du compte d’économiser des ressources publiques. L’accroissement de la capacité du système judiciaire à traiter les affaires conduit à une augmentation des condamnations, et donc de la population carcérale. Le coût élevé de l’emprisonnement pourrait s’avérer égal ou supérieur aux économies que les pouvoirs publics réalisent en évitant la tenue de nombreux procès en bonne et due forme. De plus, comme l’indiquait un précédent rapport de l’Assemblée sur la promotion des alternatives à l’emprisonnement 
			(13) 
			Voir le rapport intitulé
«La promotion d’alternatives à l’emprisonnement» (rapporteure: Mme Natasa
Vučković, Serbie, SOC), Doc.
13174, et la Résolution
1938 (2013) et la Recommandation
2018 (2013)., le coût réel de l’incarcération de masse ne se limite pas aux dépenses publiques consacrées au gîte et au couvert des détenus: l’effet d’élargissement de la répression produit par les mécanismes de renonciation au procès, qui permettent à l’État d’augmenter le nombre de poursuites et de condamnations, induit bien d’autres coûts sociaux. La transaction pénale, qui permet au ministère public et aux tribunaux de traiter d’importants volumes d’affaires de manière expéditive, peut être considérée comme un facteur favorisant l’incarcération et la criminalisation de masse 
			(14) 
			Étude de Fair Trials, supra note 5, p. 17: on estime qu'un
tiers des Américains ont été arrêtés avant l'âge de 23 ans et que
2 millions d'entre eux sont en prison..

4.2. Éviter une enquête complète et contourner les garanties procédurales de l’accusé

17. Les mécanismes de renonciation au procès peuvent éviter aux autorités d’examiner l’ensemble des faits relatifs à une infraction et de recueillir des témoignages. Ils contribuent en cela à économiser des ressources judiciaires, comme nous l’avons indiqué ci-dessus. Ils peuvent également épargner aux victimes de certaines infractions le traumatisme d’avoir à témoigner en audience publique, d’être confrontées à l’auteur de l’infraction et de revivre l’infraction. C’est particulièrement important pour les infractions dont les victimes sont des mineurs et pour les infractions à caractère sexuel en général. Mais ils peuvent aussi conduire à l’impunité (partielle) des auteurs d’infractions «complexes», coûteuses en moyens (qui relèvent dans la plupart des cas de la criminalité en col blanc), ou, au contraire, à la condamnation de personnes innocentes contraintes de conclure une transaction pénale sous la menace d’une peine beaucoup plus lourde en cas de procès, d’autant que leurs chances d’acquittement sont faibles. La situation des innocents qui plaident coupable aux États-Unis a été abondamment étudiée 
			(15) 
			Voir les affaires consultables
sur le site <a href='http://www.innocenceproject.org/'>www.innocenceproject.org</a> et <a href='http://guiltypleaproblem.org/'>http://guiltypleaproblem.org.</a>. D’après l’étude menée par Fair Trials 
			(16) 
			Supra note
5., le prévenu est d’autant plus contraint à conclure une transaction pénale qu’il estime particulièrement avantageux de plaider coupable pour une infraction moins grave, parce qu’il existe un écart très important entre la peine infligée à ceux qui plaident coupable et celle infligée à ceux qui choisissent la voie du procès; la doctrine américaine 
			(17) 
			Il ressort de l'étude
de Fair Trials qu'en 2012, les peines infligées à l’issue d’une
transaction pénale aux personnes accusées de trafic de stupéfiants
au niveau fédéral s’élevaient en moyenne à cinq ans et quatre mois,
tandis que les peines infligées à celles qui avaient opté pour un
procès s’élevaient en moyenne à seize ans (supra note
5, p. 17). qualifie d’ailleurs cet écart de «pénalité associée au procès», ce qui veut tout dire. Il est pratiquement impossible de résister à cette contrainte sous la menace de la peine capitale, situation qui s’est présentée dans une affaire américaine citée dans l’étude menée par Fair Trials 
			(18) 
			Brady
v. US, 397 U.S. 742 (1970). La Cour suprême américaine
a jugé que le fait d’accorder «une réduction de peine considérable»,
et même d’écarter le risque de la peine capitale, ne portait pas
atteinte au caractère volontaire d’une transaction pénale. . Des études ont également montré qu’il existe une corrélation certaine entre les peines minimales obligatoires de longue durée et le développement de la transaction pénale. Certains procureurs reconnaissent ouvertement utiliser ces peines minimales obligatoires lourdes pour contraindre les accusés à une transaction pénale 
			(19) 
			Dans une lettre adressée
en 2014 au ministre américain de la Justice de l'époque, Eric Holder,
des procureurs ont déclaré que «les peines minimales obligatoires
constituent un instrument essentiel pour convaincre les accusés
de coopérer» (étude de Fair Trials, supra note
5, p. 17). .
18. Les travaux de recherches empiriques montrent que les faux aveux faits dans le cadre d’une transaction pénale représentent un problème particulièrement important. Sur 149 citoyens américains innocentés en 2015, 65 avaient plaidé coupable 
			(20) 
			Owen Bowcott, «“Global
epidemic” of US-style plea bargaining prompts miscarriage warning», The Guardian, 27 avril 2017.. The Innocence Project 
			(21) 
			Une
ONG spécialisée dans le recours aux éléments de preuve ADN pour
réexaminer des affaires ayant abouti à une condamnation, <a href='https://www.innocenceproject.org/dna-exonerations-in-the-united-states/'>https://www.innocenceproject.org/dna-exonerations-in-the-united-states/.</a> a constaté que 10 % des personnes condamnées pour viol et meurtre, dont il a été en mesure de prouver l’innocence, avaient plaidé coupable. Ces chiffres sont probablement inférieurs à l’ampleur du problème, car les travaux menés pour innocenter les condamnés privilégient les crimes particulièrement graves pour lesquels les peines sont lourdes et l’existence de preuves matérielles plus probable. Dans l’immense majorité des infractions (moins lourdes), les faux aveux faits sous la menace de subir la «pénalité associée au procès» risquent d’être plus fréquents encore. Une étude expérimentale réalisée en 2013 par Lucian Dervan et Vanessa Edkins 
			(22) 
			Lucian E. Dervan et
Vanessa A. Edkins Ph.D., The Innocent Defendant's Dilemma: An Innovative
Empirical Study of Plea Bargaining's Innocence Problem, 103 J. Crim. L. & Criminology 1 (2013). révèle qu’une majorité de personnes «innocentes» (accusées de tromperie) ont «avoué» dans le cadre d’une transaction pénale pour éviter une condamnation à une peine (légère). Une autre étude indique que les participants «coupables» n’ont pas davantage tendance à plaider coupable lorsque le ministère public leur fait une proposition plus avantageuse. En revanche, plus est forte l’incitation (la «pénalité associée au procès») offerte aux «innocents», plus ils sont susceptibles de faire de faux aveux 
			(23) 
			The Economist, supra note 9, p. 5.. Cela montre que le fait de limiter la pénalité associée au procès (ou l’atténuation de la peine en cas d’aveux), comme c’est le cas en Allemagne et en Espagne, représente une importante garantie.
19. Les mécanismes de renonciation au procès peuvent aussi compromettre une fonction importante du procès pénal, qui consiste à assurer le contrôle public du bon fonctionnement de la police et du ministère public et qui contribue à préserver la confiance du public dans la justice pénale. Le recours très répandu à la transaction pénale, qui évite d’avoir à vérifier les éléments de preuve et à présenter un dossier solide à l’occasion d’un procès public, peut même conduire les services de police et du ministère public à perdre l’habitude de mener des enquêtes judiciaires rigoureuses et, à la longue, les compétences nécessaires à ces enquêtes. La limitation du contrôle public peut également amoindrir le risque pour les auteurs de violations des droits de l’homme (violences, voire actes de torture) généralement commises entre le moment de l’arrestation et le début du procès de devoir rendre des comptes de leurs actes, atténuant ainsi cet important facteur de dissuasion contre de tels abus.
20. À ce propos, il est intéressant de noter que la pratique courante au Royaume-Uni des transactions pénales aurait entraîné une diminution des condamnations prononcées pour viol 
			(24) 
			Rachel Williams, «Fewer
rape convictions because plea bargains prevail, report suggests», The Guardian, 20 mars 2010.. Ce chef d’accusation tend à être remplacé par une accusation moins lourde lorsque les prévenus proposent de plaider coupable pour une infraction à caractère sexuel moins grave. Cette tendance peut avoir de terribles conséquences pour la victime, par exemple lorsqu’un viol est requalifié en relations sexuelles avec un mineur, ce qui laisse entendre que la victime était consentante. D’après les statistiques du ministère de la Justice, en 2008, seules 38 % des affaires de viols ont abouti à une condamnation pour viol au sens propre.
21. En revanche, il est indéniable que la possibilité offerte aux services répressifs de proposer une «transaction» à un suspect disposé à coopérer peut leur permettre de «mettre au jour» une affaire plus importante en obtenant de ce suspect qu’il témoigne contre les autres auteurs de l’infraction, qui auraient sans cela échappé au bras de la justice. Lorsqu’elle est utilisée honnêtement, cette tactique peut être un instrument légitime, en particulier dans la lutte contre la criminalité organisée, et elle est largement employée en Italie («les repentis») et aux États-Unis, où elle donne d’excellents résultats.

5. Les indispensables garanties des droits de l’accusé

22. Comme nous l’avons vu précédemment, les mécanismes de renonciation au procès comportent des risques importants, mais aussi d’indéniables avantages, et sont peut-être tout simplement inévitables. Même des systèmes judiciaires tels que le système allemand, qui écartaient habituellement toute idée de «transaction» extrajudiciaire en matière pénale, en sont venus – certes avec réticence – à reconnaître cette pratique. Au même moment, les législateurs de ces pays ont fini par réglementer une pratique qui avait déjà cours et qui était tout simplement impossible à éliminer.
23. Étonnamment, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas encore eu l’occasion de fixer des normes en la matière. À ma connaissance, seules deux affaires traitent de la transaction pénale. Dans la première, Deweer c. Belgique, la Cour a constaté une violation de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, en faisant remarquer qu’«[e]n résumé, la renonciation de M. Deweer à un procès équitable, entouré de l’ensemble des garanties que la Convention exige en la matière, se trouvait entachée de contrainte» 
			(25) 
			Requête no 6903/75,
arrêt du 27 février 1980 (paragraphe 54).. Dans la seconde affaire, Natsvlishvili et Théogonie c. Géorgie 
			(26) 
			Supra note 21., la Cour a admis la validité de la reconnaissance de culpabilité, malgré certains éléments inquiétants de l’espèce, comme la renonciation au droit de recours
24. Compte tenu des possibilités offertes par la transaction pénale, mais également de ses éventuelles embûches, il importe de mettre en place et de faire respecter dans la pratique certaines garanties destinées à protéger les droits de l’accusé dans toute la mesure du possible, pour réduire les risques de violation des droits de l’homme, tout en conservant les avantages de cette pratique, notamment son efficacité. Mes activités de recherche, en particulier l’audition à laquelle la commission a procédé en juin 2018, ont donc avant tout visé à recueillir des idées et des propositions relatives à ces garanties, qui sont synthétisées dans le projet de résolution. Cette démarche vise à réglementer de manière satisfaisante la pratique de la «renonciation au procès», qui ne disparaîtra pas, que nous le voulions ou non 
			(27) 
			Les tentatives d'interdiction
des transactions pénales dans différents États des États-Unis ont
lamentablement échoué (voir The Economist, supra note 9, p. 6).. Les garanties que je propose de recommander sont les suivantes:

5.1. rendre le recours aux services d’un avocat obligatoire

25. L’accès à un avocat est important même lorsque l’accusé bénéficie d’un véritable procès. il est vital en matière de transaction pénale: comme l’ont indiqué nos experts au cours de l’audition au mois de juin, seul un avocat est en mesure d’informer l’accusé de ses chances d’acquittement en cas de procès et de lui expliquer toutes les conséquences d’une transaction impliquant une condamnation pénale. c’est tout particulièrement le cas pour les mineurs. le recours aux services d’un avocat est déjà obligatoire, sous peine d’invalidité de la transaction pénale, en Croatie, en Estonie, en France, en Géorgie, en Irlande, au Luxembourg, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et en Suisse 
			(28) 
			Étude de Fair Trials, supra note 5, p. 52.. Étonnamment, pour notre expert allemand, ce n’est toujours pas le cas en Allemagne.
26. Par ailleurs, pour que cette garantie essentielle soit effective, les avocats commis d’office à la défense des accusés démunis doivent être correctement rémunérés afin de pouvoir consacrer le temps nécessaire à la défense efficace des intérêts de leurs clients, et ne doivent pas se trouver en situation de dépendance par rapport au ministère public, qui devrait être exclu du processus de sélection des défenseurs publics ou des avocats commis d’office.

5.2. Imposer des exigences minimales en matière d’enquête et de communication des résultats de l’enquête

27. Le risque qu’une personne innocente soit contrainte de conclure une transaction pénale par un procureur qui ne dispose pas de preuves suffisantes pour obtenir sa condamnation à la suite d’un procès classique doit être réduit au minimum. Afin de minimiser ce genre d’abus, on pourrait notamment envisager de subordonner la validité des transactions pénales au respect de normes minimales en matière d’établissement des faits et de réunion des preuves, et à la communication des résultats de l’enquête à l’accusé et à son avocat. La communication des résultats de l’enquête permet à l’avocat de l’accusé d’évaluer correctement les chances d’acquittement de son client en cas de procès. Elle contribuerait également à dissiper l’impression que les renonciations au procès en matière pénale résultent d’«arrangements en coulisses» douteux, impression qui sape la confiance du public dans la justice. Il ressort de l’étude réalisée par Fair Trials que le Luxembourg et la Finlande imposent déjà une obligation de communication des résultats de l’enquête aux accusés qui expriment le souhait de renoncer à un procès. Ces bonnes pratiques mériteraient d’être étendues à d’autres pays.

5.3. Prévoir un contrôle juridictionnel des éléments essentiels de la transaction pénale

28. Afin de prévenir d’éventuels abus de la part de la police ou du ministère public, il faut prévoir un contrôle juridictionnel minimum des résultats du «processus de négociation». Ce contrôle doit également porter sur la procédure suivie, le tribunal devant obtenir confirmation de la part de l’accusé qu’il a renoncé au procès de son plein gré. Cette confirmation devrait être recueillie par le tribunal hors la présence du procureur, pour éviter tout risque d’intimidation. Le contrôle juridictionnel devrait également porter sur la crédibilité des aveux qui sont habituellement passés dans le cadre d’une transaction. Le tribunal devrait être convaincu de la véracité de ces aveux et ne pas se contenter de la reconnaissance formelle de l’infraction par l’accusé.
29. Selon les dispositions de la loi allemande sur les transactions en matière pénale (Verständigungsgesetz), qui sont fondées sur un arrêt rendu par la Grande Chambre le 3 mars 2005 
			(29) 
			Arrêt du
3 mars 2005, BGHSt 50, 40-64 (en allemand)., les aveux doivent être suffisamment détaillés et concrets pour permettre le contrôle de leur conformité avec les résultats de l’enquête versés au dossier de l’affaire. Cela signifie que les «aveux officiels» qui ne reposent sur aucun élément ou les aveux sans consistance ne suffisent pas à obtenir une condamnation. Le Tribunal constitutionnel fédéral exige que la véracité des aveux faits dans le cadre d’une négociation soit vérifiée au cours d’une audience devant un tribunal; autrement dit, la simple vérification du dossier ne suffit pas. Cette vérification doit être étayée par des éléments probants, de manière à ce qu’il ne soit pas nécessaire de procéder à des investigations complémentaires. Selon le Tribunal constitutionnel fédéral allemand, cette obligation de transparence et de production d’éléments probants représente un point essentiel des dispositions légales et doit être mise en œuvre soigneusement en pratique. Cette obligation vise en effet à prévenir les «accords informels», qui sont les plus susceptibles de donner lieu à des abus. Néanmoins, il ressort de l’étude menée par Fair Trials que bon nombre des pays qui autorisent la renonciation au procès ne prévoient pas un tel contrôle juridictionnel de la crédibilité des aveux sur lesquels se fonde la «transaction». Aux États-Unis, il est même admis qu’un accusé puisse accepter une peine sans reconnaître les faits sur lesquels se fondent les accusations portées contre lui (pratique connue sous le nom de «plaidoyer Alford 
			(30) 
			Du nom de l'affaire North Carolina v. Alford, 400 US
25 (1970), où la Cour suprême des États-Unis a confirmé la validité
d'une transaction pénale dans le cadre de laquelle un accusé qui
encourait la peine capitale avait accepté de plaider coupable de
meurtre au second degré tout en se déclarant innocent des faits
qui lui étaient reprochés. »), si bien qu’il n’est pas rare que des procureurs négocient des transactions pénales en sachant pertinemment que l’accusé est innocent 
			(31) 
			Étude de Fair Trials, supra note 5, p. 16, paragraphe
33.. En revanche, le droit allemand interdit rigoureusement toute «négociation» relative aux faits. Les décisions de justice rendues sur la base d’une transaction pénale doivent elles aussi être conformes au but poursuivi par le procès: la recherche de la vérité matérielle.
30. Mais même les dispositions du droit allemand, qui paraissent raisonnablement protectrices des intérêts des accusés innocents, semblent ne pas être correctement appliquées en pratique. Il ressort d’une étude réalisée en 2012 à la demande du Tribunal constitutionnel fédéral (Bundesverfassungsgericht) pour les besoins du contrôle de la constitutionnalité de la loi susmentionnée (Verständigungsgesetz) que près de 60 % des juges interrogés reconnaissent que la plupart des transactions qui leur sont soumises ne reposent pas sur des éléments suffisants et que seuls 28 % d’entre eux indiquent qu’ils vérifient la crédibilité des aveux qui font l’objet de la transaction. Comme l’étude menée par Fair Trials présente l’Allemagne comme un pays où, par rapport à d’autres, les juges ont un rôle plus actif pour contrôler les preuves en vue de s’assurer de la sincérité des aveux passés par l’accusé dans les affaires impliquant une renonciation au procès 
			(32) 
			Ibid., p. 54, paragraphe 97., je suis très préoccupé par la pratique d’autres pays dans lesquels les obligations des juges sont définies de façon moins précise qu’en Allemagne.
31. Par un arrêt du 19 mars 2013 
			(33) 
			Arrêt du 19 mars 2013,
BVerfGE 133, 168-241 (en allemand)., le Tribunal constitutionnel fédéral a jugé que la loi en question était en soi globalement conforme à la Constitution, mais pas l’application qui en était faite. Le Tribunal constitutionnel a donc appelé le législateur à suivre attentivement les évolutions en la matière et à prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir toute pratique contraire à la Constitution. Notre expert allemand, le professeur Beulke, a fait remarquer au cours de l’audition organisée en juin qu’à la suite de l’arrêt restrictif rendu par le Tribunal constitutionnel, la pratique des transactions pénales devant les tribunaux allemands avait considérablement diminué. Son principal domaine d’application est aujourd’hui celui de la criminalité économique en col blanc, qui exige des enquêtes complexes et coûteuses en ressources et où les peines encourues sont d’ailleurs assez légères, par rapport aux crimes contre la personne humaine.

5.4. Limiter la «pénalité associée au procès»

32. Comme nous l’avons vu, l’écart important entre la peine prononcée à l’issue d’un procès ordinaire et la peine proposée dans le cadre d’une transaction pénale («la pénalité associée au procès») peut exercer une forte pression sur les accusés et les contraindre à accepter une «transaction» alors qu’ils sont innocents ou que les preuves à charge sont maigres. Une réduction de peine excessive risque également d’amener les justiciables à penser que la justice ne respecte pas l’État de droit. C’est la raison pour laquelle la Cour fédérale de justice allemande (la juridiction pénale suprême en Allemagne) a jugé, dans l’arrêt sus-mentionné de Grande Chambre du 3 mars 2005, que la peine infligée à la suite d’une transaction ne devait pas s’écarter de celle qui aurait probablement été prononcée à l’issue d’un procès ordinaire au point de violer les principes généraux applicables à la fixation de la peine. Cela signifie que la transaction ne doit pas fixer une peine inférieure à la peine minimale acceptable au regard de la gravité de l’infraction et du degré de culpabilité de l’accusé, même en tenant compte de la réduction de peine généralement accordée aux accusés qui ont avoué leur crime.

5.5. Interdire la renonciation au droit de recours

33. Il faut maintenir le droit de faire appel de la condamnation pour préserver la possibilité de remédier à d’éventuels vices de procédure ou autre violations commis dans le processus de «négociation». C’est la raison pour laquelle le Code de procédure pénale allemand (tel que modifié par la Verständigungsgesetz précitée) exclut expressément la possibilité de renoncer au droit de recours dans la transaction. En revanche, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans son arrêt Natsvlishvili et Togonidze c. Géorgie, admis l’impossibilité de recours devant une juridiction supérieure contre la transaction pénale, considérant qu’en acceptant cette dernière, M. Natsvlishvili avait renoncé en connaissance de cause à son droit à un recours classique. Cette impossibilité n’entraînait donc pas violation de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 117). Toutefois, sans possibilité de recours, les juridictions supérieures auront du mal à faire respecter les garanties prévues par la Convention (notamment celles qu’exige la Cour européenne des droits de l’homme). Cette situation porterait atteinte au principe de subsidiarité sur lequel se fonde la Convention et finirait par obliger la Cour elle-même à mettre de l’ordre dans l’application par les juridictions inférieures nationales des dispositions relatives aux transactions pénales.

5.6. Autoriser dans certains cas l’annulation d’une transaction pénale

34. Afin de préserver le principe de justice effective sur lequel se fonde la procédure pénale, le juge doit avoir la possibilité d’annuler une transaction pénale lorsqu’en droit ou en fait d’importantes circonstances de l’espèce ont été omises ou ont été produites par la suite, qui convainquent le juge que la peine n’est plus appropriée.

5.7. Interdire l’utilisation des aveux en qualité d’éléments de preuve en cas d’échec ou d’annulation d’une transaction pénale

35. Le droit à un procès équitable impose que les aveux faits dans le cadre de négociations en vue d’une transaction pénale ne soient pas utilisés en qualité d’éléments de preuve en cas d’échec ou d’annulation de cette transaction. Cette garantie, qui vise à empêcher qu’un suspect ne se retrouve pris au piège, est expressément prévue par le Code de procédure pénale allemand, tel que modifié par la Verständigungsgesetz (paragraphe 257c IV 3).

5.8. Lutter contre les inégalités raciales et sociales

36. Les études réalisées aux États-Unis montrent qu’il existe une forte disparité raciale dans la réduction de peine accordée en cas de reconnaissance de culpabilité. Compte tenu de la diversité de plus en plus importante de la composition de la population de nombreux pays européens, ce risque de discrimination existe également dans les États membres du Conseil de l’Europe. Il convient d’y remédier par une formation adéquate et des mesures de sensibilisation, ainsi qu’en collectant des données pertinentes en la matière et en agissant en conséquence.
37. Par ailleurs, du fait des inégalités sociales, les suspects les plus pauvres, qui ne peuvent se permettre de verser une caution, risquent de subir de plus fortes pressions pour qu’ils acceptent de plaider coupable de manière à échapper à une détention provisoire. Il convient là encore de lutter autant que possible contre ce risque grâce à des mesures visant à réduire le recours abusif à la détention provisoire 
			(34) 
			Voir
la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=22206&lang=FR'>Résolution
2077 (2017)</a> de l'Assemblée sur l’abus de la détention provisoire
dans les Etats Parties à la Convention européenne des droits de
l'homme..

6. Conclusions

38. La «renonciation au procès» (ou la «négociation en matière pénale», ou encore la «transaction pénale») présente d’indéniables avantages, mais peut également comporter des risques réels pour les droits de l’accusé et l’état de droit. On peut se demander comment protéger le droit à un procès équitable en l’absence de procès 
			(35) 
			Rebecca
Shaeffer, «Fair trial rights without the trials? Trial waiver systems
in Russia, Ukraine and the South Caucasus», EHRAC Bulletin (European
Human Rights Advocacy Centre), hiver 2017 (p. 8-9).. Les normes internationales réglementant cette pratique, qui se développe rapidement dans les États membres du Conseil de l’Europe et ailleurs, sont rares, voire inexistantes. Dans bon nombre de nouvelles démocraties, les mécanismes de renonciation au procès sont des «importations américaines» dont les États-Unis ont fait une promotion insistante dans leurs programmes d’assistance. Dans ces conditions, on est inévitablement conduit à se demander s’il est réellement approprié d’«importer» de tels mécanismes dans des systèmes de justice pénale dont les traditions sont très différentes, notamment ceux des anciens pays soviétiques, où la Prokuratura est encore redoutée pour ses pouvoirs exorbitants, où les tribunaux ne prononcent presque jamais d’acquittement et où le rôle des avocats de la défense demeure marginal.
39. Comme nous l’avons vu, le développement considérable de la pratique des transactions pénales dans de nombreux pays européens présente des avantages et des inconvénients. Ces inconvénients peuvent et doivent être limités par la mise en place de garanties adéquates. Certaines de ces garanties sont proposées dans le projet de résolution. En l’absence, à l’heure actuelle, de solides éléments d’orientation émanant de la Cour européenne des droits de l’homme (voir plus haut le paragraphe 23), il serait selon moi opportun que le Comité des Ministres élabore des lignes directrices qui pourraient prendre la forme d’une recommandation adressée aux États membres, comme le propose le projet de recommandation au Comité des Ministres.